Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La fonctionnaire s’estimant lésée a déposé un grief pour contester son congédiement - la fonctionnaire s’estimant lésée était chargée de dossiers complexes pour les prestations en vertu du RPC - l’employeur a allégué que la fonctionnaire s’estimant lésée avait fait verser à sa demi-sœur des prestations auxquelles cette dernière n’avait pas droit - la fonctionnaire s’estimant lésée a allégué qu’il s’agissait d’une erreur de bonne foi - l’arbitre de grief a conclu que la fonctionnaire s’estimant lésée avait commis une faute grave - compte tenu des circonstances, notamment l’absence de remords de la fonctionnaire s’estimant lésée, le lien de confiance était définitivement rompu et le congédiement était justifié. Grief rejeté.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2009-03-03
  • Dossier:  566-02-1530
  • Référence:  2009 CRTFP 26

Devant un arbitre de grief


ENTRE

SYLVIE PAGÉ

fonctionnaire s'estimant lésée

et

ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL
(Service Canada)

défendeur

Répertorié
Pagé c. Administrateur général (Service Canada)

Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l'arbitrage

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Marie-Josée Bédard, arbitre de grief

Pour la fonctionnaire s'estimant lésée:
Mme Guylaine Bourbeau, représentante

Pour l'employeur:
Neil McGraw, avocat

Affaire entendue à Ottawa (Ontario),
les 9 et 10 décembre 2008 et les 6 et 7 janvier 2009.

I. Grief individuel renvoyé à l'arbitrage

1 Sylvie Pagé (la « fonctionnaire s’estimant lésée ») occupait un poste d’agente de prestations à Service Canada. Elle a été congédiée le 19 juin 2007. La lettre de congédiement qui a été signée par Élisabeth Châtillon, sous-ministre adjointe à la Direction générale des opérations de Service Canada, précise que le ministère reproche à Mme Pagé d’avoir « commis une fraude contre le gouvernement fédéral en payant des cotisations du Régime de pension du Canada (RPC) à une tierce personne, en l’occurrence [sa] demi-sœur, consciente du fait qu’elle n’y avait pas droit ». Le 26 juin 2007, Mme Pagé a déposé un grief contestant son congédiement et le président de la Commission des relations de travail dans la fonction publique m’a nommée pour agir comme arbitre de grief et disposer du grief de Mme Pagé. 

II. Résumé de la preuve

A. Pour l’employeur

2 Mme Pagé travaillait comme agente de prestations à la Direction des opérations de Service Canada qui administre les divers bénéfices prévus au RPC. Elle faisait partie d’une unité nommée les Services nationaux des renseignements des prestations (SNRP), qui a comme mandat de traiter des dossiers de prestations qui sont complexes.

3 Les reproches formulés à l’endroit de Mme Pagé concernent le traitement du dossier d’un cotisant invalide. Pour des fins de compréhension du dossier, il est important de connaître certaines mesures prévues au RPC qui ont été mises en preuve. Une personne qui a cotisé au RPC et, si elle a résidé au Québec, qui a cotisé au Régime des rentes du Québec et qui devient invalide peut, en vertu de la Loi sur le régime de pension du Canada, bénéficier de prestations d’invalidité. Lorsqu’un cotisant invalide atteint 65 ans, ses prestations d’invalidité sont converties en prestations de retraite. Le RPC prévoit que le cotisant invalide qui a des enfants à charge peut recevoir des prestations d’enfant d’un cotisant invalide. Lorsque l’enfant atteint 18 ans, il devient lui-même admissible à des prestations d’enfant d’un cotisant invalide s’il fréquente une institution scolaire à temps plein. Pour bénéficier de prestations, l’enfant doit faire une demande de prestations et déposer, pour chaque année scolaire, une déclaration de fréquentation scolaire attestée par l’institution. Il doit également indiquer comment il veut recevoir ses prestations. Si le mode de versement choisi consiste en des dépôts bancaires directs, l’enfant identifie le compte bancaire dans lequel les prestations doivent être versées. L’admissibilité à des prestations d’enfant invalide cesse à la première des échéances suivantes : lorsque l’enfant atteint l’âge de 25 ans ou lorsque les prestations d’invalidité du parent cotisant sont converties en prestations de retraite parce qu’il a atteint 65 ans.

4 Les dossiers des prestataires sont généralement traités par les bureaux régionaux de Service Canada. L’unité des SNRP, qui est basée à Ottawa, a pour sa part le mandat d’assurer la gestion de certains dossiers qui sont plus complexes que ceux traités par les bureaux régionaux. Parmi ces dossiers, on retrouve les dossiers des prestations combinées, c'est-à-dire les dossiers des bénéficiaires qui, au cours de leur vie, ont cotisé au Régime de pension du Canada et au Régime des rentes du Québec. Au terme d’une entente entre le gouvernement fédéral et le gouvernement du Québec, le cotisant admissible reçoit une prestation unique qui est versée par le gouvernement fédéral. Appliquant une formule de partage, le gouvernement fédéral facture ensuite la Régie des rentes du Québec (RRQ) pour la portion des prestations dont elle a la responsabilité.

5 L’équipe des SNRP est composée d’employés spécialisés, dont des agents de prestations, qui travaillent selon des méthodes et des procédures différentes de celles applicables dans les bureaux régionaux. Interrogée sur le rôle des agents de prestations, Laila Allouch, gestionnaire principale à l’unité des SNRP, a indiqué qu’ils devaient traiter les dossiers des clients, payer les prestations auxquelles ceux-ci avaient droit, faire la maintenance sur les comptes ainsi que la mise à jour des dossiers en fonction des événements survenant dans la vie des clients. Elle a indiqué que les agents de prestations des SNRP sont spécialisés, qu’ils possèdent des connaissances approfondies et traitent les dossiers les plus complexes.

6 Mme Allouch a également indiqué que pour traiter les dossiers complexes, les agents de prestations travaillent avec un système informatisé des opérations qui fonctionne de façon parallèle au système centralisé et qu’ils sont les seuls à pouvoir l’utiliser. Ce système, nommé le Système de chèques supplémentaires continus (SCSC), permet de traiter des dossiers complexes que le système centralisé n’est pas en mesure de traiter, tels ceux afférents aux prestations combinées. Le système SCSC offre aux agents de prestations beaucoup plus de latitude que le système centralisé et implique plus de procédures et de calculs manuels. Les barrières de sécurité intégrées au système sont également moins nombreuses que celles qui existent dans le système centralisé. L’utilisation de ce système requiert, selon Mme Allouch, plus de rigueur et de minutie de la part des agents de prestations.  

7 Il a été établi en preuve que le beau-père de Mme Pagé, R.G., recevait des prestations en vertu du Régime de pension du Canada et que son dossier était traité par l’unité des bénéfices complexes dont faisait partie Mme Pagé. Il a d’abord reçu des prestations d’invalidité qui ont été converties en prestations de retraite à compter du 1er janvier 2001. Lorsqu’il recevait des prestations d’invalidité, R.G. recevait également des prestations d’enfant d’un cotisant invalide pour sa fille, C.G., qui est la demi-sœur de Mme Pagé. En date du 1er février 2001, Mme Pagé, à titre d’agente de prestations, a acheminé une lettre à R.G. l’informant de la conversion de ses prestations d’invalidité en prestations de retraite.

8 Il a également été établi en preuve que lorsque C.G. a atteint 18 ans, elle a fait des demandes afin de recevoir des prestations d’enfant d’un cotisant invalide puisqu’elle fréquentait une institution scolaire à temps plein et que des prestations lui ont été versées entre 1997 et 2000. Il a par ailleurs été établi que le spécimen de chèque déposé au dossier lors de la demande initiale de prestations de C.G. correspondait au compte bancaire de son père. Par conséquent, les prestations versées entre 1997 et 2000 ont été déposées dans le compte bancaire de R.G. La preuve a également démontré que Mme Pagé a traité les demandes annuelles de prestations de C.G. en octobre 1998, en février 2000 et en octobre 2000.

9 Relativement aux événements qui ont mené au congédiement de Mme Pagé, l’employeur a présenté la preuve suivante.

10 Robert Dupras a été le premier témoin de l’employeur. Il a indiqué qu’il a occupé un poste d’agent de prestations à Service Canada de 2001 à 2006. En 2006, il a quitté son emploi, mais il a continué de faire des mandats à contrat pour Service Canada. À l’automne 2006, il avait comme mandat de vérifier les rapports d’erreurs ou d’anomalies envoyés par la RRQ relativement à la facturation mensuelle effectuée par Service Canada dans les dossiers de prestations combinées. Dans le cas de la facturation des mois de septembre et d’octobre 2003, la RRQ questionnait deux factures qui avaient trait à deux paiements prioritaires faits à une bénéficiaire. Étant d’avis que la bénéficiaire en cause n’était pas admissible à ces prestations, la RRQ demandait à Service Canada d’entreprendre des vérifications.

11 Les paiements prioritaires sont des paiements qui peuvent, selon les circonstances, être générés manuellement par les agents de prestations. Lorsqu’un bénéficiaire reçoit des prestations régulières, son dossier est dit « mis en paye » et le système génère les paiements de façon automatique. Lorsqu’un dossier n’est plus en paye, mais que des prestations doivent être payées pour diverses raisons, les agents peuvent émettre des paiements prioritaires. Ces paiements font l’objet de calculs manuels et sont générés au moyen d’un formulaire de demande de paiement. La procédure est la suivante : l’agent de prestations procède aux calculs de la prestation et remplit le formulaire de demande de paiement qui comprend plusieurs informations relatives notamment à l’identité du cotisant, du bénéficiaire s’il s’agit d’une personne différente du cotisant, du type de prestations et du paiement demandé. Avant qu’un paiement ne soit émis, le formulaire de demande de paiement est contre-vérifié par un autre agent de prestations qui signe à son tour le formulaire de demande de paiement, qui est ensuite approuvé par la personne qui détient la délégation de pouvoir en vertu de la Loi sur la gestion des finances publiques. Les informations relatives aux paiements sont également saisies dans le système SCSC par l’agent de prestations.

12 Les formulaires de demandes de paiements afférents aux paiements prioritaires en cause ont été produits. La première demande de paiement, préparée le 9 septembre 2003, indique qu’il s’agissait d’un paiement prioritaire au bénéfice de C.G. et qu’il s’agissait d’une prestation d’enfant d’un cotisant invalide pour la période de janvier 2001 à décembre 2001. La demande de paiement, qui est signée par Mme Pagé, comporte également la signature d’un collègue attestant qu’il a vérifié la demande, et celle de la gestionnaire qui a autorisé le paiement. La seconde demande de paiement, préparée le 26 septembre 2003, indique qu’il s’agissait également d’un paiement prioritaire au bénéfice de C.G. pour une prestation d’enfant d’un cotisant invalide et ce pour la période de janvier 2001 à septembre 2003. Cette demande de paiement contient également la signature d’un autre collègue ainsi que celle de la même gestionnaire qui a approuvé le paiement. Tel qu’indiqué précédemment, la RRQ remettait en doute ces deux paiements. La représentante de la RRQ avait noté sur la demande de paiement du 26 septembre : « On paye une rente de retraite depuis 02-2001.»

13 M. Dupras a déclaré que son mandat consistait à vérifier si les paiements mis en doute avaient effectivement été versés et si la bénéficiaire était admissible aux prestations. Il a témoigné que ses recherches l’avaient amené à conclure que les paiements avaient effectivement été versés et que la bénéficiaire n’était pas admissible à des prestations d’enfant d’un cotisant invalide pour la période de 2001 à 2003 puisque les prestations d’invalidité de son père, le cotisant, avaient été converties en prestations de retraite en janvier 2001.

14 M. Dupras a expliqué qu’il avait eu de la difficulté à retracer les paiements en cause dans le système informatisé SCSC. Lorsqu’il a interrogé le système afin de récupérer les paiements, il l’a fait au moyen du numéro de dossier du cotisant, lequel correspond au numéro d’assurance sociale (NAS) du cotisant suivi d’un localisateur d’adresse qui sert à identifier le type de prestations en cause. Il a affirmé avoir d’abord interrogé le système en entrant les chiffres du numéro de compte suivant ce qu’il a qualifié de procédure standardisée, c'est-à-dire en y inscrivant les chiffres correspondant au NAS de façon consécutive suivi d’un espace, lui-même suivi du localisateur d’adresse. Cette recherche ne lui ayant pas permis d’accéder à l’information relative aux paiements, il a consulté un conseiller en programme et suivant sa recommandation, il a à nouveau interrogé le système, mais en utilisant cette fois, les numéros de paiements. Il a alors accédé à l’écran de recherche sur lequel les deux paiements apparaissaient. Il a déclaré que, voulant comprendre pourquoi il n’avait pas été en mesure de retracer les paiements lors de sa première tentative, il a de nouveau consulté le conseiller en programme. Ils ont alors constaté que les paiements n’avaient pas été retracés en utilisant le numéro de compte parce que le NAS du cotisant avait été saisi en insérant un espace après chaque séquence de trois chiffres du NAS. M. Dupras a affirmé que c’était la première fois, dans son expérience, qu’il voyait un NAS saisi de cette façon.

15 Il a déclaré qu’après avoir retracé les paiements, il souhaitait vérifier si les paiements avaient été remboursés. Il a consulté à cette fin l’historique de paiements et l’information fiscale. Il a alors constaté que le T4 qui avait été généré automatiquement à la suite des deux paiements pour un revenu imposable de 8 167,71 $, correspondant à la somme des deux paiements, avait été amendé par un opérateur identifié comme étant « H00 » et que le montant imposable avait été réduit à 816.71 $. Judith Borowski, directrice du groupe de soutien à la production, a témoigné et confirmé que « H00 » était le code d’opérateur de Mme Pagé.

16 M. Dupras a indiqué avoir poursuivi ses recherches et constaté que le même opérateur avait au départ tenté de rétablir (mettre en paye) des prestations d’enfant de cotisant invalide au nom de C.G. pour la période de janvier 2001 à septembre 2003, pour un montant de 6 026,67 $ et que le système avait généré un message d’erreur (un État de compte du cotisant (ECC)) qui précisait que le droit pour C.G. de bénéficier de prestations était terminé depuis janvier 2001 et donc que le paiement de prestations pour C.G. ne pouvait être établi. Il a par la suite vérifié le dossier physique et constaté qu’il ne contenait aucune pièce justificative ou information relativement aux deux paiements prioritaires. Il a ensuite informé Claudine Chauret, gestionnaire de l’unité SPNR, du résultat de ses recherches et vérifications.

17 Mme Chauret était gestionnaire de l’unité des SNRP et ce depuis 2005. Elle avait auparavant occupé un poste d’agente de prestations puis un poste de conseillère en programme. Elle a confirmé que M. Dupras l’avait mis au fait de ses vérifications. En examinant le dossier, elle a constaté que l’agente de prestations en cause était Mme Pagé et elle a reconnu le lien de parenté entre Mme Pagé, le cotisant R.G. et la bénéficiaire des paiements C.G. Elle a affirmé que puisqu’elle avait travaillé avec Mme Pagé pour une période de 10 ans, elle savait que R.G. était le beau-père de Mme Pagé et que C.G. était sa demi-sœur. Soupçonnant des irrégularités, Mme Chauret a alors décidé d’informer sa gestionnaire principale, Mme Allouch, de la situation.

18 Mme Allouch a indiqué que Mme Chauret l’avait informée des éléments suivants : Mme Pagé avait autorisé des paiements prioritaires à une personne qui n’y avait pas droit, en l’occurrence sa demi-sœur (C.G.); le dossier démontrait que C.G. avait déjà reçu des prestations d’enfant d’un cotisant invalide entre 1997 et 2000 alors qu’elle était admissible à de telles prestations et que la plupart des demandes de prestations de C.G. avaient été traitées par Mme Pagé; que le dossier démontrait qu’en 2001, c’est elle qui avait envoyé la lettre à R.G., l’informant de la conversion de ses prestations; que Mme Pagé avait tenté de rétablir les prestations dans le système informatisé qui avait généré un message d’erreur; qu’il n’y avait aucune justification pour que des paiements prioritaires aient été émis à C.G. pour la période de 2001 à 2003; que lorsqu’elle avait saisi les données au système informatisé pour générer les paiements, Mme Pagé avait saisi le NAS du client d’une façon non standard afin qu’il ne soit pas possible de retracer les transactions; que le montant imposable apparaissant au T4, qui avait été généré automatiquement par le système à la suite des paiements, avait été amendé et que le dossier physique ne contenait aucune pièce justificative ou mention des paiements prioritaires.

19 Mme Allouch a précisé que ce qui l’avait le plus dérangé était la modification du T4. À son avis, la modification d’un T4 doit être documentée et l’agent doit au préalable en obtenir l’autorisation, alors que dans ce cas-ci, il n’y avait aucune information ou explication concernant l’amendement.  

20 En contre-interrogatoire, Mme Allouch a confirmé qu’à sa connaissance, outre les deux paiements en cause, il n’y avait pas eu d’autres anomalies ou erreurs commises par Mme Pagé dans le dossier de son beau-père.

21 Face à cette situation, Mme Allouch a rencontré M. Dupras, après quoi elle a dit avoir informé sa directrice, Claudia Ferland.

22 Mme Ferland a confirmé avoir été informée de la situation en décembre 2006 par Mme Allouch. Elle a alors décidé d’en informer le directeur général, John Rath-Wilson qui a, pour sa part, décidé d’informer la sous-ministre adjointe, Mme Châtillon. En date du 14 décembre 2006, Mme Châtillon a demandé à l’unité des enquêtes spéciales du ministère d’entreprendre une enquête administrative indépendante. Il a également été convenu de suspendre Mme Pagé avec traitement durant l’enquête.

23 Mme Allouch et Mme Ferland ont rencontré Mme Pagé le 9 janvier 2007 pour l’informer des allégations à son endroit, de la tenue d’une enquête administrative et de sa suspension administrative durant l’enquête. La lettre qui a été remise à Mme Pagé lors de cette rencontre contient les passages suivants :

Je désire vous informer qu’une enquête administrative sera menée relativement à une allégation de fraude envers le gouvernement et d’abus de confiance. Ces allégations sont reliées à des émissions de prestations frauduleuses à [C.G.], une de vos proches parentes.

[…]

Une fois l’enquête terminée, on vous donnera l’occasion de présenter des éclaircissements ou des circonstances atténuantes dont on n’a pas tenu compte selon vous, au cours de l’enquête. Par la suite, la gestion de Service Canada prendra une décision finale dans cette affaire.

S’il devait être déterminé que les allégations portées contre vous sont fondées, des mesures disciplinaires pourraient être prises incluant le congédiement. Nous vous encourageons à collaborer pleinement au cours de l’enquête. La gestion désire que cette enquête soit minutieuse et expéditive.

[…]

24 Mme Ferland a affirmé que la rencontre avait été difficile et qu’elle avait duré une quinzaine de minutes. Elle a indiqué que Mme Pagé était surprise et sous le choc. Elle a également déclaré avoir informé Mme Pagé qu’elle agirait comme personne-ressource pendant l’enquête. Elle a affirmé que Mme Pagé avait respecté les règles du jeu et collaboré à l’enquête.

25 Mme Allouch a pour sa part indiqué que lors de la rencontre, Mme Ferland avait demandé à Mme Pagé si elle connaissait R.G. et C.G., ce à quoi Mme Pagé aurait répondu qu’elle n’avait aucune idée de qui étaient ces gens. Mme Ferland n’a toutefois pas témoigné relativement à cet élément. Par contre, Mme Chauret a indiqué dans son témoignage qu’après la rencontre avec Mme Pagé à laquelle elle n’avait pas participé, Mme Allouch était venue la voir pour lui demander si elle était bien certaine de l’existence d’un lien de parenté entre Mme Pagé, R.G. et C.G. parce que Mme Pagé avait nié ce lien de parenté.

26 L’enquête a été confiée à Wendy Heon, qui est enquêtrice au sein de l’unité des enquêtes spéciales. L’enquête s’est déroulée du 3 janvier 2007 au 27 mars 2007, date à laquelle Mme Heon a produit son rapport d’enquête. Ce rapport a été produit en preuve.

27 Mme Heon a témoigné du processus suivi au cours de son enquête. Elle a en outre indiqué avoir rencontré M. Dupras, Mme Chauret, Mme Allouch, Mme Ferland et Judith Browarski, directrice du RPC et de la SV, accords internationaux, soutien à la production. Elle a affirmé que Mme Ferland lui a indiqué que tous les employés savent qu’ils ne doivent pas traiter les dossiers des membres de leur famille et de leurs amis. Le rapport de Mme Heon fait état que cette position était également partagée par Mme Allouch et Mme Chauret.

28 Dans le cadre de son enquête, Mme Heon a rencontré Mme Pagé le 7 février 2007. Comme Mme Heon est anglophone, elle était accompagnée d’un enquêteur francophone, Claude Campeau, qui a procédé à l’interrogatoire de Mme Pagé en présence du représentant syndical de Mme Pagé. Le rapport d’enquête contient le compte-rendu suivant de l’interrogatoire de Mme Pagé :

Au cours de cet entretien, Mme Pagé a confirmé que [C.G.] était sa demi-sœur et que [R.G.] était son beau-père. Les formulaires de demande de paiements mis en doute ont été présentés à Mme Pagé. Elle a confirmé qu’il s’agissait bien de sa signature et a reconnu avoir émis des paiements prioritaires à [C.G.]. Elle a fourni les explications suivantes pour le justifier :

  • Sa sœur lui avait parlé du fait qu’elle ne recevait pas les prestations auxquelles elle avait droit en vertu du fait qu’elle avait 18 ans et qu’elle fréquentait l’école à temps plein;
  • Lorsque le SCSC a refusé sa tentative (la tentative de Mme Pagé) d’exécution d’étapes en vue du versement de prestations à sa sœur, elle a présumé qu’il (le système) avait fait une erreur;
  • Elle (Mme Pagé) n’a soumis la demande de sa sœur à aucune enquête visant à vérifier l’admissibilité de celle-ci car elle croyait que ce qu’elle disait était vrai;
  • Elle a commis une erreur en omettant de vérifier, dans le cadre d’un examen de la demande, si les paiements avaient été déposés dans le compte de son beau-père, [R.G.];
  • Elle a envoyé une lettre indiquant à son beau-père que les prestations d’invalidité de celui-ci avaient été converties en prestations de retraite en janvier 2001;
  • Elle s’est méprise sur la période d’admissibilité : celle-ci aurait dû être la période allant de 1997 à 2000;
  • Depuis cette allégation, elle a établi que les paiements avaient en fait été déposés dans le compte bancaire de son beau-père;
  • Son beau-père n’aurait pas remarqué ces fonds supplémentaires dans son compte;
  • Sa sœur n’aurait pas réalisé qu’elle ne recevait pas l’argent;
  • Sa sœur avait indiqué qu’elle [C.G.] avait reçu un T4 pour les prestations, sans avoir reçu d’argent;
  • Cette erreur avait été commise en toute honnêteté et si le « vérificateur » et la personne chargée de l’approbation et de l’autorisation des paiements avaient fait leur travail, l’erreur aurait été décelée dès le début et Mme Pagé ne se retrouverait pas, à présent, dans la situation où elle se trouve;
  • Si elle avait voulu poser des gestes secrets, elle se serait contenté de signer les demandes et de les autoriser elle-même;
  • Il est courant de travailler sur les dossiers d’amis proches ou de membres de sa famille et jamais elle n’a entendu que les politiques l’interdisent ni obtenu des instructions à cet égard.

Mme Pagé a également indiqué :

  • Qu’il n’existe pas de méthode normalisée pour la saisie du NAS et qu’elle n’a pas reçu d’instruction à cet égard;
  • Qu’il n’est pas rare que des papiers portant la marque « à classer » se perdent;
  • Qu’elle ne sait pas pourquoi les traces de paiements n’ont pas pu être obtenues facilement dans le SNP;
  • Qu’elle n’a pas modifié l’écran des T4 de manière à réduire le montant du revenu imposable de 8 167,71 à 816,71.

29 Dans le cadre de son témoignage, Mme Heon a affirmé que Mme Pagé les avait invités à rencontrer ses collègues de même que sa demi-sœur. En contre-interrogatoire, Mme Heon a affirmé ne pas se souvenir si Mme Pagé les avait également invités à vérifier son bureau de crédit. Elle a également affirmé ne pas se souvenir si Mme Pagé avait mentionné aux enquêteurs avoir vécu des problèmes personnels en 2003. Elle a plus confirmé que les entretiens avec les différents témoins avaient été enregistrés, mais qu’une partie de l’entretien avec Mme Pagé n’avait pu être enregistré en raison de problèmes avec l’enregistreur. 

30 Le rapport d’enquête fait également état de rencontres qui se sont tenues le 7 février 2007 avec des collègues de Mme Pagé. Le rapport résume comme suit les propos des collègues :     

[…]  

Ces entretiens visaient principalement à confirmer les affirmations de Mme Pagé, selon lesquelles : les employés s’occupent de dossiers de membres de leurs familles respectives, les documents « à classer » sont fréquemment perdus et les systèmes fournissent des renseignements inexacts. L’entretien visait également à vérifier la façon dont le NAS est entré. Au contraire, ces entretiens ont réfuté les affirmations de Mme Pagé en indiquant :

  • Que les employés ne s’occupent pas de dossiers de membres de leurs familles respectives, car ceci constituerait un conflit d’intérêts;
  • Que bien que le classement des documents « à classer » puisse prendre du temps, ces documents finissent, tôt ou tard, par être classés;
  • Que la saisie du NAS est assujettie à une méthode normalisée.

De plus, ces entretiens ont révélé que lorsqu’un ECC signale une non-admissibilité, une enquête plus poussée dans le « système existant » et le SCSC est entreprise si nécessaire ou si ce verdict est remis en question et, au besoin, le dossier sur papier est examiné afin de déterminer si le prestataire est admissible.

De plus, l’enquêteuse a été informée du fait que lorsque l’enfant d’un cotisant invalide atteint l’âge de 18 ans et qu’il fréquente l’école à temps plein, les SNRP considèrent l’enfant en fonction de son admissibilité, et non pas en fonction de son parent. C’est l’enfant qui communique avec les SNRP et indique comment et où la prestation doit être déposée ou envoyée.

[…]

31 Le rapport indique également que le collègue de Mme Pagé qui avait signé comme vérificateur la deuxième demande de paiement du montant de 6 026,67 $ a été interrogé et il a affirmé ne pas avoir procédé à la vérification. À cet égard, le rapport indique ce qui suit :

[…]

[…] Pour appuyer ses affirmations, M. Gilbert a dit qu’il faut avoir confiance en les aptitudes de ses collègues vis-à-vis de leur travail. De plus, il n’aurait pas vérifié l’admissibilité et, même s’il l’avait fait, il n’aurait pas décelé la non-admissibilité. M. Gilbert croit que Mme Pagé a conscience du fait que la vérification n’est pas effectuée conformément aux politiques.

[…]

32 Le rapport ne mentionne pas d’explications qui auraient été fournies par l’autre collègue de Mme Pagé qui a vérifié et signé la première demande de paiement. Dans son témoignage, Mme Heon a affirmé que selon son souvenir, cette collègue de travail était en vacances lorsqu’elle a fait les rencontres et qu’elle était absente lors de la préparation du rapport. 

33 Le rapport fait par ailleurs état des explications données par la gestionnaire qui a autorisé et signé les deux demandes de paiement. Ses propos sont rapportés comme suit :

[…]

  • Qu’elle était la gestionnaire de Sylvie Pagé au moment où elle a approuvé et autorisé les deux paiements;
  • Qu’elle n’aurait pas vérifié les renseignements figurant sur les demandes, ni l’admissibilité;
  • Que Mme Pagé devrait être consciente du fait que la vérification n’est pas effectuée normalement;
  • Que lors d’une réunion d’équipe antérieure à 2000, son équipe, qui comprend Mme Pagé, a dû être informée du fait qu’il est contraire à la politique en vigueur de s’occuper des dossiers d’un membre de sa famille.

[…]

34 Mme Heon affirme avoir également rencontré C.G. Le rapport rapporte comme suit ses propos :

[…]

  • Sylvie Pagé est sa demi-sœur;
  • Elle reconnaît sa propre signature sur les formulaires 1400 « Demande de prestations d’enfant du Régime de pensions du Canada » et 1401 « Déclaration de fréquentation scolaire ou universitaire »;
  • Elle croit que le compte bancaire dans lequel l’argent a été envoyé est celui de son père, [R.G.];
  • Elle ne se rappelle pas avoir rempli ces formulaires;
  • Elle n’a pas demandé à son père s’il avait reçu les prestations;
  • Elle a discuté avec sa sœur à propos de son admissibilité à des prestations pendant la période où elle fréquentait l’école, période où une autre personne lui avait dit qu’elle pourrait être admissible;
  • Sa sœur lui a dit qu’elle était admissible et lui a donné les formulaires afin qu’elle puisse demander ces prestations, formulaires qu’elle a remplis et remis à sa sœur;
  • Elle ne peut pas expliquer les raisons pour lesquelles elle a reçu deux chèques.

[…]

35 Le rapport d’enquête mentionne également que le 15 janvier 1992, Mme Pagé avait signé une offre d’emploi qui stipulait que tous les employés devaient se conformer au Code régissant les conflits d’intérêts et l’après-mandat s’appliquant à la fonction publique.

36 À l’issue de son enquête, Mme Heon a émis les conclusions suivantes qui sont exposées dans son rapport :

[…]

Les entretiens réalisés au cours de cette enquête indiquent que les employés qui sont à l’emploi du service des prestations des SNRP, y compris Sylvie Pagé, sont au courant du fait qu’ils ne doivent pas participer aux dossiers des demandes présentées par des membres de leurs familles respectives. Son affirmation selon laquelle elle n’en avait pas connaissance n’est pas crédible.

Sylvie Pagé a reconnu avoir envoyé à sa sœur [C.G.] les paiements prioritaires mis en doute, tout en expliquant ses gestes comme une erreur commise en croyant que sa sœur n’avait pas reçu les prestations auxquelles elle avait droit.

Cette enquête montre que Mme Pagé a délibérément contourné le système des opérations du SCSC en envoyant des paiements prioritaires aux fins du versement de prestations à [C.G.], tout en sachant qu’elle [C.G.] n’y était pas admissible. Ceci est évident à la lumière de plusieurs activités, notamment : le fait d’exécuter à plusieurs reprises les étapes en vue du processus du versement de prestations à sa sœur au moment où celle-ci était admissible, ce qui indique qu’elle savait que sa sœur avait reçu des prestations antérieurement; le fait d’ignorer l’ECC expliquant que sa sœur n’était pas admissible aux prestations et indiquant les raisons pour lesquelles elle ne l’était pas. Suite au refus, par le système, de la tentative d’exécution des étapes en vue du processus du versement de prestations à C.G., notre employée a atteint son objectif en envoyant les deux paiements prioritaires, qui ne nécessitaient aucune conformité au SCSC.

Mme Pagé s’est également impliquée dans des actes trompeurs en dissimulant ses gestes par des opérations faisant en sorte que les paiements ne seraient pas facilement découverts. Elle y est parvenue en omettant de rédiger les documents pertinents pour l’envoi des paiements associés au dossier et en entrant le NAS et le localisateur d’adresse de façon à empêcher toute indication du paiement au moment d’une interrogation normale destinée à obtenir le dossier.

La complicité de Sylvie Pagé dans cette fraude et cet abus de confiance commis contre Service Canada est également illustrée par le fait qu’elle a modifié les documents T4 afin de diminuer les implications fiscales pour sa sœur. 

[…]

37 Le rapport comporte les recommandations suivantes :

[…]

Que ce rapport soit remis aux sous-ministres adjoints de la Direction générale des opérations, de la Direction générale de l’intégrité et de la Direction générale des personnes et de la culture afin qu’ils en prennent connaissances et qu’ils prennent les mesures qu’ils jugent appropriées;

Que cette affaire soit renvoyée à la Gendarmerie royale du Canada afin que celle-ci envisage la tenue d’une enquête criminelle;

Que l’Agence du revenu du Canada soit avertie de la modification du document T4 afin que ses registres puissent être ajustés en conséquence afin de tenir compte du revenu réel de [C.G.] pour l’exercice 2003;

Que le plus-payé de 8 167,71 $, à propos duquel Robert Dupras a formulé des recommandations soit pris en charge.   

[…]

38 Le rapport de Mme Heon a été remis à Mme Ferland à la fin du mois de mars 2007. Mme Ferland a, pour sa part, rencontré son directeur M. Rath-Wilson et préparé une note de breffage à l’intention de Mme Châtillon. Le rapport d’enquête a également été traduit en français. Il a alors été convenu que le rapport d’enquête serait remis à Mme Pagé afin qu’elle puisse en prendre connaissance et qu’elle puisse formuler ses commentaires.

39 Mme Ferland a indiqué qu’elle avait rencontré Mme Pagé avec son représentant syndical à la mi-avril 2007 et qu’elle lui avait remis une copie du rapport d’enquête de Mme Heon. Il a alors été convenu que Mme Pagé et son représentant syndical prendraient connaissance du rapport et qu’ils pourraient par la suite émettre leurs commentaires.

40 C’est dans ce contexte que Mme Pagé a été convoquée à une seconde rencontre. Mme Pagé a alors demandé que M. Rath-Wilson soit présent à la rencontre. La rencontre s’est donc tenue, le 1er mai 2007, en présence de M. Rath-Wilson, de Mme Ferland, d’un agent des relations de travail, de Mme Pagé et de son représentant syndical. Mme Ferland a indiqué que lors de cette rencontre, Mme Pagé a présenté des contre-arguments à l’égard de plusieurs éléments contenus dans le rapport. Mme Pagé a alors été invitée à soumettre ses commentaires par écrit. Mme Ferland a également indiqué qu’au cours de la rencontre, Mme Pagé a demandé que deux nouvelles personnes soient mandatées afin de refaire une analyse des dossiers de R.G. et de C.G., ce à quoi elle a acquiescé.

41 Mme Ferland a indiqué qu’elle avait confié le mandat de réexaminer le dossier à deux experts et que ces deux personnes avaient confirmé que Mme Pagé avait fait des transactions anormales et qu’elle n’aurait pas dû verser des prestations à C.G.

42 Mme Ferland a confirmé que les commentaires de Mme Pagé lui avaient été acheminés par son représentant syndical le 16 mai 2007, et que chaque commentaire ou allégation de Mme Pagé avait été analysé par l’équipe de gestion et par des conseillers techniques. Les allégations de Mme Pagé et la réponse de l’employeur à l’égard de chaque allégation ont été consignés dans un document qui a été produit en preuve et qui contient les renseignements suivants :

L’enquêteuse ne comprend pas suffisamment la langue française : A quelques reprises durant l’entrevue avec Sylvie Page (le 1er février 2007), il fallait arrêter l’entrevue pour expliquer le sens de certains mots. L’enquêteuse n’était pas capable de bien capter les informations fournies par l’employée durant son entrevue. Comme conséquence, le rapport fait fausse représentation de quelques faits.

Lors de l’interrogatoire, l’enquêteuse était accompagnée d’un collègue enquêteur francophone, Claude Campeau, enquêteur principal à l’Unité des enquêtes spéciales. le fait que l’enquêteuse ne soit pas parfaitement bilingue, ne justifie pas pour autant un manque de compétence. De plus l’entrevue a été enregistrée pour références ultérieures.

L’enquêteuse a complètement ignorée les circonstances atténuantes qui s’appliquent en faveur de l’employée, entre autres :

ses années de service (19 ans)

sa fiche d’emploie (sans faute)

sa fiche de discipline (sans faute)

les pressions opérationnelles, ainsi que dans sa vie privée

la clarté des politiques internes, etc. (Les facteurs Douglas comptent 12 telles circonstances doivent être appliques dans des instances de discipline)

L’enquêteuse avait pour mandat d’analyser des faits et d’énoncer les prochaines étapes. Elle n’avait pas pour mandat de considérer les circonstances atténuantes ou de faire des recommandations vu que cette tâche est strictement réservée à la gestion.

Le rapport ne cite aucun motif raisonnant pourquoi l’employée voudrait faire ce qu’elle est accusée d’avoir fait. L’enquêteuse aurait dû demander un bureau de crédit pour savoir son état financière. Une telle recherche aurait établie que l’employée est financièrement stable et responsable - et donc aucun motif. 

L’objectif de cette enquête n’était pas de prouver que l’employée avait commis un méfait mais de recueillir toute l’information pertinente et essayer de comprendre le pourquoi de toutes les irrégularités entourant le dossier.

même réponse que le point précédant.

Le rapport ne démontre aucune tendance criminelle par rapport à l’employée. L’enquêteuse aurait dû obtenir une attestation de vérification de casier judiciaire. Une telle recherche aurait établie que l’employée n’a pas une histoire criminelle - et donc aucune tendance. Le droit de l’enfant aux prestations d’enfant de cotisants invalides ne devrait pas être en question. L’enfant avait le droit durant une période spécifique (1997 quand l’enfant a atteint l’age de 18 ans jusqu’a 2001 quand le cotisant a atteint l’âge de 65 ans). Un calcul de ces prestations pour la période en question va démontrer que le montant payé par l’employée est, de fait, le bon montant.

L’enfant avait droit à une prestation pour enfant de cotisant invalide à partir du mois d’août 1997 jusqu’au mois de décembre 2000. Selon nos dossiers, l’enfant a bel et bien reçu toutes les prestations auquel il avait droit.

Vu que le cotisant invalide a atteint l’age de 65 ans en décembre 2000, aucun montant ne devait être payé à l’enfant après cette date. C’est l’employé qui a traité ce compte en particulier.

Le rapport ne mentionne pas que l’employée avait dit durant l’enquête qu’il existe un défaut technique : le dossier électronique du cotisant avait été converti du système Legacy au système CSC. Par contre, le dossier électronique de l’enfant ne l’avait pas été converti, ce qui laisse l’employée sous l’impression que les prestations n’avaient jamais été déboursées à l’enfant. 

Selon l’information que nous avons sur le dossier, nous constatons que le dossier du cotisant et de l’enfant a été converti du système Legacy au système CSC et a été accepté le 21-11-1997. L’action a été faite simultanément sur les deux comptes (en l’occurrence sur celui du cotisant et celui de l’enfant) et une preuve papier est au dossier.

Une vérification routine aurait évitée la totalité des erreurs humaines commises par l’employée. L’employée ne peut pas être tenue responsable pour les décisions des vérificateurs/trices d’ignorer leur tache (notamment Richard Gilbert, Lynne LeGros et Gayle Beauchamps).

Même si une vérification aurait pu faire arrêter les paiements, cela n’empêche pas le fait qu’il y a eu d’énormes irrégularités dans le dossier d’autant plus que l’employée qui l’a traité compte plus de 19 années de service.

Le rapport raconte que l’employée avait dit durant son entrevue qu’elle n’avait pas manipulée les informations relatives au T4s de l’enfant. De fait, ce que l’employée avait dit durant son entrevue avec l’enquêteuse c’est qu’elle ne se rappelait pas. Le montant en question aurait dû être $8167.71 - tandis que c’est le montant de $816.71 qui a été entre dans le système. Nous voyons clairement qu’il manquait un chiffre dans cette entrée. Si l’employée avait vraiment l’intention de malfaire, pourquoi s’arrêter à un chiffre ? Elle aurait pu réduire le montant à $0. 

Un T4 est émis automatiquement lorsque le système détecte des revenus sur le compte d’un client. Dans ce cas, il n’y avait aucune raison valable d’amender le T4 vu que les paiements émis ont bien été encaissés par l’enfant et qu’il n’y a eu aucune demande ou plainte de sa part.

[Les passages soulignés le sont dans l’original]

[Sic pour l’ensemble de la citation]

43  Mme Ferland a expliqué, qu’à son avis, il y avait trop d’éléments qui ne concordaient pas compte tenu de l’expérience de Mme Pagé. Face à l’ensemble des éléments et compte tenu de la gravité des gestes commis, elle a conclu à un abus de confiance et une probabilité de fraude. Elle et M. Rath-Wilson ont fait une recommandation de congédiement à Mme Châtillon et elle a rédigé un mémorandum à l’intention de Mme Châtillon, lequel comporte ce qui suit :

[…]

Selon le guide de discipline de Service Canada et la Loi fédérale sur la responsabilité, Sylvie Pagé s’est vu octroyé [sic] le temps nécessaire (7 jours) afin d’analyser le rapport d’enquête et de présenter toutes les circonstances atténuantes ou clarifications dont la gestion n’a pas tenu compte, selon elle, au cours de l’enquête.

Suite à la remise du rapport, une rencontre avec Sylvie Pagé, Steve McCuaig (son représentant syndical), John Rath-Wilson (Directeur général, Opérations et traitements) et Claudia Ferland (Directrice de SNRP) a eu lieu le 01 mai 2007.

Lors de cette rencontre, l’employée a fait mention de nombreuses allégations afin de justifier ses actions et par la suite, le 16 mai 2007, son représentant syndical a envoyé un courriel ayant pour but de démontrer que l’employée n’avait commis aucun acte répréhensible.

La gestion a donc analysé soigneusement les documents et a conclu qu’il n’y avait aucune circonstance atténuante pouvant être considérée pour l’employée (Voir l’annexe B).

De plus, il a été demandé à deux experts du RPC d’examiner le dossier et les 2 personnes sont arrivées à la conclusion qu’il y a eu des transactions anormales sur le compte et que l’employée qui l’a traité, l’a fait en connaissance de cause et dans le but de commettre un méfait.

Du point de vue de l’employeur, pour déterminer une sanction disciplinaire, la gestion a le fardeau de démontrer qu’il y a juste cause pour la discipline, et le fardeau de la preuve réside sur l’équilibre des probabilités. Ce qui signifie que, l’existence d’un fait est plus probable que sa non-existence, et que l’enjeu à déterminer est non seulement possible, mais probable, plutôt qu’improbable.

De plus, le code des valeurs et d’éthique de la fonction publique ainsi que le manuel du RPC stipulent qu’il est interdit de traiter des dossiers d’un membre de la famille et que tout employé qui ne se conforme pas, s’expose à des mesures disciplinaires pouvant aller jusqu’au licenciement.

Dans ce cas-ci, le rapport d’enquête démontre que les explications fournies par Sylvie Pagé ne sont pas crédibles. Les entretiens avec les employés et les éléments de preuve documentés, soutiennent l’allégation que Sylvie Pagé a commis une fraude contre le gouvernement du Canada et un abus de confiance.

[…]

44 Interrogé sur la prise en compte des circonstances atténuantes par l’employeur lors de son contre-interrogatoire, Mme Ferland a indiqué qu’elle avait à l’esprit ces circonstances atténuantes, mais qu’elles ne pouvaient atténuer la gravité des fautes commises. Elle a également confirmé que Mme Pagé avait indiqué avoir eu des problèmes familiaux en 2003, mais, qu’à son souvenir, le dossier de Mme Pagé ne démontrait pas d’absences anormales en 2003.

45 Mme Ferland a également été contre-interrogée relativement à certains éléments de faits retenus dans le cadre de l’enquête. Relativement à la procédure de vérification des demandes de paiements prioritaires, elle a confirmé que les collègues et le supérieur qui contre-vérifient les demandes de paiement doivent procéder à de véritables vérifications avant d’apposer leur signature. Dans le cas des deux paiements en cause, elle ne pouvait confirmer si les signataires avaient effectivement procédé aux vérifications d’usage.

46 Toujours dans le cadre de son contre-interrogatoire, Mme Ferland a confirmé, qu’à sa connaissance, aucune autre anomalie n’avait été décelée dans le dossier de R.G. et qu’entre 2003 et 2007, aucune irrégularité n’était imputée à Mme Pagé dans d’autres dossiers. Elle a par ailleurs indiqué qu’une vérification de tous les dossiers traités par Mme Pagé n’avait pas été faite et qu’une telle vérification aurait été impossible.

47 En réponse à une question, Mme Ferland a également indiqué qu’en raison de la nature de l’inconduite, il n’avait pas été recommandé de déplacer Mme Pagé dans un autre poste.  

48 M. Rath-Wilson a également témoigné en regard des recommandations qui ont été formulées à l’intention de la sous-ministre adjointe. Il a indiqué que rien au dossier ne permettait d’envisager une autre sanction que le congédiement. L’employée avait posé des gestes qui constituaient une violation du Code des valeurs et d’éthique de la fonction publique (le Code) et qui entraînaient un bris du lien de confiance. Cette conclusion découlait de la nature du poste qui requérait un très haut niveau de confiance compte tenu de la latitude dont disposaient les employés. Dans son esprit, il est très clair que les employés savent qu’ils ne doivent pas traiter les dossiers de membres de leur famille ou d’amis et il a indiqué que le Code fait l’objet d’une campagne d’information continue dans l’organisation. Il a également affirmé qu’en raison de la nature du travail de Mme Pagé et de la nature des fautes commises, il n’avait pas envisagé de la replacer dans un autre poste. Il a de plus indiqué que l’employeur avait des attentes très élevées en regard de l’intégrité des employés qui travaillent aux SNRP.  

49 Sur la question du conflit d’intérêts, Mme Allouch avait pour sa part déclaré lors de son témoignage que la section des SNRP dispose d’un manuel (manuel du RPC) qui traite de l’interdiction pour les employés de traiter les dossiers des membres de leurs familles et de leurs amis. Elle a affirmé qu’une copie papier de ce manuel est remise aux employés lors de leur formation initiale et qu’une version électronique est disponible sur l’intranet. Elle a affirmé que tous les employés savent qu’ils ne doivent pas travailler dans les dossiers des membres de leur famille, que c’est une question de jugement parce qu’il y a toujours un risque de conflit d’intérêts.

50 En date du 19 juin 2007, Mme Châtillon a signé la lettre de licenciement de Mme Pagé, laquelle contient les éléments suivants :

[…]

Le rapport d’enquête daté du 27 mars 2007, dont vous avez pris connaissance le 23 avril 2007, a révélé que vous avez commis une fraude contre le gouvernement fédéral en payant des prestations du Régime de Pensions du Canda (RPC) à une tierce personne, en l’occurrence votre demi-sœur, consciente du fait qu’elle n’y avait pas droit.

J’ai examiné avec soin la preuve concernant cette affaire, et j’ai décidé qu’en raison de ces activités, vous n’êtes plus digne de confiance et vous ne possédez plus les qualités d’honnêteté et d’intégrité que requiert votre poste d’agente de services au paiement.

Vos agissements sont d’une telle gravité que vous avez irrémédiablement rompu le lien de confiance qui est essentiel au maintien de votre emploi comme membre de la fonction publique du Canada.

Vous vous êtes comportée d’une façon qui est totalement irréconciliable avec vos fonctions et responsabilités de fonctionnaire, et je ne peux trouver aucune circonstance atténuante qui pourrait m’amener à conclure que vous ne devriez pas être licenciée pour un motif déterminé.

Par conséquent, compte tenu de la gravité de votre inconduite, et en me fondant sur l’information dont je dispose à ce moment-ci, j’ai décidé de vous licencier pour un motif déterminé, en vertu du pouvoir qui m’est délégué par l’administrateur général et conformément à l’alinéa 12(1) (c) de la Loi sur la gestion des finances publiques. Votre licenciement entrera en vigueur à la fermeture des bureaux le 29 juin 2007.   

[…]

B. Pour la fonctionnaire s’estimant lésée

51 La représentante de Mme Pagé a fait témoigner Guylaine Gauthier qui occupe un poste d’agente de prestations depuis 18 ans. Mme Gauthier a témoigné relativement au processus suivi lors de l’émission de paiements prioritaires. Elle a indiqué que l’agent doit procéder aux calculs des prestations et compléter le formulaire de demande de paiement. Relativement à la saisie du NAS du client, Mme Gauthier a affirmé que de 2001 à 2004, la façon de saisir le NAS dans les cas de paiements prioritaires consistait à insérer une espace après chaque suite de trois chiffres. Des copies d’écrans de recherche afférant à des paiements émis en 2001 dans le dossier d’un bénéficiaire ont été déposées, et on peut y constater que le numéro de compte du client a effectivement été saisi en insérant une espace après chaque suite consécutive de trois chiffres dans le NAS. Mme Gauthier a également affirmé que même après la modification de la procédure en 2004, les agents avaient encore tendance à saisir les NAS en laissant des espaces.  

52 Mme Gauthier a également témoigné relativement au processus de vérification des demandes de paiement par des collègues. Elle a déclaré avoir elle-même vérifié, à plusieurs reprises, des demandes de paiements prioritaires préparés par des collègues et que le processus de vérification consiste à vérifier l’ensemble des renseignements ainsi que l’admissibilité aux prestations et les calculs des prestations avant de signer le formulaire de demande de paiement.

53 Elle a également témoigné relativement au processus d’amendement des T4. Elle a indiqué que des amendements à des T4 peuvent être requis à la fin d’une année financière pour refléter des modifications survenues dans le dossier des bénéficiaires ou pour corriger des erreurs. Elle a affirmé que la modification d’un T4 ne requerrait aucune autorisation et que les agents de prestations avaient le pouvoir de procéder aux amendements.

54 Mme Pagé a longuement témoigné. Elle a présenté son cheminement de carrière en indiquant qu’elle avait joint Service Canada (ou ses prédécesseurs) en 1988, d’abord comme commis de bureau, puis comme adjointe administrative et qu’elle avait été nommée dans un poste d’agente de prestations en 1993. Elle a ajouté que, de 1993 à 1998, elle faisait partie de l’équipe qui traitait les demandes d’invalidité et qu’elle avait été transférée aux SNRP en 1998. Elle a reconnu que les dossiers traités par les SNRP sont plus complexes.

55 Elle a relaté comme suit les événements qui sont survenus en 2003 dans le dossier de sa demi-sœur : Elle a affirmé que vers la fin août ou au début de septembre 2003, sa sœur lui avait téléphoné pour lui demander si elle avait droit à des prestations d’enfant entre 18 et 25 ans alors que son père recevait des prestations d’invalidité. Mme Pagé a indiqué qu’au moment de cette conversation, sa sœur avait 24 ans. Elle a affirmé avoir alors posé à sa demi-sœur la question suivante : « Tu n’as jamais reçu de prestations? » Sa demi-sœur lui aurait alors affirmé n’avoir jamais reçu de prestations. Mme Pagé a déclaré lui avoir par la suite remis les formulaires appropriés pour qu’elle puisse les remplir et les faire compléter par les institutions scolaires.

56 Mme Pagé a confirmé avoir reçu la demande de prestations de sa demi-sœur et l’avoir traitée en priorité en procédant au moyen de paiements prioritaires, comme elle l’aurait fait pour tout autre client, compte-tenu qu’il était question d’une rétroactivité de trois ans. Elle a indiqué avoir procédé par paiements prioritaires pour accélérer le processus. Elle a également indiqué que si elle avait eu de mauvaises intentions, elle aurait pu choisir d’émettre les paiements en procédant à une révision du compte qui ne requiert aucune contre-vérification et qui lui aurait permis d’autoriser des paiements jusqu’à un montant de 99 999 $ sans autorisation ou contre-vérification. Elle aurait alors pu faire la transaction sans que personne ne puisse voir la transaction. Elle a plutôt choisi la procédure des paiements prioritaires qui implique un processus sécurisé qui inclut la contre-vérification des demandes de paiements par deux personnes.

57  Elle reconnait avoir préparé les demandes de paiement. Elle a expliqué avoir émis deux paiements parce que sa demi-sœur avait fréquenté deux institutions scolaires différentes. Elle a déclaré avoir préparé les paiements prioritaires conformément à la procédure applicable et les avoir acheminé pour qu’ils soient vérifiés par des collègues et ensuite approuvés par la gestionnaire. Elle a suivi cette même procédure pour les deux paiements. Elle a déclaré avoir réalisé durant l’enquête, lorsqu’elle a revu les demandes de paiements, qu’elle avait commis une erreur dans les dates inscrites sur les demandes de paiement : le paiement du 9 septembre 2003 au montant de 2 141,04 $ aurait dû correspondre à la période de 1997 à 1998 et celui du 26 septembre 2003, au montant de 6 026,67 $, aurait dû correspondre à la période de 1998 à 2000, afin de couvrir la période totale de 1997 à 2000.

58 Quant à l’amendement du T4 de C.G., Mme Pagé a donné l’explication suivante : comme des prestations d’enfant d’un cotisant invalide avaient été versées au bénéfice de C.G. avant qu’elle n’atteigne 18 ans, elle devait procéder à un changement d’adresse puisque le système reproduisait l’adresse au dossier, soit l’adresse de son père, alors que C.G. n’habitait plus chez son père. Elle a donc amendé le T4 pour insérer la nouvelle adresse de sa demi-sœur. Elle a affirmé que pour modifier un T4, elle devait retranscrire à l’écran toutes les données qui apparaissaient au T4 original.

59 Après avoir émis les paiements prioritaires et modifié le T4 pour y refléter le changement d’adresse, Mme Pagé a affirmé n’avoir jamais retouché le dossier de sa demi-sœur.

60 Mme Pagé a témoigné relativement à la rencontre du 9 janvier 2007 qui s’est tenue en présence de Mme Allouch et de Mme Ferland. Elle a indiqué qu’au début de la rencontre, la première question que Mme Ferland lui aurait posée était celle de savoir si elle savait pourquoi elle avait été convoquée, ce à quoi elle dit avoir répondu de façon négative. Elle a par ailleurs déclaré avoir répondu affirmativement lorsque Mme Ferland lui a demandé si elle connaissait C.G.

61 Mme Pagé a indiqué qu’après avoir été informée qu’elle était soupçonnée de fraude et qu’elle faisait l’objet d’une enquête, elle était sous le choc et ne comprenait pas ce qui pouvait se passer. Lorsqu’elle est retournée chez elle, elle a communiqué avec ses parents et sa demi-sœur pour voir s’il s’était passé quelque chose dans leurs dossiers ou s’ils avaient été payés en double.

62 Elle a indiqué qu’après avoir vérifié ses états de comptes bancaires, son beau-père a réalisé qu’il avait reçu des prestations au nom de sa fille C.G. alors qu’elle avait entre 18 et 21 ans et que les prestations avaient été versées jusqu’en 2000. Mme Pagé a affirmé qu’elle ne comprenait pas puisque les prestations auraient dû être versées directement à C.G. et non à son père. À son avis, il s’agissait d’une erreur commise par l’agent de prestations qui avait traité la demande initiale de prestations. Elle a déclaré s’être dit que les représentants de son employeur verraient qu’il y avait eu une erreur et que les prestations avaient été versées par erreur dans le compte du père de C.G. Elle croyait que son employeur constaterait alors qu’il n’y avait pas de fraude parce que C.G. n’avait jamais reçu l’argent entre 1997 et 2000.

63 Mme Pagé a également témoigné à l’égard du processus d’enquête. D’abord, elle a déclaré ne pas comprendre que son employeur ait confié le mandat d’enquête à une enquêteuse qui ne comprenait pas le français. Elle a déclaré que lors de son entretien avec Mme Heon et M. Campeau, c’est M. Campeau qui dirigeait la discussion alors que Mme Heon prenait des notes. Référant à l’entretien qu’elle avait eu avec M. Campeau, elle a reconnu avoir complété les demandes de paiements et que c’est en revoyant les formulaires de demandes qu’elle a réalisé son erreur de dates. Elle a également déclaré avoir confirmé qu’elle avait modifié le T4 pour changer l’adresse, et qu’en réponse à la question de savoir si elle avait modifié le montant, elle avait répondu négativement spécifiant qu’elle avait simplement retranscrit les renseignements apparaissant au T4 original.

64 Mme Pagé a déclaré que lorsqu’elle a reçu une copie du rapport d’enquête de Mme Heon elle a constaté qu’à certains égards ses propos étaient mal rapportés.          

65 Lors de son témoignage, Mme Pagé a commenté chacune des déclarations qui lui sont attribuées dans le rapport de Mme Heon. Afin de bien cadrer le témoignage de Mme Pagé, je vais reproduire chacune des déclarations telles qu’elles sont rapportées dans le rapport de Mme Heon, suivi des commentaires formulés par Mme Pagé lors de son témoignage.

66 Extrait du rapport de Mme Heon : « Sa sœur lui avait parlé du fait qu’elle ne recevait pas les prestations auxquelles elle avait droit en vertu du fait qu’elle avait 18 ans et qu’elle fréquentait l’école à temps plein; »

67 Mme Pagé a indiqué que cette déclaration était bien rapportée.

68 Extrait du rapport de Mme Heon : « Lorsque le SCSC a refusé sa tentative (la tentative de Mme Pagé) d’exécution d’étapes en vue du versement de prestations à sa sœur, elle a présumé qu’il (le système) avait fait une erreur; »

69 Mme Pagé a indiqué n’avoir jamais tenu ces propos et que lorsque le système génère un message d’erreur, cela peut prendre jusqu’à un mois avant que le message d’erreur  ne soit reçu.

70 Extrait du rapport de Mme Heon : « Elle (Mme Pagé) n’a soumis la demande de sa sœur à aucune enquête visant à vérifier l’admissibilité de celle-ci car elle croyait que ce qu’elle disait était vrai; »

71 Mme Pagé a indiqué que ses propos étaient mal rapportés, qu’elle était une agente d’expérience et qu’il faisait partie de ses tâches de vérifier l’admissibilité aux prestations et que pour ce faire, elle n’avait pas à référer à des collègues.

72 Extrait du rapport de Mme Heon : « Elle a commis une erreur en omettant de vérifier, dans le cadre d’un examen de la demande, si les paiements avaient été déposés dans le compte de son beau-père, [R.G.]; »

73 Mme Pagé a indiqué que ses propos étaient mal rapportés et qu’elle avait vérifié dans le système et qu’elle voyait que C.G. n’avait pas reçu les prestations. Elle a ajouté qu’elle ne pouvait pas savoir que l’argent avait été déposé dans le compte de son beau-père.

74 Extrait du rapport de Mme Heon : « Elle a envoyé une lettre indiquant à son beau-père que les prestations d’invalidité qu’il recevait avaient été converties en prestations de retraite en janvier 2001; »

75 Mme Pagé a indiqué que cette déclaration était exacte en ajoutant qu’elle n’avait rien camouflé et qu’elle avait bel et bien acheminé cette lettre à son beau-père.

76 Extrait du rapport de Mme Heon : « Elle s’est méprise sur la période d’admissibilité : celle-ci aurait dû être la période allant de 1997 à 2001 ; »

77 Mme Pagé a indiqué que cette déclaration était exacte en ajoutant que l’employeur avait compris l’erreur, mais qu’il continuait de prétendre qu’elle avait émis des paiements pour une période pour laquelle C.G. n’était pas admissible.  

78 Extrait du rapport de Mme Heon: « Depuis cette allégation, elle a établi que les paiements avaient en fait été déposés dans le compte bancaire de son beau-père; »

79 Mme Pagé a indiqué que cette déclaration était exacte.

80 Extrait du rapport de Mme Heon : « Son beau-père n’aurait pas remarqué ces fonds supplémentaires dans son compte ; »

81 Mme Pagé a indiqué que cette déclaration était exacte en ajoutant que comme son beau-père recevait la prestation d’enfant lorsque sa fille avait moins de 18 ans, il n’avait sans doute pas réalisé qu’il n’y avait plus droit à compter de la date où elle avait atteint 18 ans.

82 Extrait du rapport de Mme Heon : « Sa sœur n’aurait pas réalisé qu’elle ne recevait pas l’argent ; »

83 Mme Pagé a indiqué que cette déclaration était exacte en ajoutant que sa sœur lui avait dit avoir rempli plusieurs formulaires à cette période, entre autres pour des prêts et bourses, et qu’elle ne se souvenait pas avoir rempli les formulaires pour les prestations d’enfant de cotisant invalide.

84 Extrait du rapport de Mme Heon : « Sa sœur avait indiqué qu’elle (C.G.) avait reçu un T4 pour les prestations, sans avoir reçu d’argent ; »

85 Mme Pagé a indiqué que cette déclaration était inexacte et qu’elle serait surprise que C.G. ait reçu un T4, puisque si son père avait reçu l’argent, c’est lui qui aurait dû recevoir le T4 y afférent.

86 Extrait du rapport de Mme Heon :

[…]

Cette erreur avait été commise en toute honnêteté et si le « vérificateur » et la personne chargée de l’approbation et de l’autorisation des paiements avaient fait leur travail, l’erreur aurait été décelée dès le début et Mme Pagé ne se trouverait pas, à présent, dans la situation où elle se trouve ;

[…]

87 Mme Pagé a indiqué que cette déclaration était exacte en ajoutant qu’elle se reprochait d’avoir traité le dossier de ses proches, mais qu’elle n’avait jamais volé ou fraudé et n’en n’avait jamais eu l’intention. Elle a ajouté qu’elle avait été choquée de voir que les demandes de paiement qu’elle avait complétées n’avaient pas été vérifiées. Bien qu’elle ait affirmé reconnaître ses torts, elle estime que les erreurs commises dans le dossier auraient été découvertes rapidement si les personnes qui devaient procéder aux vérifications avaient fait les vérifications requises. 

88 Extrait du rapport de Mme Heon : « Si elle avait voulu poser des gestes secrets, elle se serait contentée de signer les demandes et de les autoriser elle-même ; »

89 Mme Pagé a déclaré que ses propos étaient mal rapportés et que ce qu’elle avait dit était que si elle avait voulu camoufler ses gestes, elle aurait procédé à une révision du compte qui ne requiert pas de vérifications de collègues. Elle a insisté de nouveau sur le fait qu’à son avis, lorsqu’on met sa signature sur un document qu’on dit avoir vérifié, c’est parce qu’on l’a vraiment vérifié. Elle a ajouté qu’elle avait été formée par une gestionnaire rigoureuse qui lui avait appris que l’étape de la vérification était importante.    

90 Extrait du rapport de Mme Heon :

[…]

Il est courant de travailler sur les dossiers d’amis proches ou de membres de sa famille et jamais elle n’a entendu que les politiques l’interdisent ni obtenu des instructions à cet égard.

[…]

91 Mme Pagé a indiqué que cette déclaration était inexacte, qu’elle n’avait jamais dit qu’il était courant de travailler dans les dossiers de proches mais que, par ailleurs, elle savait que des collègues avaient déjà traité des dossiers de membres de leur famille. Elle a ajouté qu’il n’existait pas de politique claire précisant qu’il était interdit de travailler dans les dossiers de proches et d’amis. Elle a par ailleurs indiqué qu’il y avait une politique claire à l’égard des pots-de-vin.

92 Extrait du rapport de Mme Heon : « Qu’il n’existe pas de méthode normalisée pour la saisie du NAS et qu’elle n’a pas reçu d’instruction à cet égard ; »

93 Mme Pagé a indiqué que le système informatisé est complexe et que, dans un écran, il faut saisir les données d’une façon alors que dans un autre écran, les mêmes données doivent être saisies différemment. Elle a également déclaré qu’il n’y a pas de façon normalisée de saisir les données, que c’était comme ça depuis 20 ans et qu’il était facile de faire des erreurs.  

94 Extrait du rapport de Mme Heon : « Qu’il n’est pas rare que des papiers portant la marque « à classer » se perdent ; »

95 Mme Pagé a indiqué que personne n’allait signer de chèque sans qu’il n’y ait de documents joints et que lorsqu’elle a émis les paiements, elle avait les documents justificatifs qui ont dû se perdre par la suite.  

96 Extrait du rapport de Mme Heon : « Qu’elle ne sait pas pourquoi les traces de paiements n’ont pas pu être obtenues facilement dans le SNP ; »

97 Mme Pagé a déclaré qu’elle ne savait pas qu’il était difficile de retracer un dossier si le NAS était saisi différemment.  

98 Extrait du rapport de Mme Heon : « Qu’elle n’a pas modifié l’écran des T4 de manière à réduire le montant du revenu imposable de 8167,71 à 816,71 ; »

99 Mme Pagé a indiqué qu’elle avait bien modifié le T4 pour y faire le changement d’adresse et qu’elle avait pu remarquer qu’il manquait le chiffre 7 et qu’il pouvait s’agir d’une erreur de reproduction. Elle a ajouté que si elle avait voulu modifier le montant du T4, elle l’aurait mis à zéro.

100 Mme Pagé a également expliqué qu’en 2003 elle vivait une période très difficile sur le plan personnel. Il ne m’apparaît toutefois pas nécessaire de décrire ici la nature des difficultés que Mme Pagé a détaillées lors de son témoignage. Elle a indiqué qu’à l’époque où elle avait traité le dossier de sa demi-sœur, elle était épuisée et qu’elle consultait un psychologue. Elle a également affirmé que son médecin de famille lui avait suggéré de prendre un congé de maladie, mais qu’elle pensait que les choses allaient se replacer. Elle a mentionné que son état pouvait expliquer les erreurs qu’elle a commises dans le dossier de sa demi-sœur ajoutant qu’à cette période elle avait dû commettre des erreurs dans d’autres dossiers.

101 Mme Pagé a affirmé avoir offert toute sa collaboration dans le cadre de l’enquête et fourni tous les éléments qui pouvaient la disculper : elle avait fourni les relevés bancaires de son beau-père et de sa demi-sœur, elle avait donné accès à ses propres comptes bancaires et invité les enquêteurs à faire une enquête sur son crédit.

102 Quant au processus d’enquête, Mme Pagé a affirmé que l’employeur n’avait pas tenu compte des circonstances atténuantes dans son dossier, que durant l’enquête elle ne s’était pas sentie écoutée, qu’elle avait l’impression que les enquêteurs ne voulaient pas comprendre ce qu’elle tentait d’expliquer et qu’elle avait l’impression que dès le premier jour, l’employeur la considérait coupable.

103 Elle a réitéré avoir commis une erreur en travaillant dans le dossier des membres de sa famille, mais insisté qu’elle n’avait jamais fait preuve de malhonnêteté. Elle a également indiqué qu’elle n’avait tiré aucun bénéfice personnel des sommes versées à sa demi-sœur.

104 Mme Pagé a également témoigné des difficultés qu’elle a vécu depuis son congédiement, affirmant notamment qu’elle avait été dans l’impossibilité de se retrouver un emploi. Elle a également fait état des importantes difficultés financières entraînées par la perte de revenu occasionnée par son congédiement.

105 En contre-interrogatoire, Mme Pagé a été confrontée à sa déclaration voulant que l’agent qui avait initialement traité la demande de C.G. en 1997 avait dû commettre une erreur puisque les prestations auraient dû être versées dans le compte de C.G. et non dans celui de son père. Elle a reconnu qu’une personne de 18 ans ou plus qui fait une demande de prestations d’enfant d’un cotisant invalide doit indiquer comment elle veut recevoir les prestations et le cas échéant, dans quel compte bancaire. Le procureur de l’employeur a déposé le spécimen de chèque tiré du dossier de C.G. et qui accompagnait sa demande initiale en 1997 et il appert que ce chèque correspondait au compte de son père.

106 Mme Pagé a également confirmé qu’après avoir constaté que C.G. ne semblait pas avoir reçu de prestations, elle n’a pas procédé à des recherches additionnelles afin de vérifier si les prestations pouvaient avoir été versées dans un autre compte que celui de C.G. Elle a ajouté qu’elle n’aurait pas fait de vérifications additionnelles même si elle avait traité le dossier d’un autre client. Elle a également confirmé qu’elle n’avait pas vérifié le dossier physique précisant que ce n’était pas habituel de vérifier les dossiers physiques.

107 Interrogée sur la politique relative au traitement des dossiers de membres de la famille, Mme Pagé a réitéré qu’à sa connaissance il n’y avait pas de politique claire à cet égard et qu’elle ne s’était jamais questionnée à ce sujet lorsqu’elle avait traité le dossier de R.G. ou de C.G. Quant au manuel du RPC et au Code, elle a affirmé n’avoir jamais vu ces documents. Elle a également confirmé qu’elle n’avait pas eu le réflexe de se questionner quant au caractère approprié de traiter les dossiers des membres de sa famille.

108 Toujours dans le cadre de son contre-interrogatoire, Mme Pagé a également affirmé qu’elle n’avait pas travaillé dans le dossier de son beau-père avant 2001, lorsqu’elle lui a envoyé la lettre l’informant de la conversion de ses prestations d’invalidité en prestations de retraite. Le procureur de l’employeur lui a ensuite présenté des déclarations de fréquentations scolaires produites par C.G. entre 1997 et 2000 sur lesquelles Mme Pagé avait apposé ses initiales de même que trois formulaires de traitement de ces demandes qui portaient sa signature datés : en octobre 1998, en février 2000 et en octobre 2000. Mme Pagé a affirmé ne pas se souvenir avoir traité les demandes de C.G. à cette époque.

109 Mme Pagé a également été confrontée à sa déclaration voulant que même si elle s’était trompée dans les dates qu’elle avait inscrites sur les demandes de paiements, les calculs eux, correspondaient aux montants auxquels C.G. avait droit pour la période de 1997 à 2000. Elle a reconnu que les calculs faits en 2003 avaient été faits non pas à partir des taux de 1997-2000, mais à partir de ceux de 2003.

110 Mme Pagé a également été contre-interrogée relativement à l’amendement du T4. Questionnée sur l’existence de deux méthodes d’amendement des T4, soit le duplicata et l’amendement, elle a reconnu qu’il existait deux méthodes, mais elle a affirmé ne pas se souvenir quels étaient les renseignements pouvant être modifiés avec chacune des méthodes. Elle a également indiqué que peu importe la méthode utilisée, tous les renseignements apparaissant sur le T4 original devaient être ressaisis lorsqu’une modification était apportée.       

III. Contre-preuve de l’employeur

111 L’employeur a fait témoigner Céline Chauret, gestionnaire du groupe des SNRP. Mme Chauret a expliqué qu’il y a deux méthodes qui sont utilisées par les agents de prestation lorsqu’ils doivent modifier un T4 et que chaque méthode permet de modifier des champs précis. La méthode du duplicata permet uniquement la modification de l’adresse du bénéficiaire alors que l’amendement permet de modifier plusieurs champs. Les champs qui peuvent être modifiés selon chacune des méthodes sont identifiés en couleur. Lorsque des modifications sont apportées, l’agent n’a pas à retranscrire tous les renseignements apparaissant sur le T4 original. Au contraire, Mme Chauret a affirmé que pour changer l’information dans un champ donné, l’agent doit écraser ou effacer l’information apparaissant dans le champ puisque l’information originale demeure à moins que l’agent ne la modifie.  

IV. Résumé de l’argumentation

A. Pour l’employeur

112 Le procureur de l’employeur a indiqué que le sort du litige reposait essentiellement sur la crédibilité à accorder aux témoins entendus et que l’évaluation de la preuve devait se faire suivant la prépondérance des probabilités. Reconnaissant que la version de Mme Pagé était complètement différente de celle soutenue par l’employeur, le procureur de l’employeur a soutenu qu’il m’appartenait de trancher et de déterminer laquelle des deux histoires était la plus probable et qu’une analyse de la preuve m’amènerait à conclure que la version de l’employeur était la plus probable que celle de Mme Pagé.

113 Discutant la preuve soumise de part et d’autre, le procureur de l’employeur a soutenu que certains éléments soulevaient des doutes sérieux sur la crédibilité de Mme Pagé, ce qui avait comme conséquence de discréditer l’ensemble de sa version. Sans faire une analyse exhaustive de toute la preuve qui a été présentée, il a insisté sur certains éléments qu’il a jugés déterminants.  

114 Il a dans un premier temps insisté sur le fait que Mme Pagé avait nié ses liens familiaux avec R.G. et C.G. lors de la rencontre du 9 janvier 2007. L’employeur s’est appuyé à cet égard sur le témoignage de Mme Allouch qui a rapporté que Mme Pagé avait nié ses liens familiaux avec R.G. et C.G. lors de la rencontre du 9 janvier 2007 et sur le témoignage de Mme Chauret. Cette dernière a déclaré qu’à la suite de la rencontre avec Mme Pagé à laquelle elle n’avait pas elle-même participé, Mme Allouch était venue la voir pour lui demander si elle était certaine de l’existence du lien de famille entre Mme Pagé, R.G. et C.G., parce que Mme Pagé avait nié ce lien lors de la rencontre. Le procureur de l’employeur a soutenu que le témoignage de Mme Chauret, même s’il était constitué de ouï-dire, était admissible parce que la déclaration de Mme Allouch était contemporaine à la déclaration qu’elle rapportait.

115 L’employeur a soutenu que pour retenir la version de Mme Pagé suivant laquelle elle a admis ses liens familiaux avec R.G. et C.G. lors de la rencontre du 9 janvier 2007, je devrais conclure que Mme Allouch et Mme Chauret s’étaient trompées et que pour un motif pernicieux, Mme Allouch n’aurait pas donné l’heure juste à Mme Chauret à la suite de la rencontre avec Mme Pagé. L’employeur a soutenu que la prépondérance des probabilités fait pencher la balance en faveur de la véracité des témoignages de Mme Allouch et de Mme Chauret. Le procureur de l’employeur a soutenu que le fait que Mme Pagé n’avait pas été ouverte et franche en regard de ses liens familiaux à la première occasion, mettait en doute sa crédibilité et la véracité de toute son histoire.

116 Dans un second temps, le procureur de l’employeur a insisté sur la question du conflit d’intérêts et il a soutenu qu’il était invraisemblable de croire que Mme Pagé n’ait pas su qu’il n’était ni permis, ni approprié de traiter le dossier des membres de sa famille. Commentant le témoignage de Mme Pagé voulant qu’il n’y avait pas de politique claire à cet égard, il a indiqué que mis à part les politiques qui avaient été mises en preuve, le seul bon sens dicte qu’il n’est pas approprié pour un agent de prestations de traiter les demandes de prestations des membres de sa famille ou de modifier le T4 de membres de sa famille. De l’avis de l’employeur, il est inconcevable de penser qu’un employé de la fonction publique fédérale ait besoin de se faire dicter clairement qu’il ne peut pas traiter les dossiers qui impliquent des membres de sa famille. Le procureur a soumis qu’il était illogique de croire que Mme Pagé, qui cumulait plus de 18 ans d’expérience, ne savait pas que son comportement était inapproprié. Il a soumis au surplus qu’il était absurde de soutenir qu’il n’était pas inapproprié de traiter les dossiers de membres de sa famille. Le procureur de l’employeur a soutenu que les déclarations de Mme Pagé relativement aux règles relatives aux conflits d’intérêts n’étaient pas crédibles et discréditaient la totalité de son témoignage.    

117 Comme troisième élément, le procureur de l’employeur a insisté sur l’absence de vérification de la part de Mme Pagé avant d’émettre les paiements prioritaires. À cet égard, il a soutenu qu’il était invraisemblable d’imaginer que Mme Pagé aurait émis les paiements prioritaires à sa demi-sœur sur la seule foi de la déclaration de celle-ci voulant qu’elle n’avait pas reçu de prestations pour la période de 1997 à 2000 et d’une consultation sommaire du système informatisé des opérations. Le procureur de l’employeur a soumis qu’il était impensable de croire que Mme Pagé, qui faisait partie d’une équipe d’agents spécialisés, n’aurait pas effectué de vérifications plus exhaustives. Il a également soutenu qu’il était tout aussi invraisemblable de croire Mme Pagé lorsqu’elle soutient ne pas se souvenir avoir travaillé dans le dossier de sa demi-sœur.

118 Le procureur de l’employeur m’a invitée à faire une analyse exhaustive de tous les autres éléments de preuve qui militent à son avis en faveur de la version des événements présentée par l’employeur.

119 Anticipant l’argument de la partie syndicale voulant que la conduite irréprochable de Mme Pagé entre 2003 et 2006 militait en faveur de la survie du lien de confiance, le procureur a soutenu que pour mesurer la confiance que pouvait avoir l’employeur envers un employé, l’employeur devait avoir en main tous les éléments. Or, en l’espèce, l’écoulement du temps entre 2003 et 2006 n’était pas pertinent pour mesurer l’impact des gestes de Mme Pagé sur la survie du lien de confiance puisque l’employeur n’avait pas connaissance des gestes d’inconduite de Mme Pagé.

120 Le procureur de l’employeur a également soumis que les allégations de Mme Pagé voulant qu’elle aurait agi autrement si elle avait voulu camoufler ses gestes et qu’elle aurait pu réduire le T4 à zéro, ne peut aucunement constituer une défense valable.

121 L’employeur a soumis que la preuve avait démontré que Mme Pagé avait commis une faute en traitant le dossier de son beau-père et de sa demi-sœur et qu’elle avait commis une inconduite grave en accordant à sa sœur des prestations auxquelles elle n’avait pas droit. L’employeur a soutenu que Mme Pagé savait ou, à tout le moins, elle devait savoir que sa conduite était totalement inappropriée.

122 Au niveau de la sanction, l’employeur a soutenu que la gravité de l’inconduite était telle qu’elle justifiait la sanction du congédiement parce que le lien de confiance nécessaire au maintien de son emploi était irrémédiablement rompu.

123 L’employeur a appuyé ses prétentions sur plusieurs décisions. Il a fait référence à la décision rendue dans Gannon c. Conseil du Trésor (Défense Nationale), 2002 CRTFP 32, dans laquelle le commissaire avait énoncé au paragraphe 127 que « l’employeur n’est pas tenu d’adopter une politique sur le bon sens, ni d’inculquer du bon sens à ses fonctionnaires ». Le procureur de l’employeur a soutenu que ce principe s’appliquait en l’espèce puisque la règle relative au traitement des dossiers des membres de la famille et aux conflits d’intérêts relevait du bon sens. L’employeur s’est également appuyé sur Threader c. Conseil du Trésor (Revenu Canada, Douanes et Accise), dossier de la CRTFP 166-2-15264 (19860114) pour soutenir que le congédiement constituait une sanction appropriée en présence de fautes relatives à des conflits d’intérêts.

124 L’employeur a également fait référence à la décision Lalla c. le Conseil du Trésor, dossier de la CRTFP 166-2-23969 (19990113) dans laquelle l’arbitre a déclaré que la responsabilité repose sur le fonctionnaire de s’assurer qu’il ne se place pas dans une situation de conflit d’intérêt. L’employeur s’est également appuyé sur McIntyre c. le Conseil du Trésor (Revenu Canada-Douanes et Accise), dossier de la CRTFP 166-2-25417 (19940718) pour soutenir que même si l’employeur ne faisait pas la preuve de tous les motifs allégués au soutien du congédiement, le motif relié au conflit d’intérêts était en soi suffisant pour justifier un congédiement. Ainsi, l’employeur a soutenu que si, en l’espèce, je ne concluais pas que Mme Pagé avait commis une fraude à l’endroit du gouvernement du Canada, le conflit d’intérêts dans lequel elle s’était placée était suffisant pour justifier son congédiement. L’employeur a également fait référence à Renouf c. Conseil du Trésor, dossiers de la CRTFP 166-2-27766 et 166-2-27865 (19980618) pour appuyer sa prétention que le montant en jeu n’est pas déterminant pour décider de la rupture du lien de confiance. L’employeur s’est enfin appuyé sur Brazeau c. Conseil du Trésor (ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux), 2008 CRTFP 62, invoquant que cette affaire mettait en cause les mêmes principes que ceux soulevés en l’espèce.

B. Pour la fonctionnaire s’estimant lésée

125 La représentante de Mme Pagé a soumis que la preuve démontrait un tableau beaucoup moins sombre que celui présenté par l’employeur.

126 Elle a insisté sur la bonne foi de Mme Pagé lorsqu’elle a traité la demande de sa demi-sœur, insistant qu’elle avait commis une erreur en n’inscrivant pas la bonne période afférente aux prestations et que d’autres erreurs avaient découlées de cette première erreur : elle avait émis un deuxième paiement pour la même période erronée et les calculs de la prestation avaient été faits sur la base des mauvais taux. Elle a soutenu que Mme Pagé croyait sincèrement que C.G. avait droit aux prestations puisque le système informatisé ne montrait pas que des prestations au bénéfice de C.G. avaient été versées dans le compte de son beau-père et ce dernier n’avait pas réalisé qu’il recevait les prestations destinées à sa fille.

127 Elle a également insisté sur le témoignage de Mme Pagé relativement à l’absence de vérifications des demandes de paiement de la part des collègues et de la gestionnaire, indiquant que son témoignage à cet égard n’avait pas pour objet de faire porter le blâme sur l’employeur, mais plutôt de démontrer que si les vérifications avaient été effectuées, l’erreur aurait été décelée dès le premier paiement.

128 La représentante de Mme Pagé a de plus insisté sur le fait que Mme Pagé vivait une période très difficile en 2003 au moment des événements.

129 Revenant sur la réunion du 9 janvier 2007, la représentante de Mme Pagé a soutenu qu’il était faux de prétendre qu’il n’y avait que deux versions : celle de Mme Allouch ou celle de Mme Pagé. Elle a indiqué que dans le cadre de son témoignage, Mme Ferland avait affirmé que Mme Pagé était extrêmement surprise et choquée par les allégations mais qu’elle n’avait pas nié ses liens familiaux.

130 Elle a également discuté de la déclaration de M. Dupras selon laquelle il n’avait jamais vu un NAS saisi de la façon dont Mme Pagé l’avait saisi lorsqu’elle avait entré le numéro de client de R.G. La représentante de Mme Pagé a insisté sur l’importance de cet élément qui, à son avis, a constitué la base de l’allégation de fraude à l’endroit de Mme Pagé qui, selon l’employeur, aurait tenté de camoufler ses méfaits. Or, elle a affirmé que le témoignage de monsieur Dupras à cet égard avait été clairement contredit par le témoignage de Mme Gauthier et par l’écran de recherche qui avait été déposé lors de son témoignage. Mme Gauthier a déclaré qu’en 2003, les NAS étaient saisis en insérant une espace après chaque suite consécutive de trois chiffres. La représentante de Mme Pagé a soutenu que Mme Pagé avait complété les demandes de paiements en respectant la procédure qui s’appliquait à cette période.

131 La représentante de Mme Pagé a également soulevé l’inconsistance de la déclaration de Mme Allouch relativement aux amendements de T4 qui, selon elle, nécessiteraient une autorisation préalable. La preuve prépondérante aurait plutôt démontré que les agents avaient le pouvoir de modifier des T4 sans autorisation d’un tiers, tel que l’a affirmé Mme Gauthier.

132 La représentante de Mme Pagé a également insisté sur le fait que Mme Pagé a collaboré à l’enquête et mis toute l’information et la documentation qu’elle pouvait à la disposition de l’enquêteuse, suggérant même qu’une enquête sur son crédit soit effectuée.

133 La représentante de Mme Pagé a soutenu que l’employeur n’avait pas relevé le fardeau de preuve qui lui incombait, surtout de prouver la fraude, et que la seule personne qui aurait pu éclairer le tribunal était la gestionnaire de Mme Pagé en 2003, Mme Legros, que l’employeur avait choisi ne pas faire témoigner.

134 En regard de la sanction imposée par l’employeur, la représentante de Mme Pagé a soutenu que la discipline devait être corrective et non punitive et qu’elle devait être proportionnelle à la faute. Elle a ajouté qu’en l’espèce, Mme Pagé reconnaît avoir commis une faute en traitant le dossier de sa demi-sœur, mais qu’elle n’a jamais eu l’intention de commettre une fraude et qu’elle n’avait pas versé à C.G. un montant plus élevé que celui qu’elle aurait versé à une autre personne dans les mêmes circonstances.

135 La représentante de Mme Pagé a également insisté sur le fait que si Mme Pagé avait voulu camoufler les paiements qu’elle a faits, elle aurait pu choisir de procéder par le biais d’une mise à jour du dossier qui n’impliquait pas de contre-vérifications. Elle a indiqué que Mme Pagé avait choisi de procéder par des paiements prioritaires pour deux raisons : c’était plus rapide et c’était plus sécuritaire en raison des étapes de vérification.

136 La représentante de Mme Pagé a soutenu qu’il y avait plusieurs circonstances atténuantes qui justifiaient une peine moins sévère que le congédiement. À cet égard, elle a insisté sur les années de service de Mme Pagé, sur son dossier d’emploi sans tache et sans mesures disciplinaires, sur la pression et les problèmes qu’elle vivait à cette époque dans sa vie privée, sur le manque de clarté des politiques internes à l’égard du traitement des dossiers des membres de la famille, sur le fait que Mme Pagé reconnaissait ses erreurs et que la réhabilitation de Mme Pagé était possible puisqu’elle n’avait tiré aucun bénéfice personnel de ses erreurs. La représentante de Mme Pagé a insisté sur le fait que le lien de confiance n’était pas rompu de façon irrémédiable.

137 La représentante de Mme Pagé a appuyé ses prétentions sur plusieurs décisions. Elle a fait référence à Jalal c. le Conseil du Trésor (Solliciteur Général – Service correctionnel du Canada), dossier de la CRTFP 166-2-27992 (19990421) et plus particulièrement au passage suivant :

[…]

En conséquence, je suis convaincu que le geste de M. Jalal était un geste isolé qui, tout en étant grave, résulte davantage d’une erreur de jugement que d’un manque d’intégrité rendant impossible le maintien du lien de confiance nécessaire à la relation d’emploi. Je conclus que l’affirmation par l’employeur que le lien de confiance est irrémédiablement rompu n’est pas raisonnable dans les circonstances et que la preuve indique raisonnablement que, à l’avenir, M. Jalal peut être digne de confiance. 

[…]

138 Elle a offert un parallèle entre Jalal et le présent dossier en soutenant que les deux paiements émis par Mme Pagé devaient être considérés comme un événement unique et donc comme une faute isolée qui démontrait une erreur de jugement de la part de Mme Pagé et non un manque d’intégrité.

139 Elle a également fait référence à Beaulne c. Conseil du Trésor, dossier de la CRTFP 166-2-27737 (19970923) au soutien de son argument suivant lequel l’employeur devait assumer une part de responsabilité découlant de l’omission de vérifier les demandes de paiements préparées par Mme Pagé. Elle a également fait référence à Charlebois c. Conseil du Trésor (ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences), 2006 CRTFP 19, qui mettait en cause le même ministère et où il était question du laxisme de l’employeur. Elle a insisté sur le fait que, dans cette affaire, le fonctionnaire qui avait traité sa propre demande de prestations avait été réintégré. Elle a également appuyé sa position sur Amarteifio c. Conseil du Trésor (Citoyenneté et Immigration Canada), dossier de la CRTFP 166-2-25829 (19950704) dans laquelle l’employé, à qui on reprochait d’avoir fait des démarches en vue d’obtenir un traitement de faveur pour un membre de sa famille, avait également été réintégré.

V. Réplique de l’employeur

140 Le procureur de l’employeur a insisté sur deux éléments. Dans un premier temps, il a commenté l’affirmation de la représentante de Mme Pagé voulant que Mme Ferland aurait confirmé que Mme Pagé n’avait pas nié ses liens familiaux lors de la rencontre du 9 janvier. Il a indiqué que cette interprétation n’était pas exacte et que le témoignage de Mme Ferland était neutre sur la question.

141 Il a également commenté l’allégation voulant que Mme Legros, qui était la gestionnaire de Mme Pagé en 2003, n’avait pas témoigné en indiquant que l’employeur était maître de sa preuve, qui était par ailleurs suffisante, et qu’il n’avait pas besoin de faire témoigner chaque personne qui avait été impliquée dans le dossier. Il a ensuite indiqué qu’il existait des distinctions factuelles importantes entre les décisions invoquées par Mme Pagé et le présent dossier.                

VI. Motifs

142 Pour disposer du présent grief, je dois, dans un premier temps, déterminer si l’employeur a établi, selon la prépondérance des probabilités, les reproches formulés à l’endroit de Mme Pagé. Le cas échéant, je devrai ensuite déterminer si le congédiement constituait la sanction appropriée.

143 L’employeur reproche à Mme Pagé d’avoir commis une fraude contre le gouvernement fédéral en payant des prestations du Régime de pensions du Canada à sa demi-sœur, consciente qu’elle n’y avait pas droit.

144 La preuve présentée a été largement contradictoire et les parties invoquent des thèses qui sont diamétralement opposées : l’employeur prétend que Mme Pagé a versé des prestations à sa demi-sœur pour la période de 2001 à 2003 tout en sachant qu’elle n’était pas admissible à de telles prestations. Mme Pagé reconnaît avoir versé des prestations à sa demi-sœur pour la période en cause, mais elle allègue s’être trompée de bonne foi quant à la période visés par les paiements. Elle soutient que dans les faits, elle voulait lui verser des prestations pour la période de 1997 à 2000, au cours de laquelle sa demi-sœur était admissible à des prestations, et alors qu’elle croyait que cette dernière n’avait pas reçu les prestations auxquelles elle avait droit.

145 Mon analyse de la preuve m’amène à conclure que la version des faits soumise par l’employeur est plus probable que celle soutenue par Mme Pagé. Avant d’aborder les éléments qui sous-tendent cette conclusion, je tiens à préciser que certaines allégations de l’employeur ont été écartées de mes considérations.

146 La première allégation a trait à la méthode de saisie du NAS utilisée par Mme Pagé lorsqu’elle a entré les renseignements relatifs aux paiements dans le fichier informatique. J’estime ne pas être en mesure de tirer des conclusions claires de la preuve qui a été soumise. Deux témoins qui n’avaient aucun intérêt à mentir et qui étaient tout aussi crédibles l’un que l’autre, qui occupaient tous les deux des fonctions d’agent de prestations en 2003, ont fait des déclarations opposées relativement à la procédure standardisée applicable en 2003. Comme le fardeau de la preuve appartient à l’employeur, je conclus que l’employeur n’a pas établi, selon la prépondérance des probabilités, que la méthode applicable en 2003 requérait la saisie de tous les chiffres de façon consécutive. Par conséquent, j’écarte toute conclusion suivant laquelle Mme Pagé aurait délibérément saisi le NAS de R.G. de façon non standardisée et ce afin de rendre les paiements effectués difficilement retracables.

147 J’ai également écarté de mes considérations l’allégation suivant laquelle Mme Pagé aurait nié ses liens familiaux avec C.G. et R.G. lors de la rencontre du 9 janvier 2007. L’employeur a fondé son allégation sur le témoignage de Mme Allouch qui était présente à la rencontre et sur celui de Mme Chauret, qui bien que n’ayant pas été témoin de la déclaration de Mme Pagé, rapportait une conversation qu’elle avait eue avec Mme Allouch, qui elle rapportait les propos de Mme Pagé. Deux éléments me rendent perplexe à l’égard de cette preuve : d’une part, Mme Allouch, qui a témoigné sur plusieurs éléments, n’a pas elle-même témoigné de la conversation qu’elle aurait eue avec Mme Chauret. D’autre part, Mme Ferland, qui a elle aussi témoigné sur plusieurs éléments, n’a pas témoigné relativement à la déclaration que lui aurait fait Mme Pagé en réponse à une question qu’elle lui aurait elle-même posée. Mme Pagé, pour sa part, a déclaré avoir admis ses liens familiaux lors de cette rencontre. Comme il a clairement été établi que Mme Pagé était sous le choc durant cette rencontre, il est possible qu’elle n’ait pas de souvenir précis de sa réponse ou encore que sa réponse n’ait pas été claire. Je conclus de l’ensemble de ces éléments que l’employeur n’a pas établi, selon la prépondérance des probabilités, que Mme Pagé a nié ses liens familiaux lorsqu’elle a été questionnée à cet égard le 9 janvier 2007.     

148 J’ai écarté un troisième élément, soit celui relatif à la nécessité ou non pour les agents d’obtenir une autorisation préalablement à la modification d’un T4. J’estime que la preuve probante démontre que les agents de prestations avaient le pouvoir d’amender les T4. J’exclus donc toute conclusion suivant laquelle Mme Pagé aurait omis d’obtenir une autorisation avant de modifier le T4 de C.G. Je reviendrai un peu plus loin, par ailleurs, sur l’objet de la modification en cause.

149 Même après avoir écarté ces éléments, certains indices m’amènent à retenir la version de l’employeur comme étant plus probable que celle de Mme Pagé. Dans un premier temps, pour retenir la version présentée par Mme Pagé, je dois conclure :

  • Que Mme Pagé ne se souvient pas avoir traité, à trois reprises entre 1997 et 2000, les demandes de prestations de sa demi-sœur;
  • Que Mme Pagé s’est trompée de bonne foi en indiquant que les montants du premier paiement correspondaient à des prestations pour la période de janvier 2001 à décembre 2001, au lieu de 1997 à 1998;
  • Qu’après avoir fait un premier paiement, Mme Pagé s’est de nouveau trompée de bonne foi en indiquant que le deuxième paiement correspondait à la période de janvier 2001 à décembre 2003 au lieu de 1997 à 2000, alors qu’une partie de cette période était déjà couverte par le premier versement effectué quelques jours auparavant;
  • Que Mme Pagé n’a pas reçu le message d’erreur (le ECC) qui aurait été généré par le système lorsqu’elle a tenté de rétablir dans le système (mettre en paye) le paiement des prestations avant de procéder au moyen de paiements prioritaires;
  • Que Mme Pagé a fait des vérifications qu’elle considérait suffisantes quant à l’admissibilité de C.G. aux prestations avant de procéder aux paiements prioritaires;
  • Que les pièces justificatives afférentes aux paiements n’ont pas été classées au dossier de C.G., vraisemblablement parce qu’elles ont été perdues;
  • Que Mme Pagé ne sait pas que pour modifier une adresse sur un T4, la méthode appropriée est l’amendement qui permet uniquement de modifier l’adresse;
  • Que pour modifier l’adresse d’un T4, l’agent de prestations doit reproduire tous les renseignements apparaissant sur le T4 original et qu’en l’espèce, Mme Pagé a dû commettre une erreur de transcription en inscrivant un montant imposable de 816,71 $ au lieu de 8 167,71 $.
  • Que Mme Pagé ne connaît pas les règles relatives au conflit d’intérêts notamment celles relatives au traitement des dossiers des membres de la famille.

150 Pris isolément, chacun de ces éléments peut sembler vraisemblable. J’estime toutefois, qu’envisagés dans leur ensemble, ils ne résistent pas à l’analyse. Avec égard, j’estime que la version des faits soutenue par Mme Pagé sous-tend une succession d’erreurs, d’irrégularités et d’erreurs de jugement trop nombreuses pour m’apparaître crédible.

151 Au départ, je trouve surprenant que Mme Pagé ne se souvienne pas avoir traité, à trois reprises entre 1997 et 2000, les demandes de prestations de sa demi-sœur.

152 Je demeure également perplexe à l’égard de la façon dont Mme Pagé affirme avoir traité le dossier de sa demi-sœur. Mme Pagé travaille au sein d’une équipe d’agents de prestations spécialisés qui possèdent l’expertise et les connaissances requises pour traiter des dossiers complexes. La preuve a établi que les agents des SNRP avaient beaucoup de latitude dans leur travail qui impliquait plusieurs procédures manuelles, ce qui requerrait de la rigueur et de la minutie de leur part. Si je retiens les explications de Mme Pagé, je devrai par la même occasion conclure qu’elle a fait preuve de négligence ainsi que d’un manque de prudence et de rigueur élémentaires. Or, je n’ai aucun élément de preuve qui puisse m’inciter à penser que Mme Pagé était incompétente ou qu’elle était négligente dans son travail. Mme Pagé est une agente expérimentée qui a un dossier d’emploi sans tache. Les éléments suivants m’incitent davantage à penser que Mme Pagé agissait en toute connaissance de cause.  

153 D’abord, je suis hésitante à retenir, qu’à deux reprises, Mme Pagé ait pu commettre des erreurs sur la période d’admissibilité de sa demi-sœur aux prestations. Si Mme Pagé avait en main, telle qu’elle l’a indiqué dans son témoignage, les documents de demandes de prestations remplies par sa demi-sœur et par les institutions scolaires, desquelles elle prenait les renseignements pertinents à la préparation des paiements, je trouve curieux qu’elle puisse s’être méprise à deux reprises sur un élément aussi important que la période d’admissibilité et qu’elle ne se soit pas rendu compte de son erreur avant la fin du processus de traitement des demandes. Je trouve encore plus curieux d’imaginer que lorsqu’elle a préparé le deuxième paiement, non seulement elle se serait de nouveau trompée sur la période d’admissibilité, mais qu’en plus elle aurait émis, sans s’en rendre compte, un paiement pour la période de janvier à décembre 2001, qui était déjà couverte par le premier paiement. Mme Pagé a expliqué qu’elle avait émis deux paiements parce que sa demi-sœur avait fréquenté deux institutions scolaires différentes. Je présume que les périodes de fréquentation différaient pour chacune des institutions scolaires, alors pourquoi avoir inclus la période visée par le premier paiement dans le second?

154 J’ai également beaucoup de difficulté à croire que Mme Pagé se serait contentée de vérifier si des prestations avaient été versées dans le compte bancaire de sa demi-sœur avant d’émettre des chèques prioritaires pour un montant de plus de 6 000 $. Mme Pagé a reconnu qu’une bénéficiaire de prestations d’enfant d’un cotisant invalide doit indiquer dans quel compte bancaire elle souhaite que soient versées ses prestations. Considérant le lien entre le versement de prestations à C.G. et le dossier de R.G., la prudence la plus élémentaire aurait entraîné une vérification au dossier informatisé de R.G. ou encore au dossier physique pour vérifier si les versements étaient faits dans un compte autre que le sien, notamment dans celui de son père. Mme Pagé a elle-même témoigné de l’importance de la rigueur lorsqu’elle faisait référence au travail de contre-vérification des demandes de paiement. Je suis incapable de franchir le pas nécessaire pour conclure qu’avec toute son expérience, Mme Pagé aurait fait preuve d’une telle négligence en traitant un dossier aussi sensible que celui d’un membre de sa famille. La preuve n’a pas non plus démontré que l’état de santé de Mme Pagé pouvait justifier une telle négligence. Une conclusion à cet égard aurait requis une preuve médicale bien étoffée appuyée du témoignage d’un médecin. Le témoignage de Mme Pagé, suivant lequel elle vivait une période difficile, qu’elle était au bout du rouleau et que son médecin lui avait suggéré un arrêt de travail, est nettement insuffisant pour suggérer que Mme Pagé aurait commis une succession d’erreurs attribuables à une condition médicale.

155 Un autre élément me laisse perplexe. Avant d’émettre les paiements prioritaires, Mme Pagé a tenté de rétablir (mettre en paye) les prestations dans le système des opérations qui a généré un message d’erreur (un ECC) qui précise la raison du refus de rétablir les prestations. La preuve est contradictoire quant au moment où le message est reçu par l’agent qui fait la demande. M. Dupras a indiqué que le message est généré par le système et que l’agent reçoit le message qui précise le motif de refus. Le rapport d’enquête de Mme Heon rapporte les entretiens qu’elle a eus avec les collègues de Mme Pagé qui auraient indiqué que lorsque le système signale une non-admissibilité, une enquête plus poussée est entreprise pour vérifier l’admissibilité de la personne. Je comprends de ces commentaires que les agents reçoivent le message d’erreur et qu’ils procèdent à des vérifications plus poussées avant de verser autrement des prestations. Dans son rapport d’enquête, Mme Heon a indiqué que lors de l’interrogatoire, Mme Pagé avait expliqué que lorsque le système a refusé sa tentative de rétablir le paiement, elle a pensé que le système avait fait une erreur. Si telle est l’explication qui a été donnée par Mme Pagé, pourquoi ne pas avoir poussé un peu plus loin les vérifications avant de présumer que le système avait fait une erreur.

156 Dans son témoignage, Mme Pagé a nié avoir fait cette déclaration aux enquêteurs. Elle n’a toutefois pas expliqué pourquoi elle avait d’abord tenté de rétablir les prestations dans le système des opérations, mais elle a déclaré qu’il y avait parfois un délai d’un mois avant qu’un message d’erreur ne soit reçu. Elle a toutefois déclaré avoir procédé par paiements prioritaires parce qu’il s’agissait d’un paiement rétroactif et que cette procédure était rapide. Je suis étonnée que Mme Pagé n’ait pas expliqué pourquoi elle avait d’abord tenté de rétablir les paiements dans les systèmes des opérations, si de toute façon, elle privilégiait la procédure des paiements prioritaires. Quant au message d’erreur, je suis portée à croire qu’il est plus probable qu’il soit généré par le système dès qu’une transaction est refusée. Si toutefois Mme Pagé n’a pas reçu le message d’erreur, elle a certainement compris que le système refusait sa demande puisqu’elle a ensuite procédé au moyen de paiements prioritaires. Or, le refus du système de générer le paiement, même sans message indiquant le motif du refus, aurait dû susciter des doutes dans son esprit quant à l’admissibilité de C.G. aux prestations.

157 Je suis également hésitante à penser que les pièces justificatives relatives aux paiements prioritaires aient été perdues alors que les collègues de travail de Mme Pagé ont indiqué aux enquêteurs que, bien qu’il puisse y avoir des délais, les documents finissent par être classés dans les dossiers physiques.

158 Un autre élément, à mon sens, ébranle sérieusement la version de Mme Pagé et c’est celui relatif à la modification du T4. Dans un premier temps, j’ai de la difficulté à croire que Mme Pagé, qui a 18 ans d’expérience, ne se souvienne pas des deux méthodes utilisées pour modifier des T4. Je suis également hésitante à croire que peu importe la méthode utilisée pour modifier un T4, l’agent doit reproduire tous les renseignements apparaissant sur le T4 original. À cet égard, je préfère le témoignage de Mme Chauret à celui de Mme Pagé. Mme Chauret a expliqué que la procédure de l’amendement était la procédure appropriée pour modifier uniquement une adresse et que, peu importe la procédure utilisée, l’agent n’avait pas à re-saisir tous les renseignements apparaissant sur le T4 original. Je considère que son témoignage était neutre et que l’explication donner par Mme Chauret est logique. Un T4 est généré de façon automatique par le système lors du versement d’un montant imposable. Il serait illogique de penser que le système soit conçu de façon à ce qu’une simple modification d’adresse requiert une re-saisie de toutes les données apparaissant sur le T4 original avec le risque d’erreurs qu’un tel processus entraîne. Je conclus donc que la preuve probante établit que Mme Pagé n’avait pas à re-saisir toutes les données apparaissant sur le T4 original si elle voulait procéder à un simple changement d’adresse. La seule conclusion logique est qu’elle a volontairement modifié le montant imposable apparaissant sur le T4 pour réduire l’impact fiscal de ces versements pour C.G. Cet élément est déterminant quant à la crédibilité à accorder aux explications de Mme Pagé fondées sur l’erreur puisqu’il indique un élément intentionnel. Si Mme Pagé a versé les prestations parce qu’elle croyait à tort que C.G. y avait droit, pourquoi avoir modifié le montant imposable inscrit sur le T4?    

159 Je suis également hésitante à croire que Mme Pagé n’avait pas connaissance des règles traitant des conflits d’intérêts contenues dans le Code et au manuel du RPC. D’abord, la lettre d’embauche signée en 1992 renvoie à l’obligation de se conformer au Code. De plus, les témoignages de Mme Allouch, de Mme Ferland et de M. Rath-Wilson démontrent que ces règles étaient connues des employés. Les entretiens que Mme Heon a eus avec des collègues de Mme Pagé démontrent également que les employés savent qu’ils ne doivent pas traiter les dossiers des membres de leur famille.

160 Mon analyse de la preuve m’amène donc à conclure que suivant la prépondérance des probabilités, Mme Pagé a payé des prestations au bénéfice de sa demi-sœur, sachant qu’elle n’y avait pas droit.

161 Le Code stipule des valeurs de la fonction publique et des mesures qui traitent des cas de conflit d’intérêts. Il contient notamment les provisions suivantes :

Objectifs du Code

Le présent Code de valeurs et d’éthique de la fonction publique met de l’avant les valeurs et l’éthique de la fonction publique pour guider et supporter les fonctionnaires dans toutes leurs activités professionnelles. Le Code servira à conserver et à accroître la confiance du public dans l’intégrité de la fonction publique, tout en renforçant le respect et la reconnaissance du rôle que celle-ci est appelée à jouer au sein de la démocratie canadienne.

[…]

Valeurs liées à l’éthique : Agir en tout temps de manière à conserver la confiance du public.

[…]

La conduite des fonctionnaires doit pouvoir résister à l’examen public le plus minutieux; cette obligation ne se limite pas à la simple observation de la loi.

Dans l’exercice de leurs fonctions officielles, les fonctionnaires doivent prendre toute décision dans l’intérêt public.

[…]

Mesures pour éviter les situations de conflit d’intérêts

Le fait d’éviter et d’empêcher les situations pouvant donner lieu à un conflit d’intérêts ou à l’apparence d’un conflit, est l’un des principaux moyens grâce auxquels un fonctionnaire conserve la confiance du public à l’égard de l’impartialité et de l’objectivité de la fonction publique.

Les présentes mesures relatives aux conflits d’intérêts sont adoptées à la fois pour protéger les fonctionnaires contre les allégations de conflits d’intérêts et  pour aider ceux-ci à éviter les situations à risque. Le conflit d’intérêts ne touche pas exclusivement les questions d’opérations financières et de transfert d’avantage économique. Bien que l’activité financière en soit un volet important, elle n’est pas la seule source éventuelle de situations de conflit d’intérêts.

Il est impossible de prescrire une solution pour chaque situation pouvant donner lieu à un conflit réel, apparent ou potentiel. En cas de doute, les fonctionnaires doivent demander conseil à leur gestionnaire, au cadre supérieur désigné par l’administrateur général, ou à l’administrateur général, et se reporter aux valeurs de la fonction publique énoncées dan le chapitre 1 […]

[…]

Traitement de faveur

Au cours de la prise de décision liée à l’octroi de bienfaits financiers à des parties externes, les fonctionnaires doivent s’assurer qu’ils n’accordent aucun traitement de faveur ni aucune aide aux membres de leur famille ou à leurs amis.

[…]

162 Le manuel du RPC stipule pour sa part ce qui suit (l’extrait du manuel relatif à l’article 7-3-3 a été tiré du rapport d’enquête de Mme Heon puisque l’extrait déposé par l’employeur était limité aux articles 7-3-4 et 7-3-5) :

[…]

7-3-3 Il incombe aux employés de DRHC de ne pas attester, modifier ou traiter délibérément de toute autre façon une demande, un dossier ou un compte de prestations des PSR à leur nom ou à celui de collègues ou de parents par la sang ou par alliance (y compris les conjoints de faits), ou d’amis en leur capacité d’employés de DRHC. Cette condition englobe l’attestation de documents et tous les genres de traitement de prestations, y compris les appels. 

7-3-4 Traitement des demandes, dossiers et comptes des collègues, parents ou amis

Afin de maintenir les valeurs liées à l’éthique de DRHC et de respecter le code du gouvernement fédéral concernant les conflits d’intérêts, les procédures suivantes s’appliquent lors du traitement ou de la manipulation d’une demande, d’un dossier, ou d’un compte d’un employé de DRHC ou d’un parent ou ami de celui-ci :

Tout employé de DRHC qui reçoit une demande, un dossier ou un compte de prestations des PSR qui le concerne ou celui, d’un collègue, d’un ami ou d’un parent par le sang ou par alliance remettra la demande ou le dossier à son gestionnaire ou son chef d’équipe.

Remarque : Ces procédures s’appliquent aux demandes des employés actuels ou des anciens employés qui ont quitté le Ministère depuis moins d’un an de la réception de la demande, quels que soient les motifs de leur départ.

Le gestionnaire ou chef d’équipe assignera sans délai la demande ou le dossier à un autre employé qui n’est ni personnellement lié ni associé au client pour fins de traitement.

Remarque : Si l’on ne peut pas trouver un employé qui n’est ni personnellement lié ni associé au client, le gestionnaire ou chef d’équipe peut demander que le traitement soit effectué par une autre région ou par un autre secteur.

Si l’on découvre qu’un employé de DRHC traite sa demande personnelle aux PSR ou celle d’un parent ou d’un ami, on doit le signaler au gestionnaire ou chef d’équipe de l’employé.

S’il y a risque de conflit d’intérêts, les employés de DRHC qui agissent comme mandataires ou fiduciaires pour le compte d’un client des PSR devront se déclarer comme tel à leur gestionnaire ou chef d’équipe. Ainsi, ceux-ci pourront mieux gérer les charges de travail des employés et éviter de confier aux employés des dossiers pouvant donner lieu à un conflit d’intérêts.

7-3-5 Non-conformité

Un employé de DRHC trouvé à traiter une demande ou un dossier de prestations des PSR qui le concerne ou celui d’un parent ou d’un ami, ou à exercer toute autre influence sur le traitement d’une telle demande ou d’un tel dossier est sujet à des mesures disciplinaires conformément à l’article 33 du Code régissant les conflits d’intérêts et l’après mandat s’appliquant à la fonction publique, qui stipule que « tout employé qui ne se conforme pas aux dispositions prescrites aux parties I et II s’expose à des mesures disciplinaires, y compris, le cas échéant, le congédiement ».

Il incombe aux employés et aux gestionnaires de s’informer de ces procédures et de les respecter. En vertu des articles 7 et 8 du Code régissant les conflits d’intérêts et l’après-mandat s’appliquant à la fonction publique, les employés doivent signer un document attestant qu’ils ont lu et compris le Code et examiner leurs obligations en vertu de celui-ci au moins une fois par an. Les gestionnaires doivent prendre les mesures disciplinaires indiquées dans les cas où ces procédures ne sont pas respectées.

[…]  

163 Mme Pagé a clairement enfreint le Code et le manuel du RPC. L’inconduite commise par Mme Pagé heurte les principes de base relatifs à l’intégrité des fonctionnaires et de l’ensemble de la fonction publique. Sans aller jusqu’à qualifier les gestes de Mme Pagé de fraude, j’estime que, par sa conduite, Mme Pagé s’est placée en conflit d’intérêts en traitant le dossier de sa demi-sœur. Elle a accordé un traitement de faveur à un membre de sa famille et elle a commis un abus de confiance à l’endroit du gouvernement fédéral octroyant des prestations à une personne qui n’y était pas admissible.  

164 Je dois maintenant déterminer si, dans les circonstances, le congédiement constituait la sanction appropriée.

165 J’ai examiné l’ensemble de la jurisprudence invoquée de part et d’autre et j’en conclus que les arbitres considèrent à peu près tous les mêmes facteurs pour juger du caractère approprié d’une sanction, mais qu’ultimement, chaque dossier constitue un cas d’espèce qui doit être jugé selon les circonstances qui lui sont propres. Le poids à accorder à chacun des facteurs est aussi dicté par les circonstances particulières de chaque dossier.

166 En l’espèce, la représentante de Mme Pagé a invoqué plusieurs facteurs qui devraient, à son avis, être considérés comme des facteurs atténuants qui militent en faveur d’une sanction moins sévère que le congédiement. Elle a également soutenu que je devrais tenir compte du potentiel de réhabilitation de Mme Pagé et soumis que le lien de confiance n’avait pas été irrémédiablement rompu.

167 Outre les arguments de sa représentante, Mme Pagé a insisté à quelques reprises sur le processus d’enquête de l’employeur qu’elle a jugé inéquitable et injuste. Elle a entre autres reproché à l’employeur d’avoir confié l’enquête à une enquêteuse anglophone qui ne comprenait pas bien les explications qu’elle tentait de lui donner. Elle a également reproché à Mme Heon de ne pas avoir tenu compte de ses explications et d’avoir mal rapporté ses propos dans son rapport. Elle a de plus déclaré ne pas s’être sentie écoutée et avoir eu la perception que l’employeur la considérait coupable dès le début.

168 Je vais dans un premier temps m’attarder au processus d’enquête suivi par l’employeur. J’estime que Mme Pagé a eu raison de se plaindre du fait que l’enquêteuse, à qui l’employeur avait confié le mandat d’enquête, était unilingue anglophone. L’enquête entreprise par l’employeur était importante puisque les conclusions et recommandations de l’enquêteuse serviraient de base au sort que l’employeur réserverait à Mme Pagé. Il était donc important que l’employeur confie cette responsabilité à une personne qui avait l’expertise requise pour mener à bien l’enquête. À cet égard, je ne doute aucunement de l’expertise de Mme Heon, mais il est indéniable que ses compétences linguistiques en français sont limitées. Or, l’un des éléments essentiels de l’enquête résidait dans l’analyse de la version de Mme Pagé et si l’enquête était importante pour l’employeur, elle l’était tout autant, sinon plus, pour Mme Pagé. À mon sens, l’employeur avait la responsabilité de s’assurer que Mme Pagé puisse échanger dans sa langue avec les personnes chargées de l’enquête et qu’elle perçoive que ses propos étaient bien compris. Bien que l’interrogatoire de Mme Pagé ait été dirigé en français par monsieur Campeau, Mme Heon demeurait l’enquêteuse responsable de l’enquête et elle n’avait peut-être pas la capacité de bien saisir les propos de Mme Pagé. J’estime que Mme Pagé avait, à mon avis, une attente raisonnable à ce que la personne responsable de cette enquête puisse communiquer directement avec elle dans sa langue.  

169 Je n’estime toutefois pas que cette entorse soit suffisante pour conclure que le processus décisionnel de l’employeur n’a pas été juste et équitable à l’égard de Mme Pagé. Mme Pagé a eu l’occasion de donner sa version des faits avant que l’enquêteuse n’émette ses conclusions. L’interrogatoire de Mme Pagé a été dirigé par un collègue de Mme Heon qui était francophone. Mme Pagé a également eu l’occasion d’analyser le rapport d’enquête avec son représentant syndical et de soumettre ses commentaires. Elle a en outre eu l’occasion de faire valoir à l’employeur tous les facteurs atténuants qu’elle jugeait appropriés avant qu’une décision en regard de la sanction ne soit prise. Enfin, dans le cadre de l’audience, Mme Pagé a eu l’occasion de redonner sa version des faits et de corriger les propos qui étaient à son avis mal rapportés dans le rapport de Mme Heon.

170 Je vais maintenant aborder les facteurs atténuants et aggravants en commençant par les facteurs qui ont été invoqués par la représentante de Mme Pagé.

a) Les années de service et le dossier de Mme Pagé

171 Le dossier sans tache de Mme Pagé et son dossier disciplinaire vierge constitue en l’espèce des facteurs atténuants. J’ai un sentiment mitigée quant à la considération à apporter aux longs états de service de Mme Pagé. Bien que ce facteur soit généralement considéré comme militant en faveur d’une sanction moins sévère, j’estime qu’en matière d’abus de confiance et de conflit d’intérêts, la durée du service peut jouer en défaveur du fonctionnaire parce que la durée de service renforce la conviction que la personne sait ce qui constitue un conflit d’intérêts et peut en apprécier la gravité.

b) Le caractère isolé du manquement

172 Je partage l’opinion de la représentante de Mme Pagé relativement au caractère isolé de la faute. Ce qui est reproché à Mme Pagé, c’est d’avoir versé des prestations à sa demi-sœur alors qu’elle n’y avait pas droit. Bien qu’il y ait eu deux versements, j’estime qu’ils doivent être considérés comme étant partie d’un même événement. Ma conclusion aurait été différente si l’employeur avait également reproché à Mme Pagé d’avoir traité le dossier de son beau-père en 2001, mais cet élément n’a pas été mentionné dans la lettre de congédiement.

c) L’absence de bénéfice personnel

173 La preuve n’a pas démontré que Mme Pagé a tiré quelque bénéfice personnel de sa conduite et je suis d’avis que cet élément constitue un facteur atténuant. 

d) Le manque de clarté des politiques internes

174 Je considère que la preuve ne permet pas de soutenir l’allégation que les politiques de l’employeur en matière de conflit d’intérêts et de traitement des dossiers d’amis ou de membres de la famille n’étaient pas claires. Au contraire, je suis d’avis que le Code et le manuel du RPC établissent des règles non équivoques et qu’au surplus ces documents étaient facilement accessibles. Quant au principe selon lequel un fonctionnaire ne doit pas accorder de prestations à une personne qui n’y a pas droit, il se passe de commentaire.

175 Quant au manque de clarté de la procédure de travail relative à la saisie des NAS, j’ai déjà indiqué dans la section précédente que j’avais écarté cet élément de mes considérations.

176 Quant aux procédures de vérification des demandes de paiements, je conviens que le fait que les collègues de Mme Pagé n’ont pas fait les vérifications d’usage démontre un certain laxisme dans l’application des procédures de travail. À mon avis, toutefois, cet élément n’excuse pas la conduite de Mme Pagé et n’en atténue pas la gravité. 

e) La situation personnelle de Mme Pagé

177 Je reconnais qu’au moment des événements Mme Pagé semblait vivre une période difficile sur le plan personnel. Toutefois, la preuve n’a pas démontré que son état était tel qu’elle aurait pu manquer de jugement à ce point ou qu’il aurait pu justifier un manque d’intégrité.

f) La reconnaissance des erreurs

178 Mme Pagé a reconnu avoir commis une erreur en traitant le dossier de sa demi-sœur et elle a reconnu avoir commis des erreurs dans le traitement du dossier. Cette reconnaissance s’inscrivait toutefois dans le cadre de sa défense fondée sur la thèse des erreurs. Or, tel que je l’ai indiqué dans la section précédente, je n’ai pas retenu la version de Mme Pagé à cet égard et j’ai conclu que le versement des prestations avait été fait en toute connaissance de cause. Or, bien qu’elle reconnaisse qu’il était inapproprié de traiter le dossier de C.G., elle n’a aucunement reconnu le cœur de ce qui lui est reproché, c’est-à-dire d’avoir versé des prestations à sa demi-sœur, sachant que cette dernière n’y avait pas droit. Au contraire, elle a nié cette hypothèse au cours de l’enquête de l’employeur et a continué de la nier dans le cadre de l’audience. J’estime donc que la reconnaissance par Mme Pagé de ses erreurs ne peut être été invoquée comme facteur atténuant.

g) La collaboration à l’enquête

179 Je conviens que Mme Pagé a collaboré à l’enquête, mais toujours dans une perspective de défense fondée sur les erreurs. Dans ce contexte, mes commentaires à l’égard de la reconnaissance des erreurs sont tout aussi applicables et j’estime que la collaboration de Mme Pagé à l’enquête ne peut en l’espèce être invoquée comme un facteur atténuant.  

180 Outre les éléments soulevés par la représentante de Mme Pagé, j’estime que d’autres facteurs doivent être considérés dans l’appréciation du caractère approprié de la sanction imposée, notamment celui de la gravité objective de la faute. À cet égard, je considère que la nature de la fonction occupée par Mme Pagé constitue un élément important. Mme Pagé occupait un poste qui lui octroyait une très grande autonomie, beaucoup de latitude et des pouvoirs importants. Mme Pagé a elle-même indiqué qu’en procédant à une révision de dossier, elle avait le pouvoir d’émettre des paiements jusqu’à concurrence d’un montant de 99 999 $ et ce sans autorisation ni contre-vérification. Cette autonomie s’accompagne de responsabilités tout aussi importantes. Les fonctions des agents de prestations relèvent du domaine public. Les agents de prestations ont la responsabilité de verser des sommes d’argent selon les paramètres prévus aux programmes qu’ils administrent. En ce sens, ils agissent comme des fiduciaires des fonds publics.   

181 La nature des fonctions, des pouvoirs et des responsabilités des agents de prestations des SNRP requiert un très haut niveau de confiance. L’employeur est en droit d’attendre des agents de prestation du SNRP, un niveau très élevé d’intégrité et d’éthique. Dans ce contexte, je considère que l’inconduite de Mme Pagé constitue une faute grave.

182 J’estime également que l’attitude de Mme Pagé à l’égard de cette inconduite doit être prise en compte.

183 Relativement au conflit d’intérêts, Mme Pagé a reconnu qu’elle n’aurait pas dû traiter le dossier de sa demi-sœur, mais en même temps, elle n’a pas clairement admis qu’il était inacceptable de traiter les dossiers des membres de sa famille. Son attitude à cet égard a été pour le moins floue. Elle s’est contentée d’affirmer que les règles n’étaient pas claires et qu’il ne lui était pas venu à l’esprit que son comportement était inapproprié.

184 Quant au volet relatif à l’abus de confiance, Mme Pagé a nié avoir consciemment versé des prestations à sa demi-sœur auxquelles elle n’avait pas droit. Avec égards, j’estime que la prépondérance des probabilités ne supporte pas une telle conclusion, et que si Mme Pagé n’était pas consciente qu’elle versait des prestations auxquelles sa demi-soeur n’avait pas droit, il s’agit d’aveuglement volontaire. J’estime que Mme Pagé n’a pas été franche, qu’elle a tenté de minimiser sa responsabilité et qu’elle n’a pas manifesté de regrets. Cette attitude m’apparaît déterminante dans l’analyse de son potentiel de réhabilitation et dans la survie du lien de confiance avec son employeur. Le lien de confiance ne peut être préservé en l’absence de franchise. La réhabilitation, quant à elle, doit pouvoir s’envisager sur la base d’une reconnaissance des fautes et de la gravité des fautes. Or, en l’espèce, Mme Pagé ne m’a pas semblé saisir la gravité des fautes qu’elle avait commises. Même dans sa défense basée sur les erreurs, Mme Pagé m’a semblée désinvolte alors qu’elle tentait de minimiser ses supposées erreurs et de s’en déresponsabiliser. Son attitude me laisse perplexe quant à son potentiel de réhabilitation puisque je ne vois pas, en l’espèce, les assises sur lesquelles l’employeur pourrait fonder sa confiance en Mme Pagé.

185 Je considère que le présent dossier comporte des distinctions importantes avec les décisions soumises par la représentante de Mme Pagé. Dans Charlebois, l’arbitre a conclu, pour justifier la réintégration du fonctionnaire, que bien qu’il ait commis une faute grave en traitant sa propre demande de prestations, la preuve n’avait pas démontré qu’il n’avait pas droit aux prestations en cause. La situation est bien différente en l’espèce. Quant à Amarteifio, l’arbitre a conclu que la fonctionnaire avait fait preuve d’un manque de jugement plutôt que d’un manque d’intégrité. En l’espèce, j’estime que Mme Pagé a fait preuve non seulement d’un manque de jugement, mais également d’un manque d’intégrité. 

186 Compte tenu de la nature des fonctions occupées par Mme Pagé, de la gravité de son inconduite et de son attitude à l’égard de ses agissements, j’estime que Mme Pagé a rompu irrémédiablement le lien de confiance et d’intégrité nécessaire pour que je puisse ordonner sa réintégration dans ses fonctions. Je considère donc que le congédiement était approprié en l’espèce.

187 Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

VII. Ordonnance

188 Le grief est rejeté.

Le 3 mars 2009

Marie-Josée Bédard,
arbitre de grief

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.