Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le fonctionnaire s'estimant lésé a contesté son renvoi en cours de stage - l'employeur s'est opposé à la compétence d'un arbitre de grief d'entendre le grief parce qu'il avait trait à un renvoi en cours de stage en vertu de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique - l'agent négociateur a fait valoir que le renvoi était en réalité une mesure disciplinaire - l'arbitre de grief a refusé les questions à propos des échanges lors d'une réunion qui s'était tenue dans le contexte du processus de règlement des griefs - il a statué que les affirmations faites lors de cette réunion étaient privilégiées - les quatre grandes préoccupations de l'employeur, telles qu'exprimées dans la lettre de renvoi en cours de stage, étaient les absences du fonctionnaire s'estimant lésé, les allégations selon lesquelles il manquait de jugement, un incident où il avait eu une réaction émotive excessive et la difficulté du fonctionnaire s'estimant lésé à s'intégrer à l'équipe - l'arbitre de grief a statué que la principale question à trancher en ce qui avait trait au grief était celle de savoir si l'employeur avait mis fin à l'emploi du fonctionnaire s'estimant lésé pour des motifs liés à l'emploi, auquel cas l'arbitre de grief n'aurait pas compétence - l'arbitre de grief a statué que l'utilisation légitime des congés n'est pas liée à l'aptitude au travail d'un employé et que les absences du fonctionnaire s'estimant lésé ne constituaient pas un motif légitime de renvoi en cours de stage - l'arbitre de grief a statué que le renvoi du fonctionnaire s'estimant lésé parce qu'il avait présenté des demandes d'indemnités d'accident du travail n'était pas un motif valable et revenait à de la mauvaise foi - il a conclu que la préoccupation de l'employeur concernant la réaction émotive excessive au travail était liée à l'aptitude au travail du fonctionnaire s'estimant lésé et qu'il ne s'agissait pas d'une occasion déguisée de le discipliner - l'arbitre de grief n'a pas pu substituer son appréciation de la capacité du fonctionnaire s'estimant lésé ou déterminer le caractère raisonnable de l'appréciation de l'employeur - les difficultés entourant l'intégration du fonctionnaire s'estimant lésé représentaient aussi des motifs légitimes liées à l'emploi justifiant son renvoi en cours de stage. Grief rejeté.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2009-03-16
  • Dossier:  566-02-1276
  • Référence:  2009 CRTFP 33

Devant un arbitre de grief


ENTRE

SHANNON MELANSON

fonctionnaire s'estimant lésé

et

ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL
(Service correctionnel du Canada)

défendeur

Répertorié
Melanson c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada)

Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l’arbitrage

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
John A. Mooney, arbitre de grief

Pour le fonctionnaire s'estimant lésé:
John Mancini, Syndicat des agents correctionnels du Canada – Union of Canadian Correctional Officers – CSN

Pour le défendeur:
Karl Chemsi, avocat, et Adrian Bieniasiewicz, avocat

Affaire entendue à Moncton (Nouveau Brunswick),
les 5 et 6 février et les 9 et 10 décembre 2008.
(Traduction de la CRTFP)

I. Grief individuel renvoyé à l’arbitrage

1 Shannon Melanson (le « fonctionnaire s’estimant lésé ») occupait un poste d’agent correctionnel classé CX-01 à l’établissement de l’Atlantique (l’« établissement ») du Service correctionnel du Canada (le « défendeur »). Si l’on se fie à son témoignage, il a été renvoyé en cours de stage le 11 ou 12 janvier 2007. D’après le témoignage du directeur de l’établissement, David Niles, il a été renvoyé en cours de stage le 12 janvier 2007.

2 Le 9 février 2007, le fonctionnaire s’estimant lésé a contesté son renvoi en cours de stage par voie de grief et a demandé qu’on le rétablisse dans ses fonctions et qu’on lui accorde tous les avantages perdus par suite de sa cessation d’emploi. Le grief a été porté jusqu’au dernier palier de la procédure de règlement des griefs, mais il n’a pas été réglé à la satisfaction du fonctionnaire s’estimant lésé.

3 Le représentant du fonctionnaire s’estimant lésé a renvoyé le grief à l’arbitrage, et la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la « Commission ») l’a reçu le 5 juin 2007 en vertu de l’alinéa 209(1)b) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (LRTFP).

4 Dans une lettre adressée à la Commission le 6 décembre 2007, le représentant du défendeur a contesté la compétence d’un arbitre de grief pour entendre le grief parce que celui-ci concerne un renvoi en cours de stage aux termes de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique (LEFP). Dans une lettre datée du 21 décembre 2007, l’agent négociateur a fait valoir que le renvoi était en fait une mesure disciplinaire. La Commission a informé les parties le 2 janvier 2008 que la question de la compétence doit être soulevée à l’ouverture de l’audience. Les parties ont convenu à l’ouverture de l’audience du fait que je devrais entendre la preuve et statuer sur l’objection préliminaire concernant la compétence.

5 L’agent négociateur du fonctionnaire s’estimant lésé est le Syndicat des agents correctionnels du Canada – Union of Canadian Correctional Officers – CSN (UCCO-SACC-CSN). Le fonctionnaire s’estimant lésé était assujetti à la convention collective conclue entre le Conseil du Trésor (CT) et le UCCO-SACC-CSN pour le groupe Service correctionnel (surveillants et non-surveillants), dont la date d’expiration était le 31 mai 2002 (pièce G-17) (la « convention collective »).

II. Objection concernant l’admissibilité de la preuve

6 Pendant le contre-interrogatoire de M. Niles et l’interrogatoire principal du fonctionnaire s’estimant lésé, le représentant de ce dernier a cherché à leur poser à tous deux une série de questions concernant une rencontre qui avait eu lieu entre M. Niles et le fonctionnaire s’estimant lésé le 30 mai 2007. Doug White, le vice-président régional de l’agent négociateur, était lui aussi présent à cette rencontre, de même que Sami Johnson, le sous-directeur par intérim. Le représentant du défendeur a soulevé deux objections à l’encontre de l’admissibilité de ces questions. J’ai indiqué aux parties que j’entendrais leurs arguments à cet égard, que je permettrais au représentant du fonctionnaire s’estimant lésé de poser ses questions à M. Niles et au fonctionnaire s’estimant lésé, et que je prendrais ma décision sur la question en délibéré.

A. Observations du défendeur sur l’admissibilité des questions

7 Le représentant du défendeur soulève une première objection au motif que les déclarations faites lors de la rencontre du 30 mai 2007 ne sont pas pertinentes relativement au renvoi du fonctionnaire s’estimant lésé en cours de stage, puisque cette rencontre a eu lieu après que ce dernier eut perdu son emploi.

8 Il soulève une deuxième objection au motif que les déclarations faites lors de la rencontre du 30 mai 2007 sont privilégiées et qu’elles ne peuvent être divulguées dans le cadre d’une audience d’arbitrage, car elles ont eu cours dans le contexte d’une procédure de règlement des griefs. Le représentant du fonctionnaire s’estimant lésé m’a renvoyé au paragraphe 74 de la décision rendue dans Schenkman c. Conseil du Trésor (Travaux publics et Services gouvernementaux Canada), 2004 CRTFP 1, où l’arbitre de grief a écrit ceci :

[…] Normalement, les discussions qui ont cours dans le cadre de la procédure de règlement d'un grief sont considérées comme étant privilégiées et elles ne sont pas admissibles (voir Brown et Beatty, Canadian Labour Arbitration, 3e éd., à : 3:4342). Il importe que les discussions qui ont lieu au cours de la procédure de règlement d'un grief soient à l'abri de toute divulgation à l'audience afin que les parties se sentent libres d'étudier toutes les options de règlement possibles […]

B. Observations du fonctionnaire s’estimant lésé sur l’admissibilité des questions

9 En ce qui concerne la première objection soulevée par le représentant du défendeur, le représentant du fonctionnaire s’estimant lésé a répliqué que l’article 20 (Procédure de règlement des griefs) de la convention collective (pièce G-17) prescrit que le fonctionnaire s’estimant lésé a le droit de discuter du bien-fondé de son grief avec le défendeur. Le représentant du fonctionnaire s’estimant lésé a déclaré vouloir poser les questions pour mieux comprendre pourquoi le fonctionnaire s’estimant lésé a été renvoyé en cours de stage. Les discussions n’ont pas porté sur les événements qui se sont produits après le renvoi du fonctionnaire s’estimant lésé en cours de stage, mais sur les événements qui l’ont précédé.

10 Le représentant du fonctionnaire s’estimant lésé a fait valoir que les déclarations faites lors de la rencontre du 30 mai 2007 ne sont pas privilégiées, la rencontre en question ayant eu pour but de clarifier les raisons pour lesquelles le fonctionnaire s’estimant lésé a été renvoyé en cours de stage, puisqu’il n’a jamais été informé de la raison de son licenciement. Le représentant du fonctionnaire s’estimant lésé a ajouté que les déclarations faites dans le cadre d’une audience de grief sont normalement déposées en preuve à l’étape de l’arbitrage. Il m’a renvoyé à l’ouvrage de Brown et Beatty, Canadian Labour Arbitration, 4e éd. au paragraphe 3:4342. Le représentant du fonctionnaire s’estimant lésé m’a renvoyé également à l’affaire Nicholson v. Haldimand-Norfolk (Regional) Police Commissioners, [1979] 1 R.C.S. 311, à l’appui de la prétention selon laquelle l’employeur doit agir équitablement lorsqu’il décide de mettre fin à l’emploi d’un fonctionnaire.

C. Décision sur l’admissibilité de la preuve

11 Après avoir examiné les arguments des deux parties, j’en arrive à la conclusion que la seconde objection du défendeur est bien fondée. J’ai entendu la preuve concernant la rencontre du 30 mai 2007, et il m’apparaît clairement que l’objet de cette rencontre était de discuter du grief et de le régler. Ainsi qu’il est indiqué dans Schenkman, les discussions qui ont cours dans le cadre de la procédure de règlement des griefs sont considérées comme étant privilégiées et sont à l’abri de toute divulgation à l’audience. Ce privilège a pour but de permettre aux parties de se sentir libres d’étudier toutes les options de règlement possibles, ainsi que Mitchnick et Etherington le soulignent dans Labour Arbitration in Canada, Lancaster House, 2006 (page 98) :

[Traduction]

[…]

La procédure de règlement des griefs prévue dans une convention collective vise à permettre aux parties de se pencher sur des différends et de les régler assez tôt. Pour favoriser un échange honnête et complet entre les parties et pour encourager le règlement, les arbitres de grief ont généralement reconnu que les discussions tenues sous le régime de la procédure de règlement des griefs sont protégées par le privilège de common law auquel les discussions en vue d’un règlement sont assujetties. Par conséquent, la preuve de telles discussions est généralement inadmissible dans le contexte d’une audience d’arbitrage […]

[…]

12 J’en arrive par conséquent à la conclusion que les déclarations des personnes qui étaient présentes à la rencontre du 30 mai 2007 sont privilégiées et qu’elles ne peuvent être divulguées dans le cadre de l’arbitrage. Je n’ai donc pas tenu compte de cette preuve.

13 Bien que, comme le représentant du fonctionnaire s’estimant lésé l’a fait remarquer, l’article 20 (Procédure de règlement des griefs) de la convention collective (pièce G-17) prescrive effectivement que le fonctionnaire s’estimant lésé a le droit de discuter du bien-fondé de son grief avec le défendeur, cela ne change rien au fait que les déclarations faites dans le contexte de la procédure de règlement des griefs sont considérées comme étant privilégiées et qu’elles sont à l’abri de toute divulgation à l’audience d’arbitrage.

14 Puisque j’ai retenu la deuxième objection du défendeur contre la divulgation des déclarations faites lors de la rencontre du 30 mai 2007, je n’ai pas à me pencher sur sa première objection relative à la pertinence de l’information.

III. Résumé de la preuve

15 Le fonctionnaire s’estimant lésé a témoigné et a déposé 17 pièces en preuve, tandis que le défendeur a appelé une personne à témoigner et a déposé 12 pièces en preuve.

16 M. Niles a témoigné pour le défendeur. Il est le directeur de l’établissement depuis juillet 2005. Avant cela, il avait travaillé pendant un an à titre de sous-directeur au sein du même établissement.

17 M. Niles a expliqué que les délinquants condamnés à des peines d’emprisonnement de deux ans ou plus sont incarcérés dans des établissements fédéraux, où il existe trois niveaux de sécurité : minimale, moyenne et maximale. L’établissement en question est un établissement fédéral à sécurité maximale, situé à Renous au Nouveau-Brunswick. Il compte plus de 200 détenus, qui sont souvent violents entre eux ainsi qu'envers les membres du personnel. Ils ont fréquemment recours à l’intimidation ou à l’extorsion pour obtenir des autres détenus de l’argent ou de la drogue.

18 La vie carcérale dans les établissements à sécurité maximale est plus stricte qu’elle ne l’est dans les établissements à sécurité minimale et moyenne. Effectivement, dans ces derniers établissements, les détenus sont autorisés à participer à des programmes récréatifs et jouissent d’une certaine liberté de mouvement, alors que dans les établissements à sécurité maximale, cette liberté est beaucoup plus restreinte.

19 Il existe trois unités dans l’établissement en question. Les détenus appartiennent à l’une ou l’autre d’entre elles selon des critères liés aux risques et aux besoins. Toutes les unités ont la même taille, adhèrent à une même structure, et sont formées de 80 cellules réparties sur 4 rangées, soit 2 rangées supérieures et 2 rangées inférieures. Chaque unité fonctionne cependant très différemment.

20 L’unité 1 est réservée à la population générale de détenus. Elle est peuplée de « machos », qui font passer leur ego avant toute autre chose. Ce sont les paons de l’établissement. Ainsi, au sein de cette unité, si un détenu est insulté, il se croit obligé de défendre son honneur.

21 L’unité 2 regroupe les détenus qui ont des besoins particuliers, ceux qui ont des déficiences sociales et intellectuelles, ainsi que les détenus considérés par les codétenus comme étant des informateurs, et les délinquants sexuels. Ces détenus ne sont pas bien accueillis dans la population générale de détenus qui composent l’unité 1, et ils risqueraient de devenir des proies s’ils y étaient laissés. Ils ont généralement besoin du soutien de l’établissement.

22 L’unité 3 est composée de détenus qui sont isolés soit volontairement, soit involontairement. S’y retrouvent les détenus ayant commis des actes violents en prison ou ayant intimidé des codétenus par leurs paroles ou leurs actions, ou leur ayant extorqué quelque chose. Les détenus que la population générale ne peut tolérer peuvent aussi être renvoyés à cette unité.

23 L’établissement compte 300 employés, dont 160 agents correctionnels. Le reste des effectifs est constitué des agents de libération conditionnelle, des commis, des psychologues et du personnel technique.

24 M. Niles a décrit les tâches qu’exécutent les agents correctionnels. Ces derniers sont répartis dans quatre catégories. Les agents correctionnels classés CX-01 sont les employés d’exécution. Le poste qu’occupait le fonctionnaire s’estimant lésé appartenait à cette catégorie. Les agents correctionnels classés CX-01 travaillent en grande partie dans ce que l’on appelle des « postes statiques », c’est-à-dire des postes dans lesquels ils ne sont pas appelés à interagir directement avec les détenus. Ils travaillent par exemple au poste de contrôle, lequel est vitré. L’agent correctionnel de niveau CX-01 qui travaille à ce poste contrôle les mouvements au sein de l’unité. Par exemple, il contrôle les portes et les barrières de l’unité. Chaque unité compte 10 barrières. Il existe d’autres postes statiques, comme le poste de la galerie. C’est à partir de ce poste que les agents correctionnels surveillent les détenus dans la cour et le gymnase de la prison.

25 M. Niles a expliqué que les agents correctionnels classés CX-02 sont eux aussi des employés d’exécution. Ils travaillent dans ce que l’on appelle des « postes dynamiques », c’est-à-dire au sein de la population carcérale. Ils ont des contacts directs avec les détenus et interagissent avec eux. Chaque unité compte trois ou quatre agents de ce niveau. Ceux-ci effectuent des rondes toutes les heures et veillent à ce que tout soit sous contrôle. Ils sont les yeux et les oreilles de l’unité. Ils répondent également aux appels de détresse des détenus. 

26 Les agents correctionnels classés CX-03 sont des agents du renseignement de sécurité. Ils donnent des conseils au directeur sur les questions de sécurité. Deux personnes occupent un tel poste au sein de l’établissement.

27 Les agents correctionnels classés CX-04 sont des gestionnaires. Ils dirigent les unités et sont responsables en tout temps des activités quotidiennes. L’établissement en compte treize.

28 M. Niles a déclaré que le fonctionnaire s’estimant lésé s’est fait offrir un poste de durée indéterminée à l’établissement le 9 décembre 2005, comme l’indique la lettre d’offre d’emploi (pièce E-3). Le fonctionnaire s’estimant lésé avait antérieurement participé à un programme de formation des agents correctionnels de 11 semaines (le « programme de formation ») offert par le défendeur.

29 M. Niles a expliqué que la période de stage est de 12 mois et qu’elle n’inclut pas les périodes de congé avec paie de plus de 35 jours. Le fonctionnaire s’estimant lésé a été en congé avec paie du 21 juin au 25 juillet 2006, pour un total de 35 jours civils, ainsi que l’indique son rapport de congés (pièce E-4). Si l’on tient compte de ce congé avec paie, la période de stage du fonctionnaire s’estimant lésé a pris fin le 15 janvier 2007.

30 M. Niles a expliqué que les quatre principaux sujets de préoccupation à l’égard du fonctionnaire s’estimant lésé étaient ses absences, son manque de jugement en tant qu’agent correctionnel, le fait qu’il avait eu une réaction émotive excessive, et sa difficulté à s’intégrer à l’équipe.

31 Le représentant du défendeur a déposé en preuve la lettre de renvoi en cours de stage du fonctionnaire s’estimant lésé (pièce E-1). Le représentant de ce dernier s’est opposé au dépôt de cette lettre au motif qu’elle constitue une preuve par ouï-dire. Elle décrit des événements auxquels ont pris part des personnes qui n’assistaient pas à l’audience. Le représentant du défendeur a répliqué que le fonctionnaire s’estimant lésé aurait la possibilité de déposer une preuve pour réfuter le contenu de la lettre. J’ai décidé de l’admettre parce qu’elle énonce les raisons pour lesquelles le fonctionnaire s’estimant lésé a été renvoyé en cours de stage, de sorte qu’elle est pertinente. Le fonctionnaire s’estimant lésé a eu la possibilité de présenter une preuve sur la question de savoir si les faits énoncés dans la lettre étaient véridiques et exacts. À mon avis, cette lettre ne constitue pas du ouï-dire, car elle a été produite non pas pour établir la vérité de son contenu, mais pour expliquer pourquoi l’employeur a pris une telle décision. Cette lettre, datée du 24 janvier 2007, est libellée en partie dans les termes suivants :

[Traduction]

J’ai le regret de vous informer qu’en vertu du pouvoir qui m’est délégué par les dispositions du paragraphe 62(1) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, je vous donne par la présente avis écrit de ma décision de vous renvoyer en cours de stage du poste d’agent correctionnel (CX-01), à compter du 11 janvier 2007.

Ma décision repose sur les facteurs suivants :

  • J’ai de graves inquiétudes concernant votre dossier d’absences et de présences. Vos absences et vos départs soudains créent des brèches dans le tableau de service, lesquelles posent subséquemment de graves risques de sécurité pour les détenus et pour le personnel.
  • J’ai été informé d’incidents qui m'amènent à conclure que vous manquez de jugement en tant qu’agent correctionnel.
  • Vous avez fait preuve ouvertement de colère, d’agressivité et de frustration; un tel comportement imprévisible ne peut être toléré.
  • Vous avez de la difficulté à vous intégrer à une équipe, ce qui nous inquiète étant donné que le travail d’équipe fait partie intégrante d’une sécurité dynamique.

Compte tenu de tous les motifs qui précèdent, j’en suis arrivé à la conclusion que vous n’êtes pas personnellement apte à occuper un poste d’agent correctionnel et, en conséquence, je n’ai d’autre choix que de vous renvoyer en cours de stage.

[…]

32 M. Niles a déclaré que le directeur par intérim, Paul Bourque, a rencontré le fonctionnaire s’estimant lésé le 12 janvier 2007, et lui a dit qu’il était renvoyé en cours de stage pour ces motifs. M. Niles était alors à l’extérieur de l’établissement.  

33 M. Niles a porté à mon attention les aspects fondamentaux des activités principales énoncées dans la description de travail du fonctionnaire s’estimant lésé (pièce E-5, page 2) :

[Traduction]

Activités principales

Superviser, contrôler et surveiller le mouvement et les activités des détenus à l’intérieur et à l’extérieur de l’établissement; effectuer des dénombrements et des rondes de surveillance.

[…]

Participer à titre de membre de l’équipe correctionnelle de l’unité et contribuer à l’élaboration et à la mise en œuvre des programmes de l’unité.

[…]

Faire preuve de professionnalisme dans l’exécution des fonctions liées à la sécurité pour présenter un modèle comportemental positif aux détenus et favoriser un environnement propice à l’acquisition d’aptitudes de base pour la vie en société.

[…]

Consigner ses observations des mouvements et du comportement des détenus dans des registres d’activités particuliers afin de tenir les surveillants au courant.

[…]

34 M. Niles a déclaré qu’un agent correctionnel classé CX-01 doit être en mesure d’exécuter ces fonctions. La plupart d’entre elles sont statiques, mais pas toutes. La première activité décrit ce qui forme l’essentiel du travail. La tâche qui consiste à effectuer les dénombrements et les rondes de surveillance est un volet essentiel du travail du fonctionnaire s’estimant lésé. Il est nécessaire également que l’agent correctionnel soit un membre de l’équipe, ainsi que l’indique le deuxième paragraphe ci-dessus. L’agent correctionnel doit faire preuve de professionnalisme, suivant le troisième paragraphe, et de vigilance dans l’observation et la consignation de ce qui se produit dans l’établissement, conformément au quatrième paragraphe, reproduit ci-dessus.

35 M. Niles a souligné que l’effort psychologique représente une part importante des tâches du fonctionnaire s’estimant lésé, comme l’indique la description de son travail (pièce E-5, page 8) :

[Traduction]

[…]

Rester calme, faire preuve de sang-froid et maintenir une attitude professionnelle durant les situations d’urgence afin de restaurer la sécurité et de protéger la sécurité du public, des membres du personnel, des détenus et de l’établissement. De telles situations peuvent entraîner de graves traumatismes ou blessures ou un décès. Il peut être nécessaire d’utiliser la force meurtrière contre des détenus dans l’intérêt de la sécurité. Le titulaire n’a aucun contrôle sur le moment ni la fréquence de ces situations.

[…]

36 M. Niles a déclaré dans son témoignage que la description de travail indique que le travail par quart est courant (page 12), ce qui peut avoir un impact négatif sur la vie personnelle d’un fonctionnaire.

37 M. Niles a expliqué que tous ne sont pas aptes à accomplir le travail d’agent correctionnel. Il faut posséder une forte personnalité pour composer avec l’environnement négatif, stressant et violent d’un établissement carcéral.

38 Ce qui est important pour lui, a-t-il ajouté, ce n’est pas le nombre de congés payés que le fonctionnaire s’estimant lésé a utilisés, mais la manière dont il les a utilisés. À son avis, il a manqué de jugement dans la manière dont il a pris congé; il n’a pas géré sagement les congés auxquels il avait droit. Il a pris le risque d’utiliser la totalité de ses congés et ainsi de forcer le défendeur à mettre fin à son emploi s’il avait besoin d’autres congés.

39 M. Niles a déclaré dans son témoignage que, le 12 juin 2006, il a envoyé une note à Monique McGrath, directrice régionale responsable des demandes d’indemnités d’accident du travail pour le défendeur, pour s’opposer à la demande d’indemnités d’accident du travail que le fonctionnaire s’estimant lésé avait présentée (pièce E-7). Le fonctionnaire s’estimant lésé avait présenté la demande en question après avoir vu, le 17 février 2006, un détenu (que j’appellerai le détenu « A » – je désignerai tous les détenus par une lettre de l’alphabet pour protéger leur identité) dans une cellule d’observation des délinquants suicidaires se taillader les bras à l’aide d’une lame de rasoir. Ce type de comportement n’est pas rare parmi les détenus. M. Niles s’est dit d’avis que la demande d’indemnités du fonctionnaire s’estimant lésé était douteuse. La cellule du détenu « A » était située à une distance de 20 à 25 pieds du poste de contrôle du fonctionnaire s’estimant lésé. Au moment de l’incident, ce dernier était bien protégé, puisqu’il se trouvait dans un poste de contrôle à l’épreuve des attaques, et il a observé l’incident sur un petit écran de télévision noir et blanc en circuit fermé. Le fonctionnaire s’estimant lésé a présenté son rapport d’accident ou de maladie professionnelle (la « demande d’indemnités d’accident du travail ») trois mois après l’accident, soit le 17 mai 2006 (pièce E-8). La demande d’indemnités d’accident du travail indique au paragraphe 6 que [traduction] « l’employé a été témoin de nombreux incidents de mutilation à l'aide d'une lame ayant donné lieu à des éclaboussures de sang sur les murs pendant son quart de travail […] Il en est résulté un trouble de stress post-traumatique » (pièce E-8). M. Niles a dit avoir été très étonné de lire les termes que le fonctionnaire s’estimant lésé a utilisés pour décrire l’incident. Il était rare que des cas de mutilation au moyen d'une lame entraînent des éclaboussures de sang sur les murs. M. Niles a précisé que, si le fonctionnaire s’estimant lésé n’a pas rédigé lui-même la description qui figure au paragraphe 6 de la demande d’indemnités d’accident du travail (pièce E-8), il a quand même décrit l’incident à la personne qui a produit le rapport et l'a signé, et en a donc accepté le contenu. 

40 M. Niles a expliqué que chaque fois qu’un incident se produit, l’établissement dresse un rapport qui en donne la description. Le rapport contient également les déclarations des agents qui sont intervenus. Après avoir lu la demande d’indemnités d’accident du travail du fonctionnaire s’estimant lésé datée du 17 mai 2006, M. Niles a demandé le rapport sur l’incident au cours duquel le détenu A s’était tailladé les chairs, le 17 février 2006 (pièce E-8). Dans ce rapport d’incident, dressé le 20 février 2006, soit trois jours plus tard, Ken L. St-Germain brosse un tableau différent de l’événement. Suivant le résumé du rapport d’incident, le détenu avait une entaille d’un pouce sur chaque bras et il y avait [traduction] « un peu de sang sur le matelas ».

41 M. Niles a souligné que la déclaration de l’agent « E.M. » (j’ai utilisé les initiales pour désigner le personnel mêlé directement aux incidents mettant en cause des détenus pour protéger leur identité) dans le rapport d’incident indique également qu’il y avait une faible quantité de sang sur le matelas (pièce E-8). Dans la déclaration qu’elle a faite dans le rapport d’incident le 17 février 2006, l’infirmière « Y.R. » ne fait pas mention non plus d’éclaboussures de sang sur les murs (pièce E-8).

42 C’est en raison de cette divergence que M. Niles a adressé une note à Mme McGrath le 12 juin 2006, pour formuler son opposition à la demande d’indemnités d’accident du travail du fonctionnaire s’estimant lésé (pièce E-7). Il souligne dans cette note que le fonctionnaire s’estimant lésé a été exposé indirectement et dans une faible mesure à l’incident au cours duquel un détenu s’est tailladé les chairs, son travail ayant consisté à observer les gestes du détenu sur un petit écran de télévision en noir et blanc. Dans cette note, M. Niles affirme également que la déclaration du fonctionnaire s’estimant lésé selon laquelle il y avait eu au cours de l’incident des éclaboussures de sang sur les murs exagère considérablement l’incident comme tel. Le détenu s’est infligé une lacération d’un pouce sur chaque bras. M. Niles a ajouté dans sa note que les rapports des personnes qui ont examiné le détenu indiquent tous que ses blessures étaient superficielles. M. Niles a écrit qu’un [traduction] « […] contact indirect avec un détenu qui s’inflige des blessures superficielles est insuffisant pour étayer une prétention véritable de traumatisme mental » (pièce E-7).

43 M. Niles a voulu me renvoyer à la décision de la Commission de la santé, de la sécurité et de l’indemnisation des accidents du travail (la « CSSIAT ») du Nouveau-Brunswick, laquelle indiquait si la demande d’indemnités d’accident du travail était accueillie ou non. Le représentant du fonctionnaire s’estimant lésé a soulevé une objection quant à la pertinence de cette décision. Le représentant du défendeur a quant à lui déclaré que la décision de la CSSIAT était pertinente relativement à la raison pour laquelle le fonctionnaire s’estimant lésé avait été renvoyé en cours de stage. J’ai indiqué aux parties que je prendrais l’objection en délibéré. Je suis d’avis moi aussi que la décision de la CSSIAT est sans pertinence en ce qui concerne la raison pour laquelle le défendeur a renvoyé le fonctionnaire s’estimant lésé en cours de stage. Que la demande du fonctionnaire s’estimant lésé ait été rejetée ou non n’a aucune incidence directe sur la question de savoir s’il a été renvoyé pour des motifs liés à l’emploi dans cette affaire en particulier. La décision de la CSSIAT aurait pu être pertinente si, par exemple, le fonctionnaire s’estimant lésé avait été renvoyé pour fraude et que la demande avait été rejetée par la CSSIAT pour ce même motif, mais ce n’est pas le cas en l’espèce.

44 M. Niles a déclaré qu’au cours des 3 dernières années, les membres du personnel de l’établissement ont présenté au total 203 demandes d’indemnités d’accident du travail. Lorsque le représentant du défendeur a demandé à M. Niles le nombre de demandes auxquelles il s’était opposé, le représentant du fonctionnaire s’estimant lésé a soulevé une objection. Il a déclaré que le représentant du défendeur voulait insinuer que la demande était fausse. Ce dernier a déclaré que la réponse était pertinente, puisqu’elle se rapportait aux raisons pour lesquelles le fonctionnaire s’estimant lésé avait été renvoyé en cours de stage. J’ai indiqué que je prendrais l’objection en délibéré. Je statue maintenant que cette question n’est pas pertinente relativement à l’affaire en cause. Le nombre de demandes d’indemnités d’accident du travail auxquelles M. Niles s’est opposé est sans pertinence quant aux raisons pour lesquelles le fonctionnaire s’estimant lésé a été renvoyé en cours de stage.

45 M. Niles a souligné également que le fonctionnaire s’estimant lésé a omis de signaler l’incident au cours duquel le détenu A s’est tailladé les bras lorsque celui-ci s’est produit. En effet, il a signalé l’incident trois mois plus tard, ce qui est contraire à la procédure normale que l’on enseigne aux employés aspirants dans le cadre du programme de formation, que le fonctionnaire s’estimant lésé a suivi avant d’être embauché. Dans le cadre de ce programme de formation, on souligne aux étudiants l’importance de consigner et de documenter les incidents qui se produisent à l’intérieur de l’établissement.

46 M. Niles m’a renvoyé à la « Directive du commissaire 568-1 », suivant laquelle les membres du personnel doivent déclarer avoir été mêlés à un incident de sécurité le plus rapidement possible à la suite de l’incident et avant de quitter l’établissement (pièce E-9, paragraphes 14 et 16). L’importance de consigner les incidents mettant des détenus en cause est soulignée également sous la rubrique des activités principales de la description du travail du fonctionnaire s’estimant lésé, qui prévoit que l’agent correctionnel doit [traduction] « consigner ses observations des mouvements et du comportement des détenus » (pièce E-5, page 2).

47 M. Niles a témoigné que le fonctionnaire s’estimant lésé a présenté une autre demande d’indemnités d’accident du travail le 20 juin 2006, relativement à un incident mettant en cause un autre détenu, le détenu « B ». Dans sa demande, qu’il a remplie le jour de l’incident (pièce E-10), le fonctionnaire s’estimant lésé a écrit ceci : [traduction] « Au moment d'immobiliser un détenu, je lui ai mis le genou droit derrière la jambe et j’ai appliqué une pression; je lui ai tenu les pieds avec une force minimale afin de l'immobiliser ».

48 M. Niles a expliqué que lorsqu’ils emploient la force contre un détenu, tous les agents correctionnels sans exception doivent remplir un rapport sur le recours à la force. M. Niles examine tous les rapports et fait part de son opinion sur la question de savoir si l’agent correctionnel a usé d’une force appropriée. M. Niles a passé en revue tous les rapports sur le recours à la force concernant l’incident du 20 juin 2006 pour lequel le fonctionnaire s’estimant lésé a présenté une demande d’indemnités d’accident du travail. Il a regardé également la bande vidéo de l’incident. Les rapports sur le recours à la force et la bande vidéo révèlent que le détenu B a commis des voies de fait contre un agent pendant l’incident, au vu de l’agent qui se trouvait dans le poste de contrôle. Ce dernier a appelé à l’aide et, en quelques secondes, au moins quatre agents sont arrivés sur les lieux. Les agents ont plaqué le détenu au sol et l’ont immobilisé. Le fonctionnaire s’estimant lésé est l’un des agents ayant répondu à l’appel à l’aide, mais il est le dernier à être arrivé sur place. De l’avis de M. Niles, il a joué un rôle assez limité. Il a mis le genou droit derrière la jambe gauche du détenu et s’est servi de ses mains pour lui immobiliser les pieds.

49 M. Niles a déclaré que, le 26 juin 2006, il a adressé une note à Mme McGrath pour contester la demande d’indemnités d’accident du travail du fonctionnaire s’estimant lésé (pièce E-10). Il m’a renvoyé à un extrait de cette note, où il exprime ses réserves à l’égard de la demande :

[Traduction]

[…]

On peut difficilement comprendre que d’autres agents, qui sont intervenus plus directement en restreignant et en immobilisant le détenu, n’ont subi aucune blessure, alors que l’agent Melanson a réussi à se blesser au genou droit lorsque le détenu immobilisé s’est servi de sa jambe pour lui pousser le genou.

[…]

50 M. Niles a déclaré dans son témoignage que, le même jour, avant l’incident décrit précédemment, le fonctionnaire s’estimant lésé a été mêlé à un autre incident mettant en cause un autre détenu, le détenu « C ». Cet incident est décrit dans la demande d’indemnités d’accident du travail du fonctionnaire s’estimant lésé datée du 10 juillet 2006 (pièce E-10). Dans ce rapport, le fonctionnaire s’estimant lésé a écrit ceci (au paragraphe 6) :

[Traduction]

En milieu de matinée, un détenu s’est mis à brandir le manche d'un balai à franges comme si c'était une arme, en criant qu'il s'en servirait pour tuer quelqu’un si son bien ne lui était pas remis. Plusieurs agents ont cloué le détenu au mur pour essayer de l'immobiliser. Moi-même et l’agent [j’omets le nom] avons immédiatement saisi l’arme et avons commencé à tirer pour tenter de l’arracher au détenu. L’agent [j’omets le nom] et moi-même avons dû tirer fort et faire des mouvements répétés, car le détenu a continué de résister malgré le fait que plusieurs agents se trouvaient sur lui pour essayer de l'immobiliser. Nous avons réussi à arracher l’arme au détenu. Ce n’est que le lendemain matin, au réveil, que j’ai constaté que j'avais mal au dos et qu'il y avait une enflure évidente.

51 M. Niles a déclaré que, si ces éléments à eux seuls ne l’ont pas incité à renvoyer le fonctionnaire s’estimant lésé en cours de stage, ils ont toutefois éveillé ses soupçons et l’ont amené à douter de sa capacité d’exécuter les fonctions relatives au poste. D’autres facteurs ont été pris en considération, comme l’indique la lettre de renvoi en cours de stage, et notamment l’incident qui s’est produit le 6 novembre 2006. Le fonctionnaire s’estimant lésé a eu une réaction émotive excessive alors qu’il était en service. Il a fallu le relever de son poste. À ce moment-là de l’audience, le représentant du fonctionnaire s’estimant lésé s’est opposé à cette partie du témoignage au motif qu’il s’agissait de ouï-dire. Le représentant du défendeur a fait valoir que la preuve était pertinente, puisqu’elle avait pour objet non pas de prouver les détails de l’incident, mais d’établir ce que M. Niles savait de l’incident. Le témoignage de ce dernier établit l’une des raisons pour lesquelles il a renvoyé le fonctionnaire s’estimant lésé en cours de stage. J’ai accepté que la preuve soit admise au motif qu’elle était pertinente, car elle traite des raisons pour lesquelles M. Niles a renvoyé le fonctionnaire s’estimant lésé en cours de stage. Elle a été déposée uniquement à titre d'élément montrant que M. Niles a pris en considération l’incident dans sa décision de renvoyer le fonctionnaire s’estimant lésé, et non comme preuve que l’incident s’est produit de la manière décrite par l’employeur.

52 M. Niles a expliqué que chaque matin, lorsqu’il arrive à l’établissement, il se rend au bureau du surveillant correctionnel pour vérifier ce qui s’est produit la nuit précédente, passer en revue le tableau de service et examiner les plans de la journée. L’incident au cours duquel le fonctionnaire s’estimant lésé a eu une réaction émotive excessive s’est produit le 6 novembre 2006, après les heures de travail normales. Lorsque M. Niles est venu le lendemain matin, le surveillant correctionnel lui a décrit l’incident en termes généraux. Plus tard le même jour, M. Bourque a fait parvenir à M. Niles le rapport de Tim Martin, le surveillant correctionnel responsable la nuit de l’incident, qui a décrit l’incident de manière plus détaillée (pièce E-11). Ce rapport est libellé en partie dans les termes suivants :

[Traduction]

L’agent CX-01 Melanson est arrivé dans le bureau du S.C., est passé tout près de l’agent CX-01 Power, et s’est rendu à l’arrière du bureau. J’ai remarqué qu’il portait ses gants de protection de fouille. Power a quitté le bureau. Melanson m’a demandé si j’étais le seul à qui il pouvait parler, il était très agité. Melanson a déclaré qu’il devait parler à quelqu’un sinon il exploserait. Il a fermé la porte du bureau […] Melanson a expliqué ses problèmes personnels. Il était alors extrêmement perturbé, il serrait les dents, il avait le visage rouge et les poings serrés, je ne savais pas trop ce qu’il voulait. J’ai dit à Melanson que je communiquerais avec un représentant du PAE pour lui. Il a été invité à se rendre dans la salle des séances d’information, dont il a claqué la porte, puis j’ai entendu le bruit de ce qui semblait être des coups de pied sur les meubles. Il y a ensuite eu un fort coup et les fenêtres de la salle des séances d’information ont vibré. Je me suis rendu du bureau des surveillants correctionnels à la salle des séances d’information. Je suis entré dans la pièce et je lui ai dit de se calmer. Melanson m’a ensuite regardé et m’a dit que je n’avais aucune compassion […]

[…]

53 M. Niles a ajouté que M. Bourque lui a dit que le fonctionnaire s’estimant lésé avait demandé qu’on le relève de son poste avant qu’il ne fasse quelque chose qu’il regretterait.

54 Le fonctionnaire s’estimant lésé a rencontré un agent du programme d’aide aux employés et son représentant syndical et il a ensuite été relevé de son poste et renvoyé chez lui. M. Niles a déclaré que cet incident soulevait des doutes sur la capacité du fonctionnaire s’estimant lésé d’exécuter les fonctions dont son poste est assorti.

55 M. Niles a déclaré dans son témoignage qu’il ignorait au moment de cet incident pourquoi le fonctionnaire s’estimant lésé était si perturbé. Il a appris par la suite qu’il avait été informé au travail que son épouse avait été agressée par un chiropraticien. L’agression était de nature sexuelle. M. Niles a déclaré que l’on pouvait comprendre qu’une personne soit contrariée après avoir appris une telle nouvelle. Ce qui le préoccupait, c’était la mesure de la réaction du fonctionnaire s’estimant lésé. Ce dernier avait été vindicatif avec le surveillant et l’avait menacé. Il avait insinué également qu’il s’infligerait des blessures. Sa réaction n’était pas normale. On s’attend des agents correctionnels qu’ils interviennent dans des circonstances inhabituelles, notamment dans des situations violentes. On s’attend aussi à ce que, tout en restant humains, ils parviennent à contenir leurs émotions et à réagir à n’importe quel événement d’une manière qui ne suscite aucune crainte pour leur sécurité et celle d’autrui. M. Niles a déclaré qu’au cours de son mandat à titre de directeur, il a vu des employés aux prises avec des traumatismes personnels graves, notamment par suite du décès d’un enfant ou d’un conjoint. Ces employés avaient su maîtriser leurs émotions. M. Niles a comparé la réaction du fonctionnaire s’estimant lésé avec celle d’autres personnes, et il a conclu qu'elle avait été excessive.

56 M. Niles a affirmé que ces événements l’avaient amené à douter de la capacité du fonctionnaire s’estimant lésé d’accomplir son travail. Les surveillants correctionnels de l’établissement ont eux aussi interrogé M. Niles sur les capacités du fonctionnaire s’estimant lésé. Même les membres du personnel d’exécution lui ont dit qu’ils craignaient pour le bien-être du fonctionnaire s’estimant lésé et d’autrui. C’était inhabituel. Les directeurs reçoivent rarement les commentaires directement des membres du personnel d’exécution.

57 M. Niles a mentionné avoir pris également en considération dans sa décision de renvoyer le fonctionnaire s’estimant lésé en cours de stage son rendement au travail. Il m’a renvoyé au rapport d’évaluation du rendement du fonctionnaire s’estimant lésé pour la période du 1er septembre au 31 octobre 2006, plus particulièrement aux commentaires suivants de sa surveillante, Mary Grace Traer (pièce E-12) :

[Traduction]

[…]

Le fait de poser des questions relève nécessairement des fonctions dont son poste est assorti, mais Shannon a posé tellement de questions à sa surveillante et à d’autres surveillants qu’il donne l’impression de n’avoir aucune confiance en ses capacités d’exécuter son travail. Il communique avec les surveillants correctionnels pour leur faire part de ses observations, puis leur demande ce qu’il doit faire. Toutes les étapes de reddition de comptes sont abordées dans le cadre de sa formation au titre du PFC. Il ne travaille pas toujours avec les agents de l’unité. Je lui ai dit à plusieurs reprises qu’il ne devait pas appeler le bureau des surveillants correctionnels pour un tout et pour un rien, qu’il devait traiter avec le personnel de l’unité ou avec l’agent du CGI, etc. Par exemple, il a appelé pour savoir si un détenu pouvait se rendre au travail même s’il avait manqué l’appel à se rendre aux lieux de travail. Shannon n’a pas encore démontré qu’il a assumé ses responsabilités pour les congés qu’il a pris. Il a manifestement été conseillé plusieurs fois en ce qui concerne la tendance qu’il démontrait et le fait que l’année était encore longue et qu’il devait gérer ses congés en conséquence. Il se retrouve dans des situations qui le forcent à quitter le travail immédiatement ou à rester à la maison. Il ne fait preuve d’aucune patience lorsqu’il doit quitter le travail sans délai et qu’on ne peut pas toujours répondre à ses besoins sans délai. Il faut lui rappeler qu’un remplaçant doit être trouvé s’il veut s’absenter, ce qui peut prendre du temps. En conséquence, il a pris trop de congés pour obligations familiales. Il demandera aux surveillants ce qu’il doit faire, n’assumant pas ses responsabilités encore une fois. Il existe d’autres options, comme l’échange de quarts, mais il s’en prévaut rarement. En conséquence, il lui reste très peu de congés pour le reste de l’année, ce qui démontre qu’il ne prend pas ses responsabilités pour ses congés […] Son manque de confiance permet de douter qu’il possède la maturité et le jugement nécessaires pour effectuer ce genre de travail […]  Shannon ne travaille pas bien en équipe. Il travaille surtout dans les postes de contrôle par choix. En effet, il demande d’échanger des postes pour travailler dans les postes de contrôle. Il ne fait à peu près rien pour permettre l’interaction dynamique dont il doit faire preuve avec le personnel et les détenus.

[…]

58 Dans l’annexe jointe au rapport d’évaluation du rendement, sa surveillante a écrit ceci :

[Traduction]

[…]

b,d,i. Shannon met au défi les détenus qui enfreignent les règles et les règlements et présente des rapports d’infraction; or, on remarque que 90 % de ces rapports sont faits dans le confort d’un poste de contrôle vitré. Il ne tente pas de régler la situation de manière informelle. Shannon ne respecte pas suffisamment les aspects dynamiques de la sécurité qui sont essentiels à son rôle en tant que titulaire d’un poste classé CX-01. Il interagit rarement avec les agents présents sur les étages de l’unité, ce qui m'amène à douter du fait qu’il soit accepté par ses collègues.

[…]

d. Shannon ne réagit pas toujours favorablement aux changements. La plupart du temps, lorsque les agents demandent de changer de poste avec un autre agent, la demande est autorisée. Lors d’un quart en particulier, une fouille était effectuée au sein de l’unité. Des libérations et des transferts étaient prévus, et une formation à l’intention des agents était en cours dans la rangée. Pour garder le contrôle malgré toute la confusion, on a prévenu les agents, lors de leur séance d’information, que personne ne serait autorisé à changer de poste parce qu’il se passait trop de choses pour qu’on puisse être au courant de l’endroit où tout le monde se trouverait à tout moment, au besoin. Shannon a tenté à trois reprises de faire autoriser un changement de poste, n’acceptant pas la directive des surveillants même après qu’on eut très clairement expliqué lors de la séance d’information la raison pour laquelle personne ne serait autorisé à le faire. C’est très frustrant pour un surveillant occupé à organiser le quart de jour de devoir traiter avec un agent qui l’interrompt pour tenter d’obtenir ce qu’il veut, peu importe ce qu’on a déjà dit.

[…]

Il a demandé un congé annuel et a été informé que le nombre maximal d’heures avait déjà été attribué. En chemin pour la maison, il a appelé pour savoir s’il pouvait travailler huit heures et prendre les quatre heures restantes en congé annuel. Il a été informé à nouveau que le nombre maximal d’heures avait déjà été attribué. De toute évidence, il n’était pas disposé à accepter quoi que ce soit tant qu’il n’entendrait pas ce qu’il voulait entendre.

c. Shannon a indiqué qu’il aimerait être un joueur d’équipe, mais il n’en fait pas la preuve par son comportement. Il travaille principalement dans les postes de contrôle et, dans l’ensemble, il est difficile de déterminer s’il a quelque confiance que ce soit en ses collègues, car il appelle les surveillants correctionnels pour obtenir des renseignements ou des directives plutôt que de travailler avec ses collègues dans les unités/sur les étages, etc. On lui a dit à maintes reprises de travailler avec les autres agents, mais il n’a pas encore fait la preuve qu’il suit cette directive.

[…]

59 M. Niles a déclaré que ce rapport d’évaluation avait renforcé ses réserves quant à la capacité du fonctionnaire s’estimant lésé d’exécuter son travail, et notamment le fait qu’il gérait mal les congés auxquels il avait droit. M. Niles m’a renvoyé également au nombre de points attribués dans le rapport d’évaluation du rendement du fonctionnaire s’estimant lésé pour la période du 1er septembre au 31 octobre 2006 (pièce E-12). Le fonctionnaire s’estimant lésé n’a pas atteint plusieurs des objectifs de son travail.

60 En contre-interrogatoire, M. Niles a mentionné qu’il n’avait jamais discuté avec le fonctionnaire s’estimant lésé de son renvoi en cours de stage. M. Bourque a informé le fonctionnaire s’estimant lésé le 12 janvier 2007 que son emploi prenait fin le jour même. M. Niles était absent à ce moment, et c’est M. Bourque qui assurait l'intérim.

61 M. Niles a déclaré que la surveillante du fonctionnaire s’estimant lésé, Mme Traer, avait discuté à plusieurs reprises avec lui de son dossier de présences et d’absences. Il a ajouté que le fonctionnaire s’estimant lésé aurait pu rencontrer sa surveillante à maintes reprises avant son licenciement. Mme Traer aurait discuté avec lui de ses préoccupations, le cas échéant, concernant ses présences.

62 Le représentant du fonctionnaire s’estimant lésé m’a renvoyé à un courriel que M. Niles a adressé à M. White le 2 août 2007 (pièce G-1). Le représentant du défendeur s’est opposé au dépôt de ce document au motif qu’il n’était pas pertinent aux fins du renvoi du fonctionnaire s’estimant lésé en cours de stage, car il a été transmis après son licenciement, et au motif qu’il était privilégié, puisqu’il se rapporte à des discussions intervenues entre les parties à la procédure de règlement des griefs. Le représentant du fonctionnaire s’estimant lésé a fait valoir qu’il est pertinent. J’ai informé les parties que je prendrais l’objection en délibéré. J’en arrive à la conclusion que l’information est privilégiée et qu’elle ne peut être divulguée dans le cadre d’un arbitrage parce qu’elle a été faite dans le contexte de la procédure de règlement des griefs. Le courriel porte sur le règlement du grief.

63 M. Niles a déclaré que le fonctionnaire s’estimant lésé a écrit dans sa demande d’indemnités d’accident du travail qu’il souffrait de trouble de stress post-traumatique (TSPT) par suite de l’incident du 17 février 2006, au cours duquel il avait vu le détenu A se taillader les bras. M. Niles a déclaré que, si cet incident avait causé un tel stress chez le fonctionnaire s’estimant lésé, cela était peut-être dû au fait que ce dernier n’était pas apte à occuper un poste d’agent correctionnel. C’est pourquoi M. Niles a contesté la demande d’indemnités d’accident du travail du fonctionnaire s’estimant lésé. Il a ajouté qu’il ne croyait pas que le fonctionnaire s’estimant lésé avait pris congé après cet incident.

64 M. Niles a déclaré au cours de son témoignage qu’une entaille d’un pouce sur le bras pouvait saigner, mais que les rapports qu’il a consultés indiquaient qu’il y avait eu très peu de sang. Les agents correctionnels qui se sont occupés du détenu n’ont signalé aucun éclaboussement de sang sur les murs, contrairement à ce qu'avait dit le fonctionnaire s’estimant lésé. M. Niles a précisé qu’il ne prétendait pas que le fonctionnaire s’estimant lésé mentait, mais simplement que la déclaration qu’il a faite dans sa demande d’indemnités d’accident du travail ne correspond pas aux rapports déposés par d’autres agents correctionnels.

65 Le représentant du fonctionnaire s’estimant lésé a attiré l’attention de M. Niles sur le résumé du rapport d’incident dans lequel M. St-Germain a écrit que le détenu s’est tailladé les bras (pièce E-8). M. Niles a souligné que le terme « tailladé » était un terme familier que l’on utilisait dans l’établissement. Il a ajouté qu’il y avait eu plusieurs incidents de cette nature au sein de l’établissement, et qu’ils n’avaient pas nécessairement donné lieu à un éclaboussement de sang sur les murs; dans ce cas-ci, le rapport d’incident n’indiquait pas qu’il y avait du sang sur les murs de la cellule de prison. De l’avis de M. Niles, le fonctionnaire s’estimant lésé a exagéré la quantité de sang trouvée dans la cellule. 

66 M. Niles a mentionné que le fonctionnaire s’estimant lésé a pris un congé de maladie d’un mois pour une blessure au dos subie au cours de l’incident mettant en cause le détenu C.

67 En ce qui concerne la blessure au genou dont il est fait mention dans la deuxième demande d’indemnités d’accident du travail du fonctionnaire s’estimant lésé, M. Niles a expliqué qu’un détenu avait frappé un agent correctionnel au visage. Cet incident a été capté sur bande vidéo, que M. Niles a vue. Plusieurs agents correctionnels se sont portés à la rescousse de l'agent correctionnel et ont maîtrisé le détenu. Tout était sous contrôle. Le fonctionnaire s’estimant lésé a répondu dans les derniers moments de l’incident, après le fait. Il a joué un rôle négligeable, car à son arrivée, le détenu avait déjà été maîtrisé. Aucun des autres agents correctionnels n’a été blessé, seulement le fonctionnaire s’estimant lésé. Cet incident a inquiété M Niles, car la demande d’indemnités d’accident du travail du fonctionnaire s’estimant lésé s’y rapportant a été déposée peu de temps après qu’il eut présenté une demande d’indemnités d’accident du travail pour l’incident au cours duquel le détenu A s’est tailladé les bras.

68 En réponse à une question posée par le représentant du fonctionnaire s’estimant lésé concernant cette blessure au genou, M. Niles a déclaré que la bande vidéo avait été enregistrée à distance de la scène de l’incident, de sorte qu’il était impossible de voir ce que chaque agent correctionnel avait fait. Lorsque le représentant du fonctionnaire s’estimant lésé a déclaré à M. Niles qu’il avait l’intention de prouver que le fonctionnaire s’estimant lésé était alors absent, M. Niles a répondu que cela était impossible.

69 M. Niles a déclaré dans le cadre de son témoignage que l’établissement avait pour politique d’informer les employés en stage de leur rendement en temps opportun, ce qui a été fait dans le cas du fonctionnaire s’estimant lésé.

70 Le fonctionnaire s’estimant lésé a témoigné. Il a commencé à travailler à l’établissement en décembre 2005.

71 Il a expliqué pourquoi il avait utilisé le plus gros de ses congés. Son épouse est originaire de Terre-Neuve. Lorsqu’elle est arrivée à Moncton, elle n’a pu trouver un médecin de famille en raison de la pénurie de médecins. Ses parents vivaient à Moncton, mais ils n’étaient pas en santé non plus. Seul le fonctionnaire s’estimant lésé pouvait par conséquent s’occuper d’elle en cas d’urgence. Elle avait des grossesses difficiles, et elle était malade depuis la naissance prématurée de leur premier enfant. Elle avait perdu un deuxième enfant, et sa troisième grossesse était difficile. Comme elle n’avait pas de médecin de famille, la seule façon d’obtenir de l’aide lorsqu’elle était malade était de se rendre au service d’urgence de l’hôpital. Les absences du fonctionnaire s’estimant lésé étaient attribuables en grande partie au fait qu’il devait accompagner son épouse à l’hôpital lorsqu’elle était malade.

72 Le représentant du fonctionnaire s’estimant lésé a déposé en preuve plusieurs certificats médicaux et rapports établissant qu’il a amené son épouse à l’hôpital à plusieurs reprises, souvent d’urgence :

  • Un certificat de l’Hôpital Beauséjour indique qu’il s’est rendu au service d’urgence de l’hôpital avec son épouse le 2 avril 2006 (pièce G-3).
  • Un certificat de l’Hôpital de Moncton indique qu’il s’est présenté au service d’urgence le 15 octobre 2006 (pièce G-4). Le fonctionnaire s’estimant lésé a remis ce certificat au défendeur avant d’être licencié.
  • Un rapport du Dr Georges L. Dumont, Hôpital régional, daté du 12 janvier 2007, indique que l’épouse du fonctionnaire s’estimant lésé s’est rendue à l’urgence et dans d’autres services à neuf reprises en février et en mars 2006 (pièce G-10).
  • Un rapport de la Régie régionale de la santé du sud-est daté du 16 janvier 2007 indique que l’épouse du fonctionnaire s’estimant lésé s’est rendue à l’Hôpital de Moncton à 10 reprises en mars, avril, août et septembre 2006 (pièce G-11).
  • Un rapport de la Régie régionale de la santé du sud-est, daté du 17 janvier 2007, indique que l’épouse du fonctionnaire s’estimant lésé s’est rendue à l’Hôpital de Moncton 13 fois en septembre, octobre, novembre et décembre 2006 (pièce G-12).

73 Le représentant du défendeur s’est opposé au dépôt des rapports médicaux datés des 12, 16 et 17 janvier 2007 (pièce G-10, G-11 et G-12) au motif qu’ils n’étaient pas pertinents, puisqu’ils ont été délivrés après le licenciement du fonctionnaire s’estimant lésé. Le représentant de ce dernier a fait valoir en revanche qu’ils étaient pertinents, puisqu’ils faisaient la lumière sur les raisons des absences du fonctionnaire s’estimant lésé, et que ces absences sont au nombre des raisons pour lesquelles il a été renvoyé en cours de stage. J’ai dit aux parties que je prendrais l’objection en délibéré. Après avoir analysé leurs arguments, j’ai décidé que ces documents devraient être admis en preuve pour les motifs avancés par le représentant du fonctionnaire s’estimant lésé.

74 Le représentant du fonctionnaire s’estimant lésé a déposé en preuve trois certificats médicaux qui établissent qu’il a été traité à la clinique de physiothérapie Héritage le 28 juin 2006 (pièce G-6), le 10 juillet 2006 (pièce G-8) et le 4 août 2006 (pièce G-5). Le fonctionnaire s’estimant lésé a soumis un autre certificat délivré par la même clinique, ne portant aucune date, selon lequel il a été traité pour des problèmes à l’épaule et dans la partie supérieure du dos ainsi que pour une entorse au genou droit (pièce G-7). Le fonctionnaire s’estimant lésé a soumis également un certificat médical de son médecin de famille selon lequel il a été suivi par un médecin du 23 au 26 avril 2006 (pièce G-9). Il a ajouté avoir remis ces cinq certificats au défendeur avant son renvoi en cours de stage.

75 Le fonctionnaire s’estimant lésé a décrit l’incident au cours duquel un détenu s’est tailladé les bras, le 17 février 2006. Il était alors au poste de contrôle. De là, il pouvait voir l’intérieur des cellules sur un écran de télévision en circuit fermé. Il n’y avait pour seule pièce de mobilier dans la cellule du détenu A qu’un matelas. Le fonctionnaire s’estimant lésé a vu le détenu A se rendre près de la fenêtre de la cellule et saisir un rasoir qu’il y avait caché. Il s’est appuyé au mur et a commencé à se taillader les bras avec le rasoir. Le fonctionnaire s’estimant lésé a informé les membres du personnel de l’étage de ce qui était en train de se produire, et ils lui ont dit de continuer d’observer le détenu sur l’écran et de les informer s’il s’ouvrait une artère. Le fonctionnaire s’estimant lésé a vu que le détenu saignait et qu’il [traduction] « mettait du sang » sur le lit et sur les murs. La scène était horrible. Personne n’est entré dans la cellule. Plusieurs membres du personnel ont tenté de discuter avec le détenu A par la fenêtre de la porte de la cellule pour lui demander de cesser de se taillader les bras. Le détenu A n’a jamais été retiré de sa cellule.

76 Le fonctionnaire s’estimant lésé a expliqué qu’après quatre heures au poste de contrôle, il avait été affecté à une autre partie de l’établissement, adjacente à l’unité 3. Là, on lui a dit qu’un détenu avait tenté de se pendre. C’était en fait le détenu A. Le personnel de la prison avait amené le détenu A. Le fonctionnaire s’estimant lésé a vu les membres du personnel l’amener à l’extérieur de l’unité 3 sur une planche cervicale. On lui avait immobilisé la tête et le cou. Les membres du personnel étaient couverts de sang.

77 Le fonctionnaire s’estimant lésé a expliqué qu’il n’était pas sur les lieux de l’incident au cours duquel le détenu B a agressé l’agent correctionnel « O.T. » le 20 juin 2006. C’est l’incident dont M. Niles a fait mention relativement à la demande d’indemnités d’accident du travail du fonctionnaire s’estimant lésé datée du même jour. En conséquence, il n’apparaissait sur la bande vidéo, contrairement à ce que M. Niles prétend. En effet, il était alors à l’Hôpital régional de Miramichi pour une blessure qu’il avait subie ce jour-là. Le représentant du fonctionnaire s’estimant lésé a déposé en preuve un certificat de Esther Keating, du service des dossiers médicaux de la Régie régionale de la santé de Miramichi, qui précise que le fonctionnaire s’estimant lésé a été traité à l’hôpital le 20 juin 2006 de 15 h 40 à 17 h 15 (pièce G-16).

78 Le fonctionnaire s’estimant lésé a expliqué qu’il avait été mêlé à deux incidents le 20 juin 2006. En avant-midi, lui et l’agent correctionnel « R.H. » avaient effectué une fouille dans la cellule du détenu C pendant que ce dernier se trouvait dans la cour de récréation. Le fonctionnaire s’estimant lésé et l’agent R.H. avaient alors saisi des objets qui n’appartenaient pas au détenu C. Lorsque ce dernier est retourné dans sa cellule et qu’il a constaté que des objets avaient disparu, il est devenu agressif. Il a pris un manche de balai à franges long de quatre pieds et demi à cinq pieds et l’a brandi comme arme, criant qu’il ferait mal à quelqu’un si ses biens ne lui étaient pas remis. L’agent R.H. a poussé le détenu C contre un mur. D’autres membres du personnel sont arrivés et l’ont maîtrisé. Les agents et le détenu C étaient au sol, et le manche du balai se trouvait sous le détenu. Le fonctionnaire s’estimant lésé et l’agent « D.B. » ont tenté à plusieurs reprises de le lui arracher. Le détenu C a ensuite été placé en isolement. Le lendemain matin, le fonctionnaire s’estimant lésé a ressenti des douleurs au dos. Il y avait de l’inflammation. Il est allé voir le médecin pour se faire examiner, et il a été aiguillé vers la Clinique de physiothérapie Héritage.

79 Le fonctionnaire s’estimant lésé a décrit le second incident qui s’est produit le 20 juin 2006, au cours duquel il s’est blessé au genou. En début d’après-midi, il y a eu une altercation entre l’agent R.H., l’agent « S.H. » et le détenu « D ». Usant de la force, les agents R.H. et S.H. ont poussé le détenu D au sol, lui ont cloué les mains et les épaules au sol, et ont demandé de l’aide. Le fonctionnaire s’estimant lésé et l’agent correctionnel « A.M. » ont répondu à cet appel à l’aide. Le fonctionnaire s’estimant lésé a mis le genou derrière la jambe du détenu D et a appliqué une pression. Les autres agents ont placé des arceaux aux pieds du détenu D. Le fonctionnaire s’estimant lésé a déposé un rapport de l’incident.

80 Le même jour, après cet incident, une infirmière a examiné la jambe du fonctionnaire s’estimant lésé. Lorsqu’il a étiré la jambe, elle a entendu un bruit, semblable à « pop ». Elle a amené le fonctionnaire s’estimant lésé à l’unité des soins de santé de l’établissement, lui a enveloppé le genou pour le supporter et lui a dit de présenter une demande d’indemnités d’accident du travail pour sa blessure. Elle a ensuite envoyé le fonctionnaire s’estimant lésé à l’hôpital pour qu’on évalue sa blessure au genou. Il s’est rendu à l’hôpital le même après-midi. C’est là qu’il se trouvait au moment où M. Niles a cru le voir dans la bande vidéo de l’incident avec le détenu B, comme l’indique le certificat médical de la Régie régionale de la santé de Miramichi déjà déposé en preuve (pièce G-16). Le même après-midi, le fonctionnaire s’estimant lésé a vu l’agent O.T., qui avait été frappé par le détenu B, transporté à l’hôpital en ambulance. L’agent accompagnant l’agent O.T. a dit au fonctionnaire s’estimant lésé que le détenu B avait lui aussi été transporté à l’hôpital.

81 Le fonctionnaire s’estimant lésé a ajouté que les agents R.H. et S.H. avaient présenté des demandes d’indemnités d’accident du travail à la suite de l’incident mettant en cause le détenu D.

82 Le fonctionnaire s’estimant lésé a ensuite décrit l’incident du 6 novembre 2006, au cours duquel il avait demandé qu’on le relève de son poste. Il travaillait alors dans l’unité des contrevenants dangereux. Il a reçu un appel de son épouse, qui s’était rendue à Terre-Neuve pour assister aux funérailles de sa grand-mère. Elle était très émotive. Elle lui a dit qu’elle avait été agressée sexuellement par son chiropraticien. Le fonctionnaire s’estimant lésé était en colère parce que cela s’était produit pendant la grossesse à haut risque de son épouse, enceinte de leur troisième enfant. Il a communiqué avec M. Martin, le surveillant de service ce jour-là, et a demandé d’être relevé de son poste le plus rapidement possible. Il craignait en effet qu’en raison de la détresse qu’il ressentait, il fasse preuve de manque de jugement et commette un geste regrettable. Il a été relevé de son poste et a rencontré M. Martin dans son bureau. Le fonctionnaire s’estimant lésé a décrit à M. Martin l’appel téléphonique qu’il avait reçu de son épouse. M. Martin lui a demandé de l’attendre dans la salle des séances d’information. Le fonctionnaire s’estimant lésé a demandé à voir son représentant syndical. Ce dernier est allé le rencontrer dans la salle des séances d’information. M. Martin a ensuite envoyé le fonctionnaire s’estimant lésé chez lui.

83 Quelques jours plus tard, en novembre 2006, M. Bourque a fait venir le fonctionnaire s’estimant lésé dans son bureau. Mme Traer était présente également. M. Bourque a remis au fonctionnaire s’estimant lésé une copie de la cassette audio de la conversation qui avait eu lieu entre lui et son épouse. Il a déclaré qu’il n’était pas convaincu de la « validité » des commentaires faits par l’épouse. Il a ajouté qu’il ignorait s’il s’agissait d’une tentative planifiée de permettre au fonctionnaire s’estimant lésé d’obtenir un congé. M. Bourque a déclaré que la réaction du fonctionnaire s’estimant lésé à la suite de l’appel téléphonique était injustifiée. Il a ajouté que, si le fonctionnaire s’estimant lésé disait vrai, il oublierait toute l’affaire. M. Bourque a mis le fonctionnaire s’estimant lésé en congé et lui a demandé de se faire évaluer par Santé Canada pour déterminer s’il avait un problème de colère.

84 Le 6 décembre 2006, Rene Morais, un coordinateur en matière de santé et sécurité au travail pour l’établissement, a écrit à Santé Canada pour demander une évaluation d’aptitude au travail du fonctionnaire s’estimant lésé (pièce G-13). Ce dernier a subi l’évaluation. Il a reçu une lettre du Dr Frederic J. Maggio, agent médical, Santé Canada, l’informant qu’il était apte au travail (pièce G-15). Bien que la lettre soit datée du 28 décembre 2006, le fonctionnaire s’estimant lésé ne l’a reçue qu’en janvier 2007, lorsqu’il est retourné au travail.

85 Le fonctionnaire s’estimant lésé a déclaré qu’il avait consulté M. Gino Frenette, psychologue, lorsque son épouse était encore à Terre-Neuve, parce qu’il ne savait pas vraiment comment faire face à son état émotif. Il a dit au Dr Frenette que son épouse avait été agressée par son chiropraticien à Terre-Neuve. Le Dr Frenette a signalé l’incident à la Newfoundland and Labrador Chiropractic Board, ainsi que l’indique la lettre du président de l’organisme, le Dr R.G. Bryans, datée du 8 janvier 2007 (pièce G-14).

86 Le fonctionnaire s’estimant lésé a témoigné avoir rencontré M. Bourque le 11 ou le 12 janvier 2007. À ce moment-là, il était revenu de son congé. Il avait été en congé depuis le mois de novembre 2006. M. White l’avait convoqué à la rencontre. M. Bourque a dit au fonctionnaire s’estimant lésé que la rencontre avait pour objet de l’informer de son renvoi en cours de stage, et qu’une lettre expliquant les raisons de son renvoi suivrait. La rencontre a duré deux ou trois minutes. Le fonctionnaire s’estimant lésé a été escorté à l’extérieur de la prison. Il a reçu la lettre par courrier recommandé le 7 février 2007 (pièce E-1).

87 En contre-interrogatoire, le fonctionnaire s’estimant lésé a déclaré qu’il savait qu’il y avait un stage de 12 mois lorsqu’il a été embauché, puisque c’est ce que précisait sa lettre d’offre d’emploi (pièce E-3).

88 Il a expliqué qu’il avait suivi un programme de formation de 11 semaines avant d’être embauché. Tous les agents correctionnels potentiels doivent suivre ce cours. Pendant la formation, les étudiants ont appris ce que c’est que de travailler dans un établissement carcéral. Ils ont reçu une formation en autodéfense et en port d’armes. Les formateurs ont expliqué également les fonctions des agents correctionnels aux étudiants. Le fonctionnaire s’estimant lésé a précisé cependant que la formation offerte dans ce cours ciblait les prisons à sécurité moyenne, puisque c’est dans ces établissements que la plupart des prisonniers sont envoyés. La vie dans une prison à sécurité maximale est différente – la mobilité des détenus y est plus limitée. Les agents correctionnels sont mieux équipés aussi dans les établissements à sécurité maximale, puisqu’ils sont munis de fusils, de carabines et de vaporisateur de poivre.

89 Le fonctionnaire s’estimant lésé a déclaré qu’il n’avait pas remis à Mme Traer les dossiers de l’hôpital pour justifier ses absences (pièces G-10, G-11 et G-12).

90 Lorsque le représentant du défendeur lui a demandé si la sécurité du personnel et des détenus est compromise lorsqu’un agent correctionnel quitte son poste, le fonctionnaire s’estimant lésé a répondu que leur sécurité n’est pas compromise, puisque aucun agent ne quitte son poste sans être remplacé. Cela ne s’est jamais produit. Si un agent doit être remplacé, la direction trouve un remplaçant ou demande à d’autres agents d’effectuer des heures supplémentaires.

91 Le fonctionnaire s’estimant lésé a confirmé que Chris Brooks, surveillant correctionnel, a rédigé la description de l’incident au cours duquel le détenu A s’est tailladé les bras, que l’on trouve au paragraphe 6 de la demande d’indemnités d’accident du travail du fonctionnaire s’estimant lésé (pièce E-8). M. Brooks a écrit ce que ce dernier lui a raconté. Le fonctionnaire s’estimant lésé a ajouté que le rapport indique, à la page 2, qu’il a déclaré que l’information qui y est fournie est exacte.

92 Le fonctionnaire s’estimant lésé a témoigné qu’il n’était pas allé voir le détenu dans sa cellule lorsqu’il était au poste de contrôle. Après 11 h 30, il a été affecté à une zone située à l’extérieur de l’unité 3.

93 Le représentant du fonctionnaire s’estimant lésé a souligné au fonctionnaire s’estimant lésé qu’il avait quitté le poste de contrôle à 11 h 30, alors que le résumé du rapport d’incident (pièce E-8) rempli par M. St-Germain indique qu’à ce moment-là, l’infirmière n’avait vu aucune trace de sang. Ce n’est que lorsque l’infirmière est revenue à 13 h 50 qu’elle a vu du sang. Le fonctionnaire s’estimant lésé a répondu que la fenêtre de la cellule du détenu A était petite, ce qui pouvait expliquer pourquoi l’infirmière avait pu ne pas voir le sang. C’était aussi peut-être parce que le détenu A se tenait debout, les bras le long du corps.

94 Le représentant du défendeur a fait ressortir au fonctionnaire s’estimant lésé que le résumé du rapport d’incident (pièce E-8) rempli par M. St-Germain indique que l’incident au cours duquel le détenu s’est tailladé les bras était la cause de son TSPT. Le fonctionnaire s’estimant lésé a répondu que ce n’était pas cet incident à lui seul qui avait causé le TSPT, mais tout l’incident mettant en cause le détenu, notamment le fait que personne n’est entré dans la cellule pour s’occuper de lui. Le fonctionnaire s’estimant lésé aurait prodigué des soins médicaux au détenu. C’est ce que le personnel de la prison aurait dû faire.

95 Lorsqu’il s’est fait demander au cours du contre-interrogatoire si un autre agent correctionnel avait présenté une demande d’indemnités d’accident du travail à la suite de l’incident au cours duquel le détenu A s’était tailladé les bras, le fonctionnaire s’estimant lésé a répondu qu’il ignorait si quelqu’un d’autre l’avait fait, et qu’il savait cependant qu’un agent mêlé à l’incident n’était pas retourné au travail au cours du mois suivant.

96 Pour ce qui est de savoir pourquoi il a attendu trois mois avant de remplir un rapport sur l’incident au cours duquel le détenu A s’était tailladé les bras, comme le prescrivent les paragraphes 14 et 16 de la « Directive du commissaire 568-1 » (pièce E-9), le fonctionnaire s’estimant lésé a répondu qu’immédiatement après l’incident, il avait demandé aux membres du personnel de l’étage s’il devait remplir un rapport. Ils avaient répondu qu’il n’était pas tenu de le faire et qu’il devait continuer d’observer l’incident sur l’écran en circuit fermé. Ils s’occuperaient du reste. Le fonctionnaire s’estimant lésé s’est conformé à leur demande, car l’employé en stage veut faire tout sauf se démarquer auprès du personnel d’exécution. Le fonctionnaire s’estimant lésé a été incapable de se rappeler les noms de ces agents. Trois mois plus tard, M. Brooks lui a demandé de remplir un rapport sur l’incident.

97 Le fonctionnaire s’estimant lésé a admis avoir signé son rapport d’évaluation du rendement (pièce E-12). Il était alors en congé et sa surveillante, Mme Traer, l’a fait venir dans son bureau pour qu’il le signe. Il a coché la case qui, à la page trois du rapport, indique qu’il est d’accord avec l’évaluation. Il a admis qu’il savait alors que Mme Traer était insatisfaite de son rendement au travail.

98 Au cours du réinterrogatoire, le fonctionnaire s’estimant lésé a déclaré que Mme Traer était toujours informée des raisons de ses congés, puisqu’il devait les lui communiquer.

99 Le fonctionnaire s’estimant lésé a témoigné que l’un des agents dont les vêtements étaient tachés de sang lorsqu’il avait quitté l’établissement après l’incident au cours duquel le détenu A s’était tailladé les bras était l’agent « J.G. ». Ébranlé par l’incident, ce dernier n’est pas retourné au travail. Le fonctionnaire s’estimant lésé n’a pu se rappeler le nom de l’autre agent. La direction devait le savoir, puisque l’on avait remis aux agents des salopettes pour leur retour à la maison parce que leurs vêtements étaient tachés de sang. Le fonctionnaire s’estimant lésé a supposé que M. Niles, plus particulièrement, était au courant, puisqu’il a témoigné qu’il était au courant de tout ce qui se passe à l’établissement.

100 Le fonctionnaire s’estimant lésé a ajouté que les agents correctionnels prenaient souvent congé pour stress.

101 Il a expliqué pourquoi il avait présenté une demande d’indemnités d’accident du travail relativement à l’incident au cours duquel le détenu A s’était tailladé les bras trois mois après l’incident. Celui-ci avait fait l’objet d’une enquête à l’échelle nationale. M. Brooks a suggéré trois mois après l’incident que le fonctionnaire s’estimant lésé présente une demande au cas où les enquêteurs lui demanderaient sa version de l’incident.

IV. Résumé de l’argumentation

A. Pour le défendeur

102 Le défendeur a fait valoir que je n'ai pas compétence pour entendre l'affaire au motif que le fonctionnaire s’estimant lésé a été licencié en cours de stage. La lettre d’offre d’emploi, datée du 9 décembre 2005, fixe la date d’entrée en service du fonctionnaire s’estimant lésé au 12 décembre 2005 (pièce E-3). On peut y lire également que son emploi est assujetti à une période de stage de 12 mois. L’alinéa 61(1)a) de la LEFP prescrit que cette période de stage est établie par règlement du CT. Le Règlement fixant la période de stage et le délai de préavis en cas de renvoi au cours de la période de stage, DORS/2005-375(le « Règlement sur la période de stage »), pris par le CT, prescrit que la période de stage pour les employés nommés pour une période indéterminée est de 12 mois.La lettre d’offre d’emploi du fonctionnaire s’estimant lésé et l’alinéa 2(2)c) du Règlement sur les périodes de stage indique que la période de stage n’inclut pas les périodes de congé avec paie de plus de 30 jours consécutifs. Personne ne conteste que le fonctionnaire s’estimant lésé a pris un congé avec paie de plus de 30 jours. Sa période de stage a donc pris fin le 16 ou le 17 janvier 2007. M. Bourque, qui était le directeur par intérim de l’établissement en l’absence de M. Niles, a rencontré le fonctionnaire s’estimant lésé le 11 ou le 12 janvier 2007, pour informer ce dernier qu’il était renvoyé en cours de stage le même jour. Le fonctionnaire s’estimant lésé a reçu une rémunération tenant lieu de préavis conformément au paragraphe 62(2) de la LEFP. Dans une lettre subséquente, datée du 24 janvier 2007, il a été informé par écrit des motifs de son renvoi en cours de stage (pièce E-1).

103 Le représentant du défendeur a souligné que l’alinéa 211a) de la LRTFP prescrit qu’un fonctionnaire ne peut renvoyer à l’arbitrage le grief individuel portant sur tout licenciement prévu sous le régime de la LEFP. Le fonctionnaire s’estimant lésé a été renvoyé en cours de stage en vertu de l’alinéa 62(1)a) de la LEFP. Dans les cas de renvoi en cours de stage, le rôle de l’arbitre de grief consiste à déterminer si le licenciement est fondé sur des motifs liés à l’emploi. Dans l’affirmative, l’arbitre de grief n’est pas compétent en la matière. Il ne lui revient ni de se mettre à la place de l’employeur et d’évaluer la validité du licenciement, ni de déterminer si le licenciement était justifié. L’arbitre de grief ne pourra annuler la décision de renvoyer un fonctionnaire en cours de stage que s’il détermine que le renvoi était une supercherie ou du camouflage. 

104 Le représentant du défendeur m’a renvoyé à plusieurs affaires concernant la charge qui incombe à l’employeur dans les cas de renvoi en cours de stage et la compétence de l’arbitre à l’égard de tels griefs. Dans l’affaire La Reine c. Ouimet, [1979] 1 C.F. 55 (C.A.), la Cour d’appel fédérale a statué que, dans le cadre d’un grief contestant un renvoi en cours de stage, l’employeur doit simplement établir que le fonctionnaire s’estimant lésé a été renvoyé pour des motifs liés à l’emploi. Il incombe ensuite au fonctionnaire s’estimant lésé d’établir que le renvoi était une supercherie ou du camouflage. La Cour d’appel fédérale a ajouté qu’il est permis de fonder le renvoi en cours de stage de l’employé sur ses aptitudes.   

105 Le représentant du défendeur m’a renvoyé également à l’affaire Canada (procureur général) c. Penner, [1989] 3 C.F. 429 (C.A.), où la Cour d’appel fédérale a statué au paragraphe 18 que l’arbitre de grief n’est pas compétent à l’égard d’un renvoi en cours de stage dès lors qu’il y a une preuve qu’il juge satisfaisante que l’employeur a agi de bonne foi en renvoyant le fonctionnaire en cours de stage.

106 Dans l’affaire Chaudhry c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2005 CRTFP 72, au paragraphe 118, (décision maintenue dans Chaudhry c. Canada (procureur général), 2007 CF 389), l’arbitre de grief a déterminé que le seul fait d’informer un fonctionnaire lorsqu’il entre en fonction qu’il est en période de stage constitue une mise en garde suffisante suivant laquelle des problèmes liés à son rendement peuvent entraîner un renvoi en cours de stage. Dans la présente affaire, la lettre d’offre d’emploi du fonctionnaire s’estimant lésé précise que ce dernier sera en stage pendant 12 mois (pièce E-3). Le rapport d’évaluation du rendement du fonctionnaire s’estimant lésé indique que le défendeur était insatisfait de son rendement au travail (pièce E-12).

107 Le représentant du défendeur m’a renvoyé à l’affaire Canada (procureur général) c. Leonarduzzi, 2001 CFPI 529, où au paragraphe 37, la Cour fédérale a statué que, dans le cas d’un grief déposé à l’encontre d’un renvoi en cours de stage, l’employeur doit uniquement produire une certaine preuve que le renvoi reposait sur des motifs liés à l’emploi et qu’il ne reposait sur aucun autre motif. Le même raisonnement a été adopté par les arbitres dans les affaires Ross c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2003 CRTFP 97, et Owens c. Conseil du Trésor (Gendarmerie royale du Canada), 2003 CRTFP 33 (paragraphes 64 à 66, 74 et 75).

108 Dans l’affaire Boyce c. Conseil du Trésor (ministère de la Défense nationale), 2004 CRTFP 39, l’arbitre de grief a statué aux paragraphes 54 à 56 que la raison pour laquelle un fonctionnaire est renvoyé en cours de stage ne doit pas nécessairement être bien fondée et qu’elle doit simplement se rapporter à l’emploi. Dans l’affaire Chaudhry, l’arbitre a statué au paragraphe 119 qu’un arbitre de grief n’est pas compétent pour examiner le bien-fondé de la décision de renvoyer un fonctionnaire en cours de stage. Au paragraphe 76 de l’affaire Wright c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2005 CRTFP 139, l’arbitre de grief a statué que l’employeur n’avait pas « […] à prouver que toutes les raisons qu’il a énumérées pour renvoyer le fonctionnaire en cours de stage sont bien fondées; il n’a qu’à prouver l’existence d’un motif lié à l’emploi […] ».

109 Le représentant du défendeur a fait valoir que la preuve établit que le fonctionnaire s’estimant lésé a été renvoyé en cours de stage pour des motifs liés à l’emploi.

110 Le rendement au travail du fonctionnaire s’estimant lésé est en soi une raison suffisante pour le renvoyer en cours de stage. Son rapport d’évaluation du rendement, qu’il a signé et dont il a accepté le contenu, indique qu’il éprouvait beaucoup de difficulté au travail (pièce E-12), et notamment qu’il ne satisfaisait pas à de nombreux objectifs.

111 L’accès de colère du fonctionnaire s’estimant lésé lorsque son épouse l’a appelé au travail est un autre motif lié à l’emploi de le renvoyer en cours de stage. D’un ton menaçant, il a dit à M. Martin de le relever de son poste, car il ignorait ce qui se produirait sinon. La situation était grave, car le fonctionnaire s’estimant lésé avait accès à des armes à feu. C’était là une autre raison de mettre fin à son emploi.

112 En ce qui concerne la fiche de présence au travail du fonctionnaire s’estimant lésé, M. Niles a déclaré dans le cadre de son témoignage que c’était la manière dont il avait utilisé ses congés qui l’avait amené à douter de ses aptitudes.

113 Le fonctionnaire s’estimant lésé a le droit de demander des indemnités d’accident du travail, mais il a présenté trois demandes en trois mois. Le défendeur était justifié de mettre en doute ses aptitudes pour exécuter les fonctions du poste d’agent correctionnel.

114 Le représentant du défendeur a terminé en déclarant que la preuve établit que le fonctionnaire s’estimant lésé n’est pas apte à exécuter les fonctions d’un agent correctionnel. Comme il a été renvoyé pour des motifs liés à l’emploi, je ne suis pas compétent pour entendre ce grief.

B. Pour le fonctionnaire s’estimant lésé

115 Le représentant du fonctionnaire s’estimant lésé a fait valoir que je suis compétent pour entendre le grief parce que le renvoi en cours de stage était une supercherie. Le défendeur a agi de mauvaise foi en mettant fin à son emploi.

116 Le représentant du fonctionnaire s’estimant lésé a fait valoir que le fait de se fonder sur la fiche de présences du fonctionnaire s’estimant lésé pour justifier son licenciement démontre de la mauvaise foi. Le fonctionnaire s’estimant lésé avait droit aux congés qu’il a pris. Tous étaient justifiés. Il n’a commis aucun abus à cet égard. Le fait de se fonder sur ces absences est contraire à la clause 37.01 de la convention collective, qui interdit la discrimination fondée sur une déficience physique. L’épouse du fonctionnaire s’estimant lésé éprouvait des problèmes de santé et le défendeur devait composer avec les besoins du fonctionnaire s’estimant lésé, qui s’occupait de son épouse.

117 Selon le représentant du fonctionnaire s’estimant lésé, il est faux de dire que les absences de ce dernier créaient des brèches dans le tableau de service. Le témoignage du fonctionnaire s’estimant lésé révèle qu’un agent correctionnel ne peut quitter son poste sans être remplacé. Lorsqu’un employé doit s’absenter, le défendeur demande à un autre employé d’effectuer des heures supplémentaires.

118 Le représentant du fonctionnaire s’estimant lésé a fait valoir que ce dernier avait le droit de présenter des demandes d’indemnités d’accident du travail. En ce qui concerne l’incident au cours duquel le détenu A s’est tailladé les bras, le défendeur a fait preuve de mauvaise foi en reprochant au fonctionnaire s’estimant lésé d’avoir présenté une demande d’indemnités d’accident du travail. Le détenu s’est automutilé et il a subséquemment tenté de se pendre. Ces événements étaient très stressants. Un agent correctionnel mêlé à cet incident a pris un congé d’un mois. Les agents correctionnels sont agressés tous les jours. Le TSPT est fréquent chez eux. En outre, le fonctionnaire s’estimant lésé a présenté une demande d’indemnités d’accident du travail pour cet incident à la demande du personnel de l’établissement. Le défendeur a agi de mauvaise foi en demandant au fonctionnaire s’estimant lésé de présenter une demande d’indemnités d’accident du travail avant de le licencier pour cette même raison.

119 La preuve établit que M. Niles a commis une erreur relativement à une autre des demandes d’indemnités d’accident du travail du fonctionnaire s’estimant lésé. M. Niles était d’avis que le fonctionnaire s’estimant lésé n’était pas justifié de présenter une demande pour une blessure au genou parce qu’il a vu une bande vidéo d’un incident mettant en cause le détenu B et conclu que la participation du fonctionnaire s’estimant lésé à cet incident était négligeable. Or, la preuve établit que le fonctionnaire s’estimant lésé n’était même pas sur les lieux. Le certificat médical délivré par la Régie régionale de la santé de Miramichi établit effectivement qu’il était alors à l’hôpital en question. Il a bien présenté une demande d’indemnités d’accident du travail pour son genou droit, mais relativement à un autre incident. La raison pour laquelle il a présenté une demande est que l’infirmière qui l’a examiné a entendu un bruit, semblable à « pop », lorsque le fonctionnaire s’estimant lésé a étiré la jambe, et qu’elle lui a recommandé de se faire soigner.

120 Le représentant du fonctionnaire s’estimant lésé a déclaré que M. Niles se fonde maintenant sur le rapport d’évaluation du rendement du fonctionnaire s’estimant lésé (pièce E-12). On retrouve dans ce rapport d’évaluation de nombreux points sur lesquels M. Niles a témoigné, qui ne figurent pas cependant dans la lettre de renvoi du fonctionnaire s’estimant lésé (pièce E-1). Ainsi, le rapport d’évaluation indique que le fonctionnaire s’estimant lésé pose trop de questions. Ce reproche ne se retrouve pas dans la lettre de renvoi.

121 Le représentant du fonctionnaire s’estimant lésé a terminé en disant que je suis compétent pour entendre le présent grief. À son avis, le défendeur a agi de mauvaise foi en renvoyant le fonctionnaire s’estimant lésé en cours de stage. Il m’a demandé de réserver ma compétence sur les questions des mesures correctives si je décide d’accueillir le grief.

C. Réplique du défendeur

122 Le représentant du défendeur a fait valoir que l’incident du 17 février 2006 au cours duquel le détenu A s’est tailladé les bras n’aurait pu causer le traumatisme mental du fonctionnaire s’estimant lésé. Ce dernier ne s’est pas rendu à la cellule du détenu en question, ni n’a eu de contact direct avec lui. Sa réaction à la suite de cet incident a amené M. Niles à mettre en doute ses aptitudes pour effectuer les fonctions du poste d’agent correctionnel.

123 Le fonctionnaire s’estimant lésé n’a pas été pénalisé pour avoir présenté trois demandes d’indemnités d’accident du travail. Le fait qu’il a présenté trois demandes en trois mois a amené le défendeur à douter de ses aptitudes pour accomplir ce travail.

V. Motifs

124 Le fonctionnaire a renvoyé son grief à l’arbitrage en vertu de l’alinéa 209(1)b) de la LRTFP, qui se lit comme suit :

          209.(1) Après l’avoir porté jusqu’au dernier palier de la procédure applicable sans avoir obtenu satisfaction, le fonctionnaire peut renvoyer à l’arbitrage tout grief individuel portant sur :

[…]

b) soit une mesure disciplinaire entraînant le licenciement, la rétrogradation, la suspension ou une sanction pécuniaire;

125 Le fonctionnaire s’estimant lésé a été renvoyé en cours de stage après avoir travaillé pendant près d’un an pour le défendeur (exclusion faite des périodes de congé avec paie de plus de 30 jours consécutifs). Le représentant du défendeur a indiqué lui avoir versé une rémunération tenant lieu de préavis. Le fonctionnaire s’estimant lésé n’a pas contesté qu’il était en cours de stage au moment de son renvoi. Pour cette raison, la compétence d’un arbitre de grief dans un tel cas est étroitement circonscrite par la loi et la jurisprudence.

126 L’alinéa 211a) de la LRTFP interdit au fonctionnaire de renvoyer à l’arbitrage un grief individuel portant sur tout licenciement prévu sous le régime de la LEFP :

          211.L’article 209 n’a pas pour effet de permettre le renvoi à l’arbitrage d’un grief individuel portant sur :

a) soit tout licenciement prévu sous le régime de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique […]

127 Le renvoi en cours de stage est régi par l’article 62 de la LEFP, dont les passages pertinents se lisent comme suit :

          62. (1) À tout moment au cours de la période de stage, l’administrateur général peut aviser le fonctionnaire de son intention de mettre fin à son emploi au terme du délai de préavis :

a)fixé, pour la catégorie de fonctionnaires dont il fait partie, par règlement du Conseil du Trésor dans le cas d’une administration figurant aux annexes I ou IV de la Loi sur la gestion des finances publiques;

[…]

Le fonctionnaire perd sa qualité de fonctionnaire au terme de ce délai.

          (2) Au lieu de donner l’avis prévu au paragraphe (1), l’administrateur général peut aviser le fonctionnaire de la cessation de son emploi et du fait qu’une indemnité équivalant au salaire auquel il aurait eu droit au cours de la période de préavis lui sera versée. Le fonctionnaire perd sa qualité de fonctionnaire à la date fixée par l’administrateur général.

128 Dans l’affaire Penner, la Cour d’appel fédérale a expliqué que l’objet de la période de stage est d’évaluer les aptitudes du fonctionnaire pour occuper le poste. Au paragraphe 19, le juge Marceau écrit ceci :

[…]

Comme l'a dit le juge Heald [[1977] 1 C.F. 91 (C.A.), sous l'intitulé Procureur général du Canada c. Commission des relations de travail dans la Fonction publique, à la page 100], dont les propos ont été approuvés par le juge de Grandpré dans ses motifs de l'arrêt Jacmain (à la page 37), l'article 28 vise entièrement à permettre à l'employeur d'apprécier l'aptitude d'un employé à occuper un emploi. Si l'employeur conclut durant cette période que l'employé ne présente pas les qualités requises, il peut alors le renvoyer sans que celui-ci ait la possibilité de recourir à l'arbitrage […]

[…]

129 Dans l’affaire Leonarduzzi,la Cour fédérale a déterminé au paragraphe 37 que l’employeur est tenu non pas d’établir l’existence d’un motif valable, mais uniquement d’établir, au moyen d’une preuve, que le renvoi était lié à l’emploi et à aucun autre motif :

[…]

[…] l'employeur n'a pas à produire une preuve prima facie d'un motif déterminé valable, mais seulement à produire un minimum de preuve que le renvoi est lié à l'emploi et non à un autre motif.

[…]

130 Dans l’affaire Penner, la Cour d’appel fédérale a adopté, au paragraphe 14, le critère suivant, énoncé par l’arbitre de griefs dans l’affaire Smith c. Conseil du Trésor (ministère des Postes), dossier de la CRTFP 166-02-3017 (19771007) :

[…]

En effet, une fois que l'employeur a présenté à l'arbitre une preuve concluante indiquant un motif de renvoi valable à première vue, l'audition sur le fond dans l'affaire de congédiement ne peut alors aboutir qu'à une impasse soudaine […]

[…]

131 Au paragraphe 45 de l’affaire Leonarduzzi, cependant, la Cour fédérale a statué qu’un arbitre de grief est compétent pour entendre un grief si le licenciement du fonctionnaire s’estimant lésé est en fait « une supercherie ou du camouflage » ou qu’il est motivé par la mauvaise foi, et qu’il est par conséquent contraire à l’article 28 (aujourd’hui l’article 62) de la LEFP. Suivant l’affaire Leonarduzzi, une fois que l’employeur s’est acquitté de la charge qui lui incombe de démontrer que le renvoi repose sur un motif lié à l’emploi, la charge de la preuve incombe alors au fonctionnaire s’estimant lésé, qui doit démontrer que la décision de l’employeur est « une supercherie ou du camouflage » ou qu’elle est motivée par la mauvaise foi. Il est important de noter que la charge incombe au fonctionnaire s’estimant lésé d’établir l’existence de la mauvaise foi; l’employeur n’est pas tenu de prouver qu’il a agi de bonne foi.

132 Par conséquent, la principale question en litige dans le présent grief est celle de savoir si le fonctionnaire s’estimant lésé a été licencié pour des motifs liés à l’emploi, chacun d’entre eux ayant été énoncé par l’employeur dans sa lettre de renvoi. M. Niles a déclaré dans son témoignage que le fonctionnaire s’estimant lésé a été licencié pour quatre motifs : son dossier de présences, ses demandes d’indemnités d’accident du travail, sa réaction émotive lorsque son épouse l’a appelé au travail pour lui dire qu’elle avait été agressée sexuellement par un physiothérapeute, et sa difficulté à s’intégrer à une équipe.

133 M. Niles a déclaré dans son témoignage qu’il était préoccupé par la manière dont le fonctionnaire s’estimant lésé avait utilisé ses congés. La préoccupation de M. Niles et celle de la surveillante du fonctionnaire s’estimant lésé, telles qu’elles ont été exprimées dans le rapport d’évaluation du rendement du fonctionnaire s’estimant lésé, tenaient au fait que le fonctionnaire s’estimant lésé utilisait les congés auxquels il avait droit trop rapidement et qu’il risquait ainsi d’en utiliser la totalité avant la fin de l’année. Le cas échéant, il n’en aurait plus aucun s’il devait s’absenter du travail. M. Niles n’a pas contesté la validité de l’utilisation par le fonctionnaire s’estimant lésé de ses congés, ni fait valoir que le fonctionnaire s’estimant lésé en avait abusé de quelque manière que ce soit. De l’avis de M. Niles, cependant, le fonctionnaire s’estimant lésé ne gérait pas sagement ses congés, ce qui faisait la preuve d’un manque de jugement. En conséquence, le fonctionnaire s’estimant lésé pouvait ne pas être apte à exécuter le travail d’un agent correctionnel. Dans la lettre de renvoi du fonctionnaire s’estimant lésé, M. Niles écrit ceci (pièce E-1) :

[Traduction]

[…]

J’ai de graves inquiétudes concernant votre dossier d’absences et de présences. Vos absences et vos départs soudains créent des brèches dans le tableau de service, qui eux posent subséquemment de graves risques de sécurité pour les détenus et pour le personnel.

[…]

134 Le rapport d’évaluation du rendement du fonctionnaire s’estimant lésé pour la période du 1er septembre au 31 octobre 2006 soulève la même question (pièce E-12) :

[Traduction]

[…]

Shannon n’a pas encore démontré qu’il a assumé ses responsabilités pour les congés qu’il a pris. Il a manifestement été conseillé plusieurs fois en ce qui concerne la tendance qu’il démontrait et le fait que l’année était encore longue et qu’il devait gérer ses congés en conséquence. Il se retrouve dans des situations qui le forcent à quitter le travail immédiatement ou à rester à la maison. Il ne fait preuve d’aucune patience lorsqu’il doit quitter le travail sans délai et qu’on ne peut pas toujours répondre à ses besoins sans délai. Il faut lui rappeler qu’un remplaçant doit être trouvé s’il veut s’absenter, ce qui peut prendre du temps. En conséquence, il a pris trop de congés pour obligations familiales. Il demandera aux surveillants ce qu’il doit faire, n’assumant pas ses responsabilités encore une fois. Il existe d’autres options, comme l’échange de quarts, mais il s’en prévaut rarement. En conséquence, il lui reste très peu de congés pour le reste de l’année, ce qui démontre qu’il ne prend pas ses responsabilités pour ses congés […]

[…]

135 Le rapport de congés (pièce E-4) et les certificats médicaux soumis par le fonctionnaire s’estimant lésé (pièces G-3 à G-12) établissent qu’il s’est absenté pour des raisons de santé et d’obligations familiales. Les congés pour obligations familiales étaient principalement attribuables au fait que son épouse avait une grossesse à haut risque et qu’il avait dû l’amener à l’hôpital à plusieurs reprises.

136 En toute déférence, je ne vois pas la logique dans le raisonnement de M. Niles sur ce point. Les congés de maladie et les congés pour obligations familiales existent pour être utilisés au besoin. Soit le fonctionnaire s’estimant lésé a droit à ces types de congés, soit il n’y a pas droit. Le défendeur ne peut lui reprocher d’avoir utilisé des congés qu’il avait le droit de prendre. Si je retenais l’argument du défendeur, cela aurait des conséquences néfastes sur les conditions de travail des fonctionnaires. Les nouvelles recrues en période de stage hésiteraient à prendre des congés de maladie même s’ils étaient malades, de crainte que l’employeur ne les renvoie pour cette raison. Les congés de maladie devraient être utilisés en cas de maladie, si l’employé a droit à de tels congés. Il en va de même des congés pour obligations familiales : ils devraient être utilisés au besoin, si l’employé y a droit.

137 La question devient donc celle de savoir si le dossier de présences du fonctionnaire s’estimant lésé, plus particulièrement son utilisation des congés de maladie et des congés pour obligations familiales, est un motif « lié à l’emploi ». Il l’est dans le sens restreint où les absences sont liées au travail. Si j’acceptais cette interprétation étroite des motifs « liés à l’emploi », les conséquences seraient néfastes. L’employeur pourrait, par exemple, renvoyer une personne ayant exercé un droit lié à l’emploi simplement parce qu’il existe un lien avec le travail. À mon avis, le lien avec le travail doit être « légitime » : l’employeur doit établir l’existence d’un motif « légitime » lié à l’emploi pour renvoyer un employé en cours de stage. C’est en partie l’opinion qu’a formulée l’arbitre de grief dans l’affaire Owens. L’arbitre de griefs a effectivement signalé que l’employeur doit démontrer des préoccupations « légitimes » pour renvoyer un employé en cours de stage et qu’il ne peut se fonder sur des motifs « triviaux » :

[…]

[74]    Je vais maintenant me pencher sur la question de savoir si les actions de l'employeur équivalent à une supercherie ou à du camouflage. Pour le prouver, le fonctionnaire s'estimant lésé avait une très lourde charge à assumer. L'employeur a démontré qu'il avait des raisons légitimes de s'inquiéter du rendement de M. Owens et de son comportement au travail. À mon avis, sauf si ces motifs pouvaient être qualifiés de triviaux, on ne peut pas prétendre que la décision de l'employeur ait été une supercherie ou du camouflage. Les motifs sur lesquels il s'est fondé en l'espèce ne sont pas triviaux, car il avait de sérieuses raisons de douter de la capacité de M. Owens de satisfaire aux exigences de son emploi.

[…]

[Je souligne]

138 Dans l’affaire McMorrow c. Conseil du Trésor (Anciens combattants), dossier de la CRTFP 166-02-23967 (19931119), l’arbitre de grief a signalé que la décision de renvoyer un fonctionnaire en cours de stage n’est pas prise de bonne foi si elle est « capricieuse » ou « arbitraire » :

[…]

[…] si on peut démontrer que l’employeur a tiré une conclusion arbitraire sur les faits lorsqu’il a décidé effectivement de renvoyer la personne en cours de stage, alors cette décision est nulle […]

[…]

139 Puisque le stage a pour but d’évaluer les aptitudes du fonctionnaire pour occuper le poste, à mon avis, les motifs « légitimes » liés à l’emploi sont ceux qui se rapportent aux aptitudes du fonctionnaire. L’utilisation légitime des congés n’est pas liée aux aptitudes du fonctionnaire pour accomplir le travail. Par conséquent, à mon avis, le dossier des présences du fonctionnaire s’estimant lésé n’était pas une raison légitime de le renvoyer en cours de stage. Si la raison pour laquelle un fonctionnaire est renvoyé n’est pas légitime, cela équivaut à de la mauvaise foi.

140 J’aimerais ajouter sur cette question qu’il n’y a aucune preuve convaincante que les absences du fonctionnaire s’estimant lésé ont créé des « brèches » dans le tableau de service, comme le soutient M. Niles. Les explications du fonctionnaire s’estimant lésé sont beaucoup plus convaincantes à mon avis. Il a déclaré que, lorsqu’un agent correctionnel doit s’absenter, l’établissement lui trouve un remplaçant ou demande à des agents correctionnels d’effectuer des heures supplémentaires.

141 Puisque j’ai déterminé que le défendeur ne pouvait se fonder sur le dossier de présences pour renvoyer le fonctionnaire s’estimant lésé en cours de stage, il n’est pas nécessaire d’examiner son argument selon lequel le défendeur a fait preuve de discrimination à son encontre pour des motifs de déficience, contrairement à la clause 37.01 de la convention collective, en se fondant sur ses absences pour le renvoyer. 

142 La deuxième raison que M. Niles a invoquée pour renvoyer le fonctionnaire s’estimant lésé en cours de stage se rapporte à ses demandes d’indemnités d’accident du travail. La lettre de renvoi en cours de stage est plus vague (pièce E-1) :

[Traduction]

[…]

J’ai pris connaissance d’incidents qui permettent de penser que vous n’avez pas suffisamment de jugement pour occuper un poste d’agent correctionnel.

[…]

143 Le représentant du défendeur ne soutient ni que le fonctionnaire s’estimant lésé n’avait pas le droit de présenter les demandes d’indemnités d’accident du travail, ni que ses demandes étaient frauduleuses. Il soutient que les trois demandes d’indemnités d’accident du travail du fonctionnaire s’estimant lésé en trois mois indiquent qu’il n’était peut-être pas apte à accomplir le travail. La logique qui sous-tend ce raisonnement m’échappe. Le programme d’indemnités d’accident du travail existe pour que les employés l’utilisent au besoin. Les employés ont le droit de présenter une demande s’ils estiment s’être blessés au travail. Le défendeur ne peut pénaliser le fonctionnaire s’estimant lésé parce qu’il exerce ses droits. Je le répète, si j’acceptais le raisonnement du défendeur, les recrues en période de stage qui se blessent au travail hésiteraient à se prévaloir du programme d’indemnités d’accident du travail de crainte qu’on le leur reproche ensuite. Le renvoi du fonctionnaire s’estimant lésé pour avoir déposé des demandes d’indemnités d’accident du travail ne constitue pas un motif légitime de le renvoyer en cours de stage. À mon avis, cela équivaut à de la mauvaise foi.

144 Je dois ajouter que, si le représentant du défendeur n’a pas soutenu que le fonctionnaire s’estimant lésé avait faussé ses demandes d’indemnités d’accident du travail, il y a tout de même une preuve qui permet de croire que M. Niles le pensait. M. Niles a témoigné qu’à son avis, le fonctionnaire s’estimant lésé avait exagéré sa description du sang trouvé dans la cellule du détenu A après l’incident au cours duquel ce dernier s’était tailladé les bras et qu’il avait exagéré la gravité des blessures subies au genou droit pendant l’incident impliquant le détenu B. Cela n’a cependant aucune importance, puisque j’ai déjà déterminé que le défendeur ne pouvait se fonder sur les demandes d’indemnités d’accident du travail du fonctionnaire s’estimant lésé pour le renvoyer en cours de stage.

145 Il est intéressant de noter également que la décision de M. Niles de renvoyer le fonctionnaire s’estimant lésé en cours de stage pour avoir présenté des demandes d’indemnités d’accident du travail est quelque peu fautive parce qu’elle repose en partie sur une erreur. M. Niles a dit croire que le fonctionnaire s’estimant lésé avait exagéré dans sa demande d’indemnités d’accident du travail la gravité d’une blessure subie au genou droit le 20 juin 2006, lorsqu’il a été appelé à maîtriser un détenu (pièce E-10). Cette opinion de M. Niles repose principalement sur le fait qu’il a vu la bande vidéo de l’incident mettant en cause le détenu B et qu’il a constaté que la participation du fonctionnaire s’estimant lésé était sans importance. Or, la preuve établit que le fonctionnaire s’estimant lésé n’était pas dans cette bande vidéo. Il était alors au service d’urgence de l’Hôpital régional de Miramichi, ainsi qu’il l’a indiqué dans son témoignage, étayé au moyen d’un certificat délivré par le service des dossiers médicaux de l’hôpital en question (pièce G-16). Ce certificat précise que le fonctionnaire s’estimant lésé a été traité à l’hôpital le 20 juin 2006, de 15 h 40 à 17 h 15. M. Niles lui-même a admis dans le cadre de son témoignage qu’il ne pouvait voir les agents clairement et qu’il était possible que le fonctionnaire s’estimant lésé n’ait pas été celui qu’il avait vu dans la bande vidéo. Le fait que M. Niles a commis cette erreur n’est cependant pas important dans le cadre du présent grief, puisque j’ai décidé que le défendeur ne pouvait invoquer les demandes d’indemnités d’accident du travail pour justifier son renvoi en cours de stage.

146 Avant de passer à autre chose, j’aimerais faire remarquer que le fonctionnaire s’estimant lésé a présenté une demande d’indemnités d’accident du travail concernant l’incident au cours duquel le détenu A s’est tailladé les bras à la suggestion de M. Brooks, et la demande d’indemnités d’accident du travail pour sa blessure au genou droit, à la suggestion de l’infirmière. Il semblerait donc injuste de lui reprocher d’avoir donné suite à leurs suggestions. Toutefois, cela n’a aucune importance, puisque j’ai déterminé que le défendeur ne pouvait invoquer les demandes d’indemnités d’accident du travail du fonctionnaire s’estimant lésé pour renvoyer ce dernier en cours de stage.

147 Le troisième motif que M. Niles a invoqué dans son témoignage pour justifier le renvoi du fonctionnaire s’estimant lésé en cours de stage est la réaction de ce dernier lorsque son épouse l’a appelé le 6 novembre 2006 et l’a informé qu’elle avait été agressée sexuellement par son physiothérapeute. À la suite de cet appel, le fonctionnaire s’estimant lésé a demandé qu’on le relève de son poste. Dans la lettre de renvoi du fonctionnaire s’estimant lésé, M. Niles a écrit ceci (pièce E-1) :

[Traduction]

[…]

Vous avez fait preuve ouvertement de colère, d’agressivité et de frustration; un tel comportement imprévisible ne peut être toléré.

[…]

148 Dans son rapport sur l’incident, M. Martin, le surveillant correctionnel de service, décrit l’incident dans les termes suivants (pièce E-11) :

[Traduction]

L’agent Cx-01 Melanson est arrivé dans le bureau du S.C., est passé tout près de l’agent CX-01 Power, et s’est rendu à l’arrière du bureau. J’ai remarqué qu’il portait ses gants de protection de fouille. Power a quitté le bureau. Melanson m’a demandé si j’étais le seul à qui il pouvait parler, il était très agité. Melanson a déclaré qu’il devait parler à quelqu’un sinon il exploserait. Il a fermé la porte du bureau […] Melanson a expliqué ses problèmes personnels. Il était alors extrêmement perturbé, il serrait les dents, il avait le visage rouge et les poings serrés, je ne savais pas trop ce qu’il voulait. J’ai dit à Melanson que je communiquerais avec un représentant du PAE pour lui. Il a été invité à se rendre dans la salle des séances d’information, dont il a claqué la porte, puis j’ai entendu le bruit de ce qui semblait être des coups de pied sur les meubles. Il y a ensuite eu un fort coup et les fenêtres de la salle des séances d’information ont vibré. Je me suis rendu du bureau des surveillants correctionnels à la salle des séances d’information. Je suis entré dans la pièce et je lui ai dit de se calmer. Melanson m’a ensuite regardé et m’a dit que je n’avais aucune compassion […]

149 M. Niles a déclaré qu’un agent correctionnel doit être en mesure de composer avec le stress. Il a souligné que l’effort psychologique constitue un aspect important des fonctions du fonctionnaire s’estimant lésé, ainsi que l’indique sa description de travail (pièce E-5, page 8) :

[Traduction]

[…]

Rester calme, faire preuve de sang-froid et maintenir une attitude professionnelle durant les situations d’urgence afin de restaurer la sécurité et de protéger la sécurité du public, des membres du personnel, des détenus et de l’établissement. De telles situations peuvent entraîner de graves traumatismes ou blessures ou un décès. Il peut être nécessaire d’utiliser la force meurtrière contre des détenus dans l’intérêt de la sécurité.

[…]

150 D’après M. Niles, le fonctionnaire s’estimant lésé a eu une réaction exagérée, ce qui donnait une indication quant à sa capacité d’exécuter les fonctions rattachées au poste d’agent correctionnel. Je ne suis pas convaincu que cet incident établit que le fonctionnaire s’estimant lésé n’est pas apte à accomplir ce travail, mais il est lié à ses aptitudes, et je ne peux substituer mon évaluation des aptitudes du fonctionnaire s’estimant lésé à celle de M. Niles, ni déterminer le caractère raisonnable de cette évaluation. Il s’agit d’un motif légitime lié à l’emploi de renvoyer le fonctionnaire s’estimant lésé, et rien ne donne à penser que l’insistance de l’employeur sur cette question était en réalité une occasion déguisée de lui imposer une mesure disciplinaire.

151 Le quatrième motif que M. Niles a invoqué dans le cadre de son témoignage pour justifier le renvoi du fonctionnaire s’estimant lésé en cours de stage est la difficulté qu’il éprouvait à s’intégrer à une équipe. C’est ce qu’indique également la lettre de renvoi en cours de stage :

[Traduction]

[…]

Vous avez de la difficulté à vous intégrer à une équipe, ce qui nous inquiète étant donné que le travail d’équipe fait partie intégrante d’une sécurité dynamique.

[…]

152 La nécessité de travailler avec efficience au sein d’une équipe représente une partie importante du travail de l’agent correctionnel. C’est ce que démontrent les activités principales énoncées dans la description de travail du fonctionnaire s’estimant lésé (pièce E-5, page 2) :

[Traduction]

Activités principales

[…]

Participer à titre de membre de l’équipe correctionnelle de l’unité et contribuer à l’élaboration et à la mise en œuvre des programmes de l’unité.

[…]

153 La preuve établit que le fonctionnaire s’estimant lésé a éprouvé quelques difficultés à travailler au sein d’une équipe. Dans le rapport d’évaluation de son rendement pour la période du 1er septembre au 31 octobre 2006, sa surveillante, Mme Traer, souligne qu’il n’obéit pas toujours aux ordres de sa surveillante, qu’il tend à s’en remettre trop souvent à ses surveillants plutôt qu’à ses collègues, et qu’il n’est pas à l’aise comme membre d’une équipe (pièce E-12, page 1) :

[Traduction]

[…]

Le fait de poser des questions relève nécessairement des fonctions dont son poste est assorti, mais Shannon a posé tellement de questions à sa surveillante et à d’autres surveillants qu’il donne l’impression de n’avoir aucune confiance en ses capacités d’exécuter son travail. Il communique avec les surveillants correctionnels pour leur faire part de ses observations, puis leur demande ce qu’il doit faire. Toutes les étapes de reddition de comptes sont abordées dans le cadre de sa formation au titre du PFC. Il ne travaille pas toujours avec les agents de l’unité. Je lui ai dit à plusieurs reprises qu’il ne devait pas appeler le bureau des surveillants correctionnels pour un tout et pour un rien, qu’il devait traiter avec le personnel de l’unité ou avec l’agent du CGI, etc. […] Son manque de confiance permet de douter qu’il possède la maturité et le jugement nécessaires pour effectuer ce genre de travail […]  Shannon ne travaille pas bien en équipe. Il travaille surtout dans les postes de contrôle par choix. En effet, il demande d’échanger des postes pour travailler dans les postes de contrôle. Il ne fait à peu près rien pour permettre l’interaction dynamique dont il doit faire preuve avec le personnel et les détenus.

[…]

154 À la page 1 de l’annexe jointe à son rapport d’évaluation du rendement, on peut lire ceci :

[Traduction]

[…]

Shannon ne respecte pas suffisamment les aspects dynamiques de la sécurité qui sont essentiels à son rôle en tant que titulaire d’un poste classé CX-o1. Il interagit rarement avec les agents présents sur les étages de l’unité, ce qui m'amène à douter du fait qu’il soit accepté par ses collègues.

[…]

d. Shannon ne réagit pas toujours favorablement aux changements. La plupart du temps, lorsque les agents demandent de changer de poste avec un autre agent, la demande est autorisée. Lors d’un quart en particulier, une fouille était effectuée au sein de l’unité. Des libérations et des transferts étaient prévus, et une formation à l’intention des agents était en cours dans la rangée. Pour garder le contrôle malgré toute la confusion, on a prévenu les agents, lors de leur séance d’information, que personne ne serait autorisé à changer de poste parce qu’il se passait trop de choses pour que l’on puisse être au courant de l’endroit où tout le monde se trouverait à tout moment, au besoin. Shannon a tenté à trois reprises de faire autoriser un changement de poste, n’acceptant pas la directive des surveillants même après qu’on eut très clairement expliqué lors de la séance d’information la raison pour laquelle personne ne serait autorisé à le faire. C’est très frustrant pour un surveillant occupé à organiser le quart de jour de devoir traiter avec un agent qui l’interrompt pour tenter d’obtenir ce qu’il veut, peu importe ce que l’on a déjà dit.

155 À la page 2 de la même annexe, paragraphe e, l’employeur a écrit ceci :

[Traduction]

[…]

Il a demandé un congé annuel et a été informé que le nombre maximal d’heures avait déjà été attribué. En chemin pour la maison, il a appelé pour savoir s’il pouvait travailler huit heures et prendre les quatre heures restantes en congé annuel. Il a été informé à nouveau que le nombre maximal d’heures avait déjà été attribué. De toute évidence, il n’était pas disposé à accepter quoi que ce soit tant qu’il n’entendrait pas ce qu’il voulait entendre.

c. Shannon a indiqué qu’il aimerait être un joueur d’équipe, mais il n’en fait pas la preuve par son comportement. Il travaille principalement dans les postes de contrôle et, dans l’ensemble, il est difficile de déterminer s’il a quelque confiance que ce soit en ses collègues, car il appelle les surveillants correctionnels pour obtenir des renseignements ou des directives plutôt que de travailler avec ses collègues dans les unités/sur les étages, etc. On lui a dit à maintes reprises de travailler avec les autres agents, mais il n’a pas encore fait la preuve qu’il suit cette directive.

[…]

156 Les difficultés du fonctionnaire s’estimant lésé à s’intégrer à une équipe sont un motif légitime lié à l’emploi de le renvoyer en cours de stage. Ainsi que je l’ai mentionné précédemment, mon rôle ne consiste pas à déterminer le caractère raisonnable de l’évaluation effectuée par M. Niles. Si le motif est un motif légitime lié à l’emploi, je ne peux intervenir.

157 M. Niles a souligné que le rapport d’évaluation du rendement du fonctionnaire s’estimant lésé indique qu’il n’a pas satisfait à plusieurs objectifs fixés à son égard. Je dois souligner que la lettre de renvoi en cours de stage n’en fait pas mention à titre de motif de renvoyer le fonctionnaire s’estimant lésé en cours de stage. Je pourrais souligner également que le rapport d’évaluation du rendement couvre une très courte période (deux mois seulement). L’incapacité du fonctionnaire s’estimant lésé d’atteindre ses objectifs de travail est cependant une raison liée au travail de le renvoyer en cours de stage. La question est alors celle de savoir si l’employeur est lié par les raisons énoncées dans sa lettre de renvoi. Il n'est nul besoin de trancher cette question, toutefois, puisque j’ai déjà décidé que l’employeur avait un motif légitime lié à l’emploi de renvoyer le fonctionnaire s’estimant lésé en cours de stage, à savoir ses difficultés à s’intégrer à une équipe.

158 Le défendeur a invoqué également le fait que le fonctionnaire s’estimant lésé a attendu trois mois avant de signaler l’incident au cours duquel le détenu A s’est tailladé les bras pour justifier son renvoi en cours de stage. Je crois, comme l’employeur, que le fonctionnaire s’estimant lésé aurait dû déposer un rapport même si les membres du personnel de l’étage lui avaient dit de ne pas le faire. Le fonctionnaire s’estimant lésé n’aurait pas dû accepter les directives des membres du personnel de l’étage, puisqu’ils ne sont pas des gestionnaires (ils sont des fonctionnaires classés CX-02). Il aurait dû déposer un rapport, puisque la formation qu’il avait suivie lui avait enseigné de le faire et que les paragraphes 14 et 16 de la « Directive du commissaire 568-1 » (pièce E-9) le prescrivent. Cette raison n’a pas été mentionnée non plus dans la lettre de renvoi. Je ne suis toutefois pas obligé de me prononcer sur cet incident isolé car, comme je l’ai déjà dit, l’employeur avait une raison légitime liée à l’emploi de renvoyer le fonctionnaire s’estimant lésé en cours de stage, à savoir ses difficultés à s’intégrer à une équipe.

159 La difficulté que pose le présent grief tient au fait que deux des principaux motifs de renvoi du fonctionnaire s’estimant lésé ne sont pas des motifs légitimes liés à l’emploi, tandis que les deux autres motifs sont légitimes. L’utilisation par le fonctionnaire s’estimant lésé des congés auxquels il a droit et ses demandes d’indemnités d’accident du travail n’ont rien à voir avec sa capacité d’accomplir son travail, mais sa réaction émotive et sa difficulté à intégrer une équipe sont liées à ses aptitudes. Dans le cadre de son témoignage, M. Niles a consacré beaucoup plus de temps aux demandes d’indemnités d’accident du travail du fonctionnaire s’estimant lésé qu’à tout autre motif pour renvoyer le fonctionnaire s’estimant lésé, mais je ne peux en inférer que les autres motifs sont sans importance. Dans l’affaire Wright, l’arbitre de grief a décidé que, dans le cas d’un renvoi en cours de stage, l’employeur ne doit pas prouver que chaque motif invoqué pour justifier le renvoi est bien fondé :

[…]

[76]    […] l’employeur n’a pas à prouver que toutes les raisons qu’il a énumérées pour renvoyer le fonctionnaire en cours de stage sont bien fondées; il n’a qu’à prouver l’existence d’un motif lié à l’emploi (Leonarduzzi (supra))[…]

[…]

160 Je souscris à cette opinion. Si l’employeur établit l’existence d’un motif légitime lié à l’emploi pour renvoyer un fonctionnaire, l’arbitre de grief ne peut intervenir. J’en arrive par conséquent à la conclusion que je ne suis pas compétent pour entendre le présent grief parce que le défendeur avait des motifs liés à l’emploi de renvoyer le fonctionnaire s’estimant lésé en cours de stage.

161 Le résultat aurait été différent si les motifs légitimes liés à l’emploi avaient été triviaux ou arbitraires. Les difficultés du fonctionnaire s’estimant lésé à réagir à des situations stressantes et sa difficulté à travailler dans une équipe ne sont pas cependant des raisons triviales ou arbitraires de renvoyer un fonctionnaire en cours de stage. 

162 Le fonctionnaire s’estimant lésé a insisté sur le fait qu’il n’avait pas été officiellement prévenu pendant son stage qu’il pouvait être renvoyé en cours de stage en raison de ses difficultés. À mon avis, ainsi que l’arbitre de grief l’a souligné au paragraphe 81 de l’arrêt Wright, le seul fait d’être en stage est suffisant comme avertissement selon lequel des préoccupations en matière de rendement pourraient entraîner un renvoi en cours de stage.

163 Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

VI. Ordonnance

164 Le grief est rejeté pour défaut de compétence.

Le 16 mars 2009.

Traduction de la CRTFP

John A. Mooney,
arbitre de grief

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