Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

L’employeur avait interdit aux fonctionnaires s’estimant lésés de porter un macaron qui laissait entendre au public que certains services ne seraient plus offerts l’année suivante - l’arbitre de grief a conclu que le port du macaron constituait une activité syndicale licite, permise par le texte de la convention collective, à la lumière de l’article 5 de la Loi - il a déclaré que l’employeur avait enfreint la convention collective, mais il a refusé d’ordonner un paiement compensatoire. Griefs accueillis.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2009-03-20
  • Dossier:  566-34-280 à 342
  • Référence:  2009 CRTFP 36

Devant un arbitre de grief


ENTRE

BRAD F. ANDRES ET AL.

fonctionnaires s'estimant lésés

et

AGENCE DU REVENU DU CANADA

employeur

Répertorié
Andres et al. c. Agence du revenu du Canada

Affaire concernant des griefs individuels renvoyés à l'arbitrage

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
John A. Mooney, arbitre de grief

Pour les fonctionnaires s'estimant lésés:
Jean Saint-Pierre, avocat.

Pour l'employeur:
Patricia Gravel, avocate

Affaire entendue à Montréal (Québec),
du 15 au 17 décembre 2008.

I. Griefs individuels renvoyés à l'arbitrage

1 Du 5 avril 2005 au 16 mai 2005, Brad F. Andres, et 78 autres fonctionnaires dont les noms figurent sur la liste annexée à cette décision (les « fonctionnaires s’estimant lésés »), ont déposé des griefs auprès de l’Agence du revenu du Canada (l’ « employeur » ou l’ « Agence ») dans lesquels ils contestent la décision de l’employeur de leur interdire de porter durant leurs heures de travail et devant les clients, un macaron fourni par l’Alliance de la Fonction publique du Canada (l’ « Alliance ») qui affichait le logo de celle-ci et sur lequel on pouvait lire « Nous vous manquerons quand nous ne serons plus là! 2006 ». Les fonctionnaires s’estimant lésés, qui occupent différents postes dans les groupes et niveaux CR-03, CR-04, PM-01 et PM-02 allèguent que l’employeur a ainsi contrevenu à la clause 19.01 de la convention collective entre l’employeur et l’Alliance pour le groupe Exécution des programmes et des services administratifs (date d’expiration : 31 octobre 2007) (la « convention collective »). Les griefs ont été présentés jusqu’au dernier palier du processus de règlement de griefs, mais n’ont pas été résolus à la satisfaction des fonctionnaires s’estimant lésés.

2 Les fonctionnaires s’estimant lésés ont renvoyé leurs griefs à l’arbitrage le 21 avril 2006 en vertu de l’alinéa 209(1)a) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (la « Loi »).

II. Résumé de la preuve

3 Quatre personnes ont témoigné pour les fonctionnaires s’estimant lésés et deux pour l’employeur. Les fonctionnaires s’estimant lésés ont déposé 12 pièces et l’employeur en a déposé 2.

4 Les griefs concernent deux groupes d’agents au Service à la clientèle de l’Agence : les agents qui travaillent aux comptoirs de renseignements et ceux qui travaillent aux comptoirs-caisse. Les fonctionnaires s’estimant lésés travaillent soient à l’un ou l’autre de ces comptoirs. Les représentants des deux parties m’ont demandé que la preuve versée à l’audience vaille pour tous les griefs dont traite la présente décision. J’ai accepté leur demande.

5 Pierre-Wilfrid Landry a témoigné pour les fonctionnaires s’estimant lésés. Il travaille pour l’Agence depuis janvier 1998. À l’époque à laquelle il a déposé son grief, il était agent au comptoir de renseignements au bureau de Montréal. Ses fonctions étaient variées. Les activités principales du poste, telles que décrites dans la description de travail (pièce F-3), incluent fournir aux clients des renseignements sur des déclarations de revenus des particuliers et des fiducies, expliquer aux clients les divers programmes sociaux visant les particuliers et leurs obligations. M. Landry recevait les clients sans rendez-vous. Les clients se présentaient au bureau, prenaient un numéro et on les servait un après l’autre. Il rencontrait de 15 à 25 clients par jour.

6 M. Landry a témoigné que l’employeur prévoyait réorganiser les comptoirs de renseignements. Cette réorganisation impliquait que les clients ne pourraient plus se présenter aux comptoirs de renseignements sans rendez-vous. Ils devaient poser leurs questions par voie téléphonique ou électronique. Il en résulterait une suppression de postes.

7 M. Landry a expliqué que les agents des comptoirs-caisse recevaient les paiements d’impôts directement des contribuables. L’employeur prévoyait également réorganiser ces comptoirs. L’employeur voulait que les clients fassent leurs paiements par voie électronique ou auprès de leur établissement financier au lieu de se présenter aux agents des comptoirs-caisse. Les clients qui ne voudraient pas se servir de ces moyens pourraient cependant demander un rendez-vous avec un agent. Il en résulterait également une suppression de postes.

8 M. Landry a expliqué pourquoi, au printemps 2005, il a porté un macaron qui affichait le logo de l’Alliance et sur lequel on pouvait lire « Nous vous manquerons quand nous ne serons plus là! 2006 ». La version anglaise se lisait comme suit : « You’ll miss us when we’re gone! 2006 » (pièce F-4). Il a porté le macaron à la demande de la section locale 10008 de l’Alliance. Le but de cette activité syndicale était d’informer les clients que les agents aux comptoirs de renseignements et ceux aux comptoirs-caisse ne seraient plus là en 2006 pour les servir.  

9 M. Landry a porté le macaron pendant deux jours au printemps 2005. Son chef d’équipe, M. Jones, lui a demandé d’enlever le macaron. M. Landry a demandé à M. Jones de lui remettre une déclaration écrite qui stipulerait qu’il ne pouvait porter le macaron. M. Jones ne lui a pas remis de déclaration écrite. Au lieu de cela, il a référé M. Landry à la gestionnaire de l’équipe, Joanne Hivon. M. Landry a communiqué avec Mme Hivon et elle lui a répondu qu’elle n’avait pas de déclaration écrite à lui remettre. M. Landry a alors décidé de déposer un grief.

10 M. Landry a expliqué que la réorganisation s’est échelonnée sur une période de deux ans. Le personnel aux comptoirs de renseignements est passé d’entre 12 et 16 fonctionnaires à deux fonctionnaires permanents et deux fonctionnaires « réservistes ». Maintenant, les agents aux comptoirs de renseignements ne reçoivent les clients que sur rendez-vous, sauf dans quelques cas d’exception.

11 M. Landry a déclaré que le 17 juin 2005, Michel Dorais, commissaire de l’Agence, a annoncé aux fonctionnaires de celle-ci par courriel que l’Agence avait révisé sa décision pour ce qui est des comptoirs-caisse (pièce F-5). L’Agence avait décidé, après consultations, de maintenir ce service. L’Agence n’accepterait plus, cependant, de paiement comptant, seulement les paiements par chèque ou carte de débit. L’Agence n’a toutefois pas révisé sa décision pour ce qui est des comptoirs de renseignements.

12 M. Landry a déclaré qu’il ne se sentait plus utile aux comptoirs de renseignements à la suite de la réorganisation des tâches. Il a donc accepté une mutation à un autre poste au sein de l’Agence en janvier 2007.

13 En contre-interrogatoire, M. Landry a affirmé que pendant la période la plus occupée, c’est-à-dire du mois de février au mois de mai, il pouvait recevoir 20 % de plus de personnes. L’achalandage a cependant moins augmenté ces dernières années pendant la période la plus occupée parce l’augmentation de la clientèle s’est de plus en plus répartie sur toute l’année.

14 M. Landry a déclaré que l’employeur ne lui avait pas dit qu’il supprimerait des postes, mais que la réorganisation impliquait que l’Agence aurait besoin de moins de fonctionnaires puisque les clients n’auraient plus l’occasion de rencontrer les agents sans rendez-vous.

15 En ré-interrogatoire, M. Landry a expliqué qu’après la réorganisation des comptoirs de renseignements, les clients devaient poser leurs questions par téléphone. M. Landry a ajouté que beaucoup de gens ont de la difficulté à communiquer par ce moyen. De plus, il est souvent difficile de joindre un agent par téléphone. Selon, M. Landry, 20 % des clients n’arrivent jamais à joindre un agent par ce moyen de communication.

16 Sabri Khayat a témoigné pour les fonctionnaires s’estimant lésés. Il travaille pour l’Agence aux comptoirs de renseignements depuis août 1987. Il est, depuis juillet 1999, vice-président à plein temps pour la région du Québec du Syndicat des employés de l’impôt (le « SEI »), lequel est une composante de l’Alliance. La région du Québec compte six sections locales.   

17 M. Khayat est un des fonctionnaires touchés par la réorganisation du travail. Son poste d’attache aux comptoirs de renseignements a été aboli. Il a accepté depuis, un poste dans la section du recouvrement. M. Khayat a précisé qu’il n’a pas déposé de grief.

18 Lors d’une rencontre patronale-syndicale à laquelle M. Khayat a assisté en décembre 2004, M. Dorais et la sous-commissaire de l’Agence pour le Québec, Monique Leclerc, ont annoncé que l’Agence allait procéder à une réallocation budgétaire et s’apprêtait à supprimer des postes.

19 M. Khayat a participé à la conception du macaron en février 2005 puisqu’il était co-président du comité des communications de l’Alliance. Le but du macaron était d’informer les membres de l’Alliance et les clients que les comptoirs de renseignements et les comptoirs-caisse allaient être supprimés. Le macaron n’a pas été distribué à tous les fonctionnaires, seulement à ceux touchés par l’élimination de ces services.

20 M. Khayat a appris que l’employeur avait interdit aux fonctionnaires de porter le macaron lorsqu’un membre de l’Alliance lui a rapporté que son chef d’équipe lui avait demandé d’enlever le macaron qu’il portait. Le membre en question avait alors demandé au chef d’équipe une confirmation écrite de cette interdiction, mais ce dernier la lui avait refusée. M. Khayat a conseillé au fonctionnaire en question d’enlever le macaron pour le moment. M. Khayat a alors communiqué avec Marc Bellavance, directeur du bureau régional de l’Agence, pour lui demander si l’Agence avait une directive qui interdisait le port de tels macarons. M. Bellavance a répondu qu’il avait reçu un appel d’Ottawa qui confirmait l’interdiction de porter le macaron, mais qu’il n’y avait aucun texte écrit sur ce sujet.

21 En contre-interrogatoire, M. Khayat a affirmé qu’à la rencontre patronale-syndicale de décembre 2004, l’employeur avait exprimé une volonté certaine de procéder à des coupures dans les services aux clients. La décision avait été prise, mais elle n’avait pas encore été confirmée. L’employeur a changé d’idée pour ce qui est des comptoirs-caisse parce que l’Alliance lui a fait comprendre que ce n’était pas nécessairement une bonne idée.  

22 M. Khayat a déclaré que l’interdiction de porter le macaron s’appliquait à tous les fonctionnaires, pas seulement à ceux qui faisaient affaire avec le public.

23 Marc Brière a témoigné pour les fonctionnaires s’estimant lésés. Il occupe un poste d’agent de recouvrement aux groupes et niveaux PM-02 pour l’Agence depuis 1999. Il travaille au bureau de l’Agence à Laval où travaillent 675 fonctionnaires. Son travail consiste à recouvrir les sommes dues à l’Agence, comme l’indique sa description de travail (pièce F-9). Il ne rencontre les clients que sur rendez-vous.

24 M. Brière a déclaré qu’il a porté le macaron à la demande de l’Alliance pendant une journée. Son but était d’informer ses collègues et le public de la réduction de services qui résulterait de la suppression de postes. Une trentaine de personnes dans son service, qui compte 175 personnes, portaient le macaron.

25 M. Brière a témoigné qu’il a cessé de porter le macaron lorsque Chantal Lacombe, directrice du Service du recouvrement, a demandé aux fonctionnaires de ne pas le porter. L’interdiction touchait tous les fonctionnaires, même ceux qui, comme lui, ne transigeaient pas directement avec le public. Les fonctionnaires ont obtempéré à la demande de Mme Lacombe. M. Brière et 16 autres fonctionnaires ont alors signé le grief que Nicole Dubé a déposé.

26 M. Brière a souligné que la réorganisation n’a pas été bénéfique pour les clients parce que ceux-ci n’ont pas tous accès à l’Internet.

27 M. Brière a expliqué que le site intranet InfoZone de l’Agence est la façon privilégiée pour l’Agence de communiquer avec les fonctionnaires. Il y a un « coin des employés » et un « coin de l’employeur ». L’Agence a également des babillards à chaque étage au bureau de Laval. Il y en a un pour l’employeur, un pour les fonctionnaires et un autre pour la santé et la sécurité au travail. C’est l’employeur qui décide ce qui est affiché sur ces babillards.

28 M. Brière a déclaré en contre-interrogatoire que l’Alliance a aussi distribué un dépliant rédigé à l’intention des fonctionnaires et un autre rédigé à l’intention du public. L’Alliance a aussi invité ses membres à communiquer avec leur député.

29 M. Brière a témoigné que l’Alliance n’a pas distribué les macarons à tous les fonctionnaires partout au Canada. Le syndicat les a seulement distribués aux fonctionnaires qui travaillaient au Service à la clientèle, au Service du recouvrement et au Service de la vérification, quoique ces derniers étaient moins concernés par les changements organisationnels appréhendés. Même si les macarons étaient offerts à tous les fonctionnaires membres de l’unité de négociation, on visait surtout les personnes touchées directement par ces changements. L’Alliance ne voulait pas forcer les fonctionnaires à porter le macaron.

30 Pierre Mulvihill, agent des relations de travail du SEI, a témoigné pour les fonctionnaires s’estimant lésés. Selon lui, la décision de modifier les services à la clientèle avait déjà été prise le 24 février 2005. Il participait, ce jour-là, à une séance d’information organisée par l’Agence à Ottawa. Neil Barclay, un gestionnaire de l’Agence, a présenté un diaporama qui dresse les détails de la réorganisation (pièce F-12A). L’Agence a aussi distribué après la séance d’information des questions et réponses au sujet de la réorganisation (pièce F-12B). Le diaporama indique que l’Agence procèdera à une « […] rationalisation des services au comptoir pour les demandes de renseignements […] » (pièce F-12A, page 7) et qu’on « […] encouragera les clients à utiliser les voies de services plus abordables et accessibles (p. ex. le service téléphonique et Internet) plutôt que de se rendre aux comptoirs des services à la clientèle […] » (pièce F-12A, page 7). L’Agence avait déjà décidé de supprimer les comptoirs-caisse puisque le diaporama précise qu’elle « […] supprimera progressivement, sur plusieurs années, les services au comptoir reliés aux paiements comptant. » (pièce F-12A, page 8) et que « [l]es contribuables devront effectuer leurs paiements par voie électronique, par courrier ou à une institution financière » (pièce F-12A, page 8). On trouve des renseignements similaires dans les questions et réponses (pièce F-12B).

31 M. Mulvihill a témoigné que M. Barclay avait déclaré à la séance d’information qu’il y aurait des suppressions de postes aux comptoirs de renseignements et que l’Agence allait fermer les comptoirs-caisse. L’Agence allait placer les fonctionnaires affectés par ces changements dans d’autres postes à l’Agence. M. Barclay n’a pas précisé le nombre de postes que l’Agence allait supprimer, mais le diaporama donne des précisons pour ce qui est des économies qu’on entendait réaliser par cette réorganisation. L’Agence allait économiser 12,5 millions de dollars pour les comptoirs de renseignements et 5,3 millions de dollars pour les comptoirs-caisse (pièce F-12A, page 13). Ce même diaporama précise que la réorganisation à l’échelle de toute l’Agence aura pour conséquence la suppression de 1 500 postes à plein temps (pièce F-12A, page 4). M. Mulvihill a précisé que la suppression de 1 500 postes touchait d’autres secteurs que les comptoirs de renseignements et les comptoirs-caisse.

32 Chantal Lachance a témoigné pour l’employeur. Elle occupe le poste de directrice générale des Communications pour la région du Québec de l’Agence. Elle occupait le poste de directrice-adjointe du Service à la clientèle au début avril 2005 à Laval. Vers la fin avril 2005, l’Agence a fusionné le service à la clientèle avec la Division du recouvrement des recettes. Mme Lachance est alors retournée à son poste d’attache à titre de gestionnaire de la Section du recouvrement des recettes, mais elle a gardé la responsabilité de gérer les services à la clientèle. Mme Lachance a déclaré qu’elle a signé les réponses aux griefs des fonctionnaires s’estimant lésés.  

33 Mme Lachance a expliqué qu’en février 2005, tous les organismes du gouvernement fédéral avaient entrepris un exercice qui visait à réduire les dépenses pour les trois prochaines années. Le but de l’exercice était également d’augmenter l’efficience de l’Agence. L’Alliance voulait réorienter les services pour fournir un service efficace avec moins de personnel. Le but de l’exercice n’était pas toujours clair, surtout en région. Les gestionnaires savaient qu’il fallait revoir la façon de rendre les services, mais ne savaient pas exactement comment cette révision devait s’effectuer.

34 Mme Lachance a déclaré que la haute gestion avait demandé qu’on change la structure des comptoirs de renseignements. L’Agence a créé de nouveaux postes et les agents qui occupaient ces nouveaux postes dirigeaient les clients qui voulaient des renseignements vers les ressources technologiques et téléphoniques. Si le client ne voulait pas se prévaloir de ces moyens de communication, on lui fixait, comme avant, un rendez-vous avec un agent. Ces changements se sont concrétisés en 2006.

35 Mme Lachance a précisé qu’il n’avait jamais été question de supprimer des postes. L’Agence voulait seulement changer la façon d’offrir ses services.

36 Mme Lachance a déclaré qu’il y a de 600 à 700 postes au bureau de Laval, dont 200 dans la Division du recouvrement des recettes. Entre 17 et 20 personnes dans cette division portaient le macaron au printemps 2005. Mme Lachance a ajouté que 12 personnes travaillaient aux comptoirs de renseignements et 1 ou 2 personnes aux comptoirs-caisse. 

37 Mme Lachance a précisé que le comptoir de renseignements existe encore au bureau de Laval mais qu’il est opéré sur rendez-vous seulement. Elle n’a jamais reçu de plainte pour ce service qui sert de 20 000 à 30 000 clients par année.

38 Mme Lachance a expliqué que le fait que les fonctionnaires portaient le macaron et discutaient de ce macaron avec les clients préoccupait l’employeur parce que cela donnait au public une fausse image de l’Agence et affectait sa crédibilité. Les fonctionnaires transmettaient un message incomplet. Ils ne présentaient au public qu’un coté de la médaille. Ils ne disaient pas aux clients que les services de renseignements et de paiement continueraient d’être offerts, et qu’ils seraient offerts différemment. Les fonctionnaires ne disaient pas non plus aux clients qu’on recevrait les clients sans rendez-vous dans certaines situations.  

39 Mme Lachance a ajouté qu’en avril 2005, les fonctionnaires ne pouvaient pas dire aux clients ce qui adviendrait des changements proposés par l’Agence puisque le plan de restructuration n’avait pas encore été achevé.

40 En contre-interrogatoire, Mme Lachance a déclaré que le comptoir de renseignements avait reçu 19 000 clients en 1999. Aujourd’hui, le comptoir de renseignements au bureau de Laval reçoit de 2 000 à 3 000 clients par année, la plupart sur rendez-vous. L’Agence doit accommoder les clients qui n’ont pas de rendez-vous et qui insistent pour voir un agent.

41 Mme Lachance a déclaré que l’Agence avait révisé sa décision de modifier le service aux comptoirs-caisse à la suite d’interventions faites par différents groupes d’intérêt, dont des groupes de fiscalistes et des groupes de comptables. Elle ne se souvenait pas si les syndicats avaient fait des représentations auprès de l’Agence.

42 Mme Lachance a déclaré que la réorganisation des comptoirs de renseignements et des comptoirs-caisse n’a engendré aucune mise-à-pied. Les fonctionnaires touchés par les changements ont tous été réaffectés.

43 Louise Simard a témoigné pour l’employeur. Elle est directrice adjointe de la Division des services aux particuliers et des prestations fiscales au bureau de l’Agence de Jonquière. En avril 2005, elle était gestionnaire du Service à la clientèle et à l’impôt des particuliers. Deux personnes travaillaient au Service à la clientèle à cette époque-là à Jonquière.

44 Elle était également responsable du Service à la clientèle du bureau de Chicoutimi. En tout, elle supervisait 75 personnes. Il y avait deux volets : le service à la clientèle et les demandes des contribuables. Douze personnes travaillent au Service à la clientèle au bureau de Chicoutimi.

45 Mme Simard a déclaré que le bureau de Chicoutimi avait aboli le service par ligne téléphonique en 2004. Il n’y avait que le service au comptoir.

46 Mme Simard a témoigné qu’en période de pointe, l’achalandage double ou triple.

47 Mme Simard a déclaré que la gestion des bureaux de Chicoutimi et de Jonquière considérait en avril 2005 qu’aucune décision finale n’avait été prise au sujet de la réorganisation. La gestion ne faisait qu’examiner des possibilités de changements. Les bureaux de Jonquière et Chicoutimi n’ont finalement apporté aucun changement.

48 Mme Simard a déclaré que seuls les fonctionnaires au Service à la clientèle à Chicoutimi portaient le macaron. En avril 2005, l’employeur a interdit aux fonctionnaires de porter le macaron. Diane Gagnon, directrice, a informé Pierre Boutin, directeur adjoint, de l’interdiction de porter les macarons. M. Boutin a à son tour communiqué avec le chef d’équipe pour l’informer de cette interdiction. La gestion a aussi informé le président de la section locale de l’Alliance.

49 Mme Simard a dit que la gestion avait interdit aux fonctionnaires de porter le macaron parce que le message sur le macaron n’était pas clair. Le macaron laissait plus ou moins entendre que les services aux comptoirs de renseignements ne seraient plus offerts aux clients en 2006. L’employeur ne voulait pas que les clients reçoivent un message qui n’était pas clair. Il voulait également éviter de provoquer les clients. Il ne pouvait pas prévoir la réaction du public à la vue de ce macaron.

50 Mme Simard a déclaré que l’Agence n’a fermé aucun comptoir aux bureaux de Jonquière et Chicoutimi.

51 Mme Simard a déclaré en contre-interrogatoire qu’elle n’a jamais vu les fonctionnaires porter les macarons, puisqu’elle était à Jonquière à l’époque.

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour les fonctionnaires s’estimant lésés

52 Le procureur des fonctionnaires s’estimant lésés a soutenu que l’employeur a enfreint la clause 19.01 de la convention collective en leur interdisant de porter le macaron. L’employeur a également enfreint l’article 5 de la Loi et les alinéas 2b) et 2d) de la Charte canadienne des droits et libertés, L.R.C. (1985), app. II, No 44, Annexe B, partie I (la « Charte »).

53 Le procureur des fonctionnaires s’estimant lésés a d’abord souligné que l’employeur savait bel et bien qu’il allait supprimer des postes aux comptoirs de renseignements et aux comptoirs-caisse lorsqu’il a interdit aux fonctionnaires s’estimant lésés de porter le macaron au printemps 2005. M. Khayat avait appris que l’employeur s’apprêtait à supprimer des postes lors d’une rencontre patronale-syndicale en décembre 2004. Le 24 février 2005, l’employeur a tenu une séance d’information avec des représentants de l’Agence et de l’Alliance, dont M. Mulvihill. M. Dorais a alors distribué aux personnes présentes un diaporama qui indiquait que l’employeur allait procéder à une réorientation des services qui impliquait des coupures budgétaires et des suppressions de postes aux comptoirs de renseignements et aux comptoirs-caisse (pièce F-12A). Le document de questions et réponses distribué quelques jours après la séance d’information indique également que l’employeur allait procéder à une suppression de postes au Service à la clientèle (pièce F-12B). Cela contredit le témoignage de Mme Lachance qui a déclaré que le projet de réorganisation n’était qu’embryonnaire lorsque les fonctionnaires s’estimant lésés ont porté le macaron. Mme Lachance a témoigné que la gestion n’avait pas pris de décision ferme quant aux coupures de postes.

54 C’est en réaction à ces changements que l’Alliance a demandé à ses membres, surtout à ceux les plus touchés par cette initiative de la gestion, de porter le macaron. Le but était d’informer les membres de l’Alliance et la population des changements que la gestion allait apporter au Service à la clientèle. Le macaron n’a pas été porté longtemps. M. Brière, par exemple, ne l’a porté que pendant une journée et M. Landry, pendant deux jours.

55 M. Landry a tenté d’avoir une version écrite de la directive qui interdisait le port du macaron, mais la gestion ne lui en a pas remise une. Mme Simard a dit qu’elle avait reçu cette directive du directeur adjoint qui lui, l’avait reçue de la directrice, qui elle, l’avait reçue du sous-commissaire.

56 La suite des choses a démontré que le plan de restructuration de l’employeur a effectivement été mis à exécution et plusieurs postes aux comptoirs de renseignements ont été supprimés.

57 Le procureur des fonctionnaires s’estimant lésés a soutenu que l’employeur a enfreint la clause 19.01 de la convention collective en leur interdisant de porter le macaron. La clause 19.01 interdit à l’employeur de discriminer contre une personne à cause de son « […] adhésion à l’Alliance ou son activité dans celle-ci […] » (pièce F-1). Le port du macaron était une activité syndicale licite et l’employeur devait respecter ce droit.

58 Le procureur des fonctionnaires s’estimant lésés a aussi fait valoir que l’article 5 de la Loi protège également le droit des fonctionnaires de participer aux activités d’une organisation syndicale :

5. Le fonctionnaire est libre d’adhérer à l’organisation syndicale de son choix et de participer à toute activité licite de celle-ci.

59 Le procureur des fonctionnaires s’estimant lésés a précisé que les fonctionnaires ne peuvent faire n’importe quoi. La jurisprudence a établi les balises qui encadrent ce droit de participer à des activités syndicales. Dans Quan c. Canada (Conseil du Trésor), [1990] 2 C.F. 191 (C.A.), la Cour d’appel fédérale a jugé que le port d’un macaron par un membre d’un syndicat pendant les heures de travail constituait une activité syndicale légitime ne devant être restreinte que lorsque l’employeur peut démontrer que cette activité nuit à sa capacité de gérer ou qu’elle porte atteinte à sa réputation. La Cour d’appel fédérale a décidé que l’article de la convention collective qui prévoyait qu’on ne pouvait discriminer contre un employé à cause de sa participation à une activité syndicale devait s’interpréter à la lumière de l’article 6 de l’ancienne Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R. (1985), ch. P-35 (l « ancienne Loi ») qui prévoyait que les fonctionnaires avaient le droit de participer à des activités syndicales. Dans cette affaire-là, la Cour a décidé que le fait de porter un macaron sur lequel était écrit « Je suis en état d’alerte à la grève » (page 193) était une activité syndicale légitime et que l’employeur avait eu tort de demander aux fonctionnaires de le retirer puisque cette phrase n’attaquait nullement l’autorité de l’employeur, ni ne portait atteinte à sa réputation. Dans les présents griefs, les fonctionnaires exerçaient une activité syndicale lorsqu’ils ont porté le macaron et l’employeur n’a pas prouvé que le port du macaron nuisait à sa réputation ou à ses opérations.

60 Dans Syndicat des travailleuses et travailleurs des postes c. Société canadienne des postes (Postes Canada), [2006] R.J.D.T. 1675, l’employeur avait interdit aux employés qui faisaient affaire avec le public de porter un macaron sur lequel on pouvait lire « Votre service postal public livre la marchandise… pour l’instant. » (paragraphe 2). Le but était de sensibiliser la population à la fermeture d’un centre de tri postal. La convention collective prévoyait qu’il « […] ne doit pas y avoir d’ingérence […] ni de sanction disciplinaire […] du fait de […] son adhésion au Syndicat ou de son activité au sein de celui-ci » (paragraphe 50). Le Tribunal d’arbitrage a décidé que le port du macaron constituait une activité syndicale et que l’employeur avait enfreint la convention collective en interdisant le port du macaron.   

61 Le procureur des fonctionnaires s’estimant lésés a aussi soutenu que l’interdiction de l’employeur de porter le macaron a enfreint leur liberté d’expression qui est protégée par l’alinéa 2d) de la Charte (Le procureur des fonctionnaires s’estimant lésés référait à la « liberté d’expression » protégée par l’alinéa 2d) de la Charte. L’alinéa 2d) de la Charte traite cependant de la liberté « d’association ». C’est l’alinéa 2b) qui traite de la liberté « d’expression ». Je crois que le procureur visait les deux types de droits puisqu’il cite des décisions qui traitent des deux.) Dans Syndicat des travailleuses et travailleurs des postes, le Tribunal d’arbitrage, en plus de décider que l’interdiction de porter un macaron enfreignait la convention collective, a accueilli le grief au motif que cette interdiction enfreignait l’alinéa 2b) de la Charte. Selon le Tribunal, la liberté d’expression « […] vise à permettre à une personne d’attirer l’attention d’autres personnes, dont le public en général, sur son point de vue et ainsi susciter éventuellement un débat […] » (paragraphe 22). Le Tribunal a jugé qu’en portant un macaron sur les lieux de travail pendant les heures de travail, les fonctionnaires exercent leur droit à la liberté d’expression s’ils respectent un certain nombre de conditions. Ces conditions incluent :

  • le port du macaron doit être discret et non-envahissant;
  • le message doit être exprimé en termes qui ne sont ni virulents ni dénigrants;
  • le port du macaron doit être une décision volontaire;
  • l’activité normale du travail ne doit pas être perturbée par le port du macaron;
  • le port du macaron ne doit pas mettre en péril, sans raison fondamentale, les relations d’affaires avec la clientèle et les fournisseurs.

62 Le procureur des fonctionnaires s’estimant lésés a souligné que le port du macaron dans ce dossier respectait toutes ces conditions. Le macaron ne mesure que deux pouces de circonférence. Le message affiché sur le macaron était poli et n’avait rien de dénigrant. Le port du macaron, quoique fait à la demande de l’organisation syndicale, était volontaire. L’employeur n’a soumis aucune preuve qui établirait que le port du macaron ait nui à ses opérations. Le message du macaron était exact puisque, tel qu’expliqué ci-haut, l’employeur avait l’intention de changer la façon de servir la clientèle pour ce qui est des comptoirs de renseignements et des comptoirs-caisse dès février 2005.

63 Le procureur des fonctionnaires s’estimant lésés a soutenu que le macaron était clair. Évidemment, puisqu’il s’agit d’un macaron, le texte se devait d’être bref. Le message était que des services ne seraient plus offerts en 2006. Et, effectivement, l’employeur a décidé de changer la façon de fournir des renseignements aux clients et d’abolir les comptoirs-caisse. Pour ce qui est des comptoirs-caisse, l’employeur avait décidé de les supprimer en février 2005, mais s’est ravisé plus tard. 

64 Le procureur des fonctionnaires s’estimant lésés m’a aussi renvoyé à Société canadienne des postes c. Syndicat des travailleuses et des travailleurs des postes, une décision arbitrale non-publiée rendue par l’arbitre Claude Lauzon le 11 décembre 2008.   Dans ce cas, l’employeur avait interdit le port d’un macaron sur lequel on pouvait lire « Votre service postal public [ce dernier mot était écrit avec une police plus grande] livre la marchandise… pour l’instant. » Les employés avaient porté le macaron pour protester contre le dépôt d’un projet de loi qui aurait pour effet de déréglementer la livraison du service postal. L’arbitre de grief a décidé que l’interdiction de porter le macaron enfreignait la convention collective qui stipulait que l’employeur ne pouvait faire preuve de discrimination ou d’ingérence envers un membre de l’organisation syndicale à cause de son « […] adhésion au Syndicat ou de son activité au sein de celui-ci […] » (page 23), même si cette activité n’était pas liée au processus de négociation collective. L’arbitre de grief a aussi déclaré que cette interdiction brimait la liberté d’expression consacrée par l’alinéa 2b) la Charte, laquelle liberté est présumée faire partie des dispositions de la convention collective. Cette liberté d’expression prime sur le droit de gestion de l’employeur.

65 Dans Acier Argo Ltée c. Association internationale des travailleurs de métal en feuille, section locale 133, [1998], R.J.D.T. 1426, le Tribunal d’arbitrage a décidé que l’employeur avait enfreint la liberté d’expression syndicale des employés en leur interdisant de porter sur leur casque de sécurité un autocollant sur lequel on pouvait lire : « Fier d’être membre de l’Union internationale des travailleurs de métal en feuilles » (page 1427). Dans cette affaire, l’organisation syndicale avait plaidé que l’interdiction de l’employeur enfreignait la liberté d’expression syndicale protégée par la convention collective et protégée par l’article 3 de la Charte des droits et libertés de la personne, L.R.Q., c. C-12. 

66 Dans Overwaitea Food Group Limited Partnership v. U.F.C.W., Loc. 1518, 149 L.A.C. (4th) 281, l’employeur avait interdit aux employés de porter un macaron sur lequel on lisait en anglais « Save Our Save-On Jobs » (c’était un jeu de mots : le nom d’un des magasins impliqués était « Save-On-Foods ») (page 285). Les employés voulaient ainsi contester une conversion de certains magasins qui aurait affecté leurs conditions d’emploi. L’arbitre de grief a décidé que cette interdiction violait la convention collective qui prévoyait que les employés avaient le droit de vaquer à des « [traduction] […] activités syndicales légitimes […] » (page 282).

67 Le procureur des fonctionnaires s’estimant lésés m’a renvoyé à Parry Sound (district), Conseil d’administration des services sociaux c. S.E.E.F.P.O., section locale 324, 2003 CSC 42, où la Cour suprême du Canada a déclaré que les droits et obligations prévus dans les lois sur les droits de la personne et sur l’emploi sont contenus implicitement dans chaque convention collective (paragraphes 28 et 29).

68 Le procureur des fonctionnaires s’estimant lésés m’a aussi renvoyé à Expertech bâtisseur de réseaux c. Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier (SCEP), décision non publiée de l’arbitre François Hamelin rendue le 29 avril 2005, dans laquelle l’arbitre de grief a décidé que le syndicat pouvait modifier son grief lors du renvoi à l’arbitrage pour ajouter que les actions de l’employeur constituaient une violation des droits de la personne. Dans Syndicat des employés de Villa medica Inc. (CSN) c. Villa medica Inc., [2003] R.J.D.T. 454, le Tribunal d’arbitrage a aussi jugé qu’une partie pouvait invoquer la violation d’un droit protégé par l’article 10 de la Charte des droits et libertés de la personne,L.R.Q., c. C-12, lors de l’étape du renvoi à l’arbitrage, même si elle ne l’avait pas mentionné dans son grief. Le représentant des fonctionnaires s’estimant lésés a déclaré que ces derniers avaient le droit de porter le macaron. Ils exerçaient ainsi leur liberté d’expression syndicale. Cette liberté d’expression a d’ailleurs été bénéfique pour l’employeur puisqu’il a révisé sa décision pour ce qui est des comptoirs-caisse.

69 Le procureur des fonctionnaires s’estimant lésés a déclaré que puisque l’interdiction de porter le macaron est une atteinte à un droit fondamental, je devrais, comme mesure de redressement, en plus des mesures de redressement exigées dans les formulaires de griefs, ordonner à l’employeur de verser une somme de 50 $ à chaque fonctionnaire s’estimant lésé pour compenser le préjudice subi par cet affront à leurs droits. Le procureur des fonctionnaires s’estimant lésés m’a fait noter que dans Syndicat des travailleuses et travailleurs des postes, le Tribunal d’arbitrage avait ordonné que l’employeur paie 50 $ à chaque employé affecté par l’interdiction à titre de réparation. Dans Expertech bâtisseur de réseaux c. Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier (SCEP), l’arbitre de grief a décidé que le syndicat pouvait amender son grief lors du renvoi à l’arbitrage pour ajouter que les actions de l’employeur constituaient une violation des droits de la personne et pour demander un dédommagement pour cette violation. Dans Quali-métal Inc. c. Syndicat des travailleurs de la métallurgie de Québec Inc. (CSD), [2002] R.J.D.T. 1345, le Tribunal d’arbitrage a permis au syndicat de demander un dédommagement monétaire à l’étape du renvoi à l’arbitrage, même si le syndicat n’avait pas fait cette demande dans le grief initial.

70 Le procureur des fonctionnaires s’estimant lésés m’a également demandé que j’affiche ma décision sur le site Web de l’Agence ainsi que sur la page InfoZone du site intranet de l’Agence, et qu’on informe les internautes sur la page d’accueil intranet comment accéder à la décision.

B. Pour l’employeur

71 La procureure de l’employeur a soutenu que l’interdiction de porter le macaron n’enfreignait pas la clause 19.01 de la convention collective et ne brimait pas la liberté d’expression syndicale des fonctionnaires s’estimant lésés.

72 La liberté d’expression syndicale n’est pas absolue. L’exercice de cette liberté doit respecter certains critères. Il faut établir un équilibre entre la liberté d’expression syndicale et le droit de l’employeur de protéger sa réputation et son image et son droit d’assurer le bon fonctionnent de ses opérations.

73 La procureure de l’employeur a souligné qu’il est important de se rapporter au contexte qui prévalait lorsque les fonctionnaires s’estimant lésés ont porté leur macaron. Le gouvernement venait de déposer un budget. L’employeur avait décidé de réviser sa façon de livrer ses services. En février 2005, les projets de l’employeur pour ce qui est des comptoirs de renseignements et des comptoirs-caisse n’étaient pas embryonnaires, mais l’employeur n’avait pas pris de décision finale à ce sujet. Le diaporama présenté à la séance d’information du 24 février 2005 et les questions et réponses distribuées après cette séance d’information parlent d’« initiatives » (pièce F-12A, page 5 et pièce F-12B, page 1, première question). À cette époque, les changements au service de la clientèle n’étaient que des possibilités. L’employeur évaluait l’incidence des changements envisagés.

74 Le témoignage de Mme Lachance établit que les changements au Service à la clientèle n’étaient qu’à l’étape de projet. Mme Lachance a témoigné qu’en février 2005 l’employeur ne lui avait par transmis d’objectif précis au sujet des changements dans la livraison des services aux clients. Mme Lachance savait que l’employeur voulait adopter une nouvelle orientation stratégique qui allait s’étaler sur une période de trois ans, et elle savait que les comptoirs de renseignements et les comptoirs-caisse seraient touchés, mais elle ne connaissait pas les effets concrets des changements envisagés, surtout sur l’effectif en place.

75 Le témoignage de Mme Simard démontre également que l’employeur n’avait pas pris une décision finale en février 2005. Mme Simard a témoigné qu’à cette époque, elle examinait les possibilités de changements aux comptoirs de renseignements et aux comptoirs-caisse. Elle savait qu’il fallait revoir la façon de livrer les services à la clientèle, mais elle ne savait pas comment effectuer ces changements. Elle n’avait reçu aucune directive précise au sujet des actions à prendre. L’employeur ne lui a donné aucune assurance que les comptoirs-caisse seraient fermés. Les fonctionnaires s’estimant lésés se sont basés sur des rumeurs pour conclure que des postes seraient supprimés.

76 La procureure de l’employeur a soutenu que le fait que M. Dorais ait changé d’idée pour ce qui est des comptoirs-caisse après avoir consulté les intervenants du milieu (pièce F-5) démontre qu’en février 2005 l’employeur n’était qu’à l’étape de l’élaboration de projets.

77 La procureure de l’employeur m’a renvoyé à Alliance de la Fonction publique du Canada c. Agence du revenu du Canada, 2006 CRTFP 41. Cette décision entre les mêmes parties que pour les présents griefs traite de la question de la suppression de postes aux comptoirs de renseignements et aux comptoirs-caisse. La question en litige était de savoir si l’employeur avait enfreint la convention collective, plus particulièrement les dispositions concernant le réaménagement des effectifs. Pour décider de cette question, l’arbitre de grief devait fixer la date à laquelle les employés touchés par la réorganisation des services à la clientèle avaient été informés que leur poste serait supprimé. L’arbitre de grief a décidé que l’employeur avait pris la décision de supprimer les postes aux comptoirs de renseignements et aux comptoirs-caisse au mois d’octobre 2005 et qu’il avait communiqué cette décision à l’Alliance le 25 novembre 2005 (paragraphe 52). Cette décision établit donc que la décision de supprimer les postes des comptoirs de renseignements et des comptoirs-caisse n’avait pas été prise lorsque les fonctionnaires s’estimant lésés ont porté leur macaron. L’employeur savait en février 2005 que les changements proposés pouvaient éventuellement se traduire par une réduction des effectifs, mais les postes affectés n’avaient pas encore été identifiés.

78 La procureure de l’employeur n’a pas contesté le fait que les fonctionnaires peuvent porter un macaron pour s’exprimer, mais le message transmis par un macaron doit respecter certaines conditions. Il faut analyser le message transmis et son impact pour décider si c’est une activité légitime. Il doit y avoir un équilibre entre le droit des fonctionnaires de participer aux activités syndicales et le droit de l'employeur de protéger sa réputation et d’assurer la bonne marche de ses opérations. Dans les présents griefs, le macaron suggère que le service offert disparaîtra en 2006 et que le public en subira les conséquences. Le macaron laisse croire au public que celui-ci sera mal servi. Les fonctionnaires s’estimant lésés critiquent ainsi l’employeur et le gouvernement. Mme Lachance a témoigné que le macaron pouvait provoquer des discussions avec les clients. La crédibilité et le professionnalisme de l’employeur étaient en jeu. L’employeur avait le droit de défendre son image et sa réputation et d’interdire le port du macaron.

79 La procureure de l’employeur a fait valoir que le message transmis par le macaron ne présentait qu’un côté de la médaille. De plus, ce message n’était pas clair. Il pouvait susciter plusieurs interprétations. Par exemple, le message n’indiquait pas quels bureaux seraient touchés par les changements envisagés au Service à la clientèle.  

80 La procureure de l’employeur a soutenu que dans les présents griefs, l’employeur n'a pas agi de façon arbitraire. L'employeur craignait que le port du macaron mine la confiance du public envers l’Agence. De plus, la période de pointe pour les déclarations de revenus approchait. Il y avait donc une plus grande possibilité que l’employeur subisse des dommages.

81 La procureure de l’employeur m'a renvoyé à Almeida c. Canada (Conseil du Trésor), [1991] 1 C.F. 266 (C.A.). Dans cette décision, Revenu Canada - Douanes et Assises avait demandé à des inspecteurs des douanes d’enlever le macaron qu’ils portaient sur lequel on pouvait lire « Gardons nos inspecteurs de douanes – Empêchons l’entrée de la drogue et de la porno » (page 2). Comme les inspecteurs ont refusé d’obtempérer, ils ont été suspendus pour insubordination. L’arbitre de grief a rejeté leurs griefs et la Cour d’appel fédérale lui a donné raison. La Cour d’appel fédérale a souligné que les employés qui arboraient le macaron exprimaient leur appui à un projet de loi controversé qui avait été l’objet de débats animés. Le fait de porter le macaron aurait pu entraîner les employés dans un débat public et une confrontation avec le public. La Cour d’appel fédérale a aussi noté que lorsqu’un fonctionnaire porte un macaron qui critique l’employeur, ce dernier n’a pas à prouver qu’il y a eu préjudice. Le préjudice à l’employeur peut être inféré. L’employeur n’a qu’à prouver que la décision d’interdire le macaron n’était pas arbitraire.

82 Dans Convention Centre Corporation v. Canadian Union of Public Employees, Local 500, 63 L.A.C. (4e) 390, les employés portaient un macaron qui exprimait leur désaccord à l’endroit de projets de sous-traitance. L'arbitre de grief a conclu que l’employeur avait le droit d’interdire aux employés de porter le macaron parce qu’il critiquait l’action de l’employeur d’avoir recours à la sous-traitance et parce que les employés portaient le macaron lorsqu’ils faisaient affaire avec le public. L'arbitre de grief a aussi conclu que le préjudice subi par l’employeur pouvait être inféré des circonstances du cas.

83 Dans National Steel Car Ltd. v. United Steel Workers of America, Local 7135, 76 L.A.C. (4e) 176, l’employeur avait interdit aux employés de porter au travail un chandail sur lequel on avait dessiné un cobra et écrit : [traduction] « Si on nous provoque nous ferons la grève » (page 17). L’arbitre de grief a décidé que le port des chandails n’était pas approprié, même s’il n’y avait aucune preuve de préjudice subi et même si les employés n’avaient pas affaire au public.

84 Pour ce qui est des mesures de redressement que les fonctionnaires s’estimant lésés demandent, la procureure de l’employeur a soutenu que rien ne justifie que ma décision soit publiée sur le site Web de l’Agence ou sur son site intranet InfoZone. Une telle mesure aurait un caractère punitif et je n’ai pas compétence pour faire une ordonnance à caractère punitif.

85 Dans Telus v. Telecommunications Workers Union (Satterhwaite Grievance), 90 C.L.A.S. 280, l’employeur avait interdit à un employé de porter une épinglette arborant le sigle de son syndicat, conformément à une politique que l’employeur avait adoptée en ce sens. L’arbitre de grief a déclaré que la politique de l’employeur violait la convention collective, mais a refusé la demande de l’agent négociateur voulant que l’arbitre de grief ordonne à l’employeur de transmettre sa décision à tous les employés. L’arbitre de grief en est arrivé à la même conclusion pour ce qui est de la diffusion de la décision d’arbitrage dans Assoc. internationale des machinistes et des travailleurs de l’aérospatiale c. Service correctionnel Canada, 2005 CRTFP 50. L’arbitre de grief a conclu que l’employeur n’était pas justifié d’interdire aux fonctionnaires de porter des chapeaux et des épinglettes affichant le sigle de l’Alliance, mais a refusé la demande de l’agent négociateur qu’il ordonne à l’employeur d’afficher la décision dans chaque établissement de l’employeur.

86 La procureure de l’employeur a plaidé que les fonctionnaires s’estimant lésés ne pouvaient demander une compensation monétaire comme mesure de redressement. Elle m’a renvoyé à 5673769 B.C. Ltd. v. United Food and Commercial Workers Union, Local 1518, 87 C.L.A.S. 226. Dans ce grief, l’employeur avait suspendu des employés qui avaient distribué un dépliant qui incitait les clients à magasiner ailleurs. L’arbitre de grief a accueilli les griefs des employés, mais a refusé de leur accorder une compensation monétaire. Selon l’arbitre de grief, le comportement de l’employeur n’était pas à ce point répréhensible.

87 La procureure de l’employeur m’a aussi renvoyé à Canada (Procureur général) c. Lussier (C.A.F.), [1993] A.C.F. no 64 (C.A.) (Q.L.). Dans cette affaire, la Cour d’appel fédérale a jugé qu’un arbitre de grief de la CRTFP avait excédé sa compétence en accordant des dommages punitifs à un fonctionnaire parce que l’employeur avait fait une erreur administrative dans le calcul des congés de maladie d’un fonctionnaire.

88 La procureure de l’employeur a conclu en disant que l’employeur était justifié d’interdire le port du macaron parce que cette activité nuisait à l’image, à la réputation et au bon fonctionnement des opérations de l’employeur. La décision de l’employeur n’était pas arbitraire.

IV. Motifs

89 Les fonctionnaires s’estimant lésés ont chacun renvoyé à l’arbitrage un grief en vertu de l’alinéa 209(1)a) de la Loi,qui se lit comme suit :

     209. (1) Après l'avoir porté jusqu'au dernier palier de la procédure applicable sans avoir obtenu satisfaction, le fonctionnaire peut renvoyer à l'arbitrage tout grief individuel portant sur :

a) soit l'interprétation ou l'application, à son égard, de toute disposition d'une convention collective ou d'une décision arbitrale;

90 La question en litige dans ces griefs est de savoir si l’employeur a enfreint le droit des fonctionnaires s’estimant lésés de participer à une « activité dans [l’Alliance] » prévu à la clause 19.01 de la convention collective et l’article 5 de la Loi, ainsi que le droit à la liberté d’expression et le droit à la liberté d’association prévus aux alinéas 2b) et 2d) de la Charte en leur interdisant de porter, pendant les heures de travail et devant les clients, un macaron qui affichait le logo de l’Alliance et sur lequel on pouvait lire : « Nous vous manquerons quand nous ne serons plus là! 2006. » Selon les fonctionnaires s’estimant lésés, l’employeur a brimé ces droits. L’employeur, pour sa part, ne conteste pas que les fonctionnaires s’estimant lésés ont le droit de participer à des activités syndicales, mais il soutient que le message transmis par le macaron ne respecte pas les balises fixées par la jurisprudence au sujet de la liberté d’expression syndicale.

91 J’aborderai d’abord l’argument des fonctionnaires s’estimant lésés disant que l’employeur a enfreint la clause 19.01 de la convention collective en leur interdisant de porter le macaron. La clause 19.01 se lit comme suit :

19.01 Il n’y a aucune discrimination, ingérence, restriction, coercition, harcèlement, intimidation, ni aucune mesure disciplinaire exercée ou appliquée à l’égard d’un employé-e du fait de son âge, sa race, ses croyances, sa couleur, son origine ethnique, sa confession religieuse, son sexe, son orientation sexuelle, sa situation familiale, son incapacité mentale ou physique, son adhésion à l’Alliance ou son activité dans celle-ci, son état matrimonial ou une condamnation pour laquelle l’employé-e a été gracié.

[Je souligne]

92 Mon rôle, en tant qu’arbitre de grief, est de rechercher l’intention des parties à la convention collective. Je dois présumer que la convention collective exprime leur intention. Je dois également donner aux termes clairs leur sens ordinaire. Lorsque les termes de la convention collective ne sont pas clairs, je dois rechercher l’intention de parties en analysant le contexte de la convention collective et son cadre législatif.

93 Dans les présents griefs, ma recherche de l’intention des parties doit aussi prendre en considération l’article 5 de la Loi. En effet, dans Quan, la Cour d’appel fédérale a interprété un article de la convention collective conclue entre les mêmes parties que pour les présents griefs, qui était presque identique à la clause 19.01 de la convention collective qui fait l’objet de ce litige. La convention collective dans Quan stipulait ce qui suit :

[…]

M-16.01 Il n'y aura aucune discrimination, ingérence, restriction, coercition, harcèlement, intimidation, ni aucune mesure disciplinaire d'exercée ou d'appliquée à l'égard d'un employé du fait de son âge, sa race, ses croyances, sa couleur, son origine ethnique, sa confession religieuse, son sexe, son orientation sexuelle, ou son adhésion au syndicat ou son activité dans celui-ci.

[…]

[Je souligne]

94 La Cour d’appel fédérale a précisé que cet article de la convention collective devait être interprété à la lumière de l’article 6 de l’ancienne Loi parce que l’article de la convention collective et l’article 6 de l’ancienne Loi traitaient tous deux d’activités au sein d’une organisation syndicale (pages 194 et 195) :

[…]

     À mon avis, la Commission a mal interprété l'article M-16 en accordant une interprétation plus étroite à cette disposition qu'à l'article 6 de la Loi […]

[…]

     Bien que la Commission ait mentionné l'article 6 de la Loi, elle a dit qu'elle traitait d'une question différente, à savoir, l'interprétation de l'article M-16.01 de la Convention cadre. Cependant, les avocats des parties ont concédé qu'une convention collective ne saurait porter atteinte aux droits fondamentaux conférés aux fonctionnaires par l'article 6 de la Loi, et que cette disposition et l'article M-16.01 traitent du même objet en ce qui concerne les droits d'un fonctionnaire de participer aux activités syndicales. Convenant que la question qui nous est soumise porte sur l'interprétation de l'article M-16.01, je crois que cette interprétation implique la recherche de l'intention des parties dans le contexte dans lequel se pose la question d'interprétation. Cette approche conduit nécessairement à la considération de l'effet du libellé de l'article 6.

[…]

[J’omets la note de bas de page]

95 Le libellé de l’article 6 de l’ancienne Loi est, dans sa substance, presque identique au libellé de l’article 5 de la nouvelle Loi.

Ancienne Loi
Nouvelle Loi

6.  Un fonctionnaire peut adhérer à une organisation syndicale et participer à l’activité légitime de celle-ci.

     5. Le fonctionnaire est libre d’adhérer à l’organisation syndicale de son choix et de participer à toute activité licite de celle-ci.

96 Je dois donc interpréter la clause 19.01 de la convention collective dans les présents griefs à la lumière de l’article 5 de la Loi. Cet article de la convention collective ne saurait porter atteinte aux droits fondamentaux conférés aux fonctionnaires par l'article 5 de la Loi.  

97 La preuve démontre que les fonctionnaires s’estimant lésés portaient le macaron pour protester contre les changements que l’employeur entendait apporter aux comptoirs de renseignements et aux comptoirs-caisse. Pour ce qui est des comptoirs de renseignements, l’employeur a décidé qu’au lieu de recevoir les clients qui se présentaient aux comptoirs sans rendez-vous, les agents les encourageraient à faire appel à l’Internet et aux services téléphoniques. Ce n’est que dans les cas d’exception que les agents recevraient les clients sans rendez-vous. Ce changement a eu pour résultat la suppression de plusieurs postes dans les comptoirs de renseignements. Pour ce qui est des comptoirs-caisse, l’employeur a d’abord voulu les supprimer et encourager les clients à effectuer leurs paiements en se servant d’Internet ou en s’adressant aux institutions financières. À la suite de consultations avec divers intervenants, l’employeur s’est ravisé et a maintenu ce service.

98 La première question à résoudre est de savoir si le port du macaron est une « activité dans [l’Alliance] » au sens de la clause 19.01 de la convention collective. Dans Quan, la Cour d’appel fédérale a décidé que le port d’un macaron qui affichait un message syndical pendant les heures de travail était une activité au sein de l’organisation syndicale. L’employeur avait demandé aux fonctionnaires de retirer un macaron sur lequel on pouvait lire : « Je suis en état d’alerte à la grève » (page 193). Le fonctionnaire qui avait présenté un grief soutenait que l’interdiction de l’employeur violait la clause de la convention collective citée plus haut qui prévoyait que l’employeur ne pouvait discriminer contre quelqu’un à cause de son « activité dans [le syndicat] ». (La décision Quan de la Cour d’appel fédérale porte sur deux demandes de contrôle judiciaire de deux décisions contradictoires d’arbitres de grief de la CRTFP que la Cour d’appel fédérale désigne comme la décision Quan (dans laquelle l’arbitre de grief avait rejeté le grief) et la décision Bodkin (dans laquelle l’arbitre de grief avait accueilli le grief)). L’arbitre de grief avait décidé dans Quan que le port du macaron n’était pas une activité syndicale parce qu’une activité syndicale devait être une activité qui concerne les affaires internes du syndicat. La Cour d’appel fédérale ne partageait pas ce point de vue. Elle a décidé qu’il ne fallait pas donner une interprétation trop restrictive aux termes « activité dans [le syndicat] » (page 195):

[…]

     À cet égard, je souscris entièrement au raisonnement que la Commission a suivi dans l’arrêt Bodkin :

     Tel que le dit l’article M-16, il est interdit à l'employeur d'appliquer ou d’exercer de la discrimination, de l'ingérence, de la restriction, de la coercition, du harcèlement, de l’intimidation ou toute autre mesure disciplinaire à l’égard d'un fonctionnaire en raison de sa participation à une « activité dans [le syndicat] ». Cette dernière expression n'est pas définie dans la convention. En vue de préciser l'intention des parties sur ce point, j’ai tenu compte du contexte des relations du travail dans lequel cette convention a été signée ainsi que du cadre législatif. Je tiens pour acquis que les parties voulaient, tout au moins, accorder aux fonctionnaires la même protection que celle qui leur est garantie en vertu de l’article 6 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, dont voici la teneur […]

      Une interprétation stricte et étroite de l'expression « activité dans [le syndicat] » — qui restreindrait la protection accordée aux affaires administratives internes du syndica t — ne tiendrait aucunement compte du contexte dans lequel les conventions collectives sont signées et, au bout du compte, serait tout à fait contraire à l'esprit de l'article M-16.

[…]

[Je souligne]

[J’omets les notes en bas de page]

99 La Cour d’appel fédérale a donc établi clairement dans Quan qu’une « activité dans [le syndicat] » ne se limite pas aux activités administratives internes de l’organisation syndicale. À mon avis, une activité au sein de l’organisation syndicale peut donc inclure l’expression d’un désaccord de l’organisation syndicale envers la conduite de l’employeur. Dans les présents griefs, il est clair, à mon avis, que le port du macaron était une activité au sein de l’organisation syndicale. Les fonctionnaires s’estimant lésés portaient le macaron à la demande de leur syndicat pour protester contre les changements que l’employeur entendait apporter aux comptoirs de renseignements et aux comptoirs-caisse parce que ces changements risquaient d’affecter leurs emplois. Certains fonctionnaires s’estimant lésés ont effectivement dû être mutés à la suite de ces changements.

100 L’employeur a fait valoir que la clause 19.01 de la convention collective ne s’applique qu’aux activités syndicales liées à la négociation de la convention collective. L’employeur m’a rappelé que dans Quan, le port du macaron avait pour but de mettre de la pression sur l’employeur pour faire progresser les négociations. Dans les présents griefs, le port du macaron avait pour but de protester contre une réorganisation du travail. Je ne partage pas le point de vue de l’employeur sur cette question. Le rôle d’un agent négociateur ne se limite pas à négocier une convention collective pour ses membres. L’agent négociateur veille aux intérêts de ses membres pendant toute la durée de la convention collective. Cela inclut la protection des emplois et des conditions d’emploi des membres de l’organisation syndicale. Il est donc tout à fait légitime pour un agent négociateur de faire valoir son désaccord au sujet de changements que l’employeur entend apporter pendant la durée de la convention collective lorsque ces changements risquent de se solder par des pertes d’emploi. Dans Overwaitea Food Group Limited Partnership, l’arbitre de grief a adopté une approche semblable. Cet arbitre a décidé que la protection accordée par la convention collective aux [traduction] « activités syndicales légitimes » ne se limitait pas aux activités syndicales auxquelles les employés prendraient part pendant la négociation de la convention collective (page 288).

101 Dans Quan, la Cour d’appel fédérale indique qu’il faut considérer à la fois les droits de l’employeur de protéger sa réputation et d’assurer la bonne marche de ses opérations, et le droit des syndiqués de participer aux activités au sein de leur organisation syndicale. Un membre d’une organisation syndicale peut porter un macaron qui affiche un message syndical si ce message respecte trois conditions : il ne dénigre pas l’employeur, il ne porte pas atteinte à la réputation de l’employeur et il ne nuit pas à aux opérations de l’employeur. La Cour a fait siennes les propos de l’arbitre de grief dans Bodkin (pages 195 et 196) :

[…]

[…] le membre de la Commission a dit dans l'arrêt Bodkin :

J’estime, pour ma part, que porter un insigne syndical pendant les heures de travail constitue, à l’intérieur de certaines limites, une activité légitime dans le syndicat aux termes de l'article M-16. Il serait à la fois peu sage de ma part et inutile de chercher à établir ces limites, qui dépendent somme toute des faits particuliers à chaque affaire. Je dirai simplement ceci: selon moi, le port d'un « macaron ou d'un insigne syndical » pendant les heures de travail constitue un moyen légitime par lequel chacun peut faire connaître ses vues sur des questions syndicales et, bien que ce ne soit pas un droit absolu, ne devrait être restreint que lorsque l’employeur est en mesure de démontrer que cette activité nuit à sa capacité de gérer et qu’elle porte atteinte à sa réputation.

Cette approche est évidemment correcte. Le membre de la Commission a ensuite exprimé l’opinion suivante, à laquelle je souscris également :

Il reste qu'une conclusion est inévitable. Pour décider si un macaron syndical est acceptable ou pas, on doit forcément considérer le message qu'il contient. En fait, les deux parties m’ont invitée à faire précisément cela. Au départ, l’employeur ne devrait pas être obligé de tolérer pendant les heures de travail des affirmations qui sont dénigrantes à son égard, portent atteinte à sa réputation ou nuisent à ses opérations. Il s’ensuit qu’on pose un jugement en partie subjectif lorsqu’on doit décider si un macaron syndical excède les limites permises. En l’occurrence, le message « Je suis en état d'alerte à la grève », à mon avis, n'attaque nullement l'autorité de l’employeur, ni ne porte atteinte à la réputation de celui-ci. D’autre part, je ne vois pas comment il pourrait nuire aux opérations de l’employeur.[…]

[…]

[Je souligne]

[J’omets la note en bas de page]

102 À mon avis, le message transmis par le macaron n’a rien de dénigrant. Il ne fait qu’énoncer un fait : des services ne seront plus offerts en 2006.

103 Il n’y a pas de preuve, à mon avis, que le port du macaron ait nui à la réputation de l’employeur. Rien n’indique que les clients de l’Agence ont changé leur perception de l’Agence à cause de ce geste de la part des fonctionnaires s’estimant lésés.

104 Rien ne démontre non plus que le port du macaron ait affecté les opérations de l’employeur. Il n’y a aucune preuve que les fonctionnaires qui portaient le macaron ont cessé de vaquer à leur fonctions, ont démontré moins de zèle dans leur travail ou ont nui au travail de leurs collègues.  

105 L’employeur soutient que le message transmis par le macaron était ambigu. Je ne crois pas que ce soit le cas. On pouvait y lire : « Nous vous manquerons quand nous ne serons plus là! 2006 » (pièce F-4). À mon avis, cela laissait entendre que les fonctionnaires qui portaient le macaron n’offriraient plus leurs services en 2006. Un macaron doit être bref; on ne peut donc s’attendre à ce qu’il soit parfaitement clair. Même si le message du macaron avait été ambigu, il ne s’ensuit pas nécessairement que l’employeur avait le droit d’interdire le port du macaron. L’employeur devait démontrer, selon Quan, que le port du macaron portait atteinte à la réputation de l’employeur ou nuisait à ses opérations. Dans les présents griefs, il n’y a pas de preuve que le port du macaron ait porté atteinte à la réputation de l’employeur ou ait nui de quelque façon aux opérations de l’employeur.

106 L’employeur a aussi fait valoir que je peux inférer qu’il y a eu préjudice à son égard du fait du port du macaron. À mon avis, il n’y a rien dans le contexte de ces griefs qui me permette de faire une telle inférence. Pour tirer une telle inférence, il aurait fallu que je décide que le message transmis par le macaron pouvait vraisemblablement nuire à la réputation ou aux opérations de l’employeur. À mon avis, le message transmis n’implique pas un tel résultat.

107 L’employeur a soutenu que les fonctionnaires s’estimant lésés ont eu tort de porter le macaron parce qu’à l’époque à laquelle ils ont posé ce geste, l’employeur n’avait pas encore pris de décision finale au sujet des changements à apporter aux comptoirs de renseignements et aux comptoirs-caisse. Je ne vois pas pourquoi l’Alliance devait attendre que la décision d’apporter les changements soit finale avant de réagir. À mon avis, il était plus logique d’intervenir dès que l’Alliance a eu vent que l’employeur envisageait de tels changements. La preuve démontre par ailleurs qu’en février 2005, la décision de l’employeur d’apporter des changements aux comptoirs de renseignements et aux comptoirs-caisse était passablement ferme. Le diaporama que l’employeur a présenté à la séance d’information du 24 février 2005 indique que l’employeur procèdera à une « […] rationalisation des services au comptoir pour les demandes de renseignements […] » (pièce F-12A, page 7) et qu’on « […] encouragera les clients à utiliser les voies de services plus abordables et accessibles (p. ex. le service téléphonique et Internet) plutôt que de se rendre aux comptoirs des services à la clientèle […] » (pièce F-12A, page 7). L’Agence avait déjà décidé de supprimer les comptoirs-caisse puisque le diaporama précise qu’elle « […] supprimera progressivement, sur plusieurs années, les services au comptoir reliés aux paiements comptants […] » (pièce F-12A, page 8) et que les « […] contribuables devront effectuer leurs paiements par voie électronique, par courrier ou à une institution financière […] » (pièce F-12A, page 8). On trouve des renseignements similaires dans les questions et réponses (pièce F-12B).

108 Je ne crois pas que la décision Alliance de la Fonction publique du Canada établit, comme le soutient l’employeur, que la décision d’apporter des changements aux comptoirs de renseignements et aux comptoirs-caisse a été prise en octobre 2005. Cette décision ne porte pas sur la date que l’employeur a décidé d’effectuer des changements à ces comptoirs, mais sur la question plus pointue de la date à laquelle l’employeur a décidé de supprimer certains postes précis. De plus, comme je l’ai expliqué ci-haut, l’Alliance n’avait pas à attendre qu’une décision finale de supprimer des postes soit prise avant de réagir à ces changements.

109 J’accueille donc les griefs parce que l’employeur a enfreint la clause 19.01 de la convention collective en interdisant aux fonctionnaires s’estimant lésés de porter le macaron au printemps 2005. 

110 En raison de mes conclusions ci-dessus, il n’est pas nécessaire que je traite de la question à savoir si l’interdiction de l’employeur de porter le macaron a enfreint l’article 5 de la Loi et les alinéas 2b) et 2d) de la Charte.

111 Les fonctionnaires s’estimant lésés m’ont demandé, comme mesure de redressement, d’émettre une déclaration que l’employeur a enfreint la clause 19.01 de la convention collective. L’utilité d’une telle déclaration peut paraître académique puisque la réorganisation des comptoirs de renseignements et des comptoirs-caisse est achevée. J’accepte quand même d’émettre une telle ordonnance afin de guider les parties à l’avenir puisqu’une réorganisation semblable pourrait se reproduire et il est important que l’employeur respecte le droit des fonctionnaires s’estimant lésés de participer à des activités au sein de l’Alliance.

112 Les fonctionnaires s’estimant lésés m’ont également demandé d’ordonner à l’employeur d’annuler sa décision d’interdire le port du macaron. Comme la réorganisation contestée est achevée, je ne vois pas l’utilité de faire une telle ordonnance.

113 Les fonctionnaires s’estimant lésés m’ont également demandé d’ordonner à l’employeur d’afficher ma décision dans des endroits apparents à l’Agence, sur le site Web de l’Agence et sur le site intranet InfoZone de l’Agence. Les arbitres de griefs nommés pas la CRTFP n’exigent habituellement pas que l’employeur diffuse leurs décisions. À mon avis, il n’y a pas lieu de faire exception dans les présents griefs. L’Alliance peut évidemment se servir de son propre réseau pour diffuser cette décision.

114 Les fonctionnaires s’estimant lésés m’ont aussi demandé d’ordonner à l’employeur de verser 50 $ à chacun d’entre eux. Je ne crois pas que la conduite de l’employeur soit à ce point répréhensible pour justifier une telle mesure compensatoire. À mon avis, une déclaration que l’employeur a enfreint la convention collective suffit.

115 Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

V. Ordonnance

116 Les griefs sont accueillis.

117 L’employeur a enfreint la clause 19.01 de la convention collective en interdisant aux fonctionnaires s’estimant lésés, au printemps 2005, de porter, durant leurs heures de travail et devant les clients, un macaron qui affichait le logo de l’Alliance et sur lequel on pouvait lire : « Nous vous manquerons quand nous ne serons plus là! 2006. »

Le 20 mars 2009.

John A. Mooney,
arbitre de grief


ANNEXE
Dossier de la CRTFPFonctionnaire s’estimant lésé(e)
566-34-00280Brad F. Andres
566-34-00281Mary Ball
566-34-00282Frederick E. Barrett
566-34-00283France Bégin-Gauthier
566-34-00284Gilles Bélanger
566-34-00285David Saul Berofe
566-34-00286 Johanne Boivin
566-34-00287Yves Bolduc
566-34-00288Danielle Bouchard
566-34-00289Jocelyn Bouchard
566-34-00290Sylvie Bouchard
566-34-00291David E. Brazill
566-34-00292 Wayne Brennan
566-34-00293Debbie Brotherton
566-34-00294Diane Brousseau 
566-34-00295Stewart C. Campbell
566-34-00296 Bonita Chestley-Frick
566-34-00297Shellie Cooper 
566-34-00298Danielle Cormier
566-34-00299Jamie Cummings 
566-34-00300Claire Dallaire
566-34-00301Christiane Deschênes
566-34-00302Nicole Dubé
Réjean Bélanger
Gaétane Boulianne
Micheline Bourgeois
Serge Dansereau
Martine Dominique
Ernest Eugène
Line Guilbert
Bruno Guilbert
Jean-Louis Tremblay
Line Goyette
Vincent Vincelli
Jocelyne Sigouin
Pierre-André Hébert
Charles Edmunds
Marc Brière
Daniel Tremblay
566-34-00303Sylvie Dufour
566-34-00304Robin East
566-34-00305Marthe L. Eisenzimmer
566-34-00306Gail Dianne Farren
566-34-00307Kathy Flory 
566-34-00308Linda Fortin
566-34-00309Sylvie Fortin 
566-34-00310Samuel Gagnon
566-34-00311Marjolaine Gauthier
566-34-00312Denis Girard
566-34-00313Lloyd Edwin Graber
566-34-00314Dave Kannegiesser
566-34-00315Linda Kinhnicki
566-34-00316Lois Lafond 
566-34-00317Pierre-Wilfrid Landry
566-34-00318Francine Lavoie 
566-34-00319Gordon J. Locke
566-34-00320Dale Bruce MacDonald
566-34-00321Josée Maltais
566-34-00322France Meunier
566-34-00323André Moreau 
566-34-00324Norma J. Mullins 
566-34-00325Gisèle Pedneault
566-34-00326Michael Perreault
566-34-00327Mario Potvin
566-34-00328Hélène Rainville
566-34-00329Christine Raymond
566-34-00330Michelle Riehl
566-34-00331Marg Rumball
566-34-00332David Christopher Ryan
566-34-00333Reine M. Sarti
566-34-00334Gerry Patrick Shea
566-34-00335Céline Sheehy
566-34-00336Louis Tremblay
566-34-00337Louise Tremblay
566-34-00338Terry Lynn Uebele
566-34-00339Carole Vandal
566-34-00340Cécile Villeneuve
566-34-00341Diane Villeneuve
566-34-00342Drew G. Woodcock  
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