Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

L’employée a contesté son licenciement du Sénat - le Sénat a fait valoir que la fonctionnaire s’estimant lésée était exclue de la définition d’<<employé>> contenue dans la Loi sur les relations de travail au Parlement - l’arbitre de grief a conclu que, au vu de cette exclusion, il n’avait pas compétence pour trancher le grief. Grief rejeté.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
au Parlement

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2009-04-14
  • Dossier:  466-SC-363
  • Référence:  2009 CRTFP 46

Devant un arbitre de grief


ENTRE

DONNA ROUTLIFFE

employée s’estimant lésée

et

SÉNAT DU CANADA

employeur

Répertorié
Routliffe c. Sénat du Canada

Affaire concernant un grief renvoyé à l’arbitrage

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Michel Paquette, arbitre de grief

Pour l'employé s'estimant lésée:
Steve Waller, avocat

Pour l'employeur:
Brenda Hollingsworth, avocate

Affaire entendue à Ottawa (Ontario),
les 15 et 27 octobre 2008 et les 26 et 27 janvier 2009.
(Traduction de la CRTFP)

Grief renvoyé à l’arbitrage

1 Le 13 juillet 2007, Donna Routliffe, l’employée s’estimant lésée, a déposé un grief pour contester son prétendu licenciement par le Sénat du Canada (l’« employeur »). Le 31 juillet 2007, l’employeur a répondu à l’avocat de Mme Routliffe que cette dernière avait pris sa retraite et que, en raison de son statut d’employée d’un parlementaire, son grief n’était pas recevable en vertu de l’alinéa 4(2)e) de la Loi sur les relations de travail au Parlement (LRTP). Mme Routliffe a renvoyé son grief à l’arbitrage le 30 août 2007.

2 Les parties ont tenté de régler leur différend en faisant appel aux services d’un médiateur privé, mais sans succès. Le 12 novembre 2007, l’avocate de l’employeur a soulevé une objection contestant la compétence de l’arbitre de grief nommé par la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la « Commission »). Au terme de discussions avec la Commission, les parties ont convenu que l’arbitre de grief devait d’abord trancher la question préliminaire de sa compétence avant de se prononcer sur le bien-fondé du grief.

3 À l’audience qui s’est ouverte le 15 octobre 2008, l’employeur a commencé à présenter sa preuve. Durant le contre-interrogatoire de son premier témoin, l’employeur s’est opposé aux questions posées par l’avocat de Mme Routliffe en invoquant l’immunité parlementaire. J’ai ajourné l’audience jusqu’au 27 octobre 2008 pour que les parties puissent me présenter leurs arguments de vive voix à propos de l’objection.

4 J’ai ajourné l’audience de nouveau afin de statuer sur l’objection à propos de l’immunité parlementaire, que j’ai admise, le 22 janvier 2009. L’audience a repris le 26 janvier 2009 pour se conclure le lendemain. Avec l’accord des parties, la présente décision porte exclusivement sur l’objection compétence.

Résumé de la preuve

5 Seule Suzanne Poulin, directrice par intérim, Ressources humaines, Sénat du Canada, a témoigné et soumis une preuve documentaire pour le compte de l’employeur. Mme Routliffe m’avait demandé d’assigner Paul C. Bélisle, greffier du Sénat, et Colin Kenny, sénateur, mais elle a finalement décidé de ne pas les appeler.

6 La preuve a démontré que Mme Routliffe avait initialement été embauchée en février 1974, comme secrétaire du sénateur Louis J. Robichaud, un poste à temps plein de durée indéterminée.

7 En 1984, Mme Routliffe a commencé à travailler comme secrétaire du sénateur Kenny, toujours dans un poste à temps plein de durée indéterminée. Elle est ensuite devenue adjointe administrative du sénateur Kenny en 1997 et conseillère de direction en 2000.

8 À la suite d’un exercice budgétaire général au Sénat en 1997, certaines conditions de travail ont changé. Les nominations à des postes dans les bureaux des sénateurs devaient être faites pour une durée déterminée; des modifications ont également été apportées au forfait de départ prévu pour les secrétaires. Étant donné que Mme Routliffe avait été embauchée 1985 à titre d’employée nommée pour une période indéterminée, son statut est demeuré inchangé, au même titre que le forfait de départ auquel elle avait droit.

9 L’emploi de Mme Routliffe a pris fin en mars 2007. Le grief porte sur la manière dont cette cessation d’emploi est survenue; je dois toutefois m’abstenir de statuer sur cette question dans la présente décision.

10 En septembre 2006, Mme Routliffe avait l’âge et le nombre d’années de service nécessaires pour avoir droit à une pleine pension. Bien que désireuse de recevoir sa pension, elle caressait l’idée de continuer à travailler au Sénat. Il faut dire qu’il y avait une différence dans le montant de l’indemnité de départ à laquelle elle était admissible, selon qu’elle prenait sa retraite ou qu’elle était licenciée, cette dernière éventualité étant la plus avantageuse. Son réembauchage posait un problème de perception publique et de saine utilisation des deniers publics. Le sénateur Kenny a mis fin à son emploi le 30 mars 2007, mais le Sénat a refusé d’accepter ce licenciement, qu’il a considéré comme un départ à la retraite.

11 Mme Poulin a expliqué que les employés du Sénat se divisaient en deux catégories. Il y a ceux qui travaillent directement pour des sénateurs, en les aidant dans l’exercice de leurs fonctions parlementaires et de leurs activités partisanes, et ceux qui travaillent à l’Administration du Sénat. Tous sont des employés du Sénat, mais certains règlements administratifs s’appliquent différemment.

12 Les sénateurs ont le pouvoir d’embaucher, de licencier les employés qui travaillent dans leurs bureaux et de leur donner de l’avancement, à la condition de respecter les principes directeurs contenus dans le Règlement administratif du Sénat. En cas d’inobservation de ces principes, le Comité permanent de la régie interne, des budgets et de l’administration du Sénat peut annuler la décision du sénateur.

Résumé de l’argumentation

13 L’avocate de l’employeur a déclaré que la question que je devais trancher était très claire. Est­-ce que Mme Routliffe a le droit de déposer un grief sous le régime de la LRTP?

14 La réponse est non. Mme Routliffe est membre du personnel  d’un parlementaire (un sénateur) et, à ce titre, elle échappe à l’application de l’alinéa 4(2)e) de la LRTP, de sorte qu’elle n’a pas le droit de déposer un grief.

15 La preuve institutionnelle et celle présentée par les parties sont très explicites. Il existe deux régimes de relations du travail pour les employés du Sénat. Les membres du personnel des sénateurs sont traités de façon différente — ils sont embauchés, promus et licenciés à la discrétion du sénateur, qui doit respecter certains principes contenus dans le Règlement administratif du Sénat, faute de quoi ses décisions seront examinées par le Comité de la régie interne (CRI). Ces employés échappent également à l’application de la partie 1 de la LRTP.

16 La preuve documentaire a révélé que Mme Routliffe avait été embauchée comme secrétaire, par un sénateur, en 1974, et qu’elle avait travaillé dans le bureau d’un sénateur jusqu’à son départ en 2007.

17 Il n’y a aucune jurisprudence à laquelle on peut se reporter, car c’est la première fois que la Commission est saisie de cette question. L’avocate de l’employeur m’a exhorté à conclure que la Commission n’avait pas la compétence pour statuer sur cette cause.

18 L’avocat de Mme Routliffe a soutenu que la question que je devais trancher dans ce cas-ci était celle de savoir qui étaient les employés que le législateur avait voulu retrancher de l’application de la partie 1 de la LRTP.

19 Si une personne relève de l’autorité d’un sénateur, en ce que celui-ci a le pouvoir de l’embaucher ou de la licencier, c’est donc à dire qu’elle fait partie du personnel d’un parlementaire, et dans ces cas­-là, la partie 1 de la LRTP ne s’applique pas. Par contre, si le sénateur ne détient pas tous les pouvoirs en matière d’emploi, la personne concernée ne fait pas partie du personnel d’un parlementaire et elle peut déposer un grief en vertu de la partie 1.

20 L’avocat de Mme Routliffe m’a renvoyé au contexte dans lequel a été créée la LRTP en 1983 et à certains débats qui se sont tenus à ce moment-là. La raison qu’on a invoquée pour exclure les membres du personnel des parlementaires était que ces derniers avaient le statut d’employeur puisqu’ils avaient le pouvoir d’embaucher, de licencier, de diriger leurs employés et de leur imposer des sanctions disciplinaires. C’est le principe qui est à la base de la loi qui est entrée en vigueur en 1987.

21 Le Manuel de gestion du personnel du Sénat de 1986 fait aussi référence au « personnel des sénateurs ». Ce groupe d’employés n’est pas assujetti à la politique sur l’examen de la dotation et du rendement et à la politique sur l’évaluation du rendement, pour ne nommer que celles-là. La dotation, et surtout l’embauche, est la responsabilité du sénateur, qui nomme les employés à titre amovible. La correspondance reçue du Service des ressources humaines indique toujours que la personne est nommée par le sénateur et occupe ses fonctions à titre amovible. C’est d’ailleurs ce qui est écrit dans la lettre de licenciement que l’employée a reçue du sénateur.

22 Mme Routliffe prétend toutefois que le sénateur ne pouvait pas la licencier parce que le licenciement faisait l’objet d’un examen par le CRI. Ainsi donc, elle ne fait pas partie du personnel du sénateur et, partant, elle peut déposer un grief.

Motifs

23 Je conviens avec l’avocate de l’employeur que la question que je dois trancher dans ce cas-ci est celle de savoir si Mme Routliffe fait partie du personnel d’un parlementaire, qui englobe la Chambre des communes et le Sénat. Si la réponse est oui, cela signifie qu’elle n’a pas qualité pour déposer un grief et que je n’ai pas la compétence pour entendre son grief. Je ne crois pas qu’il me soit nécessaire de tenir compte des éléments de preuve extrinsèques produits par l’avocat de Mme Routliffe à propos de la LRTP.

24 Le terme « employé » est défini comme suit à l’article 3 de la LRTP :

« employé » Personne attachée à l’employeur, même si elle a perdu cette qualité par suite d’un congédiement contraire à la présente partie ou à une autre loi fédérale, mais à l’exclusion des personnes :

[…]

e) échappant, aux termes de l’article 4, à l’application de la présente partie.

25 Le paragraphe 4(2) de la partie 1 de la LRTP dit ceci :

4. (2) La présente partie ne s’applique pas au personnel des personnes ou organismes suivants :

a) le membre du Conseil privé de la Reine pour le Canada qui exerce les fonctions de ministre;

b) le sénateur qui exerce les fonctions reconnues de :

(i) leader du gouvernement,

(ii) leader de l’Opposition,

(iii) whip du gouvernement,

(iv) whip de l’Opposition;

c) le député qui exerce les fonctions reconnues de :

(i) chef de l’Opposition,

(ii) whip du gouvernement,

(iii) whip de l’Opposition;

d) le député qui exerce les fonctions reconnues de leader ou de whip d’un parti comptant officiellement au moins douze députés;

e) les parlementaires;

f) les membres du groupe parlementaire, si ce personnel est composé de documentalistes ou chargé de fonctions similaires;

g) les comités du Parlement, si ce personnel est temporaire.

26 Et le terme « employeur » est défini comme suit à l’article 3 de la LRTP :

« employeur »

a) Le Sénat, représenté par la personne ou le comité qu’il désigne pour l’application de la présente partie par une règle ou un ordre;

[…]

27 La partie X du Règlement du Sénat du Canada définit le rôle du Comité permanent de la régie interne, des budgets et de l’administration de la façon suivante :

[…]

86. (1) Les comités permanents sont les suivants :

[…]

g) Le Comité de la régie interne, des budgets et de l'administration, composé de quinze membres dont quatre constituent le quorum, est autorisé :

(i)     à étudier de sa propre initiative les questions financières et administratives qui touchent l’administration interne du Sénat,

(ii)    sous réserve du Règlement administratif du Sénat, à prendre des mesures en matière financière et administrative qui touchent l’administration interne du Sénat,

(iii)   sous réserve du Règlement administratif du Sénat, à donner des interprétations et à statuer sur la régularité de l’utilisation des ressources du Sénat.

[…]

28 Le Règlement administratif du Sénat instaure un régime particulier pour les sénateurs. L’article 3 du chapitre 1:02 est libellé en partie comme suit :

[…]

  d) le sénateur jouit d’un pouvoir discrétionnaire absolu pour diriger et contrôler le travail exécuté pour lui par son personnel dans le cadre de ses fonctions parlementaires et il n’est soumis, dans l’exercice de ce pouvoir, qu’à la loi et à l’autorité et aux règles du Sénat et du Comité de la régie interne;

  e) le Comité de la régie interne décide de l’attribution et de l’utilisation des ressources au Sénat, sous réserve de la loi et de l’autorité et des règles du Sénat. [2004-05-06]

L’article 3 du chapitre 4:04 dit notamment ceci :

  3. (1)          Le sénateur a le droit de faire embaucher du personnel — dont la rémunération est payée sur son budget de bureau — pour l’aider dans l’exercice de ses fonctions parlementaires. [2004-05-06]

  (2) Les membres du personnel du sénateur peuvent être des employés du Sénat, des entrepreneurs indépendants ou des bénévoles. [2004-05-06]

  (3) Les parties à tout contrat d’embauche d’un membre du personnel du sénateur rémunéré par le Sénat sont le Comité de la régie interne, au nom du Sénat du Canada, et la personne visée. [2004-05-06]

  (4) Les membres du personnel du sénateur sont embauchés, maintenus dans leurs fonctions et licenciés par l’Administration du Sénat à la demande du sénateur et à son entière discrétion; ils occupent leurs fonctions à titre amovible. [2004-05-06]

  (5) Le personnel du sénateur relève exclusivement de son autorité. [2004-05-06]

[…]

29 La preuve établit que le sénateur Kenny a embauché Mme Routliffe comme secrétaire en 1984 et qu’elle est demeurée inscrite à son effectif jusqu’en 2007, conformément au Règlement administratif du Sénat.

30 Avec l’entrée en vigueur de la partie I de la Loi sur les relations de travail au Parlement, le 24 décembre 1986, Mme Routliffe est devenue membre du personnel du sénateur Kenny. Elle a été embauchée et licenciée par l’Administration du Sénat à la demande du sénateur et à son entière discrétion et elle a occupé ses fonctions à titre amovible.

31 Comme il est indiqué au paragraphe 3d) du chapitre 1:03 du Règlement administratif du Sénat, ce pouvoir discrétionnaire est soumis à la direction et au contrôle du Sénat et du Comité de la régie interne, qui peut annuler les décisions du sénateur, conformément au chapitre 2:05.

32 Cette surveillance toutefois n’a aucune conséquence sur le statut de Mme Routliffe. En tant que membre du personnel du sénateur Kenny, elle échappe à l’application de la définition du terme « employé » contenue à l’alinéa 4(2)e) de la LRTP, ce qui m’amène à conclure que je n’ai pas la compétence pour entendre son grief.

33 Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

Ordonnance

34 Le grief est rejeté, faute de compétence.

Le 14 avril 2009.

Traduction de la CRTFP

Michel Paquette,
arbitre de grief

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