Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le fonctionnaire s’estimant lésé avait présenté un grief de harcèlement à son employeur dans lequel il demandait que son poste soit reclassifié - or le grief renvoyé à l’arbitrage se rapportait à un licenciement - avant que le grief soit renvoyé à l’arbitrage, le fonctionnaire s’estimant lésé avait quitté son poste dans la fonction publique - l’employeur s’est opposé au renvoi du grief à l’arbitrage en invoquant la décision Burchill - l’arbitre de grief a accueilli l’objection. Décision appliquée: Burchill c. Procureur général du Canada, [1981] 1 C.F.109 (C.A.) Objection accueillie. Grief rejeté.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2009-04-23
  • Dossier:  566-02-2303
  • Référence:  2009 CRTFP 53

Devant un arbitre de grief


ENTRE

JAMES JOHNSTON

fonctionnaire s'estimant lésé

et

CONSEIL DU TRÉSOR
(Agence des services frontaliers du Canada)

employeur

Répertorié
Johnston c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada)

Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l’arbitrage

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Michel Paquette, arbitre de grief

Pour le fonctionnaire s'estimant lésé:
Gino Morga, avocat

Pour l'employeur:
Karl G. Chemsi, avocat

Affaire entendue à Windsor (Ontario),
le 12 mars 2009.
(Traduction de la CRTFP)

I. Grief individuel renvoyé à l’arbitrage

1 James Johnston, le fonctionnaire s’estimant lésé (le « fonctionnaire »), travaillait pour l’Agence des services frontaliers du Canada) (l’« employeur » ou l’ASFC) à Windsor, en Ontario. Le poste qu’il occupait était exclu de la négociation collective.

2 Le fonctionnaire a déposé un grief le 4 avril 2007. Le grief se lit ainsi :

[Traduction]

[…]

La dernière rencontre que j’ai eue avec le directeur général est ce que je considère être le dernier acte de harcèlement que j’accepterai de sa part. En cherchant à obtenir une réponse que je ne suis pas sûr qu’il voulait entendre, il m’a demandé quatre fois avec véhémence si j'étais engagé vis-à-vis de l’ASFC. Chaque fois, j’ai répondu par un simple « oui ». Je voulais qualifier mon affirmation en ajoutant que j’étais engagé envers une organisation qui respecte dans les faits son engagement vis-à-vis de valeurs et de principes d’éthique, mais j’ai décidé de garder le silence plutôt que d’adopter une attitude de provocation. Je pense que les réussites accumulées par ce bureau témoignent de mon engagement, et ce comportement n’était aucunement nécessaire […]

[…]

Par conséquent, je présente un grief dans lequel j’affirme que j’ai été harcelé une fois de plus par mon directeur régional qui m’a également dit ceci durant des conversations à sens unique : « vous n’êtes pas avocat, vous n’exercez pas bien vos fonctions, obtenez de l’aide ». Je lui ai continuellement fait des mises en garde de ne pas me parler de cette façon. Je m’oppose également à ce qu’il crie contre moi lorsqu’il m’appelle dans son bureau et qu’il laisse la porte ouverte de sorte que tous les employés à proximité puissent entendre ces tirades.

Par ailleurs, lorsque les nouvelles organisations ont été créées en 2005, tous les directeurs du Renseignement au Canada ont occupé le poste combiné de directeur par intérim. Maintenant que le bureau de Windsor/St Clair a décidé de combiner le poste, un autre directeur assure l’intérim. On estime qu’aucun concours ne se tiendra avant ma retraite, puisque le concours antérieur au niveau de la direction ne répondait pas aux normes de l’Agence du point de vue des valeurs et de l’éthique, mais était plutôt empreint de favoritisme. On estime que si l'on essayait d’organiser un concours similaire, celui-ci serait assujetti à un examen trop rigoureux. [Il y a eu manipulation des résultats.] De toute façon, cette manière de procéder permet également au directeur régional d’obtenir ce qu’il souhaite en m'ôtant toute chance d’obtenir le poste de directeur. J’affirme être victime d'un abus de pouvoir et de discrimination ayant pour effet de m'interdire toute possibilité d’accès à ce poste. Il convient de noter qu’au fil des ans, j’ai géré des activités de renseignement et des enquêtes pendant des périodes prolongées, tant pour le bureau de Windsor que pour celui de Niagara. À la suite de ces interventions,  d’importantes affaires ont été menées à bien aux deux endroits.

3 La mesure corrective demandée est la suivante :

[Traduction]

Je veux que mon poste soit classifié au niveau EX, comme il devrait l’être. Que les pratiques discriminatoires dont je fais l’objet arrêtent. Je veux être rémunéré adéquatement au niveau EX depuis la date de conversion des postes. Je veux que l’on reconnaisse que la discrimination a eu un effet négatif sur ma santé. Je veux que l’abus de pouvoir prenne fin.

[…]

Ce harcèlement et ce traitement humiliant que m'a fait subir le directeur régional ont nui à ma santé. Par conséquent, je veux que le harcèlement prenne entièrement fin. Je veux être compensé pour le fait que je n’ai pas bénéficié d’une affectation intérimaire au niveau EX, contrairement à tous mes homologues. Je veux que l’Agence reconnaisse que j’ai été victime de harcèlement, qu’on s’est servi de moi et que ce traitement m’a graduellement épuisé. En d’autres mots, je veux être dédommagé pour le manque de respect des valeurs et des principes d’éthique qui, d’après l’Agence, existeraient.

4 Le fonctionnaire a renvoyé l’affaire à l’arbitrage devant la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la « Commission ») le 29 août 2008, après avoir reçu une réponse défavorable au dernier palier de la procédure de règlement des griefs le 8 août 2008. Le fonctionnaire a utilisé la formule de grief prescrite par la Commission dans les cas de licenciement, de rétrogradation, de suspension, de sanctions pécuniaires ou d’affectation (formule 21).

5 Sur la formule, le fonctionnaire a indiqué que l’alinéa 209(1)d) et le paragraphe 209(3) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (LRTFP) s’appliquaient. Ces dispositions se lisent ainsi :

      209.(1) Après l’avoir porté jusqu’au dernier palier de la procédure applicable sans avoir obtenu satisfaction, le fonctionnaire peut renvoyer à l’arbitrage tout grief individuel portant sur :

[…]

d) soit la rétrogradation ou le licenciement imposé pour toute raison autre qu’un manquement à la discipline ou une inconduite, s’il est un fonctionnaire d’un organisme distinct désigné au titre du paragraphe (3).

[…]

             (3) Le gouverneur en conseil peut par décret désigner, pour l’application de l’alinéa (1)d), tout organisme distinct.

6 La directrice, Opérations du greffe et politiques, à la Commission, a écrit au fonctionnaire pour l’informer qu'un seul organisme distinct avait été désigné en vertu du paragraphe 209(3) de la LRTFP et qu’il s’agissait de l’Agence canadienne d’inspection des aliments. Par conséquent, son grief ne peut être renvoyé à l’arbitrage en vertu de cette disposition.

7 Dans un courriel daté du 8 septembre 2008, qui faisait partie des documents introductifs envoyés à l’employeur, le fonctionnaire précisait que son grief était relié au sous-alinéa 209(1)c)(i) de la LRTFP, qui se lit comme suit :

c) soit, s’il est un fonctionnaire de l’administration publique centrale,

 (i)  la rétrogradation ou le licenciement imposé sous le régime soit de l’alinéa 12(1)d) de la Loi sur la gestion des finances publiques pour rendement insuffisant, soit de l’alinéa 12(1)e) de cette loi pour toute raison autre que l’insuffisance du rendement, un manquement à la discipline ou une inconduite […]

[…]

8 Les alinéas 12(1)d) et e) de la Loi sur la gestion des finances publiques (LGFP) sont formulés comme suit :

          12.(1) Sous réserve des alinéas 11.1(1)f) et g), chaque administrateur général peut, à l’égard du secteur de l’administration publique centrale dont il est responsable

[…]

d) prévoir le licenciement ou la rétrogradation à un poste situé dans une échelle de traitement comportant un plafond inférieur de toute personne employée dans la fonction publique dans les cas où il est d’avis que son rendement est insuffisant;

e) prévoir, pour des raisons autres qu’un manquement à la discipline ou une inconduite, le licenciement ou la rétrogradation à un poste situé dans une échelle de traitement comportant un plafond inférieur d’une personne employée dans la fonction publique;

9 L’employeur a réagi au renvoi à l’arbitrage en partant du principe qu’un arbitre de grief n’a pas compétence pour entendre le grief sous le régime de la LRTFP, comme suit :

[Traduction]

Le grief ne peut être renvoyé à l’arbitrage aux termes de l’alinéa 209(1)b) ou c), puisque aucune mesure disciplinaire n’a été prise et puisqu’il n’y a pas eu de rétrogradation ou de licenciement pour cause de rendement insuffisant. M. Johnston a pris sa retraite de l’ASFC le 15 août 2008. Son grief est daté du 5 avril 2007.

10 Le président de la Commission m’a chargé d’entendre la question en ma qualité d’arbitre de grief. Une audience a été fixée aux 12 et 13 mars 2009 pour permettre aux parties de présenter leurs observations de vive voix au sujet de la compétence de la Commission d’entendre cette affaire.

II. Résumé de la preuve

11 Dans son exposé introductif, le représentant du fonctionnaire m’a demandé d’entendre toute la preuve avant de rendre une décision au sujet de la compétence de la Commission. Il a proposé de présenter des arguments selon lesquels le fonctionnaire avait fait l'objet d'un congédiement déguisé. L’avocat de l’employeur a formulé une objection. J’ai informé les parties que j’entendrais leurs arguments en ce qui concernait cette objection et que je statuerais sur celle-ci avant de poursuivre.

A. Observations de l’employeur au sujet de l’argument concernant le congédiement déguisé

12 Le congédiement déguisé est un concept du secteur privé. Dans la fonction publique fédérale, la LRTFP, en vertu de l’article 208, accorde à l’employé le droit de présenter un grief au sujet de n’importe quelle question, tout en limitant, aux termes de l’article 209, les questions pouvant être renvoyées à l’arbitrage. Un examen du grief révèle qu’il s’agit essentiellement d’une question de harcèlement et d’une question de classification, deux sujets sur lesquels la Commission ne peut se pencher. Par ailleurs, le fonctionnaire a pris sa retraite le 15 août 2008, plus d’un an après qu’il avait déposé son grief, le 4 avril 2007.

B. Observations du fonctionnaire au sujet de l’argument concernant le congédiement déguisé

13 La Commission doit examiner l’entière situation, à commencer par le processus de promotion injuste en 2005. Cette situation a occasionné du harcèlement et de l’intimidation de la part du directeur, ce qui a forcé le fonctionnaire à prendre un congé de maladie et plus tard, à prendre sa retraite en août 2008. Ces faits résument l’esprit et l’intention du grief.

C. Décision au sujet de l’argument concernant le congédiement déguisé

14 Après avoir examiné les arguments avancés par les deux parties, je statue que l’objection soulevée par l’employeur est bien fondée. En vertu du pouvoir qui m’est accordé en tant qu’arbitre de grief en vertu de la LRTFP, je peux seulement entendre les arguments à propos du grief qui a été déposé en avril 2007 et qui a été renvoyé conformément à l’alinéa 209(1)c). Le grief ne peut reposer sur des événements qui sont survenus plus d’un an après cela.

III. Résumé de l'argumentation

A. Pour l’employeur

15 L’avocat de l’employeur a fait valoir que le grief déposé le 4 avril 2007 ne peut être renvoyé à l’arbitrage en vertu du sous-alinéa 209(1)c)(i) de la LRTFP du fait qu’il n’y a eu aucune rétrogradation ni aucun licenciement pour cause de rendement insuffisant. Le fonctionnaire a pris sa retraite de l’ASFC le 15 août 2008.

16 Le contenu du grief est clair. Le fonctionnaire estime que les commentaires faits par son directeur et la manière dont la restructuration et la dotation se sont déroulées en 2005, lui ôtant la possibilité de bénéficier d’une promotion au niveau Ex-01, étaient un abus de pouvoir qui constituait du harcèlement personnel.

17 Si le fonctionnaire se sentait harcelé, il aurait pu se prévaloir d’un recours en vertu de la Politique sur la prévention et le règlement du harcèlement en milieu de travail du Conseil du Trésor ou il aurait pu déposer un grief en vertu de l’article 208 de la LRTFP.

18 En ce qui concerne la classification, il y a la procédure de règlement des griefs de classification.

19 Le harcèlement, la dotation et la classification ne sont pas arbitrables sous le régime de la LRTFP, et le fonctionnaire ne peut pas maintenant tenter de changer son grief, en faisant valoir qu’il y a eu de la discipline déguisée.

20 L’avocat de l’employeur a cité Burchill c. Procureur général du Canada, [1981] 1 C.F. 109 (C.A.), Pepper c. Conseil du Trésor (ministère de la Défense nationale), 2008 CRTFP 8, Le Procureur général du Canada c. Lachapelle et la CRTFP, [1979] 1 C.F. 377, et Nagle c. Conseil du Trésor (Consommation et Affaires commerciales), dossier de la CRTFP 166-02-21445 (19911202).

B. Pour le fonctionnaire s’estimant lésé

21 L’avocat du fonctionnaire a affirmé que le nouveau raisonnement en droit n’est pas d’examiner une disposition particulière d’une loi mais d’examiner l’ensemble de celle-ci, de même que son objet et esprit. Burchill remonte à 1981.

22 Il a affirmé que, même si le grief a été rédigé dans un style douteux, je devrais garder à l’esprit que c’est le fonctionnaire qui l’a rédigé et qu’il n’est pas avocat.

23 Le grief porte sur le traitement inéquitable subi par le fonctionnaire dans le cadre d’une restructuration en 2005 et traite en fait de sa rétrogradation et du fait qu’on lui a refusé une rémunération d’intérim au niveau EX-01. Le fonctionnaire veut être dédommagé pour cette perte.

24 L’avocat du fonctionnaire a fait valoir que je dois examiner tout l’article 209 de la LRTFP et pas seulement le sous-alinéa 209(1)c)(i). Je constaterais alors que l’alinéa 209(1)b) s’applique en l’espèce. Ni la LRTFP ni la LGFP ne définissent la discipline, mais si j’examinais l’ensemble des circonstances, je conclurais que le fonctionnaire a été discipliné. La sanction pécuniaire était qu’on lui a refusé une rémunération d’intérim au niveau EX-01.

25 Le fonctionnaire ne demande pas à être classifié au niveau EX-01, mais à être indemnisé en vertu de l’article 226 de la LRTFP.

26 L’avocat du fonctionnaire a cité Canada (Conseil du Trésor) c. Rinaldi, [1997] A.C.F. no 225 (QL).

IV. Motifs

27 La question que je dois trancher est celle de savoir si le grief déposé par le fonctionnaire le 4 avril 2007 et renvoyé à la Commission en vertu du sous-alinéa 209(1)c)(i) de la LRTFP est arbitrable.

28 Toute personne raisonnable qui lit le grief constaterait que les questions soulevées dans celui-ci sont le harcèlement, la dotation et la classification. Le texte qui accompagne le renvoi à l’arbitrage soulève la possibilité que le fonctionnaire avait fait l’objet d’une rétrogradation ou d’un licenciement, de la manière énoncée au sous-alinéa 209(1)c)(i) de la LRTFP.

29 Le fonctionnaire prétend maintenant que je dois examiner tout l’article 209, et non pas uniquement le sous-alinéa 209(1)c)(i), mais également l’alinéa 209(1)b) et que je dois conclure qu’il a fait l’objet d’une rétrogradation et d’une sanction pécuniaire.

30 La décision rendue par la Cour d’appel fédérale en 1981 dans Burchill a posé le principe que l’employeur devrait avoir le droit d’être informé des détails de ce que le fonctionnaire qui se plaint lui reproche, afin de pouvoir se pencher correctement sur les problèmes soulevés.

31 Le paragraphe 209(1) de la LRTFP dispose qu’un fonctionnaire ne peut renvoyer à l’arbitrage un grief individuel qu’à condition de « l’avoir porté jusqu’au dernier palier de la procédure applicable ». Lorsqu'un fonctionnaire s’estimant lésé ne soulève pas une question avant la fin de cette procédure, l’interprétation retenue dans Burchill veut qu’il n’ait pas présenté un grief sur cette question fraîchement soulevée « jusqu’au dernier palier de la procédure applicable ». Le grief n’est alors pas arbitrable en vertu d’un alinéa quelconque du paragraphe 209(1).

32  Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

V. Ordonnance

33 L’objection de l’employeur à ma compétence est accueillie.

34 Le grief est rejeté.

Le 23 avril 2009.

Traduction de la CRTFP

Michel Paquette,
arbitre de grief

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