Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

À la suite d’une panne du système informatique au centre fiscal où travaillaient les fonctionnaires s’estimant lésés, ceux-ci ont été avisés qu’ils étaient placés en période d’inactivité pendant une journée - la convention collective prévoyait un avis de sept jours pour tout changement à l’horaire - l’arbitre de grief a jugé que la clause de la convention collective ne visait pas une situation imprévue et imprévisible. Grief rejeté.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique,
L.R.C. (1985), ch. P-35

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2009-01-20
  • Dossier:  166-34-36821 à 36854
  • Référence:  2009 CRTFP 3

Devant un arbitre de grief


ENTRE

THÉRÈSE CLOUTIER ET AL.

fonctionnaires s'estimant lésés

et

AGENCE DU REVENU DU CANADA

employeur

Répertorié
Cloutier et al. c. Agence du revenu du Canada

Affaire concernant des griefs renvoyés à l'arbitrage en vertu de l'article 92 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-35

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Michel Paquette, arbitre de grief

Pour les fonctionnaires s'estimant lésés:
Amarkai Laryea, Alliance de la Fonction publique du Canada

Pour l'employeur:
Sean Kelly, avocat

Affaire entendue à Montréal (Québec),
le 5 novembre 2008.

Griefs renvoyés à l'arbitrage

1 En novembre 2003, 34 employés (les « fonctionnaires s’estimant lésés ») ont déposé des griefs contre l’Agence du revenu du Canada (l’ « employeur »). Ces griefs allèguent une violation de la clause 25.07 de la convention collective pour le groupe Exécution des programmes et des services administratifs conclue par l’Alliance de la Fonction publique du Canada et le Conseil du Trésor, expirant le 31 octobre 2003. La clause 25.07 se lit comme suit :

25.07 Les employé-e-s sont informés par écrit de leur horaire de travail, ainsi que des changements qui y sont apportés. L’Employeur s’efforcera de donner un préavis de 7 jours lors d’un changement à l’horaire de l’employé-e.

2 La réponse de l’employeur au dernier palier de la procédure de règlement des griefs a été rendue le ou vers le 21 septembre 2005. Les griefs ont été renvoyés à l’arbitrage le 8 décembre 2005.

3 Le 1er avril 2005, la nouvelle Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (la « Loi »), édictée par l'article 2 de la Loi sur la modernisation de la Fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, a été proclamée en vigueur. En vertu de l'article 61 de la Loi sur la modernisation de la fonction publique, ces renvois à l'arbitrage de grief doivent être décidés conformément à l'ancienne Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-35 (l' « ancienne Loi »).

Résumé de la preuve

4 Les faits à la base de ces griefs ne sont pas contestés, les parties ayant présenté un énoncé conjoint des faits à l’audience :

[…]

ÉNONCÉ CONJOINT DES FAITS

Les parties s’entendent sur l’exposé des faits suivant :

Le centre fiscal de Shawinigan-Sud

1. En 2003, l’Agence du revenu du Canada (l’ « Agence ») embaucha plusieurs employés pour des périodes déterminées afin d’accomplir le traitement de Déclarations de revenus des sociétés (T-2) au centre fiscal de Shawinigan-Sud.

2. Les heures de travail prévues à l’horaire des employés embauchés pour des périodes déterminées étaient de sept heures et demie (7 1/2) consécutives, sauf une pause repas non rémunérée, du lundi au vendredi. Plus précisément, les heures de travail prévues à l’horaire de la majorité de ces employés étaient de 7h00 à 15h00 ou de 7h15 à 15h15 (incluant la pause repas non rémunérée), du lundi au vendredi. Ces derniers ne travaillent pas des horaires de travail par postes.

3. Les fonctions des employés embauchés pour des périodes déterminées exigeaient l’utilisation continue du système informatique du traitement des déclarations de revenus.

Le 27 octobre 2003

4. Le 27 octobre 2003, les Fonctionnaires s’estimant lésés étaient tous des employés embauchés pour des périodes déterminées occupant divers postes au groupe et niveau CR-02, CR-04, PM-01 ou DA-CON-02 au centre fiscal de Shawinigan-Sud.

5. Une panne du système informatique du traitement des déclarations de revenus au centre fiscal de Shawinigan-Sud (la « Panne ») fut causée en raison d’une pièce défectueuse le 27 octobre 2003 vers 7h00.

6. Vers 9h30, l’Agence a attribué d’autres tâches ou fonctions, qui ne nécessitaient pas l’utilisation du système informatique du traitement des déclarations de revenus, à plusieurs employés (à périodes déterminées ou indéterminées) au centre fiscal de Shawinigan-Sud.

7. De plus, vers 9h30, certains employés embauchés pour des périodes déterminées, dont notamment les Fonctionnaires s’estimant lésés, furent avisés verbalement qu’ils seraient placés en période d’inactivité pour le reste de la journée du 27 octobre 2003. L’Agence a rémunéré ces employés embauchés pour des périodes déterminées pour les heures de travail où ils étaient présents au centre fiscal de Shawinigan-Sud. De plus, l’Agence a permis à ceux-ci d’utiliser des heures accumulées, des congés sans solde ou des congés annuels pour le reste de la journée du 27 octobre 2003.

8. La Panne a pris fin vers 16h30 le 27 octobre 2003.

9. Les employés embauchés pour des périodes déterminées, dont notamment les Fonctionnaires s’estimant lésés, ont travaillé les heures prévues à leur horaire normal de travail toute autre journée en Octobre 2003.

Les griefs

10. En novembre 2007, les Fonctionnaires s’estimant lésés ont déposé des griefs alléguant que l’Agence a agit à l’encontre de l’article 25.07 de la convention collective entre le Conseil du Trésor et l’Alliance de la Fonction publique du Canada concernant le groupe des services des programmes et de l’administration signée le 22 mars 2002 (date d’expiration : 31 octobre 2003).

11. Le ou vers le 21 septembre 2005, ces griefs furent tous rejetés au palier final de la procédure des règlements des griefs.

[…]

[Sic pour l’ensemble de la citation]

Résumé de l’argumentation

5 Le représentant des fonctionnaires s’estimant lésés a soumis que la clause 25.07 de la convention collective est claire et non ambigüe. Il a également soumis que la décision de l’employeur de placer les fonctionnaires s’estiment lésés en période d’inactivité pour une partie de la journée du 27 octobre 2003 était un changement à l’horaire et que puisque les fonctionnaires s’estiment lésés n’avaient pas reçu un préavis écrit de sept jours, ceci constituait une violation de la convention collective. Les fonctionnaires s’estiment lésés demandent donc une déclaration que la convention n’a pas été respectée. Ils demandent également d’être rémunérés pour les heures non-rémunérées du 27 octobre 2003, et que la décision de les placer en situation d’inactivité soit jugée invalide et que j’accueille les griefs.

6 Le représentant des fonctionnaires s’estiment lésés a fait référence au Canadian Labour Arbitration de MM. Brown et Beattyquant, entre autres, au sens et à l’interprétation qu’on doit donner aux mots dans une convention collective ainsi qu’aux décisions suivantes : United Automobile Workers, Local 1213, RE Cockshutt Aircraft LTD (1955), 5 L.A.C. 2087 et Brisson et Dubeau c. Agence canadienne d’inspections des aliments, 2005 CRTFP 38.

7 L’avocat de l’employeur a aussi indiqué que le libellé de la clause 25.07 de la convention collective était clair et non ambigu mais a soumis que la clause 25.07 de la convention collective ne s’appliquait pas dans le cas présent. Il a argumenté que la clause 25.07 s’appliquait seulement lorsqu’un changement permanent à l’horaire de travail décrit à la clause 25.06 de la convention collective survenait. L’employeur possède l’autorité de gérer ses ressources et a donc le droit de placer ses employés en situation d’inactivité tel que conclu dans l’affaire Brescia c. Canada (Conseil du Trésor), 2005 CAF 236.L’avocat de l’employeur a aussi fait référence à d’autres décisions pour ce qui est du sens à donner au libellé d’une convention collective.

Motifs

8 Les faits sont clairs tels qu’indiqués dans l’énoncé conjoint des faits. La question est de déterminer si le placement des fonctionnaires s’estimant lésés en situation d’inactivité pour quelques heures le 27 octobre 2003 constitue un changement à l’horaire prévu à la clause 25.07 de la convention collective.

9 On doit premièrement établir si l’employeur pouvait placer les fonctionnaires s’estimant lésés en situation d’inactivité. Pour ce faire, on doit identifier le cadre législatif. La Loi sur l’Agence du revenu du Canada confère des pouvoirs très clairs de gestion des ressources humaines aux articles 30 et 50 :

COMPÉTENCE GÉNÉRALE DE L’AGENCE

Compétence générale de l’Agence

30. (1) L’Agence a compétence dans les domaines suivants :

a) ses grandes orientations administratives;

b) son organisation;

c) les immeubles de l’Agence et les biens réels de l’Agence, au sens de l’article 73;

d) la gestion de ses ressources humaines, notamment la détermination de ses conditions d’emploi;

e) sa vérification interne.

Règlements et exigences non applicables

(2) Par dérogation à la Loi sur la gestion des finances publiques, l’Agence n’est pas assujettie aux règlements ou exigences du Conseil du Trésor ayant trait aux questions visées au paragraphe (1), sauf dans la mesure où ils ont trait à la gestion financière.

1999, ch. 17, art. 30; 2001, ch. 4, art. 129; 2003, ch. 22, art. 96; 2006, ch. 9, art. 237 .

RESSOURCES HUMAINES

Organisme distinct

50. L’Agence est un organisme distinct au sens de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique.

1999, ch. 17, art. 50; 2003, ch. 22, art. 97.

10 Par ailleurs, la convention collective vient encadrer ou atténuer ces pouvoirs de gérance. La clause 6.01 le confirme :

ARTICLE 6

RESPONSABILITÉS DE LA DIRECTION

6.01   Sauf dans les limites indiquées, la présente convention ne restreint aucunement l’autorité des personnes chargées d’exercer des fonctions de direction dans la fonction publique.

11 Il est aussi important de noter la clause 25.02 de la convention collective :

25.02 Aucune disposition du présent article ne doit être interprétée comme garantissant une durée de travail minimale au maximale. Cela ne permet aucunement a l’Employeur de réduire en permanence les heures de travail d’un employé-e à temps plein.

12 J’en conclus que l’employeur avait l’autorité de placer les fonctionnaires s’estimant lésés en situation d’inactivité et la Cour d'appel fédérale en arrive à la même conclusion dans Brescia :

[…]

[50] Je conclus que les pouvoirs étendus conférés au Conseil du Trésor et à ses délégués en vertu des alinéas 7(1)e) et 11(2)a) et d) de la LGFP et des paragraphes 6.01 et 25.01 des conventions collectives applicables permettent à la Commission de mettre les appelants en situation d'inactivité sans paye. En particulier, le Conseil du Trésor en vertu de l'alinéa 7(1)e) a le pouvoir d'agir à l'égard de la « gestion du personnel de l'administration publique fédérale, notamment la détermination de ses conditions d'emploi »; en vertu de l'alinéa 11(2)a), il peut assurer leur bonne utilisation; en vertu de l'alinéa 11(2)d), il peut déterminer et réglementer les traitements, les horaires et les congés, ainsi que les questions connexes. Ces derniers mots pourraient comprendre la procédure suivie pour le renvoi et le rappel des employés. De plus, en vertu de la convention collective, les responsabilités de gestion demeurent entières, sauf toute disposition contraire. Aucune garantie n'est donnée au fonctionnaire quant au nombre minimal ou maximal de ses heures de travail.

[…]

13 Malgré que l’employeur ne soit pas le même qu’en l’espèce, le cadre législatif et les conventions sont similaires.

14 La question est de savoir si la situation d’inactivité constituait un changement à l’horaire, auquel cas l’employeur devait informer les fonctionnaires s’estimant lésés par écrit et leur donner, si possible, un préavis de sept jours.

15 L’article 25 de la convention collective touche la durée du travail. Cet article est subdivisé en parties concernant des généralités, le travail de jour, le travail par poste et les conditions régissant l’administration des horaires de travail variables. 

16 La clause 25.06 de la convention collective indique que la semaine normale de travail est de trente-sept heures et demie du lundi au vendredi et que les heures normales sont de sept heures et demie consécutives et se situent entre 7 h et 18 h pour les fonctionnaires s’estimant lésés.

17  L’employeur a l’autorité de déterminer l’horaire de travail en accord avec les paramètres indiqués à la clause 25.06 de la convention collective.

18 Cette répartition des heures de travail à l’intérieur d’une période fixe demeure en place jusqu’à ce qu’il y ait un changement.

19 Qu’est-ce qui constitue un changement?

20 Si l’employeur désire maintenant, pour les nécessités de service, que le travail s’effective de 8 h à 16 h plutôt que de 7 h à 15 h pour une période fixe, je crois que le préavis de sept jours s’applique pour ainsi permettre aux employés touchés d’ajuster leur vie personnelle en conséquence.

21 Si l’employeur n’a pas l’intention de modifier l’horaire mais qu’un contretemps imprévisible de quelques heures l’oblige à modifier l’horaire de façon temporaire, je crois qu’il est impossible de donner le préavis et donc la clause 25.07 ne s’applique pas. 

22 La décision de la Cour fédérale Hodgson c. Canada (Procureur général), 2006 C.F. 428,traite de la question au paragraphe 24 :

Au sujet de l’article 25.02, la Commission a conclu de la façon suivante :

Cette disposition ne fait pas mention des heures de travail, mais de « l’horaire des heures de travail ». L’horaire est le moyen par lequel les heures et les journées de travail sont organisées. Comme il est indiqué dans l’affaire Tornblom, supra, il s’agit d’un document écrit. The Concise Oxford Dictionary (10 th ed.) définit « schedule [horaire] » comme un calendrier [« timetable »]. Le Webster’s Third New International Dictionary attribue à ce terme le sens de [TRADUCTION] « plan habituellement écrit […] en vue d’une procédure future indiquant généralement les objectifs visés, l’heure et l’enchaînement de chacune des activités […] ». En français, la convention collective fait mention de « l’horaire des heures de travail ». Le Dictionnaire canadien des relations du travail définit « horaire de travail » comme la « répartition des heures de travail à l’intérieur d’une période donnée : journée, semaine ou mois ». Un horaire peut donc être considéré comme la répartition des heures de travail à l’intérieur d’une période fixe. L’utilisation des mots « la durée de l’horaire » (alinéa 25.12b)) ailleurs dans la convention collective vient corroborer cette interprétation. Je conclus dès lors que cette disposition s’applique uniquement à des changements proposés dans la répartition des heures et des jours de travail à l’intérieur d’une période fixe. Autrement dit, des discussions sont requises lorsque l’employeur se propose de modifier un horaire de postes ou les jours de repos, mais pas lorsque des employés de jour deviennent des employés « travaillant par roulement ou de façon irrégulière ».

23 Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

Ordonnance

24 Les griefs sont rejetés.

Le 20 janvier, 2009.

Michel Paquette,
arbitre de grief

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