Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le fonctionnaire s’estimant lésé a informé son employeur, avant le 31janvier, qu’il avait l’intention de prendre les sept postes de congé annuel qu’il lui restait durant le mois de juillet de l’exercice suivant, et soumis la demande de congé prévue à cette fin - l’employeur a rejeté sa demande et unilatéralement décidé qu’il devait prendre les postes de congé annuel restants à des dates précises avant la fin de l’exercice en cours à ce moment-là - le fonctionnaire s’estimant lésé a déposé un grief - le grief et les mesures correctives demandées ont été accueillis en partie au dernier palier de la procédure de règlement des griefs, mais la question de la mesure de réparation est demeurée en litige; le grief a alors été renvoyé à l’arbitrage - la convention collective en question ne contenait pas une disposition générale sur le report des congés annuels, mais celle qui a été conclue par la suite en contenait une - la convention collective indiquait que les employés étaient censés prendre tous leurs congés annuels au cours de l’exercice durant lequel ils les acquéraient - la convention collective en question contenait une disposition autorisant les employés à reporter à l’exercice suivant la portion inutilisée de leurs crédits de congé annuel s’ils en faisaient la demande avant le 31janvier - le fonctionnaire s’estimant lésé avait fait cette demande dans le délai applicable et conformément à la clause1.03c) de la convention collective, mais la demande avait été rejetée par l’employeur parce que sa politique avait préséance sur la clause autorisant le report de congés annuels - l’employeur a contrevenu à la convention collective en connaissance de cause - l’employeur a été contraint par ordonnance de rendre au fonctionnaire les crédits de congé annuel qu’il l’avait obligé de prendre. Grief accueilli.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique,
L.R.C. (1985), ch. P-35

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2009-12-23
  • Dossier:  166-02-34054
  • Référence:  2009 CRTFP 180

Devant un arbitre de grief


ENTRE

MARCEL ST. AMAND

fonctionnaire s'estimant lésé

et

CONSEIL DU TRÉSOR
(ministère de la Défense nationale)

employeur

Répertorié
St. Amand c. Conseil du Trésor (ministère de la Défense nationale)

Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l’arbitrage en vertu de l’article 92 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-35

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Michel Paquette, arbitre de grief

Pour le fonctionnaire s'estimant lésé:
Krista Devine, Alliance de la Fonction publique du Canada

Pour l'employeur:
Virginie Emiel-Wildhaber, Secrétariat du Conseil du Trésor

Décision rendue sur la base d’arguments écrits
déposés les 4 et 27 mai et le 4 juin 2009.
(Traduction de la CRTFP)

I. Grief renvoyé à l’arbitrage

1 Les fonctionnaires s’estimant lésés, Marcel St. Amand, Richard Wayne Nieradka (dossier de la CRTFP 166-02-37400), Mark Walsh (dossier de la CRTFP 166-02-36580), Shirley Miller (dossier de la CRTFP 566-02-574), Jerome Clouthier (dossier de la CRTFP 566-02-1171), Glen Johnston (dossier de la CRTFP 566-02-2121), Brian D. Mann (dossier de la CRTFP 566-02-2122) et Randy Walker (dossier de la CRTFP 566-02-2299) (les « fonctionnaires »), tous des employés du ministère de la Défense nationale (l’« employeur »), ont déposé huit griefs entre février 2003 et février 2007. Ces huit griefs touchent l’interprétation et l’application justes des dispositions relatives au congé annuel prévues dans les conventions collectives conclues par le groupe Services techniques (TC), qui ont expiré le 21 juin 2003 et le 21 juin 2007, dans celles conclues par le groupe Services de l’exploitation (SV), qui ont expiré le 4 août 2003 et le 4 août 2007, et dans la convention collective conclue par le groupe Services des programmes et de l’administration (PA), qui a expiré le 20 juin 2003. Les parties ont accepté de déposer un exposé conjoint des faits ainsi que des arguments écrits.

2 Le 1er avril 2005, la nouvelle Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, édictée par l’article 2 de la Loi sur la modernisation de la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, a été proclamée en vigueur. En vertu de l’article 61 de la Loi sur la modernisation de la fonction publique, ce renvoi à l’arbitrage de grief doit être décidé conformément à l’ancienne Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-35.

II. Résumé de la preuve

3 Dans cette partie de la décision, je reproduis dans leur intégralité les paragraphes pertinents de l’exposé conjoint des faits concernant le fonctionnaire, libellés dans les termes suivants :

[Traduction]

Marcel St. Amand

La convention collective applicable [dossier de la CRTFP 166-02-34054] est celle qui a été signée entre le Conseil du Trésor et l’Alliance de la Fonction publique du Canada à l’égard du groupe Services de l’exploitation, et qui a expiré le 4 août 2003 (pièce 22).

Le fonctionnaire occupe un poste de pompier classé FR-O2 au sein du ministère de la Défense nationale à la BFC Petawawa.

La convention collective prime sur une politique. Elle reconnaît le droit de l’employeur de fixer un congé annuel sous réserve de certains critères, énoncés à la clause 35.05, ainsi qu’à la clause 1.03 de l’Appendice A. Elle reconnaît également le droit de l’employé au report de crédits de congé annuel en conformité avec la clause 1.06 de l’Appendice A. Pour faciliter l’application des dispositions de la convention collective, l’employeur a élaboré certaines politiques :

  • La politique intitulée « Politique sur les congés annuels des employés civils », datée du 16 novembre 1999, a été publiée par le Commandant de la base, le colonel J. I. Fenton (pièce 23).
  • Dans une note de service intitulée « Régime des congés estivaux », datée du 29 mai 2002, le Commandant de la base, R. W. McBride, expose les grandes lignes de la politique relative aux congés (pièce 24).
  • Il existe une autre note de service, datée du 15 mars 2002 et intitulée « Conditions de travail et report de crédits de congé annuel dans les casernes » (pièce 25).

Le 16 janvier 2003, le fonctionnaire a exprimé dans une note son intention de prendre les sept quarts lui restant à l’été de 2003 (pièce 26). Le 17 janvier 2003, il a reçu une note de Grant McConnell, chef des pompiers, BFC Petawawa, lui demandant de lui remettre un formulaire de congé (pièce 27).

Le 13 février 2003, le fonctionnaire a présenté une demande de congé pour la période du 3 au 7 juillet 2003 (quatre quarts de travail) (pièce 28). Sa demande a été rejetée le 17 février 2003.

Les 7 et 10 février 2003, Grant McConnell, chef des pompiers, a envoyé deux courriels aux employés pour leur expliquer l’utilisation des crédits de congé annuel (pièce 29).

Les sept quarts de crédits de congé annuel ont été prévus dans la période du 13 au 27 mars 2003.

Un grief a été déposé le 25 février 2003 (pièce 30).

La réponse au premier palier rejetant le grief a été rendue par G. McConnell le 25 février 2003 (pièce 31).

La réponse au deuxième palier a été donnée en avril 2003 par le Commandant de la base, le lieutenant-colonel R. W. McBride (pièce 32).

La réponse au troisième et dernier palier, accueillant en partie le grief et les mesures correctives demandées, a été rendue le 16 février 2004 par Diane McCusker, directrice générale des relations avec les employés (pièce 33).

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour le fonctionnaire

4 La représentante des fonctionnaires a déclaré que chacun de ces derniers avait demandé le report de ses crédits de congé annuel accumulés à l’année de congé annuel suivante. Dans chaque cas, l’employeur a refusé de reporter les congés et il a ensuite unilatéralement fixé ceux-ci à un moment et pour une durée qu’il a lui-même déterminés.

5 Les fonctionnaires contestent le refus de l’employeur de les autoriser à reporter leurs crédits de congé annuel ainsi que sa décision subséquente de fixer unilatéralement les congés. Il est important de souligner que, dans chaque cas, la demande de report de congés ne dépasse pas le maximum autorisé pour un report dans toutes les conventions collectives applicables.

6 Les griefs ont été déposés sous le régime des différentes conventions collectives, mais ils ont été entendus ensemble, puisqu’ils portent tous sur le conflit qui oppose le droit de l’employeur de fixer unilatéralement les périodes de congé annuel et le droit des fonctionnaires de reporter leurs crédits de congé accumulés, et puisqu’ils reposent tous sur des dispositions similaires ou identiques des conventions collectives en question.

7 Le grief de M. St. Amand a été accueilli en partie, mais la question du redressement demeure entière pour lui.

8 Le premier point que la représentante des employés a fait valoir est celui de leur droit de reporter leurs crédits de congé annuel. Le congé annuel est un avantage acquis qui est établi en fonction de la durée de service d’un employé, qui devrait donc en bénéficier en le prenant ou se le faisant payer en argent. C’est ce que reconnaissent les conventions collectives qui sont au centre des griefs, qui chacune prévoient l’accumulation, l’octroi, le report et, en bout de ligne, la liquidation des crédits de congé annuel.

9 Chaque partie reconnaît l’importance du congé annuel pour les employés, et chaque partie les encourage à se prévaloir de leurs crédits de congé annuel accumulés. La possibilité pour les employés de prendre un congé annuel au moment et pour la durée qu’ils déterminent est d’une importance fondamentale pour les employés et leur permet de s’en prévaloir comme ils le jugent bon. La possibilité de reporter des crédits de congé peut servir un éventail d’objectifs, puisqu’un employé pourrait avoir été incapable de prendre ses congés au cours de l’exercice financier.

10 Chaque convention collective stipule que l’année de congé annuel couvre la période du 1er avril au 31 mars de l’année suivante et renferme des dispositions prévoyant une avance de crédits de congé. Interdire le report revient à obliger les employés à se servir de leurs crédits de congé soit à l’avance, soit très peu de temps après les avoir acquis. Les faits dans les présents griefs démontrent que l’employeur n’a pas satisfait aux exigences énoncées dans les dispositions des conventions collectives relatives au report de crédits de congé annuel. L’employeur n’a pas autorisé les fonctionnaires à reporter leurs crédits de congé annuel comme ils le lui ont demandé quand ils n’avaient pas épuisé tous leurs crédits accumulés au cours d’une année. Plutôt que de tenter de répondre favorablement à leurs demandes individuelles, il semble que l’employeur ait opté pour une approche globale, consistant à rejeter automatiquement les demandes simplement parce que, de son point de vue, le report des crédits de congé annuel ne devait pas être permis, et cela en dépit du fait que les conventions collectives autorisent le report de la portion inutilisée des crédits de congé annuel.

11 Le libellé de chacune des conventions collectives est clair. Elles stipulent toutes que la portion inutilisée des crédits de congé annuel « sera reportée »; c’est une disposition obligatoire plutôt que discrétionnaire.

12 Toutefois, au vu des documents de politique de l’employeur, ce dernier semble prétendre que les employés n’ont pas le droit de reporter leurs crédits de congé annuel inutilisés. En outre, l’employeur a répété dans ses réponses aux demandes individuelles de report des crédits de congé annuel qu’aucun report n’est autorisé. L’objectif semble être d’épuiser les crédits de congé annuel avant la fin de l’exercice financier.

13 Suivant cette approche, personne n’accumule de banque de crédits de congé annuel, et encore moins des congés jusqu’à concurrence du maximum précisé dans les conventions collectives. Elle équivaut à un refus global et va à l’encontre de l’obligation de faire tout effort raisonnable pour accorder les congés annuels d’une façon compatible avec les vœux des employés. Les fonctionnaires soutiennent que cette approche contrevient aux exigences de la convention collective. Ils demandent que l’on respecte leurs vœux et que le report des crédits de congé annuel soit autorisé jusqu’à concurrence des maximums prévus dans leurs conventions collectives respectives.

14 Le libellé de chaque convention collective est le même pour toutes les dispositions applicables sur le report, sauf quant au maximum des crédits de congé annuel qui peuvent être reportés. L’expression « auquel il ou elle a droit » est employée. Ainsi, la clause 38.08a) de la convention du groupe TC stipule ceci :

38.08

a) Lorsqu’au cours d’une année de congé annuel, un employé n’a pas épuisé tous les crédits de congé annuel auquel il ou elle a droit, la portion inutilisée des crédits de congés annuels jusqu’à concurrence de deux cent soixante-deux virgule cinq (262,5) heures sera reportée à l’année de congé annuel suivante […]

15 La représentante des fonctionnaires a fait valoir que la clause générale de report ne confère pas à l’employeur le pouvoir discrétionnaire supplémentaire de fixer unilatéralement le moment et la durée des congés annuels et que, si elle le fait, elle ne l’autorise pas à refuser le report de la portion inutilisée des crédits de congé annuel.

16 La représentante des fonctionnaires a souligné également qu’il est important de tenir compte de l’article 3 de chaque convention collective aux fins d’interpréter les dispositions sur le report. Cet article est identique dans chacune des conventions collectives, et la clause 3.02 énonce ce qui suit :

3.02 Le libellé anglais ainsi que le libellé français de la présente convention revêtent tous deux un caractère officiel.

17 Étant donné les interprétations différentes que l’on donne à l’expression « auquel il ou elle a droit » utilisée dans les dispositions des conventions collectives relatives au report des crédits de congé annuel, l’examen des textes français des conventions collective aide à clarifier le sens des dispositions pertinentes. Ainsi, la clause 35.11a) de la convention collective du groupe SV stipule ceci :

a) Lorsque, au cours d'une année de congé annuel, un employé-e-s n'a pas épuisé tous les crédits de congé annuel auquel il ou elle a droit, la portion inutilisée des crédits de congés annuels jusqu'à concurrence de deux cent quatre-vingts (280) heures sera reportée à l'année de congé annuel suivante. Tous les crédits de congé annuel en sus de deux cent quatre-vingts (280) heures seront automatiquement payés en argent au taux de rémunération journalier de l'employé-e-s calculé selon la classification indiquée dans son certificat de nomination à son poste d'attache le dernier jour de l'année de congé annuel.

18 Les mots épuisé et épuisement figurent également dans les textes français des conventions collectives conclues par les groupes PA et TC. Cela laisse entendre que le report des crédits inutilisés doit être effectué lorsque les employés n’ont pas utilisé tous leurs crédits.

19 Le second point auquel la représentante des fonctionnaires s’est attaquée est le droit de l’employeur de fixer le moment et la durée des congés annuels. L’employeur se fonde principalement sur les articles des conventions collectives applicables qui stipulent que les employés doivent normalement prendre tous leurs congés annuels au cours de l’année de congé annuel dans laquelle ils les ont acquis, et qu’il a le droit de déterminer le moment et la durée des congés annuels des employés. Selon la représentante des fonctionnaires, aucune de ces dispositions n’est absolue.

20 En ce qui concerne premièrement les dispositions voulant que les employés doivent prendre normalement tous leurs congés annuels au cours de l’année dans laquelle ils les ont acquis, la représentante a déclaré que le libellé n’énonce aucune obligation. Sauf dans le cas de la convention conclue par le groupe TC, il est simplement stipulé que les employés doivent prendre normalement leurs congés pendant l’année au cours de laquelle ils les acquièrent. Si l’on avait voulu exiger que les employés prennent tous leurs congés annuels pendant cette année-là, l’on aurait employé un verbe comme « shall » dans le texte anglais. Ces dispositions n’autorisent pas l’employeur à fixer unilatéralement les congés annuels que les employés n’ont pas encore pris avant la fin de l’exercice financier.

21 La représentante des fonctionnaires a cité Bozek et al. c. Agence des douanes et du revenu du Canada, 2002 CRTFP 60, paragraphes 35 et 36 :

[35] La sous-clause 15.05a) impose une obligation aux employés, puisqu’ils doivent normalement prendre tous leurs congés annuels au cours de l’année de congé annuel pendant laquelle ils les acquièrent. L’avocat des fonctionnaires s’estimant lésés a soutenu que cela signifiait que les employés étaient encouragés à utiliser leurs crédits de congés annuels au cours de l’année de congé annuel pendant laquelle ils les acquièrent. Je souscris à son interprétation du mot « expected », car j’estime qu’il signifie que les employés sont encouragés à prendre leurs congés annuels pendant laquelle ils les acquièrent. Si les parties voulaient préciser que les employés avaient l’obligation d’utiliser tous leurs crédits de congé annuel au cours de l’année de congé annuel pendant laquelle ils les acquièrent, elles auraient dû employer le mot «should» plutôt que l’expression « are expected to » dans la version anglaise de la sous-clause 15.05a).

[36] La sous-clause 15.05b), elle, stipule que l’employeur se réserve le droit de fixer le congé annuel de l’employé afin de répondre aux nécessités du service, mais qu’il doit faire tout effort raisonnable pour lui accorder le congé annuel dont la durée et le moment sont conformes aux vœux de l’employé. Prise isolément, cette clause peut être interprétée comme si elle donnait à l’employeur le droit de fixer unilatéralement les congés annuels, comme le président suppléant d’alors J.W. Potter a conclu dans Ladouceur c. Le Conseil du Trésor (Défense nationale) (supra). Or, le raisonnement du président suppléant Potter ne peut pas s’appliquer en l’espèce parce que l’interprétation du mot «expected» dans la version anglaise de la sous-clause 15.05a) et celle de la sous-clause 15.07(AU)a) - qui prévoit le report automatique des crédits de congé annuel non utilisés à l’année de congé annuel suivante - ne se posaient pas dans l’affaire Ladouceur (supra). Pour les mêmes motifs, la décision rendue dans Low et Duggan, (supra) ne peut pas non plus s’appliquer dans cette affaire-ci.

22 La représentante des fonctionnaires a reconnu que toutes les conventions collectives applicables accordent à l’employeur le droit de fixer le moment et la durée des congés annuels, mais elle a fait valoir que ce droit est limité. Chaque convention collective est libellée de façon à exiger que l’employeur fasse tout effort raisonnable pour permettre aux employés de prendre leurs congés annuels au moment et pour la durée dont ils peuvent faire la demande. La représentante des fonctionnaires a invoqué notamment les décisions suivantes à l’appui de sa thèse : Pinard c. Conseil du Trésor (Transports Canada), dossier de la CRTFP 166-02-15381 (19860304), Lawson c. Conseil du Trésor (Statistique Canada), dossier de la CRTFP 166-02-5883 (19800220), Brown c. Conseil du Trésor (Pêches et Océans Canada), 2002 CRTFP 59.

B. Pour l’employeur

23 La représentante de l’employeur est partie du principe que l’interprétation à donner aux dispositions en cause mène aux conclusions suivantes :

  • Les parties aux conventions collectives reconnaissent l’importance du congé annuel.
  • Les employés acquièrent des crédits de congé annuel en fonction de critères énoncés dans leurs conventions collectives respectives.
  • L’employeur a le droit résiduel, sous réserve de la convention collective applicable, d’établir le calendrier des congés annuels et de les accorder aux employés. Sous réserve des nécessités du service, dans l’exercice de ce droit résiduel, l’employeur a le droit de tenir compte de divers facteurs, dont les demandes des employés.
  • Les employés doivent normalement prendre leurs congés annuels au cours de l’année de congé annuel dans laquelle ils les acquièrent.
  • Lorsque les congés annuels acquis au cours d’une année de congé annuel n’ont pas été épuisés, les parties conviennent que l’employé peut être autorisé à reporter les crédits inutilisés jusqu’à concurrence d’un maximum. Les crédits de congé annuel dépassant ce maximum doivent être payés.

24 Dans ses arguments écrits datés du 27 mai 2009, la représentante de l’employeur a indiqué ceci :

[Traduction]

[…]

Les griefs de MM. St. Amand et Walsh sont déposés sous le régime de la convention collective du groupe SV qui a expiré le 4 août 2003. Les dispositions pertinentes sont les suivantes :

35.01 L’année de congé s’étend du 1er avril au 31 mars inclusivement de l’année civile suivante.

[…]

35.05

Les employé-e-s sont censés prendre tous leurs congés annuels au cours de l'année de congé annuel pendant laquelle ils sont acquis.

b) Sous réserve des sous-alinéas suivants, l'Employeur se réserve le droit de fixer le congé annuel de l'employé-e mais doit faire tout effort raisonnable pour :

(i) lui accorder le congé annuel dont la durée et le moment sont conformes à la demande de l'employé-e;

(ii) ne pas rappeler l'employé-e au travail après son départ en congé annuel;

(iii) ne pas annuler ni modifier une période de congé annuel ou de congé d'ancienneté qu'il a précédemment approuvée par écrit.

35.07 Si, au cours d'une période quelconque de congé annuel, un employé-e obtient :

a) un congé de deuil,

ou

b) un congé payé pour cause de maladie dans la proche famille,

ou

c) un congé de maladie sur production d'un certificat médical,

la période de congé annuel ainsi remplacée est, soit ajoutée à la période de congé annuel si l'employé-e le demande et si l'Employeur l'approuve, soit réinscrite pour utilisation ultérieure.

[…]

25 Elle a soumis que je devrais adopter une approche fondée sur leur raison d’être et sur leur contexte pour interpréter les dispositions des conventions collectives qui touchent les congés annuels afin de donner effet à leur sens. L’approche fondée sur la raison d’être consiste à déterminer l’objet des dispositions sur le congé annuel, ce qui inclut les dispositions sur le report des crédits. Ces dispositions s’appliquent lorsque l’employeur n’accorde pas à l’employé tous les congés annuels auxquels il a droit pendant l’année de congé annuel, de sorte que des crédits restent inutilisés. Les conventions collectives ne prévoient pas qu’il restera toujours des crédits de congé annuel inutilisés à la seule fin de les reporter. Au contraire, elles prévoient que l’employeur permet aux employés de prendre la totalité de leurs crédits de congé annuel pendant l’année au cours de laquelle ils les acquièrent et que les employés les prennent effectivement tous cette année-là.

26 Sur la question du droit des employés de reporter des crédits de congé annuel, la plupart des conventions prévoient clairement ce qui suit :

  • Les employés acquièrent des crédits de congé annuel tous les mois d’un exercice financier.
  • Les crédits de congé annuel doivent normalement être utilisés dans l’année au cours de laquelle ils sont acquis.
  • Pour utiliser leurs crédits de congé annuel, les employés doivent présenter une demande à leur gestionnaire.
  • Si une demande de congé annuel est rejetée en raison des nécessités du service, un report des crédits inutilisés peut être autorisé.

27 L’employé ne peut reporter des crédits de congé annuel que dans les cas où l’employeur a rejeté une demande de congé qu’il lui a présentée. Or, l’employeur n’a aucun document indiquant qu’une demande de congé a été rejetée au cours des exercices financiers mentionnés dans chacun des griefs. Les crédits de congé annuel sont acquis, mais leur report n’est pas un droit; il est une protection offerte aux employés dans l’éventualité où l’employeur se verrait dans l’impossibilité d’accéder à une demande de congé annuel au cours d’un exercice financier donné à cause des nécessités du service.

28 Dans Ladouceur c. Conseil du Trésor (ministère de la Défense nationale), 2006 CRTFP 89, l’arbitre de grief a déclaré ce qui suit :

[…]

[29]   Le report de crédits de congé annuel n’est pas une pratique d’attribution de congé, mais plutôt la conséquence de l’impossibilité d’accorder les congés demandés par le fonctionnaire. La stricte obligation de l’employeur est de respecter les vœux du fonctionnaire. […] Ainsi, le fonctionnaire s’estimant lésé doit spécifier une durée (ex. cinq jours) et un moment (ex. du 4 au 8 juin).

[…]

[33] […] le report de crédits inutilisés de congé annuel n’est pas un droit, mais une conséquence de l’impossibilité d’utiliser tous les crédits de congé annuel. […]

[…]

29 Sur le texte français de la clause qui prescrit le report des crédits de congé annuel, l’employeur maintient son argument. Pour pouvoir épuiser tous ses crédits de congé annuel, l’employé doit avoir demandé un congé à son gestionnaire, qui doit ensuite avoir décidé de lui accorder ce congé ou pas. Si le gestionnaire rejette la demande, l’employé peut faire reporter ses crédits de congé.

30 En ce qui concerne le droit de l’employeur de déterminer le moment d’un congé annuel, la convention collective du groupe SV prescrit clairement que « [l]es employés doivent normalement prendre tous leurs congés annuels au cours de l’année de congé annuel pendant laquelle ils les acquièrent ». Ils « doivent normalement », plutôt qu’ils « doivent » les prendre, parce que les nécessités du service peuvent contraindre l’employeur à refuser d’accéder à leurs demandes de congé annuel.

31 Dans Ladouceur c. Conseil du Trésor (Défense nationale),2000 CRTFP 51, l’arbitre de grief a déclaré ce qui suit au paragraphe 66 :

[66] Je conclus que le libellé de la convention collective accorde à l’employeur le droit de fixer le congé annuel, mais qu’il doit faire tout effort raisonnable pour accorder le congé annuel dont la durée et le moment sont conformes aux vœux de l’employé.

32 Les fonctionnaires font valoir que le droit de l’employeur est limité par son obligation de respecter les vœux de l’employé. L’employeur n’est pas d’accord. L’obligation telle qu’elle est énoncée consiste à « […] faire tout effort raisonnable pour accorder le congé annuel dont la durée et le moment sont conformes à la demande de l’employé-e », ce qui ne limite pas le droit de l’employeur, mais sert plutôt à le guider, dans l’intérêt des employés. Ce libellé ne se prête pas à une interprétation voulant que les préférences de l’employé doivent nécessairement prévaloir dans tous les cas. L’employeur doit tenir compte des préférences de l’employé quant à la durée et au moment du congé annuel au nombre des facteurs à prendre en considération lorsqu’il lui accorde un congé annuel.

33 La représentante de l’employeur a fait valoir que les trois décisions invoquées par les fonctionnaires à l’appui de leurs arguments fondés sur l’effort raisonnable n’établissent pas de définition uniforme de cette notion. La question de savoir si l’employeur a fait « tout effort raisonnable » est une question de fait qui doit être déterminée dans chaque cas. Il y a lieu de souligner qu’il s’agissait dans ces cas d’accorder des congés à des moments précis plutôt que du droit de reporter des crédits de congé annuel non utilisés.

34 L’employeur a fait valoir que, si je conclus en faveur du fonctionnaire, il conviendrait que je rende une déclaration, puisque le fonctionnaire a déjà pris le congé. Une ordonnance rétablissant les crédits reviendrait à lui accorder des avantages en sus de ceux auxquels il a droit aux termes de la convention collective, ce qui serait injuste.

35 La représentante de l’employeur a cité les décisions suivantes : Marin c. Conseil du Trésor (Développement des ressources humaines Canada), 2002 CRTFP 109; Rosekat c. Conseil du Trésor (ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux), 2005 CRTFP 149: Higgs c. Conseil du Trésor (Solliciteur général Canada — Service correctionnel), 2004 CRTFP 32; Pronovost c. Conseil du Trésor (ministères des Ressources humaines et du Développement des compétences), 2007 CRTFP 93; Shaw c.Agence canadienne d’inspection des aliments, 2009 CRTFP 63.

IV. Motifs

36 La question dont je suis saisi dans les autres griefs est la suivante :

  • Le fonctionnaire a-t-il le droit de reporter des crédits de congé annuel et, dans l’affirmative, dans quelles circonstances?

37 Le régime des congés annuels prévu dans toutes les conventions collectives en cause peut être résumé dans les termes suivants :

  • le congé annuel est un avantage acquis en fonction de la durée du service de l’employé, et ce chaque mois de chaque exercice financier;
  • l’année de congé annuel couvre la période du 1er avril au 31 mars de l’année civile suivante;
  • le congé annuel peut être accumulé, accordé, reporté et liquidé;
  • l’employeur a une obligation de tenir compte des vœux de l’employé quant au moment et à la durée des congés annuels;
  • les employés doivent normalement prendre tous leurs congés annuels dans l’exercice financier au cours duquel ils les acquièrent;
  • l’employeur se réserve le droit de fixer les congés annuels d’un employé.

38 La convention collective conclue par le groupe SV, dont la date d’expiration est le 4 août 2003, est celle qui est en cause ici. Elle ne contient aucune disposition générale de report, mais la convention collective que le groupe SV a conclue par la suite contient une telle disposition. Il est intéressant de remarquer aussi que les conventions collectives conclues par le groupe TC renferment elles aussi une clause permettant aux employés de prendre quatre jours ou plus de congé acquis au cours de l’exercice financier pendant l’exercice suivant s’ils le demandent avant le 31 janvier.  La partie de la convention collective du groupe SV de 2003 qui s’appliquait à la classification du fonctionnaire (pompier) stipule la même chose.

39 La convention collective conclue en 2003 par le groupe SV qui s’applique à l’égard du fonctionnaire renferme une disposition conférant à l’employé le droit de prendre des congés annuels acquis au cours de l’exercice financier en cours pendant l’exercice financier suivant s’il en fait la demande avant le 31 janvier. La clause est libellée dans les termes suivants :

1.03 Établissement du calendrier des congés annuels

En établissant le calendrier des congés annuels payés de l’employé-e, sous réserve des nécessités du service, l’Employeur fait tout effort raisonnable :

[…]

c) pour acquiescer à toute demande de l'employé-e, présentée avant le 31 janvier, d'être autorisé à utiliser pendant l'année financière suivante une période de congé annuel de quatre (4) jours ou plus acquis pendant l'année en cours;

[…]

Le fonctionnaire a présenté sa demande conformément à la clause 1.03c) avant la date limite, mais on lui a refusé le droit de reporter ses congés annuels. La réponse de l’employeur au premier palier de la procédure de règlement des griefs indique ceci :

[Traduction]

[…]

3. Bien que votre demande ait satisfait aux directives énoncées dans la clause 1.03c) de la convention collective, la politique mise en place par le Commandant de la base a pour effet d’annuler tout report de crédit de congé annuel.

40 L’employeur savait qu’il contrevenait ainsi à la convention collective, mais il a accordé priorité à sa politique consistant à ne pas autoriser les reports, ce qui est inacceptable.

41 Parmi les huit fonctionnaires dont les griefs ont été plaidés ensemble, celui de M. St. Amand est différent des autres, car il est le seul fonctionnaire qui a demandé un congé sous le régime de cette disposition assujettissant le report à une date limite.

42 Je suis arrivé à la conclusion que, dans la présente affaire, l’employeur a contrevenu à la convention collective. Je conclus par conséquent qu’à titre de redressement, l’employeur doit remettre le fonctionnaire dans la situation qu’il aurait occupée n’eût été la contravention. L’employeur doit par conséquent rétablir les crédits de congé annuel en cause dans sa banque de congés. Si, certes, le fonctionnaire a profité de ces crédits de congé annuel, il n’en a pas profité de la manière dont il l’aurait souhaité et ainsi qu’il en a le droit aux termes de sa convention collective. Le rétablissement de ses crédits de congé n’entraînera aucune injustice; il ne fera que rétablir ce à quoi il avait droit. En arriver à une décision autre reviendrait à permettre à l’employeur de tirer profit de contraventions claires et intentionnelles à la convention collective de sa part.

V. Ordonnance

43 Le grief est accueilli.

44 J’ordonne à l’employeur d’accorder au fonctionnaire l’équivalent de quatre quarts de travail de congés annuels.

Le 23 décembre 2009.

Traduction de la CRTFP

Michel Paquette,
arbitre de grief

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