Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

L’agent négociateur a renvoyé un grief collectif à l’arbitrage au sujet de l’horaire de travail des membres du groupe Électronique affectés aux essais en mer - l’employeur avait modifié l’horaire de travail des employés - l’arbitre de grief a conclu que la modification portait atteinte à la convention collective, étant donné que l’employeur n’avait pas démontré que les circonstances justifiaient un tel changement. Grief collectif accueilli.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2009-01-20
  • Dossier:  567-02-04
  • Référence:  2009 CRTFP 2

Devant un arbitre de grief


ENTRE

FRATERNITÉ INTERNATIONALE DES OUVRIERS EN ÉLECTRICITÉ,
SECTION LOCALE 2228

agent négociateur

et

CONSEIL DU TRÉSOR
(ministère de la Défense nationale)

employeur

Répertorié
Fraternité internationale des ouvriers en électricité, section locale 2228 c. Conseil du Trésor (ministère de la Défense nationale)

Affaire concernant un grief collectif renvoyé à l’arbitrage

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Dan Butler, arbitre de grief

Pour l'agent négociateur:
James L. Shields, avocat

Pour l'employeur:
Stéphan Bertrand, avocat

Affaire entendue à Victoria (Colombie-Britannique),
du 26 au 28 février et les 4 et 5 novembre 2008, et à Ottawa (Ontario)
les 9 et 10 septembre 2008.
(Traduction de la CRTFP)

I. Grief collectif renvoyé à l’arbitrage

1 Le 8 juillet 2005, la Fraternité internationale des ouvriers en électricité, section locale 2228 (l’« agent négociateur ») a déposé un grief collectif au nom de 16 employés du ministère de la Défense nationale (MDN) travaillant à l’Installation de maintenance de la flotte (IMF) Cape Breton à la Base des Forces canadiennes Esquimalt. Les employés contestaient le fait d’avoir reçu l’ordre de travailler des quarts de soir et de nuit durant des essais en mer d’une manière contrevenant à l’article 32 (Indemnité d'essais en mer) de la convention collective du groupe Électronique (EL). À titre de mesure corrective, ils demandaient que les ordres soient annulés.

2 Après avoir reçu la réponse rejetant le grief au dernier palier du processus de règlement des griefs de l’employeur, l’agent négociateur a renvoyé l’affaire à la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la « Commission ») aux fins d’arbitrage le 11 mai 2006. Il a indiqué dans sa demande que le grief collectif concernait également l’article 23 (Durée du travail) de la convention collective conclue entre lui et le Conseil du Trésor ayant expiré le 31 août 2004 (la « convention collective »).

3 Le 20 décembre 2006, l’agent négociateur a demandé à la Commission de suspendre 14 griefs individuels (dossiers de la CRTFP 566-02-580 à 566-02-593) en attendant qu’une décision soit rendue concernant le grief collectif. L’employeur a fourni sa réponse le 5 janvier 2007 et a précisé qu’il n’approuvait pas la demande de l’agent négociateur. Après avoir reçu des observations, le président a accédé à la demande de l’agent négociateur relativement à la suspension des griefs individuels en attendant la décision concernant le grief collectif.

4 Le président m’a ensuite nommé comme arbitre de grief pour entendre et trancher ce grief collectif.

5 Dans Fraternité internationale des ouvriers en électricité, section locale 2228 c. Conseil du Trésor (ministère de la Défense nationale), 2008 CRTFP 36, j’ai rendu une décision préliminaire concernant l’objection soulevée par l’employeur quant à ma compétence d’entendre le grief collectif pour deux raisons — la première étant que le grief était prématuré et la deuxième, que les employés ayant consenti au dépôt du grief collectif ne partageaient pas tous l’élément commun qui était d’avoir été lésés, comme l’exige le paragraphe 215(1) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R. 2003, ch. 22. J’ai accueilli en partie la première objection de l’employeur en statuant que le grief était prématuré dans le cas des employés qui avaient consenti à la présentation du grief collectif autres que MM. Skrobotz, Buckley et Vinden. J’ai rejeté la deuxième objection de l’employeur à ma compétence d’entendre le grief collectif pour le motif qu’un ou plusieurs des employés participants ne s’estimaient pas lésés pour les mêmes motifs.

6 J’ai ordonné que l’audience se poursuive sur le fond du grief, en ce qui concernait MM. Skrobotz, Buckley et Vinden (ci-après appelés « les fonctionnaires s’estimant lésés »).

II. Résumé de la preuve

7 Les parties ont convenu que je peux me fonder sur les éléments de preuve produits au nom de la Fraternité internationale des ouvriers en électricité, section locale 2228dans le cadre de la présente décision.

8 Les fonctionnaires s’estimant lésés participent régulièrement à des essais en mer aux fins de mise à l’essai et de calibrage d’équipement électronique à bord de navires militaires des Forces armées canadiennes. Le plus souvent, les essais en mer sont effectués au site d’essai naval des détecteurs électroniques du Pacifique (NESTRP), établi en 1995. Le NESTRP se compose de deux secteurs d’exercices qui englobent les voies de trafic maritime dans le détroit de Juan de Fuca, au sud de la BFC Esquimalt (pièce G-9). Le bâtiment de contrôle des champs de tir au NESTRP se trouve sur le littoral, à Albert Head, au sud-ouest de la base.

9 Richard Buckley est technologue en guerre électronique/radar/navigation à l’Installation de maintenance de la flotte (IMF) Cape Breton. Son poste est classifié au niveau EL­-06. Il a témoigné qu’il participe à la tenue d’essais en mer depuis qu’il est devenu un employé civil à la base en 1991. D’après M. Buckley, les horaires des essais en mer ont changé plusieurs fois entre 1991 et le moment où le groupe collectif a été déposé. En parlant de la période commençant peu après l’entrée en opération du NESTRP en 1995 jusqu’en 2000, il a raconté que, typiquement, il montait à bord d’un navire en vue d’un essai en mer tôt le lundi matin, vers 8 h 30, que le navire appareillait immédiatement et qu’il revenait au quai vers 16 h. Cet horaire se poursuivait pendant quatre ou cinq jours et, à l’occasion, la semaine suivante. Normalement, la question de la « dérogation » ne se posait pas, c’est-à-dire que M. Buckley avait droit au moins au repos minimum de 10 heures entre les périodes de travail tel que prévu dans la convention collective. Souvent, il accomplissait les derniers préparatifs sur terre durant la fin de semaine avant les essais en mer, en heures supplémentaires.

10 À partir de 2000, les responsables de la flotte ont réduit le temps accordé pour mener les essais en mer. Les heures de travail de M. Buckley ont changé et ressemblaient aux pratiques antérieures qui avaient cours entre 1991 et 1995. Une fois qu’il était monté à bord du navire le lundi matin, les activités à accomplir dans le cadre des essais en mer se poursuivaient typiquement jusqu’à ce qu’elles soient terminées, souvent jusqu’au jeudi soir, et le navire revenait au quai le vendredi matin. Durant la semaine à bord du navire, M. Buckley travaillait durant la journée et également durant la nuit, lorsqu’un environnement moins bruyant facilitait les essais. Il dormait pendant de courtes périodes et prenait ses repas quant il le pouvait, mais il mettait l’accent sur l’accomplissement du travail durant le temps dont il disposait. Normalement, il n’avait pas droit au repos requis de 10 heures entre les périodes de travail.

11 M. Buckley a confirmé que l’employeur n’a jamais modifié ses heures de travail régulières (de 7 h à 15 h ou de 8 h à 16 h) lorsqu’il accomplissait des essais en mer entre 1995 et 2005. Pour tout le temps qu’il a passé à travailler à bord des navires en dehors de ses heures de travail normales, il a présenté des demandes de paiement d’heures supplémentaires, conformément à la convention collective, et l’employeur lui a payé les heures supplémentaires.

12 À deux reprises, avant 2005, l’employeur a modifié les heures de travail régulières de M. Buckley. Chaque fois, c’était toutefois pour lui permettre de suivre des cours le soir dans le cadre de voyages à Halifax plutôt que d’essais en mer.

13 M. Buckley a fourni des exemples de ses horaires durant les essais en mer et des demandes de paiement d’heures supplémentaires qu’il a soumises entre 1996 et 2004 en utilisant le formulaire « Rapport des fonctions supplémentaires et travail par équipes », connu également sous le nom de formulaire « DND 907 » (pièces G-10 à G-20). M. Buckley a également relaté comment, vers la fin de la période, lui-même et d’autres employés ont entré leurs demandes de paiement d’heures supplémentaires directement, ou à partir de formulaires DND 907 approuvés, dans le Système d’information – Soutien et acquisition du matériel (SISAM).

14 La situation a changé en 2005. Le 5 juillet 2005, M. Buckley et deux collègues, William Skrobotz et Jay Vinden, ont reçu un courriel qui les informait que leurs heures de travail régulières seraient modifiées et commenceraient à 15 h, à compter du 11 juillet 2005, dans le cas d’un essai en mer qui commencerait à cette date (pièce E-1). Lorsque M. Buckley a par la suite présenté une demande de paiement d’heures supplémentaires pour les heures qu’il avait effectivement travaillées les 11 et 12 juillet 2008, précisant que la prime devrait commencer à être versée à partir de 15 h, Edward Hix, chef de la section du génie des systèmes de combat à l’IMF Cape Breton, a refusé d’approuver le paiement d'heures supplémentaires pour les heures de travail régulières modifiées de M. Buckley (pièce G-7).

15 Lors de son témoignage, M. Buckley a précisé que cette modification de ses heures de travail régulières avait continué à s’appliquer par la suite, chaque fois qu’il accomplissait des fonctions liées à des essais en mer au NESTRP. Toutefois, dans le cadre d’essais en mer qui n’étaient pas effectués au NESTRP, ses heures de travail régulières n'étaient pas modifiées, comme le montrait le formulaire « DND 907 » qu’il a soumis pour un essai en mer mené du 7 au 13 août 2005, dans le cadre duquel le navire avait appareillé de Halifax (pièce G-22).

16 Durant le contre-interrogatoire, M. Buckley a indiqué qu’il participait en moyenne à quatre ou cinq essais en mer à bord d’un navire chaque année au NESTRP. Il participait également à un ou deux autres essais en mer chaque année, depuis le bâtiment de contrôle des champs de tir, situé sur le littoral.

17 Faisant allusion aux événements du 11 juillet 2005, M. Buckley a confirmé que, conformément aux instructions qu’il avait reçues, il n’a pas commencé à travailler à l’heure à laquelle il débutait normalement, mais, au lieu de cela, s’est présenté au travail à 15 h. Cependant, il a soumis une demande de paiement d’heures supplémentaires pour les heures qu’il a travaillées à partir de 15 h [traduction] « […] en se basant sur ce que l’on avait toujours fait » (pièce G-7). Il a confirmé qu’il s’attendait à toucher sa rémunération régulière à compter de 8 h.

18 Lorsqu’on lui a demandé s’il était d’accord pour dire que l’employeur pouvait lui demander de dévier de ses heures de travail régulières, M. Buckley a répondu que l’employeur n’avait jamais modifié ses heures de travail pour les essais en mer auparavant, et qu’il l’avait fait uniquement lorsqu’il devait suivre des cours.

19 Jay Vinden travaille comme employé civil à l’IMF Cape Breton, depuis 1974. À partir de 1984 et jusqu’à aujourd’hui, il a rempli les fonctions d’un technologue en électronique au niveau EL-06. La plupart des essais en mer auxquels il a participé depuis 1995 ont consisté pour lui à accomplir des activités au bâtiment de contrôle des champs de tir, même s’il a mené des essais en mer à bord de navires.

20 En ce qui concerne la période allant de 1990 à 1996 ou 1997, M. Vinden s’est rappelé que les essais en mer se poursuivaient 24 heures sur 24, jusqu’à ce qu’ils soient terminés et exigeaient que le travail soit effectué de façon continue, alors que les pauses pour manger étaient très courtes et qu’on n’avait pratiquement pas le temps de dormir. Typiquement, durant un essai en mer, la mise à l’essai de chaque composante durait de 20 à 30 minutes, après une période de préparation de 10 minutes. M. Vinden devait être présent constamment, surtout lorsqu’on procédait à une parcelle d’essai portant sur des instruments qui durait de 20 à 30 minutes.

21 À partir de 1996 ou 1997, les essais en mer n’exigeaient plus l’exécution des fonctions de façon continue. Le premier jour de l’essai en mer, l'horaire de travail de M. Vinden commençait à 8 h et pouvait se poursuivre tard le soir jusqu’à minuit. Les jours suivants, le début de son horaire pouvait être retardé de plusieurs heures, afin d’éviter une situation de dérogation. Lorsqu’il travaillait au bâtiment de contrôle des champs de tir, M. Vinden pouvait normalement se rendre chez lui le soir pour dormir.

22 D’après M. Vinden, la direction est devenue préoccupée par le fait que les essais en mer prenaient trois ou quatre jours pour éviter les situations de dérogation, plutôt que d'être d'une durée nettement moins longue lorsqu’ils étaient effectués continuellement, ce qui avait été la pratique au cours des années antérieures. La possibilité de revenir à un horaire de travail continu durant les essais en mer, toujours d’après M. Vinden, est devenue une question de négociation collective. Au début des années 2000, il était de moins en moins fréquent de commencer à travailler le matin dans le cadre des essais en mer, et les périodes de travail pouvaient durer jusqu’à 16 heures.

23 M. Vinden a parlé de plusieurs demandes de paiement d’heures supplémentaires qu’il avait présentées pour des essais en mer (pièces G-6, G-23 et G-23A). Il a confirmé que l’employeur n’avait jamais modifié ses heures de travail régulières dans le cadre d’un essai en mer avant de recevoir le courriel du 5 juillet 2005 (pièce E-1).

24 Le 11 juillet 2005, M. Vinden s’est présenté au travail à l’heure où il commençait normalement, c’est-à-dire à 7 h, ayant reçu l’autorisation de son superviseur de le faire à cause de sa charge de travail. Il s’est présenté pour les essais en mer à l’heure prévue cet après-midi-là. Plus tard, lorsqu’il a présenté une demande de paiement d’heures supplémentaires pour le travail qu’il avait accompli après 15 h le 11 juillet 2005, M. Hix a initialement rejeté la demande. Neuf mois plus tard, on a versé à M. Vinden ses heures supplémentaires, tel que demandé, parce que son superviseur avait approuvé ses heures de travail avant 15 h.

25 Hilary Gill a été nommée en 2003 à un poste EL-06 à l’IMF Cape Scott, à Halifax. Elle a témoigné qu’elle y travaillait en tant qu’employée autre que d'exploitation et qu’elle travaillait 7,5 heures par jour, à compter de 7 h. Lorsqu’elle effectue un essai en mer, Mme Gill travaille de façon continue. Typiquement, les essais en mer durent environ trois jours. Elle a décrit son expérience dans le cadre d’un essai en mer qui a commencé le 8 août 2005, en illustrant ses heures de travail durant cet essai en mer à l’aide de données provenant du SISAM (pièce G-25). Mme Gill a témoigné qu’elle accomplissait du travail à bord du navire durant ses heures de travail normales au taux de rémunération régulier, puis était payée en heures supplémentaires à tarif et demi (1,5), à tarif double (2,0), puis à tarif triple (3,0) pendant une période continue d’heures supplémentaires. Durant l’essai en mer en question, Mme Gill a travaillé avec M. Buckley, de l’IMF Cape Breton, et a accompli les mêmes fonctions.

26 Mme Gill a indiqué que la direction n’avait jamais changé ses heures de travail normales en appliquant la clause 23.15 de la convention collective.

27 Durant le contre-interrogatoire, Mme Gill a expliqué qu’elle montait généralement à bord du navire en vue des essais en mer au quai ou prenait le canoë pneumatique à coque rigide pour se rendre au navire tôt le matin. À l’occasion, elle embarquait aussi tard que midi, mais Mme Gill ne pouvait se souvenir d’avoir jamais été obligée de monter à bord d’un navire pour des essais après ses heures de travail normales.

28 M. Hix s’est joint à l’IMF Cape Breton, à titre d’ingénieur principal d’armes sous-marines, en 2003. Au moment du dépôt du grief, il occupait le poste de chef de la section du génie des systèmes de combat, où il était chargé d’attribuer et d’organiser le travail dans le domaine du génie, y compris les essais en mer. Il examinait et approuvait les demandes de paiement d’heures supplémentaires présentées par le personnel qui relevait de lui, et exerçait ses pouvoirs de signature en vertu de l’article 34 de la Loi sur la gestion des finances publiques, L.R.C. (1985), ch. F-11(LGFP).

29 En 2005, vers la fin de l’année financière, un agent administratif a informé M. Hix que le commandant de l’IMF Cape Breton était préoccupé par les importantes dépenses en heures supplémentaires de l’unité de M. Hix. D’après les données contenues dans le SISAM, ces dépenses s’élevaient au total à plus de 8 000 heures payées durant l’année financière 2004-2005, ce qui représentait 25 % de toutes les heures supplémentaires payées à l’IMF Cape Breton, en dépit du fait que le personnel au sein de l’unité ne représentait que 4,5 % du nombre total des effectifs de l'IMF.

30 M. Hix a affirmé qu’il avait connaissance d’une situation où un employé occupant un poste EL avait travaillé sans arrêt pendant 24 heures. M. Hix a déclaré qu’il était préoccupé par les conséquences que pouvait avoir une telle situation du point de vue de la sécurité. Il a également signalé qu’il avait reçu de nombreux griefs au sujet de paiements d’heures supplémentaires en retard.

31 M. Hix a rencontré Ed Fletcher, le steward EL local, pour discuter avec lui de ses préoccupations concernant la sécurité et les longues périodes de travail durant les essais en mer. M. Hix a déclaré que M. Fletcher lui a dit que les employés ne travaillaient pas toujours de longues heures durant les essais en mer et se reposaient souvent durant la journée, alors qu’ils travaillaient la nuit. M. Hix était préoccupé par le fait que les employés étaient rémunérés en heures supplémentaires dès le début des essais en mer et pour quelques heures durant la journée de travail régulière, alors qu’ils ne travaillaient pas. Il a mentionné à M. Fletcher qu’il avait lu la clause 23.15 de la convention collective et proposait de changer les heures de travail et de réduire la journée de travail durant les essais en mer en réponse à la situation et pour rendre le travail plus sûr. M. Fletcher a répondu que le changement proposé réduirait la paye des employés. M. Hix a remis en question l’objectivité de M. Fletcher à cet égard, puisqu'il touchait également des heures supplémentaires.

32 M. Hix a précisé qu’il a ensuite discuté de ses préoccupations avec le gestionnaire dont il relevait. M. Hix lui a dit qu’il ne voulait pas autoriser le paiement d’heures supplémentaires en vertu de l’article 34 de la LGFP parce qu’il ne savait pas si ces dépenses étaient appropriées durant les périodes où les employés effectuant des essais en mer ne travaillaient pas. Puis, comme il en avait convenu avec son gestionnaire, M. Hix a approfondi l’examen de la question en consultant des membres dans la chaîne de commandement des ressources humaines. En mai 2005, il a reçu une réponse d’un agent des ressources humaines qui confirmait qu’il pouvait invoquer la clause 23.15 de la convention collective pour modifier les heures de travail régulières durant un essai en mer.

33 M. Hix a témoigné qu’il a constaté des incohérences dans l’application des dispositions concernant la durée du travail et les heures supplémentaires entre les membres des quatre unités de négociation représentant les employés de la section du génie. Il a rédigé une nouvelle instruction pour assurer une « administration plus équitable » des conditions de travail et en réponse à sa préoccupation concernant la sécurité et les longues heures de travail. Il a signalé qu’il avait pris connaissance d’un incident qui était survenu en 2002 et durant lequel un employé du groupe EL avait été blessé. On avait déterminé que de la fatigue causée par de longues heures de travail avait été un facteur contribuant à l’incident. Il a mentionné qu’il avait également découvert 66 cas où des heures supplémentaires étaient rémunérées à tarif triple durant l’année financière 2004-2005, ce qui montrait qu’il y avait de nombreuses situations où des employés travaillaient de très longues heures. Après avoir discuté avec un agent des ressources humaines à propos de l’ébauche de son instruction de travail, M. Hix a participé à une réunion avec des représentants locaux de l’agent négociateur, durant laquelle il a été question de l’ébauche. Selon M. Hix, M. Fletcher a assisté à la réunion mais n’a fait aucun commentaire au sujet du contenu de l’ébauche, affirmant uniquement qu’il estimait que le processus de consultation était peu adéquat. M. Hix a inclus des suggestions, faites par un autre représentant de l’agent négociateur au cours de la réunion, à une version révisée de l’instruction de travail, puis a diffusé celle-ci le 26 mai 2005 (pièce E-2).

34 M. Hix a témoigné que la nouvelle instruction de travail avait un effet sur l’organisation des essais en mer, mais que la rémunération durant ceux-ci continuait de se faire en conformité avec les stipulations de la convention collective. En vertu de la nouvelle instruction, les heures de travail régulières étaient modifiées de sorte à commencer au début de l’essai en mer. M. Hix a expliqué que s’il n’avait pas adopté ce changement, les EL auraient été obligés de se présenter au travail à l’heure à laquelle ils commençaient régulièrement, puis d’entreprendre les essais en mer plus tard. Cette situation soulevait des préoccupations de sécurité dans l’esprit de M. Hix. Lors de son témoignage, il a indiqué qu’il avait comme responsabilité en vertu du Code canadien du travail, L.R.C. 1985, ch. L-2, de veiller à ce que le lieu de travail soit sécuritaire.

35 Lorsqu’on lui a demandé s’il n’avait jamais eu recours à la clause 23.15 de la convention collective pour modifier les heures de travail régulières dans une situation qui n’était pas liée aux essais en mer, M. Hix a répondu qu’il l’avait fait une fois à l’égard d’un employé, dans le cadre de la préparation du N.C.S.M. Protector en vue de son déploiement rapide dans le Golfe du Mexique après l’ouragan Katrina.

36 M. Hix a expliqué qu'après avoir émis la nouvelle instruction de travail, le nombre de situations où des EL travaillaient des heures supplémentaires rémunérées à tarif triple avait réduit et que les demandes de paiement des heures supplémentaires étaient normalement pour moins d’heures. Dans l’ensemble, le nombre total des heures supplémentaires rémunérées dans son unité est tombé à un niveau correspondant à 43 % du total de l’année précédente. En ce qui touchait la sécurité, M. Hix a témoigné qu’il avait entendu moins de plaintes à propos du danger posé par l’épuisement à la suite de longues heures de travail.

37 Durant le contre-interrogatoire, M. Hix a témoigné qu’il avait décidé de changer les pratiques antérieures en émettant sa nouvelle instruction de travail pour trois raisons : sa préoccupation concernant le nombre d’heures supplémentaires versées, son inquiétude entourant la sécurité et son souhait d’assurer une « administration équitable » entre les différents groupes d’employés. Parmi ces trois préoccupations, M. Hix a déclaré que la sécurité était la plus importante. Lorsqu’on lui a demandé si la préoccupation concernant la sécurité était exprimée dans son instruction de travail, M. Hix a attiré l’attention sur la phrase qui commençait par les mots [traduction] « Pour des raisons de sécurité et dans le but de réduire les dépenses […] » à la première page (pièce E-2). Il a confirmé que cette phrase était la seule à mentionner la sécurité dans l’instruction de travail.

38 Pour ce qui était de la nature de sa préoccupation concernant l’« administration équitable », M. Hix a expliqué qu’il avait reçu plusieurs commentaires d’employés dans d’autres groupes selon lesquels leur convention collective n’était pas aussi bonne que celle du groupe EL. Il avait le sentiment qu’il y avait une perception de traitement inégal. Certains employés dans d’autres groupes travaillaient des quarts, au même moment où des EL étaient rémunérés en heures supplémentaires. M. Hix a confirmé qu’en vertu de son instruction de travail, les EL ne travaillaient pas des quarts durant les essais en mer et que leur statut n’était pas modifié à celui d’« employé d'exploitation ». Les employés qui effectuaient des essais en mer et dont les heures de travail régulières étaient modifiées en vertu de la clause 23.15 touchaient une prime en vertu de cette même stipulation de la convention collective plutôt qu’en vertu de l’article 32 (Indemnité d’essais en mer).

39 Revenant à la question de la sécurité, l’agent négociateur a demandé à M. Hix s’il avait reçu du comité de sécurité un rapport à propos d’accidents durant les essais en mer. M. Hix a témoigné qu’il ne savait pas si la convention collective du groupe (EL) prévoyait la constitution d’un comité de sécurité et a admis qu’il n’avait pas parlé à un représentant de sécurité au sein du groupe EL. En ce qui concernait l’incident de sécurité survenu en 2002, M. Hix a admis qu’il n’avait pas demandé à obtenir le rapport d’accident (pièce G-27) avant d’émettre l’instruction de travail. Il l’avait seulement fait récemment pour se préparer à l’audience. L’agent négociateur a renvoyé à la mesure corrective recommandée dans le rapport de sécurité selon laquelle [traduction] « […] il faut établir un calendrier des essais plus réaliste […] au lieu de s'efforcer d’accomplir un essai de cinq jours en trois jours ». L’agent négociateur a demandé à M. Hix ce qu’il avait fait pour donner suite à cette recommandation. M. Hix a répondu qu’il n’était pas au courant de cet aspect.

40 L’agent négociateur a tenté de faire admettre à M. Hix que tout ce qu’il avait fait en réalité en émettant l’instruction de travail était de réduire le nombre des heures supplémentaires versées. M. Hix n’était pas d’accord. Il a dit que l’instruction de travail réduisait le temps que travaillaient les employés durant les essais en mer. Il n’était pas d’accord non plus que l’instruction de travail remplaçait les heures supplémentaires par du « temps mobilisé ». Il a insisté sur le fait qu’il essayait de faire en sorte que les employés aient suffisamment de temps pour se reposer. Il a cependant concédé que le travail devait être accompli, peu importe à quel moment il était effectué, et que les EL pouvaient faire valoir leurs droits de dérogation seulement à la fin de l’essai en mer.

41 L’agent négociateur a renvoyé M. Hix aux sections 1 à 4 ([traduction] objet et portée, références, définitions, responsabilités) de l’instruction de travail (pièce E-2). M. Hix a accepté qu’il n’avait pas mentionné la sécurité dans aucune autre de ces sections, et qu’une personne lisant leur contenu serait amenée à penser que l’instruction de travail portait sur la gestion des heures supplémentaires et des primes. Il a également admis que le restant de l’instruction de travail ([traduction] Section 5 – instructions générales) portait sur les heures supplémentaires et que le tableau joint à l’instruction ne renfermait aucune donnée à propos de points de contrôle « qualité/sécurité/environnement ».

42 Durant le réinterrogatoire, M. Hix a expliqué qu’il ne pensait pas qu’il était nécessaire de modifier le statut des employés EL à celui d'« employés d’exploitation » parce que la convention collective renferme des heures de début et de fin des quarts qui sont très spécifiques dans le cas des employés d’exploitation, ce qui ne se prêtait pas, selon lui, pour gérer les essais en mer.

43 En ce qui concernait l’incident de sécurité remontant à 2002, M. Hix a précisé que les employés lui avaient fréquemment rappelé qu’il y avait eu un accident occasionné par la fatigue à la fin d’un quart durant un essai en mer.

44 La colonne vide dans le tableau joint à l’instruction de travail (pièce E-2) n’avait aucune signification, selon M. Hix. Il ne voyait pas la nécessité d’imposer un point de contrôle qui aurait dû être vérifié par des employés de contrôle de la qualité en vertu des normes ISO9000. M. Hix a également témoigné que ce n’était pas une pratique courante d’inclure dans une instruction de travail tout l’historique à l’origine de celle-ci ou les motivations ayant incité l’employeur à l’émettre.

45 Le deuxième témoin de l’employeur, le capitaine de corvette Steve Watters, a été affecté à l’IMF Cape Scott, de 2003 jusqu’à son départ de la Marine en septembre 2007. Durant cette affectation, il a géré des essais en mer et a supervisé les employés qui les accomplissaient. Il a témoigné qu’il était également familier avec la conduite des essais en mer puisqu'il avait été un « client » de tels essais à bord de navires durant des affectations antérieures. Il a précisé que l’employeur sur la côte est ne modifiait pas les heures de travail régulières en vertu de la clause 23.15 de la convention collective, parce que les essais en mer y étaient menées typiquement durant la journée.

46 Lors de son témoignage, le capitaine de corvette Steve Watters a parlé de changements plus récents apportés à la conduite des essais en mer et, durant le contre-interrogatoire, il a parlé des conseils fournis par des employés aux Ressources humaines dans un échange de courriels, en octobre 2008, relativement à l’utilisation de la clause 23.15 pour modifier les heures de travail régulières pour les essais en mer (pièce G-26). J’ai décidé de ne pas résumer ce témoignage, car j’estime qu’il ne m’aide pas à déterminer si l’employeur a contrevenu à la convention collective trois ans auparavant, en juillet 2005.

47 Les deux parties ont produit des éléments de preuve à propos de la ronde de négociation collective qui a eu pour effet de remplacer la convention collective qui avait expiré le 31 août 1999, par l’intermédiaire de leurs porte-parole respectifs à la table de négociation — Paul Morse, gérant d’affaires de la FIOE, section locale 2228, et Al Bennett, négociateur du Conseil du Trésor.

48 M. Morse a décrit l’organisation interne de la section locale 2228 aux fins de la négociation collective et le processus que suit la section pour recueillir les commentaires des membres et formuler des propositions. Il a indiqué que des réunions de négociation ont commencé à se tenir le 22 septembre 1999. Ni la série initiale de propositions déposées par l’employeur ni celles de l’agent négociateur ne portaient sur l’article 32 (Indemnité d’essais en mer) de la convention collective, qui a été approuvée rapidement par les parties en tant que convention collective renouvelée (pièce G-24, onglets 3 à 5 et 9). L’agent négociateur a soumis une proposition visant à modifier la clause de l’article 23 (Durée du travail) qui portait sur la dérogation parce que ses membres au MDN avaient de la difficulté à bénéficier d'une pause de dix heures durant les essais en mer. Il a proposé, en leur nom, que les employés touchés qui le souhaitaient aient l’option de travailler durant la pause et d’être payés pour ces heures, en temps supplémentaire, à tarif triple.

49 Plusieurs mois après cela, durant les négociations, la demande de l’agent négociateur ayant trait à la dérogation étant toujours sur la table, l’employeur a présenté sa propre proposition sur la question, mais dans le contexte de l’article 32 de la convention collective (Indemnité d’essais en mer) (pièce G-24, onglet 12). Dans le cadre d'un certain nombre d’échanges subséquents, l’agent négociateur et l’employeur étaient toujours résolus à régler la question dans le contexte, respectivement, de l’article 23 (Durée du travail) et de l’article 32 (Indemnité d’essais en mer), et ils ne sont pas parvenus à s’entendre. Quand l’agent négociateur a présenté une demande de conciliation, la question n’était toujours pas réglée. Finalement, durant le processus de conciliation, ils se sont entendus sur un nouveau libellé portant sur la rémunération du travail accompli durant une pause de dix heures, et ce nouveau libellé a été approuvé le 25 février 2000 (pièce G-24, onglet 37). La révision approuvée d’un commun accord a été intégrée à l’article 32.

50 Le compte rendu des négociations décrit par M. Morse a montré que l’on n’a jamais discuté du concept de modifier les heures de travail régulières en réponse aux besoins des essais en mer. La clause 23.13 de la convention collective a été soumise à la discussion uniquement dans le cadre de la tentative de l’agent négociateur de résoudre la question de la dérogation qui, au bout du compte, a été réglée plutôt dans le contexte de l’article 32 (Indemnité d’essais en mer). L’article 23 (Durée du travail) a été réinclus sans changement dans la nouvelle convention collective. Le marché conclu par les parties permettait le report de la pause de dix heures auquel avait droit les employés durant les essais en mer en échange d’une rémunération plus élevée, prévoyant l’application d'un tarif triple pour la première fois.

51 M. Morse a témoigné qu’il est seulement devenu conscient du fait que le changement des heures de travail régulières dans le cadre des essais en mer était un problème au printemps de 2005. Il a confirmé que, jusqu’à ce moment-là, l’employeur n’avait jamais appliqué la clause 23.15 de la convention collective lorsqu’il établissait l’horaire des essais en mer.

52 M. Bennett a raconté que l’équipe de négociation de l’employeur avait soulevé une préoccupation à la table de négociation en décembre 1999 selon laquelle certains employés invoquaient leur droit de prendre une pause de dix heures durant les essais en mer et, ce faisant, causait des retards qui affectaient également l’équipage du navire et entraînaient des dépenses additionnelles. La modification proposée à l’article 32 de la convention collective (Indemnité d’essais en mer), sur laquelle les parties ont fini par s’entendre, répondait à la préoccupation de l’employeur en retardant la possibilité de prendre la pause jusqu’à ce que l’essai en mer soit terminé, mais il fallait, en contrepartie, que l’employeur accepte la proposition de l’agent négociateur que les employés soient rémunérés à tarif triple. M. Bennett a expliqué qu’il était préférable pour l’employeur de limiter la portée de la nouvelle disposition prévoyant une rémunération à tarif triple aux circonstances précises visées par l’article 32 plutôt que d’accepter d’inclure ce tarif à l’article 23 (Durée du travail), où il pourrait être appliqué à l’ensemble des employés de l’unité de négociation, dès que survenait une situation de dérogation.

53 M. Bennett a indiqué que, durant les négociations, l’exclusion de l’application de la clause 23.15 dans le contexte des essais en mer n’a jamais été envisagée.

III. Résumé de l’argumentation

54 Les deux parties ont convenu que, si je jugeait approprié d’accorder une mesure corrective en  l'espèce, celle-ci devrait prendre la forme d’une réparation déclaratoire. Les parties souhaitent surtout que je clarifie le sens des dispositions de la convention collective du groupe EL faisant l’objet du litige.

A. Pour l’agent négociateur

55 L’agent négociateur a affirmé que je devais répondre à deux questions :

  1. Lorsqu’il établit l’horaire des employés EL dans le cadre des essais en mer, tel que prévu à l’article 32 de la convention collective, l’employeur peut-il se servir de la clause 23.15 pour modifier les heures de travail normales des employés, tel que prévu à la clause 23.04a)?
  2. Le principe de préclusion s’applique-t-il en l’espèce pour empêcher l’employeur de modifier les heures de travail normales lorsqu’il assigne des tâches d’essais en mer à des employés du groupe EL?

56 L’agent négociateur a fait valoir que le libellé de la convention collective est manifestement ambigu à trois égards. Premièrement, la convention collective ne précise pas le sens du bout de phrase « lorsque les circonstances le justifient » que l'on trouve à la clause 23.15. Deuxièmement, l’article 32 (Indemnité d’essais en mer) exclut explicitement l’application normale de la disposition relative à la dérogation contenue dans la clause 23.15 durant les essais en mer, mais ni la clause 23.13 ni la clause 23.15 ne mentionnent cette exclusion. Troisièmement, l'application de la clause 23.15 n'est aucunement mentionnée dans l’article 32.

57 Face au libellé clairement ambigu d'une convention collective, un arbitre de grief peut se fonder sur une preuve extrinsèque pour en faciliter l’interprétation. Les deux formes les plus communes de preuve extrinsèque sont l’historique des négociations et la pratique antérieure. Une preuve extrinsèque peut également être utilisée pour invoquer la préclusion; voir Brown et Beatty, Canadian Labour Arbitration, 4e édition, aux paragraphes 3.4400 et 4401; et Windsor Board of Education v. Windsor Women Teachers’ Assns., (1991), 86 D.L.R. (4th) 345 (Ont. C.A.).

58 L’agent négociateur affirme que l’historique des négociations soumis en tant que preuve montre clairement que les parties ont négocié le libellé actuel de l’article 32 de la convention collective (Indemnité d’essais en mer) durant la ronde de négociation de 1999-2000, afin de revoir la version antérieure à cause de préoccupations soulevées au sujet de la dérogation. L’article 32 qui en a résulté montre clairement et sans équivoque l’intention des parties concernant l’établissement des horaires des essais en mer. En raison de sa spécificité, l’article 32 a préséance sur la clause 23.15, qui est une disposition générale traitant de la durée du travail : Canada Post Corporation v. C.U.P.W. (2002), 70 C.L.A.S. 381. En ce qui concerne les essais en mer, les parties se sont clairement penchées sur les conditions précises qui devraient exister et les ont définies à l’article 32. Pour ce qui est de l’intention des parties, c’est l’article 32, et non pas la clause 23.15, qui doit régir la rémunération à verser aux employés pour les longues heures continues qu’ils travaillent durant les essais en mer. L’article 32 a été négocié dans le but précis de tenir compte de l’inconvénient, des risques et des longues heures de travail en continu des essais en mer. C’est par la conclusion d’un marché que l’employeur a accepté de verser des heures supplémentaires, y compris une rémunération à tarif triple, en échange de l’obtention de l’accord de l’agent négociateur de renoncer aux droits des employés en matière de dérogation en vertu de la clause 23.13 durant le déroulement d’un essai en mer.

59 De l’avis de l’agent négociateur, par l’intermédiaire de son instruction de travail émise en mai 2005 (pièce E-2) et des directives envoyées par courrier électronique aux fonctionnaires s’estimant lésés le 5 juillet 2005 (pièce E-1), l’employeur cherchait à obtenir un avantage qu’il n’avait pas négocié à la table de négociation collective et à le faire d’une manière qui n’avait pas été discutée durant les négociations.

60 En vertu de la clause 23.04a) de la convention collective, l’employeur doit fixer une semaine de travail normale pour les employés autres que d’exploitation en fixant des heures de travail journalières entre 7 h et 18 h. Même si la clause 23.15 permet à l’employeur d’exiger que les employés travaillent des heures qui s’écartent de leur horaire journalier normal, ce changement peut seulement se faire « lorsque les circonstances le justifient ». La pratique antérieure présentée comme preuve montre clairement que les parties n’avaient jamais considéré qu’un essai en mer était une affectation ou un événement visé par le bout de phrase « quand les circonstances le justifient ». Au lieu de cela, celui-ci semble suggérer un événement irrégulier ou exceptionnel. Les parties n'avaient jamais l’intention que la clause 23.15, renfermant ce bout de phrase, permette à l’employeur de créer un nouvel ensemble d’heures de travail normales. L’employeur ne peut exercer son pouvoir discrétionnaire au point de rendre normale une situation anormale, comme il l’a fait une fois qu’il avait émis la nouvelle instruction de travail. L’employeur ne peut se servir de la clause 23.15 pour exiger qu’un groupe d’employés travaillent des heures supplémentaires de façon planifiée et courante et fixées de manière régulière; voir Quebec & Ontario Paper Co. v. C.P.U., Local 101 (1992), 24 L.A.C. (4th) 163.

61 M. Hix a témoigné que l’employeur a appliqué la clause 23.15 de la convention collective pour modifier les heures de travail régulières dans les circonstances exceptionnelles que constituait la participation de l’IMF Cape Breton en réponse à l’ouragan Katrina. Il s’agissait d’une situation urgente. D’après l’agent négociateur, les essais en mer ne constituent pas une situation urgente. Il n’y a aucun changement soudain dans des circonstances qui justifie l’application de l’article 23.15 pour modifier les heures de travail normales.

62 L’agent négociateur a maintenu que les clauses 23.04 et 23.15 de la convention collective sont censées être appliquées ensemble. Reconnaissant qu’il se pourrait qu’il y ait un besoin de réagir à des circonstances lorsqu’elles surviennent, les parties ont convenu que l’employeur pourrait ajuster les heures de travail normales par l’application de la clause 23.15. Cependant, cet ajustement contrevient à la convention collective lorsqu’il devient régulier ou courant au point de créer une nouvelle affectation normale ou régulière : Dufferin-Peel Catholic Separate School Board v. O.E.C.T.A., [2006] O.L.A.A. no 180.

63 En se fondant sur ces arguments, l’agent négociateur m’a demandé de déclarer que les essais en mer ne peuvent pas être considérés comme étant visés par le bout de phrase « lorsque les circonstances le justifient », puisqu’ils constituent des affectations régulières, courantes et prévisibles. L’agent négociateur fait valoir que, si je n’accepte pas, l’employeur doit être empêché par préclusion d’appliquer la clause 23.15 de la convention collective pour modifier les heures de travail normales dans le cadre des essais en mer jusqu’à ce que les parties aient l’occasion de négocier la question.

64 Les éléments essentiels d’une préclusion sont comme suit :

1) Il y a une proposition claire et sans équivoque, surtout lorsqu’elle est faite dans le contexte de la négociation collective, et cette proposition peut revêtir une forme verbale ou se présenter sous la forme d’un comportement.

2) Il est prévu que la partie à laquelle elle s’adressait se fie à la proposition.

3) L’autre partie se fonde effectivement sur cette proposition en se livrant à une quelconque action ou en se gardant d'agir.

4) Le fait de s’y fier cause un préjudice.

65 L’agent négociateur a maintenu que les éléments de la préclusion étaient présents en l’espèce. Avant 2005, la direction n’avait jamais eu recours à la clause 23.15 de la convention collective pour changer les heures de travail durant les essais en mer. La direction n’avait jamais discuté, durant la négociation collective, de la possibilité de changer les heures de travail normales durant les essais en mer par l’application de la clause 23.15. L'intention de l’employeur était que l’agent négociateur se fie à sa pratique antérieure de fixer l’horaire des essais en mer sans recourir à la clause 23.15. L’agent négociateur s’est fié à la proposition de l’employeur au détriment de ses membres. Il a soutenu qu’il aurait sans aucun doute exigé que l’employeur négocie la question, si celui-ci l’avait informé de sa position concernant l’application de la clause 23.15, durant n’importe quelle ronde de négociation. Comme il n’y a pas eu de négociation sur la question, l’agent négociateur a subi un préjudice considérable parce qu’il n’a pas pu négocier un changement au libellé de la clause 23.15.

66 La preuve montre que, pendant au moins 15 ans, les deux parties ont interprété l’article 32 (Indemnité d’essais en mer) de la convention collective comme étant celle qui régit les essais en mer. Cette pratique s’est poursuivie au cours de multiples rondes de négociation collective. Dans les observations déposées par l’agent négociateur, les essais en mer n’étaient simplement pas considérés comme visés par l’exigence exceptionnelle « lorsque les circonstances le justifient » énoncée à la clause 23.15. L’employeur n’a jamais utilisé la clause 23.15 pour établir l’horaire des essais en mer. On ne peut l’autoriser maintenant à changer sa position unilatéralement, ce qui serait contraire aux intentions mutuelles des parties lorsqu’elles ont négocié la convention collective en vigueur et de multiples conventions collectives avant cela.

B. Pour l’employeur

67 En ce qui concerne l’utilisation de l’historique des négociations pour aider à interpréter la convention collective, l’employeur a fait valoir que c'est parfois possible, mais uniquement lorsque certaines conditions sont respectées. En particulier, la preuve que fournit l’historique des négociations doit être pertinente et sans équivoque. Elle doit démontrer un consensus entre les parties à propos du sens d’une disposition de la convention collective sur lequel insiste une partie. Elle ne peut refléter l’espoir unilatéral d’une partie : DHL Express (Canada) Limited v. Canadian Auto Workers, Locals 4215, 144 and 4278 (2004), 124 L.A.C. (4th) 271.

68 La preuve déposée par MM. Morse et Bennett au sujet de la ronde de négociation de 1999-2000 n’a pas révélé un consensus quant à la manière dont les parties pouvaient invoquer la clause 23.15 de la convention collective ou que son application devrait être exclue dans certaines circonstances. La situation n’en est pas une où l’employeur, durant la négociation, a renoncé à son droit de gérer les heures de travail ou d’appliquer la clause 23.15. L’employeur a conclu un marché durant la ronde des négociations de 1999-2000, mais l’accord auquel il est arrivé portait sur des questions de rémunération et non pas sur des droits concernant l’établissement des horaires.

69 En ce qui concerne la pratique antérieure, comme aucune preuve ne démontre un consensus sur l’application de la clause 23.15, on ne peut se fonder sur une tendance à l'inaction (c’est-à-dire que l’employeur n’avait pas eu recours antérieurement à la clause 23.15 pour changer les heures de travail dans le contexte des essais en mer) pour affirmer que cette tendance constitue la pratique établie. Il n'était pas à tout jamais interdit à l’employeur, en raison de ce qui s’était produit antérieurement, de recourir à la clause 23.15 en réponse à des questions de gestion du travail ou des heures supplémentaires ou pour prendre des mesures visant à remédier à une [traduction] « situation qui laissait à désirer ».

70 L’employeur a fait référence à des lignes directrices concernant la préclusion formulées par la Cour d’appel fédérale, telles que résumées dans l’arrêt Pronovost c. Conseil du Trésor (ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences), 2007 CRTFP 93. S’appuyant sur ces lignes directrices, l’employeur a fait valoir que rien dans la preuve n'indique que l’employeur aurait promis de verser aux employés leur salaire régulier pour rester à la maison, ce qui se produirait si l’on interdisait à l’employeur par préclusion d’invoquer la clause 23.15 de la convention collective pour modifier les heures de travail régulières durant les essais en mer. L’employeur n’a jamais renoncé, verbalement ou par la prise de quelconques mesures, à son droit de fixer les heures de travail ou de gérer les dépenses au chapitre des heures supplémentaires de façon responsable. Pour que l’agent négociateur réussisse à établir les conditions d’une préclusion, il doit montrer que l’employeur était entièrement conscient du fait qu’il abandonnait ses droits. Il doit établir que l’employeur a promis de ne pas appliquer le libellé clair de la convention collective et que l’agent négociateur s’est fié à cette promesse jusqu’au point de subir le préjudice démontré. L’agent négociateur ne l’a pas fait. Par conséquent, la doctrine de la préclusion ne devrait pas s’appliquer. La direction peut adopter des changements pour améliorer les opérations et les rendre plus efficaces. La doctrine de la préclusion n'a pas pour but d'éliminer la possibilité d’améliorer la situation au travail.

71 L’employeur a prétendu que la question à trancher en l’espèce est de savoir si l’employeur peut invoquer son droit en vertu de la clause 23.15 de la convention collective pour changer les heures de travail durant les essais en mer, comme il l’a fait par l'entremise de son courriel daté du 5 juillet 2005 (pièce E-1), en suivant l’approche énoncée dans l’instruction de travail émise le 26 mai 2005 (pièce E-2).

72 L’instruction de travail avait pour but de modifier la gestion des heures supplémentaires et le versement des primes connexes. Elle s’appliquait à tout le temps supplémentaire que travaillait le personnel affecté aux systèmes de combat et pas uniquement aux membres du groupe EL. M. Hix a émis l’instruction de travail à cause d’une préoccupation manifeste concernant les importantes dépenses en heures supplémentaires mises en lumière par les données contenues dans le SISAM qu’il a décrites lors de son témoignage. M. Hix a également parlé de sa préoccupation concernant l’exercice de son pouvoir de signature aux termes de l’article 34 de la LGFP, étant donné que l’agent négociateur, représenté par M. Fletcher, lui avait dit que les employés ne travaillaient pas toujours de longues heures, mais étaient rémunérés. M. Hix s’est concentré également sur les conséquences du point de vue de la sécurité des longues périodes de travail continu accompli par certains employés durant les essais en mer.

73 La découverte par M. Hix que certains employés ne travaillaient pas nécessairement de longues heures, mais étaient payés — y compris pour les heures régulières pendant lesquelles ils étaient à la maison avant de se présenter en vue des essais en mer à la fin de la journée de travail normale — était à l’origine de sa préoccupation que la situation existante était problématique. Il a discuté de la situation avec le gestionnaire dont il relevait, a consulté des personnes dans la chaîne de commandement des ressources humaines, a rédigé une ébauche d’instruction de travail, a discuté avec des agents négociateurs au sujet de l’ébauche et y a inclus des suggestions qu’on lui a faites durant cette consultation. Cette suite d’événements est complètement différente d’une situation où une partie promet la poursuite pendant des années d’une pratique connue et puis change les règles unilatéralement simplement parce qu’elle a le désir de le faire.

74 L’employeur estime que l’expression « quand les circonstances le justifient » à la clause 23.15 de la convention collective, sans être définie, n’est pas nécessairement ambiguë. Lorsqu’on l’examine en même temps que les dispositions de l’article 7 (Droits de la direction) qui reconnaissent le droit de l’employeur d’organiser le travail, la clause 23.15 exige uniquement qu’il y ait une quelconque situation justifiable avant que l’employeur s’écarte des heures de travail régulières. M. Hix a fourni une preuve qui décrivait les circonstances justifiant l’écart en l’espèce, c’est-à-dire les trois facteurs de la sécurité, de la gestion des finances et du traitement équitable. Parmi ces facteurs, les deux premiers étaient les plus pertinents.

75 La direction avait une préoccupation légitime en matière de sécurité. La preuve montre que des employés rappelaient fréquemment à M. Hix l’incident de sécurité qui était survenu en 2002. Le fait qu’il n’a pas consulté un comité de sécurité avant de prendre des mesures en réponse à sa préoccupation n'en change pas la légitimité. De même, l’absence de renvois à la sécurité dans l’instruction de travail n’est pas significative. Comme l’a déclaré M. Hix, ce n’est pas une pratique courante que d’inclure un historique complet ou un énoncé des motifs dans une instruction de travail.

76 L’employeur s'est référé à la preuve qui a établi que certaines pièces d’équipement doivent être mises à l’essai la nuit durant un essai en mer. L’employeur a affirmé que le simple libellé de l’article 32 (Indemnité d’essais en mer) de la convention collective montre clairement que l’intention n’était jamais qu’un employé participant à un essai en mer la nuit soit rémunéré en heures supplémentaires dès qu’il se présente pour cet essai, si l’employé n'accomplissait pas déjà des heures de travail régulières au préalable. L’expression « pas de travail, pas de rémunération » doit avoir un sens. Sur ce point, il est significatif que la clause 32.03 utilise les mots « en sus de son horaire normal de travail » pour indiquer quand commence le paiement des heures supplémentaires, et non pas l’expression « en dehors de son horaire normal de travail ».

77 D’après l’employeur, aucun droit n’a été retiré par l’application de la clause 23.15 de la convention collective. L’employeur n’a pas éliminé la rémunération à tarif triple. Les employés dont les heures de travail sont modifiées en vertu de la clause 23.15 touchent les primes prévues par cette clause et sont également payés des heures supplémentaires pour les heures additionnelles travaillées, en conformité avec la convention collective. La possibilité de toucher une rémunération à tarif triple continue d’exister en vertu de la clause 32.03.

78 Dans ses observations, l’employeur affirme que l’article 32 (Indemnité d’essais en mer) de la convention collective n’existe pas en vase clos. On ne peut pas ne pas tenir compte du fait que la clause 23.15 permet l’ajustement des heures de travail régulières. Le restant de la convention collective, y compris la clause 23.15, ne cesse pas de s’appliquer parce que l’article 32 renferme des dispositions précises portant sur la rémunération durant les essais en mer. L’article 32 ne commence pas ainsi : « Nonobstant la clause 23.15… » La convention collective doit être traitée comme un tout, et toutes ses dispositions doivent être lues ensemble : Canada (Procureur général) c. McKindsey, 2008 CF 73.

79 Si les employés dans le groupe EL sont autorisés à être rémunérés dès le début de leurs heures régulières — à partir de 7 h, par exemple — même s’ils ne sont pas tenus de travailler pendant la journée, puis, doivent être payés en heures supplémentaires dès qu’ils se présentent en vue des essais en mer, le droit négocié de l’employeur de modifier l’horaire de travail en vertu de la clause 23.15 de la convention collective n’aura aucun sens. Cette interprétation aurait l'effet prohibé de modifier la convention collective.

80 L’employeur a maintenu que le fait pour lui de n'avoir pas utilisé la clause 23.15 de la convention collective pour changer les heures de travail régulières dans le cadre des essais en mer sur la côte est, comme l’a expliqué Mme Gill durant son témoignage, n’est pas pertinent. La preuve a établi qu’il n’était pas logique du point de vue opérationnel d’invoquer la clause 23.15 sur la côte est du fait que, normalement, les essais en mer à cet endroit étaient menés durant la journée plutôt que la nuit.

81 En réponse à la prétention de l’agent négociateur que l’application par l’employeur de la clause 23.15 vise « à rendre normale une situation anormale », l’employeur a affirmé qu’il n’est pas nécessaire d’appliquer la clause 23.15 à tous les essais en mer. Il n’y a pas de preuve convaincante que le type d’essais en mer examinés en l’espèce sont des événements continus, réguliers ou courants, ni qu’aucun sentiment d’urgence n'est jamais associé à ces essais. Clairement, la clause 23.15 ne dit pas « lorsque des circonstances exceptionnelles le justifient […] [je souligne] ».

82 L’employeur a conclu qu’il n’y a aucun fondement pour statuer que la direction a enfreint les dispositions de la convention collective lorsqu’il a émis son instruction de travail datée du 26 mai 2005 ou lorsqu’il a envoyé sa directive par courrier électronique aux fonctionnaires s’estimant lésés le 5 juillet 2005.

C. Réfutation de l’agent négociateur

83 L’agent négociateur a prétendu que je n’avais devant moi aucune preuve selon laquelle les employés étaient restés à la maison en étant rémunérés, comme l’allègue l’employeur. La preuve fournie par MM. Buckley et Vinden ne renfermait pas une telle affirmation, et l’employeur n’a pas établi une base factuelle à l’appui d’une telle allégation durant le contre-interrogatoire.

84 En dépit de ce que prétend l’employeur, les parties ont conclu un accord en ce qui concerne l’article 32 (Indemnité d’essais en mer) de la convention collective. Les parties mentionnent l’horaire normal de travail dans cet article. À la clause 23.04a), elles précisent que ces heures de travail régulières doivent se situer entre certaines heures de la journée. La clause 23.04a) est absolue.

85 En ce qui concerne le concept « pas de travail, pas de rémunération », tout ce qu’un employé doit faire pour avoir droit à sa rémunération régulière est d’être disponible pour travailler durant ses heures de travail normales. S’il n’est pas disponible, aucun paiement ne doit lui être versé.

86 L’agent négociateur a fait valoir que la sécurité n’était jamais une question clé pour M. Hix. Le traitement équitable n’était pas une préoccupation non plus. La preuve montre que M. Hix a rédigé son instruction de travail (pièce E-2) parce qu’il essayait de réduire le nombre des heures supplémentaires versées. Le libellé de l’instruction de travail est clair. Au paragraphe 5, on lit ce qui suit :

[Traduction]

5. Instructions générales

[…] les heures supplémentaires sont utilisées pour répondre à des besoins urgents et seront uniquement autorisées lorsqu’elles sont essentielles sur le plan opérationnel. Dans toute la mesure du possible, et comme le permet la convention collective de l’employé, on apportera des changements aux heures de travail régulières ou aux postes de travail réguliers plutôt que d'autoriser des heures supplémentaires.

[…]

87 Si l'on se base sur l’instruction de travail de M. Hix et sur l'application par ce dernier de la clause 23.15 de la convention collective pour modifier les heures de travail régulières durant les essais en mer, le bout de phrase « lorsque les circonstances le justifient » signifie maintenant que, dans toute la mesure du possible, l’employeur changera les heures de travail normales afin d’éviter d'avoir à verser des heures supplémentaires durant les essais en mer. L’employeur veut obliger les employés appartenant au groupe EL à être disponibles 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, pour participer à des essais en mer, mais veut éviter, autant que possible, de les rémunérer en heures supplémentaires pendant qu’ils sont de service. Or, il est impossible d’interpréter la convention collective de cette manière.

IV. Motifs

88 En l’espèce, c’est à l’agent négociateur qu’incombe le fardeau de prouver, selon la prépondérance des probabilités, que l’employeur a enfreint la convention collective lorsqu’il a communiqué, aux fonctionnaires s’estimant lésés le 5 juillet 2005, des instructions concernant la modification de leurs heures de travail normales dans le cadre d’un essai en mer qui devait commencer le 11 juillet 2005 (pièce E-1).

89 La détermination qui je dois faire en l’espèce a trait principalement à la clause 23.15 de la convention collective. La clause 23.15 se lit comme suit :

23.15 Il est reconnu que, lorsque les circonstances le justifient, certains employé-e-s autres que d’exploitation peuvent être tenus d’effectuer leurs heures de travail journalières normales selon un horaire qui déroge à leur horaire journalier normal aux termes de la clause 23.04. Lorsqu’un employé-e autre que d’exploitation est tenu d’effectuer ses sept virgule cinq (7,5) heures de travail journalières normales à d’autres moments que ceux précisés à la clause 23.04, il touche son taux de rémunération journalier normal plus une prime qui se calcule ainsi :

Pour les jours où, dans un mois civil, il travaille en conformité avec les dispositions précédentes,

(1)   pour les premier et deuxième jours - selon la note 6 de l’appendice « B » pour chaque jour,

(2)   pour les troisième, quatrième et cinquième jours – selon la note 7 de l’appendice « B » pour chaque jour,

(3)   pour le sixième jour et les jours subséquents – selon la note 8 de l’appendice « B » pour chaque jour.

Si l’employé-e travaille moins de trois virgule soixante-quinze (3,75) heures, il reçoit la prime intégrale pour la journée et revient à son horaire normal pour cette journée-là qui est réduite du nombre équivalent des heures de travail qu’il a effectuées. Si l’employé-e travaille trois virgule soixante-quinze (3,75) heures ou plus, il reçoit la prime intégrale pour la journée plus son taux de rémunération journalier normal.

Les heures de travail effectuées en excédent des sept virgule cinq (7,5) heures de travail journalier sont assujetties à l’article 25.

90 Les parties ont fait valoir que la clause 23.15 de la convention collective devrait être interprétée et appliquée dans le contexte de plusieurs autres dispositions de l’article 23 (Durée du travail) et de l’article 32 (Indemnité d’essais en mer) de la convention collective. Voici les dispositions pertinentes de l’article 23 :

[…]

23.03 Les heures de travail normales sont organisées pour comprendre :

a)       une semaine de travail de trente-sept virgule cinq (37,5) heures selon la description figurant à la clause 23.04,

[…]

23.04 Employé-e-s autres que d’exploitation

a)       La semaine de travail normale de l’employé-e autre que d’exploitation est de trente-sept virgule cinq (37,5) heures réparties sur cinq (5) jours consécutifs allant du lundi au vendredi inclusivement et la journée de travail est de sept virgule cinq (7,5) heures (à l’exclusion d’une pause-repas) et se situe entre 7 h et 18 h, heure locale.

b)       Ces employé-e-s bénéficient d’une pause-repas prévue non payée d’au moins trente (30) minutes consécutives et d’au plus une (1) heure qui commence durant la période que constituent la demi-heure (1/2) qui précède et l’heure (1) qui suit le milieu de la période de travail, sauf qu’une pause-repas de moins de trente (30) minutes peut être accordée pour compenser les heures d’été. Il est reconnu que dans les circonstances atténuantes, la pause-repas peut être avancée ou retardée à cause des nécessités du service. Toutefois, si l’employé-e peut prendre une pause-repas d’au moins une demi-heure (1/2) qui commence pendant la période prescrite, elle est considérée comme répondant aux exigences de la présente clause. Si un employé-e ne peut pas prendre de pause-repas pendant la période de temps prescrite, la période de la pause-repas est comptée comme temps de travail effectué.

[…]

23.13 Dérogation

Un employé-e qui n’a pas bénéficié d’une interruption de huit (8) heures consécutives au cours d’une période de vingt-quatre (24) heures pendant laquelle il travaille plus de quinze (15) heures n’est pas tenu de se présenter au travail pour son poste d’horaire normal, tant qu’une période de dix (10) heures ne s’est pas écoulée depuis la fin de la période de travail qui a dépassé quinze (15) heures. Si, à l’application de la présente clause, un employé-e travaille pendant moins de temps que ne le prévoit son poste d’horaire normal, il touche néanmoins son taux de rémunération journalier normal.

Dans l’application de la présente clause le temps de voyage nécessaire exigé par l’employeur est tenu pour du temps passé au travail.

[…]

23.16 Conformément à la clause 23.03 et nonobstant les clauses 23.04 et 23.15, les dispositions suivantes s’appliquent aux employé-e-s à bord d’un vaisseau 115 :

[…]

d)       À l’exception des employé-e-s du ministère de la Défense nationale admis, en vertu de l’article 32, à l’indemnité de navigation d’essai en mer, un préavis d’affectation à bord d’un vaisseau est donné le plus de temps possible à l’avance mais jamais moins de sept (7) jours civils avant qu’une telle affectation n’ait lieu. Si le préavis d’affectation est de moins de sept (7) jours civils, l’employé-e touche une prime équivalente au montant indiqué à la note 5 de l’appendice « B » pour chaque jour de l’affectation pour laquelle il n’a pas reçu de préavis de sept (7) jours civils.

[…]

91 La clause 2.01h) de la convention collective défini un « employé-e autre que d’exploitation » comme suit :

          h) « employé-e autre que d’exploitation » désigne tout employé-e dont les heures de travail ne sont pas normalement prévues sur une base de postes par roulement et dont les fonctions normales à son lieu de travail normal ne comprennent pas l’entretien effectif sur place de l’équipement électronique qui doit constamment être disponible au-delà des heures comprises entre 6 heures et 18 heures, heure locale;

[Les passages soulignés le sont dans l’original]

92 Dans leur argumentation, les parties se sont également référées à l’article 7 (Droits de la direction) de la convention collective, qui est formulé comme suit :

7.01 La section locale reconnaît et admet que l’employeur a et doit continuer d’avoir exclusivement le droit et la responsabilité de diriger ses opérations dans tous leurs aspects, y compris les suivants qui ne sont pas limitatifs :

a)     planification, direction et contrôle des opérations; choix des méthodes, des processus et du matériel et règlement des autres questions de fonctionnement; choix de la localisation des installations et détermination du degré de fonctionnement de ces installations ou de leurs parties;

b)    direction du personnel, y compris le droit de décider du nombre d’employés, d’organiser et d’attribuer le travail, d’établir le tableau des postes de travail et de maintenir l’ordre et l’efficacité, d’imposer des sanctions disciplinaires, ce qui comprend la suspension et le renvoi pour un motif justifié;

et il est explicitement entendu que les droits et responsabilités de ce genre qui ne sont ni précisés ni modifiés d’une façon particulière par la présente convention appartiennent en exclusivité à l’employeur.

7.02 L’exercice de tels droits ne doit pas être incompatible avec les dispositions explicites de la présente convention.

93 Le litige entre les parties porte fondamentalement sur l’interprétation à donner à l’expression « lorsque les circonstances le justifient » à la clause 23.15 de la convention collective. Cette expression énonce la condition qui doit être satisfaite avant que l’employeur puisse exercer le droit obligeant les employés autres que d’exploitation « […] d’effectuer leurs heures de travail normales selon un horaire qui déroge à leur horaire journalier normal aux termes de la clause 23.04 ». Plus particulièrement, les parties sont en désaccord sur la question de savoir si les circonstances justifiaient la modification par l’employeur des heures de travail régulières de MM. Skrobotz, Buckley et Vinden dans le contexte d’un essai en mer qui a commencé le 11 juillet 2005 (pièce E-1). En vertu de la clause 23.04a), les heures de travail journalières de MM. Skrobotz, Buckley et Vinden, en tant qu’employés autres que d’exploitation (essentiellement des employés qui ne travaillent pas selon des quarts) sont fixées entre 7 h et 18 h, du lundi au vendredi.

94 Il est important de souligner dès le départ que cette décision porte sur l’organisation des heures de travail durant les essais en mer et qu’elle ne porte pas directement sur la rémunération à laquelle les employés peuvent avoir droit pour le travail accompli durant les essais en mer. À l’audience, les parties ont fréquemment mentionné les répercussions de l’application de la clause 23.15 sur les droits à la rémunération, dans le contexte de la rémunération régulière, mais aussi, en particulier, dans le contexte de la rémunération d’heures supplémentaires à des taux plus élevés. En l'espèce, mon rôle n’est pas de statuer sur le fonctionnement des différentes dispositions portant sur la rémunération qui peuvent s’appliquer durant les essais en mer. Ceci dit, il est évident que ma décision concernant les heures de travail en vertu de la clause 23.15 aura des conséquences au chapitre de la rémunération. La nature de ces conséquences ne constitue toutefois pas un facteur dans ma décision.

95 Je me penche d’abord sur ce qui s’est produit et la raison. À mon avis, la prépondérance de la preuve établit que le principal motif qui a incité l’employeur à invoquer la clause 23.15 de la convention collective dans les circonstances en l’espèce était qu'il souhaitait prendre des mesures en réponse à une préoccupation au sujet du grand nombre de dépenses en heures supplémentaires dans la section que supervisait M. Hix. La preuve montre que M. Hix avait appris que le commandant à l’IMF Cape Breton estimait qu’il existait un problème dans la section de M. Hix du fait que le nombre d'heures supplémentaires rémunérées y était supérieur à 8 000 heures au cours de l’année financière 2004-2005 et représentait 25 % de tous les paiements d'heures supplémentaires à l’IMF Cape Breton, malgré le fait que les employés de l’unité de travail de M. Hix ne représentaient que 4,5 % des effectifs de l’installation. M. Hix a décidé qu’il devait faire quelque chose. Il a enquêté sur la situation et a constaté, entre autres, qu’à 66 occasions durant l’année financière 2004-2005, l’employeur avait rémunéré les employés dans sa section à tarif triple. En se penchant sur le nombre d’heures supplémentaires travaillées par des EL durant les essais en mer, il a appris d’un représentant local de l’agent négociateur, M. Fletcher, qu’il y avait certaines situations où des EL étaient affectés pendant de très longues périodes à des essais en mer, sans travailler de façon constante, mais tout en étant quand même rémunérés. Il a aussi appris que les EL qui étaient tenus de se présenter en vue d’essais en mer plus tard durant la journée de travail normale, habituellement vers 16 h, pouvaient être payés pour leurs heures de travail régulières avant l’heure à laquelle ils devaient se présenter, même s’ils n’avaient peut-être pas travaillé et avaient, en fait, peut-être passé ce temps à la maison. Pour M. Hix, il s’agissait d’une « situation qui laissait à désirer », pour utiliser l’expression de l’employeur. M. Hix savait également que certains employés dans d’autres unités de négociation estimaient que leurs conditions d’emploi, du point de vue des heures supplémentaires et du travail par quarts, n’étaient pas aussi bonnes que celles dont bénéficiaient les EL. De l’avis de M. Hix, ces circonstances laissaient entendre qu’il y avait un problème d’« administration équitable » à résoudre.

96 M. Hix a trouvé une solution au problème général des heures supplémentaires et, plus particulièrement, à la présumée situation « qui laissait à désirer » et qui se limitait aux employés du groupe EL qui participaient à des essais en mer. Le 26 mai 2005, il a émis une nouvelle instruction de travail intitulée [traduction] « Gestion des heures supplémentaires et des primes connexes au sein du groupe des systèmes de combat » (pièce E-2). Une interprétation raisonnable de cette instruction de travail permet d’établir sans aucun doute qu'elle portait d’abord et avant tout sur la gestion des dépenses au titre des heures supplémentaires. Dans ce document, M. Hix énonce clairement les intentions de l’employeur. L’instruction de travail précise que « dans le but de gérer l’allocation des heures supplémentaires et des primes connexes, [...] [d]ans toute la mesure du possible, et comme le permet la convention collective de l’employé, on apportera des changements aux heures de travail régulières ou aux  quarts de travail réguliers plutôt que d’autoriser des heures supplémentaires […] ».

97 L’employeur prétend que lorsqu’il a élaboré la nouvelle instruction de travail, M. Hix était également motivé par une préoccupation concernant la sécurité des employés et les risques que posaient de longues périodes de travail continues durant les essais en mer. Tandis que je ne remets pas en question que M. Hix ressentait une certaine inquiétude pour la sécurité, je suis convaincu, lorsque j’examine la preuve, que cette préoccupation jouait, tout au plus, un rôle secondaire dans la prise de sa décision. Je trouve qu’il est particulièrement révélateur que M. Hix a mentionné un incident remontant à 2002 pour illustrer les raisons qui étaient à l’origine de sa préoccupation concernant les répercussions éventuelles sur la sécurité des longues heures de travail durant les essais en mer, mais qu'il a admis par la suite, durant le contre-interrogatoire, qu’il avait seulement consulté le rapport de prévention des accidents dressé à la suite de cet incident (pièce G-27) très récemment lorsqu’il se préparait à l’audience – plusieurs années après avoir mis en vigueur l’instruction de travail dont il maintient qu'elle constituait, en grande partie, une réaction aux préoccupations de sécurité qu'il a illustrées en évoquant l’accident de 2002. Lorsqu’on lui a demandé, par exemple, ce qu’il pensait de la recommandation de l’enquêteur préconisant l’établissement d’un calendrier plus réaliste de cinq jours pour les essais en mer, ce qui pourrait réduire les risques de sécurité, M. Hix a répondu « qu’il n'était pas au courant de cet aspect ». Cette réponse m’amène à penser que le concept de la réorganisation de la conduite des essais en mer pour éviter les problèmes de sécurité que présentaient les longues heures de travail n'était probablement pas une priorité de premier ordre pour M. Hix. Certainement, il n’y a aucune preuve montrant que M. Hix a fait quoi que ce soit de concret en réponse à sa préoccupation concernant la sécurité durant les essais en mer autre que d’émettre son instruction de travail. L’absence de quoi que ce soit autre qu’une simple mention extrêmement courte de la sécurité dans l’instruction de travail proprement dite tend à démentir l’argument que la sécurité était l’un des principaux facteurs ayant motivé la rédaction de l’instruction.

98 L’instruction de travail est entrée en vigueur le 26 mai 2005. Le 5 juillet 2005, les fonctionnaires s’estimant lésés ont reçu des instructions par courrier électronique (pièce E-1) qui donnait suite à l’engagement de l’employeur énoncé dans l’instruction de travail que [traduction] « [d]ans toute la mesure du possible, […] on apportera des changements aux heures de travail régulières ou aux postes de travail réguliers plutôt que d’autoriser des heures supplémentaires […] ». La directive contenue dans le courriel modifiait les heures de travail normales des fonctionnaires s’estimant lésés durant un essai en mer qui devait commencer le 11 juillet 2005. Ils devaient se présenter au travail à 15 h, auquel moment leurs heures de travail régulières commenceraient. Du fait que la journée de travail régulière était modifiée et qu’elle commençait à 15 h, la majorité des heures régulières tombaient en dehors de la période de travail de base fixée pour les employés autres que d’exploitation aux termes de la clause 23.04a) de la convention collective. La preuve montre que le changement des heures de travail a eu un impact sur les heures supplémentaires versées, comme l’a illustré la demande de paiement d’heures supplémentaires présentée par M. Buckley pour l’essai en mer, demande qui a été refusée subséquemment par M. Hix (pièce G-7).

99 Le témoignage de MM. Buckley et Vinden établit que l’employeur n’avait jamais modifié auparavant les heures de travail régulières pour les essais en mer de cette façon. M. Hix a confirmé qu’il avait connaissance de seulement une occasion antérieure sur la côte ouest où la direction avait invoqué la clause 23.15 de la convention collective pour modifier les heures prévues pour des raisons autres que de formation. À cette occasion, la circonstance qui avait justifié le changement était le besoin urgent de préparer le N.C.S.M. Protector en vue de son déploiement immédiatement après l’ouragan Katrina.

100 En vertu de la clause 23.15 de la convention collective, il doit y avoir des circonstances qui justifient l'exercice par l’employeur de son droit de changer les heures de travail régulières. Ce qui me frappe le plus dans la preuve en l’espèce est, en fait, l’absence de preuve. Rien dans le témoignage de M. Hix ou ailleurs n'indique que l’employeur s’est penché sur les circonstances particulières de l’essai en mer qui devait commencer le 11 juillet 2005 pour déterminer si ces circonstances justifiaient la décision de modifier les heures de travail régulières des fonctionnaires s’estimant lésés. Aussi bien l’interrogatoire principal de M. Hix que son contre-interrogatoire par l’agent négociateur m’ont convaincu qu’il s’agit d’une situation où la direction a pris une décision de politique générale, qui se présentait sous la forme de l’instruction de travail de M. Hix datée du 26 mai 2005, et puis a appliqué cette instruction de travail à l’essai en mer fixé au 11 juillet 2005, à titre de politique générale. Il n’y a pas de preuve que l’employeur aurait examiné la nature de cet essai en mer, aurait évalué les options et serait arrivé à une conclusion motivée par certains événements qu’il convenait d’invoquer la clause 23.15 et de mettre en vigueur cette décision le 11 juillet 2005. Le poids de la preuve m’amène donc à conclure qu'au lieu de cela, l’employeur a invoqué la clause 23.15, le 5 juillet 2005, en tant que conséquence directe de l’instruction de travail générale émise par M. Hix le 26 mai 2005.

101 À mon avis, la réelle question en l’espèce est de savoir si la conformité à une instruction de travail générale suffit pour créer la condition qui doit exister pour justifier le changement des heures de travail régulières en vertu de la clause 23.15 de la convention collective. Était-ce suffisant, aux fins de la clause 23.15, que l’employeur se conforme à une politique d’application générale décidée antérieurement ou la clause 23.15 l'obligeait-elle à justifier sa décision de modifier les heures de travail régulières pour l’essai en mer du 11 juillet 2005, en se fondant sur les circonstances de cet essai en mer?

102 Par le passé, des arbitres de grief ont examiné une question quelque peu similaire lorsqu’ils ont interprété et appliqué des bouts de phrases comme « lorsque les nécessités du service le permettent » ou « sous réserve des nécessités du service » que l’on trouve fréquemment dans les conventions collectives. Ils ont demandé si et dans quelle mesure un employeur doit se pencher sérieusement sur les circonstances particulières d’une situation pour déterminer comment s’applique une disposition d’une convention collective subordonnée à des nécessités du service. Déjà tout au début, les arbitres de grief ont répondu le plus souvent à cette question en confirmant l’obligation de l’employeur de procéder à une évaluation des nécessités du service au cas par cas. Dans l’arrêt Graham c. Conseil du Trésor (ministère du Revenu national – Douanes et Accises), dossier de la CRTFP no 166-02-1678 (19750326), à la page 7, l’arbitre de grief a résumé un certain nombre de décisions antérieures sur ce point et a conclu qu’ils soutenaient les principes suivants :

a) les « nécessités du services » doivent être basées sur le travail même qui doit être accompli et non sur des critères administratifs ou purement économiques;

b) des exigences minimums suffisent pour les « nécessités du service » à moins de preuve contraire et;

c) les « nécessités du service » constituent une question de fait qui doit être déterminée dans chaque affaire.

Même si je n’ai pas effectué un examen exhaustif des décisions subséquentes dans le cadre desquelles des dispositions similaires de conventions collectives ont été interprétées, je pense que les arbitres de grief ont continué à adhérer aux principes susmentionnés, et plus particulièrement au principe c).

103 Dans certaines décisions, les arbitres de grief ont statué que l’obligation d’examiner les circonstances particulières de chaque cas pour établir les nécessités du service peut être assouplie lorsque le libellé précis de la convention collective le permet. Un exemple d’un libellé d’une convention collective où l’employeur peut donner une interprétation plus générale ou à plus long terme à la notion des nécessités du service est le bout de phrase « sous réserve des nécessités du service, déterminées de temps à autre par l’employeur »; voir, par exemple, Tisdelle c. Conseil du Trésor (Emploi et Immigration), dossier de la CRTFP 166-02-14712 (19860224).

104 Aspect intéressant, les arbitres de grief ont souvent hésité, au mieux, à accepter que les considérations financières jouent un rôle dans la détermination des « nécessités du service ». Par exemple, dans Power c. Conseil du Trésor (Transports Canada), dossier de la CRTPF 166-02-17064 (19880205), l’arbitre de grief a déclaré ce qui suit :

[…]

Il ne serait pas sage de tenter de donner une définition s’appliquant dans tous les cas de ce qui constitue une véritable nécessité du service. En l’espèce, il suffit de dire que les lignes de conduite que l’employeur établit unilatéralement pour des raisons d’ordre financier seulement ne peuvent être considérées comme constituant vraiment une nécessité du service si elles ont pour effet de dénier aux employés les droits qui leur sont reconnus par la convention collective […].

[…]

[Le passage souligné l’est dans l’original]

Dans Tremblay c. Conseil du Trésor (Emploi et Immigration Canada), dossier de la CRTFP 166-02-17538 (19890214), l’arbitre de grief a fait la même observation dans le passage suivant :

[…]

Plusieurs décisions ont étudié l’expression « nécessité du service » et les arbitres ont conclu que cette expression « a trait à la nature du travail requis et non à la nature de l’analyse des dépenses et de la tenue des livres de comptabilité accomplie au bureau central » […].

[…]

105 Je n’adopte pas la position que la jurisprudence considérable dans laquelle est interprétée l’expression « nécessités du service » s’applique directement en l’espèce. Après tout, les parties ont opté pour une formulation différente en utilisant l’expression « lorsque les circonstances le justifient » dans la clause 23.15 de la convention collective. Quoi qu’il en soit, je pense qu’il est raisonnable de demander si, dans le cadre de l’application de la clause 23.15, placée dans le contexte du libellé utilisé dans le restant de la convention collective, quand il est question d’horaires de travail et d’essais en mer, il n’y aurait pas une exigence d’évaluer les « circonstances » au cas par cas.

106 Les fonctionnaires s’estimant lésés sont des « employés autres que d’exploitation » tel que défini à la clause 2.01h) de la convention collective. Cela signifie qu’ils ne travaillent pas par quarts, et que leurs « fonctions normales […]ne comprennent pas l’entretien effectif sur place de l’équipement électronique qui doit constamment être disponible au-delà des heures comprises entre 6 heures et 18 heures, heure locale ». M. Hix a confirmé lors de son témoignage que son instruction de travail n’exigeait pas que les EL travaillent par quarts durant les essais en mer et il n’a pas changé leur statut à celui d'« employés d’exploitation ». En tant qu’« employés autres que d’exploitation », normalement, les fonctionnaires s’estimant lésés travaillent 7,5 heures par jour, du lundi au vendredi […] entre 6 heures et 18 heures, heure locale, comme le précise l’alinéa 23.04a). L’agent négociateur fait valoir que ce bloc de temps fixant des limites précises est « absolue ». Ce terme est peut-être excessif pour décrire ce qui est entendu par le terme « normal » à l’alinéa 23.04a), mais il est certainement vrai que la disposition constitue une robuste interdiction contre l’assignation d’heures de travail normales en dehors de la période allant de 7 h à 18 h, sauf en cas d’exception. De plus, la seule exception à l’application de l’alinéa 23.04a) qui est autorisée spécifiquement par la convention collective dans le cas des employés autres que d’exploitation en est une qui doit être conforme à la condition préalable énoncée à  la clause 23.15.

107 Comment l’article 32 (Indemnité d’essais en mer) de la convention collective s’inscrit-il dans le cadre d’établissement des horaires créé par l’application combinée des clauses 2.01h) et 23.04a) et de l’article 23.15? L’article 32 est formulé comme suit :

32.01a)Lorsque l’employé-e est tenu d’être à bord d’un sous-marin pendant des essais dans les conditions suivantes :

(i)      il est dans un sous-marin fermé qui est amarré à un quai ou dans un port, en surface ou submergé, c’est-à-dire lorsque la coque pressurisée est fermée hermétiquement et qu’elle subit des essais tels que les essais à vide, les essais sous haute pression, les essais avec schnorchel, les essais de ventilation de la batterie ou les autres essais déjà reconnus, ou le sous-marin est gréé pour plonger;

ou

(ii)     il est à bord d’un sous-marin lorsque celui-ci évolue en surface ou est submergé en dehors des limites d’un port;

ou

b)       lorsque l’employé-e est tenu de se rendre en mer en dehors des limites d’un port à bord d’un vaisseau de guerre canadien, d’un bâtiment auxiliaire ou d’un bâtiment de port afin d’effectuer des essais, de réparer des défauts ou de déverser des munitions;

ou

c)       lorsque l’employé-e est tenu d’exécuter, dans un lieu de travail sur terre, des travaux visant à appuyer directement un essai en mer;

il est rémunéré conformément à la clause 32.03.

32.02 La clause 23.13 (Dérogation) s’applique uniquement à partir du moment où prend fin l’essai en mer.

32.03

a)       L’employé-e est rémunéré au taux des heures normales pour toutes les heures prévues à son horaire de travail et pour toutes les heures non travaillées à bord du navire ou au lieu de travail sur terre.

b)       L’employé-e touche une fois et demie (1 1/2) son taux horaire normal pour toutes les heures travaillées en sus de son horaire normal de travail jusqu’à ce qu’il ait travaillé douze (12) heures.

c)       Après cette période de travail, l’employé-e touche le double (2) de son taux horaire normal pour toutes les heures effectuées en sus de douze (12) heures.

d)       Après cette période de travail, l’employé-e touche trois (3) fois son taux horaire normal pour toutes les heures effectuées en sus de seize (16) heures.

e)       L’employé-e qui a droit au taux triple (3) prévu à l’alinéa d) précédent continue d’être rémunéré à ce taux pour toutes les heures travaillées jusqu’à ce qu’il se voit accorder une période de repos d’au moins dix (10) heures consécutives.

f)       À son retour de l’essai en mer, l’employé-e ayant droit à la rémunération prévue à l’alinéa 32.03d) n’est pas tenu de se présenter au travail pour son poste d’horaire normal tant qu’une période de dix (10) heures ne s’est pas écoulée depuis la fin de la période de travail qui a dépassé quinze (15) heures.

32.04 En outre, l’employé-e touche une indemnité d’essai de sous-marin équivalant à vingt-cinq pour cent (25 %) de son taux horaire de base pour chaque demi-heure (1/2) pendant laquelle il est tenu d’être présent dans un sous-marin pendant les essais, selon les conditions stipulées à la clause 32.01a)).

108 L’agent négociateur soutient que l’article 32 a préséance sur la clause 23.15, qui est une disposition générale portant sur les heures de travail. Sans remettre en question la proposition que des dispositions précises d’une convention collective facilitent habituellement l’interprétation de l’intention des parties plus que des clauses formulées de façon plus générale, je note qu’il n’y a rien de précis dans l’article 32 qui fait qu'il est préférable de se baser sur celui-ci plutôt que sur la clause 23.15 en ce qui concerne l’établissement des heures de travail régulières. L’article 32 renferme des dispositions qui portent principalement sur la rémunération plutôt que sur l’horaire. Il est question d’« horaire de travail » et d’« horaire normal de travail » aux clauses 32.03a) et b) respectivement, mais nulle part, ces heures régulières sont modifiées. Les clauses 2.01h) et 23.04a) et l'article 23.15 continuent de s’appliquer. La seule situation où l’article 32 modifie l’horaire de travail est celle où il y a dérogation. La clause 32.02 suspend l’application de la disposition normale touchant la dérogation que l’on trouve à la clause 23.13 jusqu’au moment où prend fin l’essai en mer.

109 Étant donné que l’article 32 (Indemnité d’essais en mer) de la convention collective modifie l’horaire uniquement dans le contexte de la question précise de la dérogation, je ne suis pas persuadé que l’existence de l’article 32 empêche l’employeur d’appliquer la clause 23.15 dans le cadre d’un essai en mer. À mon avis, le cadre d’établissement des horaires que l'on trouve dans la convention collective, pris globalement, ne révèle pas une intention d’exclure les essais en mer de la liste des situations possibles où des circonstances peuvent justifier la prise d’une décision de changer les heures de travail régulières aux termes de la clause 23.15.

110 Ceci dit, il n’y a rien dans le cadre de la convention collective qui laisse supposer que l’employeur peut traiter la situation d’un essai en mer différemment en vertu de la clause 23.15 que toute autre situation exceptionnelle qui pourrait se présenter. De par sa nature, une clause qui prévoit l’exercice d’un droit de l’employeur dans des circonstances exceptionnelles, comme la clause 23.15, devrait être appliquée à titre exceptionnel plutôt que de façon générale. Étant donné l’existence possible de facteurs uniques dans n’importe quelle situation donnée, selon moi, l’employeur a une obligation inhérente d’enquêter sur les circonstances spécifiques d’une situation pour établir le besoin de traiter celle-ci comme une exception. Le fait d’invoquer la clause 23.15 sans déterminer, par exemple, comment les circonstances précises d’un essai en mer justifient une réaction exceptionnelle de la part de l’employeur, risque de créer la possibilité d’une erreur dans le contexte de l’application de la clause 23.15 ou de transformer une disposition de la convention collective qui est censée être utilisée à titre exceptionnel en une disposition dont l’application serait plus générale. À mon avis, aucun de ces résultats ne va dans le sens du cadre d’établissement des heures de travail régulières contenu dans cette convention collective ou n’est conforme à l’intention de la clause 23.15, examinée dans le contexte de ce cadre.

111 Après avoir examiné la preuve, je suis persuadé que l’employeur n’a pas appliqué la clause 23.15 de la convention collective comme une disposition exceptionnelle lorsqu’il l’a appliquée à l’essai en mer fixé au 11 juillet 2005. Tel que statué auparavant, le témoignage de M. Hix a établi que l’employeur a modifié les heures de travail régulières des fonctionnaires s’estimant lésés pour cet essai en se conformant à l’instruction de travail qu’il a émise le 26 mai 2005. La preuve a également prouvé que la gestion par l’employeur de l’essai en mer du 11 juillet 2005 ne constituait que le premier exemple de ce qui deviendrait une approche typique à l’égard des essais en mer au NESTRP durant les mois qui ont suivi — c’est-à-dire que les heures de travail régulières étaient modifiées chaque fois. Même si l’on prouvait qu'en agissant ainsi, M. Hix était motivé principalement par une préoccupation légitime concernant la santé et la sécurité de ses employés plutôt que de le faire pour une question liée à l’administration des heures supplémentaires — une proposition qu'en toute déférence, je n’accepte pas — il demeure qu’il n’y a aucune preuve que lui-même ou n’importe quel autre représentant de l’employeur ait sérieusement examiné les risques pour la santé et la sécurité à un moment précis avant d’invoquer la clause 23.15. Au lieu de cela, la preuve montre que l’employé a agi en réponse à une préoccupation généralisée concernant les coûts des heures supplémentaires, l’intégrité du processus d’autorisation des heures supplémentaires ou l’exercice connexe du pouvoir de signature accordé par la LGFP. Ces raisons, à mon avis, ne suffisent pas en soi pour établir que les circonstances précises de l’essai en mer fixé au 11 juillet 2005 — ou de tout autre essai en mer spécifique — justifiaient le recours à la clause 23.15.

112 Je note que le témoignage de M. Hix a révélé que l’employeur a peut-être agi différemment — de façon plus convenable — lorsqu’il a appliqué la clause 23.15 de la convention collective dans au moins une situation par le passé. Tandis que la preuve était certes très limitée, l’exemple donné par M. Hix où la clause 23.15 a été invoquée pour modifier les heures de travail d’un employé, dans le contexte de la réaction de l’IMF Cape Breton aux circonstances exceptionnelles causées par l’ouragan Katrina, semble mettre en lumière une analyse des événements effectuée par l’employeur qui était davantage conforme à ce qui, selon moi, est l’intention derrière la clause 23.15.

113 En me fondant sur l’analyse précédente, je statue que l’employeur a enfreint la clause 23.15 de la convention collective lorsqu’il a informé les fonctionnaires s’estimant lésés qu’il modifiait leurs heures de travail régulières pour l’essai en mer débutant le 11 juillet 2005. Cette infraction trouvait son origine dans l’application apparente par l’employeur d’une politique générale prévoyant l'invocation de la clause 23.15 et son omission correspondante d’examiner si les circonstances précises de cet événement justifiaient la modification des heures de travail régulières des fonctionnaires s’estimant lésés.

114 En arrivant à cette conclusion, je n’ai pas estimé nécessaire de statuer tout particulièrement sur la prétention de l’agent négociateur concernant l’ambiguïté patente du libellé de certaines clauses de la convention collective pertinentes en l’espèce. Tandis que j’accepte, par exemple, que la clause 23.15 ne précise pas clairement les types de circonstances auxquelles les parties avaient l’intention qu’elle s’applique, je n’estime pas que la clause 23.15 est manifestement ambiguë à tel point qu’il soit nécessaire de se fonder sur une pratique antérieure présentée comme preuve ou sur un historique des négociations pour interpréter son intention. Je crois que l’intention des parties selon laquelle la clause 23.15 devrait être appliquée au cas par cas est suffisamment apparente, lorsqu’on examine ses liens réciproques avec d’autres dispositions de la convention collective, pour arriver à une solide conclusion sur le bien-fondé de la décision de l’employeur d’invoquer la clause dans les circonstances en l’espèce.

115 Il n’est pas nécessaire non plus pour moi de statuer sur la deuxième question suivante sur laquelle l’agent négociateur a insisté que je me penche : « Le principe de préclusion s’applique-t-il en l’espèce pour empêcher l’employeur de modifier les heures de travail normales lorsqu’il assigne des tâches d’essais en mer à des employés du groupe EL? » Si la décision en l’espèce avait dépendu de la réponse à cette question, je ne suis pas convaincu que j’aurais pu accepter que l’agent négociateur avait établi chacun des quatre éléments essentiels de la préclusion qui, d’après lui, devrait s’appliquer (voir le paragraphe 64). En particulier, je ne pense pas que l’historique des négociations de 1999-2000 déposé à titre de preuve ait révélé clairement un engagement de la part de l’employeur qu’il n’invoquerait pas ultérieurement la clause 23.15 de la convention collective dans le contexte d’un essai en mer. En ce qui concerne la preuve faisant état de la pratique antérieure, il n’y avait aucun différend entre les parties à propos du fait que l’employeur n’invoquait normalement pas la clause 23.15 avant 2005 dans les situations ayant trait à des essais en mer; l'intervention en réponse à l’ouragan Katrina était peut-être une exception. Le témoignage au sujet de la pratique antérieure penchait donc du côté de l’agent négociateur. Or, sans preuve parallèle que l’employeur s’était effectivement engagé à ne pas appliquer la clause 23.15 à l’avenir dans le contexte des essais en mer, je ne peux statuer que la preuve concernant la pratique antérieure est suffisamment solide à elle seule pour établir qu’il y a un motif concluant justifiant une préclusion. Quoi qu’il en soit, j’ai donné raison à l’agent négociateur pour d’autres motifs.

116 Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

V. Ordonnance

117 Je déclare que l’employeur a enfreint la convention collective lorsqu’il a invoqué la clause 23.15 pour modifier les heures de travail normales de MM. Buckley, Skrobotz et Vinden aux fins d’un essai en mer qui a commencé le 11 juillet 2005.

118 Le grief collectif est accueilli.

Le 20 janvier 2009.

Traduction de la CRTFP

Dan Butler,
arbitre de grief

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