Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La Commission était appelée à déterminer si les AFA accomplissent des fonctions qui peuvent être considérées comme des services essentiels - l’employeur n’a pas produit d’éléments de preuve quant au risque pour la santé ou la sécurité du public les fonctions n’étaient pas considérées comme des services essentiels - l’employeur s’est appuyé sur la notion de la connaissance d’office - la Commission a décidé qu’elle ne pouvait pas prendre connaissance d’office de faits essentiels au différend - les faits n’étaient pas notoires et il n’existait pas de sources facilement vérifiables pour en établir la véracité - la Commission a décidé qu’elle ne pouvait pas déclarer que l’une ou l’autre des fonctions des AFA constituait un service essentiel, vu le manque d’éléments de preuve relatifs à la santé et à la sécurité. Aucun service désigné essentiel.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2009-04-29
  • Dossier:  593-02-03
  • Référence:  2009 CRTFP 56

Devant la Commission des relations
de travail dans la fonction publique


ENTRE

ALLIANCE DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA

demanderesse

et

CONSEIL DU TRÉSOR

défendeur

Relativement au groupe Services des programmes et de l’administration

Répertorié
Alliance de la Fonction publique du Canada c. Conseil du Trésor
(Groupe Services des programmes et de l’administration)

Affaire concernant une demande de règlement de questions pouvant figurer dans une entente sur les services essentiels prévue au paragraphe 123(1) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Dan Butler, commissairee

Pour la demanderesse:
Helen Berry, avocate

Pour le défendeur :
Caroline Engmann, avocate

Affaire entendue à Ottawa (Ontario),
les 18 et 19 mars 2009.
(Traduction de la CRTFP)

I. Demande devant la Commission

1 Entre le 21 et le 25 septembre 2007, l’Alliance de la Fonction publique du Canada la (« demanderesse ») a déposé quatre demandes distinctes en vertu du paragraphe 123(1) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, art. 2 (la « Loi »), au sujet de questions qui peuvent figurer dans une entente sur les services essentiels (ESE) couvrant les postes du groupe Services des programmes et de l’administration (PA) dont le Conseil du Trésor (le « défendeur ») est l’employeur.

2 Le 5 décembre 2007, le président de la Commission a réuni dans le dossier de la CRTFP 593-02-03 toutes les questions portant sur l’ESE pour le groupe PA.

3 Une nouvelle convention collective est entrée en vigueur le 23 janvier 2009 pour le groupe PA. Dans Alliance de la Fonction publique du Canada c. Conseil du Trésor (groupes Services frontaliers, Services des programmes et de l’administration et Services de l’exploitation), 2009 CRTFP 37, la Commission a confirmé qu’elle demeure compétente pour statuer sur une demande présentée en vertu du paragraphe 123(1) de la Loi lorsqu’une nouvelle convention collective est entrée en vigueur.

4 Dans Alliance de la Fonction publique du Canada c. Conseil du Trésor (groupe Services des programmes et de l’administration),2009 CRTFP 55, la Commission a rendu sa première décision sur les questions pouvant figurer dans l’ESE pour le groupe PA. Dans cette décision, la Commission a désigné les activités ou les services exécutés par un agent de services aux citoyens (ASC) classé PM-01 dans un Centre Service Canada (CSC) qui sont nécessaires à la sécurité du public.

5 La présente décision est la deuxième qui soit rendue sur le fond en ce qui a trait au contenu de l’ESE pour le groupe PA. Le litige dans la présente affaire porte sur la désignation des services ou des activités exécutés par un analyste des faillites adjoint (AFA) classé PM-02 au sein du Bureau du surintendant des faillites Canada (BSF) d’Industrie Canada qui sont nécessaires à la sécurité du public.

II. Résumé de la preuve

6 Le défendeur a appelé à témoigner une seule personne, Patricia Alferez, surintendante associée et directrice exécutive, BSF. La demanderesse n’a appelé personne à témoigner. Les paragraphes qui suivent sont un résumé du témoignage de Mme Alferez.

7 Le BSF a pour mandat de veiller à ce que la Loi sur la faillite et l’insolvabilité, L.R.C. (1985), ch. B-3 (reproduite dans la pièce IC-E-1), soit respectée et à ce qu’elle soit appliquée uniformément partout au Canada. Le BSF est un organisme de services spéciaux qui, au sein d’Industrie Canada, exerce des fonctions quasi judiciaires sans lien de dépendance avec le ministère. Il n’existe au niveau provincial aucune entité de réglementation comparable.

8 Les entreprises commerciales et les particuliers canadiens qui éprouvent des difficultés financières peuvent se prévaloir de la protection qu’offre la Loi sur la faillite et l’insolvabilité pour mettre de l’ordre dans leurs finances. Le particulier ou l’entreprise qui satisfait aux exigences de la loi a le choix de se placer sous la protection de la loi sur la faillite ou de déposer une proposition de faillite. Si le débiteur choisit de se placer sous la protection de la loi sur la faillite, un syndic de faillite autorisé prend ses biens en charge et effectue la vente de ceux-ci pour en distribuer ensuite le produit aux créanciers. L’état de faillite subsiste pendant une certaine période, au cours de laquelle le débiteur est tenu de soumettre un budget à l’approbation du syndic. S’il satisfait à toutes les conditions imposées, le débiteur sera subséquemment libéré de toute dette impayée.

9 Dans le cas de la proposition de faillite, le débiteur présente une proposition en vue d’acquitter une partie de la dette accumulée. Le syndic de faillite affecté au dossier n’est pas tenu de disposer de tous les biens si les créanciers concernés acceptent la proposition du débiteur de verser une partie des sommes dues.

10 La Loi sur la faillite et l’insolvabilité prescrit qu’un « séquestre officiel » doit accepter et enregistrer chaque dossier de faillite et chaque dossier de proposition de faillite avant que le débiteur ne puisse tirer profit de la protection de la loi. Ce service doit être accessible dans la localité du débiteur. Si le séquestre officiel refuse un dossier parce que celui-ci est incomplet ou qu’il n’est pas conforme aux exigences réglementaires, la situation juridique du débiteur demeure la même et les créanciers peuvent tenter de saisir ses biens.

11 Le titulaire d’un poste d’AFA est désigné par décret en conseil pour exécuter les fonctions d’un séquestre officiel. À ce titre, il est une partie importante du système juridique et financier. Le séquestre officiel n’influe pas sur le choix exercé par un débiteur d’invoquer la protection de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité, mais il veille à donner suite à ce choix en droit. À titre de « fonctionnaire du tribunal » sous le régime de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité, le séquestre officiel a pour tâche de veiller à ce que les dispositions de la loi soient respectées. En s’assurant que les décisions des débiteurs sont mises en application en droit, le séquestre officiel joue un rôle dont l’impact sur la vie des débiteurs et des créanciers de même que sur la situation économique du Canada est profond.

12 Après avoir bénéficié de la protection de la loi sur la faillite, les consommateurs (contrairement aux entités commerciales) ne devront se présenter devant les tribunaux que dans les cas où un créancier conteste une situation ou dans les cas où une autre partie, s’estimant mal servie par le choix du consommateur, conteste celui-ci. Si les tribunaux ne sont saisis d’aucune question, la responsabilité d’appliquer la Loi sur la faillite et l’insolvabilité incombe exclusivement au séquestre officiel.

13 Règle générale, le syndic de faillite transmet une requête en faillite ou une proposition de faillite au BSF pour le compte du débiteur en utilisant les formulaires prescrits (pièce IC-E-2). Le séquestre officiel reçoit les formulaires et, si ceux-ci sont en ordre, enregistre le dépôt et certifie que le syndic de faillite prend en charge les finances du débiteur.

14 Le BSF a reçu respectivement 106 373 et 109 622 dossiers d’insolvabilité au cours des exercices financiers 2006-2007 et 2007-2008. Pendant les trois premiers trimestres de l’exercice financier 2008-2009, le nombre de dossiers a atteint 95 066 (pièce IC-E-3). Ces dossiers appartiennent à l’une ou l’autre des catégories suivantes : 1) les propositions de faillite de particuliers; 2) les propositions de faillites d’entités commerciales; 3) les « faillites déclarées sommairement » mettant en cause des débiteurs individuels dont les biens pouvant être réalisés valent moins de 10 000 $; 4) les « faillites ordinaires », qui consistent en des faillites commerciales et de particuliers dont les biens pouvant être réalisés valent plus de 10 000 $. Dans les trois premiers trimestres de l’exercice financier 2008-2009, on a relevé 17 506 propositions de consommateurs, 2 911 propositions commerciales, 72 213 faillites déclarées sommairement et 2 436 faillites ordinaires.

15 Mme Alferez a décrit la description de travail actuelle du poste d’AFA (pièce IC-E-4). Sous la rubrique « Résultats axés sur le service à la clientèle », elle a dit du passage suivant qu’il énonce la fonction essentielle du séquestre officiel:

[Traduction]

Approuver les faillites sommaires et ordinaires, les avis d’intention et les propositions d’entreprises et de consommateurs; superviser l’administration des faillites sommaires et des propositions de consommateurs […]

Elle a souligné que, de l’avis du défendeur, une seule des « activités principales » énumérées est essentielle, à savoir :

[Traduction]

Agir à titre de séquestre officiel aux fins de l’examen des documents juridiques requis pour approbation des faillites sommaires et ordinaires, avis d’intention, propositions d’entreprises et propositions de consommateurs, mises sous séquestre et requêtes en faillites, afin d’en assurer la conformité avec la Loi sur la faillite et l’insolvabilité et ses Règles, et de déterminer s’il y a lieu ou non d’accepter le dossier.

[…]

16 Mme Alferez a indiqué qu’il n’y a jamais eu par le passé de situation dans laquelle le BSF n’a pu offrir les services de séquestres officiels au public. Certains séquestres officiels sont disponibles tous les jours, y compris les fins de semaine et pendant les congés fériés, pour répondre à toute situation d’urgence. Même dans les cas exceptionnels, comme lors de la tempête de verglas qui s’est abattue sur le Québec en 1998, les séquestres officiels étaient tenus de se rendre au bureau et de recevoir les dossiers. Le tribunal de la faillite provincial pourrait peut-être agir à la place d’un séquestre officiel si personne n’était disponible, mais cela ne s’est jamais produit. M. Alferez a déclaré que [traduction] « […] notre obligation est de nature juridique […] » et que les conséquences des gestes du séquestre officiel pour le débiteur et le créancier sont de nature juridique également.  D’après elle, chaque partie tient à ce que ses droits soient respectés.

17 Depuis 2001, un système de dépôt des dossiers par voie électronique permet aux syndics d’envoyer tous les documents par voie électronique et accepte la majorité de ces dossiers par voie électronique en appliquant des règles de conformité qui sont encodées dans le système. Le système peut automatiquement évaluer l’état d’achèvement et de conformité de la faillite déclarée sommairement et des dossiers de propositions du consommateur dans 90 pour cent des cas, ce qui permet aux séquestres officiels de se concentrer sur un nombre moins élevé de dossiers. Les faillites ordinaires et les propositions commerciales ne peuvent pas être acceptées par voie électronique.

18 Les séquestres officiels ont très rarement un contact personnel avec les membres du public.

19 En contre-interrogatoire, Mme Alferez a confirmé que les titulaires d’autres postes au sein du BSF, classés à un niveau plus élevé, exécutent deux autres fonctions du séquestre officiel requises par la loi.

20 En ce qui concerne la qualité de fonctionnaires du tribunal des séquestres officiels, les AFA n’accomplissent aucune fonction les obligeant à se présenter devant les tribunaux, et les tribunaux ne donnent aucune directive directe aux AFA non plus.

21 L’Instruction no 9R3 (pièce IC-BA-1) du BSF prescrit que tous les nouveaux dossiers de faillites sommaires et de faillites ordinaires doivent être déposés par voie électronique. Mme Alferez a confirmé de nouveau que la plupart des dossiers de faillites sommaires peuvent être acceptés par voie électronique sans l’intervention d’un séquestre officiel. En revanche, les séquestres officiels doivent quand même accepter personnellement certains dossiers de faillites sommaires et tous les dossiers de faillites ordinaires.

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour le défendeur

22 Le défendeur soutient que la Commission doit désigner les services essentiels rendus par les titulaires de postes d’AFA dans les termes suivants :

[Traduction]

Acceptation et enregistrement :

de faillites d’administration sommaire et de propositions de la section II, de faillites d’administration ordinaire et de propositions de la Section I, de cessions de sociétés de personnes, de propositions de sociétés de personnes, de mises sous séquestre et de cessions découlant d’ordonnances de faillite conformément aux dispositions de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité, L.R.C. (1985), ch. B-3.

23 Le service décrit ci-dessus est nécessaire pour protéger les membres du public qui doivent résoudre leurs difficultés financières et qui choisissent, pour y arriver, souvent en dernier recours, la procédure d’insolvabilité. Sous le régime de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité, le BSF doit fournir les services d’un séquestre officiel dans la localité du débiteur. En leur qualité de séquestres officiels, les AFA constituent le point d’accès pour tous les membres du public qui souhaitent exercer le droit, prévu par la loi, de faire faillite ou de présenter une proposition de faillite.

24 Dans Irwin (Re) (B.C.C.A.), [1994] B.C.J. no 363 (QL), au paragr. 66, la Cour d’appel de la Colombie-Britannique a décrit l’objectif de la protection de la loi sur la faillite dans les termes suivants :

[Traduction]

La Loi sur la faillite a deux objectifs : protéger l’ensemble des créanciers et permettre à l’honnête débiteur qui a échoué en affaires d’obtenir une libération, laquelle lui permettra de prendre un nouveau départ et de reprendre dans la vie commerciale la place qu’il est capable d’occuper grâce à la formation et à l’expérience acquises […]

25 Les avantages en droit du recours à la protection de la loi sur la faillite ou à la proposition de faillite n’entrent en jeu que lorsqu’un séquestre officiel a pris les mesures nécessaires pour accepter et enregistrer une cession en faillite ou pour délivrer un certificat de nomination, selon le cas : voir aussi Copeland (Re), [2001] O.J. no 3536 (QL).

26 Tant que le séquestre officiel n’aura pas fourni les services essentiels décrits par le défendeur, les débiteurs demeureront dans l’incertitude financière et risqueront de se retrouver dans des situations précaires où ils seront la proie de créanciers prédateurs. L’acte juridique du séquestre officiel est nécessaire afin de régir une situation chaotique possible ou potentielle. Les membres du public ont besoin d’être en sécurité et s’attendent à ce que le BSF, par l’intermédiaire des AFA — en leur qualité de séquestres officiels — prenne les mesures nécessaires pour assurer leur sécurité en donnant effet aux mesures de protection de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité auxquelles ils ont droit.

27 Le défendeur n’a l’obligation de présenter aucun élément de preuve particulier pour décrire l’expérience des membres du public tant avant qu’après le dépôt d’un dossier de faillite. La Commission a le droit et l’obligation de prendre connaissance d’office du fait que les conditions financières difficiles dans une situation d’insolvabilité engendrent des problèmes émotifs ou psychologiques se rattachant à la sécurité personnelle. Pour reprendre les termes du défendeur dans son argumentation, [traduction] « […] nul besoin d’y entraîner un débiteur pour décrire l’expérience ». Les faits entourant l’impact sur les débiteurs découlent d’une compréhension générale des liens qui existent entre les conditions économiques et la sécurité personnelle.

28 Le défendeur a renvoyé la Commission à l’ouvrage de Sara Blake intitulé Administrative Law in Canada, 3e éd., Butterworths, Markham, 2001, où le droit d’un tribunal administratif de prendre connaissance d’office de certains faits est décrit dans les termes suivants :

[Traduction]

[…]

Les tribunaux administratifs de l’Ontario et du Québec, qui sont requis de tenir des audiences, peuvent prendre connaissance des faits couramment acceptés et généralement reconnus dans les limites de leurs connaissances spécialisées. Les faits qui sont généralement reconnus dans les limites du secteur d’activités réglementé par le tribunal administratif ne doivent donc pas être établis de manière formelle. Le tribunal administratif peut prendre connaissance d’office du sens courant et ordinaire des termes. Le tribunal administratif local peut prendre connaissance d’office des faits connu    s de tous les habitants de la région, soit notamment les conditions météorologiques locales et les particularités des déplacements dans le district.

[…]

[J’omets les notes en bas de page]

29 L’approche « générale et libérale » aux fins d’interpréter le terme « sécurité » au paragraphe 4(1) de la Loi est conforme au cadre législatif : voir par exemple Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, 2002 CSC 42. Dans la présente affaire, la Commission devrait interpréter les termes « security » et « safety » du texte anglais de la disposition (rendus par le concept de « sécurité » dans le texte français) de manière générale, comme comprenant la « sécurité économique ou financière de même que psychologique » du débiteur, et comme visant le régime des faillites dans le cadre duquel l’organisme de réglementation offre un filet de sûreté au régime économique et aux marchés financiers. Les investisseurs, prêteurs et créanciers doivent pouvoir compter sur un régime des faillites uniforme, prévisible et efficace pour évaluer efficacement leurs risques et prendre des décisions sur leur situation financière.

30 La Commission ne doit pas se sentir limitée par la jurisprudence qui découle de l’ancienne Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (« l’ancienne Loi ») lorsqu’elle adopte l’approche générale et libérale requise pour interpréter le terme « sécurité ». Elle doit considérer la « sécurité » dans le contexte des circonstances propres au service ou à l’activité qu’elle examine : Aéroports de Montréal, [1999] CCRI no 23, paragr. 21. Sa priorité première doit être la protection de l’intérêt public : voir le préambule de la Loi et Énergie atomique du Canada Limitée, [2001] CCRI no 122, paragr. 275. La Commission devrait se fonder sur l’« expérience et sur des connaissances courantes » que des urgences surviennent au cours d’une grève : Énergie atomique du Canada Limitée, paragr. 282.

31 Le défendeur a offert les définitions lexicographiques suivantes pour aider la Commission à évaluer l’incidence, sur la sécurité, du travail des AFA en leur qualité de séquestres officiels:

Le Nouveau Petit Robert :

SÉCURITÉ … État d’esprit confiant et tranquille d’une personne qui se croit à l’abri du danger…

Le Grand Robert de la langue française:

SÉCURITÉ … État d’esprit confiant et tranquille de celui qui se croit à l’abri du danger . …

Le Canadian Oxford Dictionary :

security … the condition of being protected from or not exposed to danger; safety … freedom from care, anxiety, worry, doubt, etc… something that provides protection or safety…

safety … the condition of being safe; freedom from danger or risks…

Le Oxford English Dictionary, 2e éd. :

safety … The state of being safe; exemption from hurt or injury; freedom from danger …

security … the condition of being protected from or not exposed to danger; safety… . Freedom from doubt; confidence, assurance. Now chiefly, well-founded confidence, certainty… Freedom from care, anxiety or apprehension; a feeling of safety or freedom from or absence of danger…

Le Robert & Collins Super Senior :

sécurité … to be / feel safe, be / feel secure …

32 Le défendeur a fait valoir que, dans la présente affaire, le concept de « security » est davantage en cause, bien que celui de « safety » relève également de la « security ». Il ressort clairement des définitions lexicographiques précitées que la sécurité est un concept général qui inclut des éléments psychologiques et subjectifs.

33 L’absence d’un séquestre officiel pour accepter et enregistrer une cession en faillite ou une proposition de faillite a des conséquences réelles sur la sécurité du public. Jusqu’à ce que l’enregistrement soit effectué par un séquestre officiel, l’incertitude, voire même le chaos, règne dans les affaires du débiteur. Les Canadiens qui se placent sous la protection de la loi sur la faillite vivent des heures très émotives et très incertaines, puisqu’ils risquent de perdre leurs biens. L’enregistrement de la faillite permet un retour à un certain ordre et empêche les créanciers de les harceler.

34 Le service fourni par les séquestres officiels a toujours été offert au public, même dans les situations d’urgence, comme la tempête de verglas décrite par Mme Alferez. C’est un processus qui ne peut pas être freiné. La Commission ne peut pas prendre en considération le fait que d’autres personnes peuvent fournir le service : alinéa 121(2)a) de la Loi.

35 Le défendeur a renvoyé la Commission à trois décisions. Il a fait valoir que le poste de séquestre officiel peut être considéré comme étant analogue aux postes de traduction législative désignés par la Commission dans Conseil du Trésor c Institut professionnel de la fonction publique du Canada (Groupe de la traduction), dossier de la CRTFP 181-02-28 (19740703). Il a donné à entendre que la manière dont la Commission a traité les enseignants et les conseillers en orientation scolaire dans Conseil du Trésor c. Alliance de la Fonction publique du Canada (Groupe de l’enseignement), dossier de la CRTFP 181-02-235 (19870319), révèle qu’elle a reconnu que le bien-être psychologique des membres du public entre en jeu dans l’évaluation de la sécurité. Il a fait mention d’une décision de la Commission du travail et de l’emploi du Nouveau-Brunswick, qui a défini comme étant essentielles les fonctions exécutées par les employés supervisant le processus de délivrance de permis aux sociétés d’assurance, aux experts en sinistres, aux courtiers et aux agents d’assurances : New Brunswick (Board of Management) (Re), [2005] N.B.L.E.B. no 4 (QL).

36 Le défendeur a terminé en soulignant de nouveau que l’enregistrement des faillites et des propositions est une exigence énoncée dans la Loi sur la faillite et l’insolvabilité. Le service assuré par les AFA lorsqu’ils agissent à titre de séquestres officiels protège les droits des membres du public, prévient les situations chaotiques et remet un certain ordre dans les affaires des débiteurs et des créanciers. Le défendeur invite la Commission à prendre connaissance d’office du fait que les problèmes financiers engendrent une insécurité économique véritable et qu’ils peuvent avoir, pour certains membres du public, des implications sur la santé et d’autres conséquences qui mettent leur vie en danger.

B. Pour la demanderesse

37 La demanderesse soutient que les tâches rattachées au poste d’AFA que le défendeur propose de désigner à titre de services essentiels ne satisfont pas aux critères de la sécurité du public énoncés au paragraphe 4(1) de la Loi. D’après la décision de la Commission rendue dans Alliance de la Fonction publique du Canada c. Agence Parcs Canada, 2008 CRTFP 97 (« Agence Parcs Canada »), paragraphe 180, il incombe au défendeur de produire une preuve établissant qu’il existe un « fondement raisonnable et suffisant » permettant de conclure qu’un service est nécessaire à la sécurité du public. Ainsi qu’il est expliqué dans Conseil du Trésor c. Alliance de la Fonction publique du Canada (Groupe de l’enseignement), au paragraphe 26, il faut des preuves précises « […] sur la façon dont le rendement non interrompu de ces fonctions est nécessaire à la sûreté ou la sécurité du public » plutôt que « […] des preuves très générales ». Le défendeur ne s’est pas acquitté de cette charge dans la présente affaire : voir aussi Énergie atomique du Canada Limitée, paragraphe 298.

38 Le défendeur a appliqué le concept de la « connaissance d’office » beaucoup trop généralement dans son argumentation. La demanderesse admet que la Commission peut prendre connaissance d’office de faits non controversés qui se rapportent à la situation économique. Le défendeur excède cependant les limites généralement reconnues de la connaissance d’office lorsqu’il demande à la Commission d’accepter comme étant factuelles la nature et la portée de l’impact sur les particuliers ou les entreprises de l’incapacité de se prévaloir de la protection de la loi sur la faillite ou de présenter une proposition de faillite. Plus particulièrement, la Commission ne peut pas d’une manière ou d’une autre prendre connaissance d’office des besoins psychologiques allégués du public ou de l’impact ou des conséquences allégués sur l’état de santé mental qu’auraient les retards possibles dans les dépôts de dossiers si les séquestres officiels en venaient à participer à une grève légale. En l’absence d’une preuve suffisante et précise produite devant elle par des témoins, la Commission ne peut savoir quels changements se produisent après le dépôt d’un dossier de faillite, dont l’absence pourrait causer un risque à la sécurité du public.

39 La Cour suprême du Canada a formulé les remarques suivantes au sujet de la connaissance d’office dans R. c. Find, 2001 CSC 32, ainsi qu’il est indiqué dans Kankanagme c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1451, paragr. 11 :

[…]

[…] la connaissance d'office dispense de la nécessité de prouver des faits qui ne prêtent clairement pas à controverse ou qui sont à l'abri de toute contestation de la part de personnes raisonnables. Parce que les faits admis d'office ne sont pas recueillis par voie de témoignage ou ne sont pas assujettis au contre-interrogatoire, le seuil d'admission des faits par connaissance d'office est strict. Il y a deux types de faits qui sont admissibles : « les faits qui sont notoires ou généralement admis au point de ne pas être l'objet de débats entre des personnes raisonnables; […] ceux dont l'existence peut être démontrée immédiatement et fidèlement en ayant recours à des sources facilement accessibles dont l'exactitude est incontestable »

[…]

40 Le défendeur a prié la Commission d’une part de ne pas se sentir limitée par des décisions antérieures qui ont été rendues sous le régime de l’ancienne Loi et dans lesquelles a été examiné le concept de la sécurité du public, et d’autre part d’adopter une approche « générale et libérale » pour interpréter ces termes. La demanderesse soutient néanmoins que la Commission a bien conclu dans Agence Parcs Canada, au paragraphe 177, que les décisions qu’elle a rendues sous le régime de l’ancienne Loi « […] peuvent continuer à constituer de la jurisprudence pertinente […] » pour définir « […] la portée et la signification données au terme “sécurité” ». La demanderesse estime que plusieurs de ces décisions sont effectivement utiles.

41 Dans Conseil du Trésor c. Alliance de la Fonction publique du Canada (Groupe Bibliothéconomie), dossier de la CRTFP 81-02-348 (19970303), au paragraphe 25, la Commission a établi une distinction entre le fait de causer des inconvénients au public, d’une part, et celui de risquer la sécurité du public, d’autre part. Pour trouver l’équilibre entre la nécessité de protéger les intérêts vitaux du public et le droit des employés de faire la grève, il faut davantage que l’existence d’inconvénients pour le public afin de justifier une désignation pour des motifs liés à la sécurité. Certes, l’absence des AFA au cours d’une grève risque de causer des inconvénients au public, mais le défendeur n’a pas établi qu’il y aurait quelque risque que ce soit à la sécurité du public.

42 Dans Conseil du Trésor c. Alliance de la Fonction publique du Canada (Groupe du traitement mécanique des données), dossier de la CRTFP 181-02-116 (19800528), au paragr. 30, la Commission en est arrivée à la conclusion que le service qui offre un avantage économique ne satisfait au critère de l’impact sur la sécurité du public que lorsqu’il est possible d’établir une dépendance sur le plan financier. Elle a déclaré ceci :

[…]

[…] seules les prestations versées aux personnes dépendantes d’un programme donné à un point tel que leur santé serait en jeu si elles devaient cesser de recevoir les chèques auxquels elles ont droit, sur lesquels elles comptent et qui constituent leur seule source de revenu normale et fiable leur permettant de répondre à leurs besoins les plus importants, pourraient être considérées comme nécessaires à leur sécurité, aux termes de l’article 79 de la Loi […]

[…]

Le défendeur n’a produit aucune preuve relative à la dépendance par rapport à un revenu ni, en fait, aucune preuve concrète de ce qui se produit lorsqu’un syndic de faillite est autorisé, par décision d’un séquestre officiel, à vendre les biens d’un débiteur.

43 Dans Conseil du Trésor c. Alliance de la Fonction publique du Canada (Groupe de la radiotélégraphie), dossier de la CRTFP 181-2-99 (19790601), la CRTFP en est arrivée à la conclusion que les fonctions qui sont nécessaires à la sécurité du public n’englobent pas les fonctions qui protègent le public contre les difficultés économiques. La Commission a écrit ceci au paragraphe 12 :

[…]

[…] Nous n’hésitons pas à dire que les fonctions qui doivent être remplies dans l’intérêt de la sécurité du public n’englobent pas ces fonctions qui serviraient uniquement à permettre à l’employeur de mener ses affaires comme d’habitude, non plus qu’elles n’englobent ces fonctions qui serviraient uniquement à préserver l’employeur de difficultés économiques ou le public d’inconvénients qu’il pourrait subir.

[…]

44 Le témoin du défendeur a souligné dans son témoignage que la loi confie au BSF la tâche de fournir les services d’un séquestre officiel aux particuliers et entreprises qui souhaitent obtenir la protection de la loi sur la faillite ou présenter une proposition de faillite. Le fait que les services d’un séquestre officiel sont requis aux termes de la loi ne permet pas cependant à lui seul de conclure qu’ils sont nécessaires à la sécurité du public. La Commission a abordé explicitement l’exercice de quête d’équilibre qui doit être accompli dans Agence Parcs Canada, au paragraphe 153, dans les termes suivants :

153.   La Commission comprend en outre que le fait de donner son sens au droit de grève prévu par la nouvelle Loi tout en respectant l’intérêt public primordial de la prestation de services essentiels s’inscrit dans une quête d’équilibre encore plus large. Le Parlement a attribué à Parcs Canada des droits et des obligations dans le cadre de ses lois et de ses règlements comme l’expose l’employeur dans ses arguments. La Commission doit reconnaître ces droits et ces obligations tout en les mettant adéquatement en équilibre par rapport aux droits et aux obligations de l’employeur, des employés et des agents négociateurs en vertu de la nouvelle Loi. Plus particulièrement, la Commission doit présumer que le Parlement entendait donner un sens véritable au droit de grève en vertu de la nouvelle Loi même si l’exercice de ce droit peut gêner la capacité de Parcs Canada d’offrir les services requis en vertu de son mandat législatif. Ce sont les éléments des services essentiels de la nouvelle Loi qui servent à concilier les tensions que peuvent susciter les textes législatifs.

45 Le fait que les AFA qui travaillent en qualité de séquestre officiel agissent à titre de « fonctionnaires du tribunal » n’est pas pertinent. Mme Alferez a témoigné que les AFA ne se présentent pas devant les tribunaux et que ces derniers ne communiquent pas avec eux directement. Elle a dit du rôle d’un fonctionnaire du tribunal qu’il consiste à conférer au titulaire l’obligation d’appliquer la loi, mais l’existence d’une telle obligation ne signifie pas que le rôle du titulaire a nécessairement un impact sur la sécurité du public : voir Newfoundland and Labrador Assn. of Public and Private Employees v. Newfoundland and Labrador (Minister of Justice), 2007 NLTD 153, paragr. 32 et 38.

46 La demanderesse a terminé en répétant que le défendeur ne s’est pas acquitté de la charge qui lui incombe de produire une preuve suffisante que les AFA offrent un service ou accomplissent une activité qui est nécessaire à la sécurité du public au sens de la Loi.

C. Contre-preuve du défendeur

47 Il n’y a sous le régime de l’ancienne Loi aucune jurisprudence qui s’applique parfaitement à la situation d’un séquestre officiel. Les décisions antérieures n’empêchent pas la Commission d’examiner la fonction assurée par un séquestre officiel ouvertement, d’un regard nouveau.

48 L’interprétation du concept de sécurité par la Commission doit être suffisamment générale pour englober la sécurité économique telle qu’elle est entendue dans le contexte spécifique du service offert au public. Dans la présente affaire, l’on peut conclure raisonnablement que l’absence de la fonction d’un séquestre officiel pourrait avoir un impact sur la sécurité du public.

49 La Loi sur la faillite et l’insolvabilité requiert le dépôt d’un dossier pour qu’il y ait faillite ou proposition de faillite. L’effet dans la pratique du dépôt d’un dossier est de libérer le débiteur de toute pression immédiate. Avant le dépôt du dossier, il est évident que la situation est chaotique. Le dépôt a pour effet en droit de mettre de l’ordre dans cette situation. Les conséquences pour les débiteurs ne sont pas une question de preuve. La situation dans laquelle le débiteur se trouve nécessite une intervention afin qu’il soit possible de pallier les conséquences financières dont l’impact sur les individus — un impact dont la Commission peut prendre connaissance d’office — est sérieux. De ce point de vue, l’absence d’un séquestre officiel n’engendre pas un simple inconvénient, comme la demanderesse le faire valoir, mais une question véritable d’intérêt public.

IV. Motifs

50 Suivant le parcours analytique énoncé par la Commission dans Agence Parcs Canada, il y a lieu dans la présente affaire de déterminer dans un premier temps les activités ou services exécutés par un AFA classé PM-02 au sein du BSF d’Industrie Canada qui sont nécessaires à la sécurité du public.

51 Dans Agence Parcs Canada, la Commission a déterminé dans les termes suivants que le fardeau de la preuve principal incombe à l’employeur :

[…]

180. La Commission […] est d’avis que le fardeau de la preuve principal continue d’incomber à l’employeur en vertu de la nouvelle Loi, comme c’était le cas par le passé lorsque l’employeur proposait de désigner des postes sous le régime de l’ancienne Loi. L’employeur doit soumettre des preuves à la Commission pour la persuader qu’il existe un fondement raisonnable et suffisant lui permettant de conclure … qu’un service est essentiel  […]

[…]

52 Le défendeur propose à la Commission de désigner le service essentiel fourni par un AFA dans les termes suivants :

Acceptation et enregistrement :

de faillites d’administration sommaire et de propositions de la section II, de faillites d’administration ordinaire et de propositions de la Section I, de cessions de sociétés de personnes, de propositions de sociétés de personnes, de mises sous séquestre et de cessions découlant d’ordonnances de faillite conformément aux dispositions de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité, L.R.C. (1985), ch. B-3.

Le défendeur a pour tâche de convaincre la Commission qu’il existe un fondement raisonnable et suffisant lui permettant de conclure que le service susmentionné rendu par un AFA est essentiel au sens de la Loi.

53 Si la Commission n’hésite pas à accepter que le service essentiel proposé par le défendeur constitue une fonction importante requise par la Loi sur la faillite et l’insolvabilité, l’importance du service ne permet pas à elle seule de le revêtir du caractère essentiel, pas plus que le fait qu’il s’agit d’une exigence prévue dans la loi. Les dispositions de la Loi relatives aux services essentiels prescrivent le processus juridique et les critères qui permettent de déterminer si une activité ou un service exécuté par un employé, prévu explicitement ou non par la loi, doit être maintenu en cas de grève. Lorsqu’il est établi au moyen d’une preuve raisonnable et suffisante que ces services ou activités sont nécessaires à la sécurité du public, la Commission peut prendre des mesures pour veiller à ce qu’ils soient maintenus en cas de grève dans le cadre d’une ESE.

54 Dans la présente affaire, la Commission n’est pas convaincue que le défendeur a établi que le service en question fourni par les AFA en leur capacité de séquestres officiels est nécessaire à la sécurité du public. Le doute de la Commission repose principalement sur la nature de la preuve produite par le défendeur pour établir le bien-fondé de ses arguments.

55 Mme Alferez, qui s’est exprimée en des termes clairs et de manière crédible, a offert un témoignage utile dans lequel elle a décrit ce que les AFA font à titre de séquestres officiels de même que le contexte juridique et organisationnel dans lequel ils offrent le service au public. La demanderesse n’ayant pas sérieusement miné son témoignage au cours du contre-interrogatoire, ni produit elle-même une preuve susceptible de susciter le doute à son égard, le témoignage de Mme Alferez doit être considéré comme étant généralement non contredit.

56 Le problème se situe ailleurs. Ce que le témoignage offert par Mme Alferez n’a pas permis d’établir de manière satisfaisante ou suffisante, de l’avis de la Commission, est le lien qui existe entre le travail effectué par les AFA à titre de séquestres officiels et la sécurité du public. Les renseignements clés dont la Commission a besoin pour rendre sa décision dans la présente affaire sont la nature et la portée du risque à la sécurité du public qui pourrait raisonnablement naître si les services d’un séquestre officiel étaient inaccessibles au cours d’une grève. Mme Alferez a déclaré dans son témoignage que les conséquences pour le débiteur et le créancier des mesures prises par le séquestre officiel, qui consistent à enregistrer le dépôt d’un dossier de faillite et à affecter un syndic au dossier, sont des conséquences légales. Elle a décrit ce qui se produit alors sur le plan légal et procédural; il faut nécessairement en inférer que ces conséquences légales et procédurales seront inexistantes si les AFA ne sont pas disponibles. Mais comment les conséquences légales de l’absence du service fourni par le séquestre officiel sont-elles aussi des conséquences préjudiciables à la sécurité du public?

57 Le défendeur fait valoir que la sécurité du public dans la présente affaire englobe la sécurité économique ou financière de même que psychologique. Il soutient que les actions du gouvernement ont pour effet de fournir un filet de sûreté au cadre économique et aux marchés financiers grâce à la réglementation des faillites. Le défendeur formule des allégations également au sujet des impacts psychologiques que les membres du public pourraient finir par ressentir ou ressentiraient en l’absence du service essentiel fourni par les AFA.

58 La Commission a déjà accepté — ainsi qu’il a été confirmé de nouveau récemment dans Alliance de la Fonction publique du Canada c. Conseil du Trésor (groupe Services des programmes et de l’administration), 2009 CRTFP 55 — que la sécurité du public peut inclure sa sécurité économique. La Commission a déterminé également à une occasion au moins sous le régime de l’ancienne Loi qu’un service peut être essentiel à la sécurité du public en raison de son impact sur le bien-être psychologique des clients de ce service : voir Conseil du Trésor c. Alliance de la Fonction publique du Canada (Groupe de l’enseignement), au paragraphe 27. La question dans la présente affaire est donc celle de savoir si la preuve établit de même que le travail des AFA a l’impact économique ou psychologique allégué — ou les deux — qui comporte raisonnablement un risque à la sécurité du public.

59 Exception faite du témoignage de Mme Alferez, la preuve produite par le défendeur à l’appui de sa thèse ne revêt la forme ni d’un témoignage direct, ni d’une documentation à l’appui. Le défendeur soutient plutôt que la Commission devrait prendre connaissance d’office de certains faits — que les troubles financiers dans un dossier de faillite peuvent causer une véritable insécurité économique et que, pour certains membres du public, les circonstances de l’insolvabilité peuvent avoir des effets sur leur santé ou mettre leur vie en danger si elles ne sont pas réglées au moyen de la protection qu’offre la loi sur la faillite. Le défendeur soutient que les AFA remettent de l’ordre dans les situations chaotiques où les difficultés financières risquent d’engendrer des problèmes émotionnels ou psychologiques reliés à la sécurité personnelle. Il affirme que les débiteurs risquent d’être la proie de tactiques prédatrices et du harcèlement des créanciers. Ces faits peuvent effectivement tous être considérés comme étant évidents — des faits auxquels la Commission a légitimement accès en en prenant connaissance d’office. Pour reprendre les propos colorés du défendeur, « […] nul besoin d’y entraîner un débiteur pour décrire l’expérience ».

60 Les éléments de preuve que la Commission est appelée à soupeser sont par conséquent inhabituels. Pour s’acquitter de son fardeau de la preuve, le défendeur doit fournir une preuve raisonnable et suffisante visant à démontrer que le service fourni par un AFA a une telle incidence sur la sécurité économique et (ou) psychologique du public qu’il y a lieu de qualifier le service d’essentiel. La preuve centrale offerte par le défendeur aux fins de cette conclusion n’a cependant pas été produite devant la Commission d’une manière conventionnelle. L’essence de la preuve du défendeur — ainsi que ce dernier l’a pour ainsi dire reconnu — force plutôt la Commission à accepter qu’elle peut prendre connaissance d’office des impacts économiques et psychologiques qui, d’après le défendeur, pourraient se produire en l’absence de services des séquestres officiels. Dans un sens très réel, donc, le défendeur demande à la Commission de prendre connaissance d’office des faits mêmes qui sont requis pour établir le bien-fondé de ses prétentions.

61 Il n’est pas complètement inhabituel pour une partie de demander à la Commission ou à un arbitre de grief de prendre connaissance d’office de certains faits. Les auteurs de décisions sous le régime de la Loi et de l’ancienne Loi ont statué sur des demandes de prendre connaissance d’office des faits suivants notamment : que les agents négociateurs obligent leurs membres à payer des cotisations syndicales; que la décision d’accorder une prorogation du délai pour déposer un grief risque de porter préjudice à l’employeur; qu’un fonctionnaire s’estimant lésé a déposé une déclaration modifiée en cour supérieure et qu’un employeur a adopté comme politique d’accorder un congé pour réinstallation à un conjoint du même sexe : Richmond c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2008 CRTFP 22, Gill c. Conseil du Trésor (Ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences), 2007 CRTFP 81, Grover c. Conseil national de recherches du Canada, 2006 CRTFP 117, et Sarson c. Conseil du Trésor (Commission canadienne des grains), dossier de la CRTFP 166-2-25312 (19960301). Normalement, les faits en litige ne sont pas les faits principaux sur lesquels l’auteur de la décision doit se fonder pour tirer la conclusion la plus fondamentale dans la décision.

62 Dans son ouvrage de référence intitulé Civil Evidence Handbook, Carswell, Toronto, paragr. 5.2(a), G.D. Cudmore décrit dans les termes suivants les paramètres qui fondent la connaissance d’office :

[Traduction]

[…]

Il est permis de prendre connaissance d’office des seuls faits qui appartiennent au domaine des connaissances courantes et générales, qui sont bien établis et réglés de manière définitive et qui sont pour ainsi dire incontestables, et lorsque ces connaissances courantes, générales et certaines existent dans l’administration en cause. Si une conclusion fondée à tort sur la connaissance d’office est cruciale pour le jugement, la connaissance d’office erronée constitue une erreur révisable.

[…]

63 Dans Find, la Cour suprême du Canada a formulé les remarques suivantes sur le critère qui devrait s’appliquer dans une affaire criminelle sur la latitude dont le tribunal jouit pour prendre connaissance d’office de certains faits :

[…]

48.[…] La connaissance d’office dispense de la nécessité de prouver des faits qui ne prêtent clairement pas à controverse ou qui sont à l’abri de toute contestation de la part de personnes raisonnables. Les faits admis d’office ne sont pas prouvés par voie de témoignage sous serment. Ils ne sont pas non plus vérifiés par contre-interrogatoire. Par conséquent, le seuil d’application de la connaissance d’office est strict. Un tribunal peut à juste titre prendre connaissance d’office de deux types de faits : (1) les faits qui sont notoires ou généralement admis au point de ne pas être l’objet de débats entre des personnes raisonnables; (2) ceux dont l’existence peut être démontrée immédiatement et fidèlement en ayant recours à des sources facilement accessibles dont l’exactitude est incontestable : R. c. Potts (1982), 66 C.C.C. (2d) 219 (C.A. Ont.); J. Sopinka, S. N. Lederman et A. W. Bryant, The Law of Evidence in Canada (2e éd. 1999), p. 1055.

[…]

64 Dans la décision plus récente rendue dans R. c. Spence, 2005 CSC 71, la Cour suprême du Canada a confirmé la méthode énoncée dans Find :

[…]

61  […] plus un fait a une incidence directe sur l’issue du procès, plus le tribunal doit faire observer le critère rigoureux formulé par Morgan. Ainsi, dans l’arrêt Find, la partialité dont auraient pu faire preuve les jurés en raison du caractère répugnant des infractions reprochées à l’accusé ne touchait pas à la culpabilité ou à l’innocence et, en ce sens, elle ne constituait pas un fait « en litige ». Notre Cour a néanmoins appliqué les critères proposés par Morgan en raison du caractère crucial de la question, vivement débattue, pour l’issue du pourvoi. Pour certains observateurs éminents, ces critères ne devraient s’appliquer qu’aux faits en litige (voir, p. ex., Paciocco et Stuesser, p. 286; McCormick, p. 316). À mon avis, toutefois, la position adoptée par notre Cour dans l’arrêt Find est plus stricte. Il appert de ses décisions qu’elle commencera par appliquer les critères de Morgan, quelle que soit la nature des « faits » dont on demande l’admission d’office. Ces critères sont « la » référence et, s’ils sont respectés, le « fait » est admis d’office et le débat est clos.

[…]

Les critères formulés par Morgan auxquels la Cour renvoie ont été établis par le professeur E. M. Morgan dans « Judicial Notice » (1943-1944), 57 Harv. L. Rev. 269. Ainsi qu’il est cité précédemment dans Find, Morgan a limité la portée de la connaissance d’office aux faits qui sont soit 1) notoires ou généralement admis au point de ne pas être l’objet de débats entre des personnes raisonnables, ou aux faits 2) dont l’existence peut être démontrée immédiatement et fidèlement en ayant recours à des sources facilement accessibles dont l’exactitude est incontestable.

65 La Commission n’est pas liée par les règles strictes de preuve qui s’appliquent dans le cadre d’un dossier criminel. Aux termes de l’alinéa 40(1)e) de la Loi, elle a le pouvoir d’« accepter des éléments de preuve, qu’ils soient admissibles ou non en justice ». La latitude dont la Commission jouit pour accepter une preuve en en prenant connaissance d’office n’est cependant pas sans limite. Dans la pratique, les « critères formulés par Morgan » ont été jugés s’appliquer aux tribunaux administratifs à peu près de la même manière qu’ils sont utilisés dans les litiges criminels. Dans Kankanagme, par exemple, la Cour fédérale a appliqué les critères énoncés dans Find et en est arrivée à la conclusion qu’un tribunal administratif a commis une erreur de droit en prenant connaissance d’office d’un certain fait dans une situation qui ne satisfaisait pas aux critères formulés par Morgan, bien qu’elle ait fait remarquer que les tribunaux administratifs ne sont pas liés par les règles de preuve rigoureuses qui s’appliquent dans le cadre d’une affaire criminelle. Dans Gosselin c. Canada (procureur général), 2006 CAF 405, la Cour d’appel fédérale a conclu également qu’il convient d’imposer au tribunal administratif des critères assez rigoureux en matière de connaissance d’office. Elle a fondé sa décision (au paragraphe 16) sur la conclusion suivant laquelle il n’existe :

[…] pas de preuve au dossier que les faits relatés … sont si notoires que cette notoriété rend leur existence raisonnablement incontestable ou, encore, qu’il s’agit de faits dont l’existence peut être démontrée immédiatement et exactement par le recours à des sources facilement accessibles dont l’exactitude est incontestable […]

66 Les faits dont il faut prendre connaissance d’office dans cette affaire sont à ce point cruciaux pour la décision que la Commission est d’avis qu’elle devrait appliquer des critères stricts en matière de connaissance d’office. Ainsi qu’il est indiqué dans Spence, « […] plus un fait a une incidence directe sur l’issue du procès, plus [la Commission] doit faire observer le critère rigoureux formulé par Morgan ».

67 Si l’on tient compte dans un premier temps des paramètres mentionnés par Cudmore, les faits allégués par le défendeur sont-ils des faits qui appartiennent au domaine « […] des connaissances courantes et générales, qui sont bien établis et réglés de manière définitive et qui sont pour ainsi dire incontestables […] »? Les « […] connaissances courantes, générales et certaines [alléguées existent-elles] dans l’administration en cause »? La Commission répond à ces deux questions par la négative. L’inférence qu’un débiteur particulier peut être soumis à un stress économique et psychologique n’est pas très déraisonnable en soi. En revanche, le fait que le débiteur particulier ressent une insécurité économique ou qu’il croit son bien-être psychologique menacé au point qu’il en découle un risque véritable pour sa sécurité personnelle n’appartient pas au domaine des « […] connaissances courantes et générales […] bien établi[e]s et réglé[e]s de manière définitive ». Quel est donc le critère? Nombre des particuliers qui en arrivent à demander la protection de la loi sur la faillite ont probablement vécu une situation stressante pendant quelque temps. Le fait de prendre la décision de faire faillite signifie-t-il nécessairement que les circonstances sont devenues à ce point difficiles qu’elles entraînent un risque véritable pour la sécurité des particuliers insolvables si ceux-ci sont incapables d’obtenir le statut de failli? Peut-être, mais l’on ne peut pas vraiment dire qu’il s’agit d’un fait réglé de manière définitive. En outre, si les connaissances sur la dynamique personnelle d’une faillite sont effectivement courantes et générales, elles sont courantes et générales parmi ceux et celles qui ont une expérience directe de la faillite ou qui travaillent dans ce domaine. Ces connaissances ne font pas partie du contexte factuel général et commun qui fonde le secteur des relations de travail — le champ d’expertise de la Commission. À ce sujet, Blake, cité par le défendeur, requiert que les faits relèvent des « connaissances spécialisées » du tribunal administratif. Les faits allégués ici par le défendeur ne se comparent pas du tout aux exemples de « conditions météorologiques locales » et de « particularités des déplacements » que Blake utilise pour illustrer les autres types d’information dont il convient de prendre connaissance d’office.

68 La Commission note également que la manière exacte dont le dépôt de dossiers de faillites d’entreprises se rapporte à la sécurité du public ne relève certainement pas des connaissances courantes et générales. Les risques économiques et psychologiques que le défendeur invoque peuvent avoir une certaine pertinence pour ce qui est de la manière dont les profanes comprennent les circonstances dans lesquelles doivent vivre les particuliers qui font faillite, mais le défendeur n’indique pas ce que ces risques signifient dans les dossiers de faillites d’entreprises. Il infère que la sécurité du système financier plus général et des marchés canadiens serait menacée si le « filet de sûreté » qu’offrent les AFA était miné en raison d’une grève, mais il faudrait certainement produire une preuve testimoniale — et probablement une preuve d’expert — pour appuyer cette allégation. Celle-ci n’est certainement pas « pour ainsi dire incontestable », ni ne relève-t-elle des connaissances spécialisées de notre tribunal.

69 En ce qui concerne les « critères formulés par Morgan », qui ont été confirmés par la Cour suprême du Canada dans Find et Spence et par les tribunaux d’instance inférieure dans des décisions comme Kankanagme et Gosselin, les faits allégués par le défendeur sont-ils 1) « […] notoires ou généralement admis au point de ne pas être l’objet de débats entre des personnes raisonnables »? Ou sont-ils des faits 2) « dont l’existence peut être démontrée immédiatement et fidèlement en ayant recours à des sources facilement accessibles dont l’exactitude est incontestable? » Ici encore, la Commission doit répondre à ces deux questions par la négative. Le fait même que les parties devant la Commission contestent le volet de la sécurité du travail effectué par les AFA à titre de séquestres officiels semble indiquer que la question peut donner lieu à un débat légitime entre personnes raisonnables. La Commission est certainement d’avis qu’une personne raisonnable n’ayant aucun intérêt dans la présente affaire pourrait, en toute légitimité, poser des questions sur la nature et la portée des risques pour la sécurité que pourrait engendrer au cours d’une grève l’absence des services des AFA. Subsidiairement, si l’existence des faits liés aux risques allégués pour la sécurité des débiteurs peut véritablement « […] être démontrée immédiatement et fidèlement […] », le défendeur n’a pas désigné les « […] sources facilement accessibles dont l’exactitude est incontestable […] » sur lesquelles la Commission pourrait se fonder pour en prendre connaissance d’office sans craindre de se tromper.

70 Bref, la Commission estime que les faits dont le défendeur la prie de prendre connaissance d’office ne satisfont pas aux « critères formulés par Morgan », ni aux autres paramètres suggérés aux fins de la connaissance d’office. Sans ces faits, la Commission ne dispose que du témoignage de Mme Alferez. Ce témoignage, de l’avis de la Commission, établit fermement ce que font les AFA à titre de séquestres officiels et pourquoi, mais il n’a pas pour effet de fournir un fondement raisonnable et suffisant lui permettant de conclure que le service rendu par un AFA est nécessaire à la sécurité du public.

71 La Commission établit une distinction entre la présente affaire et les conclusions tirées précédemment dans Alliance de la Fonction publique du Canada c. Conseil du Trésor (Groupe Services des programmes et de l’administration), concernant les ASC au sein des CSC. Dans cette affaire, la Commission a formulé aussi des réserves profondes sur la suffisance de la preuve produite par le défendeur pour établir l’existence des risques pour la sécurité en cause. Elle a néanmoins conclu que la preuve limitée dont elle disposait, étayée par des décisions antérieures portant exactement sur la même question, lui permettait de conclure qu’en cas de grève, l’absence d’ASC créerait une possibilité raisonnable qu’il en découle un risque pour la sécurité du public. La Commission a écrit ceci :

[Traduction]

[…]

102. Bien que, sur le fondement de la preuve dont elle dispose, la Commission soit incapable de quantifier la portée ou l’imminence du risque potentiel pour la sécurité économique du public, elle ne peut conclure avec certitude qu’il n’existe aucun risque de la sorte ou que le risque est trop négligeable pour justifier une décision en faveur du défendeur. Bien qu’elle soit limitée et en grande partie indirecte, la preuve produite par le défendeur est suffisante pour établir une possibilité raisonnable que l’aide fournie par les ACS à certains membres au moins du public qui se rendent aux CSC soit nécessaire à leur sécurité économique. La Commission peut se fonder par exemple sur les témoignages suivant lesquels les paiements du SRG sont établis en fonction du revenu — seuls les bénéficiaires de prestations du RPC qui ne disposent d’aucune autre source de revenu ou d’un autre revenu peu élevé peuvent établir un droit à cet égard — pour inférer que les demandeurs qui tentent d’obtenir un SRG risqueraient de perdre leur sécurité fondamentale en matière de revenu si des obstacles bloquaient le processus de présentation des demandes. La Commission peut raisonnablement inférer de la preuve que la sécurité économique d’une partie au moins des membres du public qui sont en contact avec les ASC pour faire progresser le traitement de leurs demandes de « besoins pressants » courent un risque immédiat. La Commission peut raisonnablement accepter qu’une certaine partie des nombreux clients qui demandent l’aide des ASC pour présenter des demandes de prestations d’assurance-emploi sont des personnes qui ne disposent d’aucun autre revenu immédiat et qui sont sur le point de se retrouver dans une situation d’insécurité économique — une conclusion conforme aux décisions de la Commission dans les affaires Alliance de la Fonction publique du Canada – Groupe Commis aux écritures et aux règlements, Groupe Administration des programmes et Groupe Traitement mécanique des données. Des inférences et des conclusions similaires sont raisonnables pour d’autres catégories de demandeurs et de bénéficiaires de prestations.

103. Pour cette raison, et pêchant par excès de prudence, la Commission estime que le défendeur a satisfait à la charge qui lui incombe d’établir que les ASC fournissent un service essentiel.

[…]

72 En ce qui concerne le service essentiel proposé que les AFA fournissent chez Industrie Canada, la Commission est d’avis, compte tenu de la preuve produite, qu’elle ne peut conclure de la même manière que l’absence des AFA en cas de grève pose raisonnablement un risque comparable pour la sécurité du public. Il faudrait produire une preuve autre que celle que le défendeur a offerte à la Commission pour fonder suffisamment une telle conclusion. En outre, dans la présente affaire, la Commission ne dispose d’aucune jurisprudence directement pertinente appuyant la thèse du défendeur, contrairement à ce qui était le cas dans Alliance de la Fonction publique c. Conseil du Trésor (Groupe Services des programmes et de l’administration). La Commission a examiné les décisions rendues sous le régime de l’ancienne Loi et au Nouveau-Brunswick, auxquelles l’a renvoyée le défendeur, et elle estime que les faits dans chaque affaire offrent de bonnes raisons de distinguer ces décisions.

73 La Commission n’en vient pas à ses conclusions dans la présente décision sans éprouver une certaine réserve. Si la présente instance était, en droit, plus semblable à une enquête sur les faits, la Commission aurait certainement insisté pour obtenir des renseignements supplémentaires. Il aurait pu lui être utile d’entendre notamment le témoignage d’un syndic de faillite au sujet des circonstances économiques habituelles auxquelles doivent faire face les particuliers qui se prévalent de la protection de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité. Un tel témoignage aurait pu aider la Commission à déterminer si des particuliers insolvables éprouvent normalement des « difficultés économiques » — qui ne sont pas considérées comme étant un risque pour la sécurité du public par la Commission dans, par exemple, Conseil du Trésor c. Alliance de la Fonction publique (Groupe de la radiotélégraphie) — ou si leur bien-être économique fondamental est soumis au type de menace que la Commission a considérée, dans des décisions antérieures, comme incluant un risque légitime pour la « sécurité du public ». À cet égard, il aurait pu être utile également de savoir s’il existe des catégories de biens dont les débiteurs insolvables sont propriétaires qui échappent à la saisie ou à l’exécution ou qui sont protégés dans une certaine mesure, pour comprendre la portée du risque que les particuliers courent s’ils ne sont pas protégés des créanciers « prédateurs » mentionnés par le défendeur. Dans le domaine du dépôt de dossiers de faillite par des entités commerciales, la Commission aurait certainement souhaité obtenir certains renseignements concrets qui auraient pu lui permettre de déterminer la manière dont la stabilité des marchés et de l’économie dépend du bon fonctionnement du « filet de sûreté » qu’offre une protection sous le régime de la loi sur la faillite. Manifestement, des entreprises échouent dans le cours normal des affaires. La protection qu’offre la loi sur la faillite permet probablement à certaines entreprises commerciales en péril d’échapper à ce sort immédiat. Comment cette dynamique d’entreprise se rapporte-t-elle à l’objectif de la Loi, qui consiste à protéger la sécurité du public? La Commission ne doute pas que l’incapacité d’une entreprise de se placer sous la protection de la loi sur la faillite en cas de grève des AFA puisse entraîner des conséquences économiques, mais ces conséquences seraient-elles de nature à compromettre la sécurité du public?

74 La Commission s’inquiète donc du fait qu’elle n’a pas obtenu un tableau plus complet des risques auxquels doivent faire face les particuliers et les entités commerciales qui ont recours aux services des AFA. Cependant, une demande faite en vertu du paragraphe 123(1) de la Loi demeure en bout de ligne un processus d’opposition. Ainsi qu’il a été confirmé dans Agence Parcs Canada, il faut satisfaire au fardeau de la preuve. Il ne revient pas à la Commission d’ordonner la production d’éléments de preuve supplémentaires après que les parties ont terminé la présentation de leur preuve respective même si la Commission estime que sa décision aurait pu bénéficier de tels éléments de preuve. Si la Commission a pour tâche primordiale de protéger l’intérêt public lorsqu’elle désigne des services essentiels, elle doit le faire en respectant les paramètres du processus d’opposition que le législateur a établis sous le régime du paragraphe 123(1) de la Loi à cette fin. Cela signifie dans la présente affaire que la Commission doit prendre une décision sur le fondement de la preuve qui lui est offerte.

75 Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

V. Ordonnance

76 L’entente sur les services essentiels (ESE) pour le groupe Services des programmes et de l’administration ne doit inclure aucune disposition désignant un service essentiel fourni par les analystes des faillites adjoints (AFA) au sein du Bureau du surintendant des faillites Canada (BSF) d’Industrie Canada.

77 La Commission demeure saisie de toutes les questions sur lesquelles les parties n’ont pas pu s’entendre relativement à d’autres postes du groupe PA.

Le 29 avril 2009.

Traduction de la CRTFP

Dan Butler
commissaire

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.