Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Les fonctionnaires s’estimant lésées étaient affectées de temps à autre à un lieu de travail temporaire - les parties ne s’entendaient pas sur l’interprétation de la Directive sur les voyages du CNM - l’agent négociateur prétendait que les fonctionnaires s’estimant lésées avaient droit à un remboursement pour la distance parcourue entre leurs résidences respectives et le lieu de travail temporaire - l’employeur avait versé un remboursement pour le trajet aller entre les lieux de travail permanent et temporaire - l’arbitre de grief a décidé que le sens ordinaire de la directive était clair - les fonctionnaires s’estimant lésées avaient droit à un remboursement pour le trajet aller-retour entre leurs lieux de travail permanent et temporaire. Griefs accueillis en partie.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de
travail dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2009-04-24
  • Dossier:  166-32-37555 et 37556
  • Référence:  2009 CRTFP 54

Devant un arbitre de grief


ENTRE

ANN ALLAIN ET AUDREY FRASER-LAYES

fonctionnaires s’estimant lésées

et

CONSEIL DU TRÉSOR
(Agence canadienne d’inspection des aliments)

employeur

Répertorié
Allain et Fraser-Layes c. Conseil du Trésor (Agence canadienne d’inspection des aliments)

Affaire concernant des griefs renvoyés à l’arbitrage en vertu de l’article 92 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-35

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Bruce P. Archibald, c. r., arbitre de grief

Pour les fonctionnaires s'estimant lésées:
Barry Hébert, Institut professionnel de la fonction publique du Canada

Pour l'employeur:
Debra Prupas, avocate

Affaire entendue à Halifax (Nouvelle-Écosse),
les 4 et 5 février 2009.
(Traduction de la CRTFP)

Griefs renvoyés à l’arbitrage

1 Il s’agit d’un litige relatif au remboursement de frais de déplacement qui est centré sur l’interprétation d’une directive sur les voyages du gouvernement fédéral. Cette directive sur les voyages, (la « Directive »), entrée en vigueur le 1er octobre 2002, a été conjointement élaborée par le Conseil du Trésor, en tant qu’employeur officiel de fonctionnaires fédéraux, et les représentants des agents négociateurs de ces employeurs, par l’entremise d’une organisation syndicale-patronale appelée Conseil national mixte de la fonction publique du Canada (CNM). Le différend est survenu lorsque les fonctionnaires s’estimant lésées (les « fonctionnaires »), les docteures Ann Allain et Audrey Fraser-Layes, qui travaillaient pour l’Agence canadienne d’inspection des aliments (ACIA ou l’« employeur »), principalement à son établissement 7KK situé dans la vallée de l’Annapolis, en Nouvelle-Écosse, ont vu rejetée une demande de remboursement de frais de déplacement qu’elles avaient faite en rapport avec une affectation à un lieu de travail temporaire de leur zone locale. Les fonctionnaires faisaient partie d’une unité de négociation représentée par l’Institut professionnel de la fonction publique du Canada (IPFPC). La convention collective entre l’IPFPC et l’ACIA concernant l’unité de négociation du groupe Médecine vétérinaire (VM), signée le 27 mai 2002, régit ces événements (la « convention collective »). L’article G3 de la convention collective prévoit que les ententes conclues par le CNM, telle la Directive, peuvent être incluses par renvoi dans la convention collective, ce qui était le cas en l’espèce. Les griefs des fonctionnaires ont été étoffés puis présentés par l’agent négociateur le 1er novembre 2004; les deux griefs portaient sur des frais engagés en 2003 et 2004. Comme les deux parties souhaitaient voir porter à l’arbitrage leurs divergences de vue fondamentales quant à l’interprétation de la Directive, elles ont renoncé à présenter toute objection éventuelle relativement à un retard dans le dépôt des griefs ou à leur traitement au travers des paliers successifs de la procédure de règlement des griefs, en vertu de la convention collective et des procédures prévues à la Directive.

2 Le 1er avril 2005, la nouvelle Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, édictée par l’article 2 de la Loi sur la modernisation de la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, a été proclamée en vigueur. En vertu de l’article 61 de la Loi sur la modernisation de la fonction publique, ces renvois à l’arbitrage de grief doivent être décidés conformément à l’ancienne Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-35 (l’« ancienne Loi »).

3 Saisi de l’affaire, j’ai tenu audience à Halifax (Nouvelle-Écosse) les 4 et 5 février 2009. Sur consentement mutuel, les parties ont alors présenté un exposé conjoint des faits et déposé presque toutes les pièces citées par les témoins. Seuls deux témoins ont été appelés, tous deux par l’agent négociateur. L’un d’eux était Alan H. Phillips, représentant de la région de l’Atlantique à l’IPFPC, qui a parlé du traitement des griefs et des échanges entre l’IPFPC et les représentants de l’ACIA au sujet de deux choses, l’interprétation que l’IPFPC a faite de la Directive et sa tentative d’obtenir que l’on statue définitivement sur l’interprétation de la Directive du CNM. L’autre témoin était la Dre Allain, l’une des fonctionnaires et, pendant la période pertinente, une déléguée syndicale pour l’IPFPC; elle a livré témoignage sur la genèse des faits relatifs aux deux griefs. Le résumé exposé ci-après des questions de fait ayant donné lieu aux griefs est tiré de toutes les sources de preuve susmentionnées, lesquelles ont été déposées à l’audience. Il y avait peu de divergences d’ordre factuel entre les parties. Les points en litige avaient trait à la façon dont certains événements devaient être qualifiés et à la bonne façon d’interpréter la Directive à la lumière de ces événements.

Résumé de la preuve

4 Les fonctionnaires, en qualité de vétérinaires, inspectaient de la volaille dans des abattoirs afin de s’assurer que les animaux abattus et introduits dans la chaîne alimentaire satisfaisaient aux normes canadiennes d’inspection des aliments. Leur « lieu de travail permanent » (pour reprendre la terminologie de la Directive) se trouvait à Canard (Nouvelle-Écosse) dans la vallée de l’Annapolis. Par coïncidence, Canard se trouvait à environ 38 kilomètres de chacun des domiciles des fonctionnaires, quoique ces dernières vivaient dans des localités différentes. De temps à autre, chacune des fonctionnaires était dépêchée à un abattoir de volaille qui se trouvait à quelque 11,5 kilomètres de son lieu de travail permanent. On a reconnu qu’il s’agissait là d’un « lieu de travail temporaire », selon la terminologie employée dans la Directive. Ainsi, le lieu de travail temporaire se trouvait à l’intérieur d’un rayon d’environ 16,5 km du lieu de travail permanent, rayon qui définit la « zone d’affectation » du « lieu de travail permanent », conformément à la Directive. Les résidences des docteures Fraser-Layes et Allain se trouvaient respectivement à 33,1 et 33,2 km du lieu de travail temporaire. Ainsi, la distance qui séparait le domicile de chacune du lieu de travail temporaire était plus courte que les distances entre leurs domiciles et le lieu de travail permanent (38 kilomètres dans chaque cas).

5 Les parties pertinentes de la Directive, ainsi qu’elle était alors libellée, se lisent ainsi :

Principes

Les principes énoncés ci-après ont été élaborés par les représentants des agents négociateurs de concert avec les représentants de la partie patronale du Conseil national mixte. Ces principes constituent la pierre angulaire de la gestion des voyages d’affaires du gouvernement et devraient aider tous les membres du personnel et de la direction à établir des pratiques de voyage justes, raisonnables et modernes dans toute la fonction publique.

Confiance – accroître le pouvoir et la latitude des employés et des gestionnaires d’agir d’une manière juste et raisonnable.

Souplesse – créer un environnement dans lequel les décisions de gestion respectent l’obligation d’adaptation, répondent au mieux aux besoins et aux préférences des employés et tiennent compte des nécessités du service dans l’organisation des préparatifs de voyage.

Respect – créer un environnement sensible aux besoins des employés et des processus favorables aux voyages.

Valorisation des gens – reconnaître les employés d’une manière professionnelle tout en soutenant les employés, leurs familles, leur santé et la sécurité des voyages.

Pratiques de voyage modernes – adopter des pratiques de gestion des voyages qui soutiennent les principes et tiennent compte des tendances et des réalités de l’industrie des voyages; élaborer et mettre en œuvre le cadre et la structure appropriés de responsabilisation des voyages.

[…]

Objet et portée

La présente directive a pour objet de garantir un traitement juste aux fonctionnaires appelés à effectuer des voyages en service commandé conformément aux principes susmentionnés. Les dispositions de la présente directive sont impératives et prévoient le remboursement de dépenses raisonnables qui ont dû être engagées pendant un voyage en service commandé. Ces dispositions font en sorte que les fonctionnaires n’ont pas à engager des frais supplémentaires. Elles ne doivent pas constituer une source de revenu ni de rémunération quelconque, lesquels ouvriraient la voie au gain personnel.

[…]

Zone d’affectation – région qui s’étend sur 16 kilomètres du lieu de travail assigné en empruntant la route terrestre la plus directe, sûre et praticable.

[…]

Voyageur – une personne qui voyage en service commandé autorisé.

Lieu de travail

Permanent/régulier – endroit permanent unique déterminé par l’employeur où un fonctionnaire exerce habituellement les fonctions de son poste ou d’où il relève.

Temporaire – endroit unique où un fonctionnaire exerce temporairement les fonctions de son poste ou d’où il relève dans la zone d’affectation.

[…]

1.9 Changement du lieu de travail

1.9.1 Lorsqu’un fonctionnaire est assigné d’un lieu de travail permanent à un lieu de travail temporaire pour une durée de moins de 30 jours civils consécutifs, les dispositions de la présente directive doivent être suivies.

1.9.2 Lorsqu’un fonctionnaire est assigné d’un lieu de travail permanent à un lieu de travail temporaire, pour une durée de 30 jours civils consécutifs et plus, les dispositions de la présente directive doivent être suivies sauf si les conditions suivantes sont réunies : le fonctionnaire doit obtenir, par écrit, un préavis de 30 jours civils concernant le changement du lieu de travail. Dans les cas où le fonctionnaire n’est pas avisé par écrit du changement de lieu de travail, les conditions de la présente directive doivent être suivies pour la durée du changement de lieu de travail jusqu’à concurrence de 60 jours civils.

[…]

Ces dispositions s’appliquent aux fonctionnaires. En particulier, il a été admis que le témoignage de la Dre Allain et les documents présentés par les fonctionnaires et convenus par les parties démontrent que l’article 1.9 était pertinent. Régulièrement, les fonctionnaires se voyaient assigner des quarts dans un lieu de travail temporaire, à l’extérieur du lieu de travail permanent, pour une durée inférieure à 30 jours et avec moins de 30 jours de préavis. Aucune de ces affectations ne dépassait la durée maximale de 60 jours.

6 Eu égard aux règles de fond énoncées dans la Directive, lesquelles sont pertinentes aux arguments avancés par les parties, les articles qui suivent sont déterminants :

[…]

3.1 Module 1 – Voyages dans la zone d’affectation – Sans nuitée

Les dispositions énoncées dans le présent Module sur les voyages s’appliquent dans le cas d’un fonctionnaire en voyage en service commandé dans la zone d’affectation pour un séjour sans nuitée.

[…]

3.1.11 Transports

Lorsque des heures supplémentaires ou les déplacements autorisés perturbent le mode de déplacement habituel du fonctionnaire, les frais de transport supplémentaires qu’il a dû assumer pour le trajet entre le domicile et le lieu de travail lui sont remboursés.

Lorsque les conditions stipulées à la sous-section Changement de lieu de travail ne sont pas respectées, le transport jusqu’au lieu de travail temporaire est fourni ou le fonctionnaire doit être remboursé selon le taux par kilomètre pour la distance parcourue entre la résidence et le lieu de travail temporaire, ou entre le lieu de travail permanent et le lieu de travail temporaire, selon la plus courte de ces distances.

[…]

Lorsque le fonctionnaire est autorisé à se servir d’un véhicule particulier en service commandé dans sa zone d’affectation, il sera remboursé selon les taux par kilomètre prévus à l’Appendice B.

[…]

Ces règles sont pertinentes en ce que les fonctionnaires se sont déplacées en voiture de leurs résidences au lieu de travail temporaire lors des diverses occasions pour lesquelles elles ont présenté une demande de remboursement en 2003 et 2004, ce trajet ayant été fait après la date d’entrée en vigueur de la Directive, en 2002. Toutefois, la Dre Allain a indiqué que, aux dates auxquelles se rapportaient les demandes de remboursement, elle n’avait en fait pas vu la Directive. Elle n’en a appris l’existence que peu après que la Dre Fraser-Layes et elle-même aient déposé leurs griefs. Le principal argument invoqué était que, lorsqu’elles étaient affectées à un lieu de travail temporaire plutôt qu’à leur lieu permanent, elles avaient droit à un remboursement de frais de déplacement. L’agent négociateur, l’IPFPC, souscrivait, de façon générale, à ce point de vue. Mais les fonctionnaires ont demandé le plein remboursement de leurs frais au taux par kilomètre pertinent calculé pour les trajets aller-retour entre leurs résidences respectives et le lieu de travail temporaire (66,4 et 66,2 kilomètres respectivement), et c’est ce qui a suscité la controverse.

7 Le superviseur des fonctionnaires s’est apparemment entretenu avec le responsable local des ressources humaines à Moncton, puis a rejeté les demandes de remboursement au motif que la politique [traduction] « […] ne traite pas des déplacements entre la résidence et un lieu de travail temporaire se trouvant à l’intérieur de la zone d’affectation (rayon réputé être de 16 kilomètres) ». Le superviseur a tout de même rencontré les fonctionnaires et M. Phillips, le 8 décembre 2004, aux fins du traitement du grief au premier palier. Le 24 décembre 2004, il a rédigé sa réponse au premier palier. Tout en affirmant que le grief était « hors-délai », le superviseur a accueilli en partie le grief à la lumière d’une nouvelle interprétation de l’article 3.1.11 de la Directive, article qu’il interprétait comme une clause qui donnait aux fonctionnaires le droit à un remboursement correspondant à la plus courte de ces deux distances : [traduction] « a) […] un taux par kilomètre payé pour la distance entre le domicile et le lieu de travail temporaire ou b) […] le taux par kilomètre remboursé pour la distance entre le lieu de travail permanent et le lieu de travail temporaire ». Toutefois, la lettre de réponse au premier palier limitait le remboursement aux [traduction] « […] jours pour lesquels une demande de remboursement avait été faite dans les 25 jours précédents la date du dépôt de votre demande de remboursement » ainsi qu’à l’aller seulement et pas au déplacement aller-retour. À l’audience, l’agent négociateur et l’employeur ont convenu que la méthode de calcul n’était pas conforme à la Directive. Toutefois, les raisons (que nous exposerons ci-après) qui faisaient dire cela aux parties étaient diamétralement opposées.

8 Au nom de l’IPFPC, M. Phillips, conformément à ce qu’il considérait comme une pratique normale au CNM eu égard aux litiges portant sur les demandes de remboursement de frais de voyage, a communiqué avec l’agente principale des relations de travail à l’ACIA, Paulene Bourgault. Mme Bourgault a déclaré que les griefs devraient être laissés en suspens et tranchés conformément à une entente conclue entre Josée Deryckx, qui représentait l’employeur, et Michel Gingras, représentant l’agent négociateur, sur une série de litiges similaires concernant l’interprétation de la Directive. M. Phillips a cru comprendre que Mme Deryckx et M. Gingras avaient convenu de faire la paix sur une série de différents de longue date concernant la Directive, en précisant qu’ils respecteraient les décisions auxquelles en arriverait le Comité exécutif du CNM sur les questions d’interprétation en litige et qu’une décision était alors sollicitée. Il en allait de l’interprétation de ce qu’on a appelé, à cette audience, la « règle de la plus courte distance », soit la règle énoncée au deuxième paragraphe (précité) de l’article 3.1.11 de la Directive.

9 L’IPFPC, par l’entremise de M. Gingras, a reçu une lettre émanant de Dan Butler en date du 19 juillet 2005; à cette époque, M. Butler assumait les fonctions de secrétaire général du CNM. Cette lettre se lit comme suit :

[Traduction]

Le Comité exécutif du CNM s’est réuni le 8 juillet 2005 et en est arrivé à une conclusion quant à la demande d’interprétation datée du 5 janvier de cette année que l’Institut professionnel a présentée par votre entremise. Le Comité exécutif est désolé du temps qu’il lui a fallu pour tirer sa conclusion, mais il désire vous assurer qu’il a obtenu sur la question des explications détaillées et des conseils éclairés du Comité des voyages en service commandé avant de prendre sa décision.

Dans votre question, vous vous demandez donc « si la directive sur les voyages soustrait, du kilométrage remboursable à un employé, la distance entre sa résidence et son lieu de travail permanent, ou si la distance en tant que telle entre la résidence et le lieu (temporaire) d’affectation n’entre pas en ligne de compte lorsque le point de départ du fonctionnaire n’est pas son lieu de travail permanent ».

Le Comité exécutif a tenu compte des conseils que lui a fournis le Comité des voyages en service commandé et y a souscrit en déterminant ce qui suit : la Directive sur les voyages ne prescrit pas aux gestionnaires ou aux employés de soustraire du calcul du nombre réel de kilomètres parcourus la distance entre la résidence de l’employé et le lieu de travail permanent.

Le Comité exécutif remarque qu’il y a parfois eu une certaine confusion chez les parties dans l’interprétation des dispositions pertinentes de la Directive. Pour que cette confusion soit dissipée à l’avenir, on a demandé au Comité des voyages en service commandé de mettre au point un outil de communication illustrant l’interprétation correcte de la Directive à l’usage des employés et des gestionnaires.

Merci de nous avoir adressé cette question pour interprétation.

Ce que M. Phillips a compris de la lettre adressée à M. Gingras, c’est que l’interprétation de la Directive correspondait à l’opinion de l’agent négociateur, selon laquelle les fonctionnaires avaient droit à un plein remboursement de leurs frais de déplacement pour l’aller-retour effectué entre un lieu de travail temporaire et leurs résidences lorsqu’elles recevaient des affectations de courte durée (moins de 60 jours) avec ou sans préavis de 30 jours.

10 M. Phillips a alors rouvert le dossier des griefs des Dres Allain et Fraser-Layes en pensant que ces griefs seraient accueillis. Cependant, à son grand étonnement, l’ACIA n’était tout simplement pas disposée à accueillir les griefs. Le 10 août 2005, M. Phillips a envoyé un courriel à Maria Schiavone, agente financière en poste aux bureaux de l’employeur à Montréal. Au lieu de constituer une réponse favorable, compte tenu de l’interprétation du CNM, le courriel de réponse de M. Schiavone était équivoque. Elle disait que le dossier avait besoin d’être « revu » du fait que l’employeur comprenait maintenant qu’il ne s’agissait pas simplement d’une affaire de remboursement de frais pour [traduction] « […] les kilomètres additionnels parcourus entre la résidence et un lieu de travail », mais plutôt une question relative au [traduction] « changement du lieu de travail ». La chose a déconcerté M. Phillips, qui a commencé à nourrir des préoccupations au sujet de ce qu’il considérait comme un désengagement ou une rétractation de l’employeur par rapport à l’entente précédemment conclue.

11 M. Phillips a alors porté l’affaire au deuxième palier de la procédure de règlement des griefs. L’audience correspondante a eu lieu le 9 novembre 2005 avec Steve Black, directeur des relations de travail chez l’employeur. M. Phillips a alors fait valoir que la décision du CNM, communiquée par M. Butler, s’appliquerait pour étayer les demandes des fonctionnaires d’un plein remboursement de leurs frais de déplacement pour le trajet aller-retour entre leurs résidences et leurs lieux de travail temporaires. M. Black a rejeté le grief et a également indiqué qu’il n’avait connaissance d’aucune entente entre Mme Deryckx et M. Gingras qui pouvait être pertinente. La réponse officielle de M. Black aux griefs a été transmise aux fonctionnaires par lettres datées du 17 janvier 2006. Les paragraphes 3 et 4 de ces lettres qui sont identiques, résument la position de l’employeur. Ils se lisent ainsi :

[Traduction]

La Directive sur les voyages indique que l’expression « lieu de travail » ne peut s’appliquer qu’à la zone d’affectation. Par conséquent, le changement temporaire du lieu de travail d’un employé ne peut survenir que dans un rayon de 16 kilomètres du lieu de travail normal de l’employé. Comme l’indique l’article 1.9.2 de la Directive sur les voyages, lorsqu’un fonctionnaire est assigné à un lieu de travail temporaire se trouvant dans la zone d’affectation pendant une durée de moins de 30 jours, ou lorsque le fonctionnaire est avisé d’un changement de lieu de travail moins de 30 jours à l’avance, il ou elle a droit à un remboursement de ses frais de déplacement au taux par kilomètre pour la distance séparant sa résidence du lieu de travail temporaire, selon la plus courte de ces distances. En conséquence, vous avez droit à un remboursement calculé au taux par kilomètre pour la distance qui sépare votre lieu de travail permanent du lieu de travail temporaire, soit 11,5 kilomètres.

Par conséquent, votre grief est accueilli pour ce qui est de votre droit à un remboursement de vos frais de déplacement pour le trajet aller-retour entre l’établissement enregistré 139 et l’établissement enregistré 7KK.

Bien entendu, l’IPFPC était en désaccord avec cette position.

12 Dans une telle affaire du ressort du CNM, l’étape suivante du processus du règlement d’un grief consiste, pour l’agent négociateur, à se tourner vers le Comité des voyages en service commandé du CNM pour obtenir une décision d’interprétation, ce qui a été fait. Toutefois, le CNM et ses sous-comités sont des organes bipartites qui comportent un nombre égal de représentants du gouvernement fédéral et de représentants des agents négociateurs. Le 24 avril 2007, Barry Fennessy, nouveau secrétaire général du CNM, a adressé une lettre à Patti Bordeleau, la nouvelle directrice exécutive de la Division des relations de travail de l’employeur, et s’est exprimé en ces termes :

[Traduction]

Objet :         Dre Ann Allain et Dre Audrey Fraser

Mme Bordeleau,

Le Comité exécutif du CNM s’est réuni le 20 mars 2007 et a examiné les griefs précités eu égard à un remboursement de frais de déplacement.

Le Comité exécutif a tenu compte du rapport que lui a transmis le Comité des voyages en service commandé. Bien qu’il fût convenu que la situation représentait un changement de lieu de travail au sens de l’article 1.9.1 de la Directive sur les voyages, les parties n’ont pu arriver à s’entendre sur le remboursement auquel avaient droit les fonctionnaires. C’est ainsi que le Comité exécutif s’est trouvé dans une impasse.

Je vous pris de transmettre l’intégralité de la décision susmentionnée à la fonctionnaire s’estimant lésée, en conformité avec le paragraphe 15.1.15 du Règlement du CNM.

En d’autres termes, le CNM était dans l’impasse et la décision de M. Black demeurait inchangée – les griefs étaient toujours rejetés. L’IPFPC a renvoyé l’affaire à l’arbitrage de la Commission des relations de travail dans la fonction publique. La présente décision est le résultat de cette procédure de renvoi suivie en application de l’alinéa 92(1)a) de l’ancienne Loi concernant l’interprétation d’une disposition de la convention collective.

Résumé de l’argumentation

13 La thèse de l’IPFPC est centrée sur la proposition que ces griefs doivent être tranchés en vertu de la décision rendue par le CNM. Cette décision résultait d’une interprétation que M. Butler avait fournie en réponse à une demande (susmentionnée) émanant de M. Gingras de l’agent négociateur. Le contexte de cette demande, d’après M. Phillips, était que l’ACIA avait émis un bulletin interprétant la Directive auquel l’IPFPC ne souscrivait pas. Pendant un temps, une sorte de « guerre virtuelle » d’interprétation semblait ouverte entre les parties, tandis que l’employeur publiait son bulletin sur les frais de déplacement remboursables et que l’IPFPC affichait une interprétation électronique opposée sur son site web. Malheureusement, ces « documents virtuels » n’étaient pas disponibles à l’audience. Il en va ainsi des caprices de la communication électronique. En revanche, ce à quoi l’on a eu accès à l’audience était la [traduction] « Demande d’interprétation – Directive sur les voyages » que M. Gingras a envoyée à M. Butler le 21 décembre 2004 (document sans sa pièce jointe présumée). Le corps de cette lettre se lit comme suit :

[Traduction]

Monsieur,

L’Agence canadienne d’inspection des aliments a récemment publié un bulletin dans lequel est présentée une interprétation de l’application des dispositions de la Directive sur les voyages aux frais de déplacement remboursables aux employés.

L’Institut croit que l’interprétation publiée par l’employeur ne cadre pas avec l’esprit de la Directive sur les voyages. En conséquence, l’Institut demande au Conseil national mixte d’interpréter ce qui suit.

A)      Au paragraphe 3.1.11 de la partie III de la Directive sur les voyages, il est dit ce qui suit : « Lorsque des heures supplémentaires ou les déplacements autorisés perturbent le mode de déplacement habituel du fonctionnaire, les frais de transport supplémentaires qu’il a dû assumer pour le trajet entre le domicile et le lieu de travail lui sont remboursés. »

B)       Au paragraphe 3.1.11 de la partie I [les parties conviennent que l’allusion initiale à l’article 1.9.3 dans la lettre de M. Gingras était erronée], la même directive stipule ce qui suit : « Lorsque les conditions stipulées au changement de lieu de travail ne sont pas respectées, le transport jusqu’au lieu de travail temporaire est fourni ou le fonctionnaire doit être remboursé selon le taux par kilomètre pour la distance parcourue entre la résidence et le lieu de travail temporaire, ou entre le lieu de travail permanent et le lieu de travail temporaire, selon la plus courte de ces distances. »

C)      En décembre 2004, l’ACIA a publié un bulletin (ci-joint) dans lequel il était indiqué que les fonctionnaires en service commandé ne serait défrayés de leurs frais de déplacement que pour la distance additionnelle parcourue pour se rendre au lieu de travail temporaire en sus de la distance normalement parcourue entre leur résidence et leur lieu de travail régulier.

Le bulletin publié par l’employeur semble appliquer la règle qui était en vigueur au moment de l’ancienne directive sur les voyages.

Il est demandé au CNM de préciser si, en vertu de la Directive sur les voyages, la distance qui sépare la résidence du fonctionnaire et son lieu de travail régulier est soustraite du kilométrage remboursable au fonctionnaire ou si l’on ne tient compte que de la distance réelle entre la résidence et le lieu temporaire d’activités gouvernementales lorsque le point de départ du fonctionnaire n’est pas son lieu de travail régulier.

Par exemple

La résidence du fonctionnaire est le point « A ».

Le point « B » est le lieu de travail régulier du fonctionnaire, lieu situé à 10 kilomètres du point « A ».

Le point « C » est le lieu de travail temporaire, qui est situé à 30 kilomètres du point « A ».

Le fonctionnaire se rend directement du point « A » au point « C », parcourant ainsi une distance de 30 kilomètres. L’Institut estime que le fonctionnaire devrait avoir droit à un remboursement pour 30 kilomètres, tandis que, selon l’interprétation de la direction, ce remboursement vaudrait pour 20 kilomètres.

Nous attendons votre réponse avec impatience.

Dans une large mesure, l’argument des parties tourne autour de l’applicabilité de l’exemple cité à la fin de la lettre de M. Gingras aux circonstances des fonctionnaires dans cette affaire.

14 À ce stade, il pourrait s’avérer utile de reproduire dans son intégralité l’échange de courriels entre M. Gingras et Mme Deryckx, courriels sur lesquels l’agent négociateur s’appuie. Le message émanant de M. Gingras est ainsi rédigé :

[Traduction]

Josée,

Veuillez signifier votre approbation avec l’interprétation suivante relative à la gestion de la question de l’« allocation kilométrique » :

L’Institut a sollicité une interprétation de la part du CNM pour déterminer les modalités de versement de l’allocation kilométrique aux fonctionnaires de l’ACIA, vu qu’il n’est pas d’accord avec l’application, par l’employeur, de la « règle de la plus courte distance », à la suite de la publication d’un bulletin d’interprétation de l’employeur, à l’automne 2004, étant entendu que le CNM discutera de cette affaire le 10 mars 2005 et émettra une opinion sans délai.

Pour ne pas surcharger le système de traitement des griefs des deux côtés de la table, l’Institut et l’ACIA conviennent de ce qui suit :

- les parties suivront la recommandation ou l’opinion que le CNM émettra au sujet de l’affaire ci-dessus;

- l’Institut n’encouragera pas le dépôt d’autres griefs sur la question de l’allocation kilométrique dans le contexte actuel;

- les griefs actuellement déposés dans le système de l’ACIA sont tenus en suspens jusqu’à ce que les parties reçoivent la décision du CNM;

- au cas où le CNM corroborerait la décision de l’Institut quant à l’interprétation de la Directive sur les voyages, l’employeur recalculera toutes les demandes de remboursement de frais de déplacement rétroactivement jusqu’à la date de publication de sa directive en novembre 2004, peut importe que des griefs aient été déposés ou non;

- comme l’Institut convient d’accepter la décision du CNM s’appliquant à l’ACIA, dans le contexte ci-dessus, aucun grief connexe ne sera renvoyé à un éventuel arbitrage.

La réponse brève de Mme Deryckx se lit simplement comme suit : [traduction] « Bonjour Michel, tel que discuté, nous sommes d’accord avec ce texte. Josée. » Manifestement, cet échange ne fait aucune allusion aux détails de toute situation litigieuse factuelle ou hypothétique, bien qu’il semble y en avoir un certain nombre.

15 L’agent négociateur, l’IPFPC, affirme que M. Gingras a simplement demandé une interprétation de la « règle de la plus courte distance » énoncée à l’article 3.1.11 de la Directive, dans le paragraphe qui précède immédiatement l’exemple de la fin de sa lettre. Ce paragraphe, cité dans la réponse de M. Butler et reproduit au paragraphe 9 de la présente décision, se lit ainsi :

[Traduction]

Dans votre question, vous vous demandez donc « si la directive sur les voyages soustrait, du kilométrage remboursable à un employé, la distance entre sa résidence et son lieu de travail permanent, ou si la distance en tant que telle entre la résidence et le lieu (temporaire) d’affectation n’entre pas en ligne de compte lorsque le point de départ de l’employé n’est pas son lieu de travail permanent ».

L’IPFPC soutient ensuite que la phrase qui suit, tirée de la réponse de M. Butler et reprise textuellement, lie l’employeur en vertu de l’entente Deryckx-Gingras :

[Traduction]

[…] la Directive sur les voyages ne prescrit pas aux gestionnaires ou aux employés de soustraire du calcul du nombre réel de kilomètres parcourus la distance entre la résidence de l’employé et le lieu de travail permanent.

Ainsi, de laisser entendre l’IPFPC, les fonctionnaires n’ont pas besoin de soustraire des 38 km les 33,1 ou 33,2 km pour lesquels elles demandaient le remboursement de leurs frais de déplacement; elles ont plutôt droit au plein remboursement. La locution « laisser entendre » a été employée dans la phrase précédente du fait que, pour des raisons que l’on peut comprendre, l’IPFPC s’est gardé d’affirmer explicitement (quoiqu’il l’ait reconnu) que les fonctionnaires cherchaient à se faire défrayer pour le trajet effectué jusqu’au lieu de travail temporaire tandis qu’elles n’avaient pas droit à un remboursement de frais de déplacement pour la distance parcourue jusqu’à leur lieu de travail permanent, même si ce lieu se trouvait plus loin que le nouvel emplacement.

16 Cet argument selon lequel les fonctionnaires devraient se faire rembourser leurs frais de déplacement en rapport avec la distance parcourue pour se rendre au lieu de travail temporaire, alors que celui-ci se trouvait plus près de chez elles que leur lieu de travail permanent et que pour se rendre audit lieu permanent elles n’étaient nullement défrayées, semble paradoxal. Toutefois, l’employeur reconnaît que la Directive autorise bel et bien un certain remboursement de frais dans de telles circonstances, mais pas le plein montant demandé par l’agent négociateur au nom des fonctionnaires. Dans son argumentation – que nous reproduirons plus bas –, l’employeur admet que les fonctionnaires ont bel et bien droit à un remboursement de frais calculé selon le « moindre des deux montants », ce qui dans le cas de la Dre Allain, correspondrait à 567,18 $ en sus des sommes qu’elle a déjà reçues à l’issue de la décision rendue au premier palier de la procédure de règlement des griefs, et, dans le cas de la Dre Fraser-Layes, à une somme correspondante de 1248,79 $. Peut-être ne s’étonnera-t-on pas que l’agent négociateur affirme, subsidiairement, que si l’on n’accède pas à sa demande d’obtention d’un plein remboursement des frais de déplacement pour le voyage aller-retour entre le domicile de la fonctionnaire et le lieu de travail temporaire, les fonctionnaires ont droit au remboursement du moindre des deux montants que l’employeur a accepté.

17 En substance, la thèse de l’employeur est que l’IPFPC a reçu du CNM une interprétation qui était correcte en soi, mais qui ne s’appliquait pas aux faits de l’espèce. L’employeur déclare que la lettre de M. Butler et l’exemple de M. Gingras s’appliquent au remboursement de frais de déplacement engagés à l’extérieur de la zone d’affectation, mais que la « règle de la plus courte distance » énoncée à l’article 3.1.11 de la Directive n’est invoquée ni dans la réponse de M. Butler ni dans la demande initiale de M. Gingras. L’employeur soutient que les fonctionnaires doivent respecter à la lettre les dispositions de la Directive s’appliquant à leurs circonstances. Leurs circonstances sont une affectation à un lieu de travail temporaire se trouvant à l’intérieur de la zone d’affectation, laquelle est définie comme une région s’étendant sur un rayon de 16 kilomètres autour du lieu de travail permanent. L’employeur argue que ni la demande d’une interprétation de la Directive faite par M. Gingras ni la réponse de M. Butler ne traite de ces circonstances particulières. Par conséquent, de dire l’employeur, on ne saurait sortir le libellé exact de l’interprétation fournie par M. Butler du contexte de l’exemple factuel sur lequel cette interprétation repose, puis s’en servir ensuite pour contredire les [traduction] « dispositions claires de la Directive ».

18 Ces mots, « dispositions claires de la Directive » se trouvent entre des guillemets, car, dans son argumentation, l’employeur, à l’instar de M. Butler dans sa lettre envoyée à M. Gingras, a reconnu que la Directive avait engendré [traduction] « […] une certaine confusion entre les parties […] ». De plus, le Comité des voyages en service commandé a bel et bien conçu [traduction] « un outil de communication illustrant l’interprétation correcte de la Directive à l’usage des fonctionnaires et des gestionnaires », comme l’a mentionné M. Butler. Cet « outil de communications », intitulé « Taux par kilomètre, Questions et réponses, décembre 2005 », a été produit en preuve aux fins de l’argumentation. L’exactitude de ce document, dans son ensemble, n’est certainement pas en cause dans cet arbitrage, et la présente décision ne devrait pas être interprétée comme une approbation de tout ce qui se trouve dans ce document. Cependant, il faut dire (ainsi que l’employeur l’a fait observer) que le document établit une distinction utile dans ses exemples entre la réalité générale d’un « [déplacement officiel] en service commandé [du] domicile [d’un fonctionnaire] de la fonction » et la situation particulière où « […] un fonctionnaire est affecté à un lieu de travail temporaire dans sa zone d’affectation et qu’il utilise son véhicule particulier pour se rendre à son lieu de travail temporaire […] ». Dans le premier cas, le plein remboursement est autorisé, mais dans le second un remboursement n’est accordé qu’en fonction de la « règle de la plus courte distance ».

19 La thèse de l’employeur repose sur l’affirmation que la situation hypothétique évoquée dans la lettre de M. Gingras ne renvoie pas à un déplacement effectué jusqu’à un endroit se trouvant à l’intérieur de la zone d’affectation. Néanmoins, l’hypothèse de M. Gingras aborde bel et bien, apparemment, un problème qui s’est posé à la suite d’une pratique courante antérieure. Cette ancienne pratique, qui comportait une certaine logique intuitive, consistait à soustraire la distance entre le domicile du fonctionnaire et son lieu de travail permanent lorsque le fonctionnaire effectuait le déplacement jusqu’à un autre lieu de travail qui se trouvait à plus grande distance de son domicile. L’idée était que, n’étant normalement pas défrayé pour se rendre chaque jour au travail, un employé pouvait se faire rembourser les frais qu’il engageait quant à la distance supplémentaire qu’il devait parcourir à l’occasion pour se rendre à un autre lieu de travail. Cette pratique ne coïncide clairement pas avec la directive actuelle, qui établit une nette distinction entre les déplacements à l’intérieur et à l’extérieur de la zone d’affectation. Selon la logique de la directive actuelle, un employé se fait totalement défrayer de ses dépenses de déplacements lorsqu’il se rend à une « fonction » qui se trouve à l’extérieur de la zone d’affectation, même s’il se trouve que la distance à parcourir est inférieure à la distance qui sépare son domicile du lieu de travail permanent. En vertu de l’actuelle directive, on ne soustrait pas la distance à parcourir à partir du lieu de travail permanent de la distance à parcourir pour se rendre au lieu de travail temporaire. Cela peut sembler illogique dans certaines circonstances. Néanmoins, ainsi que l’employeur le fait valoir, l’exemple de M. Gingras, à la fin de sa lettre, donnait lieu à ce résultat, et M. Butler l’a approuvé au troisième paragraphe de sa réponse. Ce ne sont pas là, de l’avis de l’employeur, les circonstances dans lesquelles se trouvaient les fonctionnaires.

20 À l’appui de ses arguments, l’employeur a cité deux décisions de la Commission des relations de travail dans la fonction publique qui traitaient de griefs relatifs à la politique sur les déplacements : Fuller et Fryer c. Conseil du Trésor (Agriculture Canada), dossiers de la CRTFP 166-02-15276, 15277, 16068 et 16069 (19870617), et Vijh c. Conseil du Trésor (Revenu Canada), dossiers de la CRTFP 166-02-26509, 26510, 26512, 26513, 26514 et 26516 (19951204), dans leur version intégrale non publiée, dans les deux cas. Cependant, bien que l’on trouvait des exemples de problèmes relatifs à la politique sur les déplacements, ni l’une ni l’autre de ces décisions ne traitaient de la directive actuelle, et leur issue reposait sur des faits bien différents des circonstances des fonctionnaires s’estimant lésées. Comme l’avocate de l’employeur l’a reconnu, ni l’une ni l’autre de ces affaires ne constituait véritablement un précédent. La situation de l’espèce constitue une « affaire de première impression » qu’il faut trancher en fonction des faits pertinents et de l’interprétation de la Directive, laquelle est incorporée à la convention collective.

Motifs

21 Dans cette affaire, on ne peut s’empêcher d’éprouver une certaine compassion pour les fonctionnaires et pour le personnel travaillant pour l’agent négociateur. La Directive est très complexe et n’est pas facile à comprendre. Régulièrement, la routine des fonctionnaires était perturbée par une affectation, sur court préavis, à des quarts de nuit dans un lieu de travail temporaire. Les fonctionnaires n’aimaient pas cela. Lorsqu’elles ont appris qu’elles pouvaient se faire rembourser une partie de leurs frais de déplacement eu égard au trajet à effectuer entre leurs résidences et leur lieu de travail temporaire, elles se sont heurtées à des interprétations divergentes de l’employeur et de l’agent négociateur quant aux détails de ces frais remboursables. Comme l’a candidement reconnu l’avocate de l’employeur à l’audience, tant le rejet initial des demandes de remboursement des fonctionnaires par leur superviseur immédiat que l’accueil partiel par ce dernier, de leurs demandes au premier palier de la procédure applicable aux griefs était erroné. En particulier, limiter leurs frais remboursables à l’équivalent d’un trajet d’aller seulement entre le lieu de travail permanent et les lieux de travail temporaires assignés aux fonctionnaires revenait à priver ces dernières de ce à quoi elles avaient droit en principe et dans les faits. L’IPFPC, qui pensait s’être entendu avec l’employeur sur un processus de règlement complet de ces litiges et d’autres différends au moyen d’un renvoi de l’affaire au CNM, a été contrarié par le résultat immédiat de ce processus, qui n’a pas permis de résoudre toutes les complexités de la Directive et n’a pas donné satisfaction aux fonctionnaires à la suite de l’impasse dans laquelle s’est trouvé le Comité des voyages en service commandé du CNM.

22 On peut certes compatir avec les fonctionnaires et l’agent négociateur, mais l’employeur aussi se heurtait à des difficultés. La Directive est complexe et les efforts d’explication qu’on a déployés dans l’« outil de communications » du CNM en décembre 2005, ont certainement été utiles à cet égard. Qui plus est, même si le superviseur immédiat a pu errer dans son analyse de la question, la perception intuitive du problème qu’il a pu avoir est en ce sens correcte. Il est certain que, logiquement, la Directive n’autorise pas le plein remboursement, à tous les fonctionnaires, de leurs frais de déplacement pour se rendre à un lieu de travail temporaire situé à l’intérieur de la zone d’affectation et qui se trouve plus près de leur résidence que leur lieu de travail permanent. En fait, le libellé de la Directive n’autorise pas cela, comme on pouvait raisonnablement s’y attendre.

23 Le fait que M. Gingras et Mme Deryckx se soient entendus pour laisser en suspens les différends au sujet de la Directive en attendant les résultats de la demande d’une décision d’interprétation que l’agent négociateur avait faite au CNM a engendré une certaine confusion. La demande de M. Gingras est teintée d’une ambiguïté à tout le moins latente, voire patente. M. Gingras a cherché à obtenir des éclaircissements sur le paragraphe de la Directive qui énonce la « règle de la plus courte distance »; il a en fait mal identifié le paragraphe en question. Qui plus est, l’exemple qu’il donne à la fin de sa lettre de demande ne reprend pas la situation de déplacement à un lieu de travail temporaire dans la zone d’affectation, situation à laquelle s’applique la « règle de la plus courte distance » et qui reflète les circonstances des fonctionnaires. On y ignore quelle série de faits Mme Deryckx a pu avoir en tête au moment où elle a convenu, dans l’échange de courriels, de laisser les litiges en suspens en attendant qu’une interprétation soit obtenue, mais l’IPFPC n’a certainement pas démontré, selon la prépondérance requise des probabilités, que l’entente faite par Mme Deryckx couvrait les circonstances des fonctionnaires. De fait, rien n’indique dans la preuve que M. Gingras était au courant des demandes de remboursement des fonctionnaires, mais l’on sait que sa demande d’une interprétation de la Directive datée du 21 décembre 2004 a été faite trois jours avant que le superviseur des fonctionnaires accueille en partie les demandes de remboursement au premier palier. On suppose que M. Gingras ne pouvait avoir ce résultat à l’esprit pour fonder sa demande. Il n’y a pas de preuve d’expert d’une telle capacité de prescience de sa part, bien qu’il soit possible qu’il soit affublé d’un tel don.

24 Le résultat de la preuve concernant l’entente Deryckx-Gingras sur la demande d’une interprétation au CNM pouvant servir de précédent jurisprudentiel est que l’on ne peut accorder à cette entente le poids que l’agent négociateur souhaite lui donner. Bien que les deux paragraphes clés de la lettre de M. Butler soient un peu difficile à interpréter dans les divers contextes auxquels ils sont susceptibles de s’appliquer, ces paragraphes ne contredisent assurément pas de façon explicite le libellé de la Directive qui s’applique à la situation des fonctionnaires, soit à une distance parcourue vers un lieu de travail temporaire se trouvant dans la zone d’affectation. Les termes dans la demande de M. Gingras ne sont pas non plus suffisamment précis pour permettre de conclure que c’est ce qui avait dû être envisagé dans la réponse de M. Butler. L’agent négociateur n’a pas davantage soutenu que l’échange entre Mme Deryckx et M. Gingras constituait une sorte de préclusion – en réalité, si l’on s’en tient aux faits, pareille thèse ne tiendrait pas.

25 Par conséquent, pour trancher cette affaire, on doit simplement s’en tenir au libellé de la Directive, qui fait partie de la convention collective. L’abattoir de volaille auquel les fonctionnaires étaient affectées de temps à autre se trouvait à 11,5 km de leur lieu de travail permanent, donc bien à l’intérieur du rayon de 16 km formant la zone d’affectation. Les parties ont admis que les affectations des fonctionnaires à ce lieu temporaire portaient sur des périodes de moins de 30 jours consécutifs, aux termes de l’article 1.9.1 de la Directive. Il est également reconnu que les règles énoncées au Module I de la Directive sont applicables en ce que les fonctionnaires étaient « en voyage en service commandé dans la zone d’affectation pour un séjour sans nuitée », même si le travail pouvait parfois comporter des quarts de nuit. Rappelons que la « règle de la plus courte distance » est énoncée à l’article 3.1.11 de la Directive, dont les deux paragraphes clés, se lisent comme suit :

Lorsque des heures supplémentaires ou les déplacements autorisés perturbent les habitudes de déplacement du fonctionnaire, les frais de transport supplémentaires qu’il a dû assumer pour le trajet entre le domicile et le lieu de travail lui sont remboursés.

Lorsque les conditions stipulées au changement de lieu de travail ne sont pas respectées, le transport jusqu’au lieu de travail temporaire est fourni ou le fonctionnaire doit être remboursé selon le taux par kilomètre pour la distance parcourue entre la résidence et le lieu de travail temporaire, ou entre le lieu de travail permanent et le lieu de travail temporaire, selon la plus courte de ces distances.

Les critères concernant le préavis de 30 jours ou l’affectation pour une durée de plus de 30 jours consécutifs que l’on retrouve à l’article 1.9 de la Directive sur les voyages ne sont pas remplis, de sorte que c’est le deuxième paragraphe – dans lequel se trouve la règle de la plus courte distance – qui s’applique. Appliquer cette règle aux faits de l’espèce signifie que les fonctionnaires ont droit à un remboursement pour la distance de 11,5 km qui sépare leur lieu de travail permanent de leur lieu de travail temporaire puisque cette distance est plus courte que les quelque 31 km qui séparent les domiciles respectifs des fonctionnaires du lieu de travail temporaire. Bien entendu, ainsi que les parties en conviennent, un « déplacement » dans ce contexte signifie un « trajet aller-retour », contrairement à l’interprétation erronée que le superviseur en avait faite lors de son analyse au premier palier.

26 En dernière analyse, les observations de l’employeur sont acceptées. Toutefois, les griefs sont accueillis dans la mesure où l’analyse de premier palier faite par le superviseur est ici écartée, puisque les fonctionnaires ont droit, dans chaque cas, à un remboursement de leurs frais de déplacement en vertu de la « règle de la plus courte distance », et ce, sur la base d’un déplacement aller-retour.

27 Les parties conviennent que l’on doit 567,18 $ à la Dre Allain, en plus du remboursement partiel qu’elle a reçu selon des calculs antérieurs erronés. Sur la même base, un remboursement de 1248,79 $ est dû à la Dre Fraser-Layes.

28 Les parties conviennent que, malheureusement, en vertu de l’ancienne Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, aucun paiement d’intérêts ne peut être réclamé à la Couronne.

29 Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

Ordonnance

30 Les griefs sont accueillis en partie. Les fonctionnaires doivent recevoir un remboursement de leurs frais selon la « règle de la plus courte distance », mais sur la base d’un déplacement aller-retour.

31 L’employeur versera à la Dre Allain la somme de 567,18 $ et à la Dre Fraser-Layes une somme de 1248,79 $.

Le 24 avril 2009.

Traduction de la CRTFP

Bruce P. Archibald, c. r.,
arbitre de grief

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