Décisions de la CRTESPF

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Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

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  • Date:  2009-12-10
  • Dossier:  166-34-34572
  • Référence:  2009 CRTFP 162

Devant un arbitre de grief


ENTRE

SUZANNE LAFRANCE-LEGAULT

fonctionnaire s'estimant lésée

et

AGENCE DU REVENU DU CANADA

employeur

DÉCISION D'ARBITRAGE ACCÉLÉRÉ

Devant:
Michele A. Pineau, arbitre de grief

Pour la fonctionnaire s'estimant lésée:
Guylaine Bourbeau, agente aux griefs et à l'arbitrage, Alliance de la Fonction publique du Canada

Pour l'employeur:
Sylvie Désilets, conseillère principale, Direction générale des ressources humaines, Agence du revenu du Canada

Note : Les parties ont convenu de traiter le grief selon une méthode d'arbitrage accéléré. Cette décision finale et exécutoire ne peut constituer un précédent ni être renvoyée pour contrôle judiciaire à la Cour fédérale.


Affaire entendue à Ottawa, Ontario,
le 3 décembre 2009.

1  Au moment du dépôt de son grief, Suzanne Lafrance-Legault, la fonctionnaire s’estimant lésée (ci-après « la fonctionnaire »), était une employée de l’Agence du revenu du Canada (l’ « employeur » ou l’Agence). Elle occupait un poste de PM-02.

2 La fonctionnaire a déposé un grief le 20 août 2002, lequel est libellé comme suit :

Je conteste la décision de mon employeur de récupérer les heures de vacances qu’il prétend avoit [sic] payé en trop.

NOTE : Je demande que vous contactiez monsieur Normand Legault au 450-928-6226 lorsque viendra le temps de faire la présentation (audition) du présent grief. (voir autorisation)

3 À titre de redressement, la fonctionnaire demande ce qui suit :

Je demande que l’employeur annule en totalité ladite réclamation et renonce à toute autre réclamation résultant de la modification de la date de service continu-discontinu.

Je demande aussi que l’employeur n’entreprenne aucune mesure de recouvrement, avant le règlement final du présent grief et toutes autres mesures correctives qui pourraient être raisonnable dans les circonstances.

4 Les parties ont convenu de traiter le grief selon une méthode d’arbitrage accéléré.

5 La convention collective en vigueur au moment du dépôt du grief est celle entre l’Agence des douanes et du revenu du Canada et l’Alliance de la Fonction publique du Canada pour le groupe Exécution des programmes et services administratifs (date d’expiration : 31 octobre 2007).

6 Le 1er avril 2005, la nouvelle Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (LRTFP), édictée par l’article 2 de la Loi sur la modernisation de la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, a été proclamée en vigueur. En vertu de l’article 61 de la Loi sur la modernisation de la fonction publique, ce renvoi à l'arbitrage de grief doit être décidé conformément à l'ancienne Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-35.

7 Le présent grief est l’un de 12 griefs qui traitent essentiellement de la même question. Les parties ont présenté un exposé conjoint des faits pour tous les griefs libellé en partie comme suit :

[…]

          La convention collective en vigueur au moment du dépôt des griefs était la Convention entre l’Agence des douanes et du revenu du Canada et l’Alliance de la Fonction publique du Canada, signée le 22 mars 2002 et dont la date d’expiration était le 31 octobre 2003.

1. En 2001, la rémunération de l’ARC (Administration centrale) demanda aux bureaux locaux de paye de procéder à une révision du statut de l’ensemble de ses employés. Ceci faisait partie du [traduction] « processus d’épuration pour assurer l’intégrité des données ».

2.  À cet effet, on demandait aux bureaux de paye locaux de vérifier si les employés avaient subi un bris de service ou bien avaient reçu une indemnité de départ. La paye s’était rendue compte de certaines irrégularités quant au cumul de crédits de vacances de certains employés (pour ces personnes, ayant reçu une indemnité de départ ou ayant eu un bris de service, les vacances auraient dû revenir théoriquement au même état qu’une personne nouvellement engagée, donc à zéro).

3.  Or, la paye découvrit que certains employés avaient conservé leurs crédits de vacances et ce, bien qu’ils aient reçu des indemnités de départ ou qu’ils aient eu un bris de service. Devant ce fait, la paye entreprit la récupération des crédits de vacances versés en trop.

4.  Les erreurs ont été générées entre 1981 et 1991 et l’ARC en a eu connaissance seulement en 2001-2002 lors des démarches nationales de vérification du SAE.

5.  La paye régionale du Québec achemina à tous les employés touchés une lettre datée du 31 mai 2002 ou du 6 juin 2002 les informant de la situation et des sommes devant être récupérées. Dans cette lettre deux options furent soumises aux employés :

1-       Soustraire les heures acquises en trop des crédits de vacances de leur banque actuelle;
2-       Récupération des heures en trop sur la paie;

6.  Voir le tableau ci-joint (annexe 1) qui identifie les détails pour chaque plaignant.

7.  Les plaignants ont formulé des griefs à l’effet qu’ils contestent la décision de l’employeur de récupérer les crédits de vacances accordés dans le passé puisque l’erreur a été commise par l’employeur.

8.  À titre de mesures correctives, les plaignants demandent : que l’employeur assume son erreur; que l’employeur rembourse les heures récupérées; que les plaignants ne subissent pas de préjudice suite à ces griefs.

9.  Les plaignants ont déposés leurs griefs, dans les délais prescrits, à l’exception de M. Pierre Parazelli.

10. Les griefs ont été rejetés au palier final, le 30 avril 2004 pour le groupe Lachapelle et al, et le 21 mars 2006 pour le groupe Bolduc et al.

[…]

II. Le dossier de Mme Lafrance-Legault

8 Mme Lafrance-Legault a été avisée par l’employeur de la récupération d’un trop-payé de crédits de congés annuels le 31 mai 2002. La lettre reçue par Mme Lafrance-Legault se lit comme suit :

Agence des douanes et du revenu du Canada

Le 31 mai 2002

Note à l’employée : Lafrance – Legault Suzanne
CIDP : […]

Objet : Modification à la date de service continu-discontinu

Madame,

Nous avons récemment terminé la vérification des dossiers d’employés concernant la date d’établissement pour les crédits de congés annuels que nous appelons « date de service continu-discontinu ».

Puisqu’il y a eu antérieurement erreur dans l’établissement du calcul de la date de votre service continu-discontinu, ceci modifie celle-ci de la façon suivante :

-         Date d’établissement initiale : 26-03-76
-         Date d’établissement modifiée : 14-03-88

Cette date modifiée apparaît maintenant dans le système SAE.

Également, vous comprendrez qu’en modifiant cette date, ceci a un impact sur les crédits de vacances que vous avez accumulés par le passé. En effet, un total de 433.125 heures doivent être récupérées afin de régulariser votre dossier.

En rapport à cette récupération, nous vous demandons de considérer les 2 possibilités ci-dessous, choisir l’une d’entre elles et nous retourner une copie de cette lettre afin que nous puissions procéder selon votre choix.

1. Soustraire les heures acquises en trop des crédits de vacances que vous avez à votre solde présentement, si leur nombre est suffisant.
2. Récupérer les heures en trop sur la paie régulière.

N.B. : L’option 2 : le montant des heures payées en trop représente un montant brut de 8,668.27$.

Croyez bien que nous sommes désolés des inconvénients que ceci peut vous causer.

Si de plus amples renseignements s’avéraient nécessaires, n’hésitez pas à communiquer avec la soussignée au (514) 283-1404.

Veuillez remettre une copie de cette lettre à la personne qui encode les feuilles de temps.

France Malo
Conseillère en rémunération et
Avantages sociaux
Zone de Montréal

[…]

À compléter et à retourner à votre conseiller(ère)

Je choisis l’option ________

Si l’option 2 est choisie, précisez si vous préférez que la récupération soit intégrale ______ ou étalée sur plus d’une période de paie à raison de 10% du salaire brut _______.

 

Signature de l’employée          Date

9 La lettre du 31 mai 2002 n’était accompagnée d’aucune autre information concernant le calcul du recouvrement. Selon l’annexe 1 de l’exposé conjoint des faits, Mme Lafrance-Legault a remboursé l’employeur à partir de son indemnité de départ le 30 octobre 2005.

III. Résumé de l’argumentation de l’agent négociateur

10 L’agent négociateur soutient que l’employeur a commis une erreur dans chacun des dossiers, dont celui de la fonctionnaire, au moment d’un bris de service. À son retour au travail, l’employeur a remis à la fonctionnaire un document lui indiquant le solde de ses crédits. Pendant les années qui ont suivies, l’employeur a remis à chaque année à la fonctionnaire, une mise à jour de sa banque de crédits de congés. L’employeur a approuvé à chaque année les demandes de congés de la fonctionnaire.

11 En 2002, l’employeur a changé son système de gestion de la paie et s’est aperçu d’une erreur concernant le calcul de la banque de congés. C’est à ce moment que l’employeur a écrit à la fonctionnaire pour lui réclamer le remboursement des congés octroyés en trop.

12 L’agent négociateur plaide que la Loi sur la gestion des finances publiques (LGFP), prévoit que le receveur général peut recouvrer les paiements en trop comme suit :

155.(3) Le receveur général peut recouvrer les paiements en trop faits sur le Trésor à une personne à titre de salaire, de traitements ou d’allocations en retenant un montant égal sur toute somme due à cette personne par Sa Majesté du chef du Canada.

13 L’agent négociateur soutient qu’en vertu de cette disposition, l’employeur n’est pas tenu de récupérer des montants qui lui sont dus, mais peut exercer son pouvoir discrétionnaire de ne pas les récupérer. L’agent négociateur souligne que l’article 54 de la convention collective prévoit précisément l’application de cette discrétion :

Article 54

CONGÉS PAYÉS OU NON PAYÉS POUR D'AUTRES MOTIFS

54.01  L’employeur peut, à sa discrétion, accorder :

[…]

b) un congé payé ou non payé à des fins autres que celles indiquées dans la présente convention.

 

14 L’agent négociateur affirme que la convention collective ne contient aucune disposition qui permet de récupérer des congés annuels.

15 L’agent négociateur fait valoir que les circonstances du présent grief sont telles qu’il n’y a pas eu d’enrichissement sans cause de la part de la fonctionnaire. Cette dernière n’est coupable d’aucune fausse déclaration. Elle a accepté les calculs que lui a soumis l’employeur pendant 14 ans. Pendant cette période, l’employeur a accepté les demandes de congé sans se demander si la fonctionnaire y avait droit.

16 Au soutien de sa position selon laquelle l’employeur doit exercer son pouvoir discrétionnaire lorsque la récupération crée un préjudice à l’employé, l’agent négociateur a cité la décision Pearce c. Conseil du Trésor (Ministère de la Défense nationale), dossier de la CRTFP 166-02-7016 (19800123) (erreur de calcul des congés constatée par l’employeur après la prise des congés). Au soutien de sa position selon laquelle la fonctionnaire ne devrait pas subir de sanction pécuniaire rétroactive lorsqu’elle s’est fiée de bonne foi à ce qu’on l’a laissé croire, l’agent négociateur a cité la décision Adamson c. Conseil du Trésor (Commission de l’emploi et de l’immigration du Canada), dossier de la CRTFP 166-02-16207 (19880211)(paiement d’une prime d’intérim alors que l’employée n’y avait pas droit). Au soutien de sa position qu’il serait déraisonnable pour l’employeur de procéder au recouvrement d’une somme versée par erreur alors que les employés ont reçu des documents contraires, l’agent négociateur a cité la décision Conlon et al. c. Conseil du Trésor (Travaux publics et Services gouvernementaux Canada), dossier de la CRTFP 166-02-25629 à 25631 (19970604) (recouvrement de traitement en raison d’une promotion indue).

17 L’agent négociateur me demande d’accueillir le grief parce que la fonctionnaire était de bonne foi lorsqu’elle a pris les congés.

IV. Résumé de l’argumentation de l’employeur

18 L’employeur plaide que la fonctionnaire ne s’est pas plainte tout au long de la procédure de règlement des griefs de la somme qui devait être récupérée. L’employeur argue que dans la mesure où la fonctionnaire conteste la somme qui lui est réclamée, il s’agit d’une modification du libellé du grief, ce que l’arrêt Burchill c. Canada, [1981] 1 F.C. 109 (C.A.) (QL) a clairement rejeté.

19 L’employeur soutient que la somme qui a été récupérée résulte d’une erreur administrative et qu’il est en droit de récupérer cette somme en vertu du paragraphe 155(3) de la LGFP. En raison de la décision Conlon, l’employeur soutient que le mot « peut » comprend aussi le pouvoir discrétionnaire de récupérer une somme d’argent.

20 L’employeur affirme que dès qu’il s’est aperçu de son erreur, il a immédiatement procédé au recouvrement. À titre d’exemples où l’arbitre de grief a rejeté des griefs contestant le recouvrement de sommes trop-payées, l’employeur a cité les décisions suivantes : Ellement c. Conseil du Trésor (Travaux publics et Services gouvernementaux Canada), dossier de la CRTFP 166-02-27688 (19970611) (erreur dans la date d’augmentation d’échelon), Anderson et al. c. Conseil du Trésor (Affaires indiennes et du Nord Canada), 2002 CRTFP 29 (augmentation du traitement annuel contraire à la convention collective); Bolton c. Conseil du Trésor (Affaires indiennes et du Nord Canada), 2003 CRTFP 39 (trop-payé de salaire sur plusieurs années), Veilleux et al. c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2009 CRTFP 152 (heures de congés prises en trop à l’occasion de journées fériées désignées payées).

21 L’employeur soutient que le principe de préclusion s’applique à la présente affaire car la fonctionnaire n’a pas établi qu’elle avait modifié sensiblement sa situation à la suite de cette erreur. Enfin, l’employeur s’est montré très souple en proposant plus d’un choix quant à la remise de la somme due.

22 L’employeur demande que le grief doit être rejeté.

V. Motifs

23 La fonctionnaire conteste, en raison d’un délai déraisonnable, la décision de l’employeur de réclamer sur une base rétroactive un trop-payé résultant de crédits de congés qui ont été portés à sa banque de congés en 1988.

24 L’employeur maintient que le principe de la préclusion s’applique à la présente affaire. Selon le principe de la préclusion, la partie qui perçoit un trop-payé de traitement peut contester la décision de recouvrer le trop-payé si elle est en mesure d’établir qu’elle s’est fiée sur l’erreur d’une façon qui lui est préjudiciable. Dans Canada (Procureur général) c. Molback, [1996] A.C.F. no 892 (1re inst.) (QL), la Cour d’appel fédérale a statué qu’un arbitre de grief en vertu de la LRTFP a la compétence pour entendre un grief et d’appliquer ce principe.

25 Les affaires qui font l’objet des décisions citées par l’employeur au soutien de sa thèse diffèrent sur deux points importants des faits de la présente affaire. Dans Ellement, Anderson et Bolton, il s’agissait d’erreurs de traitement. Or, la jurisprudence est unanime qu’une erreur de traitement est une somme récupérable parce qu’elle constitue essentiellement un enrichissement sans cause. Dans Veilleux, l’erreur avait été constatée l’année suivante.

26 Dans la présente affaire, il s’agit d’une erreur qui date de 14 ans (1988 à 2002). L’employeur n’a pas nié que la banque de crédits de congé était mise à jour annuellement, ni n’a nié qu’il avait approuvé chaque demande de congé. Il me semble donc raisonnable de croire que l’employeur était en mesure, chaque fois qu’il mettait à jour la banque de crédits, de vérifier le solde. La constatation d’une erreur administrative liée au changement du système de gestion de la paie ne relève pas l’employeur de son devoir de vigilance à l’égard de la gestion des dossiers de ses employés.

27 Tant la LGFP que la clause 54.01b) de la convention collective permettent à l’employeur d’exercer son pouvoir discrétionnaire. La LGFP permet à l’employeur de décider ou non de procéder au recouvrement. Cette disposition n’est aucunement restrictive. La clause 54.01b) de la convention collective prévoit que l’employeur peut accorder un congé payé à des fins autres que celles indiquées dans la convention collective. Chacun de ces mécanismes permettait à l’employeur d’exercer son pouvoir discrétionnaire en tenant compte de la situation spécifique.

28 Dans British Columbia (Public Service Employee Relations Commission) v. British Columbia Government Service Employee Relations Union (1999), 84 L.A.C. (4e) 252, l’arbitre de grief a décidé qu’un délai de six ans pour récupérer une somme due à l’employeur en raison du trop-payé d’un bénéfice auquel l’employée n’avait pas droit était déraisonnable, voire injuste. Dans la présente affaire, le délai de 14 ans était d’autant plus déraisonnable qu’il mettait la fonctionnaire dans la situation de ne pas pouvoir contester la réclamation, faute d’avoir conservé une preuve adéquate.

29 J’estime qu’en raison de l’étendue du pouvoir discrétionnaire dont il disposait et du délai qu’il a mis à exercer sa créance, l’employeur a exercé son pouvoir discrétionnaire de procéder au recouvrement du trop-payé de façon déraisonnable.

30 Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

VI. Ordonnance

31 Le grief est accueilli.

Le 10 décembre 2009.

Michele A. Pineau,
arbitre de grief

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