Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Au moment du dépôt de son grief, le fonctionnaire s’estimant lésé travaillait comme inspecteur responsable de l’application des normes relatives aux marchandises dangereuses dans la Division de l’aviation civile - la convention collective prévoyait le versement d’une indemnité provisoire à certains employés - l’employeur avait refusé de verser l’indemnité au fonctionnaire s’estimant lésé - l’arbitre de grief devait déterminer si l’une des conditions, l’expérience en procédé de fabrication, s’appliquait au fonctionnaire s’estimant lésé - l’arbitre de grief a conclu que l’expérience que possédait le fonctionnaire s’estimant lésé était pertinente et lui donnait droit à l’indemnité. Grief accueilli.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2009-03-16
  • Dossier:  566-02-400
  • Référence:  2009 CRTFP 34

Devant un arbitre de grief


ENTRE

ROGER LESSARD

fonctionnaire s'estimant lésé

et

CONSEIL DU TRÉSOR
(ministère des Transports)

employeur

Répertorié
Lessard c. Conseil du Trésor (ministère des Transports)

Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l'arbitrage

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Marie-Josée Bédard, arbitre de grief

Pour le fonctionnaire s'estimant lésé:
Amarkai Laryea, Alliance de la Fonction publique du Canada

Pour l'employeur:
Sean Kelly, avocat

Affaire entendue à Ottawa (Ontario),
le 15 janvier 2009.

I. Grief individuel renvoyé à l'arbitrage

1 Roger Lessard occupait, à l’époque pertinente au grief, un poste d’inspecteur, Normes relatives aux marchandises dangereuses, dans la Division de l’aviation commerciale et d’affaires à Transports Canada. Le 9 décembre 2005, il a déposé un grief contestant le refus de l’employeur de lui verser l’indemnité provisoire prévue à l’appendice « P » de la convention collective intervenue entre le Conseil du Trésor et l’Alliance de la Fonction publique du Canada pour le groupe Services techniques conclue le 14 mars 2005 (date d’expiration : 21 juin 2007).

II. Résumé de la preuve

2 Le présent grief met en cause l’appendice « P » de la convention collective qui a pour objet de résoudre des problèmes de rétention du personnel dans certains domaines. L’appendice prévoit le versement d’une indemnité provisoire aux titulaires de certains postes du groupe de l’inspection technique qui possèdent un profil donné d’expérience et de formation. Les groupes d’employés admissibles à l’indemnité y sont définis comme suit :

[…]

Les employé-e-s de Transports Canada, du Bureau de la sécurité des transports du Canada, de Travaux Publics et Services gouvernementaux Canada et de Pêches et des Océans, la Garde côtière canadienne, titulaires des postes de niveau TI-5 à TI-8 énumérés ci-dessous et possédant les qualités précisées sont admissibles aux indemnités provisoires énumérées ci-dessous.

-         Les inspecteurs de marine, les inspecteurs maritimes, les enquêteurs maritimes ainsi que des employé-e-s du groupe du soutien des navires, GCC—MPO, ayant des connaissances et une vaste expérience de la conception, de la construction, de l’exploitation ou de l’entretien de navires attestées par le certificat de navigation approprié ou un diplôme universitaire et une vaste expérience du domaine.

–        Les enquêteurs aériens, les inspecteurs de l’aviation civile et les inspecteurs d’aéronef qui ont une vaste expérience de la maintenance des aéronefs et qui possèdent une licence de mécanicien d’entretien d’aéronef valide.

–        Les inspecteurs de l’aviation civile titulaires d’un diplôme universitaire ou d’un certificat décerné par un collège, ou qui sont membres de la American Society for Quality Control, et qui possèdent de six (6) à dix (10) années d’expérience en procédé de fabrication. Les spécialistes des essais non destructifs ayant dix (10) ans d’expérience dans le domaine des essais non destructifs et possédant de préférence une formation en aéronef et un certificat reconnu de l’ONGC portant sur la radiographie (structures d’aéronefs), les particules magnétiques, les liquides d’imprégnation et l’inspection par courant de Foucault sont également employés.

–        Les enquêteurs et les inspecteurs du rail qui possèdent des compétences dans au moins l’une des disciplines suivantes : conducteur de locomotive, chef de train, serre-frein, spécialiste des voies, contrôleur de la circulation ferroviaire/régulateur, inspecteur d’équipement/matériel remorqué/locomotives, agent du matériel mécanique, agent d’entretien des signaux et agent d’exploitation, et qui ont une vaste expérience opérationnelle du secteur du rail ou qui ont une certification de CANAC\FRA.

3 Le groupe pertinent aux fins du présent grief est celui des inspecteurs de l’aviation civile qui sont titulaires d’un diplôme universitaire ou d’un certificat décerné par un collège et qui ont de l’expérience en procédé de fabrication.

4 Dans les réponses qu’il a adressées à M. Lessard aux deuxième et dernier paliers de la procédure de règlement des griefs, l’employeur a indiqué que son poste ne faisait pas partie de la liste des postes admissibles prévue à l’appendice « P ».

5 Au début de l’audience, les parties ont convenu d’un énoncé conjoint des faits suivants :

1. M. Lessard occupe un poste d’inspecteur de l’aviation civile, marchandises dangereuses à Transports Canada.

2. Ce poste est classifié groupe inspection technique TI-06.

3. M. Lessard possède un certificat en administration de l’Université du Québec en Outaouais et un diplôme collégial en technologie du laboratoire médical du Collège Algonquin.

4. L’employeur refuse de verser l’indemnité provisoire prévue à l’Appendice « P » de la convention collective car selon l’employeur M. Lessard ne possède pas l’expérience en procédé de fabrication au sens de l’appendice « P ».

6 M. Lessard a témoigné. Il a indiqué qu’il était actuellement en affectation à la Division de la sûreté terrestre et inter-modale à Transports Canada, mais qu’au moment où il a déposé son grief, il occupait un poste d’inspecteur de l’aviation civile à la Division des normes relatives aux marchandises dangereuses et ce depuis 2000.

7 M. Lessard a exposé son cheminement de carrière jusqu’à son embauche à Transports Canada. Il a par ailleurs précisé que parmi ses expériences de travail, seule son expérience au sein de Santé Canada correspondait, à son avis, à une expérience en procédé de fabrication. Je limiterai donc le résumé de la preuve à cette expérience spécifique.

8 M. Lessard a travaillé à Santé Canada à deux périodes différentes : pour une période de 10 mois en 1981 et pour une période de 10 ans, de 1987 à 1997. À ces deux occasions, il a travaillé au laboratoire des milieux de cultures de Santé Canada. En 1981, il y a occupé le poste de technologue, alors que de 1987 à 1997, il a occupé le poste de chef du laboratoire.

9 M. Lessard a expliqué que le laboratoire avait comme principal mandat de fabriquer des milieux de cultures micro-biologiques, des solutions et des suppléments à la demande et à l’intention des chercheurs et scientifiques des 17 laboratoires de recherche et de référence de Santé Canada. Il a précisé que la fabrication de milieux de cultures, de solutions et de suppléments consiste à suivre des recettes fournies par le client en préparant, mélangeant et traitant des composantes afin d’obtenir des milieux de cultures, des solutions ou des suppléments donnés. Le processus peut impliquer diverses étapes, manutentions et calculs. Des techniques manuelles et techniques sont utilisées pour réaliser les différentes étapes des recettes ou traiter les diverses composantes. Il a indiqué qu’il y avait environ 400 méthodes et procédures normalisées différentes qui impliquaient l’utilisation de plus de 600 produits différents. M. Lessard a déclaré que le niveau de complexité des recettes variait. Certaines recettes requéraient de mélanger diverses composantes, de les bouchonner et de les stériliser alors que d’autres requéraient l’application de diverses techniques et l’utilisation d’équipements impliquant une certaine ingénierie. Une troisième catégorie de recettes avait trait à la fabrication de milieux de cultures très spécialisés beaucoup plus complexes, qui pouvait exiger une manutention importante et demander des jours de préparation.

10 M. Lessard a indiqué qu’une fois fabriqués, les milieux de cultures, solutions ou suppléments étaient acheminés aux clients internes qui les utilisaient à différentes fins, notamment pour y faire pousser des micro-organismes ou créer des toxines particulières.

11 À titre de technologue, M. Lessard avait comme principale fonction de préparer les milieux de cultures en suivant les diverses recettes. À titre de chef du laboratoire, il était responsable de toutes les activités du laboratoire incluant la préparation des procédures normalisées, la mise en œuvre de programmes de contrôle et de qualité, l’entretien et le calibrage des équipements et instruments, la formation des employés, etc.

12 M. Lessard a reconnu qu’il n’avait aucune expérience en procédé de fabrication dans le domaine de l’aviation civile et qu’il n’avait aucune expérience dans le domaine de l’aviation avant son arrivée à Transports Canada.

13 M. Lessard a joint Transports Canada en 2000 comme inspecteur, Division des normes relatives aux marchandises dangereuses. La description de fonctions de M. Lessard a été déposée en preuve et on y constate que le titre du poste est celui d’inspecteur/inspectrice, Normes relatives aux marchandises dangereuses au sein de la section Normes relatives aux marchandises dangereuses de la Division de l’aviation commerciale et d’affaires. M. Lessard a expliqué que la division comptait 3 inspecteurs, Normes relatives aux matières dangereuses, basés à Ottawa et 22 inspecteurs régionaux. Il a indiqué que son rôle consistait principalement à donner des directives fonctionnelles aux inspecteurs régionaux, à élaborer des programmes de formation, à émettre des avis, bulletins et autre information aux intervenants de l’industrie et aux inspecteurs régionaux, de même qu’à répondre aux questions du public relativement aux programmes de sensibilisation du public aux matières dangereuses.

14 M. Lessard a également expliqué qu’il était titulaire de la délégation ministérielle H-16 relative à l’exercice des pouvoirs et attributions conférés par le Ministre conformément à la Loi sur l’aéronautique et au Règlement de l’aviation canadien.        

15 Il a précisé, qu’à son avis, son expérience antérieure en procédé de fabrication était pertinente à ses fonctions à Transports Canada parce qu’il y appliquait la philosophie, la façon de procéder et de faire des recherches, de traiter et de documenter l’information lorsqu’il rédigeait des normes et des directives fonctionnelles.

16 Témoignant sur sa scolarité, M. Lessard a indiqué qu’outre son certificat universitaire et son diplôme collégial, Transports Canada lui avait reconnu une équivalence d’un diplôme universitaire pour une durée indéfinie lors d’un processus de dotation.

17 Témoignant à l’égard de la position de l’employeur lorsqu’il a réclamé l’indemnité provisoire, il a déclaré que celle-ci lui avait été refusée parce que l’employeur considérait qu’il n’était pas un inspecteur de l’aviation civile.

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour le fonctionnaire s’estimant lésé

18 Le représentant de M. Lessard a soutenu que M. Lessard répondait à tous les critères d’admissibilité prévus à l’appendice « P » de la convention collective pour recevoir l’indemnité provisoire et que le seul critère en litige concernait son expérience en procédé de fabrication. Le représentant de M. Lessard a insisté sur le fait que l’appendice référait à une expérience en procédé de fabrication sans autre précision quant à un domaine d’activités. Si les parties avaient voulu que l’expérience en procédé de fabrication soit spécifique à un domaine d’activités, elles l’auraient précisé.

19 Il a indiqué qu’en ce qui a trait aux inspecteurs de l’aviation civile en cause, le texte de l’appendice « P » prévoyait des exigences qui étaient générales tant au niveau de l’expérience que de la scolarité. Il a précisé à cet égard que les diplômes exigés n’avaient pas à être liés à un champ d’étude spécifique et que la nature générale de l’expérience requise s’inscrivait dans la même volonté des parties de prévoir des critères généraux. Le représentant de M. Lessard a soumis qu’il serait dès lors illogique d’inférer que l’expérience dans les procédés de fabrication devait être spécifique au domaine de l’aviation alors que dans la description du même profil, les parties n’avaient pas précisé un domaine particulier d’étude.

20 Le représentant de M. Lessard a par ailleurs renvoyé à d’autres postes prévus à l’appendice « P » pour lesquels les parties avaient été beaucoup plus spécifiques quant aux critères de scolarité et d’expérience, alors que le champ d’étude et le domaine d’activités y était précisés. Si les parties avaient voulu être spécifiques relativement aux inspecteurs de l’aviation civile, elles auraient choisi des termes plus limitatifs. Au contraire, le représentant de M. Lessard a soutenu que les parties avaient volontairement prévu un profil plus général pour les inspecteurs de l’aviation civile. 

21 Quant au sens à donner à l’expression « procédé de fabrication », le représentant de M. Lessard a souligné que les parties n’avaient pas défini cette expression et que je devais donc m’en remettre au sens ordinaire des mots. Il a fait référence aux définitions proposées dans le Dictionnaire de la langue française Larousse.

22 Le représentant de M. Lessard a soutenu que l’expérience de M. Lessard au laboratoire de fabrication de milieux de cultures de Santé Canada correspondait en tous points au sens commun d’un procédé de fabrication et que comme M. Lessard avait plus de 10 années d’expérience à Santé Canada, il était admissible à l’indemnité provisoire prévue à l’appendice « P » de la convention collective.

23 Le représentant de M. Lessard a appuyé ses prétentions sur les propos des auteurs Brown et Beatty dans leur ouvrage Canadian Labour Arbitration. Il a également fait référence aux décisions Belliveau et al. c. Conseil du Trésor (ministère des Transports), 2006 CRTFP 121 et Brisson et Dubeau c. Agence canadienne d’inspection des aliments, 2005 CRTFP 38, et notamment au passage suivant de cette dernière décision : « L’arbitre de grief, devant une clause claire, ne peut y ajouter de termes qui auraient pour effet d’en élargir ou d’en diminuer la portée ».

24 Au chapitre du redressement, le représentant de M. Lessard a soutenu que M. Lessard avait droit à une indemnité provisoire rétroactivement à la date de la signature de la convention collective. De façon subsidiaire, il a soutenu que M. Lessard devait recevoir l’indemnité provisoire à compter du 25e jour précédant la date à laquelle il avait déposé son grief.

B. Pour l’employeur

25 Le procureur de l’employeur a proposé une interprétation opposée à la thèse soutenue par M. Lessard. L’employeur estime que le critère relatif à l’expérience en procédé de fabrication doit être interprété comme signifiant une expérience en procédé de fabrication liée au domaine de l’aviation. Il s’agit, selon l’employeur, de la seule interprétation qui respecte le but, l’objet et le contexte de l’appendice « P » de la convention collective. Le procureur de l’employeur a insisté sur l’objet de l’appendice qui s’inscrit dans un objectif de rétention d’employés qui ont un profil bien précis et qui occupent les postes mentionnés. Les parties n’ont pas visé simplement les titulaires de postes donnés, elles ont visé les titulaires de postes donnés possédant des qualités particulières. Or, ces qualités, selon l’employeur, doivent nécessairement être en relation avec les fonctions rattachées aux postes en cause.

26 Le procureur de l’employeur m’a invité à adopter une approche d’interprétation qui tient compte du contexte de l’appendice « P » de la convention collective, insistant qu’il n’est pas approprié d’interpréter des termes suivant leur sens ordinaire s’il ne reflète pas l’intention des parties. Selon l’employeur, il s’agit d’un cas où il faut donner aux termes utilisés par les parties, le sens qui s’harmonise le mieux avec le sens et le but des dispositions en cause. Pour l’employeur, l’interprétation proposée par M. Lessard est beaucoup trop libérale et permissive pour s’harmoniser avec l’objectif de rétention du personnel et le caractère d’exception des mesures prévues à l’appendice « P » de la convention collective. L’employeur a soutenu que l’expérience en procédé de fabrication devait se rapporter au domaine de l’aviation civile ou de l’aéronautique. Selon l’employeur, une telle interprétation s’accorde avec la description des profils liés aux autres postes visés par l’appendice « P », où l’expérience est toujours spécifique.

27 À titre subsidiaire, l’employeur a soutenu que même si je concluais que le critère lié à l’expérience en procédé de fabrication n’avait pas à être lié au domaine de l’aviation, je ne devais pas retenir la définition générale de « procédé de fabrication » proposée par le représentant de M. Lessard. Le procureur de l’employeur a soutenu que l’interprétation suggérée par le représentant de M. Lessard était beaucoup trop libérale et que si elle devait être retenue, tout le monde se verrait reconnaître une expérience en procédé de fabrication. Il a suggéré que le concept de « procédé de fabrication » référait davantage au secteur industriel et manufacturier qu’au secteur scientifique. À son avis, l’expérience de M. Lessard ne correspondait pas au concept de procédé de fabrication, mais plutôt à celui de procédé ou d’expérience scientifique.

28 Au chapitre du redressement, l’employeur a soutenu que je ne pouvais ordonner le versement rétroactif de l’indemnité provisoire au-delà des 25 jours précédant la date du dépôt du grief.

29 L’employeur a appuyé sa position sur les décisions suivantes : Yarmolinsky c. Agence des douanes et du revenu du Canada, 2005 CRTFP 170; Côté et al. c. Conseil du Trésor (Transports Canada), dossiers de la CRTFP 166-02-16356 à 16258 (19870629) et Plamondon c. Conseil du Trésor (ministère des Communications), dossier de la CRTFP 166-02-14834 (19850321).

30 Au soutien de sa position relativement au redressement, l’employeur a invoqué les affaires Canada (Office national du film) c. Coallier (C.A.F.), [1983] A.C.F. nº 813 (Q.L.) et Gasbarro c. Conseil du Trésor (Bureau canadien d’enquête sur les accidents de transport et de la sécurité des transports), 2007 CRTFP 87.

IV. Motifs

31 Le grief met en cause l’interprétation de l’appendice « P » de la convention collective et plus particulièrement la description du profil exigé pour un des groupes d’inspecteurs de l’aviation civile. Comme l’employeur a admis à l’audience que M. Lessard occupait un poste d’inspecteur de l’aviation civile et qu’il détenait un diplôme collégial et un certificat universitaire, le seul critère d’admissibilité en litige est celui relatif à l’expérience de M. Lessard en procédé de fabrication.

32 Pour trancher le litige, je dois interpréter le texte de l’appendice « P » afin d’y déceler l’intention des parties. Dans leur ouvrage Canadian Labour Arbitration, les auteurs Brown et Beatty résument bien les règles d’interprétation qui doivent guider l’arbitre de grief appelé à interpréter les dispositions d’une convention collective.  :

[Traduction]

On a souvent dit que, au moment d’interpréter les termes d’une convention collective, l’essentiel consiste à découvrir l’intention des parties à la convention.

[…]

En conséquence, pour déterminer l’intention des parties, l’hypothèse fondamentale est que les parties avaient l’intention de dire ce qu’elles ont dit et qu’il faut rechercher le sens de la convention collective dans ses dispositions expresses […]

[…]

En cherchant à découvrir l’intention des parties à l’égard d’une disposition particulière de la convention, les arbitres ont généralement supposé que le libellé dont ils sont saisis doit s’entendre au sens normal ou ordinaire, à moins que cette interprétation ne donne lieu à une absurdité ou à une contradiction avec le reste de la convention collective, ou à moins que le contexte ne révèle que les mots sont employés dans un autre sens.

33 Appliquant ces principes, je dois, dans un premier temps, déterminer si l’expérience en procédé de fabrication exigée à l’appendice « P » doit se rapporter au domaine de l’aviation civile ou de l’aéronautique En l’espèce, l’application des principes d’interprétation m’amène à préférer l’interprétation suggérée par le représentant de M. Lessard, suivant laquelle l’expérience en procédé de fabrication peut être générale et ne doit pas nécessairement être liée au domaine de l’aviation civile ou de l’aéronautique.

34 Dans un premier temps, le texte de l’appendice « P » ne précise pas que l’expérience en procédé de fabrication doit se rapporter à un domaine donné. Il est utile de constater que pour certains postes, les parties ont été beaucoup plus spécifiques quant au critère d’admissibilité lié à l’expérience. Par exemple, pour les titulaires de postes du secteur de la marine, l’expérience exigée doit être liée à la conception, la construction, l’exploitation ou l’entretien de navires. Pour les enquêteurs aériens, les inspecteurs d’aéronefs et un autre groupe d’inspecteurs de l’aviation civile, l’expérience doit être liée à la maintenance des aéronefs. Quant aux postes dans le secteur ferroviaire, l’expérience exigée doit se rapporter à une expérience opérationnelle du secteur du rail. Une portion de la section qui nous intéresse est elle aussi très spécifique quant à l’expérience exigée : les spécialistes des essais non destructifs doivent avoir une expérience spécifique dans le domaine des essais non destructifs.

35 Le seul groupe pour lequel l’appendice réfère à une expérience générale est celui relatif aux inspecteurs de l’aviation civile en cause. Une lecture de l’ensemble du texte de l’appendice « P » m’incite à penser que les parties, qui par ailleurs ont été très spécifiques à l’égard de certains postes, ont volontairement choisi de référer, dans le cas des inspecteurs de l’aviation civile visés dans cette section, à un profil beaucoup plus général. Les parties ont utilisé un patron commun pour définir le critère relatif à l’expérience pour toutes les catégories de postes sauf pour les inspecteurs de l’aviation civile. J’estime que ce faisant, les parties ont volontairement défini un profil plus général pour cette catégorie d’employés.

36 Mon impression est encore plus marquée lorsque j’examine l’exigence au chapitre de la formation. Les inspecteurs de l’aviation civile visés doivent posséder un diplôme universitaire, un certificat décerné par un collège ou encore être membres de l’American Society for Quality Control (ASQC). Aucun domaine d’étude n’est spécifié. Quant à l’ASQC, je n’ai aucune preuve qui me permet de conclure que cette association est spécifique au domaine de l’aviation ou de l’aéronautique. J’estime que tout comme dans le cas du critère de l’expérience, les parties ont volontairement privilégié un profil général.

37 Je considère qu’en retenant l’interprétation suggérée par l’employeur, j’ajouterais au texte même de l’appendice « P » de la convention collective. J’estime également que le fait d’identifier un profil général en exigeant une expérience en procédé de fabrication dans quelque domaine que ce soit peut très bien s’inscrire dans un contexte de rétention du personnel et s’harmoniser avec le but et l’objet de l’appendice. Les indemnités provisoires ont été mises en place dans un contexte de rétention du personnel dans certains postes donnés qui correspondent à des profils déterminés. Je ne vois rien d’incongru à ce que les parties aient voulu pour certains postes, s’en tenir à un profil de portée générale pour des raisons qu’elles ont jugé pertinentes.

38 Je conclus donc que l’appendice « P » de la convention collective ne requiert pas que les inspecteurs d’aviation civile possèdent une expérience en procédé de fabrication liée au domaine de l’aviation ou de l’aéronautique.

39 Je dois maintenant déterminer si l’expérience de M. Lessard à Santé Canada peut être considérée comme une expérience en procédé de fabrication. L’employeur m’a invité à adopter une interprétation de l’expression « procédé de fabrication » plus restrictive que celle proposée par M. Lessard, suggérant que cette expression était réservée au secteur industriel ou manufacturier. Le représentant de M. Lessard m’a pour sa part référé aux définitions suivantes proposées dans le Dictionnaire de la langue française Larousse :

Procédé : Méthode qui permet d’obtenir un certain résultat […]

Fabriquer : Fabriquer un objet, le façonner à partir d’une matière première […]

Fabrication : Confection d’objet ou de produits […]

40 Je retiens ces définitions et j’estime qu’il n’y a pas lieu en l’espèce de s’écarter du sens ordinaire des mots. Je ne vois d’ailleurs pas sur quelle base je limiterais l’expérience en procédé de fabrication exigée à l’annexe « P » aux secteurs industriel ou manufacturier. Appliquant les définitions proposées par le dictionnaire des termes « procédé », « fabriquer » et « fabrication », je considère que l’expérience de travail de M. Lessard à Santé Canada peut être considérée comme une expérience en procédé de fabrication. La preuve a démontré que les technologues du laboratoire fabriquaient des milieux de cultures micro-biologiques, des solutions ou des suppléments en suivant des recettes à partir de matières et composantes. Ces milieux de cultures, solutions ou suppléments constituent un « produit » différent des composantes initiales. Les composantes constituent la matière première qui est transformée suivant une méthode, un procédé, une recette spécifique. Ce processus m’apparaît correspondre à une conception générale de ce qu’on entend par un procédé de fabrication. L’appendice « P » de la convention collective ne précise pas que l’employé doit avoir conçu un procédé de fabrication, il doit simplement posséder une expérience en procédé de fabrication. Je considère que M. Lessard possède une telle expérience parce qu’il a été appelé à appliquer et à superviser la mise en œuvre de procédés de fabrication de milieux de cultures micro-biologiques, de solutions et de suppléments. Comme rien dans l’appendice « P » ne m’incite à adopter une interprétation plus restrictive pour « procédé de fabrication », je suis d’avis que l’expérience de M. Lessard répond au critère d’admissibilité prévu à l’appendice « P ». Quant à la durée de son expérience, la preuve a démontré qu’elle était de 10 ans et 8 mois. À la lumière de ce qui précède, je conclu donc que M. Lessard rencontre les critères d’admissibilité pour bénéficier de l’indemnité provisoire.

41 Traitant maintenant du redressement, la clause 18.10 de la convention collective prévoit ce qui suit :

18.10 Au premier palier de la procédure, l’employé-e peut présenter un grief de la manière prescrite au paragraphe 18.05, au plus tard le vingt-cinquième (25e) jour qui suit la date à laquelle il ou elle est notifié, oralement ou par écrit, ou prend connaissance, pour la première fois, de l’action ou des circonstances donnant lieu au grief.

42 Je ne vois pas sur quelle base j’ordonnerais le versement de l’indemnité provisoire à compter de la date de la signature de la convention collective. De plus, ne connaissant pas avec exactitude à quelle date M. Lessard a formulé sa demande à l’employeur ni à quelle date l’employeur lui a répondu, j’estime que, sur la base de la clause 18.10 de la convention collective, je ne peut faire rétroagir le versement de l’indemnité au-delà de 25 jours précédant la date du dépôt du grief.       

43 Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

V. Ordonnance

44 Le grief est accueilli.

45 L’employeur doit verser à M. Lessard l’indemnité provisoire prévue à l’appendice « P » de la convention collective intervenue entre le Conseil du Trésor et l’Alliance de la fonction publique du Canada pour le groupe « Services techniques » conclue le 14 mars 2005 et en vigueur jusqu’au 21 juin 2007, à partir du 15 novembre 2005.

Le 16 mars 2009.

Marie-Josée Bédard,
arbitre de grief

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