Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le fonctionnaire s’estimant lésé travaillait comme conseiller technique au Programme de recherche scientifique et de développement expérimental de l’Agence du revenu du Canada - il a été suspendu sans traitement en attendant l’issue d’une enquête - l’employeur a licencié le fonctionnaire s’estimant lésé après avoir établi que celui-ci s’était rendu coupable d’une inconduite grave - trois contribuables ont déclaré qu’on leur avait proposé une évaluation favorable de leurs demandes de crédit d’impôt pour la recherche scientifique en échange de pots-de-vin ou autres avantages - le fonctionnaire s’estimant lésé a contesté la preuve, mais l’arbitre de grief a conclu que la preuve présentée par l’employeur était plus crédible - l’arbitre de grief a conclu que l’employeur avait enfreint la convention collective en n’informant pas l’agent négociateur de la suspension, mais que cette infraction n’avait pas causé de préjudice au fonctionnaire s’estimant lésé - l’arbitre de grief a statué que la suspension était disciplinaire, et non de nature administrative comme l’avait soutenu l’employeur - l’arbitre de grief a maintenu la suspension et le licenciement. Un grief accueilli en partie. Deux griefs rejetés.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2009-03-26
  • Dossier:  166-34-35720 et 35721
  • Référence:  2009 CRTFP 40

Devant un arbitre de grief


ENTRE

SHANKAR NARAYAN

fonctionnaire s'estimant lésé

et

AGENCE DU REVENU DU CANADA

employeur

Répertorié
Narayan c. Agence du revenu du Canada

Affaire concernant des griefs renvoyés à l’arbitrage en vertu de l’article 92 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-35

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Ian R. Mackenzie, arbitre de grief

Pour le fonctionnaire s'estimant lésé:
Steven Eadie et Simon Ferrand, Institut professionnel de la fonction publique du Canada

Pour l'employeur :
James Gorham, avocat

Affaire entendue à Toronto (Ontario),
du 1er au 4 mai, les 2 et 5 octobre, et du 18 au 20 décembre 2007,
et du 21 au 24 avril et le 8 mai 2008.
(Traduction de la CRTFP)

I. Griefs renvoyés à l’arbitrage

1 Shankar Narayan, le fonctionnaire s’estimant lésé (le « fonctionnaire »), a été suspendu sans traitement de son poste de vérificateur à l’Agence des douanes et du revenu du Canada (l’ADRC ou « l’employeur ») en 2003. Il a été licencié ultérieurement, soit en 2004. Au dire de l’employeur, le licenciement était justifié du fait que le fonctionnaire a demandé des pots-de-vin à trois contribuables constitués en société. Il a contesté tant la suspension que le licenciement. Le fonctionnaire a également contesté le défaut de l’employeur de l’informer de son droit à la représentation syndicale, comme l’exige sa convention collective.

2 Pour les motifs énoncés ci-après, j’ai rejeté le grief à l’encontre le licenciement et de la suspension. J’ai accueilli une partie du grief contestant le refus d’accorder une représentation syndicale (en particulier, le défaut de l’employeur d’informer l’agent négociateur de la suspension du fonctionnaire). Cependant, comme ce manquement n’a pas eu d’effet préjudiciable, j’ai seulement rendu un jugement déclaratoire.

3 La convention collective en vigueur au moment de la suspension et du licenciement était celle qui est intervenue entre l’ADRC et l’Institut professionnel de la fonction publique du Canada (IPFPC) pour le groupe Vérification, finances et sciences (date d’expiration : 21 décembre 2003; pièce G-1). L’ADRC est maintenant appelée Agence du revenu du Canada.

4 Le 1er avril 2005, la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, promulguée par l’article 2 de la Loi sur la modernisation de la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, a été proclamée en vigueur. En vertu de l’article 61 de la Loi sur la modernisation de la fonction publique, les présents renvois à l’arbitrage de grief doivent être décidés conformément aux dispositions  de l’ancienne Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C., 1985, ch. P-35.

5 Le fonctionnaire a été suspendu indéfiniment sans traitement en date du 24 juillet 2003. L’employeur l’a licencié avec effet le 15 mars 2004. La réponse au dernier palier à ses griefs a été donnée le 10 janvier 2005, et les griefs ont été renvoyés à l’arbitrage le 18 février 2005. La lettre de renvoi provenant de son agent négociateur demandait que les griefs soient mis en suspens et inscrits en vue d’une nouvelle audience après un procès criminel, qui devait avoir lieu à l’automne 2005. L’employeur ne s’est pas opposé à la demande de suspension des griefs, dans la mesure où le délai ne lui causait aucun préjudice. Le représentant du fonctionnaire a répondu que le fonctionnaire ne pouvait pas accepter la condition posée par l’employeur. La Commission des relations de travail dans la fonction publique (la « Commission ») a ordonné que les griefs demeurent suspendus. Elle a déclaré que c’est l’arbitre de grief qui devait régler la question du préjudice soulevée par l’employeur à l’audience. Les accusations au pénal déposées contre le fonctionnaire ont été suspendues par ordonnance du tribunal rendue le 11 septembre 2006 (pièce E-1). Dans un courriel envoyé à la Commission le 19 octobre 2006, le représentant du fonctionnaire a demandé que l’on fixe une date d’audience du grief.

A. Décisions procédurales pendant l’audience

6 Pendant l’audience, il est apparu clairement que le nom du fonctionnaire était incorrect dans un certain nombre de documents, dont ceux qui touchent l’instance en matière criminelle, le formulaire de grief et le renvoi à l’arbitrage de grief, dans lesquels il est désigné sous le nom de M. Shankaranarayan. J’ai été informé à l’audience que son nom exact est Shankar Narayan.

7 Lorsque l’audience s’est poursuivie, le 2 octobre 2007, l’avocat de l’employeur m’a informé que le dernier témoin de l’employeur (la personne qui a signé la lettre de licenciement) n’était pas disponible avant le 5 octobre 2007 pour des motifs personnels. L’avocat de l’employeur a proposé que j’entende le témoignage du fonctionnaire et le dernier témoin de l’employeur lorsque cette personne serait disponible. Le représentant du fonctionnaire s’est opposé et a demandé un ajournement jusqu’à ce que le témoin de l’employeur soit disponible, afin de pouvoir contre-interroger le témoin avant le début de son argumentation. J’ai accordé l’ajournement. Bien que la thèse présentée soit souvent scindée pour laisser des témoins intervenir, ce fractionnement se produit presque toujours sur consentement. L’employeur a le fardeau de la preuve dans une affaire de type disciplinaire. Il devrait faire entendre ses témoins d’abord. Comme les deux parties n’ont pas consenti au fractionnement de la preuve de cette manière, j’ai décidé qu’il convenait d’accorder un ajournement.

8 L’employeur a fait entendre sept témoins et le fonctionnaire a fait entendre un témoin. Le représentant du fonctionnaire a demandé que Harold Mar témoigne à huis clos afin qu’il soit le plus franc possible. L’avocat de l’employeur s’y est opposé. J’ai refusé la demande parce que la tenue d’une audience à huis clos ne s’appuyait sur aucune raison de principe dans ces circonstances. Le fonctionnaire a renoncé à son droit d’assister à l’audience pour prendre connaissance du témoignage de ce témoin. Le fonctionnaire a également témoigné. J’ai accédé à une demande d’exclusion des témoins.

9 Avec le consentement des parties, j’ai ordonné que l’identité des contribuables et de leurs représentants ainsi que les noms de leurs sociétés soient protégés. Par conséquent, les contribuables, le représentant d’un contribuable et les entreprises qui réclamaient des crédits d’impôt sont désignés seulement par des initiales dans la présente décision. Les dossiers des contribuables constitués en société ont été produits sous forme de pièces, et l’employeur a demandé qu’ils soient scellés. Le fonctionnaire ne s’y est pas opposé. En conséquence, j’ai ordonné que les pièces soient scellées. Toutes les autres pièces qui renferment les noms des contribuables et des sociétés en cause seront éditées sur demande de toute personne autre que les parties à ce renvoi à l’arbitrage de grief. Le fonctionnaire a également produit des relevés de carte de crédit et d’autres renseignements personnels de nature financière et avec le consentement des parties, j’ai ordonné que ces pièces soient scellées.

10 L’employeur a contesté l’authenticité de certains courriels produits en preuve par le fonctionnaire. Après avoir entendu les arguments des parties, j’ai ordonné au fonctionnaire de fournir les versions électroniques de ces courriels à l’employeur. Le fonctionnaire a répondu qu’il ne pouvait pas le faire, parce que les versions électroniques n’étaient plus disponibles. Le fonctionnaire a témoigné en contre-interrogatoire au sujet de l’authenticité des courriels, et l’employeur a fait comparaître des témoins en réplique. Le fonctionnaire a fait opposition au témoignage rendu en réplique en faisant valoir que le témoignage en question n’était pas digne de foi. Le témoin convoqué par l’employeur était un employé de l’ADRC qui n’était pas un spécialiste d’America On-Line Canada (« AOL », le fournisseur de services Internet utilisé par le fonctionnaire pour son compte de courriels). L’employeur a déclaré que le témoin n’était pas un spécialiste, mais plutôt un abonné à AOL, qui pourrait témoigner de la façon dont les courriels sont imprimés à partir du logiciel du client d’AOL. J’ai permis le témoignage et j’ai réservé ma décision sur l’importance à y accorder. J’ai traité de cette importance dans mes motifs.

11 Le fonctionnaire a affirmé dans son témoignage que son avocat de la défense au criminel avait en sa possession des documents de l’ADRC qui faciliteraient cet arbitrage de grief. Le fonctionnaire a témoigné que son avocat de la défense au criminel avait signé une ordonnance de non-divulgation et ne pouvait lui fournir les documents. L’avocat de l’employeur a offert, au nom de l’ADRC, de renoncer à tout privilège ou accord de non-divulgation qui pourrait s’appliquer aux documents. Ils n’ont pas été produits en preuve.

12 M. Mar s’est fait montrer des notes de son entrevue avec l’enquêteur de l’ADRC (contenues dans la pièce G-14). L’enquêteur et auteur des notes, Jim Cameron, ne s’était pas fait demander de désigner le document. M. Mar a témoigné qu’il ne se souvenait pas d’avoir vu les deux dernières pages des notes. J’ai statué que les pages que M. Mar ne pouvait pas désigner étaient irrecevables.

13 Le représentant du fonctionnaire a tenté de déposer un affidavit établi en août 2005 par le fonctionnaire. L’employeur s’y est opposé parce que l’affidavit avait été établi deux ans après son arrestation et qu’il ne s’agissait pas d’un aide-mémoire adéquat. J’ai décidé qu’il était irrecevable parce qu’il n’avait pas été établi dans un délai raisonnable suivant les événements en question.

14 L’avocat de l’employeur a également fait opposition à la production de lettres et de courriels provenant de personnes qui n’étaient pas citées à témoigner. Les lettres et les courriels auraient été rédigés en 2003. J’ai autorisé la présentation des documents et réservé ma décision sur l’importance à leur accorder. J’ai traité de cette importance dans mes motifs. Comme l’employeur a formulé certaines réserves au sujet de la fiabilité des documents, le représentant du fonctionnaire a tenté de présenter une lettre de l’un des auteurs datée du 21 avril 2008 (la date de la poursuite de l’audience). L’employeur s’y est opposé. Je n’ai pas permis que le document soit présenté parce que son auteur n’était pas cité comme témoin. La lettre de 2008 et les lettres de 2003 diffèrent en ce que l’auteur de la lettre de 2008 peut manifestement témoigner et commente le témoignage livré par le fonctionnaire. Le fonctionnaire aurait reçu les lettres de 2003 tout juste avant son licenciement et aurait montré l’une d’elles à la police. En d’autres termes, il soutient qu’il s’est fondé sur ces lettres et qu’elles sont à la base de certains de ses gestes. La lettre de 2008 a été rédigée après le licenciement du fonctionnaire. Le représentant du fonctionnaire tentait de la produire en lieu et place d’un témoignage direct, ce qui n’est manifestement pas approprié, car un contre-interrogatoire serait alors impossible.

II. Résumé de la preuve

15 Le fonctionnaire a commencé à travailler à l’ADRC en janvier 2002 comme employé nommé pour une période déterminée au Bureau des services fiscaux de Toronto Centre (BSF). Il a été nommé pour une période indéterminée le 10 décembre 2002 (pièce E-15). Il avait 51 ans lorsqu’il est entré à l’ADRC. Il possédait une formation d’ingénieur et était venu au Canada à titre d’immigrant qualifié en 1975. Après avoir obtenu son titre d’ingénieur en Ontario, il a commencé à travailler comme ingénieur dans le secteur de la haute technologie, notamment au sein de certaines sociétés de technologie de pointe comme Nortel (pièce G-15). Il a travaillé chez Maxlink, société qui a fermé ses portes en 2001 en raison d’un manque de fonds, juste avant d’entrer à l’ADRC. Chez Maxlink, comme chez Nortel, le fonctionnaire avait un rôle à jouer dans les demandes de crédits d’impôt à l’investissement présentées en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu (LIR). Le fonctionnaire a dit avoir décidé de poser sa candidature pour un poste à l’ADRC parce qu’il était en quête d’un nouveau mode de vie. Il a déclaré que la différence de salaire entre les deux postes (qui était d’environ 15 000 $) n’avait pas d’importance. En outre, le poste à l’ADRC s’accompagnait d’un régime de retraite, ce qu’il n’avait jamais eu auparavant dans le cadre d’un emploi. Le fonctionnaire est marié et a deux enfants qui étaient âgés de 11 ans et de 21 ans en 2003. Sa fille plus âgée fréquentait l’université lorsqu’il a été licencié.

16 L’autorisation sécuritaire du fonctionnaire comportait une cote de fiabilité approfondie rattachée à son poste et il a fait l’objet d’une vérification à cet égard avant d’être recruté ou peu après. Laura McKerron, conseillère en relations de travail au BSF de Toronto Centre, a témoigné que les vérifications de la fiabilité approfondie comprennent parfois une vérification du casier judiciaire. Aucune preuve n’a permis d’établir si le fonctionnaire a fait l’objet d’une vérification de son casier judiciaire. Le fonctionnaire a affirmé qu’il n’avait pas de casier judiciaire. Dans sa lettre d’offre (pièce E-15), il lui était rappelé qu’il était encore lié par la confirmation de réception déjà signée qui était contenue dans le livret « Code de déontologie et de conduite » et qu’il avait déjà signé une confirmation selon laquelle il avait lu et compris le Code régissant les conflits d’intérêts et l’après-mandat s’appliquant à la fonction publique. La copie de ce code présentée comme pièce (pièce E-17) était une version ultérieure. Cependant, Mme McKerron a déclaré qu’aucun changement important n’avait été apporté au document.

A. Programme de la recherche scientifique et du développement expérimental (PRSDE)

17 Le fonctionnaire soutenait que l’ADRC agissait comme conseiller en recherche scientifique et technologie (CRT) auprès du Programme de la recherche scientifique et du développement expérimental (PRSDE) au BSF de Toronto Centre. William McKerrall, directeur adjoint au Programme de RSDE, BSF de Hamilton, a témoigné au nom de l’employeur relativement à la genèse et à la nature du Programme de RSDE. Il ne travaillait ni avec le fonctionnaire ni dans les dossiers de contribuable en cause en l’instance. M. McKerrall occupe son poste depuis 10 ans.

18 Il a déclaré que le Programme de RSDE est basé sur une disposition de la LIR relative au crédit d’impôt qui est conçue pour procurer des incitatifs en matière de recherche et de développement au Canada. Le remboursement applicable à la recherche scientifique et technologique admissible équivaut à 35 % dans le cas des sociétés privées sous contrôle canadien et à 25 % dans le cas des sociétés ouvertes. Les sociétés privées obtiennent un remboursement en argent une fois que les impôts exigibles ont été réglés, s’il y a lieu. En ce qui concerne les sociétés ouvertes, le remboursement est appliqué seulement si des impôts sont exigibles et fait l’objet d’un report si aucun impôt n’est exigible. Les sociétés disposent de 18 mois pour présenter une réclamation. En contre-interrogatoire, M. McKerrall  a déclaré que les remboursements réclamés peuvent varier entre des milliers et des millions de dollars. Il a affirmé que de nombreuses petites sociétés de technologie comptent beaucoup sur le Programme de RSDE. Si le crédit d’impôt au titre de la RSDE est combiné à des crédits provinciaux, la société peut couvrir jusqu’à 50 % de ses coûts. En contre-interrogatoire, il s’est fait demander si les sociétés pouvaient connaître l’échec si elles n’obtenaient pas ces fonds. Il a convenu de cette éventualité.

19 Pour réclamer un crédit d’impôt, les demandeurs joignent un formulaire T661, ainsi qu’un calendrier, à la déclaration de revenus de leur société. Les agents scientifiques procèdent à une vérification initiale de la réclamation pour s’assurer qu’elle est complète. Si, à cette étape, il subsiste des doutes concernant la réclamation, celle-ci est acheminée au gestionnaire afin qu’il effectue une vérification de deuxième palier. Le gestionnaire évalue alors les risques et s’il estime qu’un examen complémentaire est nécessaire, il envoie la réclamation à un CRT et à un conseiller financier pour un examen complet. M. McKerrall a témoigné que de 18 % à 30 % de toutes les réclamations se rendent à l’étape de l’examen complet. Le gestionnaire décide quels dossiers sont acheminés en vue d’un examen complet en fonction de la disponibilité des ressources par rapport aux normes de service. Les normes de service applicables au traitement des réclamations sont de 120 jours dans le cas des crédits remboursables, de 240 jours pour les réclamations modifiées et de 365 jours pour les crédits non-remboursables.

20 M. McKerrall a témoigné que l’ampleur de l’examen complet est fonction des conclusions du CRT et du conseiller financier. Le rôle d’un CRT consiste à s’assurer que la réclamation répond aux critères suivants : incertitude technologique, progrès technologique et documentation du travail effectué. L’incertitude technologique désigne l’incertitude quant au résultat de la recherche. Le conseiller financier est chargé d’établir si le travail a été accompli au Canada. Il s’agit là d’un critère d’admissibilité au crédit d’impôt. La circulaire d’information qui donne une interprétation du crédit de développement de logiciel a été produite comme pièce (Circulaire d’information 97-1, 26 février 1997; pièce G-8).

21 Avant de rencontrer un demandeur aux fins d’un examen, le CRT élaborera un plan (au moyen d’un formulaire de l’ADRC) qui énonce les préoccupations. Le CRT élaborera en outre des documents de travail faisant notamment état de sa propre recherche. Par exemple, si la technologie qui s’inscrit dans la réclamation est du domaine public, elle n’est pas admissible. Il existe des lignes directrices sur la manière de réaliser un examen. Cependant, le CRT dispose quand même d’une certaine latitude (Circulaire d’information 86-4R3, 24 mai 1994; pièce G-7).

22 Dans le cadre de l’examen complet, le CRT procède généralement à une entrevue au lieu d’affaires avec une personne qui connaît la technologie. Sont en outre effectués un examen de la recherche, des dossiers scientifiques et des résultats des expériences. Le fonctionnaire a déclaré qu’il demandait généralement de voir les documents avant de visiter le lieu d’affaires. Il a affirmé que le défaut de fournir des données justificatives entraînait des retards dans l’évaluation de la réclamation. Les notes des réunions avec des clients, ainsi que des appels téléphoniques, sont inscrites dans un formulaire de l’ADRC appelé « T2020 ».

23 Le fonctionnaire a dit que les progrès technologiques doivent être faits d’une manière systématique. Un tiers devrait être en mesure de reproduire la recherche. Il doit y avoir de la documentation contemporaine et le travail doit être exécuté par des personnes compétentes. Le fonctionnaire a qualifié les critères de « très rigoureux » et indiqué qu’ils exigeaient une quantité suffisante de documents pour établir l’existence de progrès technologiques.

24 Si, après un examen complet, le CRT conclut que la réclamation n’est pas admissible, il rencontrera l’auteur de la réclamation pour lui donner une occasion de réfuter les conclusions. Le CRT rédigera alors un rapport justifiant le rejet de la réclamation et le présentera à son gestionnaire, qui décidera s’il convient d’approuver la réclamation. M. McKerrall a déclaré que plus de 50 % des dossiers choisis en vue d’un examen complet sont approuvés. Si la réclamation est rejetée intégralement ou partiellement, ses auteurs disposent de 90 jours pour interjeter appel de la décision. M. McKerrall a déclaré que le processus d’appel pourrait s’étaler sur des années, en particulier si l’affaire est soumise au tribunal.

25 Le fonctionnaire a déclaré qu’il n’était pas autorisé à approuver les réclamations. Son rôle consistait à indiquer si, selon lui, une réclamation répondait aux critères. Seul son gestionnaire, M. Mar, pouvait approuver ou rejeter une réclamation. Le fonctionnaire a qualifié son rôle de « simple rapporteur » Il a mentionné que M. Mar n’était pas toujours d’accord avec ses recommandations et qu’il lui arrivait de demander des éclaircissements ou d’affecter le dossier à un autre agent pour un deuxième examen. M. Mar a mentionné qu’il révise tous les rapports des agents d’examen et que [traduction] « s’ils semblent logiques », il les accepte. Il a déclaré que ce n’était pas son rôle de remettre en question le travail des agents parce qu’il n’était pas nécessairement un spécialiste du domaine scientifique faisant l’objet de l’examen.

26 M. Mar a déclaré au cours de son entrevue avec l’enquêteur de l’ADRC (pièce G-14) que les normes appliquées par le fonctionnaire pour juger les travaux de recherche et de développement admissibles étaient « rigoureuses ». Lorsqu’il rejetait des réclamations, il arrivait fréquemment qu’un deuxième examen mené par un autre conseiller donne lieu à une admissibilité partielle. Dans l’évaluation de rendement du fonctionnaire en date du 17 octobre 2002, M. Mar a noté qu’il [traduction] « menait habituellement les examens avec succès ». Le fonctionnaire a également présenté un certain nombre de pièces montrant des commentaires positifs de clients (pièces G-17 à G-22).

27 M. Mar a témoigné qu’un retard dans l’examen d’une réclamation n’était pas inhabituel et que de nombreux motifs pouvaient justifier un tel retard. Des retards pouvant atteindre un an ne sont pas inhabituels dans certains dossiers, en particulier si des renseignements supplémentaires sont demandés et ne sont pas fournis.

B. Allégations d’inconduite

28 Le fonctionnaire a été suspendu sans traitement en raison d’allégations selon lesquelles il avait demandé un pot-de-vin à la société « A ». Ces allégations ont également entraîné son arrestation. Des allégations concernant deux autres sociétés (la société « B » et la société « C ») ont également été formulées après son arrestation, et les accusations au criminel dont il faisait l’objet ont été modifiées. L’employeur alléguait dans la lettre de licenciement visant le fonctionnaire que ce dernier avait tenté de demander des pots-de-vin à ces trois contribuables constitués en société ou à leurs représentants. Il n’existe aucun lien entre les trois entités constituées. J’ai résumé la preuve au sujet de chaque entité constituée séparément. Quoique le fonctionnaire ait nié les allégations et les conclusions du rapport d’enquête dans des communications avec l’employeur avant son licenciement, il n’a pas fourni à l’employeur d’explication des événements jusqu’à cette audience d’arbitrage de grief. J’ai inclus son témoignage dans le résumé de la preuve sur les allégations tout en admettant que l’employeur ignorait l’existence de ces explications lorsqu’il a décidé de licencier le fonctionnaire.

1. Société A

29 Avant de témoigner, M. A. a examiné les notes de son entrevue avec la police et la transcription de son témoignage à l’enquête préliminaire. Les notes avaient déjà été communiquées au fonctionnaire dans le cadre du processus de divulgation rattaché à l’instruction pénale. J’ai autorisé M. A. à se servir des notes pour se rafraîchir la mémoire.

30 M. A. était le président et chef de la direction générale de la société A. Il détenait également une participation majoritaire dans la société. Il a lancé la société en 2000 pour mettre au point des dispositifs sans fil. Il avait présenté des réclamations au titre du PRSDE pour des sociétés dans lesquelles il avait déjà travaillé. À la société A, il avait présenté des réclamations au titre du PRSDE tous les ans de 2001 à 2004. Il avait fait une réclamation pour l’année 2001 en 2002, et le dossier avait été attribué au fonctionnaire. Ce dernier a dit à M. A. que la société A ne pouvait pas présenter de réclamation pour une partie des travaux effectués dans le dossier, mais que si la société A diminuait la réclamation de 20 %, il l’approuverait. Le 1er août 2002, la société A a envoyé une lettre dans laquelle elle retirait 20 % de sa réclamation (pièce G-10).

31 La société A a présenté une autre réclamation le 9 janvier 2003. Le dossier a été attribué au fonctionnaire le 3 février 2003. Celui-ci a discuté brièvement avec M. Mar, qui a soutenu qu’un examen du dossier devrait être mené. Le fonctionnaire a mentionné qu’il avait certaines réserves concernant le dossier parce que le dispositif d’application correspondait à des [traduction] « études techniques courantes » et ne satisfaisait pas aux critères du programme, étant donné qu’il n’y avait pas d’incertitude technologique.

32 M. A. a déclaré qu’il a appelé le fonctionnaire et a pris des dispositions pour le rencontrer à la fin de février ou au début de mars 2003. M. A. a dit que le fonctionnaire a parlé de ses problèmes financiers. Il a mentionné à M. A. qu’il travaillait auparavant chez Nortel Networks, que ses actions avaient perdu beaucoup de valeur, que sa rémunération à l’ADRC n’était pas bonne et qu’il avait des enfants à sa charge. Le fonctionnaire a dit à M. A. qu’il aurait besoin d’autres documents. M. A. a demandé pourquoi, étant donné que le projet avait été approuvé l’année précédente. Le fonctionnaire lui a dit qu’il s’agissait d’une « question politique » et qu’« ils » voulaient une vérification.

33 Dans son témoignage, le fonctionnaire a nié qu’il avait des problèmes financiers et qu’il avait fait ces commentaires à M. A. M. Mar a affirmé qu’il n’était pas certain d’avoir expressément mentionné au fonctionnaire que le dossier était « politique ». Il a témoigné que le dossier avait posé certains problèmes en 2001. La question du contrôle canadien de la société avait alors été soulevée. Le dossier a fait l’objet de discussions au bureau, et il arrivait fréquemment qu’un dossier soit qualifié de « politique » lorsqu’il était déféré à des paliers supérieurs à des fins décisionnelles. M. Mar a témoigné qu’il ne croyait pas que le dossier était allé si haut au niveau de la direction et qu’il ne s’est jamais rendu jusqu’au cabinet du ministre. Le fonctionnaire a affirmé qu’il n’a jamais qualifié le dossier de « politique ».

34 Le fonctionnaire a réalisé l’examen et a fixé la date de la réunion de suivi au 17 mars 2003. Il a également informé la société A qu’elle devait fournir des données justifiant le projet. L’une de ses préoccupations était le salaire du président et la nature de sa participation dans le projet. Il avait également des réserves au sujet de « truismes » contenus dans la demande comme « le Saint-Graal ». Il a effectué certaines recherches et a appris que la société A se servait de la même plate-forme que le fonctionnaire lorsqu’il travaillait chez Sprint Canada en 1997-1998, et il se demandait pourquoi la société A la développait si elle était déjà disponible.

35 Au cours de la matinée du 17 mars 2003, le fonctionnaire a appelé M. A. et lui a dit que la réunion devait être remise parce qu’il n’avait pas encore reçu les documents demandés. Le fonctionnaire a reçu l’information le 19 mars 2003 et a fixé la date de la réunion au 24 mars 2003.

36 M. A. a témoigné que les documents demandés ont été envoyés au fonctionnaire. Il a également dit que ses employés « pourchassaient » constamment le fonctionnaire pour établir quel était le statut du dossier. Le fonctionnaire leur a dit qu’il était occupé et qu’il se chargerait du dossier. M. A. a mentionné que la société A se trouvait dans une impasse financière, en quelque sorte, car elle avait prévu un remboursement d’argent dans son budget. Il a dit au fonctionnaire que s’il y avait une manière d’accélérer le traitement du dossier, ce serait bienvenu. En contre-interrogatoire, M. A. a témoigné que la société A aurait subi de graves répercussions financières si la réclamation n’avait pas été approuvée.

37 À ce moment-là, le fonctionnaire envisageait de trouver un emploi en Inde pour s’occuper de sa mère. Il a déclaré qu’il cherchait un contrat de travail de un an à deux ans en Inde pour se rapprocher de sa mère, qui avait besoin d’une chirurgie au genou (pièce G-24). À l’audience, le fonctionnaire a présenté un certain nombre de courriels de demande d’emploi envoyés à des entreprises en Inde (pièces G-25 à G-30). Il a également produit une copie d’un imprimé d’une page Web (date d’impression : 15 janvier 2003 – pièce G-31) qui explique en détails les plans d’expansion de la société Atria Convergence Technologies Pvt. Ltd. (« Atria »). Le 20 janvier 2003, il a écrit à Sunder Raju, de chez Atria, pour demander un contrat de travail de un an à deux ans (pièce G-32). Le 13 mars 2003, il a reçu une réponse à ce courriel indiquant qu’Atria aimerait lui parler et fixant une entrevue téléphonique le 24 mars 2003. Le courriel mentionnait qu’il serait question de son expérience et qu’on lui expliquerait le travail, les modalités et la rémunération. Le fonctionnaire a répondu le 15 mars 2003 qu’il téléphonerait à 8 h 50, heure du Canada, le 24 mars 2003 (pièce G-33).

38 Le fonctionnaire a dit qu’il a téléphoné à la société Atria à partir d’un téléphone public dans un immeuble à bureaux situé de l’autre côté de la rue en se rendant à la réunion prévue avec M. A. aux bureaux de la société A. L’entrevue téléphonique a débuté à 8 h 45 et a duré entre 45 minutes et une heure. Pendant l’entrevue, il rédigeait sur un bloc de feuillets autoadhésifs des notes concernant la rémunération rattachée à ce poste (pièce E-2). En contre-interrogatoire, il a dit qu’il avait changé de stylo pendant l’entretien téléphonique parce que l’un des stylos ne fonctionnait pas bien. En outre, il s’est fait demander s’il n’aurait pas été plus pratique de prendre l’appel à la maison. Il a dit qu’il répondait tout simplement à la demande d’Atria. Il a également témoigné qu’il a compensé le temps de l’appel en sautant le déjeuner et des pauses.

39 Les notes qu’il a prises pendant l’appel téléphonique à Atria (pièce E-2) sont ainsi rédigées :

[Traduction]

1. V.P., Génie, 150 000 $/an, contrat : durée de 3 ans (obligatoire).

2. 2 ½ % de la société, avec hausse de ½ % /an jusqu’à un maximum de 5 %.

3. 3 millions d’options d’achat d’actions consenties le premier jour, sans aucun frais pour moi.

ou

200 000 $ d’argent comptant

[Les passages soulignés le sont dans l’original]

40 Le fonctionnaire a déclaré qu’il a mis le bloc-notes (la pièce E-2 était la première page) dans une chemise avec d’autres renseignements personnels, dont un curriculum vitae et de la correspondance. Le fonctionnaire avait également avec lui la chemise de l’ADRC sur la réclamation de la société A. Après que M. A. et lui eurent discuté en termes généraux du projet, le fonctionnaire a demandé comment se rendre aux toilettes; celles-ci étaient à l’extérieur des bureaux, à proximité des ascenseurs. Avant de quitter le bureau, il a mis sa chemise personnelle dans la chemise de la société A et a placé un élastique autour de la chemise. Il a laissé le dossier sur la table de réunion et s’est rendu aux toilettes. Le fonctionnaire a témoigné qu’il s’est absenté de la pièce pendant sept à huit minutes. Lorsqu’il est revenu dans le bureau, M. A. avait ouvert le dossier. Le fonctionnaire était fâché et a dit à M. A. qu’il avait posé un geste non professionnel et qu’il fouinait. Il a affirmé que M. A. a frappé sur la table en disant [traduction] « c’est mon dossier ». Le fonctionnaire lui a répondu que c’était le dossier de l’ADRC et son dossier personnel. M. A. aurait affirmé, [traduction] « foutaise, c’est mon dossier », d’après le fonctionnaire. La réunion s’est ensuite poursuivie. Le fonctionnaire a affirmé que M. A. était très gêné et qu’il s’est rendu compte que c’est le dossier de l’ADRC qu’il avait regardé. M. A. a dit qu’il n’avait pas regardé le contenu du dossier quand le fonctionnaire s’est rendu aux toilettes. M. A. a affirmé qu’il a vu la note (pièce E-2) en juillet, quand le fonctionnaire la lui a montrée (voir le paragraphe 60, plus loin).

41 Le fonctionnaire a témoigné qu’il a passé en revue l’aspect scientifique du projet avec M. A. en lui indiquant ce qui devait être étoffé. Il a mentionné que lorsqu’il a demandé à M. A. de fournir des renseignements pour étayer la réclamation, M. A. ne l’a pas fait et a simplement indiqué que ces renseignements se trouvaient dans le dossier. Le fonctionnaire lui a également demandé de désigner les membres de l’organisation auxquels il pourrait parler de la technologie. Il a affirmé que 17 personnes se consacrent au projet et que lorsqu’il a demandé s’il pouvait parler à quelqu’un, M. A. lui a dit qu’ils n’étaient pas disponibles pour discuter ce jour-là. La réunion a duré environ une heure de plus. M. A. devait ensuite prendre part à une réunion. M. A. a alors envoyé quelqu’un dans la pièce pour rencontrer le fonctionnaire. Ce dernier ne se rappelait pas du nom de la personne. Cette personne a dit au fonctionnaire qu’elle ne pouvait pas discuter de la technologie. Le fonctionnaire a déclaré qu’il était inutile de poursuivre la réunion. Il y a donc mis fin et est retourné au bureau.

42 Le fonctionnaire a dit qu’il avait pris des notes au cours de la réunion. Il s’est fait montrer ces notes en contre-interrogatoire (pièce E-25). Les notes ne renferment pas de résumé de l’incident au sujet du dossier personnel du fonctionnaire. Il a expliqué qu’il ne l’a pas inclus parce qu’il n’a pas rédigé d’observations irrationnelles.

43 Le 27 mars 2003, le fonctionnaire a envoyé un courriel à M. Raju, pour le remercier de l’entrevue au sujet du poste chez Atria. Dans le courriel, il mentionnait que la rémunération lui semblait également adéquate (pièce G-34). À l’audience, le fonctionnaire a aussi fourni une copie d’une page Web comportant un reportage de 2001 qui mentionne les plans d’Atria d’investir 130 millions de dollars dans la prestation de services à large bande (date d’impression : 30 avril 2003 (pièce G-35)).

44 Le fonctionnaire a reçu une liasse de documents de la société A le 28 avril 2003. Selon ses dires, ces documents étaient inutiles. Il a déclaré qu’il a alors rappelé à M. A. à de nombreuses reprises qu’il avait besoin de documents complémentaires.

45 M. A. a témoigné qu’à la fin d’avril ou au début de mai 2003, il a renoncé à attendre des nouvelles du fonctionnaire et a appelé M. Mar. Celui-ci lui a dit que le fonctionnaire était absent. M. Mar est allé parler du dossier au fonctionnaire. Ils l’ont examiné ensemble. Le fonctionnaire a déclaré qu’il a dit à M. Mar qu’il attendait d’autres documents. Il a demandé à M. Mar si celui-ci pouvait tout simplement approuver le dossier tel qu’il a été présenté. M. Mar lui a dit qu’il voulait que le fonctionnaire termine l’examen et lui a demandé d’appliquer la « procédure établie » à l’égard de M. A.

46 M. A. a déclaré que le fonctionnaire l’a appelé pour lui dire qu’il n’aurait pas dû téléphoner à son gestionnaire, car son appel aura maintenant pour effet de prolonger le traitement de la réclamation. Le 1er mai 2003, le fonctionnaire a fait parvenir une lettre par télécopieur à M. A. pour confirmer une conversation par téléphone le même jour (pièce G-11). Dans la lettre, il confirmait que M. A. avait déclaré avoir soumis tous les documents pour étayer la réclamation et que le fonctionnaire pouvait [traduction] « procéder au traitement » du dossier. Le fonctionnaire a déclaré dans la lettre qu’il étudierait les documents qu’il avait reçus le 28 avril 2003 et qu’il traiterait le dossier dans un délai de 30 jours. M. A. a affirmé que le dossier n’a pas été traité dans les 30 jours et que ses employés et lui-même laissaient constamment des messages au fonctionnaire, sans obtenir de réponse.

47 Le 9 mai 2003, le fonctionnaire a reçu un courriel de A. Sety, d’Atria, dans lequel ce dernier écrivait [traduction] « nous sommes intéressés à aller de l’avant » (pièce G-36). Dans le courriel, il demandait au fonctionnaire de passer une entrevue à Bangalore (qui s’appelle maintenant Bengaluru), en Inde, le 20 juin 2003. Atria l’a informé qu’elle rembourserait son billet d’avion et ses autres frais sur son premier chèque de paie. En contre-interrogatoire, il a témoigné qu’il n’était pas certain de l’orthographe du nom de M. Sety; il se demandait notamment si le nom comportait un ou deux t.

48 Le fonctionnaire devait prendre ses congés annuels dès la fin de la journée le 21 mai 2003. Il avait l’intention de terminer l’examen des documents de la société A avant de partir en congé. Le 21 mai 2003, il a reçu une télécopie de la société A lui demandant une réunion pour [traduction] « [s]avoir où en est le dossier » (pièce G-11). Le fonctionnaire a répondu par télécopieur le même jour (pièce G-11) qu’il avait déjà communiqué à M. A. l’état du dossier, qu’il était en train de rédiger le rapport et qu’il était disponible pour prendre part à une rencontre entre 15 h et 15 h 30 cet après-midi là. Après cette date, il ne pourrait pas participer à une réunion avant la fin de juin (soit la fin prévue de ses congés annuels).

49 En interrogatoire principal, le fonctionnaire a déclaré que personne ne s’est présenté à la réunion prévue à son bureau. Il a ajouté qu’il ne pouvait pas terminer l’examen pour la société A avant ses congés annuels, comme prévu, parce que la rencontre demandée ne s’était pas produite. Le fonctionnaire a déclaré que M. A. est venu à son bureau alors qu’il quittait pour la journée. En contre-interrogatoire, il a témoigné que M. A. l’a abordé dans la rue Front pendant qu’il se rendait à pied au train GO. En contre-interrogatoire, il s’est fait demander pourquoi il avait nié auparavant avoir eu une rencontre avec M. A. ce jour-là. Il a répondu qu’il n’y a pas eu de réunion, car M. A. ne s’est pas présenté à la rencontre prévue entre 15 h et 15 h 30. Il a témoigné qu’il a rencontré M. A. alors qu’il se rendait au train GO et qu’il ne s’agissait pas d’une réunion. Dans la rue, M. A. s’est excusé de ne pas s’être présenté à la rencontre. Le fonctionnaire a dit à M. A. qu’il ne voulait pas lui parler, qu’il devrait discuter du dossier avec M. Mar et que ce dernier pourrait soit faire accepter le dossier tel qu’il a été déposé, soit l’attribuer à un autre agent. Le fonctionnaire a déclaré que M. A. a dit [traduction] « je ne veux pas traiter avec un enfant de ****** chinois [juron remplacé par des astérisques] ». Le fonctionnaire a affirmé que M. A. lui a demandé pourquoi il n’approuvait pas tout simplement la réclamation, étant donné que le fonctionnaire s’apprêtait de toute façon à quitter l’ADRC. Le fonctionnaire a déclaré qu’il a interprété ce commentaire comme une référence aux renseignements personnels dont M. A. avait pris connaissance précédemment, lors de la réunion du 24 mars 2003. M. A. ne s’est fait poser aucune question au sujet de la rencontre dans la rue.

50 Le fonctionnaire a déclaré qu’il a placé l’autocollant jaune de son entrevue téléphonique (pièce E-2) dans son portefeuille le 25 ou le 26 mai 2003 avant de se rendre en Inde. Il a également témoigné qu’avant de quitter, il a discuté avec un comptable à Toronto du traitement fiscal du revenu réalisé en Inde.

51 Le 20 juin 2003, le fonctionnaire s’est rendu chez Atria pour une entrevue d’emploi. Il a rencontré M. Raju, qui l’a présenté à un certain nombre de personnes. Le fonctionnaire ne se souvenait pas de leurs noms et a laissé leurs cartes d’affaires en Inde. L’entrevue a débuté vers 10 h ou 10 h 30 et s’est poursuivie pendant l’après-midi jusque vers 16 h 30 ou 17 h, avec quelques interruptions. Le fonctionnaire a mentionné qu’il a fait une visite guidée des installations de la société. Il a demandé à Atria si le contrat pouvait couvrir une période plus courte, mais il s’est fait répondre que la durée minimale serait de trois ans. M. Raju a pris des dispositions pour le rencontrer de nouveau le vendredi 27 juin 2003. À la deuxième réunion, le fonctionnaire a rencontré seul à seul M. Raju, qui lui a dit qu’il recevrait une offre écrite. Ils ont ensuite discuté des modalités de l’offre. Le fonctionnaire a alors pris des notes au sujet de cette discussion sur un bloc de feuillets autoadhésifs (pièce G-5). Il a mis la note dans son sac, qu’il a ultérieurement laissé à l’ADRC après sa suspension. Bien que le sac lui a été renvoyé, la note ne s’y trouvait pas. Elle se lisait ainsi (y compris la partie qui a été biffée) :

[Traduction]

- 150 000 $/an, durée de 3 ans (obligatoire).

- 2 ½ % Les actions de la société sont un boni acquis dès le jour de l’entrée en fonctions

Hausse de ½ % chaque année jusqu’à un maximum de 5 % des actions de la société

Offre valide pendant six mois/1 an

Aucune date sur l’offre

-----------------------------------------

Je dois payer les frais de scolarité de ma fille

[La note était rédigée au stylo, sauf la dernière ligne, écrite au crayon]

52 Le fonctionnaire a déclaré que l’offre était valide pour une période de six mois à un an et qu’elle n’était pas datée. Il a souligné que les notes de la réunion n’étaient pas tout à fait identiques à celles qui ont été prises pendant son entrevue téléphonique du 24 mars 2003 (pièce E-2). Il n’a rien écrit au sujet des options d’achat d’actions parce que M. Raju a affirmé qu’il les recevrait lorsque la société se transformerait en société ouverte. Il a déclaré qu’il a noté seulement les choses auxquelles il était intéressé et que les options d’achat d’actions ne constituaient pas son intérêt principal à ce moment-là. Il ne s’est pas informé de la quantité d’actions en circulation. Il a également déclaré que M. Raju ne lui a pas expliqué les options d’achat d’actions. En contre-interrogatoire, il s’est fait demander pourquoi il a biffé « 2½ % ». Il a affirmé que M. Raju lui a dit que la société fonctionnait à perte, ce qui fait que les 2,5 % ne signifiaient pas beaucoup. Il a ajouté qu’il n’a pas demandé quelle était la valeur des actions parce qu’il ne s’en souciait pas. En contre-interrogatoire, il s’est fait demander pourquoi une partie des notes étaient écrites au stylo et l’autre partie était rédigée au crayon. Il a déclaré qu’après sa deuxième rencontre avec M. Raju, ce dernier, alors qu’ils quittaient le bureau, a demandé à l’un de ses adjoints ce qu’il en était des frais de scolarité pour les étrangers. Le fonctionnaire affirme qu’il a alors pris un crayon et a noté la réponse.

53 Le fonctionnaire a affirmé que M. Raju lui a dit à la deuxième réunion qu’il allait lui présenter une offre à moins que le fonctionnaire n’ait changé d’avis. Il lui a mentionné que [traduction] « la balle était dans son camp ». M. Raju lui a remis une première ébauche de l’offre le lundi suivant, offre dont le fonctionnaire s’est servi lors d’une discussion avec un comptable à Bangalore. Le fonctionnaire a reçu une lettre d’opinion du comptable, B. N. Subramanya, qui traitait des répercussions fiscales de son salaire, des options d’achat d’actions et des autres avantages (pièce G-38; l’original était mal photocopié, et une nouvelle photocopie a été produite comme pièce G-49). Le fonctionnaire a déclaré que la lettre portait l’adresse de son domicile au Canada, parce que c’est cette adresse qui figurait sur l’ébauche de lettre d’offre fournie par M. Raju. Il a également soutenu qu’il ignore pourquoi le comptable n’a pas traité des répercussions fiscales des options d’achat d’actions.

54 Le fonctionnaire a reçu une lettre d’Atria le 2 juillet 2003 pendant qu’il était encore en Inde (pièce G-39; l’original était mal photocopié, et une nouvelle photocopie a été produite comme pièce G-50) lui offrant le poste de vice-président, Génie, à compter du 15 septembre 2003 au plus tard. L’offre était valide jusqu’au 10 août 2003. Les conditions d’emploi énumérées étaient les suivantes :

[Traduction]

Salaire annuel de 150 000 $US versé chaque mois exempt d’impôt. Contrat d’une durée de 3 ans (obligatoire) […].

2,5 % des actions en circulation de la société au début du mandat et hausse de 0,5 % jusqu’à un maximum de 5 %.

3 millions d’options d’achat d’actions consenties le premier jour sans aucun frais pour vous lorsque nous deviendrons une société ouverte, sous réserve des modalités du régime d’options d’achat d’actions ou 200 000 $ US en argent comptant.

[…]

55 Il a signé l’offre le 8 juillet 2003 puis l’a retournée à Atria (pièce G-40). Au cours de la première ou de la deuxième semaine d’août, il a décidé qu’il ne pouvait plus accepter le poste et il a demandé à sa femme de dire à Atria que les circonstances avaient changé.

56 Pendant que le fonctionnaire était en vacances, M. A. a téléphoné à M. Mar au sujet de l’état de la réclamation de la société A. M. Mar a déclaré que M. A. lui a demandé si le traitement de la réclamation pouvait être accéléré et si quelqu’un d’autre pouvait examiner le dossier. M. Mar a déclaré qu’il a tenté de trouver un autre agent qui étudierait le dossier, mais a conclu que le fonctionnaire était le seul du bureau qui avait les compétences nécessaires.

57 Le fonctionnaire a dit que son retour au Canada a été retardé jusqu’au 14 juillet 2003 pour cause de maladie. En son absence, M. A. a laissé deux messages sur sa messagerie vocale pour lui dire que le fonctionnaire devrait communiquer avec un professeur de l’Université de Waterloo afin de discuter de la technologie qui fait l’objet de la réclamation de la société A. Le fonctionnaire a appelé le professeur le 16 ou le 17 juillet 2003. Le professeur lui a dit qu’il ne savait rien au sujet de la société A, ni de M. A. Le fonctionnaire a ensuite appelé M. A. pour lui faire part des propos du professeur et pour dire à M. A. qu’il lui faisait perdre son temps. M. A. lui a dit d’attendre son appel et deux jours plus tard, il lui a donné le nom d’un autre professeur de l’Université de Waterloo. Le fonctionnaire a appelé le professeur en question et lui a laissé un message aux alentours du 18 juillet 2003. Le professeur a rappelé et a laissé un message le lundi suivant, message dans lequel il mentionnait qu’il ignorait ce dont le fonctionnaire parlait. Le 22 ou le 23 juillet, le fonctionnaire l’a appelé. Le professeur lui a dit qu’il a eu une ou deux conversations avec M. A., mais qu’il ne connaissait pas beaucoup la société A ou la technologie. Le fonctionnaire a transmis ces renseignements à M. A. et lui a dit qu’il aurait bientôt épuisé toutes ses options. Il a dit à M. A. qu’il prendrait une décision en fonction de ce qui se trouvait dans le dossier et qu’il complèterait simplement le rapport.

58 M. A. a déclaré qu’il a donné au fonctionnaire les noms et numéros de téléphone de deux professeurs « indépendants » de l’Université de Waterloo. Ces personnes n’étaient pas liées à la société, mais il avait eu des conversations avec elles. Il ignorait si le fonctionnaire leur avait téléphoné.

59 M. A. a témoigné qu’à la fin de juillet, il a reçu un message d’une connaissance de l’industrie du logiciel qui lui a dit que le fonctionnaire s’était présenté chez lui pour lui demander de transmettre à M. A le message qu’il [traduction] « devait obtenir quelque chose » pour que la réclamation soit approuvée. M. A. a déclaré que l’un de ses employés, M. G., a rencontré le fonctionnaire et lui a demandé ce qu’il avait en tête. Le fonctionnaire a dit à M. G. qu’il voulait 150 000 $ pour approuver la réclamation. Le fonctionnaire a nié avoir rencontré M. G.

60 M. A. a ensuite appelé le fonctionnaire pour savoir de quoi il en retournait. Il a dit au fonctionnaire qu’il avait reçu le message de M. G. Le fonctionnaire lui a alors dit de le rencontrer au coin. M. A. lui a demandé pourquoi ils ne pouvaient pas se rencontrer au bureau, et le fonctionnaire lui a répondu qu’il devrait venir le rencontrer. Ils ont pris des dispositions pour se voir au Royal York Hotel. Une fois qu’ils se sont assis, le fonctionnaire lui a remis un bout de papier et lui a dit qu’il s’y trouvait en détails ce dont le fonctionnaire avait besoin. Le bout de papier a été identifié par M. A. à l’audience (pièce E-2, mentionnée au paragraphe 39). Le fonctionnaire lui a dit que si les conditions énumérées n’étaient pas remplies, la réclamation serait rejetée. La société A devrait alors porter la décision en appel, et elle ne recevrait aucune somme d’argent pendant encore quelques années.

61 Le fonctionnaire a ramené le document avec lui. M. A. a déclaré qu’il était sous le choc, qu’il a dit au fonctionnaire qu’il perdait la tête et que c’était trop d’argent. En contre-interrogatoire, il a déclaré qu’il a mentionné au fonctionnaire qu’il était un [traduction] « putain de cinglé ». Le fonctionnaire lui a dit qu’il avait deux jours pour accepter sinon il rejetterait la réclamation. Le fonctionnaire a alors quitté en souriant. M. A. a indiqué que toute la réunion a duré 10 minutes. Le fonctionnaire a nié la tenue de la réunion et a nié avoir montré la note à M. A. (pièce E-2), car la note n’avait [traduction] « […] rien à voir avec lui. »

62 M. A. a discuté de la question avec son épouse, puis a décidé de soumettre l’information à l’ADRC. Il a déclaré que c’est probablement le jour suivant qu’il a appelé le directeur du BSF de Toronto Centre et laissé un message vocal indiquant l’existence d’un problème sérieux dont il lui fallait discuter. Le directeur par intérim l’a rappelé pour organiser une réunion, et M. A. a alors rencontré cette personne et un autre homme au BSF de Toronto Centre.

63 M. Mar a déclaré qu’une réunion a eu lieu le 21 juillet 2003 avec Ken Parkes, directeur par intérim, Roy Prince, Enquêtes; Colin Montgomery, employé de l’ADRC; et Bruce Allen, directeur par intérim, Vérification et application. Il a rédigé une note au dossier sur cette réunion (pièce G-13). Il y a eu une discussion sur l’intention de M. A. d’enregistrer sa conversation avec le fonctionnaire et sur la question de savoir si l’ADRC devrait communiquer avec la police. Les notes de M. Mar révèlent qu’ils ont également discuté de la nécessité de maintenir une perspective équilibrée, car il s’agissait seulement d’une allégation à ce stade. M. Mar a écrit : [traduction] « […] il faut se garder d’agir comme si le fonctionnaire était coupable ». Des représentants de l’ADRC ont rencontré la police plus tard ce jour-là.

64 M. A. a témoigné qu’il souhaitait seulement que le dossier soit transféré à un autre agent et qu’il ne s’attendait pas à ce que la police s’implique dans le dossier. La police a appelé M. A. plus tard pour obtenir une déclaration de sa part et de son employé.

65 M. Mar a déclaré qu’il n’a pas contacté le fonctionnaire pour discuter du dossier de la société A une fois que M. A. a fait ses allégations. Il n’a pas demandé le dossier au fonctionnaire parce qu’il estimait que ce serait inopportun, compte tenu des allégations formulées par M. A. M. Mar s’est rendu au bureau de la société A pour obtenir une copie des présentations techniques et d’après une évaluation du risque, il a établi que la réclamation devrait être [traduction] « acceptée telle qu’elle a été déposée » (le 24 juillet 2003). Il a témoigné qu’il n’y avait pas de pressions extérieures pour que le dossier soit approuvé. Il a également déclaré que la réclamation a ensuite fait l’objet d’un examen financier.

66 Travis Clark, un policier de Toronto, a témoigné au sujet des événements ayant mené à l’arrestation du fonctionnaire et de ladite arrestation. Il s’est reporté aux notes qu’il a prises au moment des événements. Un autre policier et lui-même ont rencontré trois représentants de l’ADRC le 21 juillet 2003. Les représentants de l’ADRC ont demandé l’aide de la police dans le cadre de l’enquête. Le policier Clark a organisé une réunion avec M. A. le 23 juillet 2003. M. A. a assisté à la réunion avec un de ses employés. La déclaration de M. A. a été enregistrée sur bande magnétoscopique. M. A. a dit à la police que sa demande de crédit d’impôt a été retardée de manière excessive et que lorsqu’il a rencontré le fonctionnaire, ce dernier a exigé 200 000 $ ou 2,5 % de la société de M. A. Ce dernier a dit au policier que la demande était rédigée sur un bout de papier jaune que le fonctionnaire a ensuite repris. Le policier a ensuite pris la déclaration de l’employé qui était présent avec M. A. Après quoi, M. A. et son employé se sont fait dire qu’ils devraient communiquer avec la police si le fonctionnaire entrait en contact avec eux.

67 Le policier Clark a témoigné que le 24 juillet 2003, il a reçu un appel de M. Prince l’informant que le dossier de la société A avait été étudié, que [traduction] « l’aspect scientifique était valable » et qu’il n’y avait aucune raison de retarder le traitement du dossier. Le policier Clark a appelé M. Mar au cours de la matinée et lui a demandé d’organiser une rencontre avec le fonctionnaire. M. Mar a versé des notes au dossier au sujet de cette réunion (pièce G-13). La police voulait arrêter le fonctionnaire au bureau de l’ADRC. M. Mar a téléphoné au fonctionnaire pour prendre rendez-vous à 15 h. Le fonctionnaire a demandé quel était le problème, et M. Mar lui a répondu qu’il le lui dirait lors de la rencontre.

68 Le policier Clark a témoigné qu’il a appris que M. A. voulait porter un microémetteur de poche pour enregistrer le contenu d’une réunion avec le fonctionnaire. Le policier Clark a déclaré que la police possédait déjà suffisamment de preuves pour justifier une arrestation et qu’il n’était pas nécessaire d’enregistrer une réunion.

69 Le fonctionnaire a affirmé que M. A. lui a téléphoné le 23 juillet 2003 et a laissé un message indiquant que les professeurs de l’Université de Waterloo seraient en ville et qu’il souhaitait qu’ils le rencontrent. Le fonctionnaire a déclaré que le 24 juillet 2003, M. A. l’a appelé et lui a dit que les professeurs l’attendaient au Royal York Hotel. Le fonctionnaire a témoigné qu’il en avait assez, mais que M. Mar lui avait dit de faire bénéficier M. A. de l’application régulière de la procédure. Il a décidé de parler aux professeurs afin de déterminer s’ils pouvaient étayer la réclamation et de terminer ensuite le rapport. En contre-interrogatoire, le fonctionnaire s’est fait demander pourquoi il n’a pas demandé aux professeurs de se présenter au bureau de l’ADRC. Il a déclaré qu’il prévoyait les rencontrer à l’hôtel pour ensuite leur demander de venir aux bureaux de l’ADRC. Il ne parvenait pas à trouver le dossier de la société A dans son classeur et un collègue l’a informé que M. Mar avait cherché quelque chose dans son classeur. Le fonctionnaire a pris un stylo et un bout de papier et s’est rendu à l’hôtel. Le fonctionnaire a témoigné qu’il a vu M. A. dans le lobby et qu’il lui a demandé où se trouvaient les professeurs. M. A. lui a dit qu’ils venaient de quitter. Comme le fonctionnaire se dirigeait vers la sortie de l’hôtel, M. A. lui a dit : [traduction] « vous êtes cuit ».

70 Le témoignage de M. A. au sujet de la réunion au Royal York Hotel contredit celui du fonctionnaire. M. A. a déclaré que le fonctionnaire l’a appelé et voulait le rencontrer au Royal York Hotel. À 9 h 30 le 24 juillet 2003, la police a reçu un appel de M. A. l’informant que le fonctionnaire était entré en contact avec lui et désirait le rencontrer au Royal York Hotel. M. A. s’est ensuite rendu à la rencontre avec le fonctionnaire. Le fonctionnaire lui a dit qu’il se passait [traduction] « beaucoup de choses » à l’ADRC et qu’il lui fallait une décision. M. A. lui a dit qu’il ne verserait pas autant d’argent.

71 Brian Stacey, gendarme-détective à la police de Toronto, a également témoigné. Il a examiné les notes qu’il a prises au moment des événements en question pour se rafraîchir la mémoire. Il s’est engagé dans le dossier le 24 juillet 2003. Les policiers Bowman, Clark et Stacey se sont rendus au Royal York Hotel et ont mis le fonctionnaire en état d’arrestation alors qu’il quittait l’hôtel. Le fonctionnaire s’est fait passer les menottes et a été informé de son droit aux services d’un avocat. Les policiers ont ensuite appelé une voiture de police. Le policier Stacey a fouillé le fonctionnaire et a trouvé un autocollant jaune dans la poche avant gauche de son pantalon. La note a été identifiée par le policier Stacey (pièce E-2). Le fonctionnaire a déclaré que le policier Stacey a fouillé ses poches et a trouvé la note dans son portefeuille. Le fonctionnaire a témoigné que l’autocollant jaune était demeuré dans son portefeuille en tout temps. En contre-interrogatoire, il a déclaré que l’autocollant jaune ne se trouvait pas dans sa poche avant, comme l’avait dit le policier Stacey. Il a dit qu’il [traduction] « n’avait rien à faire » des propos du policer Stacey, mais il ne l’a pas traité de menteur. Le policier Stacey a demandé au fonctionnaire quelle était la teneur de la note, et le fonctionnaire dit qu’il lui a répondu qu’elle portait sur une société en Inde. Le policier Stacey a témoigné que le fonctionnaire lui a dit que les notes avaient trait à un investissement en Inde et qu’il n’avait montré ces notes à personne. Le fonctionnaire a également dit au policier Stacey qu’il est revenu de l’Inde tout dernièrement. Il a ensuite été transporté au poste de police.

72 Dans la salle d’entrevue se trouvant au poste de police, le policier Stacey a de nouveau montré au fonctionnaire l’autocollant jaune (pièce E-2). Le fonctionnaire a déclaré qu’il pensait à investir dans une société située en Inde. En contre-interrogatoire, le fonctionnaire s’est fait demander s’il avait dit au policier Stacey que la note concernait un investissement, et il a répondu : [traduction] « absolument pas ».

73 Le policier Stacey lui a alors demandé comment deux personnes (il faisait alors référence à M. A. et à son employé, sans les identifier) pouvaient décrire de manière exhaustive ce qui se trouvait dans la note. Le fonctionnaire a répondu qu’ils le « piégeaient » parce qu’il était originaire de l’Inde et eux, du Pakistan. En contre-interrogatoire, le policier Stacey a convenu que la note aurait pu être une offre d’emploi.

74 Le policier Clark a visité les bureaux de l’ADRC et a informé M. Prince de l’arrestation. Il a ensuite apposé un sceau sur le pupitre du fonctionnaire en prévision de mandats de perquisition éventuels.

75 M. A. a déclaré qu’il a enregistré sur bande la conversation avec le fonctionnaire (le jour de son arrestation). M. A. a dit qu’il pourrait établir la validité des propos enregistrés sur la bande. Il a donné la bande à M. Cameron (l’enquêteur de la Division des affaires internes (DAI)). Il y avait beaucoup de statique sur la bande, et M. Cameron a affirmé qu’il ne pouvait pas reproduire les mots.

76 Le fonctionnaire a été détenu au poste de police pendant trois à quatre heures. Il a témoigné que le policier Stacey lui a dit qu’il passerait le reste de ses jours en prison. La famille du fonctionnaire était encore en Inde, et il avait de la difficulté à obtenir un cautionnement et les services d’un conseiller juridique. Il a été envoyé à la prison Don et y a passé la fin de semaine. Il a déclaré qu’il n’avait ni aliments ni eau et qu’il est devenu physiquement fatigué. Il a obtenu les services d’un conseiller juridique et son voisin a fourni la caution.

77 L’information énumérant les accusations portées contre le fonctionnaire qui ont trait à la société A a été préparée par la police (pièce E-3). Le fonctionnaire a été accusé d’abus de confiance, en violation du Code criminel.

78 Le 25 juillet 2003, le Service de police de Toronto a fait paraître un communiqué de presse (pièce E-4) qui mentionnait dans les termes suivants une « enquête conjointe » qu’il menait avec l’ADRC : [traduction] « Le Service de police de Toronto et l’Agence des douanes et du revenu du Canada demandent l’aide du public pour obtenir des renseignements sur cette affaire ou sur toute autre affaire à venir. ». Le communiqué de presse a paru dans divers médias, dont des médias en chinois. À la suite de la parution du communiqué, B. W., un vice-président d’une autre société (la société B), a fait part de ses préoccupations (celles-ci sont résumées ultérieurement dans la présente décision).

79 M. A. a déclaré qu’il ne connaissait pas les autres contribuables qui ont déposé des allégations contre le fonctionnaire.

80 En contre-interrogatoire, M. A. a affirmé que [traduction] « tout le monde sait ce qui se passe en Inde », et que l’Inde est très corrompue. Il a déclaré que le Pakistan, d’où il est originaire, [traduction] « était un peu mieux, légèrement plus sévère. »

2. Preuve concernant la fiabilité des courriels d’AOL

81 L’employeur a fait valoir une objection concernant la fiabilité des courriels envoyés par des sociétés de l’Inde et reçus de celles-ci (résumée aux paragraphes 37 et 43). En réplique au témoignage du fonctionnaire, l’employeur a cité un témoin afin qu’il présente une preuve sur le logiciel de courriel d’AOL.

82 Neil O’Brien est un gestionnaire de réseaux électroniques à la DAI. Sa directrice, Josée Labelle, lui a demandé d’obtenir un abonnement à AOL le 23 avril 2008. Il a installé le logiciel client d’AOL sur un ordinateur portatif de l’ADRC dont le système d’exploitation est Windows XP. Il a déclaré que la version du logiciel client était 5.0 et qu’elle avait été créée en octobre 1999, d’après sa recherche sur Internet. Il a imprimé un courriel de son compte d’AOL à son domicile le 23 avril 2008. Il a imprimé le même courriel le 24 avril 2008 (pièce E-28). Le courriel indique, au bas de l’imprimé, la date à laquelle le courriel a été imprimé. M. O’Brien a déclaré que la date était générée automatiquement et qu’il n’était pas en mesure de la modifier ou de la supprimer. Il a dit que la seule manière de modifier la date consiste à la changer dans le système d’exploitation. Il a fourni un courriel dans lequel il avait modifié la date du système d’exploitation au 4 janvier 1980 (pièce E-29). Pendant le contre-interrogatoire, M. O’Brien s’est fait poser des questions au sujet de la date d’impression figurant sur les courriels de l’ADRC, et il a mentionné que Microsoft Outlook ne met pas la date d’impression sur les courriels.

83 Le fonctionnaire a déclaré qu’il a eu recours à AOL pendant quelques années et qu’il croit qu’il a cessé d’être abonné en août 2003. L’ordinateur qu’il avait à ce moment-là a cessé de fonctionner et il ne l’a plus. Il n’a pas sauvegardé de copies électroniques de ses courriels. Il a remplacé son ordinateur vers août 2003. En ce qui concerne l’absence de date imprimée sur les courriels, il a affirmé que c’est de cette façon qu’AOL imprime. Il a dit que le mode d’impression des courriels dépend de la configuration d’impression dans le système.

3. La société B

84 B. W., un vice-président de la société B, a témoigné. B. W. a émigré au Canada en 1995. Au moment de son interaction avec le fonctionnaire, son anglais n’était pas bon, et il a eu recours à un interprète à certaines réunions. À l’audience, il a déclaré que son anglais s’était amélioré et qu’il n’avait pas besoin de services d’interprétation.

85 Au sein de la société B, B. W. était chargé de la comptabilité et des ressources humaines et de deux projets de technologie. L’autre vice-président était responsable des deux autres projets de technologie.

86 La société B a commencé à produire des réclamations au titre du PRSDE en 2001. Il n’y a pas eu d’examen scientifique de la réclamation faite la première année. Ils ont présenté une réclamation en janvier 2002 pour 2001. La réclamation totale était de 800 000 $. Lian Bo, un autre CRT, a d’abord été saisi du dossier et a demandé au fonctionnaire de prendre la relève. Le fonctionnaire a déclaré que M. Bo a expliqué qu’il était en conflit d’intérêts dans le dossier, parce qu’il jouait au basket-ball avec B. W. Ce dernier a témoigné qu’il ne connaissait personne du nom de M. Bo. Quant à M. Mar, il a affirmé qu’il ne savait pas pourquoi le dossier avait été réaffecté.

87 Le fonctionnaire a déclaré que B. W. et une autre personne se sont présentés au bureau de l’ADRC pour lui parler. Le fonctionnaire a témoigné que les deux visiteurs avaient l’impression que le dossier lui avait été attribué. Ils désiraient savoir quand ils obtiendraient leur argent. Le fonctionnaire leur a dit de s’adresser à M. Mar. Le fonctionnaire a déclaré que le dossier lui a ensuite été attribué le 28 juin 2002.

88 La société B a reçu une télécopie du fonctionnaire le 2 juillet 2002 (pièce G-6) dans laquelle il demandait des documents justifiant la réclamation de 2001. Le fonctionnaire a témoigné que le salaire du président était inclus dans la réclamation, et le fonctionnaire avait besoin de renseignements sur les fonctions exercées par le président, parce qu’en règle générale, ces coûts ne sont pas compris. Les documents ont été fournis le 18 juillet 2002. Un rendez-vous a été pris en date du 31 juillet 2002. Le fonctionnaire s’est rendu au bureau de la société B et a examiné tous les documents. Il a discuté des quatre projets pour lesquels la société B avait présenté des réclamations et a visité le bureau pour prendre connaissance des travaux exécutés par la société. Il a été sur place de deux heures et demie à trois heures. B. W. a témoigné que le fonctionnaire lui a dit qu’il approuverait deux projets et qu’il [traduction] « pourrait ou non » approuver les deux autres. Le fonctionnaire a déclaré qu’il a posé des questions à B. W. sur le travail qu’il a accompli dans le cadre des projets parce qu’il ne voyait son nom sur aucune des fiches de temps relatives aux projets. Il a également fait observer que certains des travaux comportaient des brevets américains et qu’il n’était pas certain de l’endroit où les travaux avaient été exécutés (les travaux non effectués au Canada n’étaient pas admissibles).

89 B. W. a témoigné que quelques semaines plus tard, le fonctionnaire a appelé pour organiser une réunion à son bureau de la rue Front. Quand B. W. s’est rendu au bureau de la rue Front, le fonctionnaire lui a dit qu’aucune salle de réunion n’était disponible. B. W. a déclaré qu’ils ont marché dans la rue Yonge et qu’ils sont entrés dans une cafétéria, mais le fonctionnaire lui a dit qu’il y avait trop de gens. Ils se sont ensuite rendus dans un mail sous-terrain et ont découvert une cafétéria où se trouvaient seulement quelques personnes. Le fonctionnaire a acheté un jus et a commencé à discuter avec lui des projets. Le fonctionnaire a affirmé qu’il n’a jamais traité d’affaires de l’ADRC dans des aires de restauration. Il a ajouté qu’il n’a jamais rencontré B. W. à l’extérieur du bureau.

90 B. W. a déclaré avoir dit au fonctionnaire que le retard dans l’approbation de la réclamation le préoccupait. Il avait fallu six mois l’année précédente et maintenant il fallait encore plus de temps. B. W. a demandé au fonctionnaire s’il pouvait [traduction] « accélérer les choses ». Le fonctionnaire a répondu [traduction] « Que pouvez-vous me donner? » Il a ensuite dit à B. W. qu’il voulait de l’argent. B. W. n’a pas répondu. Le fonctionnaire lui a dit de prendre son temps et lui a indiqué qu’il voulait 5 % du montant total réclamé (soit l’équivalent de 40 000 $). Le fonctionnaire lui a dit de préparer l’argent en coupures de 50 $ et de 100 $ et de l’appeler lorsque le tout serait prêt. En échange, le fonctionnaire lui a dit que les documents seraient établis de manière à ce que la demande [traduction] « paraisse mieux aux yeux de son gestionnaire ». Il a également mentionné à B. W. qu’il serait plus facile de faire approuver la réclamation et qu’il pourrait également favoriser l’approbation de la réclamation de l’année prochaine.

91 B. W. a témoigné qu’il a fait comme s’il acceptait la proposition, mais qu’il ne savait pas quoi faire. Il est retourné à la maison et a téléphoné à son frère, qui était également l’un des propriétaires de la société, et ils ont décidé de ne pas faire ce que le fonctionnaire avait proposé. Le lundi suivant, B. W. a appelé le fonctionnaire à son bureau et a laissé un message. Le fonctionnaire a rappelé, et B. W. lui a dit qu’il « […] ne voulait pas faire ce genre de chose ». Le fonctionnaire a répondu [traduction] « mais de quoi parlez-vous? » B. W. lui a dit qu’il savait de quoi il parlait, et le fonctionnaire a alors raccroché. B. W. a déclaré qu’il n’a pas remis d’argent au fonctionnaire.

92 B. W. a affirmé qu’au bout de quelques semaines, la société B a reçu une autre télécopie lui demandant d’autres documents (une lettre a été envoyée par le fonctionnaire le 19 septembre 2002; pièce G-6). Après un mois, B. W. a appelé le fonctionnaire, qui a affirmé que sa partie du travail avait été faite. Il a dit à B. W. que tous les projets étaient approuvés et que les documents avaient été envoyés à son gestionnaire. Ce dernier contact avec le fonctionnaire a eu lieu en octobre ou en novembre 2002. Le fonctionnaire a déclaré que son rapport a été achevé le 4 octobre 2002, et il a conclu que tous les projets répondaient aux critères. Il a également informé le vérificateur financier que B. W. n’avait pas fait de travaux de recherche et de développement. Le fonctionnaire a affirmé qu’il a reçu un appel de quelqu’un à la société B en novembre ou en décembre et que cette personne lui a dit [traduction] « nous perdons de l’argent par votre faute ». Le fonctionnaire a compris que cette intervention faisait référence au fait qu’une partie du salaire de B. W. était considérée comme inadmissible. La vérification financière a été achevée le 17 décembre 2002. B. W. a déclaré qu’il a reçu son remboursement en janvier 2003. Son remboursement s’élevait à 300 000 $ plutôt qu’aux 800 000 $ réclamés. B. W. a mentionné qu’une partie des montants réclamés ont été refusés à la suite de l’examen financier parce qu’une partie des dépenses ont été engagées à l’extérieur du Canada. Le fonctionnaire n’a pas pris part à la décision de rejeter une partie des dépenses réclamées. Il a affirmé qu’éventuellement le remboursement était passé à 700 000 $.

93 B. W. s’est fait demander pourquoi il n’a pas contacté la police quand le fonctionnaire a demandé pour la première fois une compensation. Il a déclaré qu’il était un nouveau-venu au Canada. Il n’avait aucune preuve à présenter. C’était sa parole contre celle du fonctionnaire. Il craignait en outre que le fonctionnaire puisse lui faire du tort si B. W. le dénonçait. B. W. a déclaré qu’il avait l’impression que le fonctionnaire se ferait prendre s’il continuait à avoir ce comportement. En contre-interrogatoire, il a témoigné que l’ADRC ne l’aurait peut-être pas cru sans preuve de sa conversation avec le fonctionnaire. Il a également dit qu’il craignait qu’il y ait  [traduction] « d’autres personnes malhonnêtes » à l’ADRC, c’est pourquoi il hésitait à la contacter.

94 B. W. a lu dans un journal chinois au sujet de l’arrestation du fonctionnaire en juillet 2003. L’article mentionnait que la police souhaitait obtenir la contribution des membres du public qui possédaient des renseignements. Il a déclaré qu’il ne se serait pas adressé à la police s’il n’avait pas lu l’article. Il était en confiance de s’adresser à la police parce que d’autres l’avaient fait. Il est allé au poste de police et a parlé à des policiers. Il est revenu ultérieurement pour une autre entrevue avec un interprète, le 5 août 2003, et a fait une déclaration sous serment enregistrée sur bande magnétoscopique. B. W. a témoigné que la police a demandé les services d’un interprète parce qu’il ne comprenait pas un mot. Le policier Clark a témoigné que B. W. était plus à l’aise de parler chinois. Le policier Stacey a déclaré que l’anglais de B. W. était  « approximatif » et qu’un interprète était présent au cas où il ne comprendrait pas les questions.

95 B. W. a affirmé qu’il ne connaissait pas les autres contribuables qui avaient formulé des allégations contre le fonctionnaire.

96 B. W. a été interviewé par M. Cameron, l’enquêteur de l’ADRC, en août 2003. B. W. a également témoigné à l’enquête préliminaire sur l’instance en matière criminelle à l’encontre du fonctionnaire en 2005.

97 B. W. a déclaré en contre-interrogatoire qu’il n’existait aucune preuve que les gestes qu’il attribuait au fonctionnaire avaient été posés. Il ressort clairement de son témoignage qu’il voulait dire qu’aucune preuve ne corroborait son témoignage.

98 Le fonctionnaire a affirmé, en contre-interrogatoire, qu’il n’était pas au courant des allégations concernant la société B avant mars 2004. Il n’a pas rencontré B. W. à l’extérieur du bureau de l’ADRC et il n’a pas demandé d’argent à B. W.

4. La société C

99 E. G. est copropriétaire d’une société d’experts-conseils qui aide les entreprises à préparer des réclamations de crédits d’impôt au titre de la recherche et du développement. Il n’a pas reconnu les notes de son entrevue avec l’enquêteur de l’ADRC (pièces G-4 et G-4A). À l’audience, j’ai autorisé la production des notes et j’ai réservé ma décision sur l’importance à leur accorder. Il aurait été plus indiqué de présenter les notes par l’intermédiaire de l’enquêteur, qui aurait pu bien les identifier. Je conclus que les notes n’ajoutent rien au témoignage de vive voix de E. G. Par conséquent, je n’ai accordé aucune importance aux notes.

100 E. G. a décrit le processus de dépôt de réclamations comme un [traduction] « processus très complexe ». Il a eu plus d’un millier de clients au fil des années d’existence de son entreprise. Sa langue maternelle est le français et il a déclaré qu’il n’éprouvait pas de difficultés à comprendre l’anglais. En contre-interrogatoire, E. G. s’est dit en désaccord avec le fait que l’entreprise de dépôt de réclamations était [traduction] « assez lucrative » pour sa société. Il a expliqué que son entreprise fonctionnait à frais fixes conditionnels. Si le client ne reçoit pas de crédit d’impôt, l’argent est remboursé.

101 L’une de clients de sa société était la société C, une entreprise de logiciels de communications. Le fonctionnaire a rencontré des représentants de la société et E. G. au bureau de la société le 21 janvier 2003. À la réunion, le fonctionnaire a dit aux représentants de la société que les projets de celle-ci ne répondaient pas aux critères. Le fonctionnaire a déclaré qu’il a eu une courte discussion avec E. G., qui lui a dit qu’il avait des milliers de clients et de nombreux bureaux dans tout le pays. E. G. a déclaré qu’il n’avait jamais vu auparavant une vérification menée de cette façon et qu’il n’en a jamais vu une ainsi effectuée depuis. Selon lui, la vérification effectuée après une première réclamation avait pour objet de présenter le client au programme de crédit au titre de la recherche et du développement et d’établir les règles et les critères. Règle générale, une première réclamation fait presque toujours l’objet d’une vérification. D’après son expérience, le vérificateur parle habituellement des projets et demande de voir les lieux de travail. Au cours de cette rencontre, le fonctionnaire a d’abord livré une brève entrée en matière, puis a posé des questions qualifiées par E. G. de « démolition » du projet. La réunion n’a rien donné. E. G. a déclaré que bien que les vérifications permettent le plus souvent d’obtenir une bonne idée de ce que pense le vérificateur, ce n’était pas le cas après cette rencontre. Le fonctionnaire a demandé d’autres documents à la société, et ils lui ont été acheminés le même jour (pièce G-9).

102 Après la réunion, E. G. a parlé au fonctionnaire et lui a demandé les résultats de la vérification. E. G. a déclaré qu’il n’avait pas obtenu de réponse. Le fonctionnaire lui a dit qu’ils se rencontreraient et qu’il l’appellerait. E. G. a dit à son client que d’après sa conversation avec le fonctionnaire, il croyait que la réclamation n’avait aucune chance d’être approuvée. E. G. a déclaré que ni son client ni lui n’ont reçu le rapport de vérification. Il était habituel de recevoir le rapport de deux à trois semaines après la réunion de vérification.

103 E. G. a affirmé que le fonctionnaire l’a appelé et lui a laissé un message en mars 2003. Lorsqu’il a rappelé, le fonctionnaire voulait tenir une réunion en dehors des heures de travail à l’hôtel où résidait E. G., le Stage West Hotel, à Mississauga (E. G. vivait alors à Montréal). E. G. a déclaré que c’est la première et la dernière fois qu’un vérificateur a demandé une rencontre en dehors des heures de travail. Le fonctionnaire a affirmé n’avoir jamais rencontré E. G. en dehors des heures de travail et ignorer où se trouve le Stage West Hotel. E. G. a indiqué que le fonctionnaire ne s’est pas présenté à la première réunion prévue et que la réunion a été remise. Le premier volet de la rencontre a eu lieu dans une suite de l’hôtel et ils se sont ensuite rendus dans la salle à manger de l’hôtel. E. G. a tenté d’enregistrer la première partie de la réunion. Il a dit que la bande était de très mauvaise qualité. En contre-interrogatoire, il a déclaré qu’il n’a remis la bande à personne et que l’enquêteur ne l’a pas demandée. Il ne se souvenait pas d’avoir dit à quiconque qu’il avait enregistré la conversation.

104 E. G. a déclaré que le fonctionnaire lui a dit qu’il n’accepterait pas les projets visés par la réclamation parce qu’ils n’étaient pas rédigés correctement. E. G. a témoigné que cette observation lui semblait illogique, parce que la façon dont la réclamation de projet est rédigée importe peu; c’est plutôt la manière de mener le projet qui revêt de l’importance. Le fonctionnaire a alors fait une proposition qualifiée par E. G. d’inacceptable. La société C avait une réclamation couvrant deux ans, et le fonctionnaire a laissé entendre que la réclamation pour la première année serait approuvée si la réclamation portant sur la deuxième année était retirée. Celle-ci devrait alors être remaniée. E. G. a affirmé que la réclamation pour la deuxième année était la continuation de la réclamation pour la première année. La conversation s’est ensuite transformée en discussion sur la question de savoir si E. G. avait un emploi pour un rédacteur technique. E. G. a dit au fonctionnaire que sa société recrutait toujours des rédacteurs techniques. Le fonctionnaire a alors proposé que sa femme soit embauchée pour occuper ce poste et a dit à E. G. qu’elle avait déjà travaillé à Revenu Canada. E. G. lui a alors demandé si elle savait rédiger. Le fonctionnaire a répondu négativement et a suggéré à E. G. que sa société paie la femme du fonctionnaire et que le fonctionnaire réécrive le document du projet. E. G. a dit au fonctionnaire qu’il s’agissait d’un conflit d’intérêts. Le fonctionnaire n’était pas d’accord. La réunion a pris fin et E. G. a dit au fonctionnaire qu’il réfléchirait à sa proposition. Le fonctionnaire lui a remis un bout de papier sur lequel figurait le nom et le numéro de téléphone de sa femme. E. G. n’a pas appelé la femme du fonctionnaire. Il a déclaré qu’il se sentait dans une position délicate, mais qu’il n’a pas dit au fonctionnaire s’il embaucherait la femme de celui-ci. E. G. a ajouté que le fonctionnaire lui a dit que son gestionnaire et ses collègues [traduction] « acceptent ce que je fais ». E. G. a déclaré en contre-interrogatoire que l’enquêteur de l’ADRC s’est fait montrer le bout de papier sur lequel se trouvait le nom et le numéro de téléphone de la femme du fonctionnaire, mais qu’il ne l’a pas pris. Il a dit que ce papier était quelque part dans une boîte, étant donné qu’il avait déménagé plusieurs fois. Il a affirmé que l’avocat de l’employeur ne lui a demandé de produire ni l’enregistrement ni le bout de papier. Le fonctionnaire dit n’avoir jamais vu de bout de papier où étaient écrits le nom et le numéro de téléphone de sa femme.

105 E. G. a déclaré que des semaines plus tard, son client lui a téléphoné pour lui dire que le fonctionnaire avait organisé une autre réunion dans les bureaux de la société du client. E. G. est allé à la réunion. Le fonctionnaire ne s’est pas présenté. Il a fixé un autre rendez-vous en date du 6 mai 2003. À cette rencontre, le fonctionnaire a dit à ses interlocuteurs qu’aucun document n’étayait la réclamation. Le fonctionnaire a déclaré que E. G. est devenu tendu et qu’il a affirmé que le fonctionnaire démolissait le projet. Au dire du fonctionnaire, E. G. a affirmé qu’il avait produit des milliers de réclamations et qu’elles avaient toutes été acceptées. Le fonctionnaire a dit que E. G. ne cessait d’interrompre. Le fonctionnaire désirait que le contribuable réponde aux questions. Il a dit qu’il ne détruisait pas les projets, mais qu’il posait plutôt des questions de base. Il a affirmé qu’il n’a jamais utilisé les mots [traduction] « taisez-vous » comme le dit le rapport d’enquête. E. G. a déclaré que cette rencontre a été encore pire que la première; il l’a décrite comme une « destruction complète » des projets. E. G. se souvient d’avoir parlé au fonctionnaire à la réunion. Le fonctionnaire était très mécontent et craignait que E. G. ait parlé à la société cliente de la « rencontre privée » tenue à l’hôtel.

106 E. G. a déclaré que ses partenaires et lui-même ont décidé que la meilleure stratégie de protection de leur client consistait à attendre le rapport d’évaluation et à prendre connaissance des résultats. Ils auraient alors des motifs de récrimination si les réclamations n’étaient pas approuvées. E. G. a affirmé que le processus mettait sa société cliente en rogne et qu’elle lui téléphonait chaque jour. En contre-interrogatoire, il a déclaré que si l’une de ses sociétés clientes n’obtenait pas de crédit, sa société ne serait pas mise commercialement en péril parce qu’elle se tire bien d’affaire.

107 E. G. s’est fait demander pourquoi il n’a pas signalé la demande du fonctionnaire à l’ADRC. Il a dit qu’il ne voulait pas rapporter l’incident parce que le fonctionnaire avait laissé entendre que son gestionnaire et ses collègues étaient [traduction] « au fait de la transaction ». Il s’est également fait demander pourquoi il n’a pas appelé la police. Il a répondu qu’il n’était pas certain d’avoir un motif valable de déposer une plainte à la police. Il a dit qu’il ne connaissait pas la loi. Il a déclaré qu’il lui incombait d’abord et avant tout d’aider ses clients à obtenir un crédit d’impôt et qu’il ne savait pas ce qui se produirait s’il contactait la police. Il a dit que si celle-ci était impliquée, il perdrait probablement le client. Il a ajouté en contre-interrogatoire qu’à son avis, l’extorsion ou la demande de pots-de-vin représentent des demandes d’argent; dans le présent cas, le fonctionnaire lui a demandé de recruter la femme du fonctionnaire. Il a déclaré qu’il [traduction] « aurait été possible de faire quelque chose ». Toutefois, quand le fonctionnaire lui a dit que dans les faits, il rédigerait la réclamation, E. G. estimait qu’il s’agissait d’un conflit d’intérêts.

108 Le 16 mai, le fonctionnaire a appelé le président de la société cliente et lui a dit qu’aucun des projets ne répondait aux critères. Le fonctionnaire a rédigé un rapport sur les deux projets de la société C le 22 mai 2003 et a conclu que ni l’un ni l’autre ne satisfaisait aux critères.

109 E. G. a déclaré qu’il a reçu un courriel de son client en juin ou juillet 2003 pour l’informer qu’il avait parlé au fonctionnaire, qu’il a été mentionné qu’un rapport avait été déposé six ou sept semaines auparavant et que la réponse était négative. En contre-interrogatoire, il a déclaré que l’avocat de l’employeur ne lui avait pas demandé de produire le courriel.

110 E. G. a déclaré que ni son client ni lui-même n’ont reçu le rapport. D’après les règles, son client disposait de 30 jours pour répliquer à un rapport défavorable, à défaut de quoi le client était réputé avoir accepté la décision. Il se préoccupait du délai de la réponse. En contre-interrogatoire, il s’est fait demander si ce dossier était le seul de sa société qui n’avait pas été approuvé. Il a dit que trois réclamations avaient été rejetées (y compris la présente réclamation). Il comprenait le  premier refus. Le deuxième constituait une décision plus « limite », en quelque sorte, mais le vérificateur s’était montré correct.

111 Quand E. G. a appris le rejet de la réclamation, il a décidé de rendre visite au gestionnaire du fonctionnaire. Pendant un séjour d’affaires, il s’est arrêté au BSF de Toronto Centre sur la rue Front, vraisemblablement en juin 2003. Il n’a pu rencontrer le gestionnaire. Lorsqu’il est revenu à Montréal, il a appelé et a demandé à parler au gestionnaire du fonctionnaire afin de fixer une réunion avec le gestionnaire. Il a parlé à quelqu’un qui, selon ses dires, était le gestionnaire par intérim. E. G. lui a dit qu’un problème se posait concernant le dossier et qu’à son avis, le vérificateur n’avait pas bien fait son travail. E. G. a demandé une rencontre avec le gestionnaire par intérim. Quand E. G. a dit au gestionnaire par intérim qui était le vérificateur, le gestionnaire par intérim lui a demandé s’il [traduction] « avait eu vent de quelque chose ». Le gestionnaire par intérim lui a alors dit qu’il ne pouvait pas parler et que quelqu’un de la sécurité le rappellerait. E. G. a reçu en après-midi un appel de quelqu’un de la sécurité et s’est fait demander s’il avait lu les journaux ou s’il avait entendu quoi que ce soit au sujet des plaintes déposées contre le fonctionnaire. On lui a expliqué les plaintes contre le fonctionnaire en indiquant que celui-ci n’était pas [traduction] « dans une bonne position » et en l’assurant que quelqu’un le rappellerait.

112 E. G. a déclaré que l’ADRC a ultérieurement informé son client que les dossiers seraient révisés par un agent principal de l’ADRC. E. G. a pris part à l’examen. Finalement, le dossier a été approuvé. En contre-interrogatoire, il a reconnu que d’autres documents ont été nécessaires pour procéder à cet examen.

113 E. G. a dit que le nom d’un des autres plaignants ne lui semblait pas étranger. Toutefois, il a également affirmé qu’il n’a jamais connu ni rencontré qui que ce soit d’autre ayant déposé une plainte contre le fonctionnaire.

C. Autres accusations contre le fonctionnaire

114 Le fonctionnaire est retourné au poste de police le 29 juillet 2003 pour remettre son passeport, comme l’exigeaient les conditions de mise en liberté sous caution. Il a de nouveau été arrêté relativement aux accusations déposées par B. W. et E. G. Le fonctionnaire avait sur lui une copie d’une lettre d’offre d’emploi d’Atria (pièces G-39 et G-40). Il a déclaré qu’il souhaitait la montrer à quelqu’un occupant un rang hiérarchique supérieur au sein du service de police. Il a ajouté que le policier Stacey lui a enlevé la lettre. Celui-ci ne s’est fait poser aucune question au sujet de la lettre en contre-interrogatoire. Le fonctionnaire a passé la nuit dans une cellule du poste de police et a été amené au tribunal le matin suivant. Les accusations supplémentaires concernant les sociétés B et C ont alors été ajoutées (pièce E-5). Les conditions de mise en liberté sous caution ont été maintenues.

115 Il a dit que le policier Stacey a demandé le nom et le numéro de téléphone de sa femme et qu’il a fourni ces renseignements. Il a déclaré que son avocat de la défense au criminel lui a dit qu’il avait été stupide de fournir ces renseignements. Quand le fonctionnaire a examiné les renseignements qu’il a obtenus à la suite de sa demande d’accès à l’information, il s’est rendu compte que E. G. n’avait aucune preuve établissant qu’il avait obtenu le nom et le numéro de téléphone de sa femme. En contre-interrogatoire, le fonctionnaire s’est dit d’accord avec la déclaration selon laquelle le policier Stacey lui a demandé des renseignements pour fabriquer des éléments de preuve.

D. Suspension et enquête de l’employeur

116 L’enquête a été confiée à M. Cameron par un courriel reçu en fin de journée le 21 juillet 2003 (pièce G-3). Le courriel, envoyé par Andre St-Laurent, de la DAI, mentionne qu’un nouveau dossier du BSF de Toronto Centre [traduction] « […] nécessiterait une réponse rapide de notre part. » Il y avait des notes manuscrites rédigées par M. Cameron au bas du courriel, datées du 22 juillet 2003, à 9 h 05. Il mentionne dans les notes que la direction a chargé un expert d’examiner le dossier en question (le dossier de la société A) et que l’examen révélait qu’aucun motif ne justifiait que la réclamation n’ait pas été approuvée [traduction] « il y a des mois ». Il a également écrit que le fonctionnaire était dans une situation financière très difficile, c’est-à-dire qu’il avait d’énormes problèmes financiers. Lors de son témoignage, M. Cameron ne pouvait se rappeler qui lui avait dit cela.

117 Alice Shields était la directrice du BSF de Toronto Centre en juillet 2003. Elle est revenue au bureau le 28 juillet 2003 et a été mise au fait de la situation par Bruce Allen, directeur par intérim. Elle a déclaré que l’arrestation du fonctionnaire a fait l’objet d’une couverture médiatique dans le Toronto Sun et dans The Globe and Mail.

118 M. Montgomery était présent à l’audience de mise en liberté sous caution du fonctionnaire le 28 juillet 2003 et a résumé sa compréhension des conditions de mise en liberté sous caution dans un courriel envoyé à Mme Shields, M. St-Laurent et d’autres personnes de la façon suivante (pièce E-6) :

[Traduction]

[…]

Outre les conditions standards, il a été convenu de ce qui suit :

Caution de 20 000 $

Interdiction de quitter le Canada et obligation de demeurer dans la province d’Ontario

Remise de son passeport et de tout autre titre de voyage (dont les passeports émis par un autre pays)

Interdiction de se présenter dans les locaux de l’ADRC

Interdiction de communiquer avec des employés actuels ou d’anciens employés de l’ADRC sauf par l’intermédiaire d’un avocat

Interdiction de communiquer avec des employés de la [société B] sauf par l’intermédiaire d’un avocat

[…]

119 L’employeur n’a pas reçu de copie des conditions effectives de mise en liberté sous caution (pièce E-9) avant la fin de septembre 2003. La condition de mise en liberté sous caution concernant les contacts avec des employés de l’ADRC différait de celle qu’a rapporté M. Montgomery :

[Traduction]

[…]

Interdiction de communication ou de contact direct ou indirect avec un employé actuel ou un ancien employé de l’Agence des douanes et du revenu du Canada.

[…]

120 Mme Shields a suspendu le fonctionnaire sans traitement pour une durée indéterminée, avec effet le 24 juillet 2003 à 9 h, dans une lettre en date du 30 juillet 2003 (pièce E-7). Mme Shields a déclaré que les allégations contre le fonctionnaire étaient très graves. Le PRSDE était un programme important et l’arrestation du fonctionnaire [traduction] « donne lieu à de nombreux problèmes ». Elle a affirmé que ses gestes auraient pu causer un préjudice à la réputation de tous les employés. Elle n’a pas envisagé d’attribuer des tâches moindres au fonctionnaire plutôt que de le suspendre, parce qu’une telle décision aurait pu donner l’impression que l’employeur fermait les yeux sur ses gestes, ce qui aurait pu nuire à l’enquête. Elle a affirmé qu’elle a consulté la conseillère locale en ressources humaines, Mme McKerron, qui lui a fourni un certain nombre de ressources, dont le code de déontologie et de conduite (pièce E-16) et la politique de l’ADRC en matière de discipline (pièce E-18). Mme Shields a également reçu un rapport dressant la liste des facteurs et des éléments pertinents dans l’imposition d’une sanction disciplinaire. Après avoir déclaré que l’employeur avait été informé de son arrestation et des accusations déposées en vertu du Code criminel, Mme Shields a affirmé ce qui suit dans la lettre :

[Traduction]

[…]

Compte tenu de la nature de vos fonctions actuelles et de la gravité de ces allégations, la direction a décidé qu’il est dans l’intérêt de l’Agence et de ses clients de vous suspendre de vos fonctions pendant une enquête interne sur ces allégations.

[…]

121 Le fonctionnaire a été informé dans la lettre que la DAI avait entrepris une enquête et qu’il pourrait être contacté par un enquêteur. L’échéance prévue du rapport d’enquête était la fin d’août 2003. La lettre demandait en outre à l’avocat du fonctionnaire de préciser à l’employeur si le fonctionnaire avait des dossiers de l’ADRC en sa possession et de prendre les dispositions nécessaires pour retourner ces dossiers immédiatement. Le fonctionnaire a déclaré qu’il n’avait pas de dossiers en sa possession.

122 Le fonctionnaire a affirmé que l’ADRC était au courant des conditions de mise en liberté sous caution (selon lesquelles il lui était interdit de contacter l’ADRC) et a néanmoins demandé au fonctionnaire d’enfreindre ces conditions en contactant l’ADRC. Il a déclaré que son avocat de la défense au criminel l’a informé que l’employeur aurait insisté sur les conditions de mise en liberté sous caution et que seul l’employeur pourrait modifier ces conditions. En contre-interrogatoire, il a témoigné qu’il n’a pas pris de mesures pour faire modifier les conditions de mise en liberté sous caution parce qu’il n’en avait pas à prendre. Le fonctionnaire a dit que s’il avait suivi à la lettre le conseil de l’employeur, il aurait été arrêté pour avoir enfreint ses conditions de mise en liberté sous caution. Il a indiqué que si la condition de mise en liberté sous caution n’avait pas existé, il aurait pu contacter l’ADRC pour expliquer l’autocollant jaune (pièce E-2). Le fonctionnaire a dit que son avocat de la défense au criminel lui a affirmé qu’il devait obtenir son autorisation avant de pouvoir parler à qui que ce soit. Le fonctionnaire a également affirmé que son avocat de la défense au criminel lui a dit qu’il ne voulait pas que le fonctionnaire tienne des propos qui pourraient nuire à l’affaire.

123 Mme McKerron, du BSF de Toronto Centre, a mentionné que l’avocat de la défense au criminel du fonctionnaire a communiqué avec l’ADRC après que la lettre de suspension a été envoyée et a demandé une copie de la politique de l’employeur en matière de discipline, copie qu’elle a fournie. Elle ne lui a pas parlé directement.

124 M. Cameron a interviewé tous les témoins (dont certains avaient témoigné à cette audience). Il a noté leurs déclarations, qui ont été signées par chaque personne interviewée. Il a déclaré que dans le cadre habituel d’une enquête, il interroge l’employé accusé après tous les autres témoins. M. Cameron a contacté l’avocat de la défense au criminel du fonctionnaire le 19 août 2003 pour offrir au fonctionnaire une occasion d’être interviewé et de répondre aux questions au sujet des événements qui font l’objet de l’enquête. Le 28 août 2003, l’avocat lui a dit qu’il n’était pas certain que le fait de parler à l’enquêteur enfreindrait les conditions de mise en liberté sous caution. Il a demandé à M. Cameron si l’enquête pourrait être retardée jusqu’à ce que l’instance en matière criminelle soit terminée. M. Cameron lui a répondu qu’il était impossible de retarder l’enquête. L’avocat de la défense au criminel du fonctionnaire a ensuite indiqué à M. Cameron qu’il avait conseillé à son client de refuser l’offre d’interview (pièce E-12A). Le fonctionnaire a affirmé que son avocat de la défense au criminel a dit à M. Cameron que les conditions de mise en liberté sous caution empêchaient le fonctionnaire de parler à un représentant de l’ADRC. L’employeur s’est opposé à cette preuve en invoquant qu’il s’agissait d’ouï-dire et parce qu’elle aurait dû être soumise à M. Cameron en contre-interrogatoire. J’ai accueilli la preuve et réservé ma décision sur l’importance qu’il convient d’y accorder. M. Cameron a déclaré que l’avocat de la défense au criminel du fonctionnaire lui a dit qu’il n’était pas certain si le fait de parler à l’enquêteur enfreindrait les conditions de mise en liberté sous caution, tandis que le fonctionnaire a témoigné que l’avocat de la défense au criminel lui a mentionné que cela violerait ces conditions. Le témoignage du fonctionnaire constitue de la preuve par ouï-dire et par conséquent, le témoignage de M. Cameron est privilégié. Quoi qu’il en soit, la pertinence de la preuve est limitée, car l’audience devant moi remédie aux vices du processus d’enquête.

125 M. Cameron a témoigné qu’il a écouté la bande qu’a fait M. A. d’une conversation téléphonique entre lui et le fonctionnaire. M. Cameron ignorait à quoi ressemblait la voix du fonctionnaire, ce qui fait qu’il ne pouvait pas vérifier l’information. Il a dit à M. A. qu’il devrait remettre la bande à la police. Il ne sait pas si M. A. l’a fait.

126 MmeShields a fait parvenir une lettre au fonctionnaire le 3 septembre 2003 (pièce G-44) mentionnant qu’elle n’avait pas encore reçu le rapport d’enquête et qu’elle prévoyait le recevoir d’ici la fin de septembre. La lettre mentionnait également que la suspension était maintenue et que ses demandes formulées dans la lettre du 30 juillet 2003 relativement au renvoi de dossiers et à une confirmation signée de la réception de la lettre [traduction] « sont demeurées sans réponse ». Elle demandait une réponse d’ici le 12 septembre 2003.

127 Le rapport d’enquête a été achevé et envoyé au commissaire adjoint régional le 4 septembre 2003 (pièces E-12A et E-14). La note d’accompagnement résumait les conclusions du rapport selon lesquelles le fonctionnaire avait tenté d’[traduction] « extorquer » de l’argent et d’autres avantages à la société B, avait tenté de [traduction] « demander un pot-de-vin » à la société A et avait [traduction] « tenté de contraindre » E. G. à recruter sa femme comme experte-conseil pour remanier la réclamation présentée.

128 Le rapport renfermait en outre l’analyse suivante :

[Traduction]

[…]

Tout au long du processus de collecte de renseignements dans le cadre de cette enquête, il est apparu que Narayan avait mis au point et suivi un scénario dans ses rapports avec les personnes dont il tentait de tirer un gain financier. Ce scénario comportait les étapes suivantes :

- semer le doute sur la probabilité que les clients reçoivent de l’argent à la suite de leurs réclamations en critiquant les projets présentés pour approbation;

- laisser entendre qu’il a le pouvoir de rejeter leurs réclamations définitivement, et (dans le cas de la [société C] et de la [société B]), qu’il ressentait la pression des gestionnaires et d’autres employés de l’ADRC de le faire;

- mentionner que les clients auraient le droit d’interjeter appel de toute décision de rejeter leur(s) réclamation(s), mais qu’il faudrait vraisemblablement un an et demie pour compléter un processus d’appel;

- rappeler aux clients qu’ils comptaient peut-être sur la réception d’au moins une partie du total établi dans leur(s) réclamation(s) pour pouvoir payer leurs coûts de fonctionnement;

- laisser croire qu’il pourrait les aider en échange de leur aide;

 - axer ses démarches sur l’obtention d’un poste salarié pour sa femme, d’un contrat pour lui-même et/ou d’une partie de l’avoir propre d’une société.

[…]

129 Mme McKerron a déclaré que lorsque l’employeur a appris l’existence de la condition de mise en liberté sous caution qui empêchait le fonctionnaire ou son avocat de parler à l’enquêteur, des efforts ont été déployés pour modifier les conditions de mise en liberté sous caution en communiquant avec l’avocat du ministère de la Justice, qui a soulevé la question auprès du procureur de la Couronne de la province. Mme Shields a affirmé que l’ADRC n’a pas posé de questions concernant la condition de mise en liberté sous caution qui interdit les contacts entre elle et le fonctionnaire. Elle a affirmé qu’il y a eu beaucoup de discussions avec le ministère de la Justice sur la façon de fournir une copie du rapport d’enquête au fonctionnaire. L’ADRC a été informée que la condition de mise en liberté sous caution devrait être modifiée pour qu’ils puissent communiquer le rapport d’enquête au fonctionnaire.

130 Le 27 novembre 2003, la condition de mise en liberté sous caution interdisant le contact avec l’ADRC a été supprimée (pièce E-10). Mme McKerron a déclaré qu’elle a reçu le document confirmant le retrait de la condition de mise en liberté sous caution le 5 décembre 2003 et qu’elle a fait parvenir immédiatement une copie expurgée du rapport d’enquête au fonctionnaire (pièce E-11), conformément aux dispositions de la Loi sur la protection des renseignements personnels (pièce E-12A). La lettre d’accompagnement, signée par Mark Andrews, directeur adjoint par intérim du PRSDE, mentionnait que d’après les conclusions du rapport, il y avait eu inconduite. Avant qu’une décision de nature disciplinaire soit rendue, le fonctionnaire était invité à rencontrer la direction le 17 décembre 2003 pour lui fournir tout autre renseignement qu’il conviendrait d’examiner. La lettre informait le fonctionnaire de son droit à la présence d’un représentant syndical à la réunion. En conclusion, la lettre l’informait qu’il pourrait faire l’objet d’une mesure disciplinaire pouvant aller jusqu’au licenciement.

131 Le fonctionnaire et son représentant syndical, Satnam Chana, ont rencontré M. Andrews et Mme McKerron le 17 décembre 2003. À la réunion, le fonctionnaire a dit qu’il n’était pas en mesure de fournir une réplique et a demandé plus de temps. Il a mentionné qu’il lui fallait davantage de renseignements. Il a également déclaré qu’il avait reçu la copie expurgée du rapport seulement le 11 décembre et qu’il n’avait pas eu le temps de retenir les services d’un avocat. Le fonctionnaire a affirmé avoir dit à l’employeur à la réunion qu’il ne pouvait rien tirer de la copie expurgée du rapport. Mme McKerron a déclaré que le fonctionnaire a notamment mentionné à la réunion qu’il ignorait l’identité des contribuables ayant formulé les allégations contre lui et que cette situation le préoccupait. Elle a affirmé que M. Andrews lui a dit qu’il s’agissait des mêmes personnes que dans l’instance en matière criminelle. Le fonctionnaire a également demandé que l’ADRC lui fournisse une copie des dossiers des contribuables afin qu’il se familiarise avec eux et qu’il comprenne les allégations à son endroit. Mme McKerron a affirmé que des formulaires de présentation d’une demande de renseignements en vertu de la Loi sur l’accès à l’information et de la Loi sur la protection des renseignements personnels avaient été acheminés au fonctionnaire. Elle a ajouté que M. Andrews avait dit au fonctionnaire qu’il y avait suffisamment de renseignements pour fournir une réponse. Le fonctionnaire a également déclaré avoir dit à l’employeur qu’il ne savait même pas où se trouvait le Stage West Hotel.

132 Le fonctionnaire a déclaré que lorsqu’il a examiné la copie expurgée du rapport, son état mental n’était [traduction] « pas bon », qu’il était affolé et qu’il souffrait d’[traduction] « angoisse paralysante ». Il l’a lu à quelques reprises et sans les noms, il ne pouvait pas faire de liens avec les allégations. Le représentant du fonctionnaire a écrit à l’ADRC le 18 décembre 2003 pour demander plus de temps afin de permettre au fonctionnaire d’examiner le rapport et d’étudier les résultats d’une demande d’accès à l’information (pièce E-19). Une prolongation a été accordée jusqu’au 21 janvier 2004 (pièce E-20). Les documents ayant trait à sa demande d’accès à l’information ont été reçus le 24 mars 2004 (pièce G-45).

133 Le fonctionnaire a déclaré que son avocat de la défense au criminel lui a conseillé de nier catégoriquement les allégations. Le fonctionnaire a indiqué que, comme il faisait l’objet d’une enquête en matière criminelle, il devait suivre les conseils de son avocat. Le fonctionnaire a ajouté qu’il ne possédait pas assez de renseignements pour donner une réponse exacte. Son avocat de la défense au criminel a reçu les dossiers complets de l’ADRC à la suite d’une ordonnance de divulgation rendue par le tribunal à la fin de 2004. Le fonctionnaire a déclaré que l’une des conditions de la divulgation de ces documents était qu’il ne soit pas autorisé à les voir.

134 Une note manuscrite a été trouvée en possession du fonctionnaire et remise à Mme McKerron à un moment donné en janvier 2004 (pièce G-5, résumée au paragraphe 51). Elle a présumé que l’écriture était celle du fonctionnaire et croyait que la note faisait référence à une certaine forme de négociation. Mme McKerron a affirmé que la note a été montrée à la directrice par intérim du BSF de Toronto Centre, Maria Mihaley. Mme Mihaley a affirmé ne pas avoir vu la note lorsqu’elle a pris la décision de licencier le fonctionnaire et qu’elle se rappelle l’avoir vue seulement lorsqu’elle s’est préparée à cette audience. Mme McKerron, qui conseillait Mme Mihaley relativement à la lettre de licenciement, a déclaré qu’à son avis, le rapport d’enquête renfermait suffisamment de renseignements pour qu’une décision sur la mesure disciplinaire adéquate soit rendue sans qu’il soit nécessaire de s’en remettre à la note.

135 Le fonctionnaire a répondu ce qui suit au rapport d’enquête dans une lettre en date du 16 janvier 2004 (pièce E-21) :

[Traduction]

[…]

Je nie catégoriquement les allégations contenues dans le rapport de la DAI et je conteste les conclusions du rapport de la DAI. Je suis catégoriquement et absolument innocent.

J’attends encore le retour de mes objets personnels et de mon sac à main de l’ADRC.

136 L’employeur a retourné certains articles personnels au fonctionnaire le 26 janvier 2004 (pièce E-21). Le fonctionnaire a déclaré qu’il manquait certains articles. Le fonctionnaire a dit qu’il était très fâché de l’absence de certains articles, dont de l’argent et la note (pièce G-5) qui aurait pu l’aider dans son affaire criminelle.

137 Le fonctionnaire a affirmé qu’il n’a vu la dénonciation déposée contre lui (pièce E-5) qu’en mars 2004, lorsque son avocat de la défense au criminel la lui a montrée. Il a déclaré que ce n’est qu’à ce moment qu’il a pris connaissance des accusations concernant le dossier de la société A qui ont été portées contre lui. Lorsqu’il s’est fait demander en contre-interrogatoire  si les accusations se trouvant dans la dénonciation lui ont été lues au tribunal peu après son arrestation, il a répondu que c’était une possibilité, mais qu’il n’a pas beaucoup porté attention parce qu’il attendait la divulgation de renseignements.

138 M. Mar a affirmé qu’après l’arrestation, un comité a été formé pour passer en revue tous les dossiers qui avaient été examinés par le fonctionnaire. Un expert-conseil a conclu que certains des dossiers rejetés étaient admissibles. M. Mar a déclaré que ce n’était pas inhabituel, car l’évaluation des réclamations est, dans une certaine mesure, variable. Il a affirmé que le jugement est un élément important de l’examen, tout comme l’expérience et l’ampleur des connaissances de la personne qui procède à l’examen.

E. Licenciement

139 Mme Mihaley est la personne qui a décidé de licencier le fonctionnaire. Elle a déclaré qu’elle a consulté des employés des services des relations de travail locaux, régionaux et de l’administration centrale et du ministère de la Justice avant de prendre sa décision. Une note d’information a été rédigée à l’intention du commissaire adjoint et de l’administration centrale (pièce E-24, non datée). La note d’information a conclu que l’inconduite du fonctionnaire [traduction] « jetait le discrédit » sur l’employeur et que la relation employeur-employé a subi un préjudice irrémédiable. Elle mentionnait également ce qui suit :

[Traduction]

[…]

Les conclusions du rapport établissent clairement qu’il y a eu inconduite grave. Chaque incident constitue en lui-même un geste d’inconduite grave qui justifie le licenciement. L’existence de trois incidents consolide la preuve en faveur du licenciement. Compte tenu des conclusions de l’enquête effectuée par la Division des affaires internes et de la réponse de l’employé, il est recommandé de licencier l’employé pour des motifs disciplinaires.

[…]

140 Mme Mihaley a étudié le rapport d’enquête et la réponse du fonctionnaire au rapport avant de prendre sa décision. Elle a déclaré que le rapport d’enquête constituait un volet important de sa décision de licencier le fonctionnaire. Elle a affirmé qu’elle ne s’est pas appuyée sur les accusations policières pour étayer sa décision. Mme Mihaley a étudié le code de conduite de l’employeur (pièce E-16) ainsi que sa politique en matière de discipline (pièce E-18) dans le cadre de son évaluation de la mesure disciplinaire adéquate. En contre-interrogatoire, elle a déclaré qu’elle était convaincue que la copie expurgée du rapport d’enquête permettrait au fonctionnaire de répondre aux allégations déposées contre lui. Elle a affirmé qu’elle estimait alors qu’outre l’âge, il n’y avait pas de circonstances atténuantes justifiant d’envisager une mesure disciplinaire moindre. Compte tenu du sérieux de la preuve contre le fonctionnaire, elle a dit ne pouvoir concevoir aucun résultat autre que le licenciement. Elle a également affirmé qu’elle a établi la véracité des allégations formulées contre le fonctionnaire en se basant notamment sur le fait que les trois plaignants ne se connaissent pas. Elle a indiqué que ce fait a été corroboré dans sa conversation avec M. Andrews, qui avait examiné les dossiers et n’avait trouvé aucun lien entre les trois plaignants. Elle a ajouté avoir tenu compte du fait que les trois plaignants ont soumis leurs allégations à la police. Elle a déclaré à l’audience qu’en définitive, c’est elle qui a décidé de licencier le fonctionnaire.

141 Mme Mihaley a mentionné qu’elle n’a pas jugé nécessaire de tenir une rencontre disciplinaire avec le fonctionnaire avant d’appliquer la mesure disciplinaire parce que la décision devait être prise rapidement et qu’elle avait déjà la réponse du fonctionnaire aux conclusions du rapport d’enquête.

142 Mme Mihaley a fait parvenir une lettre de licenciement au fonctionnaire le 12 mars 2004 pour inconduite, le licenciement prenant effet le 15 mars 2004 (pièce E-23). La lettre résumait les conclusions du rapport d’enquête, puis mentionnait ce qui suit :

[Traduction]

[…]

D’après les conclusions du rapport et votre réponse, la direction est convaincue que vous avez tenté d’extorquer un montant de 200 000 $ et d’obtenir d’autres avantages financiers, que vous avez tenté de solliciter un pot-de-vin de 40 000 $, que vous avez tenté de contraindre un comptable qui représentait un tiers réclamant à recruter votre femme, et que vous vous êtes conduit de manière inadéquate dans un certain nombre de cas. Vous avez gravement compromis le serment professionnel et d’engagement au secret, le code de déontologie et de conduite, le code et les lignes directrices sur les conflits d’intérêts, ainsi que les valeurs fondamentales de l’organisation que sont le professionnalisme, le respect, la coopération et l’intégrité. Votre comportement et votre conduite ont porté un préjudice irrémédiable au lien employeur-employé et ont jeté le discrédit sur cette organisation.

[…]

143 Dans la lettre, le fonctionnaire était informé de son droit de contester la décision. Il était également prévenu que [traduction] « […] compte tenu de la gravité des allégations et à la lumière des conclusions subséquentes de l’enquête », un examen complet des dossiers qui lui avaient été confiés serait réalisé et que d’autres mesures pourraient être prises. Mme Mihaley a déclaré que l’examen des dossiers n’a révélé aucune autre inquiétude en ce qui concerne la conduite du fonctionnaire.

F. Éléments de preuve postérieurs au licenciement

144 Les accusations criminelles portées contre le fonctionnaire ont été suspendues sur ordonnance du tribunal rendue le 11 septembre 2006 (pièce E-1). Une demande présentée par le fonctionnaire en vertu de l’alinéa 11b) de la Charte canadienne des droits et libertés (le droit d’être jugé dans un délai raisonnable) a été accueillie. Le juge a statué que l’instruction des accusations devant le tribunal a fait l’objet d’un retard « excessif ». Dans la transcription de ses motifs, le juge a statué ce qui suit :

[Traduction]

[…]

Le simple fait que les chefs d’accusation aient été suspendus en vertu de l’alinéa 11b) de la Charte ne signifie pas qu’il a été licencié injustement à l’époque, soit en juillet 2003. Les allégations sont très graves, et l’existence de telles allégations graves m’a troublé, parce que toute personne en position de confiance – occupant un poste supérieur de confiance – comme c’était manifestement le cas du fonctionnaire à l’époque, doit s’acquitter de ses obligations à l’égard de son employeur de manière tout à fait incontestable [irréprochable].

[…]

145 Le fonctionnaire a déclaré qu’il a souffert de dépression. Son arrestation en public a été l’événement le plus honteux de sa vie. Il a dit qu’il n’était plus capable de faire confiance à qui que ce soit et qu’il avait perdu sa position sociale dans la communauté et dans l’industrie de haute technologie. Il était incapable de trouver un emploi et il n’était plus en mesure de subvenir aux besoins de sa famille. Il a déclaré qu’il était presque inemployable dans son domaine, quoiqu’il ait présenté des demandes d’emploi. Il a produit de nombreux courriels dans lesquels il a fait des demandes d’emploi, le premier remontant à août 2003 (pièce G-48).

146 En contre-interrogatoire, le fonctionnaire a affirmé que les trois contribuables témoins mentaient et qu’il les poursuivrait s’il avait de l’argent pour acquitter les frais d’avocat. Il a témoigné que les policiers mentaient également et que son avocat de la défense au criminel examine des accusations d’entrave à la justice.

147 Pendant le contre-interrogatoire du fonctionnaire, l’avocat de l’employeur a fait certaines allégations au sujet de la quantité de dossiers auxquels le fonctionnaire a travaillé et des rapports achevés par celui-ci. Avant que l’employeur soumette sa contre-preuve, l’avocat de l’employeur a retiré ses allégations et s’est excusé.

148 Le fonctionnaire a fourni de nombreux documents sur sa situation financière (reçus aux fins de l’impôt, relevés de REER, état du compte de prêt hypothécaire, avis d’évaluation de la propriété et relevés de carte de crédit) (pièces G-37, G-41, G-42, G-43 et G-53). Il a affirmé que la déclaration contenue dans les notes de l’enquêteur de la DAI selon laquelle il avait [traduction] « de graves problèmes financiers » était erronée et qu’il n’a eu des problèmes financiers qu’après son arrestation.

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour l’employeur

149 Il s’agit de déterminer si la preuve révèle que le fonctionnaire a effectivement posé les gestes d’abus de confiance dont il a été accusé. En mars 2004, l’employeur a conclu que le fonctionnaire s’est rendu coupable d’inconduite. Les gestes comprenaient une inconduite grave et justifient le licenciement. Cette audience d’arbitrage de grief était une nouvelle audience et un arbitre de grief doit prendre une décision sur la base de la preuve produite à cette audience.

150 Aucun des trois contribuables ayant témoigné n’avait quoi que ce soit à gagner en prenant part à cette audience et en témoignant. Seule la volonté de s’assurer que la vérité serait présentée était leur motivation. Chacun des trois contribuables a déclaré ne pas avoir conclu de transactions avec les deux autres auparavant. Trois témoins indépendants possédaient des preuves des actes répréhensibles du fonctionnaire. S’il y avait eu un seul plaignant, il serait possible de conclure à un malentendu, mais la présence de trois témoins indépendants rend la preuve de l’acte répréhensible claire et contraignante. Cette cohérence dans le témoignage des trois témoins indépendants doit être prise en compte lorsque l’on soupèse l’importance à donner aux déclarations du fonctionnaire selon lesquelles chacun des trois témoins ment.

151 La police a découvert à l’époque suffisamment de preuves pour accuser le fonctionnaire, et le procureur de la Couronne de la province était convaincu qu’il y avait assez d’éléments de preuve pour poursuivre. À l’enquête préliminaire, le juge a conclu que la preuve d’inconduite était suffisante pour justifier que le fonctionnaire soit cité à procès. L’avocat de l’employeur a fait valoir que ces conclusions devraient me rassurer.

152 L’ADRC ne constituait pas l’élément moteur de l’arrestation du fonctionnaire, comme celui-ci le soutenait. L’avocat de l’employeur a soutenu que lorsque M. A. est allé à l’ADRC pour l’informer de ses allégations contre le fonctionnaire, l’ADRC lui a mentionné qu’il devait aller voir la police. Il s’agissait d’une réponse raisonnable de la part de l’employeur. Compte tenu de la gravité des allégations, le défaut d’informer le fonctionnaire de contacter la police aurait pu mener à une allégation selon laquelle l’ADRC tentait de masquer l’incident.

153 Le fonctionnaire a été suspendu en vertu de l’alinéa 51(1)i) de la Loi sur l’Agence du revenu du Canada. Il s’agissait d’une suspension administrative, car elle permettait d’effectuer l’enquête sur les allégations. Le fonctionnaire ne pouvait pas continuer à exercer ses fonctions en raison de ses conditions de mise en liberté sous caution. En outre, l’ADRC n’avait pas le choix, compte tenu de la gravité des allégations et de l’effet de ces allégations sur l’ADRC et sur sa réputation. Comme la suspension était de nature administrative et non disciplinaire, un arbitre de grief n’avait pas compétence; voir East c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2007 CRTFP 21, au par. 84. Quoi qu’il en soit, il aurait été impossible de tenir une réunion en raison des conditions de mise en liberté sous caution.

154 Subsidiairement, s’il n’y a pas de réunion, la représentation syndicale n’est pas nécessaire, car celle-ci a pour objet de protéger les droits au cours d’une rencontre disciplinaire. Comme il n’y avait pas de réunion, il ne peut y avoir violation de ces droits prévus par la convention collective.

155 L’enquêteur de l’ADRC, M. Cameron, a tenté de communiquer avec le fonctionnaire. L’ADRC ne s’est pas rendu compte que les conditions de mise en liberté sous caution empêchaient tout contact avec le fonctionnaire, et il est absurde de laisser croire, comme le fait le fonctionnaire, qu’il s’agissait d’une tentative délibérée de l’ADRC d’amener le fonctionnaire à enfreindre ses conditions de mise en liberté sous caution. En septembre 2003, quand l’ADRC s’est aperçu que les conditions de mise en liberté sous caution limiteraient la capacité du fonctionnaire de répondre au rapport d’enquête, elle a communiqué sur-le-champ avec le procureur de la Couronne pour faire modifier les conditions de mise en liberté sous caution, ce qui a été fait en novembre 2003.

156 L’employeur devait mener sa propre enquête indépendante et ne pouvait s’en remettre simplement à l’enquête criminelle. L’enquête a été faite de manière juste et minutieuse. Il était clair et évident pour le fonctionnaire que les allégations faisant l’objet de l’enquête étaient les mêmes allégations auxquels il faisait face en contexte criminel. Son témoignage selon lequel il ignorait les accusations déposées contre lui n’est pas convaincant. Il s’agissait d’un témoignage intéressé qui a miné sa crédibilité. Il était représenté par un avocat dans l’instance criminelle, et il était présent au tribunal pendant l’enquête préliminaire. Il est inconcevable que l’instance criminelle ait eue lieu sans qu’il soit informé de la nature des accusations. Son avocat aurait disposé de l’information sous serment (pièces E-3 et E-5) qui fournissait des détails au sujet des allégations.

157 Le fonctionnaire a eu la possibilité de prendre part à l’enquête mais il a refusé, sur les conseils de son avocat de la défense au criminel. Quoiqu’il lui était impossible de participer à ce moment-là en raison des conditions de mise en liberté sous caution, l’employeur a présenté l’offre de bonne foi (en ne connaissant pas ces conditions de mise en liberté sous caution). De plus, le fonctionnaire aurait pu déployer des efforts pour faire modifier les conditions de mise en liberté sous caution.

158 À la première rencontre disciplinaire tenue le 17 décembre 2003, le fonctionnaire a été informé de son droit à la représentation syndicale, et un représentant syndical était présent. Lors de cette rencontre, le fonctionnaire a eu une occasion de répondre au rapport d’enquête et à ses conclusions. Il n’avait pas besoin de dossiers pour pouvoir fournir l’explication de l’autocollant (pièce E-2) qui a été donnée à cette audience. À ce moment-là, il aurait également pu fournir à l’employeur les lettres et les courriels sur lesquels il s’est appuyé à cette audience. S’il l’avait fait alors, il aurait pu être possible d’obtenir les données électroniques requises pour prouver la fiabilité des courriels. Le refus du fonctionnaire de raconter son histoire à la réunion de nature disciplinaire illustre le degré de véracité de la preuve produite à cette audience. Si cette preuve avait été véridique, il l’aurait fournie à la réunion, et il l’aurait également remise à la police au moment de son arrestation.

159 Aucune erreur de procédure n’a été commise au cours de l’enquête. Toutes les erreurs sont corrigées par cette audience d’arbitrage de grief; voir Tipple c. Canada (Conseil du Trésor), [1985] A.C.F. no 818 (C.A.)(QL); McIntyre v. Canada (Treasury Board) (1996),117 F.T.R. 93; Oliver c. Agence des douanes et du revenu du Canada, 2003 CRTFP 43; et Turner c. Conseil du Trésor (Agence des douanes et du revenu du Canada), 2006 CRTFP 58. Le fonctionnaire avait accès à tous les dossiers et pouvait contre-interroger les témoins. Cette audience a donc apaisé toutes les préoccupations qu’il aurait pu avoir au sujet de l’enquête.

160 L’employeur estime que les éléments de preuve concernant l’autocollant (pièce E-2) produits par le fonctionnaire à cet arbitrage de grief n’étaient pas fiables. Les courriels qu’il a fournis à cette audience n’ont pas été présentés sous forme électronique et ne sont pas dignes de foi parce que des pages imprimées sont faciles à copier ou à manipuler. Les communications électroniques imprimées ne sont absolument pas dignes de foi sans les données électroniques qui en sont à la base. Le fonctionnaire a eu l’occasion de fournir ces données. L’employeur était d’avis que ces éléments de preuve sous forme de courriel ne devraient avoir aucune valeur probante.

161 Le fonctionnaire s’est également appuyé sur de la correspondance de personnes qui n’étaient pas présentes à l’audience pour témoigner (pièces G-38 et G-39). L’employeur n’a pas eu l’occasion de contre-interroger ces personnes pour vérifier la fiabilité des documents. Le fonctionnaire aurait pu convoquer ces personnes afin qu’elles témoignent, mais il a décidé de ne pas le faire. Les lettres ne devraient se voir accorder aucune valeur probante pour les mêmes motifs que les courriels et parce que les auteurs de la correspondance n’ont pas été convoqués aux fins d’un contre-interrogatoire. L’absence de valeur probante des courriels et des lettres remet par conséquent en question l’explication de l’autocollant jaune donnée par le fonctionnaire (pièce E-2).

162 Si l’auteur de la lettre d’Atria, M. Raju, (pièce G-39/G-50), avait été cité à témoigner, l’employeur aurait pu lui demander d’expliquer pourquoi il aurait offert 2,5 % de sa société, jusqu’à un maximum de 5 %, à un homme qu’il n’avait jamais rencontré auparavant. D’après le témoignage du fonctionnaire au sujet de la société, ce pourcentage représente beaucoup d’argent. L’avocat de l’employeur a également déclaré qu’il aurait posé de nombreuses questions à M. Raju sur les détails de l’offre d’emploi, notamment sur l’offre d’options d’achat d’actions d’une société qui semblait être privée. Compte tenu de ces questions qui n’ont pu être posées, la lettre d’Atria ne devrait avoir aucune valeur probante.

163 La lettre d’Atria (pièce G-39/G-50) n’était pas digne de foi non plus. La note faite par le fonctionnaire en Inde (pièce G-5) ne correspond pas à l’offre comme telle; elle est similaire, mais elle n’est pas identique. L’offre d’emploi renvoie aux notes produites dans la pièce E-2. Les négociations qui ont suivi ne semblent pas avoir eu d’effet sur la lettre d’offre. En conséquence, la lettre ne semble pas véridique. En outre, le fonctionnaire n’a rien fait avec la lettre après l’avoir reçue. Il n’a rien dit à personne de l’ADRC et n’a avisé personne qu’il demandait un congé ou qu’il démissionnait. Il n’a même pas laissé entendre qu’il avait l’intention de quitter l’ADRC. Il n’a pas non plus cité sa femme à témoigner pour attester qu’elle avait cherché une maison en Inde.

164 Le fonctionnaire a également omis de présenter des preuves à d’autres témoins. Le témoignage du fonctionnaire ne correspondait pas à celui d’autres témoins. Ces témoins auraient dû obtenir l’occasion de répondre au témoignage du fonctionnaire et d’expliquer les incohérences. L’avocat de l’employeur m’a renvoyé à la règle énoncée dans Brown v. Dunn(1893), 6 R. 67 (C.L.) et m’a demandé de tirer une conclusion défavorable du défaut de soumettre des éléments de preuve aux autres témoins.

165 M. A. ne s’est pas fait poser de questions au sujet de la réunion du 24 mars 2003 qui lui auraient permis de répondre au compte rendu fait par le fonctionnaire de cette réunion. Par conséquent, le témoignage de M. A. était plus contraignant. En outre, le témoignage du fonctionnaire selon lequel il s’est buté à M. A. alors qu’il se dirigeait vers la gare n’a pas été soumis à M. A. En ce qui concerne B. W., le fonctionnaire a laissé entendre que l’ancien agent des sciences affecté au dossier était en conflit d’intérêts. C’est pour ce motif que M. Mar aurait confié le dossier au fonctionnaire. Aucune question n’a été posée à B. W. ou à M. Mar au sujet de cette allégation de conflit d’intérêts. Cette preuve ne devrait donc se voir accorder aucune valeur probante. Plus important encore, le représentant du fonctionnaire a omis de présenter au policier Stacey le témoignage du fonctionnaire selon lequel lorsqu’il est retourné au poste de police pour remettre son passeport, il a apporté la lettre d’offre d’Atria. Je devrais tirer la conclusion défavorable selon laquelle le policier Stacey aurait témoigné que la lettre ne lui a pas été montrée.

166 L’une des contradictions les plus importantes résidait dans la preuve sur l’arrestation du fonctionnaire. Le policier Stacey a déclaré que l’autocollant jaune (pièce E-2) a été trouvé dans la poche avant du pantalon du fonctionnaire. Le fonctionnaire a affirmé que l’autocollant jaune se trouvait dans son portefeuille. Si l’autocollant était dans sa poche avant, son explication au sujet du document s’effondre. Il a déclaré qu’il s’agissait d’une note renfermant des renseignements importants au sujet d’une offre d’emploi qu’il avait dans son portefeuille depuis près de quatre mois. Sa version des événements concernant l’autocollant ne constitue qu’une vague possibilité si la note se trouvait dans son portefeuille. Si elle était dans sa poche avant, son récit ne tient pas. Il est invraisemblable qu’il ait laissé un autocollant jaune dans la poche avant de son pantalon pendant près de quatre mois. Il convenait de privilégier le témoignage du policier Stacey, et la note a effectivement été trouvée dans la poche avant du fonctionnaire. Je dois par conséquent conclure que le fonctionnaire a apporté la note avec lui au Royal York Hotel et qu’elle représente un élément de sa tentative d’extorquer M. A.

167 Des stylos différents ont servi à rédiger les notes écrites sur des autocollants (pièces E-2 et G-5), ce qui laisse croire qu’elles ont été écrites à des moments différents et ce qui remet en question la version des événements de juillet 2003 donnée par le fonctionnaire. En outre, le fonctionnaire n’a pas expliqué le retard au niveau du traitement de la réclamation de la société A. Le seul motif plausible du retard dans la finalisation de la réclamation est qu’il s’agissait d’un moyen de négociation avec M. A.

168 Tous ces éléments de preuve sèment le doute quant à la crédibilité du fonctionnaire. Il conviendrait de privilégier le témoignage de M. A. à celui du fonctionnaire. Les courriels ou les lettres n’ayant aucune valeur probante, le témoignage du fonctionnaire paraît louche et ne semble pas véridique. Le fonctionnaire a carrément nié les témoignages de B. W. et de E. G. Il s’agit de déterminer qui dit vrai. D’après la preuve, les témoignages présentés et les contradictions, il faut privilégier les témoignages des contribuables.

169 L’avocat de l’employeur m’a renvoyé à la politique de l’employeur en matière disciplinaire (pièce E-18) pour établir que, sous réserve de circonstances atténuantes, l’inconduite du fonctionnaire justifiait un licenciement. La conduite du fonctionnaire jetait le discrédit sur l’ADRC. Il a fait de fausses déclarations afin de réaliser des gains personnels, a sollicité un pot-de-vin et a enfreint le code régissant les conflits d’intérêts. Pour ce qui est des circonstances atténuantes, le fonctionnaire n’était employé de l’ADRC que depuis 18 mois, ce qui fait que ses états de service étaient limités. Il a eu une bonne évaluation de rendement, mais c’était compréhensible étant donné la brièveté de son engagement. La gravité de l’inconduite touchait la nature même de ses fonctions comme employé de l’ADRC. Ses gestes correspondaient à un abus de pouvoir. Même s’il avait été un employé de longue date, il aurait été impossible de justifier toute mesure moindre qu’un licenciement. Le lien de confiance a été rompu et l’employeur ne peut faire confiance au fonctionnaire. Aucune autre circonstance atténuante n’est applicable.

170 Le fonctionnaire a fait valoir qu’il n’était pas autorisé à approuver des réclamations. Il a ainsi laissé entendre qu’il n’était pas en position de confiance et qu’un lien de confiance ne pouvait donc pas être rompu. Il est trompeur de laisser croire qu’à titre de conseiller, il n’avait pas la capacité d’approuver ou de rejeter des réclamations. Même si la décision pouvait être portée en appel, il en résulterait de longs retards. Il possédait le pouvoir d’approuver une réclamation ou de rejeter une partie d’une réclamation, ce qui donnerait lieu à des retards considérables. Le fonctionnaire a exercé des pouvoirs publics et s’est rendu coupable d’abus de confiance à l’égard du public. Il a été accusé aux termes du Code criminel et, de toute évidence, la police convenait qu’il avait abusé de la confiance du public. Il était absurde de laisser croire qu’il ne possédait pas les pouvoirs d’approuver des réclamations et qu’il n’a donc pas abusé de la confiance du public.

171 De plus, le fonctionnaire a appris son licenciement de l’ADRC peu après sa suspension comme l’établissent l’envoi de courriels de demande d’emploi dès août 2003 — c’est-à-dire avant la fin de l’enquête.

B. Pour le fonctionnaire

172 Les arguments du fonctionnaire s’appuient sur un principe fondamental : la présomption d’innocence telle qu’elle est énoncée dans la Charte canadienne des droits et libertés. Dans les cas de licenciement, qui sont souvent considérés comme la « peine de mort » des relations du travail, la présomption d’innocence est cruciale. Dans cette affaire, l’employeur a tiré à la hâte une conclusion préétablie sans examiner les faits comme il se doit. L’employeur n’a pas écouté ce que le fonctionnaire avait à dire ni porté attention à ce dont il aurait pu avoir besoin pour se défendre contre les accusations.

173 La norme de preuve dans les cas de cette nature est élevée — la preuve qui soutient la décision d’une cause juste doit en effet être contraignante. En ce qui a trait à la norme de preuve, on m’a cité Normandy Hospital v. Hospital Employees’ Union, Loc. 180 (1987),32 L.A.C. (3d) 397, affaire dans laquelle l’arbitre a statué que dans des cas comme celui-là, des preuves « claires, logiques et convaincantes » sont nécessaires. On m’a également cité Chandler c. Conseil du Trésor (Défense nationale), dossier de la CRTFP 166-02-17041 (19871126). Dans cette affaire, l’arbitre de grief a déclaré que dans les cas de « turpitude morale » et d’effets durables possibles sur la réputation d’un employé, il existait une norme de preuve plus élevée que la probabilité de base, mais moindre que la norme du doute raisonnable en matière criminelle.

174 L’employeur a prédéterminé la culpabilité du fonctionnaire pendant la semaine du 18 au 24 juillet 2003. Une fois l’allégation d’extorsion formulée par M. A., quelqu’un a conclu à l’existence d’un motif et le dossier a été approuvé tel qu’il a été déposé par M. Mar au moment même où le fonctionnaire était arrêté. L’employeur avait déjà conclu à sa culpabilité. Son enquête ne servait qu’à permettre au fonctionnaire de prouver son innocence et non à établir qu’il s’était produit quelque chose.

175 L’enquête n’a pas révélé de preuves servant à justifier la suspension et le licenciement du fonctionnaire. Elle n’a pas montré qu’il y avait eu sollicitation d’un pot-de-vin. Le fonctionnaire n’a pas eu de possibilité adéquate de prendre part à l’enquête. La copie expurgée du rapport qu’il a obtenu n’était pas suffisante pour sa défense. Il a demandé les dossiers des contribuables pour illustrer des arguments de sa défense, mais il ne les a pas reçus. Sa demande de prorogation, jusqu’à ce qu’il obtienne une réponse à sa demande d’accès à l’information, a été refusée. L’employeur n’avait pas suffisamment de preuves pour conclure que le fonctionnaire s’est livré à des actes répréhensibles, et il lui en manque toujours.

176 Les notes prises par M. Cameron avant l’enquête (pièce G-3) indiquent que le fonctionnaire éprouvait « de graves problèmes financiers », ce qui a causé un préjudice au fonctionnaire dès le tout début. Personne n’a pu déterminer d’où provenait cette information. Dans cette affaire, un motif avait été établi avant la tenue de discussions.

177 La lettre de suspension ne faisait pas mention de son droit à la représentation syndicale ou de son droit de contester. En réalité, il s’agissait d’un fait accompli, car l’ADRC avait déjà conclu qu’il était coupable. L’employeur, en acceptant comme avérée l’information qui lui a été soumise sans tenter d’en vérifier la véracité, en établissant un motif sans discussion et en ne donnant pas au fonctionnaire la possibilité de faire connaître sa version de l’histoire, a agi en violation de sa politique en matière disciplinaire avant d’imposer une suspension.

178 Il s’agit de déterminer si, à partir de la preuve et des témoignages entendus à cette audience, il est possible de conclure que l’employeur était justifié de licencier le fonctionnaire. Il appartient à l’arbitre de grief de décider qu’il existait des preuves suffisantes d’un motif valable au moment du licenciement et de statuer, d’après les nouvelles preuves à cette audience, que le fonctionnaire n’aurait pas dû être licencié. Le fonctionnaire devrait ensuite être réintégré si l’employeur ne possédait pas assez de preuves au moment du licenciement du fonctionnaire.

179 L’employeur était confronté à un grave problème qui devait faire l’objet d’une enquête lorsque M. A. a présenté pour la première fois ses allégations contre le fonctionnaire. L’employeur était tenu de mener une enquête minutieuse. L’enquête n’a pas été faite minutieusement. L’employeur devait établir si les allégations étaient véridiques. La vie d’un homme était en jeu. L’employeur avait une obligation à l’égard du public et du fonctionnaire. Le fonctionnaire avait la réputation d’être un homme de famille et d’être religieux. Les gens qui le connaissaient étaient sous le choc du fait des événements. Il occupait un emploi de confiance après un an et demie à l’ADRC. Il avait un dossier sans tache, comme l’employeur l’a appris à la suite de vérifications de ses antécédents. M. Mar a dit à M. Cameron et a déclaré à l’audience que le fonctionnaire pouvait être rigoureux, voire dur pour les contribuables. Le fonctionnaire ne faisait pas preuve de laxisme à l’égard des contribuables; il était respecté par certains d’entre eux et par M. Mar. Le fonctionnaire, comme tout autre employé de l’ADRC, était en rapport d’opposition avec les contribuables, ce qui s’inscrit dans les fonctions d’application de la loi d’un agent. Si un agent de conformité effectue du bon travail, il se peut qu’il ne soit pas populaire. Le fonctionnaire était assez strict relativement aux critères des progrès technologiques, de l’endroit où le travail était exécuté et des responsabilités de chacun. Il était un employé apprécié et il aurait dû obtenir du soutien de son employeur, ce qui n’atténue pas toutefois les préoccupations valables de l’employeur. Le fonctionnaire aurait bien accueilli une enquête minutieuse. Pour lui, la qualité de l’enquête et ses conclusions sans fondement posaient problème.

180 En ce qui concerne les conclusions, personne ne prétendait que de l’argent avait été échangé (pièce E-12) avec M. A. D’après le témoignage de M. Cameron, l’enquête n’a pas tenu compte de l’autocollant jaune (pièce E-2). L’autocollant découvert par M. Andrews (pièce G-5) n’a pas non plus été pris en compte. Mme Mihaley ne se souvenait pas de l’avoir vu.

181 La preuve au sujet d’une conversation entre le fonctionnaire et M. A. laisse place à l’interprétation. Il manque des renseignements qui auraient permis d’effectuer une vérification. M. A. ne se souvient même pas du nom de l’hôtel où il a discuté avec le fonctionnaire pour la première fois. Sans documents, les prétentions de M. A. ne sont que circonstancielles. Les preuves matérielles à l’appui des réclamations n’ont pas été utilisées dans l’enquête. Elles n’ont pas été produites à cette audience parce qu’elles ont été perdues (p. ex. la note à E. G. indiquant le nom de la femme du fonctionnaire), parce qu’elles n’étaient pas disponibles ou parce qu’elles n’étaient pas de qualité suffisante. Les preuves matérielles ont disparu et les gens ont agi comme si elles étaient « correctes ». En outre, cette situation semblait correcte à M. Cameron si l’on s’en tient à son rapport d’enquête.

182 Manifestement, l’employeur a décidé de licencier le fonctionnaire en s’appuyant sur le rapport d’enquête, car la lettre de licenciement (pièce E-23) comporte des passages du rapport. On a fait fi des droits du fonctionnaire de répondre aux conclusions de fait préliminaire de l’employeur, tels qu’ils sont énoncés dans la politique disciplinaire de l’employeur (pièce E-18). Il aurait fallu parler au fonctionnaire et ce dernier aurait dû être partie à l’enquête. L’employeur a plutôt pris des dispositions pour faire arrêter le fonctionnaire. L’ADRC, plutôt que de faire toute la lumière sur cette affaire et d’entendre la version du fonctionnaire, a mis un terme au processus et empêché le fonctionnaire de s’exprimer librement sur ces questions.

183 M. Cameron était au courant de l’existence de l’autocollant (pièce E-2). La société A réclamait 509 000 $ (pièce G-11) et la valeur totale du prétendu pot-de-vin excédait 650 000 $, actions en sus (soit 127 % de la réclamation totale). Quel genre d’extorqueur tenterait d’obtenir l’équivalent d’une valeur supérieure à ce qu’il peut offrir? Cette affirmation ne tient pas la route et si l’employeur l’avait étudiée, il aurait été en mesure de conclure qu’il ne s’agissait pas d’un pot-de-vin. De plus, la note subséquente (pièce G-5) indiquait que le prétendu pot-de-vin s’élevait à 450 000 $, actions en sus (soit 88 % de la réclamation), ce qui ne représente pas une forme usuelle d’extorsion. Il y a également d’autres anomalies. Est-il normal qu’un pot-de-vin couvre une période de trois ans et est-il raisonnable qu’il englobe une proportion des actions d’une société? Il aurait dû être évident que ce n’était pas un pot-de-vin, mais plutôt une offre d’emploi. Toutefois, l’employeur avait déjà conclu que le fonctionnaire était coupable et personne n’allait tenir compte d’éléments de preuve et de témoignages allant à l’encontre de cette conclusion.

184 Le représentant du fonctionnaire a tenté de décerner un subpoena à M. Raju, mais les subpoenas ne sont pas exécutoires à l’échelle internationale et il ne s’est pas présenté à l’audience.

185 L’ADRC a eu des discussions avec les forces de l’ordre au sujet du fonctionnaire et a contribué à le faire arrêter sans avoir conversé avec lui. L’ADRC a non seulement conseillé à M. A. d’aller voir la police, mais elle a également lancé un processus en vue de le faire arrêter dans ses locaux.

186 Le représentant du fonctionnaire a remis en question la qualité du rapport d’enquête. L’enquêteur était un employé de l’ADRC qui exerçait peu de surveillance. Son superviseur était également un employé de l’ADRC. Aucune analyse critique n’a été faite de l’enquête effectuée par l’employeur, qui a accepté le rapport d’enquête tel qu’il a été rédigé.

187 L’enquête a débuté au cours des premières conditions de mise en liberté sous caution, ce qui a empêché l’ADRC de discuter de quoi que ce soit avec le fonctionnaire et inversement. Il est étrange que l’ADRC ait participé à ce point à l’arrestation, puis ait mal compris les conditions de mise en liberté sous caution. Le rapport d’enquête renferme un certain nombre d’erreurs de fait. Des témoignages contradictoires ont été autorisés sans autre analyse. Par exemple, M. Mar a déclaré que la période d’examen complet du dossier n’a pas été excessive. Des détectives ont contredit le témoignage de M. A., qui avait déclaré qu’un [traduction] « plan était élaboré ». Il était primordial d’établir qui était à l’origine des appels téléphoniques (est-ce M. A. qui a appelé le fonctionnaire, ou l’inverse?). En conséquence, l’enquête n’a pas tenu compte de la possibilité que M. A. ait piégé le fonctionnaire. Une telle contradiction interne mine la crédibilité du rapport et de la décision qui s’en est suivi. Les récits des témoins étaient incohérents, mais ont été acceptés. Une personne raisonnable souhaiterait éclaircir ces incohérences.

188 C’est dans la section d’analyse du rapport que M. Cameron mine à la fois sa propre crédibilité et celle de l’ADRC. Les critiques formulées par le fonctionnaire au sujet des projets soumis à un examen ne devraient pas être vues comme un aspect négatif, mais plutôt comme un volet de son rôle de conformité et comme une illustration de sa rigueur. Dans le cas du dossier de la société C, il n’y avait pas suffisamment de renseignements pour rendre une décision et l’agent qui a examiné le dossier l’a confirmé lorsqu’il lui a fallu obtenir davantage de renseignements pour terminer l’examen. Il a été établi que le fonctionnaire a mentionné le droit d’interjeter appel de toute décision concernant les crédits, et il n’y a rien de louche à faire une telle mention aux clients. En ce qui concerne le rappel des coûts d’exploitation et la nécessité de disposer de rentrées de fonds, M. A. l’a mentionné au fonctionnaire.

189 Le fonctionnaire n’a rien remis à plus tard et il n’y a pas eu de retard. Le fonctionnaire rédige un rapport qu’il soumet ensuite à son superviseur, M. Mar, qui décide s’il convient d’approuver la réclamation. Tel est le processus normal. Une autre personne possédant un pouvoir de surveillance s’assure que le fonctionnaire a bien fait son travail. E. G. semblait ignorer qu’il pouvait demander des éclaircissements à un niveau hiérarchique supérieur à celui du fonctionnaire.

190 Le rapport renferme également des spéculations sur ce que le fonctionnaire a pu envisager, sans aucune preuve. M. Cameron décide de sa culpabilité en fournissant très peu d’explications de la façon dont il a tiré cette conclusion. Le choix des preuves sur lesquelles il s’est appuyé révèle en outre qu’il avait déjà décidé de la culpabilité. Des preuves directes étaient disponibles et il n’a pas expliqué pourquoi il ne s’est pas servi de ces preuves matérielles. Qu’a fait l’enquêteur des preuves matérielles? Où se trouve le bout de papier que E. G. dit avoir reçu du fonctionnaire? M. Cameron ne semble pas se soucier d’où il est passé. L’enregistrement de la conversation aurait pu être produit. E. G. a dit qu’il était de mauvaise qualité, mais c’est l’arbitre de grief, et non l’ADRC, qui devrait en juger.

191 L’autocollant jaune (pièce E-2) aurait pu être examiné par l’ADRC. Le policier Stacey a déclaré qu’il aurait pu s’agir d’une offre d’emploi. Cet élément a échappé à M. Cameron, tout comme la note découverte par l’employeur dans le sac du fonctionnaire au bureau de l’ADRC (pièce G-5). Cet élément est important, car il s’agit manifestement d’une offre d’emploi. M. Cameron avait également accès aux dossiers des contribuables et aurait pu les étudier pour vérifier les allégations. De deux choses l’une : soit il ne les a jamais consultés, soit il ne les a pas compris. Les dossiers auraient révélé à M. Cameron que les réclamations tardives n’étaient pas valides. L’un des avocats du fonctionnaire a examiné tous les dossiers et s’est penché sur le temps qu’il a fallu pour traiter les réclamations.

192 Le fonctionnaire n’est pas parvenu à avoir accès aux dossiers des contribuables dans le cadre d’une demande d’accès à l’information. La communication de la preuve a également constitué un problème dans son instance pénale et a joué un rôle dans la suspension de l’instance. Pourquoi l’ADRC ne lui a-t-elle pas permis de voir les dossiers pour faire valoir son innocence? L’employeur n’a subi aucun préjudice. Le fonctionnaire demeurait un employé pendant sa suspension et il aurait pu être supervisé pendant qu’il examinait les dossiers. L’employeur désirait obtenir une déclaration du fonctionnaire, mais n’avait cure de ses propos, surtout après toute la mauvaise publicité ayant entouré son arrestation. Non seulement l’employeur n’a pas examiné activement l’ensemble de la preuve, mais il a en outre bloqué sciemment tout accès que le fonctionnaire aurait pu avoir aux documents tout en lui demandant de se défendre.

193 Comme l’employeur s’est appuyé sur des accusations au criminel pour justifier le licenciement du fonctionnaire, il devrait avoir à se fonder sur l’issue de ces accusations. Les accusations au criminel ont été rejetées. Étant donné que l’employeur a invoqué ces accusations pour justifier le licenciement du fonctionnaire, celui-ci devrait être réintégré.

194 Le fonctionnaire n’a pas reçu de copie intégrale du rapport d’enquête. Rien ne justifiait ce fait et aucun obstacle juridique n’empêchait de lui fournir une copie. La justice fondamentale exige de lui fournir une copie intégrale, ce qui aurait contribué à l’enquête plutôt que de lui nuire. Le fonctionnaire ne s’opposait pas à prendre part à l’enquête si ses conditions de mise en liberté sous caution étaient respectées et il a reçu les outils pour participer efficacement.

195 En ce qui concerne la preuve mise en lumière à l’audience, le fonctionnaire n’était manifestement pas en difficultés financières et ne subissait pas de pression de nature financière. Il conviendrait d’établir pourquoi une personne âgée de 50 ans qui a une famille et ne possède pas de casier judiciaire poserait soudainement les gestes dont cette personne est accusée.

196 Le fonctionnaire était désireux de donner une réponse complète aux allégations formulées à cette audience. Il s’agissait de sa première occasion de fournir les détails de sa version de l’affaire. Le fonctionnaire était franc. Il a ses particularités. Par exemple, l’endroit où se trouvait l’autocollant jaune lorsqu’il a été arrêté constituait un détail superflu, mais le fonctionnaire a décidé de ne rien laisser passer parce qu’il croyait que quelque chose clochait, même si cela signifiait qu’il devait contester les propos d’un policier. Il peut être irritant lorsqu’il a raison. Il n’est pas parfait et voit les choses avec rigidité — il se montre un peu plus vertueux ou « affiche des airs de petit saint ».

197 L’employeur n’a pas produit des preuves qui étaient disponibles (le T2020 manquant). Le fonctionnaire a décidé de ne pas s’adresser à son avocat de la défense au criminel pour obtenir le document, comme son droit le lui permettait.

198 L’avocat de l’employeur a tenté d’attaquer la crédibilité du fonctionnaire en posant des questions sur le nombre de dossiers auxquels il avait travaillé. Le fonctionnaire n’a pas reculé. Il est plutôt resté sur ses positions et a produit un document pour étayer sa prétention concernant le nombre de dossiers auxquels il avait travaillé. L’employeur n’a jamais présenté le document pour prouver son affirmation. Cela démontre le caractère du fonctionnaire en ce sens qu’il reste sur ses positions.

199 Globalement, à l’examen du témoignage du fonctionnaire et des renseignements dont il est en mesure de se souvenir, le tout se tient. C’est un homme honnête et franc qui voulait raconter son histoire. Les courriels qui appuient le fait qu’il avait reçu une offre d’emploi constituent des éléments de preuve valables; ils sont disponibles et devraient se voir accorder de l’importance. Le fardeau de la preuve repose sur l’employeur et le fonctionnaire est innocent jusqu’à preuve du contraire. Il n’est pas correct de continuer à critiquer vigoureusement le fonctionnaire. Il s’agit d’une tendance continue, et le fonctionnaire espère qu’elle cessera.

200 Le témoignage des représentants des contribuables constitués en société n’a rien ajouté de nouveau. Nous avons constaté quelle est leur personnalité et à quoi ils auraient pu ressembler comme clients. Les contribuables n’étaient pas des parties désintéressées; ils étaient intéressés à obtenir leur argent. Ils croyaient que l’argent leur était dû. Ils pensaient que le fonctionnaire exerçait un contrôle sur l’accès à cet argent et qu’il leur bloquait l’accès. Le fonctionnaire reconnaît que sa position allait à l’encontre de la leur en ce sens que les projets ne suscitaient pas son enthousiasme.

201 M. A. avait une manière de s’exprimer qui montrait qu’il était prêt à tout pour « prendre sa revanche » sur un Indien hindou. Son commentaire au sujet des pratiques corrompues en Inde constituait une injure raciste et donnait une bonne indication de son caractère et de la façon dont il fait des affaires.

202 Les contribuables ont des choses en commun. Ils proviennent d’une petite communauté et affichent une conduite similaire. Ils ne notaient jamais rien. S’il s’agissait de membres du crime organisé, ce pourrait être acceptable, mais dans le cas qui nous occupe, les contribuables demandaient des centaines de milliers de dollars et ne notaient absolument rien de ce qui se passait. En outre, ils ne peuvent se souvenir de détails simples. Ils ont perdu ou remis les prétendues notes d’extorsion. Nous ne pouvons pas les traiter comme des enfants qui ne savent pas l’importance de conserver des éléments de preuve et des bandes des conversations. L’ADRC ou l’arbitre de grief peut-il s’appuyer sur la crédibilité de tels témoins? Le défaut par B. W. de rapporter ses allégations à l’ADRC ne tient pas la route. Pourquoi les garderait-il pour lui? M. G., un employé de la société A et un témoin important, n’a pas témoigné. M. A. a déclaré qu’un ami l’a contacté pour lui dire que le fonctionnaire « cherchait à obtenir quelque chose ». Le défaut de l’employeur de citer ce témoin était important.

203 Aucun contribuable témoin n’a fourni de preuve directe d’une prétendue inconduite. Leurs témoignages ont tous été imprécis quant aux endroits et aux moments. Leur intérêt personnel pur et non altéré vicie la crédibilité de tous les témoins. Les témoins étaient unis dans leur aversion du fonctionnaire. B. W. ne comprenait pas certains mots anglais et il se peut que sa compréhension ait posé problème.

204 S’il faut donner un certain poids à la suspension par le tribunal, c’est à titre de balise du traitement réservé au fonctionnaire par l’ADRC. Les observations du juge ne reposaient pas sur une analyse sérieuse. Il faut établir les faits et l’avis du juge n’est pas pertinent. Il incombe à l’arbitre de grief de prendre une décision en fonction de la preuve et des témoignages. Une fois les accusations rejetées, l’ADRC aurait pu demander au fonctionnaire ce qui s’est produit. Le fonctionnaire a dû citer M. Mar comme témoin et l’on comprend pourquoi, car son témoignage n’appuyait pas les conclusions du rapport d’enquête.

205 Le fonctionnaire a constamment maintenu son innocence. Il a rejeté une possibilité de négocier un plaidoyer. Il préférerait se retrouver derrière les barreaux plutôt que de reconnaître quelque chose qu’il n’a pas fait. Il peut être considéré comme un homme qui se consacre à sa famille, comme une personne religieuse et comme un employé digne de confiance. Il avait de bonnes évaluations de rendement. Il avait une approche professionnelle dont certains ne se souciaient pas. Le fait que le fonctionnaire ait discuté avec l’avocat de l’employeur lors de son contre-interrogatoire constituait une indication de sa personnalité. Il faisait son travail pour l’ADRC, et il ne laisserait pas les contribuables s’en tirer sans répondre aux exigences du programme.

206 En ce qui concerne les documents auxquels, au dire de l’employeur, il ne faudrait pas accorder de poids, il n’en demeure pas moins que le fonctionnaire a témoigné à leur sujet. Même si les documents ne se voient accorder aucune importance, cela ne signifie pas que le fonctionnaire ne dit pas la vérité. C’est tout simplement une question de recevabilité.

207 Relativement à la suspension, l’employeur n’aurait pas dû attendre jusqu’aux observations finales pour soulever une objection à la compétence. L’employeur a raison d’affirmer que s’il n’existe pas de cause de licenciement, le rétablissement rétroactif au début de la suspension est approprié, et c’est ce que le fonctionnaire demande.

208 En ce qui a trait aux conditions de mise en liberté sous caution du fonctionnaire, lui incombait-il vraiment de les faire modifier alors que c’est l’ADRC qui ne les comprenait pas?

209 Cela s’est révélé, pour le fonctionnaire, être une épreuve pénible qui a eu une incidence sur sa vie et sa santé. Cette épreuve a nui à sa capacité de trouver du travail. Il devrait être réintégré. Il a été incapable d’atténuer ses pertes. Il a donc droit à un traitement et à des avantages sociaux du 24 juillet 2003 jusqu’à maintenant. Si la réintégration est impossible, il devrait être dédommagé pour l’ensemble de la période avec intérêt sur le montant dû.

210 On m’a également cité la décision Clarendon Foundation (Cheshire Homes) v. OPSEU, Local 593 (1995), 50 L.A.C. (4th) 17. Dans cette décision, l’arbitre a statué que le fait de lancer une enquête policière et de déléguer son devoir de faire enquête à la police signifie que l’employeur doit accepter les conséquences et être lié par les résultats de ce processus pénal.

C. Réplique de l’employeur

211 La norme de preuve requise dans des cas comme celui-ci consiste à déterminer s’il existe une « preuve claire et convaincante » qui établit l’inconduite alléguée par l’employeur. (Voir Mackenzie et le Conseil du Trésor (Revenu Canada - Douanes, Accise et Impôt) dossiers de la CRTFP 166-02-26614 et 15 (19970203)).

212 Le témoignage de M. Mar selon lequel ces accusations étaient des « accusations justes » était un sentiment partagé par l’ADRC à ce moment-là. L’ADRC se serait rendue coupable d’entrave à la justice si elle avait discuté de ces questions avec le fonctionnaire pendant que la police faisait enquête. En ce qui a trait à B. W. et à E. G., l’employeur possède des preuves directes. Il n’y a pas de preuve documentaire, mais les témoignages peuvent être dignes de foi. Les témoignages de ces deux témoins étaient dignes de foi. Le représentant du fonctionnaire avait l’occasion de les contre-interroger. Bien qu’il s’agisse d’une preuve de la nature du ouï-dire, celle-ci demeure digne de foi.

213 Relativement à la question de savoir si la note rédigée sur l’autocollant (pièce E-2) pourrait être considérée comme un pot-de-vin, la police, le procureur de la Couronne et le juge à l’enquête préliminaire ont tous accepté que ce pourrait être un pot-de-vin. En outre, il est tout aussi raisonnable pour un arbitre de grief d’en venir à la même interprétation. Le policier Stacey a déclaré que le fonctionnaire n’avait pas décrit la note sur l’autocollant (pièce E-2) comme une offre d’emploi, mais plutôt comme une possibilité d’investissement.

214 Le représentant du fonctionnaire a soutenu que l’employeur conspirait avec la police. Toutefois, l’employeur collaborait simplement avec la police au besoin.

215 En ce qui touche les retards dans le traitement des réclamations, il a été établi que des données additionnelles ont été obtenues de la société A le 1er mai 2003 et que le retard de mai à juillet 2003 n’a pas été expliqué. M. Mar devait obtenir des renseignements de la société A parce qu’il ne voulait pas tenter de trouver le dossier du fonctionnaire. Rien ne laissait croire ni n’établissait que le dossier ne comportait pas assez de renseignements.

216 La suspension d’instance était une suspension, et non un rejet des accusations. Il existe une différence distincte. La suspension n’établit pas clairement (pièce E-1) que c’est l’ADRC qui a occasionné les problèmes au niveau de la communication de la preuve. Telle n’est pas la preuve soumise à l’arbitre de grief.

217 Le refus du fonctionnaire d’accepter une négociation de plaidoyer ne devrait se voir accorder aucune importance. Ce refus pourrait également être interprété comme une incapacité de sa part de reconnaître une conduite répréhensible. Le fait que le fonctionnaire argumente avec l’avocat de l’employeur révèle qu’il est un témoin évasif et qu’il ne veut pas répondre aux questions.

218 En ce qui concerne le fardeau de la preuve, le représentant du fonctionnaire confond le fardeau de la preuve d’une cause juste avec la charge individuelle de présentation visant à faire accepter la preuve. Lorsqu’une pièce est produite, il incombe à la partie qui la présente d’établir qu’elle est digne de foi. Ce n’est pas à l’autre partie d’établir que la pièce n’est pas digne de foi.

219 Les tentatives de citer un témoin à comparaître ne sont pas soumises en preuve. Le fonctionnaire a eu toutes les occasions de prendre des dispositions concernant le témoignage des témoins.

IV. Motifs

220 Le fonctionnaire a contesté une suspension, une violation des dispositions de la convention collective sur le droit à la représentation syndicale ainsi que son licenciement. Les allégations à l’encontre du fonctionnaire sont graves et touchent le cœur des responsabilités d’un fonctionnaire. La corruption et l’extorsion, si elles sont prouvées, détruisent le lien de confiance entre un employeur et son employé. Pour les motifs énoncés ci-après, j’ai conclu que l’employeur a démontré qu’il était justifié de licencier le fonctionnaire. J’ai également conclu que la suspension était justifiée. De plus, j’ai conclu que l’employeur a manqué à son obligation d’informer le représentant local de l’IPFPC de la suspension du fonctionnaire. Je traiterai d’abord du licenciement, puis de la suspension, et enfin des prétendues violations de la convention collective.

A. Licenciement

221 L’avocat de l’employeur m’a exhorté à m’appuyer sur l’arrestation du fonctionnaire par la police et sur les observations formulées par le juge lorsqu’il a accordé la suspension d’instance. Le représentant du fonctionnaire a déclaré que comme le tribunal a rejeté les accusations au criminel, le fonctionnaire avait le droit d’être réintégré. L’audience devant moi était une nouvelle audience et je ne peux m’appuyer sur les conclusions de la police pour le dépôt d’accusations ou sur les observations du juge. De même, compte tenu des motifs de la suspension des accusations — le retard — je ne puis invoquer cette conclusion à l’appui de la thèse du fonctionnaire.

1. Norme de preuve

222 Le représentant du fonctionnaire a fait valoir que l’employeur était tenu de satisfaire à une norme de preuve plus rigoureuse que la « prépondérance des probabilités » parce que les allégations contre le fonctionnaire étaient de nature criminelle. Cette question a été examinée dans Samra c. Conseil du Trésor (Affaires indiennes et Nord canadien), dossier de la CRTFP 166-02-26543 (19960911), affaire dans laquelle l’arbitre de grief déclare ce qui suit :

[…]

[…] l’employeur doit prouver par des preuves claires, convaincantes et solides que les faits allégués se sont produits. Même si la norme n’est pas celle des affaires criminelles où l’on exige des preuves hors de tout doute raisonnable, il faut davantage qu’une simple prépondérance de preuve.

[…]

Les arbitres de grief ont suivi la même approche dans Gale c. Conseil du Trésor (Solliciteur général du Canada – Service correctionnel), 2004 CRTFP 88; Teeluck c. Conseil du Trésor (Solliciteur général –Service correctionnel du Canada), dossier de la CRTFP no 166-02-27956 (19980820);et Mackie c. Conseil du Trésor(Solliciteur général du Canada – Service correctionnel), 2004 CRTFP 3.

223 La Cour suprême du Canada a rejeté une « norme variable » de preuve dans Continental Insurance Co. c. Dalton Cartage Co., [1982] 1 R.C.S. 164 (aux pages 169-171) :

[…]

Chaque fois qu’il y a une allégation de conduite moralement blâmable ou qui peut revêtir un aspect criminel ou pénal et que l’allégation se présente dans le cadre d’un litige civil, le fardeau de la preuve qui s’applique est toujours celui de la preuve suivant la prépondérance des probabilités […]

[…]

[…] L’appréciation des éléments de preuve se rapportant au fardeau de la preuve implique nécessairement une question de jugement, et un juge de première instance est fondé à examiner la preuve plus attentivement si la preuve offerte doit établir des allégations sérieuses. […]

[…]

Je n’estime pas que ce point de vue s’écarte du principe d’une norme de preuve fondée sur la prépondérance des probabilités ni qu’il appuie une norme variable. La question dans toutes les affaires civiles est de savoir quelle preuve il faut apporter et quel poids lui accorder pour que la cour conclue qu’on a fait la preuve suivant la prépondérance des probabilités.

[…]

224 Plus récemment, la Cour suprême a tiré la même conclusion dans F.H. c. McDougall, 2008 CSC 53 :

[…]

[40] […] notre Cour devrait selon moi affirmer une fois pour toutes qu’il n’existe au Canada qu’une seule norme de preuve en matière civile, celle de la prépondérance des probabilités. Le contexte constitue évidemment un élément important et le juge ne doit pas faire abstraction, lorsque les circonstances s’y prêtent, de la probabilité ou de l’improbabilité intrinsèque des faits allégués non plus que de la gravité des allégations ou de leurs conséquences. Toutefois, ces considérations ne modifient en rien la norme de preuve. […]

[…]

[45] Laisser entendre que lorsqu’une allégation formulée dans une affaire civile est grave, la preuve offerte doit être examinée plus attentivement suppose que l’examen peut être moins rigoureux dans le cas d’une allégation moins grave. Je crois qu’il est erroné de dire que notre régime juridique admet différents degrés d’examen de la preuve selon la gravité de l’affaire. Il n’existe qu’une seule règle de droit : le juge du procès doit examiner la preuve attentivement.

[46] De même, la preuve doit toujours être claire et convaincante pour satisfaire au critère de la prépondérance des probabilités. Mais, je le répète, aucune norme objective ne permet de déterminer qu’elle l’est suffisamment. […]

[…]

[49] En conséquence, je suis d’avis de confirmer que dans une instance civile, une seule norme de preuve s’applique, celle de la prépondérance des probabilités. Dans toute affaire civile, le juge du procès doit examiner la preuve pertinente attentivement pour déterminer si, selon toute vraisemblance, le fait allégué a eu lieu.

[…]

225 Bien que le raisonnement de la Cour ait été établi dans le contexte d’un procès civil, ces conclusions s’appliquent également aux autres tribunaux administratifs qui appliquent la norme de preuve civile. Par conséquent, l’employeur n’est pas tenu de se conformer à une norme plus rigoureuse. Je dois examiner la preuve avec beaucoup de soin afin de déterminer les probabilités que les événements se soient produits. En outre, comme l’a noté la Cour, « […] la preuve doit toujours être claire et convaincante pour satisfaire au critère de la prépondérance des probabilités ».

2. Évaluer la crédibilité

226 L’avocat de l’employeur a formé opposition à la recevabilité de certains témoignages du fonctionnaire parce que sa version des événements n’avait pas été transmise aux témoins (mention de la règle énoncée dans Brown c. Dunn). À l’audience, j’ai réservé ma décision au sujet de ces objections. La « règle » formulée dans Brown c. Dunn n’est pas une règle, mais plutôt une ligne directrice. Pour l’essentiel, elle a trait à l’équité : elle est conçue pour donner à un témoin l’occasion de répondre à une version différente des événements ou à un témoignage qui est directement lié à ce témoin. Dans la plupart des cas, il n’est pas approprié d’empêcher un témoin (en particulier un fonctionnaire) de témoigner sur certains points parce que ces faits n’ont pas été soumis au témoin concerné. Par ailleurs, il n’est pas juste de faire porter à la partie adverse le fardeau de citer de nouveau des témoins pour contrer de nouveaux témoignages qui contredisent ceux de témoins qui ont déjà déposé. La première tâche d’un arbitre de grief consiste à établir si, dans les faits, la preuve est directement contradictoire. La deuxième tâche consiste à établir l’importance de la contradiction pour déterminer ce qui s’est produit. La troisième tâche est ensuite de soupeser la preuve contradictoire et de décider si le défaut de soumettre la preuve contradictoire à un témoin peut permettre de tirer des conclusions.

227 J’estime qu’il n’est pas nécessaire d’opposer une dénégation directe des événements à un témoin. Dans le présent cas, par exemple, le fonctionnaire a déclaré qu’il n’a jamais rencontré B. W. à une foire alimentaire et qu’il n’a jamais rencontré E. G. au Stage West Hotel. Le témoignage de chaque témoin, dont le fonctionnaire, doit alors être jugé en toute objectivité. Toutefois, dans d’autres situations, il est approprié de tirer une conclusion défavorable du défaut d’interroger un témoin au sujet d’un témoignage prévu qui contredira ce témoin. J’ai traité de ces situations dans mon évaluation de la preuve et des témoignages ci-après.

228 Les témoignages dans le cadre de la présente audience ont souvent été directement contradictoires. Mes conclusions de fait s’appuient en grande partie sur des conclusions de crédibilité. La majeure partie des témoignages concernant le prétendu comportement répréhensible du fonctionnaire étaient directement contradictoires. Pour évaluer la crédibilité, les arbitres de grief s’en sont fréquemment remis au critère de la crédibilité tel qu’il a été défini dans l’affaire Faryna v. Chorney, [1952] 2 D.L.R. 354 :

[Traduction]

[…]

[…] En bref, pour pouvoir réellement conclure que l’histoire d’un témoin est vraie en pareil cas, celle-ci doit être en harmonie avec la prépondérance des probabilités qu’une personne pratique et informée reconnaîtrait d’emblée comme étant raisonnables en ce lieu et dans ces circonstances. […]

[…]

229 Plus récemment, la Cour suprême s’est penchée sur la façon appropriée de considérer la fiabilité et la crédibilité des témoins dans les cas d’incohérences et d’absence de preuve justificative. Dans F.H. c. McDougall, la Cour (qui invoque la décision rendue par la Cour d’appel de la Colombie-Britannique dans R. v. R.W.B. (1993), 24 B.C.A.C. 1,  aux pages 28-29) expose l’approche de la façon suivante :

[…]

[…] En première instance, le juge ne doit pas considérer le témoignage du demandeur en vase clos. Il doit plutôt examiner l’ensemble de la preuve pour déterminer l’incidence des contradictions sur les questions de crédibilité touchant au cœur du litige.

230 La Cour suprême, encore dans F.H. c. McDougall, a traité de l’approche appropriée à adopter pour déterminer les faits lorsqu’une partie nie catégoriquement les allégations d’un témoin :

[…]

[86] […] au civil, lorsque les témoignages sont contradictoires, le juge est appelé à se prononcer sur la véracité du fait allégué selon la prépondérance des probabilités. S’il tient compte de tous les éléments de preuve, sa conclusion que le témoignage d’une partie est crédible peut fort bien être décisive, ce témoignage étant incompatible avec celui de l’autre partie. Aussi, croire une partie suppose explicitement ou non que l’on ne croit pas l’autre sur le point important en litige. C’est particulièrement le cas lorsque, comme en l’espèce, le demandeur formule des allégations que le défendeur nie en bloc. […]

[…]

3. Conclusions de fait et conclusions sur le licenciement

231 Trois allégations distinctes de tentative d’obtention de pots-de-vin ou d’avantages par le fonctionnaire ont été formulées. Le fonctionnaire nie catégoriquement deux de ces allégations (celles de la société B et de la société C) et a fourni une explication des événements et des documents en ce qui concerne l’allégation de la société A. J’aborderai en premier lieu les allégations que le fonctionnaire a niées catégoriquement.

232 E. G. a témoigné au sujet d’une réunion qui s’est tenue dans un hôtel, réunion au cours de laquelle le fonctionnaire aurait proposé que sa femme soit recrutée pour réécrire une réclamation. Je conclus que le témoignage de E. G. est crédible. Je ne vois pas pourquoi il aurait inventé un tel récit. Son témoignage ne comportait pas d’incohérences. Selon la prépondérance des probabilités, je conclus que M. Narayan a eu un comportement inapproprié en demandant du travail pour sa femme en échange de l’approbation d’une réclamation.

233 B. W. a témoigné au sujet d’une réunion dans une cafétéria, réunion pendant laquelle le fonctionnaire a laissé entendre qu’il approuverait une réclamation moyennant le versement de 40 000 $. Le représentant du fonctionnaire a soutenu que les connaissances de la langue anglaise de B. W. étaient mauvaises. Je conclus qu’il était en mesure de rendre témoignage et que rien n’indique qu’il ne pouvait pas comprendre les questions qui lui ont été posées. B. W. a convenu en contre-interrogatoire qu’il n’avait « pas de preuve » de la prétendue réunion. Il va sans dire qu’il n’appartient pas au témoin de déterminer si son témoignage satisfait à la norme juridique de preuve usuelle. Ce que je retiens du témoignage de B. W., c’est qu’il ne possédait pas de preuve documentaire ni d’autres preuves corroborant son témoignage. Autrement dit, il a simplement reconnu que c’était sa parole contre celle du fonctionnaire. Je conclus que le témoignage de B. W. est crédible. Sa réclamation a été approuvée, et rien ne peut laisser croire qu’il avait quoi que ce soit à tirer de la formulation de telles allégations. Selon la prépondérance des probabilités, je conclus que M. Narayan a tenté de solliciter un pot-de-vin de B. W. L’approbation de la réclamation et le non-versement du pot-de-vin ne modifient en rien le fait que M. Narayan s’est livré à une inconduite.

234 Le fonctionnaire a nié les allégations concernant la société A, mais a longuement témoigné des événements qui, selon ses dires, expliquaient le témoignage de M. A. et la note manuscrite perçue par M. A., l’ADRC et la police comme une preuve d’une demande de pot-de-vin (pièce E-2). Cette note manuscrite sur autocollant est la « preuve irréfutable », et le fonctionnaire a consacré une grande partie de son témoignage à la contrer. À sa face même, cette pièce constitue un élément de preuve qui établit une intention de demander un pot-de-vin à la société A. Le témoignage du fonctionnaire, sur lequel je me pencherai ci-après, était incohérent et parfois diamétralement opposé au témoignage des policiers et de M. A. Cette incohérence m’amène à conclure que le témoignage du fonctionnaire n’est pas crédible.

235 D’abord, il y avait des témoignages contradictoires au sujet de l’endroit où se trouvait la note rédigée sur l’autocollant lorsque le fonctionnaire a été arrêté. Le policier a déclaré qu’elle était dans la poche avant gauche du pantalon du fonctionnaire, tandis que le fonctionnaire a affirmé qu’elle était dans son portefeuille. Cet élément est important, parce que si la note en question était dans sa poche, ce fait appuie la conclusion selon laquelle elle avait trait à un pot-de-vin plutôt qu’à une offre d’emploi. Il faut en déduire qu’il avait la note à portée de la main pour discuter du pot-de-vin avec M. A. à l’hôtel. Si elle se trouvait dans son portefeuille, cela tend à soutenir la conclusion selon laquelle il l’a conservée dans son portefeuille après son voyage en Inde. Il faut alors en déduire que la note serait plus vraisemblablement liée à la prétendue offre d’emploi en Inde, parce qu’il l’avait mise dans son portefeuille avant de se rendre en Inde. Tout compte fait, le témoignage du policier est davantage digne de foi. Il a pris des notes peu après l’événement, et rien n’établissait qu’il avait quelque motivation que ce soit à inventer une telle histoire. Le témoignage du fonctionnaire n’est pas crédible.

236 Le témoignage du fonctionnaire concernant sa « rencontre » avec M. A. le 21 mai 2003 dans la rue mine également la crédibilité du fonctionnaire. En contre-interrogatoire, le fonctionnaire a dit qu’il a rencontré M. A. dans la rue alors qu’il se dirigeait vers la gare. Il avait affirmé antérieurement qu’il n’y avait pas eu de rencontre. Il s’est expliqué en disant que la rencontre dans la rue n’était pas une « réunion ». Je peux convenir d’une certaine confusion sur la question de savoir si le fait de rencontrer quelqu’un dans la rue constituait une « réunion » au sens formel. Toutefois, cette « rencontre » importante n’a pas été soumise à M. A. en contre-interrogatoire. Le défaut de soumettre cet élément de preuve crucial à M. A. amène à présumer que le témoignage du fonctionnaire n’est pas crédible. Selon la prépondérance des probabilités, je conclus que cette « rencontre » ne s’est pas produite.

237 Le défaut de citer les deux professeurs comme témoins mine également la crédibilité du fonctionnaire. Cet élément de preuve est également primordial, parce qu’il explique pourquoi le fonctionnaire se rendrait au Royal York Hotel à si court préavis. En outre, il explique ce qu’était selon lui la nature de la réunion. Le défaut de citer comme témoin l’un ou l’autre des professeurs amène à déduire que le fonctionnaire n’est pas crédible. En outre, M. A. n’a pas été contre-interrogé sur la question de savoir s’il avait dit au fonctionnaire qu’ils étaient en ville et qu’ils voulaient le rencontrer. Je crois que le fonctionnaire a discuté au téléphone avec les professeurs. Cependant, je ne crois pas qu’il s’est rendu au Royal York Hotel le 24 juillet 2003 pour les rencontrer.

238 Le témoignage du fonctionnaire renferme d’autres incohérences au sujet de son arrestation qui sapent sa crédibilité. Le policier Stacey a fourni une preuve crédible selon laquelle le fonctionnaire lui a dit que la note inscrite sur l’autocollant (pièce E-2) faisait état d’un investissement, et non des conditions d’un emploi. Ce n’est pas cohérent avec son explication selon laquelle il s’était fait offrir un emploi en Inde. Je ne vois pas pourquoi il n’aurait pas mentionné au policier Stacey qu’il s’agissait d’une offre d’emploi s’il s’était effectivement agi d’une telle offre. En outre, le fonctionnaire a déclaré qu’il a apporté la lettre d’offre reçue d’Atria (pièce G-39) au poste de police le 29 juillet 2003, et que le policier Stacey la lui a prise. Cet élément n’a jamais été soumis au policier Stacey, et le défaut de l’interroger au sujet de la lettre amène à conclure qu’elle n’a pas été fournie. Aucun élément de preuve n’a été obtenu des policiers sur les motifs pour lesquels ils « dissimuleraient » cet élément de preuve. Selon la prépondérance des probabilités, je conclus que la lettre n’a jamais été fournie à la police.

239 Le témoignage du fonctionnaire sur le moment où il a appris quelles sociétés étaient impliquées dans les allégations formulées contre lui représente une autre incohérence qui mine encore davantage sa crédibilité. Il a déclaré qu’il ignorait que la société A constituait l’objet des accusations criminelles originales portées contre lui jusqu’en mars 2004. Néanmoins, le policier Stacey a affirmé que le fonctionnaire a déclaré au moment de son arrestation qu’il avait été « piégé » parce qu’il était originaire de l’Inde et qu’« ils » étaient originaires du Pakistan. Cette déclaration montre clairement que le fonctionnaire savait tout à fait qui formulait les allégations contre lui au moment de son arrestation. Cette incohérence sape encore davantage sa crédibilité.

240 En réponse au témoignage des trois contribuables et des policiers, le fonctionnaire a affirmé que les cinq témoins mentaient. Cette affirmation mine davantage sa crédibilité comme témoin. Les trois contribuables ne se connaissaient pas, mais présentaient néanmoins des preuves crédibles des demandes de pots-de-vin. Les policiers ont témoigné à partir de notes prises au moment de l’arrestation. Rien n’établissait qu’ils éprouvaient de l’animosité à l’égard du fonctionnaire.

241 Le fonctionnaire a produit en preuve des courriels et des lettres pour étayer son explication selon laquelle la note inscrite sur l’autocollant (pièce E-2) était une offre d’emploi d’Atria. L’employeur a remis en question l’authenticité des courriels et des lettres. J’ai conclu que ces pièces ne sont pas dignes de foi pour les motifs indiqués ci-après.

242 Il importe de noter qu’il incombe à la personne qui cherche à faire admettre un document électronique d’établir son authenticité (Loi sur la preuve au Canada, article 31.1). La preuve fournie doit me convaincre de l’intégrité du document électronique. La Loi sur la preuve au Canada prévoit à l’alinéa 31.3a) que l’intégrité d’un document électronique est établie au moyen d’une preuve qui :

[…]

31.3a) […] permet de conclure qu’à l’époque en cause, le système informatique […] fonctionnait bien, ou, dans le cas contraire, son mauvais fonctionnement n’a pas compromis l’intégrité des documents électroniques, et qu’il n’existe aucun autre motif raisonnable de mettre en doute la fiabilité du système d’archivage électronique;

[…]

243 Rien n’établissait la fiabilité du système informatique utilisé par le fonctionnaire. De fait, il a déclaré qu’il n’avait plus l’ordinateur dans lequel les documents avaient été stockés. Il n’était plus non plus abonné au fournisseur de service Internet qu’il avait à cette époque. Le témoignage de M. O’Brien sur les imprimés réguliers des abonnés d’AOL a également soulevé de graves préoccupations concernant l’authenticité des courriels. Le fonctionnaire ne m’a pas convaincu que les courriels sont authentiques.

244 L’employeur a également remis en question l’authenticité de la correspondance reçue de particuliers en Inde, utilisée par le fonctionnaire pour étayer sa thèse selon laquelle la note sur autocollant était une offre d’emploi. Les originaux des documents photocopiés ont été produits pour l’employeur. Les auteurs des documents n’ont pas été appelés à témoigner, ce qui aurait respecté la règle de la « meilleure preuve ». Habituellement, un document clé n’est pas reçu en preuve à moins que l’auteur soit cité comme témoin pour l’identifier. Je comprends que dans cette situation, il aurait pu être difficile de prendre les dispositions nécessaires pour faire témoigner des gens d’un autre pays. Quoi qu’il en soit, la preuve semble peu plausible. D’après le témoignage du fonctionnaire et la lettre d’offre, il semble qu’Atria était une société privée. C’est ce que révèle de façon manifeste sa désignation et la mention contenue dans la lettre selon laquelle « lorsque la société deviendra une société ouverte ». Toutefois, l’offre inclut une clause prévoyant l’attribution d’un pourcentage des « actions en circulation » de la société. Le fonctionnaire n’a jamais bien expliqué comment un employé pouvait recevoir des actions d’une société qui n’était pas encore une société ouverte. Je conclus que les lettres d’Atria ne sont pas authentiques. Je n’ai pas à tirer de conclusion au sujet de la lettre provenant du comptable agréé. En définitive, il s’agit d’une preuve intéressée, en ce sens qu’elle reflète simplement une opinion fondée sur un renseignement fourni par le fonctionnaire.

245 D’après le témoignage de M. A. et le témoignage incohérent du fonctionnaire, je conclus que selon la prépondérance des probabilités, le fonctionnaire a tenté de solliciter un pot-de-vin de la société A.

246 Le représentant du fonctionnaire a laissé entendre que l’employeur était tenu d’établir pourquoi quelqu’un comme le fonctionnaire commettrait de tels gestes d’abus de confiance. Je ne suis pas d’accord pour affirmer que l’employeur doit établir un motif de l’inconduite. L’employeur doit prouver que l’inconduite a eu lieu. Des gestes d’inconduite peuvent être commis pour différentes raisons, parfois irrationnelles. De même, le représentant du fonctionnaire a soutenu que les prétendus pots-de-vin ne pourraient pas être considérés comme des tentatives d’extorsion raisonnables ou normales, ce qui appuie la conclusion selon laquelle la prétendue note de pot-de-vin pour la société A était, dans les faits, une offre d’emploi. Le représentant du fonctionnaire a également fait valoir que l’autre prétendu pot-de-vin demandé à B. W. était hors de proportion par rapport au montant réclamé. L’inconduite n’a pas à être rationnelle pour être considérée comme une inconduite. Le représentant du fonctionnaire a déclaré qu’il n’y a pas eu échange d’argent. Même si c’est vrai, le fonctionnaire ne devrait pas être récompensé parce que d’autres personnes n’ont pas donné suite à sa demande de pot-de-vin.

247 Le fonctionnaire a déclaré à de nombreuses reprises qu’il n’a pas décidé d’approuver les réclamations, mais qu’il a seulement fait une recommandation, se qualifiant de « simple rapporteur ». Toutefois, ce ne serait pas évident pour les contribuables. Le témoignage des contribuables a confirmé qu’ils croyaient que le fonctionnaire possède beaucoup d’influence sur l’issue de leurs réclamations. De plus, ses recommandations auraient un effet persuasif, compte tenu du fait que son gestionnaire a déclaré qu’il s’en remettait en grande partie aux examens effectués par ses agents.

248 Il y avait beaucoup d’éléments de preuve au sujet de l’enquête menée par M. Cameron. Comme il s’agit d’une nouvelle audience sur le fond du grief (de novo), la présente instance remédie à tout vice dans le processus d’enquête; à cet égard, voir Tipple. Je constate que le fonctionnaire n’a pas pris part à l’enquête (comme son droit le lui permettait). Il aurait donc été difficile pour l’employeur de faire enquête sur ses explications des événements.

249 Je conclus qu’il existe une preuve solide et convaincante que le fonctionnaire s’est livré à des activités qui représentent un abus de confiance grave. L’honnêteté a été décrite comme  [traduction] « la pierre angulaire d’une relation viable entre un employeur et ses employés » : Phillips Cables Ltd. v. U.E, Local 510, (1974) 6 L.A.C. (2d) 35 (Adams). Toutefois, la malhonnêteté n’entraîne pas automatiquement un licenciement. Pour établir si un licenciement est justifié, un arbitre de grief évalue un certain nombre de facteurs, dont la nature de l’infraction, l’effet sur les opérations de l’employeur, ainsi que la situation du fonctionnaire, notamment les facteurs atténuants et les facteurs aggravants.

250 En contexte de common law, la Cour suprême a déclaré que le critère consiste à déterminer « si la malhonnêteté de l’employé a eu pour effet de rompre la relation employeur-employé. » (McKinley c. BC Tel, 2001 CSC 38, au paragr. 48). La Cour a formulé ce critère de différentes façons :

  • La malhonnêteté viole-t-elle une condition essentielle du contrat de travail?
  • La malhonnêteté constitue-t-elle « un abus de la confiance inhérente à l’emploi »?
  • La malhonnêteté « est-elle fondamentalement ou directement incompatible avec les obligations de l’employé envers son employeur »?

Cette analyse s’applique également en contexte syndiqué.

251 Les gestes de M. Narayan s’attaquent au fondement de la relation d’emploi et ont occasionné beaucoup de dommages à l’intégrité du régime fiscal et à l’employeur. Compte tenu du pouvoir et de l’autonomie des vérificateurs de l’ARC, il est crucial pour la relation d’emploi qu’ils soient scrupuleusement honnêtes et fiables. Les gestes malhonnêtes du fonctionnaire sont fondamentalement incompatibles avec les obligations d’un vérificateur. Les seuls facteurs atténuants soulevés à l’arbitrage de grief ont été l’âge du fonctionnaire et l’incidence économique de son licenciement. Les facteurs aggravants englobent la nature de l’inconduite, la répétition de la conduite et le défaut de reconnaître un comportement répréhensible. Aucun des facteurs atténuants ne suffit pour justifier une sanction moindre. Les facteurs aggravants renforcent tout simplement la justification du licenciement.     

252 Par conséquent, le grief à l’encontre du licenciement est rejeté.

B. Suspension sans traitement

253 Le fonctionnaire a contesté sa suspension sans traitement. L’employeur estime que la suspension sans traitement était une suspension administrative et non disciplinaire. Par conséquent, l’employeur fait valoir que je n’ai pas compétence pour entendre le grief sur la suspension. Si la suspension est de nature administrative, soutient-il, le droit à la représentation syndicale ne s’applique pas.

254 La Cour fédérale, dans Canada (Procureur général) c. Frazee, 2007 CF 1176, a résumé la jurisprudence sur les distinctions entre les suspensions de nature administrative et les suspensions de nature disciplinaire (aux paragraphes 19 à 25). Le tribunal déclare que l’une des questions principales que doit se poser un arbitre de grief pour prendre cette décision est la suivante : l’employeur entendait-il imposer une mesure disciplinaire? Toutefois, le tribunal ajoute que la façon pour l’employeur de caractériser sa décision ne peut constituer un facteur déterminant en soi. Le concept de la mesure disciplinaire déguisée permet à un arbitre de grief d’aller au-delà de la motivation déclarée par l’employeur et de déterminer ce que l’employeur souhaitait effectivement. Le tribunal a exposé certains des éléments à considérer pour déterminer si les mesures de l’employeur sont de nature disciplinaire :

  • l’incidence de la décision de l’employeur est grandement disproportionnée par rapport au motif administratif qui est invoqué;
  • les effets de la mesure prise par l’employeur sur l’employé, sauf si celle-ci est jugée comme étant une réaction raisonnable à des considérations opérationnelles honnêtes;
  • les répercussions de la décision sur les perspectives de carrière de l’employé;
  • l’incident en cause ou le point de vue de l’employeur à cet égard peut sembler être lié à la conduite de l’employé pouvant être rectifiée ou à sa conduite coupable;
  • si la suspension était de nature corrective;
  • si la mesure de l’employeur a eu un effet préjudiciable immédiat sur l’employé.

255 La première question est la suivante : Quelle était l’intention déclarée de l’employeur en suspendant le fonctionnaire? La lettre de suspension mentionne ce qui suit :

[Traduction]

[…]

Compte tenu de la nature de vos fonctions actuelles et de la gravité de ces allégations, la direction a décidé qu’il est dans l’intérêt de l’Agence et de ses clients de vous suspendre de vos fonctions pendant une enquête interne sur ces allégations.

[…]

256 Bien que la lettre de suspension mentionne que la suspension d’une durée indéterminée a lieu « pendant une enquête interne », elle souligne également la gravité des allégations formulées contre le fonctionnaire. L’examen des mesures prises par l’employeur au cours de la période ayant précédé la remise de la lettre au fonctionnaire (30 juillet 2003) révèle clairement que l’employeur possédait davantage de renseignements que les simples allégations contre le fonctionnaire. Bien que M. Mar ait déclaré dans ses notes sur une réunion tenue le 21 juillet que « […] il faut se garder d’agir comme si le fonctionnaire était coupable », les notes de l’enquêteur révèlent que l’employeur avait déjà tiré certaines conclusions au sujet de ce comportement. M. Cameron a écrit que l’examen d’expert du dossier de la société B révélait que rien ne justifiait que la réclamation n’ait pas été approuvée « il y a des mois ». Il a également écrit que le fonctionnaire était [traduction] « […] dans une situation financière très difficile, c’est-à-dire qu’il avait d’énormes problèmes financiers ». De plus, au moment où la lettre de suspension a été rédigée, l’employeur savait que des accusations au criminel avaient été déposées et que les conditions de mise en liberté sous caution avaient été établies. Le point de vue qu’avait l’employeur de l’incident ayant mené à la suspension (les allégations de la société A) était que le fonctionnaire a eu un comportement coupable. De fait, l’employeur possédait déjà des preuves du comportement coupable du fonctionnaire. Selon moi, cela suffit à faire de la suspension une mesure de nature disciplinaire.

257 En outre, le fonctionnaire a été suspendu sans traitement pendant environ sept mois et demi, ce qui a manifestement eu un effet préjudiciable sur lui.

258 L’avocat de l’employeur a fait valoir que les conditions de mise en liberté sous caution ont empêché le fonctionnaire de revenir au travail. Ce qui est vrai. Toutefois, l’employeur ne s’est pas appuyé sur ces conditions de mise en liberté sous caution dans sa lettre de suspension. Rien n’a prouvé que l’employeur a pris en compte ces conditions de mise en liberté sous caution pour décider de suspendre le fonctionnaire sans traitement.

259 Je conclus donc que la suspension était de nature disciplinaire.

260 Je conclus que la suspension était justifiée, compte tenu des allégations graves qui ont été formulées contre le fonctionnaire. L’employeur disposait de suffisamment d’éléments de preuve pour conclure qu’il n’était pas approprié de laisser le fonctionnaire en milieu de travail, et ce même à un titre différent. En outre, il y avait assez d’éléments de preuve au moment de la suspension qui justifiaient de ne pas le payer pendant la suspension, ce qui est renforcé par le fait que ces allégations ont maintenant été prouvées. Par conséquent, le grief à l’encontre de la suspension est rejeté.

C. Représentation syndicale

261 Le fonctionnaire a allégué un manquement aux clauses sur la représentation syndicale contenues dans la convention collective, plus particulièrement aux clauses suivantes :

  • 37.03 : Le droit à la représentation syndicale lorsqu’un employé est tenu d’assister à une réunion sur des questions de nature disciplinaire.
  • 37.04 : Lorsque l'employé est suspendu de ses fonctions, l'employeur s'engage à lui indiquer, par écrit, la raison de cette suspension. L'employeur s'efforce de signifier cette notification au moment de la suspension.
  • 37.05 : L'employeur doit informer le représentant local de l'IPFPC de la suspension.

262 Bien que cet ensemble de droits soit couramment désigné sous l’appellation « droit à la représentation syndicale », l’employeur n’est pas tenu d’informer l’employé de son droit à la représentation syndicale en l’absence d’une réunion de nature disciplinaire. Dans la présente affaire, il n’y a pas eu de réunion de nature disciplinaire et par conséquent aucun manquement à la clause 37.03 de la convention collective. Le fonctionnaire a été informé du motif de sa suspension le 30 juillet 2003. L’employeur l’a suspendu avec effet le 24 juillet 2003. La clause 37.04 de la convention collective exige que l’employeur s’« efforce » de signifier cette notification par écrit à l’employé au moment de la suspension, et il ne s’agit donc pas d’une obligation absolue. Le défaut d’informer l’employé le 24 juillet 2003 s’explique par le fait que l’employeur a mené un examen initial des questions en litige et a attendu après sa première comparution au tribunal. L’employeur s’est acquitté de ses obligations prévues par cette clause.

263 L’employeur n’a pas informé le représentant syndical local de la suspension de M. Narayan. Je conclus que l’employeur a manqué à l’obligation de la convention collective prévue par la clause 37.05 de ladite convention. Le fonctionnaire a bénéficié de la représentation syndicale après la publication du rapport d’enquête et lors d’une réunion avec l’employeur au cours de laquelle il a reçu une copie du rapport. Rien n’a établi que le fonctionnaire a subi un préjudice du fait de ce manquement de l’employeur de donner avis à son agent négociateur. En conséquence, ce manquement à la clause 37.05 de la convention collective sera noté à titre de déclaration.

264 Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

V. Ordonnance

265 Le grief alléguant une violation de la convention collective est accueilli partiellement dans la mesure où la clause 37.05 de la convention collective a été violée.

266 Le grief à l’encontre de la suspension est rejeté.

267 Le grief à l’encontre du licenciement est rejeté.

Le 26 mars 2009.

Traduction de la CRTFP

Ian R. Mackenzie,
arbitre de grief

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.