Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La DPILE est une directive du CNM ayant été intégrée aux conventions collectives négociées entre l’Alliance de la Fonction publique du Canada et le Conseil du Trésor (CT) - les fonctionnaires s’estimant lésés contestaient l’avis écrit de l’employeur les informant que les postes de Whitehorse (Yukon) ne seraient plus admissibles à une indemnité de vie chère (IVC) - ils alléguaient qu’il y avait eu une représentation ou une application erronée de la DPILE étant donné que Statistique Canada avait avisé le CNM du caractère douteux des résultats de l’enquête ayant mené à la décision de soustraire Whitehorse de l’application de la DPILE - le CT a soulevé une objection préliminaire concernant la compétence d’un arbitre de grief à instruire le grief collectif, alléguant que celui-ci ne portait pas sur l’interprétation ou l’application de la DPILE - l’employeur a appliqué la DPILE en conformité avec ses modalités expresses - la question en l’espèce ne concernait pas la conduite de l’employeur mais bien la décision du CNM d’accepter les résultats obtenus par Statistique Canada - on contestait le contenu de la DPILE - les fonctionnaires s’estimant lésés contestaient le processus décisionnel du CNM et le contenu de la DPILE - une telle question ne s’inscrivait pas dans la définition de <<grief>> contenue dans le Règlement du CNM - le cadre régissant la modification de la DPILE a été respecté - la réparation demandée par les fonctionnaires s’estimant lésés équivalait à une demande de modification de la convention collective, ce qui enfreindrait l’interdiction prévue à l’article229 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique. Grief rejeté.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2009-03-02
  • Dossier:  567-02-10
  • Référence:  2009 CRTFP 25

Devant un arbitre de grief


ENTRE

CATHERINE ANTAYA ET AL.

fonctionnaires s’estimant lésés

et

CONSEIL DU TRÉSOR
(ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences)

employeur

Répertorié
Antaya et al. c. Conseil du Trésor (ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences)

Affaire concernant un grief collectif renvoyé à l’arbitrage

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Marie-Josée Bédard, arbitre de grief

Pour l'agent négociateur:
Bijon Roy, avocat

Pour l'employeur:
Martin Desmeules, avocat

Décision rendue sur la base d’arguments écrits
déposés le 29 août, les 5 et 10 septembre, les 23 et
30 octobre et le 22 décembre 2008, ainsi que les
19 et 26 janvier 2009.
(Traduction de la CRTFP)

I. Renvoi d’un grief collectif à l’arbitrage

1 Le présent grief collectif a été déposé par l’Alliance de la Fonction publique du Canada (l’« agent négociateur »), pour le compte de Catherine Antaya, Eileen Bachmier, Monica Bassett, Glenda Burt, Ann Doumont, Darlene Easton, Sue Gill, Todd Harlow, Anne Hill, Dana Jilson, Eileen Kaye, Judith Meister, Jean Metropolit, Adele Mole, Michael Nugent, Robyn Findlater, Gary Rung, Anton Solomon, Lesley Stern, Erin Troberg, Aura Vivas, Michelle Wagner et Lorna Willems (les « fonctionnaires s’estimant lésés»), qui sont membres des unités de négociation suivantes : le groupe Services des programmes et de l’administration, le groupe Services de l’exploitation, le groupe Services techniques et le groupe Enseignement et bibliothéconomie.

2 Le grief porte sur la Directive sur les postes isolés et les logements de l’État (« la DPILE ») du Conseil national mixte (CNM), qui fait partie des conventions collectives qui s’appliquent à chacune des unités de négociation susmentionnées. Comme les fonctionnaires s’étant lésés ont fourni seulement un passage de la convention collective du groupe Services des programmes et de l’administration conclue entre l’Alliance de la Fonction publique du Canada et le Conseil du Trésor (date d’expiration : 20 juin 2007; la « convention collective ») et qu’ils ont indiqué que les autres conventions collectives contenaient le même libellé, je citerai seulement cette convention collective afin de limiter la longueur de la présente décision.

3 Le grief, qui a été renvoyé au dernier palier de la procédure de règlement des griefs le 21 septembre 2005, est libellé comme suit :

[Traduction]

[…]

Il s’agit d’un grief soumis au CNM. Je conteste l’avis écrit reçu le 25 août 2005 et m’informant qu’à compter du 1er août 2005, les fonctionnaires travaillant à Whitehorse (Yukon) n’ont plus droit à une indemnité de vie chère (IVC) aux termes de la Directive sur les postes isolés et les logements de l’État. Je m’estime également lésé par une fausse interprétation ou l’application injustifiée de la DPILE du fait que Statistique Canada a indiqué au CNM qu’il avait des réserves à propos des résultats de l’enquête sur lesquels cette décision est basée. J’estime que le processus appliqué est déficient et que la décision qui en découle est injuste et déraisonnable, d’autant plus que ce processus est en cours de révision. Prière de consulter mon représentant de l’AFPC à propos de ce grief.

[…]

Je demande que l’avis écrit susmentionné soit annulé et que toutes les copies en soient détruites; je veux être indemnisé pour les pertes subies au chapitre de la rémunération et des avantages et je veux qu’une mesure corrective intégrale me soit accordée.

[…]

[Le passage souligné l’est dans l’original]

4 Le 25 octobre 2006, le Comité exécutif du CNM, qui constitue le dernier palier de la procédure de règlement des griefs, a rejeté le grief au fond, mais il a accepté d’atténuer l’impact financier de la suppression de l’indemnité de vie chère (IVC) en étalant son élimination sur une période de 22 mois.

[Traduction]

Le Comité exécutif décide que les intéressés ont été traités conformément à l'esprit de la directive, puisque les IVC versées aux fonctionnaires affectés dans des postes isolés au Yukon ont été établies conformément à la méthode acceptée, comme le veut le paragraphe 1.9 de la Directive.

Le Comité reconnaît que le rôle de Statistique Canada dans le processus d'application de la Directive sur les postes isolés et les logements de l’État (DPILE) est celui d'un organisme contractuel dont les services sont retenus pour recueillir, analyser et présenter les données requises afin d'appliquer la méthode définie dans le guide des taux et des indemnités du CNM. Le Comité des postes isolés et des logements de l'État (CPILE), composé de représentants des syndicats et de l'employeur, a accepté la méthode décrite dans la directive, et c'est l'organisme responsable de l'examen des résultats des enquêtes et de l'approbation des modifications de la DPILE. À la suite de l'enquête effectuée en septembre 2004 au Yukon et en Colombie-Britannique, les résultats et les modifications ont été approuvés par consensus par les membres du CPILE.

Lors d'une réunion tenue le 16 novembre 2005, le Comité exécutif a souscrit à la recommandation du CPILE voulant que l'impact financier de la suppression de l'IVC soit atténué en étalant son élimination sur une période de 22 mois, conformément à une procédure déjà prévue dans la Directive en cas de réduction de l'indemnité d'environnement […]

[…]

5 Le 18 janvier 2007, l’agent négociateur a déposé un avis de renvoi du grief collectif devant la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la « Commission »).

6 Le 1er juin 2007, le Conseil du Trésor (l’« employeur ») a avisé la Commission qu’il contestait la compétence de l’arbitre de grief de se saisir de ce grief collectif, au motif que le grief ne portait pas sur l’interprétation ou l’application de la DPILE.

7 Le 13 août 2008, la Commission a invité les parties à lui présenter leurs arguments écrits sur la question de sa compétence. L’employeur a soumis ses arguments le 29 août 2008. Les fonctionnaires s’estimant lésés ont soumis les leurs le 5 septembre 2008. L’employeur a présenté sa réfutation le 10 septembre 2008. Le 23 octobre 2008, la Commission a demandé aux fonctionnaires s’estimant lésés de clarifier leur position sur un point particulier, ce qu’ils ont fait le 30 octobre 2008. L’employeur a soumis ses observations sur les précisions fournies par l’agent négociateur le 6 novembre 2008.

8 Après avoir pris connaissance des observations écrites, la Commission a informé les parties, le 28 novembre 2008, qu’elle prenait l’objection de l’employeur en délibéré. En ce qui concerne le fond du grief, la Commission a demandé aux parties d’exposer leurs positions respectives sur deux questions particulières. Les fonctionnaires s’estimant lésés se sont exécutés le 22 décembre 2008, et l’employeur, le 19 janvier 2009. Les fonctionnaires s’estimant lésés ont présenté leur réfutation le 26 janvier 2009.

9 Pour que les arguments des parties et les motifs de la présente décision soient plus faciles à comprendre, je reproduis ci-après les dispositions pertinentes de la convention collective, du Règlement du CNM et de la DPILE, avant de résumer les arguments de chaque partie.

10 Les conventions collectives contiennent les dispositions suivantes :

[…]

7.03

a) Les directives suivantes, qui peuvent être modifiées de temps à autre par suite d'une recommandation du Conseil national mixte et qui ont été approuvées par le Conseil du Trésor du Canada, font partie de la présente convention :

[…]

Directive sur les postes isolés et les logements de l'État

[…]

18.01 En cas de fausse interprétation ou d'application injustifiée présumée découlant des ententes conclues par le Conseil national mixte (CNM) de la fonction publique sur les sujets qui peuvent figurer dans une convention collective et que les parties à la présente convention ont ratifiées, la procédure de règlement des griefs sera appliquée conformément à l'article 14 des règlements du CNM.

[…]

11 Le Règlement du CNM contient les dispositions pertinentes suivantes :

[…]

15.1.2 Tous les griefs définis en vertu de la LRTFP et présentés en vertu de la présente procédure de règlement des griefs sont tranchés en conformité avec l'esprit de la directive ou de la politique ayant donné lieu au litige.

15.1.3 Le fonctionnaire qui s'estime lésé par l'interprétation ou l'application, de la part de l'employeur, de toute directive ou politique qui a été acceptée par le Conseil et qui a été approuvée par l'organisme exécutif compétent du gouvernement, a le droit de présenter un grief.

[…]

15.1.17 Lorsque le fonctionnaire a présenté un grief jusqu'au dernier palier de la procédure de redressement inclusivement et que ce grief n'a pas été réglé à sa satisfaction, ou que l'ALM ne lui a pas communiqué sa décision dans les 30 jours de la date de la lettre du secrétaire général, le fonctionnaire peut, avec le consentement de son agent négociateur, renvoyer le grief à l'arbitrage conformément aux dispositions de la LRTFP, si le grief a trait à une directive ou à une politique qui est jugée comme faisant dûment l'objet d'une disposition de la convention collective du fonctionnaire s'estimant lésé, conformément au protocole d'entente.

[…]

12 Enfin, la DPILE contient les dispositions suivantes :

[passage tiré de la page couverture de la directive]

La Directive sur les postes isolés et les logements de l’État a été élaborée de concert avec les représentants de l'employeur et des agents négociateurs membres du Conseil national mixte. Ses dispositions font partie des conventions collectives des parties concernées en vertu du Règlement du Conseil national mixte […]

[…]

Généralités

Convention collective

La présente directive est considérée comme faisant partie intégrante des conventions collectives conclues entre les parties représentées au sein du Conseil national mixte (CNM), et les fonctionnaires doivent pouvoir la consulter facilement.

[…]

Objet et portée

La présente directive vise à faciliter le recrutement et la rétention du personnel chargé d'exécuter les programmes gouvernementaux dans des localités isolées et à s'assurer que les fonctionnaires occupant des logements de l'État bénéficient d'un traitement équivalent à celui des locataires de logements semblables appartenant à des particuliers ou à des entreprises commerciales.

[…]

Responsabilité

Le Secrétariat du Conseil du Trésor révisera de temps à autres [sic] des parties pertinentes de la présente directive au besoin, à la recommandation du Conseil national mixte; il avisera les ministères et fera en sorte que les fonctionnaires soient informés, par écrit, de tout changement qui pourrait les concerner. Le Secrétariat du Conseil du Trésor donnera en outre des avis aux ministères concernant la présente directive et surveillera l'interprétation et l'application qu'ils font de celle-ci.

Statistique Canada effectuera des recherches et des enquêtes concernant l'indemnité de combustible et de services publics et l'indemnité de vie chère et vérifiera les niveaux de l'indemnité d'environnement aux cours de ses visites d'enquête; il en communique ensuite les résultats au Secrétariat du Conseil du Trésor.

[…]

Indemnités

Pour avoir droit à l'appellation de poste isolé, une localité doit satisfaire aux critères énoncés à la Partie V donnant droit à une indemnité d'environnement. L'admissibilité à cette indemnité est une condition préalable à toutes les autres indemnités et, sous réserve du paragraphe 1.15.2, aux autres prestations prévues aux termes de la présente directive, sauf l'indemnité de localité spéciale.

[…]

Une indemnité de vie chère est versée au fonctionnaire affecté à un poste isolé où le prix de la nourriture et des autres biens et services est excessivement élevé par comparaison à la localité reconnue comme source principale d'approvisionnement, dans le but de l'aider à faire face à ces prix excessifs.

[…]

Le montant de cette indemnité est fonction des écarts de prix, mesurés par Statistique Canada, entre le poste isolé et sa principale source d'approvisionnement.

[…]

1.9 Indemnité de vie chère

1.9.1 Le fonctionnaire qui n'est pas visé par l'article 1.18 (Repas ou vivres) touche une indemnité de vie chère au taux établi à l'Appendice C, selon la classification de vie chère de son lieu d'affectation établie à l'Appendice A […]

[…]

5.1 Désignation des postes isolés

5.1.1 Les endroits énumérés à l'Appendice A sont désignés postes isolés.

5.1.2 Les postes isolés reçoivent les classifications d'environnement, de vie chère ainsi que de combustible et de services publics qui figurent à l'Appendice A.

[…]

5.8.1 Le Secrétariat du Conseil du Trésor peut, dans le cas d'un endroit mentionné aux Appendices A, F ou G, établir, modifier ou révoquer toute classification concernant cet endroit, en se fondant sur les critères établis.

[…]

13 L’Appendice H de la DPILE, qui décrit les critères servant à déterminer les niveaux de l’IVC, dit ceci :

L'indemnité de vie chère peut être autorisée à certains postes isolés où la nourriture, la tenue d'une maison, les transports, les soins personnels, le tabac et les boissons alcoolisées coûtent excessivement cher. L'indemnité de vie chère entre en vigueur lorsque le prix de ces biens et services, mesuré par Statistique Canada, atteint un indice égal ou supérieur à 115 par rapport à un indice de 100 à la principale source d'approvisionnement du poste isolé. Lorsque la région dispose de plus d'une source d'approvisionnement, la comparaison des prix se fera par rapport à la ville de référence de la majorité des postes de la région.

[…]

14 L’Appendice H établit également divers niveaux d’IVC (classifications) qui correspondent à diverses fourchettes d’écarts entre les indices des prix.

15 À l’Appendice A, en date du 15 juillet 2005, de la DPILE, on peut voir qu’il n’y a pas de classification d’IVC pour Whitehorse, car la localité ne satisfait plus aux critères applicables.

II. Résumé de l’argumentation

A. Contestation du pouvoir de l’arbitre de grief de se saisir du grief

1. Pour l’employeur

16 L’argumentation de l’employeur est reproduite ci-après :

[Traduction]

  1. La Directive sur les postes isolés et les logements de l’État (DPILE) fait partie intégrante de la convention collective applicable.

    La clause 7.03 de la convention collective […]
  2. Les directives qui font partie intégrante de la convention collective sont « modifiées de temps à autre par […] [le] Conseil national mixte (CNM) ».

    La clause 7.03 de la convention collective […]
  3. Par suite d’une modification à la DPILE apportée par le CNM, les fonctionnaires de Whitehorse n’ont plus droit à une « indemnité de vie chère ».

    DPILE, Appendice A, Classification des postes isolés […]
  4. Le grief collectif vise essentiellement à modifier le contenu de la convention collective.
  5. Le libellé actuel de la convention collective ne prévoit pas le paiement d’une « indemnité de vie chère » aux fonctionnaires de Whitehorse.
  6. Le rôle de la Commission est d’interpréter et d’appliquer le libellé actuel de la convention collective.
  7. Dans ce cas-ci, le grief ne porte pas sur l’interprétation ou l’application de la convention collective.
  8. La DPILE fait partie intégrante de la convention collective; sauf si des modifications y sont apportées, les fonctionnaires de Whitehorse n’ont pas droit à une « indemnité de vie chère ».
  9. La Commission n’est pas compétente pour rendre une ordonnance qui aurait pour effet de modifier la convention collective, directement ou indirectement.

2. Pour l’agent négociateur

17 Les fonctionnaires s’estimant lésés avancent que le grief porte sur l’interprétation ou l’application de la DPILE et qu’il est du ressort de l’arbitre de grief en vertu de la Loi.

18 L’argumentation des fonctionnaires s’estimant lésés est reproduite ci-après :

[Traduction]

[…]

Il s’agit plus particulièrement d’un grief formulé par des membres des unités de négociation susmentionnées travaillant à Whitehorse au Yukon, qui ont été avisés par une lettre en date du 25 août 2005 qu’ils n’avaient plus droit à une indemnité de vie chère (« IVC ») aux termes de la DPILE. Les fonctionnaires s’estiment lésés par une fausse interprétation ou une application injustifiée de la DPILE, en raison des nombreuses lacunes de l’enquête et de l’analyse effectuées par Statistique Canada sur lesquelles la décision est basée.

[…]

Il est important de préciser qu’au paragraphe 15.1.2 [du Règlement du CNM], il est indiqué que les griefs déposés au CNM sont tranchés en conformité avec l’esprit de la directive ou de la politique ayant donné lieu au litige […]

[…]

La procédure de règlement des griefs établie par les clauses 18.01 et 37.01 des conventions collectives applicables et le Règlement du CNM autorise sans contredit la Commission à trancher les griefs portant sur une fausse interprétation ou l’application injustifiée des politiques et directives du CNM, dont la DPILE.

Contrairement à ce que prétend l’employeur, et comme il est indiqué dans le grief, la question soulevée par les fonctionnaires s’estimant lésés porte sans contredit sur l’interprétation ou l’application de la convention collective, en l’occurrence la DPILE. En présentant ce grief, les fonctionnaires s’estimant lésés ne cherchent pas à modifier le contenu de la directive (ou tout autre aspect de la convention collective). Ils tentent plutôt de démontrer que la décision du CNM de supprimer l’IVC pour les fonctionnaires de Whitehorse est la conséquence de l’application injustifiée de la méthode décrite dans la directive, un résultat qui va indéniablement à l’encontre de l’objet et de l’esprit de la DPILE.

Il est indiqué dans la DPILE que Statistique Canada doit effectuer des recherches et des enquêtes concernant l’IVC et en communiquer les résultats au Conseil du Trésor. Il est aussi expressément indiqué que c’est le Conseil du Trésor qui a le pouvoir de réviser la directive, à la recommandation du Conseil national mixte. Ainsi, les indemnités de vie chère prévues à l’Appendice A de la DPILE sont établies conformément à la méthode décrite dans la directive. Dans ce cas-ci, les fonctionnaires s’estimant lésés allèguent que les hypothèses, la méthode et les analyses utilisées par Statistique Canada étaient si mal fondées que les modifications qui ont été apportées aux IVC en se basant sur ces recherches constituaient une application injustifiée du pouvoir du Conseil du Trésor de réviser la directive sans en trahir l’objet et l’esprit.

[…]

[Je souligne]

19 La Commission a demandé aux fonctionnaires s’estimant lésés de clarifier leur position sur le point suivant :

[Traduction]

[…]

Les fonctionnaires s’estimant lésés allèguent­-ils que la convention collective et la DPILE autorisent le Conseil du Trésor à ne pas donner suite à la recommandation du CNM de modifier l’Appendice A de la DPILE, et que, dans ce cas-ci, le Conseil du Trésor n’aurait pas dû donner suite à la recommandation du CNM de modifier la DPILE?

[…]

20 La réponse des fonctionnaires s’estimant lésés est libellée comme suit :

[Traduction]

[…]

Les fonctionnaires s’estimant lésés ne défendent pas la position que la convention collective et la DPILE autorisent le Conseil à ne pas donner suite aux recommandations du CNM. Ils prétendent plutôt que les hypothèses, la méthode, les données et les analyses sur lesquelles le CNM s’est basé pour recommander au Conseil du Trésor de supprimer l’IVC pour les fonctionnaires de Whitehorse ne s’accordaient pas avec l’objet et l’esprit de la directive. De ce fait, l’utilisation de ces renseignements erronés constitue une violation de la convention collective.

Par souci de précision, les fonctionnaires s’estimant lésés décrivent, dans la partie précédente de leurs observations, le processus établi aux termes de la DPILE pour déterminer les indemnités de vie chère indiquées à l’Appendice A, c’est-à-dire que le Conseil du Trésor modifie les IVC sur la recommandation du CNM, qui prend sa décision en se basant sur les recherches et les enquêtes effectuées par Statistique Canada. Bref, les fonctionnaires s’estimant lésés ne contestent pas le processus décrit par la directive; ils se demandent plutôt si le CNM a appliqué ce processus correctement pour en arriver à sa recommandation concernant les IVC qui figurent actuellement à l’Appendice A de la directive.

Il est indiqué dans la directive que le montant de l’IVC qui s’applique à chaque localité est fonction des écarts de prix, mesurés par Statistique Canada. Les fonctionnaires s’estimant lésés allèguent dans leur grief que le CNM a basé sa recommandation de supprimer l’IVC à Whitehorse sur une analyse et des données statistiques qui étaient erronées et inadéquates aux fins de la prise d'une telle décision aux termes de la directive. Dans ces conditions, ils estiment que les IVC qui ont été établies en application de cette décision ne s’accordent pas avec l’objet et l’esprit de la directive, dont l’objectif est de faciliter le recrutement et la rétention des fonctionnaires chargés d’exécuter les programmes gouvernementaux dans des localités isolées, telles que Whitehorse, en leur versant une indemnité pour compenser le coût très élevé de la nourriture et des autres nécessités de la vie dans les postes isolés.

Il s’ensuit que les fonctionnaires s’estimant lésés sont d’avis que la Commission est compétente pour trancher le grief, car le CNM n’a pas appliqué correctement le processus défini dans la directive en appuyant sa recommandation de supprimer l’IVC pour Whitehorse à l’Appendice A de la directive sur des données erronées ou inadéquates de Statistique Canada à propos des écarts de prix.

[…]

21 Les fonctionnaires s’estimant lésés se sont reportés à la décision rendue dans Dubois c. Conseil du Trésor (Agence canadienne de développement international), 2004 CRTFP 91. Cette affaire portait sur le refus de l’employeur d’accorder un congé de maladie à la fonctionnaire s’estimant lésée, en violation des Directives sur le service extérieur du CNM, qui faisaient partie de la convention collective. Ces directives autorisaient l’employeur à accorder un congé de maladie dans les cas où Santé Canada déterminait que l’absence du fonctionnaire était causée par une maladie ou une blessure attribuable à la mission qui n’était pas endémique au Canada. Or,l’employeur avait rejeté la demande de congé de maladie de la fonctionnaire s’estimant lésée parce que Santé Canada avait déterminé que son absence n’était pas causée par une maladie attribuable à la mission. La fonctionnaire s’estimant lésée a inscrit un grief pour contester cette décision; l’employeur a défendu la position que l’arbitre de grief n’était pas compétent pour trancher le différend. L’avocat des fonctionnaires s’estimant lésés s'est référé au passage suivant de la décision Dubois :

[…]

[48] […] Je dois décider si cette décision de l'employeur a été effectuée dans le respect des clauses de la D.S.E. 47 et en conformité avec l'esprit de cette directive. Je dois aussi évaluer si Santé Canada a bien appliqué l'esprit de ses directives en rendant les deux décisions précitées. Je ne peux pas restreindre l'étude du grief à la seule question à savoir si l'employeur a donné suite correctement à la décision de Santé Canada, ce qui aurait pour effet de limiter le grief à la seule question d'exécution de la décision de Santé Canada (suivant en cela l'argument soumis par l'employeur). La procédure de grief prévue à l'introduction des D.S.E. porte sur l'ensemble des éléments de la directive pouvant porter à interprétation et à application […]

[…]

22 Les fonctionnaires s’estimant lésés font le rapprochement suivant entre leur cause et Dubois :

[Traduction]

[…]

Les fonctionnaires s’estimant lésés sont d’avis que les faits de la présente affaire sont identiques à ceux de la décision Dubois. Dans les ceux cas, l’admissibilité aux avantages prévus par une directive du CNM faisant partie intégrante de la convention collective était tributaire de la décision d’une tierce institution possédant l’expertise nécessaire. Dans les deux cas, le grief portait sur le refus d’accorder les avantages et contestait les conclusions d’un tiers désigné par la directive pour effectuer une analyse indépendante. Enfin, dans les deux cas, l’employeur a défendu la position que la Commission ne pouvait pas substituer son jugement à celui d’une tierce partie parce que cela équivaudrait à modifier la convention collective.

Les fonctionnaires s’estimant lésés exhortent la Commission à se déclarer compétente pour trancher le grief, comme elle l’a fait dans Dubois, et à décider, d’une part, si la décision de l’employeur s’accordait avec l’objet et l’esprit de la DPILE et, d’autre part, si Statistique Canada a appliqué correctement l’esprit de la directive, en l’occurrence faciliter le recrutement et la rétention du personnel dans des localités isolées, pour en arriver à ses résultats.

[…]

3. Réplique de l’employeur

23 Dans sa réplique, l’employeur avance les arguments suivants :

[Traduction]

[…]

Les directives et politiques font l’objet de révisions périodiques et sont acceptées, au CNM, par des représentants des employeurs et des syndicats. Dans le cas qui nous occupe, les fonctionnaires s’estimant lésés ne contestent pas l’interprétation ou l’application de la directive par l’employeur. Ils remettent plutôt en cause le processus par lequel la directive a été acceptée par le CNM. Il va sans dire que cela n’est pas du ressort de l’arbitre de grief.

La décision Dubois que citent les fonctionnaires s’estimant lésés est différente de la présente affaire pour une raison similaire. Dans cette décision, la fonctionnaire s’estimant lésée ne contestait pas la directive comme telle, mais son application par l’employeur […]

L’employeur continue de défendre la position que la directive du CNM fait partie intégrante de la convention collective et que l’arbitre de grief n’est pas compétent pour examiner son contenu ou le processus par lequel la directive a été établie. Subsidiairement, l’employeur estime que toute mesure corrective qui ciblerait le processus de création de la directive du CNM aurait pour effet de modifier la convention collective.

[…]

24 Dans sa réponse aux précisions fournies par l’agent négociateur, l’employeur ajoute ceci :

[Traduction]

[…]

Les parties à la convention collective ont accepté d’être assujetties aux directives du CNM, qui peuvent être modifiées de temps à autre. Les parties auraient très bien pu décider de ne pas incorporer dans la convention collective les mots « qui peuvent être modifiées de temps à autre ». Des représentants de l’employeur et des syndicats siègent au CNM et s’entendent sur les modifications à apporter aux directives. Lorsqu’une directive est modifiée, de deux choses l’une, ou bien des fonctionnaires gagnent au change, ce qui crée une obligation plus contraignante pour l’employeur, ou bien ils subissent une perte. C’est un processus à double sens auquel les parties ont donné leur accord. La modification d’une directive occasionne un changement dans les obligations mutuelles des parties à la convention collective. Ce changement touche au contenu de la convention collective plutôt qu’à son interprétation ou son application par l’employeur, de sorte qu’il ne peut pas constituer matière à grief.

[…]

B. Questions à propos du bien-fondé du grief

25 La Commission a demandé aux parties de répondre aux questions suivantes :

[Traduction]

1) La convention collective, et plus précisément la DPILE, autorise­-t-elle l’arbitre de grief à vérifier la fiabilité des enquêtes et des recherches effectuées par Statistique Canada?

2) Les fonctionnaires s’estimant lésés allèguent que les enquêtes et les recherches effectuées par Statistique Canada afin d’établir les écarts de prix pour Whitehorse étaient déficientes et que le CNM s’est basé sur des renseignements erronés ou inadéquats pour recommander la modification de la DPILE. En tenant pour acquis que les faits susmentionnés sont avérés, la convention collective, et plus précisément la DPILE, autorise-t-elle la Commission à annuler la recommandation du CNM de modifier la DPILE?

1. Pour les fonctionnaires s’estimant lésés

26 Les fonctionnaires s’estimant lésés défendent essentiellement la position suivante en réponse à la première question :

[Traduction]

[…]

La convention collective, qui incorpore la DPILE, autorise les arbitres de grief à instruire les griefs des fonctionnaires s’estimant lésés par une fausse interprétation ou l’application injustifiée de la DPILE. Les fonctionnaires s’estimant lésés croient que ce pouvoir ne peut pas être limité au point d’empêcher l’arbitre de grief d’examiner les éléments sur lesquels le CNM se base pour faire ses recommandations au Conseil du Trésor, y compris les enquêtes et les recherches effectuées par Statistique Canada.

[…]

[…] Les conventions collectives applicables et le Règlement du CNM ne contiennent aucune disposition qui limite ou circonscrit autrement le pouvoir de la Commission d’instruire ces griefs au delà de celui qu’elle possède de résoudre les différends découlant de l’application d’une autre partie de la convention collective. Les fonctionnaires s’estimant lésés croient que de la même manière que la Commission peut examiner les circonstances ayant donné lieu à une mesure disciplinaire ou à toute autre question arbitrable, rien ne lui interdit de se pencher sur les conclusions de Statistique Canada afin de déterminer si les recommandations du CNM respectent l’objet et l’esprit de la DPILE.

Les fonctionnaires s’estimant lésés notent que l’employeur ne cite aucune jurisprudence, doctrine ou législation au soutien de sa position que la Commission n’est pas compétente pour trancher le grief dans ce cas-ci. L’employeur soutient simplement que « [traduction] [c’]est un processus à double sens auquel les parties ont donné leur accord », ce qui revient à dire que les parties doivent accepter tous les changements qui sont apportés à la DPILE et qui sont basés sur des renseignements fournis par Statistique Canada, peu importe s’ils sont incomplets ou déraisonnables. Les fonctionnaires s’estimant lésés sont d’avis que cela est invraisemblable. On peut facilement imaginer divers scénarios où, pour une raison ou pour une autre, les données fournies par Statistique Canada pourraient être jugées insatisfaisantes par l’employeur ou par les fonctionnaires. Les fonctionnaires s’estimant lésés croient que la convention collective et le Règlement du CNM envisagent cette possibilité et qu’ils offrent un moyen clair et raisonnable pour réexaminer des recommandations qui sont basées sur des données erronées, c’est-à-dire les processus de révision du CNM, y compris la présentation de griefs en vertu des clauses 18.01 et 37.01 des conventions collectives applicables et leur renvoi à l’arbitrage devant la Commission conformément aux articles [sic] et 15.1.17 du Règlement du CNM.

[…]

[Le passage souligné l’est dans l’original]

27 Les fonctionnaires s’estimant lésés ont répondu comme suit à la deuxième question :

[Traduction]

[…]

Comme c’est le cas pour tout autre grief arbitrable, la compétence de la Commission d’accorder une mesure corrective dans le cas d’un grief ayant trait à une directive du CNM est établie par la LRTFP.

Le paragraphe 15.1.17 du Règlement du CNM dispose que les griefs alléguant une fausse interprétation ou l’application injustifiée d’une directive du CNM peuvent être renvoyés à l’arbitrage conformément aux dispositions de la LRTFP. Même si les arbitres de grief ne peuvent accorder des mesures correctives qui ont pour effet de modifier la convention collective, le paragraphe 228(2) de la LRTFP les autorise expressément à rendre les ordonnances qu’ils jugent indiquées. Les fonctionnaires s’estimant lésés font donc valoir que l’arbitre de grief est compétent pour rendre une ordonnance annulant la recommandation du CNM de modifier la DPILE.

À ce propos, les fonctionnaires s’estimant lésés croient qu’il est utile de tenir compte de l’article 232 de la LRTFP ayant trait aux griefs de principe. Cette disposition limite expressément les pouvoirs de l’arbitre de grief de trancher des griefs de principe portant sur une question qui a fait ou aurait pu faire l’objet d’un grief individuel ou d’un grief collectif […]

[…]

Les fonctionnaires s’estimant lésés font valoir que, dans des circonstances comme celles décrites dans le cas qui nous occupe, où il est évident que les pouvoirs de l’arbitre de grief ne sont pas limités par le libellé explicite de l’article 232 de la LRTFP, la Commission a certainement la compétence nécessaire pour rendre une ordonnance annulant la recommandation du CNM de modifier la DPILE. En fait, les fonctionnaires s’estimant lésés défendent la position que, dans ce cas-ci, le paragraphe 220(2) de la LRTFP autorise l’arbitre de grief à rendre l’ordonnance qu’il juge indiquée, sans toutefois aller jusqu’à modifier les dispositions de la convention collective ou de la DPILE.

[…]

[Les passages soulignés le sont dans l’original]

2. Pour l’employeur

28 Dans sa réplique en date du 19 janvier 2009, l’employeur expose sa position comme suit :

[Traduction]

[…] L’employeur croit qu’il faut répondre par la négative aux deux questions de la Commission, pour les raisons suivantes.

[…]

Le libellé de la clause 18.01 de la convention collective est limpide : seule la procédure de règlement des griefs prévue par le Règlement du CNM s’applique aux sujets qui sont du ressort du CNM.

Il est évident, dans ce cas-ci, que les fonctionnaires en cause ne sont pas « lésés par l’interprétation ou l’application, de la part de l’employeur, de toute directive ou politique qui a été acceptée par le Conseil ». Seul ce motif de grief peut faire l’objet d’un renvoi à l’arbitrage aux termes de la LRTFP. Or, les fonctionnaires s’estimant lésés contestent la directive comme telle ou, autrement dit, la manière dont le Conseil l’a acceptée.

Rappelons ici que le Conseil national mixte et ses divers comités sont composés de représentants des employeurs et des syndicats de l’administration publique fédérale, dont l’Alliance de la Fonction publique du Canada. Il va de soi que les parties qui sont représentées au CNM négocient le contenu des directives et le processus par lequel elles sont acceptées.

La partie 7 du Règlement du CNM porte sur le renvoi de questions ou de points au Conseil pour consultation. Chaque partie peut présenter des propositions lors de la révision des directives ou s’en abstenir, aux termes des parties 8 et 9. La partie 11 porte sur la résolution des impasses et prévoit notamment le recours à l’arbitraire exécutoire par un tiers. L’article 12.1 accorde au Comité exécutif le pouvoir de renvoyer un point pour fins de consultation en dehors du calendrier des révisions périodiques prévu à la partie 7.

L’employeur estime que c’est ce processus qui doit être suivi pour examiner toute question ayant trait aux directives du CNM ou toute méthode appliquée par le CNM et par ses comités.

L’employeur défend la position que l’application et l’interprétation de la directive, par l’employeur, peuvent faire l’objet d’un grief, mais pas son contenu ni la méthode par laquelle les employeurs et les syndicats qui siègent au CNM acceptent cette directive. Encore une fois, la décision Dubois à laquelle renvoient les fonctionnaires s’estimant lésés est différente de la présente affaire car elle porte sur l’application d’une directive par l’employeur et non pas sur la manière dont cette directive a été acceptée par le Conseil.

L’employeur estime qu’aucune disposition de la convention collective, de la Directive sur les postes isolés et les logements de l’État, du Règlement du CNM et de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique n’envisage la possibilité de contester le contenu d’une directive ou la manière dont le CNM l’a acceptée. La Commission n’est pas compétente pour instruire ces griefs, y compris celui des fonctionnaires s’estimant lésés.

La méthode qui a été acceptée par le Conseil et qui s’applique aux directives est le fruit de discussions qui équivalent à des négociations collectives. Les directives du CNM font partie intégrante de la convention collective. Des processus sont prévus dans les cas où l’une ou l’autre des parties qui siège au CNM veut modifier une directive. Or le grief qui nous occupe ne porte pas sur l’interprétation ou l’application, par l’employeur, des dispositions applicables d’une directive qui pourraient avoir pour effet de léser les fonctionnaires.

Seule la modification de la DPILE pourrait apporter aux fonctionnaires s’estimant lésés le résultat qu’ils cherchent à obtenir, directement ou indirectement, c.-à-d. le rétablissement de l’indemnité de vie chère. La DPILE fait partie intégrante de la convention collective; or l’employeur continue de croire que rendre une ordonnance qui modifierait la DPILE équivaudrait à modifier la convention collective, qui, à la date où le grief a été renvoyé à l’arbitrage, ne reconnaissait pas aux fonctionnaires s’estimant lésés le droit à une indemnité de vie chère.

C’est pourquoi l’employeur demande que la Commission se déclare incompétente pour instruire le grief. Il n’est pas nécessaire de mettre en preuve la méthode utilisée par le Conseil, y compris les résultats de l’enquête et les avis fournis par Statistique Canada à titre de conseiller technique, pour rendre cette décision.

3. Réfutation des fonctionnaires s’estimant lésés

29 En réfutation de la réplique de l’employeur, les fonctionnaires s’estimant lésés avancent les arguments suivants :

[Traduction]

[…]

[…] il est important de rappeler que la Commission est actuellement saisie du grief collectif d’un groupe de fonctionnaires de Whitehorse à propos d’une mesure prise par leur employeur à la suite d’une décision du Comité du CNM sur les postes isolés et les logements de l’État. Les fonctionnaires ont inscrit ce grief collectif en vertu de l’article 15 du Règlement du CNM et l’ont renvoyé à l’arbitrage devant la Commission en application de cette disposition.

L’employeur défend la position que, dans ce cas-ci, les fonctionnaires en cause ne sont pas « lésés par l’interprétation ou l’application, de la part de l’employeur, de toute directive ou politique qui a été acceptée par le Conseil », pour rependre le libellé du paragraphe 15.1.3 du Règlement du CNM. Or, même si l’employeur soutient le contraire, c’est exactement ce sur quoi porte la présente affaire. Les fonctionnaires s’estimant lésés allèguent expressément que la suppression de l’IVC pour les fonctionnaires de Whitehorse est la conséquence de l’application injustifiée de la méthode décrite dans la DPILE, un résultat qui va indéniablement à l’encontre de l’objet et de l’esprit de la directive.

Les fonctionnaires s’estimant lésés sont d’avis que la Commission est expressément compétente pour trancher des griefs du CNM découlant de l’interprétation ou de l’application des directives du CNM, conformément au paragraphe 15.1.17 du Règlement du CNM. Dans ce cas-ci, la Commission doit se déclarer compétente pour instruire le grief, qui porte sur l’interprétation et l’application de la directive du CNM sur les postes isolés et les logements de l’État.

[…]

La méthode acceptée par le CNM se résume à ceci : « Statistique Canada effectuera des recherches et des enquêtes concernant […] l’indemnité de vie chère […]; il en communique ensuite les résultats au Secrétariat du Conseil du Trésor. » Le grief dont la Commission est saisie porte sur la question de savoir si les directives que Statistique Canada a reçues et la méthode qu’il a appliquée par la suite pour effectuer les recherches et les enquêtes s’accordaient avec l’objet et l’esprit de la directive. Les fonctionnaires s’estimant lésés sont d’avis que, pour trancher cette question, la Commission doit se déclarer compétente pour entendre la preuve des parties concernant les directives que Statistique Canada a expressément reçues, la méthode qu’il a appliquée pour effectuer les recherches et les enquêtes et la nature des conclusions et recommandations qui ont été présentées au Secrétariat du Conseil du Trésor.

[…]

Les fonctionnaires s’estimant lésés insistent sur le fait que leur but n’est pas de modifier la DPILE. Sur la formule de grief, ils indiquent expressément qu’ils veulent que l’avis de l’employeur soit annulé et que la rémunération et les avantages auxquels ils ont droit leur soient restitués intégralement. Bref, ils demandent seulement à la Commission d’annuler la recommandation du CNM de supprimer l’IVC pour les fonctionnaires de Whitehorse aux termes de l’Appendice « C » de la Directive, s’il est prouvé que cette recommandation est basée sur une fausse interprétation ou sur l’application injustifiée de la DPILE, par Statistique Canada, durant ses enquêtes et ses recherches.

[…]

Le grief porte essentiellement sur l’établissement et l’application de la méthode

L’employeur affirme qu’il est évident que les parties qui siègent au CNM ont négocié le contenu des directives et le processus par lequel elles sont acceptées. Seulement, ce n’est pas le CNM qui fait appel aux services de Statistique Canada ou qui lui donne des instructions ou des directives pour effectuer ses enquêtes et ses recherches sur les IVC.

Le présent grief porte indéniablement sur le mandat qui a été confié à Statistique Canada et sur la méthode qu’il a utilisée pour effectuer ses recherches et ses enquêtes. Même si l’avis envoyé aux fonctionnaires indique que l’IVC a été modifiée « [traduction] conformément aux méthodes approuvées », les fonctionnaires s’estimant lésés allèguent que la décision de supprimer l’IVC pour les fonctionnaires de Whitehorse est la conséquence de l’application injustifiée de la méthode décrite dans la directive, un résultat qui va indéniablement à l’encontre de l’objet et de l’esprit de la DPILE.

[Le passage souligné l’est dans l’original]

III. Motifs

30 Le grief collectif dont je suis saisie s’inscrit dans le contexte suivant : Statistique Canada a effectué une enquête en 2004 et réexaminé les écarts de prix et, par le fait même, les IVC pour les postes isolés de la Colombie-Britannique et du Yukon, ce qui fait que les fonctionnaires en poste à Whitehorse ont cessé d’avoir droit à un IVC. Le Comité du CNM sur les postes isolés et les logements de l’État a accepté les résultats de Statistique Canada et le CNM a recommandé au Conseil du Trésor de modifier la DPILE en conséquence, ce qu’il a fait.

31 Les fonctionnaires s’estimant lésés ont déposé un grief pour contester la décision de modifier l’Appendice A de la DPILE.

32 Les fonctionnaires s’estimant lésés prétendent essentiellement que Statistique Canada n’a pas appliqué correctement la méthode décrite dans la DPILE lorsqu’il a mesuré les divers éléments qui entrent dans la composition de l’IVC. Ils estiment que ses hypothèses, ses données et ses analyses étaient déficientes au point où le résultat obtenu va à l’encontre de l’objet et de l’esprit de la DPILE. Ils estiment que le fait de se baser sur ces données erronées pour modifier la DPILE constitue en soi une fausse interprétation ou l’application injustifiée de la DPILE et, de ce fait, une violation de la convention collective.

33 De prime abord, le grief semble porter sur la décision de l’employeur de modifier l’Appendice A de la DPILE. Or, en réponse à une question de la Commission, l’avocat des fonctionnaires s’estimant lésés a indiqué qu’ils ne remettaient pas en cause la décision de l’employeur d’accepter la recommandation du CNM, mais bien la recommandation du CNM de modifier la DPILE. Les fonctionnaires s’estimant lésés soutiennent que je dois examiner les enquêtes et les analyses qui ont été effectuées par Statistique Canada et annuler la recommandation du CNM de modifier la DPILE si j’en viens à la conclusion qu’elle était basée sur une fausse interprétation ou l’application injustifiée, par Statistique Canada, de la méthode décrite dans la DPILE. L’employeur avance, pour sa part, que je ne suis pas compétente pour instruire le grief parce qu’il ne porte pas sur l’interprétation ou l’application de la DPILE.

34 Pour déterminer si l’arbitre de grief est compétent pour instruire un grief du CNM, il faut se reporter aux dispositions pertinentes de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (la « Loi »), du Règlement du CNM et des conventions collectives applicables, le cas échéant.

35 Le paragraphe 215(1) de la Loi définit la portée d’un grief collectif et indique que les fonctionnaires peuvent présenter un tel grief s’ils s’estiment lésés par l’interprétation ou l’application d’une disposition d’une convention collective ou d’une décision arbitrale. À la clause 7.04 de la convention collective, il est dit que les griefs découlant des directives du CNM qui font partie intégrante de la convention collective doivent être présentés conformément au paragraphe 18.01. Cette disposition indique, pour sa part, que la procédure de règlement des griefs prévue par le Règlement du CNM s’applique en cas de fausse interprétation ou d’application injustifiée présumée découlant des ententes conclues par le CNM. Le paragraphe 15.1.3 du Règlement du CNM précise dans quels cas un fonctionnaire peut présenter un grief. On y lit que « […] le fonctionnaire qui s’estime lésé par l’interprétation ou l’application, de la part de l’employeur, de toute directive ou politique qui a été acceptée par le Conseil […] [je souligne] » peut présenter un grief.

36 À mon sens, le paragraphe 15.1.3 du Règlement du CNM décrit les conditions à remplir pour présenter un grief à bon droit à propos d’une directive du CNM. Le fonctionnaire doit contester la manière dont l’employeur a interprété ou appliqué la directive à son endroit et le différend doit porter sur la façon dont l’employeur comprend et applique le contenu de la directive. Dans ce cas-ci, il est acquis au débat que l’employeur a appliqué la DPILE à la lettre. L’Appendice A indique que les fonctionnaires en poste à Whitehorse n’ont pas droit à une IVC, de sorte que l’employeur ne leur a pas payé d’indemnité à ce titre.

37 Je souscris à l’argument de l’employeur que ce n’est pas la conduite de l’employeur qui est remise en cause ici, mais la décision du CNM, qui a rédigé la directive, d’accepter les données de Statistique Canada et de recommander au Conseil du Trésor de modifier l’Appendice A de la DPILE. Les fonctionnaires s’estimant lésés contestent le processus décisionnel du CNM et, par le fait même, le contenu de la DPILE. À mon sens, ce différend ne peut pas être considéré comme un « grief » au sens du paragraphe 15.1.3 du Règlement du CNM. Cela me suffit pour conclure que je ne suis pas compétente pour instruire le grief collectif des fonctionnaires s’estimant lésés.

38 Même si j’avais déterminé que le grief collectif s’accordait avec la définition de « grief » contenue au paragraphe 15.1.3 du Règlement du CNM, j’aurais quand même conclu, pour les motifs exposés ci-après, que je ne suis pas compétente pour annuler la recommandation du CNM de modifier l’Appendice A de la DPILE.

39 Pour déterminer jusqu’où va la compétence de l’arbitre de grief dans le cas d’un différend à propos d’une directive du CNM, il faut analyser le contenu de la directive et, en particulier, les paramètres directeurs établis par les parties. La DPILE comporte deux parties, dont la première décrit les conditions d’emploi des fonctionnaires qui travaillent dans des localités isolées et la seconde, le processus accepté par les membres du CNM pour modifier ou réviser la directive.

40 À mon sens, lorsque le différend porte sur la modification d’une directive, le premier rôle de l’arbitre de grief doit être de déterminer si cette directive a été modifiée conformément aux paramètres directeurs définis dans la directive proprement dite.

41 En l'espèce, il m’apparaît évident que les paramètres directeurs ont été respectés. La clause 7.03 de la convention collective dit que les directives faisant partie de cette convention, notamment la DPILE, sont celles qui peuvent être « […] modifiées de temps à autre par suite d’une recommandation du Conseil national mixte et qui ont été approuvées par le Conseil du Trésor […] » La DPILE prévoit, pour sa part, que le Conseil du Trésor « […] révisera de temps à autres [sic] des parties de la […] directive au besoin, à la recommandation du Conseil national mixte […] » Il est acquis que le Conseil du Trésor a modifié l’Appendice A de la DPILE, à la recommandation du CNM, et que la modification s’accorde avec le contenu de la recommandation. Il est également établi que la CNM avait le pouvoir de recommander au Conseil du Trésor de modifier la directive. Du reste, rien ne l’aurait empêché de décider que les résultats fournis par Statistique Canada n’étaient pas acceptables.

42 Les fonctionnaires s’estimant lésés me demandent d’examiner le processus décisionnel qu’a appliqué le CNM afin de déterminer s’il s’accordait avec l’objet et l’esprit de la DPILE. Pour les motifs exposés ci-après, je ne crois pas que ce genre d’examen soit de mon ressort.

43 Si la DPILE ne faisait que prévoir un processus pour déterminer et réviser les IVC, j’aurais conclu que l’arbitre de grief est compétent pour examiner le processus décisionnel qui a occasionné la modification de la directive et, par la même occasion, les enquêtes et recherches effectuées par un tiers sur lesquelles est basée la modification. Le problème c’est que dans ce cas-ci, les IVC qui sont établies à partir des données fournies par Statistique Canada et l’acceptation de ces données par le CNM, deviennent partie intégrante de la directive; l’Appendice A, qui contient le résultat de la décision du CNM, fait partie de la directive et, par le fait même, de la convention collective. Toute modification qui est apportée à la DPILE devient partie intégrante de la mise à jour de la directive. Donc, en contestant le fait que le CNM a accepté les données et les résultats de Statistique Canada et modifié la DPILE en conséquence, les fonctionnaires s’estimant lésés remettent en cause le contenu de cette directive plutôt que son interprétation ou son application dans un contexte particulier.

44 J’estime qu’en plus d’excéder sa compétence, l’arbitre de grief qui s’interposerait dans le processus décisionnel des membres du CNM compromettrait l’autonomie du CNM et des parties à la convention collective de négocier le contenu des directives du CNM et de la convention collective et d’en arriver à un accord à ce propos. Dans la mesure où les dispositions qu’elles acceptent ne sont pas illégales, rien ne les empêche de décider du contenu de la convention collective.

45 Les fonctionnaires s’estimant lésés ont tout à fait le droit de ne pas être en accord avec l’approche du CNM, auquel ils reprochent d’avoir accepté des résultats qui seraient le produit de l’application injustifiée de la méthode prévue par la DPILE, ainsi que de ne pas avoir respecté l’objet et l’esprit de cette directive, mais cela ne change rien au fait que la Commission n’est pas la tribune appropriée pour tenir ce débat. Rien ne les empêche de porter leurs doléances à la connaissance du CNM et d’utiliser les divers moyens qui sont prévus par le Règlement du CNM pour faire modifier le contenu des directives du CNM.

46 Les fonctionnaires s’estimant lésés soutiennent que leur objectif n’est pas de modifier la DPILE, mais d’annuler la lettre de l’employeur les avisant que la localité de Whitehorse ne figure plus sur la liste des postes isolés donnant droit à une IVC. Étant donné que les résultats des enquêtes et des recherches effectuées par Statistique Canada ont été acceptés par le CNM et incorporés dans l’Appendice A de la DPILE, j’estime que la mesure corrective demandée par les fonctionnaires s’estimant lésés équivaut à modifier la convention collective. S’il était démontré que l’allégation selon laquelle la méthode n’a pas été appliquée correctement par Statistique Canada et qu’elle ne s’accordait pas avec l’objet et l’esprit de la directive est exacte, je ne vois pas comment je pourrais accueillir le grief sans modifier les dispositions et le contenu de la DPILE; or l’article 229 de la Loi m’interdit de rendre une décision qui aurait « […] pour effet d’exiger la modification d’une convention collective ou d’une décision arbitrale […] »

47 Le présent cas est différent du cas décrit dans Dubois. Dans cette affaire, la directive en cause autorisait Santé Canada à évaluer l’état de santé d’un fonctionnaire et à déterminer si son problème de santé correspondait à une maladie attribuable à la mission qui n’était pas endémique au Canada. La fonctionnaire s’estimant lésée contestait l’évaluation de son état de santé par Santé Canada. Il est important de noter que la directive en cause ne faisait que prévoir un processus pour évaluer l’état de santé des fonctionnaires et que les « résultats » des évaluations n’étaient pas incorporés dans la directive et, donc, qu’ils ne faisaient pas partie du contenu de la convention collective. Du reste, dans Dubois, la fonctionnaire s’estimant lésée contestait l’application, par l’employeur, de la directive en cause. En l'espèce, les fonctionnaires s’estimant lésés ne contestent pas l’application de la directive par l’employeur, mais bien la décision de l’auteur de la directive, le CNM, de recommander sa modification. Ajoutons à cela que le résultat du mandat confié à la tierce partie est incorporé dans la directive et qu’il fait partie de la convention collective. Par conséquent, je ne crois pas que les conclusions contenues dans Dubois s’appliquent à la cause des fonctionnaires s’estimant lésés.

48 Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

IV. Ordonnance

Le grief est rejeté.

Le 2 mars 2009.

Traduction de la CRTFP

Marie-Josée Bédard,
arbitre de grief

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