Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le plaignant avait été congédié en 1998 pour défaut de se présenter au travail - il a déposé une plainte en 2006 en vertu de l’article 133 du CCT - l’employeur a posé comme objection que son congédiement avait déjà fait l’objet d’un grief qui avait été rejeté à l’arbitrage de grief - l’employeur a également soutenu que la plainte était hors délai, puisque les événements remontaient à un moment bien antérieur au délai de rigueur de 90 jours - la Commission a statué qu’il n’y avait pas chose jugée, puisque l’objet de la plainte n’était pas le même que l’objet du grief - la Commission a jugé que le plaignant avait eu connaissance de ce qu’il alléguait dans sa plainte bien avant le délai de rigueur - les dispositions du CCT n’avaient jamais été invoquées avant 2006 - la décision de la Commission des lésions professionnelles quant au problème de santé causé par l’employeur ne servait pas à proroger le délai. Objection accueillie. Plainte rejetée.

Contenu de la décision



Code canadien du travail

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2009-03-20
  • Dossier:  560-34-33
  • Référence:  2009 CRTFP 35

Devant la Commission des relations
de travail dans la fonction publique


ENTRE

GILLES SAINTE-MARIE

plaignant

et

AGENCE DU REVENU DU CANADA

défendeur

Répertorié
Sainte-Marie c. Agence du revenu du Canada

Affaire concernant une plainte visée à l'article 133 du Code canadien du travail

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Roger Beaulieu, commissaire

Pour le plaignant :
Lui-même

Pour le défendeur :
Sylvie Désilets, conseillère principale en relations de travail, Agence du revenu du Canada

Décision rendue sur la base d'arguments écrits
déposés les 2 juin, 11 juin, 4 juillet, 11 juillet et 26 octobre 2008.

I. Plainte devant la Commission

1 Le 31 octobre 2006, le plaignant a porté plainte devant la Commission des relations de travail de la fonction publique (la « Commission »)  en vertu de l’article 133 du Code canadien du travail (le « CCT »), fondé sur le harcèlement, l’abus du pouvoir et des menaces de représailles de l’employeur, en contravention des dispositions de l’article 147 du CCT.

2 Gilles Sainte-Marie (le « plaignant ») travaillait pour l’Agence des douanes et du revenu du Canada (l’ « employeur ») de 1984 au 11 septembre 1998, soit la date à laquelle l’employeur l’a congédié pour refus de se présenter au travail.

3 Le plaignant s’est opposé à ce congédiement en déposant un  grief le 25 septembre 1998. Ce grief a été renvoyé à l’arbitrage en juillet 1999. Une décision a été rendue par l’arbitre de grief de grief J.P. Tessier le 21 mars 2006 (Sainte-Marie c. Agence des douanes et du revenu du Canada, 2006 CRTFP 30). L’arbitre a rejeté le grief et maintenu le congédiement.

4 La Commission a nommé un commissaire pour statuer sur la plainte formulée en vertu de l’article 133 du CCT.

5 Le 23 novembre 2006, l’employeur a soulevé deux objections à la plainte.

6 Par la suite, la Commission a demandé aux parties de présenter leurs arguments par écrit sur les deux objections de l’employeur.

7 Les deux objections de l’employeur sont les suivantes :

a) la compétence de la Commission, compte tenu de la décision de l’arbitre de grief Tessier en mars 2006, (chose jugée); et

b) le délai de plusieurs années entre les événements engendrant la plainte (septembre 1998) et le dépôt de la plainte en vertu de l’article 133 du CCT en date d’octobre 2006.

8 Finalement, après plusieurs demandes de remise par le plaignant, les arguments écrits du plaignant ont été déposés à la Commission le 2 juin, les 4 et 11 juillet et le  26 octobre 2008.

9 L’employeur a déposé ses arguments le 11 juin 2008.

10 Malgré la date limite du 11 juillet 2008 pour soumettre les arguments écrits, le plaignant a demandé le 28 août 2008 de soumettre des documents supplémentaires dans un délai additionnel de deux semaines. Cette dernière demande a été refusée. Finalement, à la suite d’une demande de précision par la Commission en date du 15 octobre 2008, à l’égard de la plainte en vertu de l’article 133 du CCT, le plaignant a répondu le 26 octobre 2008.

11 La présente décision porte sur les objections préliminaires de l’employeur.

II. Contexte

12 Un bref résumé du contexte de la plainte permettra une meilleure compréhension de ce dossier. J’examinerai donc brièvement les faits entourant trois éléments qu’il convient de bien distinguer : l’historique du plaignant, la décision de l’arbitre de grief, et la démarche auprès de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (CSST) et de la Commission des lésions professionnelles (CLP).

A. Historique du plaignant

13 Depuis son embauche à l’Agence des douanes et du revenu du Canada, le plaignant allait bien sur le plan professionnel et ses résultats étaient excellents jusqu’en 1996. À compter de 1996, l’employeur a resserré les règles de gestion; une nouvelle équipe de gestionnaires est arrivée au service de recouvrement où travaillait le plaignant. Pendant cette même période, le gouvernement avait décrété une diminution de 15 % du budget pour l’ensemble du gouvernement fédéral incluant la dotation. À cette même époque, le plaignant a accepté de nouvelles responsabilités syndicales qui l’amenaient à discuter de conflits de ses confrères de travail avec la direction. Quelques-uns de ces cas l’exaspéraient au plus haut point.

14 En mai 1997, le plaignant a quitté son travail et ses médecins ont constaté une condition d’épuisement professionnel. Il a été absent pour cause de maladie de mai 1997 à septembre 1998, soit pendant 16 mois.

15 Pendant cette période de 16 mois, l’employeur a exigé que le plaignant passe une expertise médicale puisque son certificat médical prévoyait un retour possible au travail dès le 5 janvier 1998. Le médecin spécialiste de l’employeur a conclu que le plaignant n’avait pas de problèmes de santé l’empêchant de retourner au travail. Selon ce spécialiste, le plaignant avait des problèmes en relations de travail qui devaient être solutionnés au niveau administratif et son retour au travail a été fixé pour le 11 mars 1998. À la suite de discussions et d’échanges de certificats médicaux entre le médecin du plaignant et celui de l’employeur, la date de retour au travail a été fixée pour le 23 mars 1998.

16 Le spécialiste de l’employeur a maintenu sa première conclusion dans sa seconde expertise et l’employeur a exigé un retour au travail pour le 6 juillet 1998 en indiquant au plaignant que l’horaire de travail sera discuté ainsi qu’un plan de redressement.

17 Le plaignant a écrit qu’il ne pouvait pas retourner au travail avant septembre 1998 et a réitéré que son invalidité résultait des pressions indues imposées par ses supérieurs, particulièrement par M. Patrick Allard. Il a aussi contesté la validité de la deuxième expertise médicale de l’employeur et a soutenu que lors de la deuxième expertise, le spécialiste de l’employeur n’avait pas tous les éléments en main pour procéder à une évaluation.

18 Devant ces faits, l’employeur à consenti a une troisième évaluation par le même spécialiste, et après discussion, la date a été rapportée du 30 juillet 1998 à la fin août 1998, et cette troisième expertise médicale a confirmé ses diagnostics antérieurs.

19 Après la troisième évaluation médicale du 24 août 1998, l’employeur a exigé par écrit un retour au travail pour le 27 août 1998, mais le plaignant ne s’est pas présenté à cette date.

20 Le plaignant a écrit une lettre à la sous-ministre adjointe de l’employeur déplorant la mauvaise gestion du Service de recouvrement, contestant l’expertise médicale du médecin spécialiste de l’employeur et suggérant une démarche de retour au travail dans un autre secteur, une contre-expertise médicale, le maintien de ses prestations d’assurance-salaire et d’autres conditions encore.

21 L’employeur a finalement exigé le retour au travail le 10 septembre 1998. Le 11 septembre, le plaignant a répliqué qu’il ne pouvait pas retourner au travail au même endroit à cause du climat de travail qui y régnait. Le 11 septembre 1998, l’employeur l’a congédié pour refus de se présenter au travail. Le 25 septembre 1998, le plaignant a déposé un grief. Ce grief a été renvoyé à l’arbitrage en juillet 1999.

22 Finalement, avant de conclure l’historique, je souligne qu’en mars 1998, le médecin spécialiste, le Dr. Ouellette (médecin du plaignant) a suggéré à son patient un retour à temps partiel au travail et le plaignant a demandé d’attendre en mai, après le départ du gestionnaire M. Allard, avec qui il avait eu des problèmes. Les gestionnaires du Service de recouvrement qui étaient là au moment de ce départ du plaignant en maladie en mai 1997, dont M. Allard, n’étaient plus à ce service depuis mai 1998.

B. Bref résumé des motifs de la décision 2006 CRTFP 30

23 L’audience de l’arbitrage a eu lieu du 25 au 28 mai 2004 inclusivement, du 20 au 22 octobre 2004 inclusivement, les 1er et 2 mars 2005, suivie du dépôt de documents le 1er juin 2005. La décision a été rendue le 21 mars 2006.

24 Le long délai pour fixer l’audience s’explique par le fait que le plaignant a déposé une autre plainte à la Commission de la santé et de la sécurité du travail (CSST) du Québec parce qu’il prétend avoir été harcelé au travail et que sa maladie est une conséquence des actes de l’employeur.

25 De plus, le plaignant a déposé un grief relatif au harcèlement qui lui aussi a été renvoyé à l’arbitrage (dossier de la CRTFP 166-34-31984.) Ce grief d’harcèlement allégeait les agissements irréguliers des mandataires de l’Agence des douanes et du revenu du Canada. Ces agissements constituaient de la discrimination, de l’ingérence de la restriction, de la coercition du harcèlement et de l’abus de pouvoir du fait de l’adhésion du plaignant au syndicat et de ses activités syndicales. Ce grief de harcèlement a été retiré par le plaignant en 2006.

26 L’arbitre de grief a conclu que le refus de M. Sainte-Marie de retourner au travail en septembre 1998, n’était pas justifié. Selon lui, la preuve médicale était insuffisante pour conclure à l’incapacité de M. Sainte-Marie de revenir dans son poste.

27 Quoique le témoignage des médecins des deux parties semblait contradictoire, il concordait sur plusieurs points. Le médecin spécialiste du plaignant avait prévu un retour au travail pour janvier 1998, ensuite pour avril, ensuite pour juillet et enfin pour septembre 1998. Le médecin spécialiste de l’employeur avait prévu un retour au travail possible dans cette même période tout en ayant une supervision médicale tandis que le médecin spécialiste du plaignant a prévu des soins additionnels avant le retour au travail.

28 L’arbitre était d’avis que la preuve présentée  et les documents déposés à l’audience confirmaient l’opinion du médecin spécialiste de l’employeur que le plaignant avait des problèmes de relations de travail plutôt qu’un problème d’incapacité.

29 D’ailleurs, le plaignant a continué de dénoncer le problème de relations de travail et a continué de le faire dans sa lettre du 28 août 1998 qu’il a adressée à la sous-ministre adjointe. Dans cette même lettre, il propose plusieurs conditions pour un protocole de retour au travail.

30 Selon l’arbitre de grief Tessier, il appartenait au plaignant de démontrer qu’il avait le droit de refuser un retour au travail dans son ancien poste. Or, le médecin spécialiste du plaignant n’a présenté aucun élément objectif justifiant le refus de se présenter à son poste de travail et l’exigence d’un transfert.

31 Selon l’arbitre, si le plaignant était insatisfait des gestes posés par l’employeur, il devait en débattre dans le cadre des relations de travail par un grief ou une plainte, mais il ne pouvait en faire un motif de refus de travailler.

C. Démarche auprès de la CSST puis de la CLP pour faire reconnaître l’épuisement professionnel comme lésion professionnelle

32 Le plaignant était en congé de maladie pour cause d’épuisement professionnel de mai 1997 jusqu’en septembre 1998, soit pendant 16 mois. Durant cette période, il a continué d’être actif comme représentant syndical et s’occupait de dossiers litigieux de ses collègues de travail en plus d’être préoccupé par sa propre santé.

33 Pendant cette période, la CSST a refusé sa demande en novembre 1997 et lui a dit que l’épuisement professionnel (« burn-out ») ne constituait pas une lésion professionnelle, mais relevait exclusivement d’une condition d’origine personnelle et d’un problème de relation de travail qui n’était pas causé par son emploi à l’Agence des douanes et du revenu du Canada.

34 Par la suite, le plaignant a déposé, le 20 janvier 1999, une requête à la CLP contestant la décision rendue le 21 décembre 1998 par la CSST. Les audiences se sont déroulées entre novembre 1999 et mars 2004, avec nombre d’interruptions. Les plaidoiries ont été faites le 27 janvier 2005.

35 Dans sa décision du 4 aout 2006, la CLP a fait droit à la requête du plaignant (Gilles Sainte-Marie c. Agence des douanes et du revenu (2006), dossier 109572-71-9901-2 (CLP)). En voici quelques extraits pertinents :

[…]

L’OBJET DE LA CONTESTATION.

[11]    Le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles de reconnaître qu’il a été victime d’une lésion professionnelle le 5 juin 1997.

LES FAITS

[12]    Le 29 juillet 1997, le travailleur fait une réclamation à la CSST basée sur un diagnostic de burn out qui serait en relation avec son travail de personne ressource des cas complexes (enquêteur de niveau PM-3) auprès du Ministère du Revenu du canada. Le travailleur joint à son formulaire de réclamation une annexe dans laquelle il décrit ainsi les causes de ce burn out :

Les causes de ce burn out sont factuelles et liées à mon environnement de travail. Elles peuvent se résumer ainsi, de façon non exhaustive.

[…]

2- Depuis juillet 1995, le travail d’équipe, l’implication, la responsabilisation, l’excellence ne furent ni soutenus, ni valorisés.

5- Cette détérioration des relations de travail provoqua chez plusieurs, dont moi-même, un malaise composé d’anxiété, d’angoisse et de stress.

6- À partir de 1996, l’ostracisme devint de plus en plus ouvert.

7- Un employé fut même sujet de manœuvres ostracisantes reconnues illégales.

11- D’anciens cadres du Ministère, des employés d’autres ministères et même des tiers non liés me confirmèrent cet ostracisme.

12- La connaissance des faits en 11) provoqua chez moi le désarroi le plus total.

13- Je reconnus, chez un confrère ayant subi des infarctus, une similitude dans le désarroi.

14- Ce désarroi fut multiplié par les faits énoncés en 7) et 13) ; cela provoqua un état tel que je craignis pour mon intégrité personnelle.

15- J’allai alors consulter un médecin qui constata mon état de santé.

36 Il est important de souligner que les faits et les événements rapportés dans chacune des décisions de la CSST, de la CLP et de la décision de l’arbitre de grief Tessier se sont tous produits entre 1995 et 1998.

37 Selon la CLP, la preuve démontre qu’après l’arrivée de la nouvelle gestion en 1995, on retire au plaignant, sans donner d’explication, certaines responsabilités notamment, les mandats internationaux, les conférences et la formation.

38 La CLP conclut que l’ensemble de ces événements survenus entre 1995 et 1997 ont mené à une lésion professionnelle résultant d’une succession d’événements imprévus et soudains, selon la définition de la loi et de la jurisprudence. La preuve médicale et factuelle établit de façon prépondérante que les événements survenus dans le milieu de travail du plaignant présentent un caractère réel, objectif et identifiable et ont entraîné le développement de sa pathologie psychique.

39 La CLP souligne que le Tribunal n’a pas pour mission de trancher qui a tort ou qui à raison dans ce dossier opposant le plaignant et l’employeur. Son rôle se limite à évaluer l’ensemble des événements décrits par le travailleur et les différents témoins et décider s’ils peuvent avoir conduit à l’épisode dépressif dont le plaignant a été victime.

40 Pour ces motifs, la CLP déclare que le plaignant a subi un accident au travail le 5 juin 1997.

III. Questions en litige

41 L’employeur a formulé deux objections préliminaires à la plainte :

1.       Chose jugée ;

2.       La plainte est hors délai.

IV. Résumé de l’argumentation

A. Position de l’employeur - chose jugée

42 L’employeur allègue que la CRTFP est sans compétence parce que la question a été tranchée par l’arbitre de grief J.P. Tessier dans sa décision du 21 mars 2006 où le congédiement a été maintenu et qu’il n’y a pas eu d’appel de cette décision.

43 De plus, l’employeur allègue qu’en aucun temps au cours de la période pertinente, le plaignant n’a invoqué, ni appliqué les dispositions du CCT, Partie II, Santé et Sécurité au travail, dans ses relations avec l’employeur. L’employeur prétend que le plaignant tente par un autre recours de soumettre de nouveau son dossier de congédiement devant la CRTFP.

B. Position du plaignant - chose jugée

44 La position du plaignant a été traitée en anglais par le représentant syndical, M. Pierre Mulvihill, le 2 juin 2008, ensuite par le plaignant lui-même en plusieurs étapes.

45 D’abord, le représentant syndical du plaignant a soumis ce qui suit :

[Traduction]

La compétence du Conseil à l’égard de la décision rendue en mars 2006 par l’arbitre de grief Tessier est bien établie, en ce sens que le Conseil a compétence concurrente sur un grief déposé à la suite d’une violation d’une convention collective et sur une plainte déposée en vertu de l’article 133 du Code canadien du travail. La législation autorise une personne à se prévaloir de ces mécanismes parallèles, comme l'a confirmé le Conseil : (Ouimet, avril 2002, décision no 171 (C.C.R.I.)

Dans le cas de M. Sainte-Marie, ces droits législatifs sont exercés dans des situations complètement différentes : la plainte dont a été saisi l’arbitre de grief Tessier a été déposée à la suite du licenciement de M. Sainte-Marie pour son refus de retourner au lieu de travail après en avoir reçu la directive de son employeur. Le 21 mars 2006, ce grief contestant le licenciement a été rejeté.

La plainte dont est saisi le Conseil cette fois-ci allègue que l’employeur a enfreint l’article 147 du Code et repose sur des faits complètement différents : en 1998, l’employeur a exigé que M. Sainte-Marie subisse un examen effectué par le médecin de l'organisation, qui était employé par Santé Canada. En fait, M. Sainte-Marie a été examiné par Santé Canada à trois reprises. Durant l’été de 2006, et dans les 90 jours qui correspondent au délai fixé au paragraphe 133 (2) du Code pour la présentation d’une plainte, M. Sainte-Marie a appris, après avoir présenté plusieurs demandes d’accès à l’information, que son employeur avait exercé une pression indue et peu appropriée sur Santé Canada, pour influencer le résultat de ses évaluations médicales.

Il s’agit d’une brève description des faits à l’origine de cette plainte déposée aux termes de l’article 133 du Code. Vers le 3 juin 1997, M. Sainte-Marie a fait part au chef d’équipe de l’ARC, M. Alain Dion, de sa préoccupation qu'un collègue avait subi une crise cardiaque à cause de stress et problèmes de moral au travail. M. Sainte-Marie a soulevé cette préoccupation à la demande de son collègue qui était hospitalisé. Ce faisant, M. Sainte-Marie a rempli ses responsabilités en vertu des alinéas 126g) et j) du Code :  

126.   (1) L’employé au travail est tenu

g) de signaler à son employeur tout objet ou toute circonstance qui, dans un lieu de travail, présente un risque pour sa santé ou sa sécurité ou pour celles de ses compagnons de travail ou des autres personnes à qui l’employeur en permet l’accès;

j) de signaler à son employeur toute situation qu’il croit de nature à constituer,de la part de tout compagnon de travail ou de toute autre personne — y compris l’employeur —, une contravention à la présente partie.

Il convient de noter qu’en agissant ainsi, M. Sainte-Marie décrivait un incident qui était survenu après des années de changements stressants au travail et au bout desquelles on avait ouvert une enquête sur plusieurs employés qui auraient eu un accès non autorisé à des déclarations d’impôt et où il y avait eu une importante augmentation de la charge de travail. En bref, le résultat en était que le moral était bas et qu'il y avait des conflits au travail.

M. Sainte-Marie a essuyé une rebuffade lorsqu’il a porté cette information à l’attention de M. Dion, qui a nié catégoriquement que les conditions au travail avaient contribué à la crise cardiaque de son collègue.

Peu après cet échange, M. Sainte-Marie lui-même a subi les conséquences du stress et a pris un congé de maladie. C’est à ce moment-là que l’employeur a commencé à exiger que M. Sainte-Marie se fasse examiner par le médecin de l'organisation. Ce sont ces évaluations médicales que l’employeur a cherché à influencer indûment et, en agissant ainsi, il a exercé des représailles contre M. Sainte-Marie pour avoir rempli ses responsabilités en vertu de l’article 126, ce qui contrevient à l’article 147 du même Code. M. Sainte-Marie pourra établir de façon concluante que le geste de l’employeur était entaché de représailles, dont l'effet ultime a été son congédiement.

Pour résumer, les faits à l’origine de cette plainte se distinguent de ceux ayant donné lieu aux griefs sur lesquels on a statué auparavant (dossiers de la Commission 166-34-29158 et 31984) et, en réalité, les détails précis de la collusion de l’employeur avec Santé Canada et la pression indue qu’il a exercée dans ce contexte n’étaient pas encore connus lorsqu’une audience a été tenue sur le sujet et qu’une décision a été rendue par l’arbitre de grief Tessier le 21 mars 2006.

46 Le plaignant n’a rien ajouté de plus à la question de la « chose jugée ».

C. Position de l’employeur - hors délai

47 L’extrait suivant parvient d’une lettre de la représentante de l’employeur, envoyé à la Commission le 11 juin 2008 :

[…]

L’employeur réitère que la Commission n’a pas la juridiction pour entendre cette affaire. Les arguments soumis par le syndicat ne font référence à aucune mesure de représailles spécifique de la part de l’employeur, vis-à-vis le plaignant, à l’exception de son congédiement. Dans l’éventualité où le plaignant aurait subi des représailles suite à l’exercice de ses droits en vertu du Code canadien du travail (C.C.T.), la seule mesure dont il est question dans les soumissions du plaignant est son congédiement. Qu’il ait ou non eu accès à de l’information supplémentaire qui aurait mené à son licenciement, le plaignant aurait dû déposer sa plainte fondée sur l’article 133 du C.C.T. dans les 90 jours suivant la décision de l’employeur du 11 septembre 1998 de mettre fin à son emploi.

De plus, la plainte telle que déposée par le plaignant en date du 31 octobre 2006, ne comporte aucune mention de l’exercice d’un droit en vertu du C.D.T. [sic] Nous sommes d’avis que le plaignant tente par un autre recours de soumettre de nouveau son congédiement devant la Commission. En aucun temps, avant le dépôt de sa plainte en octobre 2006 le plaignant a-t-il invoqué ou appliqué les dispositions du C.C.T. dans ses relations avec l’Agence. D’autant plus, les soumissions remises au nom du plaignant ne précisent pas le droit qu’a exercé le plaignant qui lui aurait valu une mesure de représailles, ce qui est une condition sine qua non à l’application de l’article 147 du C.C.T.

L’Agence soumet qu’en aucun temps elle n’a congédié, suspendu, mis à pied ou rétrogradé le plaignant ou ne lui a imposé une sanction pécuniaire ou autre ou refusé de lui payer la rémunération afférente ou prise [sic] ou menacé de prendre des mesures disciplinaires contre lui pour toute actions décrites [sic] à l’article 147 du C.C.T.

Les allégations du plaignant à l’effet que l’Agence a poursuivi ses droits de recours avec le but de prendre des mesures de représailles sont sans fondement. Il est du ressort et du droit des parties que de contester une décision prise par des recours d’appel. L’exercice de ce droit ne doit pas engendrer une inférence négative. Quant aux directions reçues par l’Agence en ce qui a trait au processus de demande d’accès à l’information du plaignant, le plaignant a dûment exercé ses recours contre les décisions de l’Agence à cet égard. Il n’en revient pas à la Commission de statuer ou d’en tirer quelques conclusions que ce soit.

Quant au commentaire du plaignant à l’effet que l’Agence aurait « influencée » l’évaluation de son état de sante, nous limitons nos commentaires aux faits relatés dans la lettre de M. Mulvihill du 2 juin 2008, puisque la nature des informations dont il est question dans la lettre n’as pas été précisée. À cet effet, l’Agence soumet que cette allégation ne concerne en rien le C.C.T. car il ne s’agit pas d’une question de santé et sécurité en milieu de travail. Dans l’éventualité ou le plaignant croyait que sa sante était en danger en raison de son milieu de travail, c’est à ce moment qu’il aurait dû exercer ses droits en vertu du C.C.T. ce qu’il n’a pas fait, et non 8 ans après, nonobstant les communications entre l’employeur et Santé Canada.

[…]

D. Position du plaignant - hors délai

48 L’extrait suivant indique la position du représentant syndical du plaignant :

[Traduction]

[…]

Deuxième question : Délai entre les faits à l’origine de la plainte et la présentation de celle-ci :

Les dispositions qui régissent le dépôt d’une plainte en vertu de cet article sont énoncées au paragraphe 133(2) du Code :

133(2):   La plainte est adressée au Conseil dans les quatre-vingt-dix jours suivant la date où le plaignant a eu connaissance - ou, selon le Conseil, aurait dû avoir connaissance - de l’acte ou des circonstances y ayant donné lieu.

L’expression « de l’acte ou des circonstances » dont il est question à cet article désigne les mesures de représailles que l’employeur a prises à l’encontre de M. Sainte-Marie en cherchant à influencer les résultats de son évaluation  médicale. M. Sainte-Marie en a pris connaissance lorsqu’il a reçu de l’information en réponse à des demandes d’accès à l’information. Cette information a été portée à son attention durant l’été de 2006, et il a présenté sa plainte en vertu de l’article 133 dans les 90 jours, comme l’exige le paragraphe 133(2).

[…]

49 Le plaignant a répondu, le 26 octobre 2008, à la question suivante de la Commission : « À quelle date exacte, à l’été 2006, avez-vous eu connaissance de l’acte ou des circonstances qui fondent votre plainte? »

50 Le contexte de cette réponse est le suivant: le 15 octobre 2008, la Commission des relations de travail dans la fonction publique a adressé une lettre au plaignant qui se lit comme suit :

Vous avez présenté une plainte écrite au conseil le 31 octobre, 2006, en vertu de l’article 133, au motif que votre employeur a pris à votre endroit des mesures contraires a l’article 147 du Code canadien du travail.

L’alinéa (2) de l’article présente prévoit que : la plainte est adressée au conseil dans les quatre-vingt-dix jours suivant la date ou le plaignant a eu connaissance, ou selon le conseil, aurait du avoir connaissance de l’acte ou des circonstances y ayant donnée lieu.

51 Le plaignant a répondu ce qui suit :

En l’espèce, la détermination du fondement légal, de l’existence réelle et opposable, de la validité du refus de travailler suivant au plus tôt le 4 août 2006, lors de la décision de la Commission des lésions professionnelles, ou encore lors de l’expiration du délai d’appel 90 jours plus tard ou encore lors de la détermination formelle des lésions permanentes près d’un au plus tard. Cela est conforme à ma plainte initiale d’octobre 2006.

V. Motifs

A. Objection préliminaire - chose jugée

52 L’objection préliminaire de l’employeur sur la question de la chose jugée ne peut être retenue parce qu’il manque l’un des éléments juridiques important pour qu’il y ait chose jugée. L’objet juridique n’est pas identique et, par conséquent, une plainte en vertu de l’article 133 du CCT n’est pas la même qu’un arbitrage de grief en vertu de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique. Par consequent, cette objection de l’employeur ne peut être retenue, et elle est rejetée.

B. Objection préliminaire - hors délai

53 Le dépôt d’une plainte en vertu de l’article 133 du CCT doit se faire « dans les quatre-vingt-dix jours suivant la date où le plaignant a eu connaissance – ou, selon le Conseil [ici, la Commission], aurait dû avoir connaissance – de l’acte ou des circonstances y ayant donné lieu ». Il s’agit donc de déterminer comment s’applique ce délai de 90 jours en l’espèce. Voici les dispositions pertinentes du CCT :

Plaintes découlant de mesures disciplinaires

          133. (1) [Plainte au Conseil] L’employé – ou la personne qu’il désigne à cette fin – peut, sous réserve du paragraphe (3) présenter une plainte écrite au Conseil au motif que son employeur a pris, à son endroit, des mesures contraires à l’article 147.

          (2) [Délai relatif à la plainte] La plainte est adressée au Conseil dans les quatre-vingt-dix jours suivant la date où le plaignant a eu connaissance – ou, selon le Conseil, aurait dû avoir connaissance – de l’acte ou des circonstances y ayant donné lieu.

Mesures disciplinaires

          147. [Interdiction générale à l’employeur] Il est interdit à l’employeur de congédier, suspendre, mettre à pied ou rétrograder un employé ou de lui imposer une sanction pécuniaire ou autre ou de refuser de lui verser la rémunération afférente à la période au cours de laquelle il aurait travaillé s’il ne s’était pas prévalu des droits prévus par la présente partie, ou de prendre – ou menacer de prendre – des mesures disciplinaires contre lui parce que :

a) soit il a témoigné – ou est sur le point de le faire – dans un poursuite intentée ou une enquête tenue sous le régime de la présente partie;

b) soit il a fourni à une personne agissant dans l’exercice de fonctions attribuées par la présente partie un renseignement relatif aux conditions de travail touchant sa santé ou sa sécurité ou celles de ses compagnons de travail;

c) soit il a observé les dispositions de la présente partie ou cherché à les faire appliquer.

54 Le plaignant allègue que sa plainte en vertu de l’article 133 du CCT est à l’intérieur du délai de 90 jours de la décision de la CLP en date du 4 août 2006.

55 L’employeur allègue que le délai de 90 jours de l’article 133 du CCT est dépassé de plusieurs années et que la plainte du plaignant doit être rejetée.

56 Le délai prévu au paragraphe 133(2) du CCT pour déposer une plainte est de rigueur.

57 Contrairement au grief dans le cadre de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.C. 2003, ch.22, où l’arbitre de grief a une mesure de discrétion pour accorder une extension de délai (voir Schenkman c. Conseil du Trésor (Travaux publics et Services gouvernementaux Canada), 2004 CRTFP 1), la Commission n’a aucune discrétion pour étendre le délai de 90 jours. Sa mesure d’appréciation se limite à décider du moment où le plaignant a eu, ou aurait dû avoir, connaissance de l’acte ou des circonstances.

58 La Commission est d’avis, pour les motifs suivants, que le plaignant avait, ou aurait dû avoir connaissance de l’acte ou des circonstances donnant lieu à sa plainte.

59 En effet, dans la décision de l’arbitre de grief Tessier et celle de la CLP, la plupart des mêmes faits et circonstances convergent et sont connus par le plaignant au cours de la période de 1995 à la fin 1998.

60 J’ai mentionné aux paragraphes 23 et 34 les dates d’audience devant l’arbitre de grief Tessier et devant la CLP parce qu’elles me paraissent importantes pour établir le moment de la connaissance du plaignant de l’acte ou des circonstances.

61 Or, l’affaire devant l’arbitre de grief Tessier, et encore plus l’affaire devant la CLP, montrent que le plaignant avait connaissance des faits qu’il avance, et aurait pu présenter ces allégations à l’égard du congédiement longtemps avant le délai présent. Témoin les passages suivants de la décision de la CLP du 4 août 2006 :

[…]

[15] Le 10 novembre 1997, le travailleur [M. Sainte-Marie] fait parvenir à la CSST une lettre de précision relativement à sa réclamation dans laquelle il explique qu’il a volontairement décrit les faits de façon succincte dans l’annexe jointe au formulaire de réclamation, du mois de juillet précédent, pour ne pas mettre son employeur dans l’embarras. Ainsi, il explique les événements survenus au travail qui l’auraient précipité dans sa maladie. Ces faits peuvent se résumer comme suit:

• Depuis octobre 1995, il a subi des incidents et pressions inappropriés de la part de son supérieur, monsieur Patrice Allard, allant des menaces de renvoi jusqu’à une rétrogradation sans motif au mois d’octobre 1997.

• Le 24 décembre 1995, un confrère de travail, monsieur Martin Girard, se fit expulser de l’équipe de travail et le travailleur fit part de ce geste extrême à la gestion. Au retour du congé des Fêtes, le travailleur fut convoqué par la gestion et sévèrement blâmé pour être intervenu.

• À l’été 1996, un autre confrère de travail, monsieur Gianni De Micco, fut faussement accusé d’avoir enfreint les règles de sécurité interne. Malgré ces fausses accusations, la gestion fit une enquête qui prit une ampleur rarement atteinte. Vers la fin de l’année 1996, début de 1997, le travailleur découvrit que la gestion avait obtenu de façon illégale des informations de nature confidentielle concernant monsieur De Micco. La gestion admit ce fait et le travailleur en fut ébranlé, d’autant plus que le gestionnaire responsable n’aurait pas été sanctionné.

• Au mois de mai 1997, un confrère du travailleur, monsieur Raphaël Maccio, subit deux infarctus qu’il attribuait à l’environnement de travail et il demanda au travailleur de s’occuper de son dossier, ce que fit ce dernier. La gestion divisionnaire était plutôt d’avis que l’état de santé de monsieur Maccio était en relation avec ses difficultés conjugales et non avec son environnement de travail. Le travailleur fut affecté par cette réaction de la part de la gestion.

• À cette époque, le travailleur appris de monsieur Maccio qu’un des membres du processus de sélection à un concours auquel il avait participé, avait admis que ce concours avait été conçu pour l’éliminer. Cette révélation provoqua chez le travailleur une grande angoisse.

• Lors d’un 5 à 7 à la fin du printemps 1997, des employés ont déclaré à un ancien gestionnaire que l’objectif de la gestion divisionnaire actuelle était « d’avoir la tête » de monsieur Sainte-Marie. Cet incident aurait confirmé les craintes du travailleur.

• Un avocat du ministère de la Justice avec lequel il avait l’habitude de collaborer dans certains dossiers, lui téléphona pour l’aviser que la gestion divisionnaire « en était à monter un dossier » contre lui.

[…]

Témoignage du travailleur, monsieur Gilles Sainte-Marie

[…]

 [68] À la suite de leur retraite vers l’été 1995, messieurs Nadeau et Dauplaise sont remplacés par monsieur Patrice Allard, au poste de directeur adjoint, et monsieur Daniel Forget, comme gestionnaire principal.

[69] Le travailleur raconte qu’à partir de ce moment, soit vers l’automne 1995, un changement d’atmosphère s’opère au sein de la division. Il devient impossible de discuter des dossiers avec la direction, les gestionnaires ne sont pas disponibles et les demandes d’autorisations demeurent sans réponse. Dans un gros dossier médiatisé sur lequel il avait œuvré pendant cinq années (le dossier B)2, le directeur adjoint accepte une offre de règlement que le travailleur juge tout à fait inacceptable. Il en fait part à monsieur Allard, qui lui aurait répondu que s’il ne faisait pas ce qu’il lui disait de faire, il perdrait son emploi. À partir de ce moment, le travailleur raconte que ses dossiers n’avançaient plus. Les dossiers de ses collègues avançaient également plus lentement qu’auparavant, mais ils avançaient.

[…]

[71] Une fois l’analyse initiale effectuée, il devait avoir du support, de l’expertise ou des autorisations du directeur adjoint ou du gestionnaire afin d’obtenir des débours ou de monter un dossier avec le ministère de la Justice. Or, il soutient que, dans son cas, « ça tombait mort ». Il ne revoyait plus ses dossiers et n’obtenait pas les autorisations requises. Depuis l’arrivée de monsieur Allard, ça prenait des autorisations écrites, qu’il attendait et qui n’arrivaient jamais. Il lui était très difficile de rencontrer monsieur Allard. Il prétend qu’entre juillet et décembre 1995, il a eu une, peut-être deux, rencontres avec monsieur Allard et il n’a aucun souvenir d’avoir eu une seule rencontre avec monsieur Forget. Quant à son chef d’équipe, monsieur Ladouceur, les relations ont été très bonnes jusqu’en juillet 1995, date d’arrivée de la nouvelle gestion. Par la suite elles se sont rapidement détériorées. Vers la fin de l’année 1995, son chef d’équipe aurait demandé à ses confrères de travail de ne plus aller le consulter pour les cas complexes, comme ils le faisaient auparavant.

[72] Il relate les circonstances ayant entouré l’expulsion, le 24 décembre 1995, d’un collègue, monsieur Martin Girard, de l’équipe dont il faisait partie. À la suite de cette expulsion, le travailleur est allé s’entretenir avec les gestionnaires relativement à ce geste extrême et ceux-ci lui auraient répondu que de toute façon, lui, il partait en vacances et que son tour viendrait à son retour. Au retour du congé des Fêtes, il reçut une réprimande verbale de ses supérieurs.

[73] Il raconte que depuis les mois de juillet et août 1995 on lui adressait des reproches et lorsqu’il demandait quelque chose, on ne lui répondait pas. On l’isolait. C’est suite à la détérioration de l’environnement de travail qu’il a fait une demande de mutation ou de prêt dans un autre ministère vers la fin de l’année 1995. On lui a répondu qu’il ne serait jamais muté.

[74] À compter de 1996, il déclare qu’il a fait l’objet d’une surveillance assidue de la part de monsieur Allard. Ses gestes, ses appels téléphoniques, ses dossiers et ses déplacements étaient surveillés. À l’aide du système informatisé, il soutient que son supérieur immédiat, monsieur Ladouceur, vérifiait d’une façon exagérée l’évolution de ses dossiers. Ainsi, dans la liste informatisée de ses dossiers courants, on voit à plusieurs reprises le nom de monsieur Ladouceur, signifiant que celui-ci contrôlait fréquemment l’état de ses dossiers.

[75] À cette époque, un avocat du ministère de la Justice avec qui il avait l’habitude de travailler, l’informe à plusieurs reprises que la gestion « voulait avoir sa tête » et qu’elle montait des dossiers contre lui.

[76] Il relate son implication dans un conflit survenu vers la fin de l’année 1996, début 1997, entre deux employés, messieurs Jean-Guy Ouellette et monsieur Gianni De Micco, alors qu’il n’était pas encore délégué syndical. Monsieur De Micco aurait fait l’objet d’espionnage et d’enregistrement illégaux de la part de monsieur Ouellette alors que le gestionnaire, monsieur Patrice Allard, était tout à fait au courant de ce fait puisque le chef d’équipe de monsieur De Micco, Yves Gibeau, l’aurait avisé à plusieurs reprises et que monsieur Ouellette lui rapportait les agissements de monsieur De Micco. La gestion avoua avoir obtenu de façon illégale des informations confidentielles concernant monsieur De Micco (ses déclarations d’impôt) qu’elle soupçonnait de faire des demandes d’accès illégales au système informatique de Revenu Canada. Monsieur De Micco a été suspendu pour une période d’un mois alors que monsieur Allard, qui avait obtenu des informations confidentielles de façon illégale sur monsieur De Micco, ne fit l’objet d’aucune sanction, contrairement à ce qu’il avait demandé à la directrice, madame Carole Gouin.

[77] À la suite de ces événements et voyant que monsieur Allard restait en poste, le travailleur renouvelle sa demande de mutation dans un autre ministère, demande qui lui est à nouveau refusée. Les relations avec monsieur Allard se sont encore détériorées et tous ses faits et gestes sont surveillés par son supérieur qui est maintenant monsieur Beausoleil.

[78] Selon lui, à partir du moment où il est devenu délégué syndical, la surveillance opérée par ses supérieurs à son égard s’est empirée et on l’empêchait de s’occuper de certains dossiers. Avant 1995, il s’occupait des mandats internationaux mais ça lui a été retiré vers l’été ou l’automne 1995. Comparativement à ses collègues, la surveillance était bien plus accrue, l’attitude plus intransigeante et on tentait de l’isoler en empêchant ses confrères d’aller le consulter. On avait placé son bureau directement à côté de son chef d’équipe, monsieur Beausoleil.

[79] Un gestionnaire au département de la vérification, monsieur Georges Ledoux, qui avait assisté à des conférences qu’il avait prononcées antérieurement, lui demande de revenir prononcer une conférence dans son département, ce que monsieur Allard aurait refusé, répondant même que monsieur Sainte-Marie « ne donnera plus jamais de conférence nulle part ».

[80] Au mois de mai 1997, le travailleur raconte qu’un confrère et ami de travail, monsieur Raphaël Maccio, est victime de deux infarctus qu’il croit reliés à son environnement de travail et lui demande de s’occuper de son dossier. Ainsi, le travailleur rencontre le chef d’équipe de monsieur Maccio, monsieur Dion, et lui raconte que monsieur Maccio attribue sa pathologie à son environnement de travail et qu’il faudrait faire quelque chose pour améliorer le milieu de travail malsain. Monsieur Dion aurait rigolé et lui aurait répondu que l’environnent de travail n’était pas la cause de la maladie de monsieur Maccio, qui était plutôt en relation avec ses difficultés conjugales. C’est à la suite de cette rencontre, survenue le 4 ou le 5 juin 1997, que le travailleur dit « avoir perdu les pédales » et s’être rendu consulter un médecin, le docteur Bennett.

[81] Avant cette rencontre médicale, le travailleur raconte qu’il se sentait « tomber dans le précipice », qu’il souffrait d’insomnie, d’anxiété et d’épuisement, qu’il se retrouvait en sueurs et qu’il avait perdu une dizaine de kilos, sans faire aucune diète, qu’il y avait une diminution de l’appétit et de sa libido, qu’il était incapable de prendre des décisions et de se concentrer. Ces symptômes se sont graduellement installés à compter de l’automne 1995 pour atteindre leur paroxysme à l’été 1997. Il réussissait relativement bien à prendre les décisions quotidiennes ne demandant pas une planification formelle, logique et structurée, mais il avait de la difficulté à planifier de façon continue et régulière des actions nécessitant une planification logique. Par exemple, il mettait des heures à écrire certaines lettres pour monsieur Maccio, qu’il représentait dans son dossier CSST.

[…]

[Je souligne]

62 Finalement, toujours sur la question de savoir si le plaignant aurait dû avoir connaissance de l’acte ou des circonstances, je cite deux extraits d’une lettre dans ce dossier, du plaignant adressée au très honorable Paul Martin, Premier ministre du Canada, en date du 23 février 2004, à la page 1 et la page 5 de cette lettre :

[…]

J’ai moi-même agi comme « whistleblower ». Plutôt que d’être soutenu, je fus harcelé par les autorités de l’Agence des douanes et du revenu du Canada dont j’avais dénoncé les agissements.

[…]

Évidement, le directeur-adjoint et la directrice ont nié leur implication jusqu’au moment où, lors d’une réunion que j’avais convoquée, ils furent confrontés à un témoin direct. Je proposai une suspension de l’employé et du directeur-adjoint, ce qui fut accepté. On me signifia ensuite très clairement que ma place n’était plus au sein de l’Agence. Cette histoire fut à l’ origine du litige, et en est encore au cœur.

[…]

[Je souligne]

63 Les dates d’audience du grief et de la requête devant la CLP telles que mentionnés ci-haut sont importantes parce qu’elles établissent la connaissance, bien avant le délai de 90 jours précédant la plainte du 30 octobre 2006, qu’avait le plaignant des actes et circonstances donnant lieu a sa plainte.

64 Ce sont les dates d’audience qui sont significatives pour la Commission en ce qui concerne le plaignant et non la date de la décision de la CLP.

65 Pourtant, le plaignant a attendu la décision de la CLP pour procéder. Or, le fait que la décision confirme la lésion professionnelle n’a aucun lien avec la plainte en vertu du CCT. La confirmation par la CLP ne change rien au fait que le plaignant avait connaissance des faits allégués, puisqu’il les a soulevés aux audiences devant l’arbitre de grief Tessier et devant la CLP (entre autres, la mauvaise foi de l’employeur, le harcèlement, les représailles pour avoir défendu des collègues syndiqués alors qu’il était représentant syndical).

66 Le plaignant soutient qu’il a obtenu la preuve de ce qu’il allègue à l’été 2006, mais il est clair, d’après son argumentation, qu’il a attendu la décision de la CLP avant de procéder en vertu du CCT.

67 Page 1 d’une des lettres d’argumentation du plaignant datée du 26 octobre 2008 :

[…]

Sur l’avis de mon médecin traitant, j’ai refusé de retourner à mon poste de travail. Sur l’avis de son médecin, l’employeur a rejeté ce refus. Il a donc fallu le faire valider juridiquement…

68 Avant sa plainte du 30 octobre 2006, le plaignant n’a jamais invoqué le CCT dans ses échanges avec l’employeur. Le CCT ne peut servir après coup à poursuivre un litige contre l’employeur. Le CCT sert à dénoncer la situation sur le champ. Le fait que le paragraphe 133(2) du CCT impose un délai de rigueur le confirme.

69 De l’avis de la Commission, le plaignant avait connaissance de l’acte et des circonstances dans la période de 1995 à 1998, et certainement bien avant le délai prévu au paragraphe 133(2). Le plaignant n’a malheureusement pas agi en vertu du CCT en temps opportun.

70 Compte tenu de la présente décision, il n’est pas nécessaire d’aborder la question de l’application rétroactive du CCT. La Commission tient toutefois à signaler que l’article 147 invoqué par le plaignant date de 2000. Avant cette date, l’application de l’article 133 était beaucoup plus  restreinte, et le plaignant aurait eu à faire la preuve qu’il avait opposé un refus conformément aux termes de l’article 128, ce qui n’a certainement pas été fait au moment des événements qui ont mené au congédiement.

71 Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

VI. Ordonnance

72 L’objection de l’employeur à l’effet que la plainte est hors délai est retenue et la plainte est rejetée.

Le 20 mars 2009.

Roger Beaulieu,
commissaire

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