Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La fonctionnaire s'estimant lésée était visée par un grief de harcèlement sur lequel l'employeur a enquêté pendant deux ans et qui a été déclaré non fondé - la fonctionnaire s’estimant lésée avait travaillé à partir de son domicile pendant la durée de l'enquête et, une fois que celle-ci était terminée, était retournée au travail - durant son absence, l'employeur avait complètement restructuré le lieu de travail en y instituant un système de gestion des secteurs d'activité - à son retour au travail, elle a été placée dans un nouveau poste comportant des fonctions qui ne lui étaient pas familières et où elle supervisait moins d'employés que dans son poste précédent - la fonctionnaire s’estimant lésée a remis sa démission, en alléguant qu'elle avait été rétrogradée et qu'elle avait subi de la discipline déguisée - la fonctionnaire s’estimant lésée a demandé que l'employeur divulgue de nombreux documents y compris ses examens de rendement, les notes de l'enquêteur, tout document concernant l'affectation des autres gestionnaires à leurs postes au sein de la nouvelle structure et toute information destinée à l'ensemble des régions traitant de la mise en œuvre de la nouvelle structure - tandis que l'employeur a fourni un grand nombre des documents demandés, il ne les a pas tous communiqués et, par conséquent, la fonctionnaire s’estimant lésée a demandé à l'arbitre de grief de délivrer une ordonnance de production - l'arbitre de grief a examiné la demande et a émis une ordonnance de production de certains des documents demandés. Demande accueillie en partie.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2009-04-20
  • Dossier:  566-02-2091
  • Référence:  2009 CRTFP 48

Devant un arbitre de grief


ENTRE

DEBORAH KASHUBA

fonctionnaire s'estimant lésée

et

CONSEIL DU TRÉSOR
(ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences)

employeur

Répertorié
Kashuba c. ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences

Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l’arbitrage

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Beth Bilson, arbitre de grief

Pour la fonctionnaire s'estimant lésée:
Jeffrey Palamar et Shereese Qually, avocats

Pour l'employeur:
Karl Chemsi, avocat

Affaire entendue à Winnipeg (Manitoba),
le 24 mars 2009.
(Traduction de la CRTFP)

I. Grief individuel renvoyé à l’arbitrage

1  Deborah Kashuba, la fonctionnaire s’estimant lésée (la « fonctionnaire »), travaillait au Programme du travail, Ressources humaines et Développement des compétences Canada (l’ « employeur »), avant les incidents qui l’ont amenée à remettre sa lettre de démission, en mai 2007. La fonctionnaire a présenté un grief, daté du 22 juin 2007, dans lequel elle alléguait qu’avant de remettre sa démission, elle avait été rétrogradée et contrainte à démissionner. Elle qualifiait sa rétrogradation et sa démission de mesures disciplinaires déguisées qui n’étaient aucunement justifiées.

2 Le 29 janvier 2009, les avocats de la fonctionnaire ont adressé une demande à l’employeur afin d’obtenir un certain nombre de documents pour les aider à préparer la défense de la fonctionnaire. Pour l’essentiel, la demande était libellée comme suit :

[Traduction]

De plus, en prévision de la tenue de l’audience, je demande la production de divers documents. En voici la liste :

1)       Les évaluations du rendement de Mme Kashuba pour ses 10 dernières années d’emploi;

2)       Le dossier personnel de Mme Kashuba;

3)       Les descriptions de travail de tous les postes qui existaient dans la région du Manitoba et de la Saskatchewan, y compris les postes de tous les gestionnaires, dont ceux qui sont responsables de la lutte contre le racisme, des normes du travail et de la santé et de la sécurité au travail, immédiatement après la mise en œuvre du système de gestion de secteurs d’activité, et tous les changements qui leur ont été apportés;

4)       Les descriptions de travail de tous les postes qui existaient dans la région du Manitoba et de la Saskatchewan, y compris les postes de tous les gestionnaires, dont ceux qui sont responsables de la lutte contre le racisme, des normes du travail et de la santé et de la sécurité au travail, immédiatement avant la mise en œuvre du système de gestion de secteurs d’activité;

5)       L’organigramme de la région du Manitoba et de la Saskatchewan, immédiatement après la mise en œuvre du système de gestion de secteurs d’activité;

6)       L’organigramme de la région du Manitoba et de la Saskatchewan, immédiatement avant la mise en œuvre du système de gestion de secteurs d’activité;

7)       Les notes de service, courriels, échanges de correspondance, politiques, directives et tout autre document ayant trait aux points suivants :

               a)  les directives données aux fins de la mise en œuvre de la structure de gestion de secteurs d’activité;

               b) la planification et l’organisation de la structure de gestion de secteurs d’activité dans la région du Manitoba et de la Saskatchewan;

               c)  la raison de la mise en œuvre de la structure de gestion de secteurs d’activité;

              e)   [Sic] le calendrier de mise en œuvre de la structure de gestion de secteurs d’activité;

              f)   les motifs pour lesquels Mme Kashuba et d’autres membres du personnel ont été affectés au poste qu’ils occupaient dans la structure de gestion de secteurs d’activité (en indiquant également les nominations qui résultent d’une décision de l’employeur et celles qui résultent d’une décision de l’employé);

8)    Les notes de services, courriels, échanges de correspondance, politiques, directives et tout autre document avisant les autres gestionnaires de leurs nouvelles fonctions à l’intérieur de la structure de gestion de secteurs d’activité ou abordant ce sujet;

9)     Les mêmes documents que ceux demandés aux paragraphes 3 à 8, mais pour toutes les régions qui font actuellement partie de la structure de gestion de secteurs d’activité ou qui en feront vraisemblablement partie dans les deux prochaines années.

Je sais également que Mme Kashuba avait présenté une demande d’accès à l’information, qui est toujours en suspens. Une copie en est annexée à la présente pour votre information. Je vous saurais gré de produire également tous les documents qui y sont demandés.

3      À l’ouverture de l’audience, le 24 mars 2009, les avocats de la fonctionnaire ont indiqué qu’ils voulaient présenter des arguments à propos du caractère adéquat de la réponse de l’employeur à cette demande et pour obtenir une ordonnance en vertu de l’alinéa 226(1)e) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique enjoignant à l’employeur de produire des documents supplémentaires. La présente décision porte essentiellement sur les arguments des parties et la décision que j’ai rendue sur cette question préliminaire.

II Résumé de l’argumentation

A. Pour la fonctionnaire

4      Les avocats de la fonctionnaire ont tracé les grandes lignes de la preuve qu’ils entendaient produire, pour le compte de la fonctionnaire, sur le fond de l’affaire. La fonctionnaire était employée par l’employeur depuis un certain nombre d’années et occupait depuis 1999 le poste de gestionnaire, Opérations du travail; à ce titre, elle dirigeait jusqu’à 28 personnes et était responsable des normes du travail et de la prévention des incendies. Environ deux ans avant son départ, elle a commencé à être l’objet de plaintes de harcèlement. Une enquête a été instituée, qui a duré presque deux ans. Pendant ce temps-là, la fonctionnaire s’est acquittée de ses fonctions à son domicile, à la demande de l’employeur. L’enquête a finalement révélé que les plaintes étaient sans fondement, ce qui fait que la fonctionnaire a réintégré les locaux de l’employeur en février 2007. C’est alors que sa superviseure, Diane Kocela, l’a informée qu’on avait décidé de lui attribuer de nouvelles tâches, dont la gestion d’un projet de « lutte contre le racisme » et que son effectif se limiterait à deux personnes. La fonctionnaire en a conclu qu’elle avait été rétrogradée. Après de vains efforts pour ravoir son ancien poste, elle a décidé de remettre sa démission.

5      En réponse à l’allégation de la fonctionnaire selon laquelle la réaffectation constituait une rétrogradation et, essentiellement, une mesure disciplinaire déguisée, l’employeur a expliqué que la décision s’inscrivait dans le cadre d’un processus général de restructuration par suite de la mise en œuvre d’un « système de gestion de secteurs d’activité » à l’échelle nationale. Les avocats de la fonctionnaire ont toutefois déclaré qu’ils entendaient démontrer que la fonctionnaire n’avait pas été traitée comme les autres durant la mise en œuvre de nouveau système et faire ainsi la preuve qu’il s’agissait bel et bien d’une mesure disciplinaire déguisée. Étant donné que la charge d’établir que la restructuration a servi de prétexte pour imposer une mesure disciplinaire est particulièrement lourde pour la fonctionnaire, il faut s’assurer qu’elle a accès à tous les documents demandés.

6      À propos des premiers documents demandés, c’est-à-dire les évaluations du rendement de la fonctionnaire, les avocats ont indiqué qu’ils en avaient reçu 3 sur 10, soit celles pour les années 2000, 2001 et 2004, et ont renouvelé leur demande pour obtenir les 7 autres.

7      Les avocats disent qu’ils ont reçu les documents demandés aux paragraphes 2, 3, 4, 5 et 6 de la lettre adressée à l’employeur. Pour ce qui est des demandes formulées aux paragraphes 7 et 8, les avocats ont admis qu’ils avaient reçu un certain nombre de documents portant sur le contexte de la mise en œuvre du système de gestion de secteurs d’activité et de la décision d’attribuer un autre poste à la fonctionnaire, mais ils soupçonnaient qu’il en manquait. Ils ont attiré l’attention sur plusieurs courriels qui semblaient renvoyer à d’autres messages qui ne figuraient pas parmi les documents reçus. Ils ont admis que leur demande était libellée de façon très générale, mais ils estimaient malgré tout que les documents demandés avaient tous rapport à la cause de la fonctionnaire et qu’il était important de faire toute la lumière sur les circonstances de sa réaffectation.

8      Les avocats ont déclaré qu’il était évident que les principaux décisionnaires, dans le cas de la fonctionnaire, étaient Mme Kocela, Fulvio Fracassi, Marilyn Dingwall, Margaret Sebescen et M. McKennery; ils m’ont ensuite demandé d’enjoindre à l’employeur de produire tous les documents ayant trait aux décisions qu’ils avaient prises concernant la réaffectation de la fonctionnaire ou la mise en œuvre du système de gestion de secteurs d’activité.

9      Les avocats ont également indiqué qu’ils n’avaient reçu aucun des documents demandés concernant la manière dont la décision avait été prise d’attribuer à d’autres personnes les postes de gestionnaire des opérations responsable des normes du travail et de la santé et de la sécurité au travail.

10    Pour ce qui est de la demande contenue au paragraphe 9, les avocats ont déclaré qu’il était important de savoir comment le système de gestion de secteurs d’activité avait été mis en place dans les autres régions afin de déterminer si la fonctionnaire avait été traitée différemment eu égard aux décisions qui avaient été prises à l’échelle nationale. Ils trouvaient plus particulièrement important de savoir s’il existait des postes axés sur la « lutte contre le racisme » dans d’autres régions, et comment leurs titulaires y avaient été nommés. L’un des indices qu’on est en présence d’une mesure disciplinaire déguisée, selon la jurisprudence, est que l’employeur a dérogé à la politique établie dans le cas de l’employé en cause; les avocats m’ont renvoyée à la décision rendue par la Commission des relations de travail dans la fonction publique dans Matthews et le Service canadien du renseignement de sécurité, dossier de la CRTFP 166-20-27336 (19970305), sur ce point.

11    La demande d’accès à l’information (AI) à laquelle les avocats font allusion dans leur lettre à l’employeur se rapporte à l’enquête sur la plainte de harcèlement, qui a été effectuée par un entrepreneur indépendant. Elle visait à obtenir des copies des notes de l’enquêteur, de même que de tout rapport qu’il avait remis à l’employeur. La demande a été rejetée à l’issue du processus d’AI et la décision a été portée en appel devant le Commissariat à l’information du Canada. Les avocats de la fonctionnaire m’ont renvoyée à Synowski c. Conseil du Trésor (ministère de la Santé), 2007 CRTFP 6, où l’arbitre de grief a conclu que, même s’il y avait une demande d’accès à l’information en attente, rien n’empêchait l’arbitre de grief qui instruit un grief sous le régime de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique d’ordonner la production d’un document – dans ce cas-là, un rapport d’enquête sur une plainte de harcèlement — qui est déjà visé par la demande d’AI; dans Synowski, l’arbitre de grief a indiqué que sa décision n’empêchait pas l’employeur de s’opposer à l’admissibilité de la preuve dans le cadre d’autres procédures.

B. Pour l’employeur

12    L’avocat de l’employeur a décrit les grandes lignes de la réponse de l’employeur au grief. Depuis 2005, l’employeur était engagé dans une vaste restructuration de ses activités à l’échelle nationale afin d’instaurer le système de gestion de secteurs d’activité. Tout avait commencé par un projet pilote dans la région du Pacifique. C’est dans ce contexte que les plaintes de harcèlement contre la fonctionnaire s’étaient mises à affluer. La fonctionnaire a travaillé chez elle pendant 22 mois environ, soit le temps nécessaire pour faire enquête sur les plaintes et pour analyser les conclusions de l’entrepreneur. Quand les plaintes se sont révélées être sans fondement, le directeur général, M. Fracassi, et la directrice régionale, Mme Kocela, ont immédiatement décidé de ramener la fonctionnaire dans les locaux de l’employeur. Le problème c’est que la structure de gestion avait déjà subi quelques transformations et qu’il n’était plus possible de reproduire une situation identique à celle que la fonctionnaire avait quittée. Au lieu d’être des « généralistes », les gestionnaires étaient censés avoir chacun une sphère de responsabilité restreinte. Le poste de gestionnaire des opérations avait été scindé en trois; il y avait désormais un responsable des normes de travail, un responsable de la santé et de la sécurité au travail et un responsable de l’équité en milieu de travail. On décida que c’était le poste de responsable de gestionnaire de l’équité en milieu de travail, qui comportait la gestion d’un projet de « lutte de contre le racisme » et d’autres initiatives, qui convenait le mieux à la fonctionnaire. Le titulaire du poste, comme le montrent les organigrammes, dirige un effectif d’au plus sept employés.

13    L’employeur avance que le grief est basé sur une interprétation erronée de ce en quoi consiste une redistribution légitime de fonctions. L’avocat de l’employeur a indiqué qu’il entendait faire valoir, le moment venu, que l’arbitre de grief n’avait pas compétence pour instruire le grief.

14    L’avocat de l’employeur a déclaré que l’employeur avait fait de réels efforts pour répondre à la demande de production de documents, même s’il en contestait certains aspects. À propos des évaluations du rendement demandées au paragraphe 1, l’avocat a affirmé que l’employeur n’en avait trouvé que trois. Quoi qu’il en soit, la raison qui fait que l’employeur reçoit l’ordre de produire des documents c’est qu’il est le seul à avoir accès à des documents dont l’employé peut avoir besoin pour présenter sa preuve. Cette justification ne s’applique pas ici car la fonctionnaire avait des copies de ces documents en sa possession.

15    À propos des documents demandés aux paragraphes 7 et 8, l’avocat de l’employeur a déclaré que la demande était libellée de façon beaucoup trop générale et constituait une recherche d’information à l’aveuglette. La déclaration contenue dans le grief de la fonctionnaire était très détaillée, ce qui donne à penser qu’elle avait sûrement une idée très précise du genre de documents qu’elle voulait obtenir. L’employeur a tenté de fournir des documents utiles et précis en réponse à la demande faite aux paragraphes 7 et 8; il ne voit pas d’objection à produire des documents précis, mais il ne peut pas tenter de répondre à la demande telle qu’elle est actuellement formulée.

16    L’avocat de l’employeur a aussi qualifié de « recherche d’information à l’aveuglette » la demande formulée au paragraphe 9, qui reprend celle du paragraphe précédent, mais pour toutes les autres régions. Il estime que c’est une demande déraisonnable. Quoi qu’il en soit, la mise en œuvre du système de gestion de secteurs d’activité s’est faite de façon un peu différente dans chaque région, si bien que tous les détails demandés à ce propos ne seraient pas d’une grande utilité pour apprécier la situation de la fonctionnaire. L’employeur s’est efforcé de produire des documents généraux qui ont été largement diffusés et qui décrivent le nouveau système, en plus d’expliquer les raisons de sa mise en œuvre. La fonctionnaire semble défendre la position que des employés dans d’autres régions ont été autorisés à choisir leur nouveau poste, or ce moyen de défense n’est basé sur aucune preuve concrète. Si la fonctionnaire est capable d’établir à première vue ce qu’elle avance, l’employeur se dit prêt à retirer son objection, mais autrement, l’employeur ne devrait pas être obligé de tenter de répondre à la demande.

17    Les résultats de l’enquête sur les plaintes de harcèlement sont résumés dans un document PowerPoint qui a été distribué à certains employés, dont la fonctionnaire. L’avocat de l’employeur a déclaré que c’est le seul rapport que l’employeur affirme avoir reçu de l’entrepreneur. Il a également déclaré que l’employeur avait tenté de savoir si les notes de l’entrepreneur étaient toujours disponibles; à ce propos, il a mis en preuve un courriel indiquant que la société contractante avait pour « politique » de détruire ces notes une fois que le rapport a été transmis au client.

C. Réfutation de la fonctionnaire

18    Les avocats de la fonctionnaire ont déclaré que si on avait déjà entrepris, en 2005, de mettre en œuvre certains aspects du nouveau système de gestion de secteurs d’activité dans la région de la Saskatchewan et du Manitoba, ce n’est toutefois qu’après le départ de la fonctionnaire que le système a véritablement été mis en place. C’est pourquoi il est important de faire la chronologie de la mise en œuvre du nouveau système au regard des événements qui sont survenus dans la vie professionnelle de la fonctionnaire. À première vue, les changements qui la touchent personnellement — sa nomination à un poste pour lequel elle ne possédait pas d’expérience, ou si peu, par exemple — donnent à penser qu’elle n’a pas été traitée comme les autres.

19    Les avocats de la fonctionnaire ont admis que les demandes contenues aux paragraphes 7, 8 et 9 étaient formulées de façon très générale pour ce qui est du type de documents demandés, mais ils ont fait valoir que l’objet avait été circonscrit avec soin, de manière à cibler les documents qui se rapportaient expressément à la fonctionnaire ou qui contenaient des renseignements permettant de savoir comment elle avait été traitée par rapport à d’autres dans le contexte de la restructuration opérationnelle.

20    En ce qui concerne les documents relatifs à l’enquête sur les plaintes de harcèlement, les avocats de la fonctionnaire ont observé que la réponse de l’entrepreneur indiquait seulement que la société avait pour « politique » de détruire les notes, mais ne précisait pas que les notes avaient été détruites. Sachant que la fonctionnaire avait expressément demandé à l’entrepreneur de ne pas détruire ses notes, les avocats ont demandé à ce que l’employeur poursuive ses efforts pour les obtenir. Ils ont aussi mis en doute la déclaration de l’employeur selon laquelle l’entrepreneur avait seulement remis un document PowerPoint; là encore, ils ont renouvelé leur demande pour obtenir une copie du rapport intégral.

III Motifs

21    Les avocats des deux parties ont admis devant moi que j’avais le pouvoir de statuer sur une demande telle que celle de la fonctionnaire et de déterminer si je devais ordonner à l’employeur de produire des documents supplémentaires. Comme l’avocat de l’employeur l’a signifié, l’idée de départ est de s’assurer que, dans le cas courant où l’employeur a la possession exclusive des documents relatifs aux questions ayant trait aux ressources humaines, l’employé qui veut contester ses décisions ne se trouve pas dans une situation de faiblesse. Pour reprendre les propos de l’avocat de l’employeur, je dois toutefois me garder d’utiliser les pouvoirs qui me sont conférés ici pour autoriser des personnes qui se trouvent dans la même situation que la fonctionnaire à obtenir des documents pour des motifs purement hypothétiques ou pour voir ce qu’il pourrait en ressortir. Il appartient à la fonctionnaire d’établir à ma satisfaction que la décision de l’employeur de lui attribuer un autre poste était une mesure punitive qui découlait d’accusations de harcèlement jugées sans fondement plutôt qu’une mesure légitime qui s’inscrivait dans le cadre d’une restructuration opérationnelle. Il faut donc que ses prétentions soient basées sur quelque chose de passablement explicite; la fonctionnaire ne peut pas se fonder sur l’information qui pourrait être mise au jour si l’employeur est contraint de produire le contenu de ses classeurs ou de ses ordinateurs.

22    En ce qui concerne la première demande, c’est-à-dire la production des évaluations de rendement de la fonctionnaire, l’employeur affirme que les recherches qu’il a effectuées avec toute la bonne foi nécessaire n’ont produit que 3 des 10 évaluations demandées. Sur ce point, je suis disposée à accepter que l’employeur a fait des efforts diligents pour trouver les évaluations manquantes; c’est pourquoi je ne rendrai pas d’ordonnance à propos de cette demande.

23    Pour ce qui est des demandes formulées aux paragraphes 7 et 8, c’est-à-dire les demandes visant à obtenir une variété de documents se rapportant à la mise en œuvre du système de gestion de secteurs d’activité au bureau de Winnipeg et au processus de redistribution des fonctions dans le cadre de la restructuration. Les avocats de la fonctionnaire ont déclaré qu’ils avaient reçu des documents en réponse à ces demandes, mais qu’ils croyaient qu’il en manquait.

24    À certains égards, l’employeur fait valoir des arguments raisonnables à propos de la portée des demandes contenues aux paragraphes 7 et 8, qui visent à obtenir une variété de documents sur cinq points particuliers. Par exemple, je conviens que demander la production de tous les documents ayant trait à « la planification et [à] l’organisation de la structure de gestion de secteurs d’activité dans la région du Manitoba et de la Saskatchewan », c’est bien trop vague. Je ne crois pas non plus que la difficulté d’établir un exposé des faits cohérent à partir des documents que la fonctionnaire a reçus justifie que je rende une ordonnance aussi générale que celle qui m’est demandée.

25    Dans un autre ordre d’idées, les avocats de la fonctionnaire ont identifié plusieurs des principaux décisionnaires, en l’occurrence M. McKennery, Mme Kocela, M. Fracassi, Mme Dingwall et Mme Sebescen. Ils ont également fait allusion au fait que les documents qu’ils avaient reçus à propos de la décision d’attribuer les postes de gestionnaire des opérations responsable des normes de travail et de la santé et de la sécurité au travail à d’autres employés n’étaient pas complets. Je conviens avec eux que, sans l’information manquante, il est difficile d’établir si la fonctionnaire a été traitée différemment des autres.

26    J’ordonnerai donc à l’employeur de faire des efforts diligents pour localiser et produire tout document émanant des personnes nommément désignées ou adressé à l’une ou l’autre d’entre elles qui se rapporte aux décisions à propos de la restructuration qui ont eu une incidence directe sur la situation de la fonctionnaire. J’ordonnerai également à l’employeur de faire des efforts diligents pour localiser et produire tout document se rapportant à la décision de réaffecter les deux employés qui occupaient les deux autres postes de gestionnaire des opérations. Précisons ici que mon but, en rendant ces ordonnances, n’est pas d’empêcher la fonctionnaire de demander la production de documents particuliers dont l’existence serait mise au jour durant l’audience.

27    En ce qui concerne la demande formulée au paragraphe 9, je conviens avec l’employeur que c’est un bon exemple de recherche d’information à l’aveuglette. J’estime qu’obliger l’employeur à produire tous les documents, aussi banals qu’ils soient, qui ont quelque rapport à la mise en œuvre du nouveau système de gestion dans toutes les régions du Canada, serait un fardeau trop lourd, qui serait sans commune mesure avec les assurances que pourraient actuellement me donner la fonctionnaire quant au résultat attendu. L’employeur a fourni un certain nombre de documents qui décrivent les principaux aspects du système de gestion de secteurs d’activité en place dans toutes les régions et cela me semble raisonnable. J’ordonnerai à l’employeur de faire des efforts diligents pour s’assurer que tous les documents de ce genre ont été produits. L’ordonnance s’appliquera également à toute politique ou avis qui a été distribué aux gestionnaires dans chaque région.

28    Pour en venir aux documents faisant l’objet de la demande d’AI, l’avocat de l’employeur a déclaré que l’entrepreneur n’avait pas fourni autre chose que le document PowerPoint auquel la fonctionnaire avait déjà accès. Rien n’empêche évidemment la fonctionnaire de poursuivre son investigation sur ce point à l’audience, mais pour ma part, j’estime qu’il n’y a pas de raison, à ce stade-ci, de ne pas croire l’employeur sur parole. Je ne rendrai donc pas d’ordonnance à propos du rapport.

29    En ce qui concerne les notes de l’enquêteur, les avocats de la fonctionnaire continuent de penser qu’elles pourraient ne pas avoir été détruites, en dépit du courriel de l’entrepreneur indiquant que la société a généralement pour politique de détruire ces notes une fois que le rapport a été remis au client. Je rendrai donc une ordonnance enjoignant à Nabil Oudeh, l’entrepreneur, soit de donner l’assurance que les notes ont été détruites, soit de les produire.

30    Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

IV. Ordonnance

31    J’ordonne à l’employeur de faire des efforts diligents pour localiser et produire les notes de service, courriels, échanges de correspondance, politiques, directives ou autres documents émanant de M. Fracassi, Mme Kocela, M. McKennery, Mme Sebescen ou Mme Dingwall ou adressés à l’un ou l’autre d’entre eux qui se rapportent aux aspects de la restructuration qui ont eu ou qui pourraient vraisemblablement avoir eu une incidence directe sur la situation de la fonctionnaire. Plus particulièrement, l’employeur doit localiser et produire tout document ayant trait à la nomination d’autres employés aux deux postes de gestionnaire des opérations qui n’ont pas été attribués à la fonctionnaire.

32    J’ordonne à l’employeur de faire des efforts diligents pour s’assurer que la fonctionnaire a reçu tous les documents généraux ayant trait à la planification et à la mise en œuvre du système de gestion de secteurs d’activité dans chacune des régions et tout avis ou politique qui a été distribué aux gestionnaires dans chaque région et qui traite de questions qui ont rapport au grief.

33    J’ordonne à l’employeur de produire les documents indiqués aux paragraphes 31 et 32 dans les 60 jours suivant la date de la présente ordonnance.

34    J’ordonne à M. Oudeh, de CCR International, de produire,dans les 60 jours suivant la date de la présente ordonnance, les notes de l’enquête sur les plaintes contre la fonctionnaire ou, si elles n’existent plus, une déclaration attestant qu’elles ont été détruites. Une copie de la présente décision doit être envoyée à M. Oudeh à l’adresse suivante : ccrinternational.com.

Le 20 avril 2009.

Traduction de la CRTFP

Beth Bilson,
arbitre de grief

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