Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le fonctionnaire s’estimant lésé a été licencié, pour incapacité, de son poste d’agent correctionnel, en vertu du paragraphe12(1) de la Loi sur la gestion des finances publiques - le fonctionnaire s’estimant lésé était absent du travail depuis cinqans, ayant été témoin d’une violente altercation au travail qui avait déclenché un trouble de stress post-traumatique - sa demande d’indemnités d’accident du travail a été acceptée - la preuve médicale indiquait qu’il ne pourrait plus jamais être en possession d’une arme à feu ni avoir de contacts avec des détenus - la preuve médicale indiquait également qu’il était susceptible de ne pas réagir adéquatement dans des moments de stress et de représenter un danger pour sa sécurité et celle de ses collègues - la preuve médicale indiquait aussi qu’il y avait un risque de rechute si la situation qui lui causait du stress survenait à nouveau - l’arbitre de grief a conclu que les efforts déployés par l’employeur pour lui trouver un autre poste dans la fonction publique avaient été infructueux pour plusieurs raisons, dont l’inaction du fonctionnaire s’estimant lésé et son refus de se relocaliser - l’employeur l’avait licencié une première fois en 2006, mais, à l’issue d’un processus de médiation, il avait accepté de le réintégrer pour une période déterminée afin de lui permettre de bénéficier des services de réintégration dans la fonction publique - le fonctionnaire s’estimant lésé avait alors commencé à insister pour être réintégré dans son poste d’agent correctionnel, une possibilité qui était exclue par les termes du protocole d’entente - l’employeur a avisé le fonctionnaire s’estimant lésé qu’il ne s’était pas conformé au protocole d’entente et qu’il était licencié à nouveau - à l’audience d’arbitrage, le fonctionnaire s’estimant lésé a contesté le diagnostic des médecins et déclaré qu’il allait bien et qu’il était capable de réintégrer son ancien poste - l’arbitre de grief a conclu qu’il avait des limites permanentes et qu’il ne pouvait pas avoir de contacts avec des détenus ni porter une arme à feu - il était impossible pour le fonctionnaire s’estimant lésé de travailler dans un milieu carcéral parce que les exigences professionnelles ne pouvaient pas être modifiées pour tenir compte de ses besoins - l’obligation de prendre des mesures d’adaptation jusqu’à la contrainte excessive a été remplie - le risque pour la santé du fonctionnaire s’estimant lésé et celle de ses collègues était trop élevé s’il était réintégré dans ses anciennes fonctions; le fonctionnaire s’estimant lésé n’avait d’ailleurs pas été capable de prouver le contraire - l’employeur s’était acquitté de son obligation à l’endroit du fonctionnaire s’estimant lésé en déployant de multiples efforts pour tenter de lui trouver un autre travail - il ne s’agit pas d’une obligation à sens unique, or le fonctionnaire s’estimant lésé ne s’est pas acquitté de son obligation de coopérer. Grief rejeté.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2009-04-09
  • Dossier:  566-02-416
  • Référence:  2009 CRTFP 44

Devant un arbitre de grief


ENTRE

RICHARD SIOUI

fonctionnaire s'estimant lésé

et

ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL
(Service correctionnel du Canada)

défendeur

Répertorié
Sioui c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada)

Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l'arbitrage

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Michele A. Pineau, arbitre de grief

Pour le fonctionnaire s'estimant lésé:
Lui-même

Pour le défendeur:
Karl Chemsi, avocat

Affaire entendue à Québec,
du 10 au 14 mars, du 14 au 16 octobre et du 21 au 23 octobre 2008.

Grief individuel renvoyé à l'arbitrage

1 Le fonctionnaire s’estimant lésé, Richard Sioui (le fonctionnaire) travaille comme agent correctionnel depuis 1986 au Service correctionnel du Canada (l’employeur ou le Service correctionnel). Il occupe un poste de CX-02, à Donnacona, un pénitencier à sécurité maximale.

2 Le 18 avril 2006, M. Sioui est licencié de son travail en vertu des dispositions de l’article 12(1) de la Loi sur la gestion des finances publiques. Au soutien de sa décision, l’employeur invoque trois motifs : le fait que M. Sioui est absent depuis le 16 novembre 2001 à la suite d’un accident de travail et n’est jamais revenu travaillé; qu’il est devenu inapte de façon permanente à occuper son poste d’agent correctionnel puisqu’il ne peut travailler auprès de détenus avec une arme à feu; et, que les démarches pour lui trouver un autre emploi au sein de la fonction publique se sont avérées infructueuses.

3 M. Sioui dépose un grief contestant son licenciement, l’objet du présent litige. Je dois décider si l’employeur a pris les mesures d’adaptation nécessaires en vue de réintégrer M. Sioui dans le milieu de travail jusqu’à la contrainte excessive.

Résumé de la preuve

4 Le 16 novembre 2001, M. Sioui est témoin d’une altercation violente au pénitencier impliquant un autre agent correctionnel. Il consulte l’infirmière du service de programme d’aide aux employés qui lui signale qu’il pourrait présenter un trouble de stress post-traumatique. Le 22 novembre 2001, M. Sioui consulte le Dr Alain Beaumier qui pose un diagnostic de stress post-traumatique et qui recommande un arrêt de travail. M. Sioui consulte une psychologue, Jocelyne Carrier qui juge que l’événement traumatique du 16 novembre 2001 a déclenché des symptômes liés à un événement traumatique du même genre deux ans plus tôt que M. Sioui n’a pas rapporté. Le 7 novembre 2001, M. Sioui consulte la Dre Nancy Tremblay qui retient le diagnostic d’état de stress post-traumatique.

5 Le 29 novembre 2001, M. Sioui dépose une réclamation d’accident de travail auprès de l’employeur alléguant deux incidents. Un premier incident en date du 31 mai 1999 où un détenu aurait eu une altercation violente avec lui, et qui jusque là était resté sous silence, et une récidive, soit l’incident du 16 novembre 2001. M. Sioui ne revient pas au travail. Comme aucune décision n’a encore été rendue par la CSST, M. Sioui est considéré être en congé de maladie par l’employeur.

6 Le 5 août 2002, le Dr Martin Gourgue, psychiatre, devient le médecin traitant de M. Sioui. Dans ses notes de consultation, le Dr Gourgue rapporte qu’il y a un rapport de cause à effet entre l’incident du 31 mai 1999 et celui du 16 novembre 2001. Lors de ces événements, M. Sioui a été confronté à des situations au cours desquelles il a craint pour son intégrité physique, ce qui a suscité une réaction de peur intense. L’incident survenu le 31 mai 1999 a été le plus significatif parce que M. Sioui a été confronté directement. L’incident du 16 novembre 2001 a réactivé la peur que M. Sioui gardait au fond de lui et a constitué la goutte qui a fait déborder le vase. Il retient un diagnostic de trouble de stress post-traumatique pour lequel il assure le suivi médical.

7 Le 11 février 2002, la Commission de la santé et de la sécurité du travail (CSST) rejette la réclamation de M. Sioui.

8 En mars 2002, à la demande de l’employeur, M. Sioui est évalué par le Dr Bruno Laplante, psychiatre. Dans son rapport d’expertise en date du 12 juillet 2002, le Dr Laplante rapporte que M. Sioui présente des symptômes compatibles avec un trouble de stress post-traumatique, mais juge qu’il n’y a pas de relation entre l’incident du 16 novembre 2001 et les symptômes de M. Sioui. Il conclut donc à un désordre anxieux non spécifié, à l’absence d’atteintes permanentes et au fait que M. Sioui ne présente pas d’invalidité concernant son travail.

9 La décision de la CSST est confirmée par une révision administrative du 2 octobre 2002. M. Sioui dépose alors auprès de la Commission des lésions professionnelles (CLP) une requête contestant la décision de la CSST. Il demande à la CLP de reconnaître que le diagnostic de trouble de stress post-traumatique découle de deux accidents du travail survenus le 31 mai 1999 et le 16 novembre 2001. Le 13 janvier 2004, la CLP accueille la requête de M. Sioui, infirme la révision administrative du 2 octobre 2002 et déclare qu’il a subi un accident du travail nécessitant un arrêt de travail à compter du 19 novembre 2001. La CLP lui reconnaît une limitation fonctionnelle permanente de 15 % sur le plan psychique et une inaptitude au travail.

10 Le 20 février 2004, M. Sioui présente à l’employeur un rapport médical du Dr Gourgue, qui recommande que M. Sioui soit réorienté dans une autre fonction connexe ou non à son travail, où il n’aurait pas de contact avec des détenus et où il ne serait pas en possession d’une arme à feu. Il opine qu’il est difficile de prévoir si les indemnités jugées permanentes le seront effectivement à tout jamais ou s’il y aura amélioration au fil des années. Toutefois, avec deux ans de recul, il est d’avis que M. Sioui restera toujours affecté du point de vue psychique.

11 En raison des opinions médicales contradictoires du Dr Laplante et du Dr Gourgue, l’employeur demande au Dr Jean-Pierre Fournier d’expertiser M. Sioui. Dans son rapport d’expertise en date du 18 mars 2005, le Dr Fournier reprend en grand détail tous les rapports d’expertises antérieurs, les décisions de la CSST et de la CLP, la description de travail d’agent correctionnel ainsi que les documents que lui présente M. Sioui le jour de l’expertise. Bien que M. Sioui apparaisse asymptomatique au moment de l’examen et qu’il a tendance à banaliser considérablement son dossier, comme médecin, le Dr Fournier se range du côté des conclusions de la CLP et du psychiatre traitant de M. Sioui voulant qu’il ne peut plus travailler comme agent correctionnel pour les raisons suivantes. La symptomalogie psychique a été suffisamment sévère pour que M. Sioui ait été inapte au travail pendant quatre ans et qu’il ait eu recours à des mesures psychothérapeutiques et pharmaco-thérapeutiques. M. Sioui présente encore une fragilité psychique non négligeable, même s’il peut y avoir rémission. En raison de la nature du travail d’agent correctionnel, il demeure à risque de rechute advenant un stress au travail ou des incidents similaires à ceux qu’il a déjà vécus. Enfin, le Dr Fournier demeure convaincu qu’en raison des antécédents psychiques et la nature des fonctions de M. Sioui, il est susceptible de ne pas réagir adéquatement en cas d’urgence et conséquemment de représenter un danger potentiel pour sa sécurité ou celle d’autrui. À l’audience, le Dr Fournier, à titre de témoin expert, témoigne concernant l’opinion qu’il a donné le 18 mars 2005, et tire la conclusion que M. Sioui est dorénavant incapable d’exercer des fonctions d’agent correctionnel pour le reste de sa carrière. Le témoignage du Dr Fournier n’est pas contredit par un autre témoignage d’expertise.

12 M. Jean-Yves Bergeron, le sous-directeur du pénitencier de Donnacona, témoigne que la clientèle du pénitencier de Donnacona comprend près de 300 détenus qui ont commis des crimes avec violence (agression armée, vol qualifié, meurtre ou tentative de meurtre, contrebande avec intimidation), des récidivistes ou des détenus qui ont des difficultés d’adaptation dans d’autres institutions. L’agent de correction CX-02 (le poste occupé par M. Sioui) est le surveillant des agents de correction CX-01 et fait partie des intervenants de première ligne; ils escortent les détenus et contrôlent les mouvements de détenus dans l’établissement. L’agent correctionnel porte une arme à feu et peut être appelé à intervenir lors d’altercations, bagarres ou agressions entre détenus, d’émeutes ou de toute autre situation de violence dans un pénitencier. Il y a une soixantaine d’incidents par année où il est nécessaire de recourir à la force (avec des armes). Ces incidents peuvent impliquer un agent correctionnel dans n’importe quelle partie de l’établissement et l’agent sur place n’a pas le choix que d’intervenir au moment du déclenchement d’une alarme.

13 Au pénitencier de Donnacona, tous les postes, même les postes administratifs, comportent un contact ou un risque de contact avec les détenus, que ce soit les employés du magasin, de l’atelier, de l’école, de la cuisine, de la lingerie ou ceux de l’administration, y compris le téléphoniste. Dans ce pénitencier, les détenus circulent dans les différents secteurs, même s’il s’agit d’une circulation contrôlée. Tous les secteurs du pénitencier sont à risque d’actes de violence lors d’une tentative d’évasion, d’une prise d’otage ou d’une agression. Il y a des incidents toutes les semaines. Les altercations avec les détenus sont chose courante dans les pénitenciers et font partie des risques du métier.

14 M. Bergeron témoigne qu’en janvier 2005, l’employeur examine la possibilité d’un travail qui correspond aux  limitations fonctionnelles permanentes de M. Sioui, soit un poste modifié où il n’aurait pas de contact avec les détenus. L’employeur arrive à la conclusion que de soustraire d’un poste d’agent correctionnel tout contact avec les détenus, rend ce poste improductif et la tâche des autres agents correctionnels du groupe alourdie pour autant. Par conséquent, aucun poste d’agent correctionnel au pénitencier de Donnacona n’est susceptible de correspondre aux limitations fonctionnelles permanentes de M. Sioui.

15 En 2005, M. Christian Rioux est chargé du traitement du dossier de retour au travail de M. Sioui.  M. Rioux est un agent de formation qui coordonne le Programme de retour au travail (PRT) du Service correctionnel pour la région du Québec.  Le but du PRT est d’assurer, le plus rapidement possible, le retour au travail d’employés qui ont subi un accident du travail ou une maladie professionnelle dans un cadre sécuritaire qui tient compte des limitations fonctionnelles établies par des experts. Le rôle de M. Rioux est de maintenir un partenariat entre les programmes locaux, les programmes régionaux et les divers intervenants (l’employé, le syndicat, le gestionnaire et les coordonnateurs de programmes). Il s’implique dans le dossier de retour au travail d’un employé, quand le dossier est transféré au niveau régional. Le dossier est normalement transféré au niveau régional lorsque le dossier d’accident du travail a fait son cours et que les limitations fonctionnelles ont été établies.

16 M. Rioux a un premier contact téléphonique avec M. Sioui le 17 mars 2003, puis tient une entrevue téléphonique plus formelle avec lui le 18 mars 2003, pour connaître ses besoins, ses attentes, ses intérêts et son désir de profiter du programme. À cette époque, l’ampleur des limitations fonctionnelles de M. Sioui n’est pas encore connue, car le recours du travailleur devant le CLP n’est pas terminé. M. Rioux discute avec M. Sioui de la possibilité de réorienter sa carrière puisque c’est la conclusion de son médecin traitant. Au moment où il prend charge du dossier, l’intervention de M. Rioux est une mesure préventive. M. Sioui doit faire parvenir son curriculum vitæ à M. Rioux.

17 M. Rioux dit à M. Sioui qu’il doit s’engager à participer activement à la recherche d’emploi et à le tenir au courant de ses démarches s’il veut participer au PRT. Le 24 mars 2003, après l’entrevue initiale, M. Rioux fournit à M. Sioui les ressources pour faciliter sa recherche d’emploi soit une trousse d’information qui comprend un modèle de curriculum vitae, une liste de sites Internet pertinents et un document sur le système de promotion de carrière avec des instructions pour s’abonner au programme « À l’écoute » afin de recevoir électroniquement les possibilités d’emploi dans la fonction publique fédérale.

18 Pour sa part, M. Rioux mobilise ses partenaires pour appuyer la recherche d’emploi de M. Sioui et maintient un dossier de notes évolutives. Comme M. Sioui est identifié comme autochtone, le 26 mai 2003, M. Rioux téléphone au ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien pour voir s’il y a une possibilité d’emploi; il n’y a à ce moment aucun poste disponible.

19 Le 19 juin 2003, M. Rioux téléphone à M. Sioui pour faire un suivi de son curriculum vitae. M. Rioux reçoit le curriculum vitae de M. Sioui le 7 juillet 2003.

20 M. Rioux met en branle son réseau de contacts interministériels en vue d’un poste éventuel pour M. Sioui. M. Sioui ne communique pas avec lui concernant ses propres démarches. Le 2 décembre 2003, M. Rioux fait parvenir le curriculum vitae de M. Sioui à Statistique Canada. M. Rioux demeure sans nouvelles de M. Sioui. M. Rioux apprend la nature des limitations fonctionnelles permanentes de M. Sioui, peu après la décision du CLP le 20 février 2004. Le 6 avril 2004 se tient une rencontre entre M. Rioux et les intervenants de l’établissement de Donnacona (le PRT local, le PRT régional et un représentant de la gestion) pour une mise à jour du dossier de M. Sioui. M. Rioux apprend que le 21 février 2003, M. Sioui a été invité à poser sa candidature pour un poste d’instructeur-peintre, au pénitencier de Donnacona, mais qu’il n’a pas donné suite à la lettre d’invitation.

21 Le 4 mai 2004, M. Rioux téléphone à M. Sioui pour discuter avec lui du progrès de sa démarche d’emploi maintenant qu’il est apte à travailler. M. Rioux réitère à M. Sioui qu’il doit collaborer à la recherche d’emploi. À la demande de M. Sioui, une rencontre est fixée pour le 10 mai 2003 à Québec pour revoir son dossier. M. Sioui ne se présente pas. Il ne retourne pas le message que lui a laissé M. Rioux pour connaître les raisons de son absence.

22 Le 11 mai 2004, M. Rioux relance une recherche de poste vacant au pénitencier de Donnacona qui conviendrait à M. Sioui. Aucun poste vacant ne correspond aux limitations fonctionnelles de M. Sioui. Le même jour, M. Rioux invite M. Sioui à faire une démarche auprès de l’Agence des services frontaliers du Canada et lui donne les coordonnées d’une personne-ressource. Comme M. Sioui ne s’est pas encore inscrit au programme de promotion de carrière « À l’écoute », M. Rioux le fait pour lui.

23 Le 23 juin 2004 se tient une rencontre à Donnacona avec M. Sioui et son représentant syndical pour s’entendre sur une stratégie de recherche d’emploi. Comme M. Sioui désire travailler dans la région de la réserve Wendake où il habite, M. Rioux lui indique que ses possibilités d’emploi dans un autre poste au sein du Service correctionnel sont limitées. La région de Québec offre peu de possibilités d’emploi en comparaison avec la région de Laval ou de Montréal. Il n’y a actuellement aucun poste vacant dans la région de Québec qui correspond à ses limitations fonctionnelles. M. Sioui dit à M. Rioux qu’il a entamé des démarches auprès de l’Agence des services frontaliers.

24 Le 30 juin 2004, M. Rioux communique avec le ministère de la Défense nationale pour vérifier les opportunités d’emploi à Québec, et le ministère accepte de faire circuler le curriculum de M. Sioui. M. Rioux communique aussi avec l’Agence des services frontaliers. La demande de M. Sioui a été reçue trop tard; les examens pour la région de Québec ont eu lieu le 11 juin 2004.

25 Le 5 juillet 2004, M. Sioui téléphone à M. Rioux pour lui donner des nouvelles d’une démarche auprès du Ministère des affaires indiennes qui s’est avérée infructueuse et du fait qu’il attend le retour de vacances d’un orienteur de carrière pour le rencontrer.

26 Le 8 juillet 2004, M. Rioux fait une démarche pour que M. Sioui puisse écrire l’examen de l’Agence des services frontaliers à Montréal le 23 juillet 2004. M. Sioui ne réussi pas cet examen.

27 Vers le 14 juillet 2004, M. Sioui fait connaître son intérêt à suivre une formation comme chauffeur de camion. M. Rioux l’encourage à obtenir son permis de classe 3 (véhicules lourds) et une formation linguistique aux frais de la CSST et tout autre organisme qui appuierait sa demande. M. Rioux rappelle à M. Sioui de l’ouverture d’un concours au ministère de la Défense nationale pour un poste de chauffeur de camion pour lequel il sera qualifié après sa formation de camionneur.

28 En août 2004, M. Sioui commence sa formation pour devenir chauffeur de camion. Il termine sa formation en décembre 2004. Il obtient un permis de classe 3 qui l’autorise à conduire certaines catégories de véhicules lourds.

29 Le 18 novembre 2004, à la demande de M. Sioui, le Dr Gourgue émet un nouveau rapport dans lequel il écrit cette fois qu’il appuie la décision de M. Sioui de vouloir retourner travailler comme agent correctionnel, mais avec la nuance qu’il y a quand même « probabilité mathématique d’une rechute si jamais les éléments stresseurs étaient significatifs au travail ou encore si des éléments d’une dépression majeure réapparaissaient, de façon spontanée. De plus, il n’est pas à l’abri, bien sûr, d’un nouvel événement traumatisant qui pourrait se reproduire, comme ce fut le cas dans le passé. »

30 Le 10 décembre 2004, la CSST rend une décision dans laquelle elle considère que M. Sioui est apte, à compter du 8 décembre 2004, à exercer un emploi convenable, soit celui de chauffeur de camion, et qu’il sera indemnisé jusqu’au 8 décembre 2004. M. Sioui conteste cette décision devant la CLP.

31 Le 3 mai 2005, M. Rioux fait une campagne de marketing virtuel (anonyme) de la disponibilité de M. Sioui pour un emploi dans tous les ministères.

32 Le 9 mai 2005, M. Rioux envoie un courriel au représentant syndical de M. Sioui, Robert Jacques, l’avisant que M. Sioui satisfait à toutes les exigences d’un poste de CR-04 pour l’Agence canadienne d’inspection des aliments dans la région de Québec, dont celles d’être autochtone et francophone. M. Rioux ne peut communiquer directement avec M. Sioui car ce dernier a changé son adresse courriel sans préavis. M. Jacques transfère le courriel de M. Rioux à M. Sioui, mais ce dernier ne donne pas suite à cette possibilité d’emploi.

33 Le 1er juillet 2005, M. Sioui se dit maintenant disponible pour un travail dans la région de Laval, où il existe des postes de chauffeurs de camion. M. Rioux lance un avis d’intérêt de M. Sioui (curriculum vitae et un résumé des compétences) à la Direction des ressources humaines du Service correctionnel à Laval pour un poste vacant.

34 Le 25 juillet 2005, M. Sioui se rétracte; il n’est plus mobile pour un poste à Laval. M. Rioux retire l’avis d’intérêt qui avait été envoyé.

35 Par la suite, M. Rioux accepte un poste à l’école du Service correctionnel et se retire du dossier de M. Sioui.

36 M. Sioui est licencié le 18 avril 2006 pour les motifs suivants : tel que diagnostiqué par son propre médecin et par une évaluation médicale indépendante (celle du Dr Fournier), M. Sioui n’est plus apte à occuper son poste d’agent correctionnel auprès des détenus avec une arme à feu et les démarches entreprises de concert avec lui dans le cadre du PRT se sont avérées infructueuses.

37 Le 12 janvier 2007, à la demande de M. Sioui et avec la collaboration du syndicat se tient un processus de médiation qui résulte en un protocole d’entente selon lequel l’employeur s’engage, entre autres conditions, à lui rembourser certains avantages sociaux, à le réintégrer dans son poste d’agent correctionnel mais avec congé sans solde afin qu’il puisse bénéficier des services de réintégration à la fonction publique, et à lui fournir un service d’orientation de carrière. Pour sa part, et entre autres conditions, M. Sioui s’engage à faire une recherche active d’emploi au sein du Service correctionnel et dans la fonction publique fédérale avec l’aide d’une personne du secteur des ressources humaines, Marie-Claire de Lottinville. Il accepte qu’au 5 mars 2008, l’employeur mettra fin à son emploi pour raison d’incapacité médicale si aucun emploi convenable ne lui est encore offert. Le 31 janvier 2007 à la suite de l’une des conditions de la mise en vigueur du protocole d’entente, le psychiatre traitant de M. Sioui confirme que ce dernier était en mesure d’apprécier le contenu du protocole d’entente et de le signer. Le 6 février 2007, par courriel, M. Sioui demande une rencontre individuelle avec Pierre Laplante, le nouveau directeur du pénitencier. M. Laplante n’accepte pas de rencontrer seul M. Sioui, citant les termes du protocole d’entente et l’absence de participation du syndicat. Le 1er mars 2007, M. Sioui informe son représentant syndical, M. Deschambault, qu’il est mobile pour un emploi à l’extérieur de la région de Québec dans des établissements à sécurité minimale et des maisons de transition.

38 Le 19 avril 2007, M. Laplante réintègre M. Sioui dans ses fonctions avec congé sans solde.

39 Le 19 avril 2007, Mme de Lottinville envoie un courriel à M. Sioui, avec copie à son représentant syndical, pour lui transmettre l’annonce d’un processus pour combler des postes d’agents pour l’Agence des services frontaliers dans la région de Québec et l’encourage à se présenter pour ce concours. Le 25 avril 2007, comme aboutissement d’une série de courriels échangés avec M. Sioui, Mme de Lottinville fait une mise au point. M. Sioui continue à réclamer avec insistance une réintégration comme agent correctionnel, une possibilité exclue par les termes du protocole d’entente et s’obstine qu’il n’y a « pas de plan d’action à y avoir ». Si c’est sa position lui répond-t-elle, les services d’un orienteur convenus dans le protocole d’entente ne sont pas nécessaires. Toutefois, Mme de Lottinville l’encourage à poursuivre sérieusement ses recherches d’emploi et lui renouvelle son offre d’appui. M. Sioui ne répond pas à ce courriel.

40 M. Laplante convoque M. Sioui, par l’entremise de son représentant syndical, à une rencontre le 14 juin 2007 pour tenter de dénouer les différends concernant l’application du protocole d’entente. M. Sioui est avisé de cette rencontre par écrit le 30 mai 2007 par Pierre Dumont, président du syndicat pour la région du Québec. M. Laplante, une conseillère en relations de travail et deux représentants syndicaux, MM. Deschambault et Jacques se présentent à la rencontre; M. Sioui ne se présente pas.

41 Le 29 juin 2007, M. Laplante écrit à M. Sioui pour lui dire qu’il ne s’est pas conformé au protocole d’entente signé le 12 janvier 2007, qu’il veut discuter de la situation et connaître sa position avant le 27 juillet 2007. À l’audience, M. Laplante témoigne que les motifs qui ont suscité sa lettre sont les suivants :

  • M. Sioui n’a pas retiré ses griefs et refuse toute collaboration avec le syndicat pour le faire.  
  • M. Sioui poursuit activement ses dossiers devant la CLP, contrairement à ce qu’il s’était engagé à faire. 
  • M. Sioui a écrit directement à Keith Coulter, le commissaire du SCC, le 17 avril 2007, pour lui faire part de son insatisfaction concernant les conditions du protocole d’entente et le contenu des expertises médicales. M. Sioui menace d’entreprendre d’autres démarches de contestation, dont une plainte de harcèlement et une poursuite civile. M. Sioui demande d’être réintégré à un poste d’agent correctionnel CX-02 à compter du 19 avril 2007.  
  • M. Sioui n’a pas donné suite à l’invitation de Mme de Lottinville d’établir un plan d’action pour lui trouver un travail autre que celui d’agent correctionnel et n’a, selon toute apparence, pris aucune initiative pour se trouver un autre poste.

42 En réponse à la lettre de M. Laplante du 29 juin 2007, M. Sioui envoie un courriel à M. Bergeron, le 19 juillet 2007, dans lequel il se dit maintenant disponible pour une réaffectation à l’interne au pénitencier au niveau CR-04 – secteur bâtisse de service.

43 Le 4 octobre 2007, M. Laplante écrit à M. Sioui pour l’informer qu’il met fin au protocole d’entente signé le 12 janvier 2007 et réactive le licenciement du 19 avril 2006, au motif que M. Sioui n’a pas respecté ses engagements liés au protocole d’entente.

44 Manon Houle, conseillère en relations de travail au Service correctionnel, témoigne qu’après la décision de la CLP et les expertises médicales des Drs Fournier et Gourgue, il a clairement été expliqué à M. Sioui par elle-même et par Mme de Lottinville qu’en raison de ses limitations fonctionnelles permanentes, M. Sioui ne peut revenir travailler avec des détenus ou avec une arme à feu. Selon les conclusions des médecins experts, les risques de récidive sont trop grands. Le docteur Gourgue a conclu que ceci ne l’empêche pas de travailler pour autant, mais qu’il doit réorienter sa carrière. M. Sioui a volontairement suivi une formation de chauffeur de camion payée par la CSST dans le but de l’aider à se recycler. Toutefois, M. Sioui continue à insister dans sa correspondance et ses conversations téléphoniques avec Mme Houle qu’il veut revenir comme agent correctionnel. Le 1er mars 2007, M. Sioui fait connaître sont intérêt pour une mutation à un poste d’agent de probation dans une maison de transition ou comme agent correctionnel dans un établissement à sécurité minimale. Selon Mme Houle, ces postes ne sont pas convenables car ils impliquent des contacts avec des détenus et des situations où les détenus peuvent devoir être maîtrisés.

45 Mme Houle témoigne aussi que lorsque M. Sioui a été accrédité comme camionneur, l’employeur a voulu lui trouver un travail qui correspondait à sa formation. Il n’y a pas de chauffeurs qui sont des employés au pénitencier de Donnacona, mais il y en a au centre administratif de Ste-Anne-des-Plaines à Laval. Un poste de chauffeur de camion à Laval est devenu vacant, mais M. Sioui s’est déclaré non mobile pour travailler à l’extérieur de la région de Québec. M. Sioui a continué à écrire à M. Bergeron et à M. Laplante pour tenter de les convaincre de le réintégrer dans un poste d’agent correctionnel, alors que Mme de Lottinville faisait des démarches pour lui trouver un poste adapté à ses limitations fonctionnelles.

46 M. Sioui témoigne concernant les faits suivants. Après l’incident du 16 novembre 2001, il rencontre la représentante du programme d’aide aux employés, Marie-Chantal Beaudry. M. Sioui lui relate un incident semblable qui avait eu lieu le 31 mai 1999, mais qui l’impliquait directement. Il n’a pas rapporté l’incident à l’époque et a tenté de l’oublier. Mme Beaudry fait le lien entre les deux incidents et lui suggère qu’il pourrait s’agir d’un trouble de stress post-traumatique; elle l’encourage à consulter un médecin. Le 22 novembre 2001, M. Sioui consulte le Dr Beaumier et lui parle de la conclusion de Mme Beaudry. Le Dr Beaumier, en quelques minutes selon M. Sioui, pose le diagnostic de trouble de stress post-traumatique et met M. Sioui en arrêt de travail. Le Dr Gourgue pose le même diagnostic que le Dr Beaumier. M. Sioui attribue la présente saga de son accident du travail et des limitations fonctionnelles qui en ont résulté au faux « diagnostic » posé par Mme Beaudry et à l’aveuglement des médecins qui ont confirmé le même diagnostic par la suite. M. Sioui me demande d’annuler le « diagnostic » posé par Mme Beaudry et les rapports médicaux qui ont suivi, de retirer et d’annuler la consolidation médicale du 20 février 2004 faite par la CLP et d’annuler ses limitations fonctionnelles permanentes.

47 M. Sioui souligne que le rapport médical du Dr Laplante en 2002 est contredit par celui du Dr Fournier en 2004 et par celui du Dr Gourgue en 2005. Il me demande de tenir compte uniquement de l’opinion du Dr Laplante. Il me demande d’ordonner qu’il soit evalué par Santé Canada afin de connaître son état actuel, qui selon lui, lui permettrait de réintégrer ses fonctions comme agent correctionnel. M. Sioui se dit en santé, fonctionnel et sans maladie mentale. M. Sioui se dit convaincu que le diagnostic de stress post-traumatique posé à son égard est faux et a contribué à ruiner sa carrière. Il a plutôt souffert d’un épuisement professionnel ou d’une dépression. Il a été bouleversé par le suicide d’un de ses collègues au pénitencier le 19 septembre 2004; il n’a pas été en mesure de prendre des décisions éclairées pour quelques semaines. Il dit regretter d’avoir consulté un psychiatre, car cette décision a mené à un cheminement fort difficile pour lui et qu’il a le sentiment d’un échec professionnel. Il ajoute que n’eût été du soutien de sa famille et de la réserve autochtone où il habite, il aurait tout perdu. Il me demande de mettre fin à toutes les difficultés qu’il a endurées en le réintégrant dans son travail. Il témoigne que si je le réintègre dans son travail, il consentira à retirer tous les autres recours qu’il a déjà entamés.

48 Au moment du contre-interrogatoire du Dr Fournier, M. Sioui me soumet un document qu’il a rédigé et qu’il dit être sa « contre-expertise » du témoignage du Dr Fournier. Dans ce document, il reprend certaines parties de la conversation qu’il a eue avec le Dr Fournier au moment de sa visite pour une expertise, dont le fait qu’il n’a pas prévu un autre emploi si l’employeur ne le réintègre pas, que sa formation de camionneur découle de sa propre initiative et de ses propres démarches auprès de la réserve de Wendake et qu’il ne veut pas vraiment être camionneur.

49 En contre-interrogatoire, M. Sioui admet qu’il est allé devant la CLP pour faire confirmer le diagnostic de stress post-traumatique. Il s’est fié aux conseils de son syndicat et à ceux de son procureur à l’époque. Avec du recul, M. Sioui est maintenant convaincu que c’était une erreur car il a reçu des mauvais conseils en allant de l’avant avec sa réclamation d’un accident du travail, bien qu’il n’ait pas porté plainte contre son syndicat à cet égard. Il admet qu’au moment de l’audience devant la CLP, il contestait l’expertise médicale du Dr Laplante et a présenté l’opinion du Dr Gourgue au soutien de sa contestation des conclusions de la CSST.

50 M. Sioui admet qu’il n’a pas donné suite à une lettre de son employeur en date du 21 février 2003 où on lui offrait la possibilité d’un poste comme instructeur-peintre et qu’il a été mal conseillé par son syndicat à ce sujet. Il dit qu’il ne s’est pas présenté à une rencontre avec M. Rioux à Laval parce que son représentant syndical lui a dit qu’il n’y avait rien d’utile à une telle réunion. M. Sioui nie avoir reçu un appel de son représentant syndical, M. Jacques le 29 mai 2007, pour lui rappeler l’endroit de la rencontre du 14 juin 2007. Il dit ne pas s’être présenté à la rencontre du 14 juin parce que son procureur, Me Marc Bellemare, lui a dit de ne pas se présenter, et de plus, qu’il était en période d’examen pour des études qu’il suivait à ce moment-là. M. Sioui témoigne qu’il n’a pas signé les formulaires de désistement de son grief de congédiement ou ceux de sa contestation devant le CLP car, selon lui, le protocole d’entente n’avait pas été signé de bonne foi par l’employeur.

51 M. Sioui dit qu’il a signé le protocole d’entente même s’il était en désaccord avec certaines conditions parce qu’il était bouleversé par le décès récent de sa mère et par le suicide de son collègue de travail. Il admet ne pas avoir mentionné au Dr Gourgue, à l’employeur ou au syndicat ces  facteurs atténuants avant la tenue de la présente audience. Il admet qu’il était accompagné de son représentant syndical et de son épouse au moment de la médiation, mais il dit avoir été tellement bouleversé qu’il ne pouvait prendre pleinement connaissance de ce qui se passait.

52 M. Sioui témoigne qu’après avoir signé le protocole d’entente, il l’a présenté à Me Bellemare, mais ce dernier n’a pas tenu compte du fait que la poursuite de son dossier devant la CLP risquait d’annuler une des conditions du protocole d’entente.

53 M. Sioui témoigne qu’il a fait toutes les démarches qui lui semblaient nécessaires et a tenté de se trouver du travail.  Il a fait une demande à la Société canadienne des postes pour un travail à titre de facteur et de commis et il a travaillé à temps partiel à quelques reprises. Il a travaillé pour le service des loisirs de la réserve Wendake. Il a fait une demande à l’Agence des services frontaliers du Canada et a participé à l’examen écrit. Il n’a pas été considéré pour le poste de commis achats et inventaire au pénitencier de Donnacona. Le poste a été comblé dans le cadre de la relocalisation d’un autre employé. Il a fait la demande pour occuper le poste de manutentionnaire-linger, mais il ne possédait pas un permis de conduite de classe 3 à l’époque.

Résumé de l’argumentation

L’employeur

54 L’employeur plaide qu’il était justifié de licencier M. Sioui en raison de sa condition médicale et de l’impossibilité de l’accommoder dans son poste. La preuve a démontré que M. Sioui n’était pas intéressé dans un poste autre que celui d’agent de correction à Donnacona et il ne l’est toujours pas. M. Sioui n’a jamais pris au sérieux les efforts de l’employeur pour lui trouver un poste autre que celui d’agent correctionnel. L’employeur soumet que les limitations fonctionnelles permanentes de M. Sioui sont incompatibles avec le poste d’agent correctionnel et que ma décision devrait se limiter à cette analyse.

55 L’employeur considère que les efforts qu’il a déployés à tenter de trouver un autre poste à M. Sioui ont échoués parce que M. Sioui n’était pas motivé à trouver autre chose. De plus, il n’était pas mobile au moment où des postes susceptibles de l’accommoder sont devenus vacants. Selon l’employeur, M. Sioui s’attendait à ce que l’employeur lui fournisse du travail sans qu’il ait à faire sa part. Le protocole d’entente doit être considéré comme un autre effort de l’employeur pour venir en aide à M. Sioui, même après son licenciement. M. Sioui a encore une fois refusé de collaborer en ne respectant pas les conditions du protocole d’entente, en ne se présentant pas à une rencontre le 14 juin 2007 et en ne donnant pas suite à la lettre de l’employeur du 29 juin 2007 pour faire une mise au point de la situation. M. Sioui s’est borné à vouloir revenir comme agent correctionnel au point de faire échec à l’entente et à limiter ses chances de trouver du travail ailleurs.

56 Selon l’employeur, M. Sioui soulève des questions tant originales qu’inédites. M. Sioui nie qu’il ait quelque condition médicale que ce soit, bien qu’il se soit absenté pendant plusieurs années pour une telle condition. Il nie que l’employeur ait tenté durant toute cette période à trouver une solution en raison de cette condition médicale qu’il a fait valoir comme le fondement de plusieurs procédures juridiques. L’employeur me met au défi de trouver une logique dans les arguments de M. Sioui et m’invite à conclure qu’il a agi de bonne foi en essayant de trouver une mesure d’adaptation valable pour M. Sioui. L’employeur plaide que l’échec de trouver un emploi pour M. Sioui ne lui est pas imputable.

57 L’employeur me demande de retenir la preuve médicale au dossier parce qu’elle réfute les dires de M. Sioui qui n’a présenté aucune contre-preuve. M. Sioui jette un blâme généralisé sur toutes les personnes qui lui ont prodigué des conseils, que ce soit l’infirmière du programme d’aide aux employés, les médecins traitants, ses représentants syndicaux ou son procureur.

58 Les faits suivants sont clairement établis. M. Sioui a subi un stress post-traumatique à la suite d’une altercation dont il a été témoin le 16 novembre 2001. Il a fait une demande à la CSST pour que cette condition soit reconnue comme un accident du travail. L’employeur a contesté le lien entre l’accident et les symptômes en produisant l’expertise du Dr Laplante. La CLP a donné raison à M. Sioui à savoir que son stress post-traumatique découlait d’un accident du travail. L’absence de M. Sioui depuis le 16 novembre 2001 est liée à une condition médicale. Cette condition a été confirmée le 20 février 2004 par l’opinion du Dr Gourgue, le médecin traitant de M. Sioui, qui recommande que son patient ne retourne pas dans le milieu carcéral. M. Bergeron a expliqué que la clientèle du pénitencier de Donnacona est une population venant de groupes criminalisés parmi les plus violents au Canada. Les détenus circulent librement selon leur horaire de travail, y compris dans la cour et au gymnase. Tous les agents correctionnel ont des contacts avec les détenus et doivent porter une arme à feu; les incidents violents sont imprévisibles. Les employés du pénitencier qui ne portent pas d’armes ont tout de même des contacts de près ou de loin avec les détenus.

59 La preuve médicale est claire et non contredite. Le médecin traitant de M. Sioui est du même avis que l’expert de l’employeur : M. Sioui souffre d’une limitation fonctionnelle permanente qui est incompatible avec le travail d’un agent correctionnel. Il est asymptomatique parce que les stresseurs susceptibles de faire ressortir les symptômes, soit des incidents violents, sont absents. L’employeur ne peut prendre le risque de réintégrer M. Sioui, sachant qu’il met en péril sa propre sécurité et celle de ses collègues de travail s’il survenait un incident violent pendant qu’il est en devoir.

60 L’employeur a tenté, par l’entremise du PRT, de trouver du travail pour M. Sioui. Sauf pour trois semaines en 2005, M. Sioui s’est déclaré non mobile hors sa région; il a tardé à préparer son curriculum vitae, il ne s’est pas inscrit au programme électronique de promotion de carrière et M. Rioux a dû le faire pour lui. Il n’a pas poursuivi activement les pistes d’emploi que M. Rioux lui proposait. Il ne s’est pas présenté à deux rencontres stratégiques. Il n’a pas tenu M. Rioux informé de ses démarches pour se trouver un emploi. M. Sioui s’est déclaré mobile en mars 2007, mais a continué à insister sur un retour à son poste d’agent correctionnel et n’a pas fait d’efforts réels pour se relocaliser. M. Sioui n’a pas mentionné le décès de sa mère ou le suicide de son collègue de travail comme facteurs atténuants à qui que ce soit avant l’audience.

61 L’employeur soumet qu’il a tenté d’accommoder M. Sioui jusqu’à la contrainte excessive à deux reprises soit, une première fois avant de le licencier et une deuxième fois après l’avoir réintégré. Au moment de la réintégration, il a été clairement dit à M. Sioui qu’il ne retournerait pas dans un poste d’agent correctionnel, mais M. Sioui n’a poursuivi que cette possibilité. M. Sioui a ensuite poursuivi ses recours devant la CLP pour faire annuler la décision concernant l’emploi convenable de chauffeur de camion. Comme M. Sioui n’a pas apporté la collaboration nécessaire pour trouver un travail qui répondait à ses limitations fonctionnelles, l’employeur s’est rendu à la limite de son obligation de prendre des mesures d’adaptation. L’employeur demande que le grief soit rejeté.

M. Sioui

62 À l’appui de sa position, l’employeur me renvoie aux décisions suivantes : Hydro-Québec c. Syndicat des employé-e-s de techniques professionnelles et de bureau d’Hydro-Québec, section locale 2000 (SCFP-FTQ), 2008 CSC 43; Centre universitaire de santé McGill (Hôpital général de Montréal) c. Syndicat des employés de l’Hôpital général de Montréal, 2007 CSC 4; Pepper c. Conseil du Trésor (ministère de la Défense nationale), 2008 CRTFP 8; Lafrance c. Conseil du Trésor (Statistique Canada), 2007 CRTFP 31.

63 M. Sioui soumet que l’employeur n’a pas fait les efforts nécessaires pour l’accommoder. Il a fait sa part en faisant plusieurs demandes d’emploi (tel qu’en font foi les pièces justificatives déposées en preuve) et en faisant parvenir à deux reprises au pénitencier son curriculum vitæ pour être considéré pour un poste à la lingerie et comme magasinier. M. Sioui dit qu’il a été rejeté et abandonné. L’employeur n’a pas tenu compte qu’il a été mobile en juillet 2005 et en mars 2007. Selon M. Sioui, le protocole d’entente s’applique toujours puisqu’il n’a pas démissionné de son emploi. Le fait d’avoir à se désister de ses différents recours était une condition inadmissible du protocole d’entente. Il a obtenu son permis de conduite de classe 3 uniquement dans le but d’obtenir l’emploi de magasinier au pénitencier de Donnacona. Il aimerait occuper ce poste de magasinier.

64 M. Sioui conteste l’exactitude du diagnostic posé par Mme Beaudry et soutient que les autres médecins ont douté quant à son état de santé, mais se sont ralliés au diagnostic posé par Mme Beaudry. M. Sioui soutient que les expertises des Dr Laplante et Fournier sont contradictoires. Le Dr Laplante dit que les incidents dont il a été témoin sont banals tandis que le Dr Fournier dit qu’ils sont sérieux. M. Sioui me demande de préférer l’opinion du Dr Laplante qui lui est favorable parce que le Dr Laplante a beaucoup plus d’expérience avec les pénitenciers que le Dr Fournier. Le témoignage expert du Dr Fournier n’est pas digne de foi parce que la rencontre d’expertise n’a duré qu’une heure. Le Dr Fournier ne pouvait observer en une heure tout ce qui est écrit dans le rapport d’expert. M. Sioui plaide que l’employeur devrait maintenant accepter qu’il est apte à travailler puisque c’est la position qu’il a prise devant la CSST et la CLP. M. Sioui demande que j’ordonne une expertise de sa santé actuelle par Santé Canada.

65 M. Sioui dit avoir poursuivi les recours qui ont mené à des limitations fonctionnelles permanentes en raison des démarches du syndicat. C’était une erreur. En 2004, il a dit à Mme Houle qu’il était mieux et qu’il pouvait reprendre ses fonctions, mais elle a insisté sur un rapport de son médecin. Il a communiqué avec elle plusieurs fois à ce sujet. Le jour où il a consulté son médecin pour obtenir le rapport demandé, il était encore bouleversé par la nouvelle du suicide de son collègue de travail. Il n’a donc pas été surpris des conclusions tirées par le Dr Gourgue cette journée-là. En 2005, il a de son propre chef arrêté de prendre ses médicaments. Il se dit maintenant en pleine santé et apte à occuper un poste à la poterne du pénitencier, qui serait un poste non armé. M. Sioui plaide qu’un agent correctionnel CX-01 a des contacts moins directs avec les détenus et que ce serait un poste qui lui conviendrait. Il soutient que beaucoup d’autres employés accidentés du travail ont été réintégrés à des postes d’agent correctionnel et qu’ils ne s’en portent pas plus mal pour autant. Il dit ne pas comprendre la distinction que fait l’employeur à son égard.

66 M. Sioui plaide que l’employeur a présenté une preuve sélective qui ne tient pas compte de l’opinion du Dr Laplante et du fait que de 2001 à 2004, il a été considéré en congé de maladie et non un accidenté du travail. M. Sioui dit avoir croisé des détenus dans la rue depuis 2004 sans qu’il ait eu de rechute. Il trouve aberrant qu’après 15 ans de service, il doive participer à des concours publics pour se trouver un emploi.

67 M. Sioui soutient que la formation de camionneur qu’il a reçue n’avait strictement rien à faire avec l’employeur. Il s’agissait d’une initiative personnelle avec la nation huronne de Wendake qui a éventuellement été entérinée par la CSST. Il n’a jamais demandé à la CSST de déterminer l’emploi convenable pour lui.

68 M. Sioui soutient que le protocole d’entente du 12 janvier 2006 le réintègre dans son poste d’agent correctionnel et que l’employeur a l’obligation de le réintégrer. Il admet qu’il n’a pas toujours tenu le coordonnateur ou la coordonnatrice du PRT au courant de ses démarches d’emploi, mais que Mme de Lottinville aurait dû être plus proactive à son égard. Il déplore l’inefficacité du PRT à lui trouver un emploi.

69 M. Sioui souligne que la convocation à une rencontre du 14 juin 2007 a été faite par le syndicat et non par l’employeur. Dans l’entretien téléphonique avec M. Jacques à ce sujet, il a été question de signer les avis de désistement dans les affaires encore en cours et qu’il y avait possibilité de mettre de l’avant une offre de règlement. C’est Me Bellemare qui lui a conseillé de ne pas se présenter pour signer de tels documents. M. Sioui était aussi en période d’examens. Il souligne que l’employeur n’a pas fait la preuve qu’il a tenté de communiquer avec lui pour la rencontre du 14 juin 2007. Il me demande de croire que la maladie puis le décès de sa mère l’ont beaucoup affecté et il n’a pas été capable d’agir dans son meilleur intérêt. Il me demande de tenir compte du fait qu’à l’été 2004, il s’était fait mal au bras et ne pouvait donc pas s’inscrire au programme de recherche d’emploi « À l’écoute ».

70 M. Sioui se dit abandonné par l’employeur et par le syndicat qui n’appuie plus ses démarches. Toutes les portes se sont fermées et il est maintenant laissé à ses propres moyens. Il met en doute la pertinence du témoignage de M. Bergeron et de M. Laplante qui n’ont pas été impliqués dans sa recherche d’emploi. Il soutient que le témoignage de M. Rioux est intéressé parce que d’une part, il l’a conseillé pendant le processus de recherche d’emploi et d’autre part, il a aidé l’employeur à monter son dossier.

71 M. Sioui déplore le fait que l’employeur soit allé jusqu’à le licencier sans faire des efforts sérieux pour lui trouver un emploi dans le milieu carcéral. M. Sioui soutient que l’employeur n’a pas fait la preuve de quelque effort que ce soit pour lui trouver un emploi entre le 19 avril 2007, la date à laquelle il a été réintégré, et le 18 octobre 2007, la date à laquelle il a été licencié. Il plaide que l’employeur n’a pas tenté de l’accommoder jusqu’à la contrainte excessive et pour ce motif, il devrait être réintégré dans son poste d’agent correctionnel. M. Sioui demande que toute trace de cet accident du travail et de ses séquelles soient effacées de son dossier. N’eût été de ce fâcheux incident, il soumet qu’il serait productif et en progression de carrière. M. Sioui demande par conséquent d’être rétabli dans sa carrière telle qu’elle était le 16 novembre 2001 avec toutes les conséquences et tous les bénéfices que cela peut comporter.

Motifs

72 Dans la fonction publique fédérale, l’obligation de prendre des mesures d’adaptation en milieu de travail est un principe consacré dans la Loi canadienne sur les droits de la personne (LCDP). La sanction de cette obligation se retrouve dans la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (LRTFP). L’interprétation de ce principe a fait l’objet de plusieurs décisions de nos tribunaux qui ont étudié la notion de « contrainte excessive » dans le cadre de mesures d’adaptation prises pour un employé souffrant d’une incapacité et les principes connexes à cette notion.

73 En résumé, l’obligation de prendre des mesures d’adaptation survient quand l’employeur tente d’appliquer une règle de travail qui cause préjudice à un employé en raison de caractéristiques particulières protégées par la législation.

74 Les dispositions législatives pertinentes au présent litige sont les suivantes. Le paragraphe 3(1) de la LCDP interdit toute distinction fondée sur la déficience. Selon l’alinea 7a) de cette même loi, le fait de refuser d’employer ou de continuer d’employer un individu constitue un acte discriminatoire, si la décision se fonde sur un motif de distinction illicite. Le paragraphe 208(2) de la LRTFP investit les arbitres de griefs du pouvoir de trancher des griefs individuels concernant les droits de la personne.

75 L’application de l’obligation de prendre des mesures d’adaptation a été interprété dans l’arrêt (Colombie-Britannique) Public Service Employee Relations Commission c. British Columbia Government and Service Employees’ Union (BCGSEU), [1999] 3 R.C.S. 3 (Meiorin) (paragr. 54) et se résume à ce qui suit. Lorsque l’employeur applique une règle de travail, il doit la justifier en démontrant que : 1) la règle est rationnellement liée à l’exécution du travail en cause; 2) la règle a été adoptée parce qu’elle est nécessaire à la réalisation du but légitime de ce travail; 3) la règle est raisonnablement nécessaire à l’accomplissement du travail. L’employeur doit pouvoir démontrer qu’il ne peut composer avec des employés qui ont les mêmes caractéristiques sans subir une contrainte excessive.

76 Les normes développées dans Meiorin ont établi un régime permettant d’évaluer le but légitime d’une règle de travail et l’intention de l’employeur au moment de l’adopter, pour déterminer si elle a un fondement. À ces normes s’est aussi ajouté un test, dit de rationalité, servant à évaluer si la règle était vraiment nécessaire dans le contexte du travail en question.  Les tribunaux ont aussi décidé que les normes doivent être appliquées avec souplesse et bon sens : Meiorin, paragr. 63; Commission scolaire régionale de Chambly c. Bergevin, [1994] 2 R.C.S. 525, p. 546, et Central Alberta Dairy Pool c. Alberta (Commission des droits de la personne), [1990] 2 R.C.S. 489, p. 520-521 et Centre universitaire de santé McGill (Hôpital général de Montréal) c. Syndicat des employés de l’Hôpital général de Montréal, 2007 CSC 4, paragr. 15.

77 Bref, jusqu’à la décision Hydro-Québec, l’employeur devait démontrer qu’il ne pouvait accommoder l’employé sans subir une contrainte dite « excessive », tel que mis de l’avant dans Meiorin.

78 Dans l’arrêt Hydro-Québec, la Cour suprême du Canada a amenuisé la définition de ce qui constitue l’étendue de la contrainte « excessive » et a clarifié l’ampleur de l’obligation de prendre des mesures d’adaptation de l’employeur. La Cour suprême a été d’avis que l’employeur avait satisfait à son obligation de prendre des mesures d’adaptation vis-à-vis une employée avec un dossier d’absence chronique, vu les multiples efforts promulgués pour la rapatrier sur une période de sept ans. Hydro-Québec avait initié moult ajustements à l’horaire de travail de l’employée en tenant compte de sa condition médicale, y compris du travail adapté et un retour au travail progressif. L’opinion médicale que partageaient le médecin traitant de l’employée et le médecin  expert de l’employeur voulant que l’employée était incapable de revenir travailler dans une période de temps raisonnable justifiait le licenciement.

79 La Cour suprême a soutenu que le critère n’est pas l’impossibilité pour l’employeur d’accommoder les caractéristiques de l’employé. L’employeur n’a pas l’obligation de changer de façon fondamentale les conditions de travail, mais a plutôt l’obligation, s’il peut le faire sans contrainte excessive, de modifier le milieu de travail ou les tâches de l’employé afin de lui permettre de travailler.

80 Dans l’arrêt Honda Canada Inc. c. Keays, 2008 CSC 39, la Cour suprême du Canada a accepté que l’employeur fasse un contrôle serré des absences dans le but de contrôler la présence de ses employés au travail et d’accommoder leur retour au travail dans le cas d’absences prolongées. La Cour a affirmé que la gestion systématique de la présence au travail dans le but d’accommoder les absences reliées à l’incapacité n’est pas discriminatoire. La présence au travail est une condition de travail légitime.

81 Par ailleurs, la Cour divisionnelle de l’Ontario a soutenu dans ADGA Group Consultants Inc. c. Lane, (2008) 91 O.R. (3d) 649 (voir aussi Lane v. ADGA Group Consultants Inc., 2007 HRTO 34 (CanLII)), que l’employeur a le fardeau de la preuve de démontrer tant objectivement que subjectivement qu’il a été impossible d’accommoder un employé. Dans cette affaire, l’employeur avait décidé sur la base de ce qu’il percevait était les besoins d’un client important (le ministère de la Défense nationale), sans preuve médicale à l’appui, qu’un employé bipolaire nouvellement embauché ne pouvait satisfaire aux critères de sa tâche de consultant. L’employeur s’était fié à de l’information obtenue sur l’Internet par un superviseur pour décider que la nature de la condition médicale empêchait tout accommodement et que l’employé devait être licencié. La Cour divisionelle a décidé que la contrainte excessive ne peut être établie à partir d’impressions, d’une preuve anecdotique ou de l’information obtenue par après.

82 Voyons comment cette jurisprudence s’applique aux faits de la présente affaire. L’employeur soutient que la raison d’être du pénitencier à sécurité maximale de Donnacona est l’hébergement et le contrôle de détenus reconnus comme étant parmi les plus violents au pays. Les détenus circulent dans le pénitencier en raison de leur horaire de travail et de leurs activités dans les ateliers, le gymnase et la cour. Le travail d’un agent correctionnel consiste en la supervision et le contrôle des détenus. En raison de ce contexte, l’agent correctionnel a nécessairement un contact continu avec des détenus et est appelé à les maîtriser dans le cas d’incidents, ce qui peut requérir l’utilisation d’une arme à feu. Le moment des incidents est imprévisible, mais les incidents sont fréquents et peuvent avoir lieu n’importe où dans le pénitencier. Dans le cas d’un incident, l’agent correctionnel doit réagir de façon appropriée afin d’assurer sa propre sécurité et celle de ses collègues. L’agent correctionnel doit être autonome. Il ne peut pas nécessairement dépendre d’un autre agent correctionnel lorsqu’il est confronté à un incident violent.

83 Compte tenu de cette prémisse, l’employeur soutient qu’il n’y a pas de demi-mesures. Pour être fonctionnel, un agent correctionnel doit nécessairement avoir un contact avec les détenus et porter une arme à feu. Étant donné l’organisation du travail du pénitencier, tous les employés qui y travaillent, qu’ils soient armés ou non, ont un contact ou un risque de contact avec un détenu.

84 L’employeur prend donc la position que le contact avec les détenus et le port d’une arme à feu par l’agent correctionnel ne peut faire l’objet d’un compromis ou d’un accommodement pour un employé dont les limitations fonctionnelles font en sorte qu’il ne peut avoir de contact avec des détenus ou porter une arme à feu. L’agent correctionnel doit être en pleine possession de toutes ses facultés et avoir le contrôle de ses outils de travail en tout temps, sinon le risque pour sa santé et sa sécurité et celle de ses collègues est trop élevé. Simplement dit, l’employeur ne veut pas assumer un risque qui pourrait impliquer une blessure ou la perte de vie.

85 Le fonctionnaire n’a pas fait la preuve du contraire de la position mise de l’avant par l’employeur. Le fonctionnaire affirme plutôt qu’il est apte à occuper des postes « hors les murs » du pénitencier ou à la poterne qui ne requièrent pas le port d’armes. Le fonctionnaire estime qu’il est asymptomatique, qu’il n’a plus de limitations fonctionnelles et qu’il peut retourner dans son ancien poste. La position du fonctionnaire qu’il est apte à retourner à son ancien poste est fondée sur une auto-évaluation plutôt que sur des données médicales.

86 Les témoins de l’employeur ont contredit les affirmations du fonctionnaire. Il existe effectivement des postes non armés au sein du Service correctionnel qui ne demandent pas de contacts avec les détenus, ni le port d’armes à feu, mais ces postes ne sont pas à Donnacona, ils sont à Laval ou dans la région de Montréal. L’employeur a soumis qu’il était prêt à soutenir une réintégration du fonctionnaire dans de tels postes, mais que celui-ci n’a pas collaboré au processus; il n’a pas donné suite aux possibilités d’emplois qui lui ont été proposées et ne s’est pas rendu disponible pour travailler hors la région de Québec.

87 En raison de l’analyse des décisions de nos tribunaux ci-devant, je dois conclure que l’obligation de prendre des mesures d’adaptation n’est pas sans limite et qu’elle n’est pas à sens unique. Elle implique pour l’employeur d’étudier la possibilité de modifier les exigences professionnelles de l’emploi en vue de faciliter le retour au travail de l’employé, ou en faisant des efforts sérieux pour lui trouver un travail alternatif. L’employeur ne peut refuser d’aider le fonctionnaire à réintégrer son travail à moins de pouvoir justifier que l’adaptation de l’exigence professionnelle lui imposerait une contrainte excessive. De son côté, l’employé doit faire preuve de collaboration et d’ouverture d’esprit à l’égard des démarches entreprises par son employeur pour trouver une solution à son retour au travail.

88 La preuve a clairement démontré que le fonctionnaire souffre de limitations fonctionnelles permanentes de l’ordre de 15 %. Ces limitations fonctionnelles ne sont pas des impressions, une preuve anecdotique ou de l’information obtenue par après, comme dans ADGA. Ces limitations fonctionnelles empêchent réellement le fonctionnaire de poursuivre une carrière dont les tâches exigent le contact avec des détenus et le port d’une arme à feu. Cette condition ne changera pas, et ne s’améliorera pas. Le fait d’être asymptomatique n’est pas partie remise. Le fait d’être témoin d’un autre incident violent du même genre que celui qui a causé sa condition médicale actuelle pourrait déclencher à nouveau un trouble de stress post-traumatique. Dans le contexte carcéral, la réaction imprévisible de l’agent correctionnel à un incident violent devient une menace pour sa sécurité et celle de ses collègues de travail. Un geste inapproprié ou mal raisonné pourrait mettre des vies en péril.  Il s’agit d’un risque réel et non hypothétique. Il s’agit d’une situation sur laquelle l’employeur n’a aucun contrôle.  Je rejette donc la prétention du fonctionnaire qu’il n’a pas de limitations fonctionnelles.

89 Il a été mis en preuve qu’il est impossible pour un agent correctionnel de travailler dans le milieu carcéral, compte tenu de ses fonctions de surveillance des détenus, sans avoir un contact avec eux et sans arme à feu. Ces exigences professionnelles sont impossibles à adapter. L’employeur a établi que les autres fonctions au pénitencier requièrent de près ou de loin un contact avec les détenus dans leurs allées et venues et qu’il n’est pas possible de soustraire un travailleur de ces contacts sans rendre la tâche inutile.

90 Pour ces raisons, l’obligation d’avoir un contact avec les détenus et de porter une arme constitue, à mon avis, une exigence professionnelle justifiée et incontournable qu’il n’est pas possible de modifier sans mettre en péril la santé et la sécurité d’autres employés.

91 À l’instar des conclusions de la Cour suprême du Canada dans Hydro-Québec, je suis d’avis que l’employeur doit tenir compte également du contexte de travail, dans ce cas-ci, la santé et la sécurité de ses autres employés. Dans les circonstances de la présente affaire, l’employeur ne peut changer de façon fondamentale les exigences professionnelles du poste sans qu’il y ait contrainte excessive.

92 Je suis aussi convaincue que l’employeur a rempli son obligation de prendre des mesures d’adaptation en déployant de multiples efforts pour tenter de trouver un autre travail pour le fonctionnaire. Il a déclenché un mécanisme de soutien en mettant à sa disposition M. Rioux, un spécialiste en recherche d’emploi, qui lui a fourni des outils de recherche d’emploi, a établi ses contacts et lui a fourni des moyens de recherche d’emploi partout dans la fonction publique. Sur une période de deux ans, M. Rioux a signalé au fonctionnaire des concours et des ouvertures de poste. Il a communiqué avec le fonctionnaire par téléphone à plusieurs reprises et a tenté de le rencontrer plusieurs fois pour faire avancer son dossier. M. Rioux a appuyé activement le fonctionnaire dans ses démarches en faisant en sorte, par exemple, à ce que le fonctionnaire puisse écrire les examens pour devenir agent pour l’Agence des services frontaliers dans un centre autre que celui de Québec, même si le fonctionnaire avait fait sa demande après l’expiration des délais de présentation de sa candidature. Il l’a soutenu pour ce qui est d’une formation comme chauffeur de camion, un travail adapté à ses limitations fonctionnelles. Dans le même ordre d’idées que Keays, l’employeur a le droit de prendre les moyens pour assurer la présence au travail de ses employés et d’exiger, s’il est pour maintenir le lien d’emploi, que l’employé fasse une recherche sérieuse en vue d’assurer son retour au travail dans les meilleurs délais. En l’espèce, l’employeur a fait sa part en mettant sur pied un PRT pour le fonctionnaire et en lui donnant les ressources pour faciliter sa recherche d’emploi. Compte tenu des possibilités d’emploi qui se sont présentées, l’employeur était en droit de s’attendre à ce que le fonctionnaire puisse réintégrer le marché du travail.

93 Par contre, le fonctionnaire, même s’il était de bonne volonté, a tardé à faire parvenir son curriculum vitæ à M. Rioux. Il ne s’est pas inscrit au programme « À l’écoute »; M. Rioux a dû le faire pour lui. Il n’a pas donné suite à des occasions de concours dans des postes pour lesquels il était en mesure de se qualifier. Même s’il a fait des recherches indépendantes d’emploi, le fonctionnaire n’a pas tenu M. Rioux au courant de ses recherches, tel qu’il devait le faire. Il ne s’est pas présenté à une rencontre visant la mise au point de son dossier, et n’a pas communiqué les motifs de son absence ou donné des excuses. Le fonctionnaire n’a pas donné suite à la formation de camionneur qui a fait l’objet d’une détermination de la CLP. En 2005, il s’est montré disponible pour un emploi à l’extérieur de la région de Québec que pour une période de trois semaines.  En ce qui a trait au fardeau partagé de trouver un travail adapté aux limitations fonctionnelles du fonctionnaire, je constate que le fonctionnaire a concentré ses efforts à trouver un emploi dans la région de Québec et plus particulièrement au pénitencier de Donnacona, alors qu’il savait qu’il ne pouvait plus travailler avec des détenus ou porter une arme.  En limitant ainsi sa recherche d’emploi, il rendait impossible la tâche de l’employeur de lui trouver un travail adapté à ses limitations fonctionnelles.

94 Malgré tout, l’employeur a donné une deuxième chance au fonctionnaire par l’entremise d’un protocole d’entente qui le réintégrait à la fonction publique et lui permettait de continuer des recherches d’emploi.

95 Le fonctionnaire n’a apparemment pas pris cette chance au sérieux. À compter de mars 2007, il s’est dit disponible pour un emploi à l’extérieur de la région de Québec, mais a dit à Mmes Houle et de Lottinville que ce qu’il recherchait vraiment était la réintégration de son poste d’agent correctionnel. Il a refusé toute aide de Mme de Lottinville.  Entre le moment de sa réintégration le 19 avril 2007, et son licenciement définitif le 17 octobre 2007, il n’y a aucune preuve que M. Sioui ait fait des démarches sérieuses de recherche d’emploi au sein du Service correctionnel ou dans tout autre ministère de la fonction publique fédérale. Encore une fois, il ne s’est pas présenté à une rencontre stratégique pour faire une mise au point de son dossier, ni n’a donné suite à la lettre du directeur du pénitencier lui demandant de faire connaître ses intentions.

96 Bien que je comprenne que le fonctionnaire a traversé des périodes difficiles, comme par exemple la maladie et le décès de sa mère et le suicide d’un de ses collègues de travail, je note que ces événements n’ont pas été portés à l’attention de l’employeur ou, selon toute apparence, aux représentants syndicaux. Il est trop tard pour invoquer des facteurs atténuants au moment de l’audience pour justifier un manque à agir.

97 En raison de ces circonstances, je me vois donc dans l’obligation de conclure que l’employeur n’a pas manqué ni à son obligation de prendre des mesures d’adaptation quand à son poste d’agent correctionnel, ni à son devoir de chercher un arrangement raisonnable qui aurait permis au fonctionnaire de continuer à travailler au sein de la fonction publique fédérale.

Équité procédurale

98 M. Sioui a soulevé au début de l’audience de la preuve sur le bien-fondé du grief le fait qu’il n’y avait pas d’enregistrement. J’ai expliqué à M. Sioui que la Commission des relations de travail dans la fonction publique n’a pas comme politique l’enregistrement systématique des audiences. Chaque demande d’enregistrement est un cas d’espèce, laissé à la discrétion de l’arbitre de grief. J’ai également expliqué à M. Sioui le processus de contrôle judiciaire des décisions d’un arbitre de grief devant la Cour fédérale. Par conséquent, M. Sioui a demandé que, pendant la présentation de la preuve et de l’argumentation, je tienne compte qu’il se représentait lui-même.

99 L’audience a duré plusieurs jours. J’ai permis à M. Sioui de contre-interroger pleinement les témoins de l’employeur et je lui ai donné une latitude qui tenait compte du fait qu’il n’avait aucune connaissance juridique et qu’il se représentait lui-même. M. Sioui n’a présenté aucun témoin pour appuyer sa version des faits. Je lui ai permis de déposer tous les documents qu’il jugeait à propos et j’ai pris sous réserve les documents moins pertinents auxquels l’employeur s’est objecté. J’ai ordonné la production par l’employeur de documents que je jugeais pertinents à sa défense. Enfin, M. Sioui a eu l’occasion de m’expliquer en détail les motifs qui l’ont amené à agir comme il l’a fait et les conséquences que cette affaire a eues sur lui. J’en ai tenu compte dans la rédaction de cette décision, même si je ne lui donne pas raison.

100 Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

Ordonnance

101 Le grief est rejeté.

Le 9 avril 2009.

Michele A. Pineau,
arbitre de grief

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