Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Les fonctionnaires s’estimant lésés ont contesté le refus de leur employeur de leur payer l’indemnité de premiers soins - leur convention collective incorpore la directive du Conseil national mixte sur l’Indemnité versées [sic] aux employés qui dispensent les premiers soins au grand public - cette directive prévoit que l’indemnité est payée aux employés qui sont <<[...] formellement tenus par le ministère de dispenser sur une base régulière, et en plus de leurs fonctions normales, les premiers soins au grand public [...]>> - l’arbitre de grief a conclu que, bien que la preuve démontre que les fonctionnaires s’estimant lésés sont tenus de prodiguer les premiers soins à leurs compagnons de travail, collègues et camarades, il n’a pas été établi qu’ils soient tenus de prodiguer les premiers soins au grand public. Griefs rejetés.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique,
L.R.C. (1985), ch. P-35

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2009-05-05
  • Dossier:  166-02-37219 à 37229
  • Référence:  2009 CRTFP 57

Devant un arbitre de grief


ENTRE

RÉJEAN RIOUX, YVES BELLAND, ALAIN DROUIN, DANIEL DUBÉ, GUY GIRARD, BRUNO HARVEY, ANDRÉ LANGLAIS, JACQUES LAROCHE, MARIO LAROCQUE, MICHEL LESSARD et JEAN THÉRIAULT

fonctionnaires s'estimant lésés

et

CONSEIL DU TRÉSOR
(ministère de l'Environnement)

employeur

Répertorié
Rioux et al. c. Conseil du Trésor (ministère de l'Environnement)

Affaire concernant des griefs renvoyés à l'arbitrage en vertu de l'article 92 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-35

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
John A. Mooney, arbitre de grief

Pour les fonctionnaires s'estimant lésés:
Guylaine Bourbeau, Alliance de la Fonction publique du Canada

Pour l'employeur:
Adrian Bieniasiewicz, avocat

Affaire entendue à Montréal (Québec),
le 18 mars 2009.

I. Griefs renvoyés à l'arbitrage

1 Les fonctionnaires s’estimant lésés (les « fonctionnaires »), dont les noms apparaissent sur la page frontispice de la présente décision, occupent différents postes au sein de la section des Services techniques du ministère de l’Environnement (le « ministère »). Du 10 au 16 septembre 2004, ils ont déposé des griefs dans lesquels ils contestent le refus de leur accorder l’indemnité prévue en vertu de la directive du Conseil national mixte de la fonction publique du Canada intitulée Indemnité [sic] versées aux employés qui dispensent les premiers soins au grand public (la « directive sur l’indemnité de premiers soins ») (pièce F-1). Les fonctionnaires sont visés par la convention collective entre le Conseil du Trésor ( l’« employeur ») et l’Alliance de la Fonction publique du Canada à l’égard de l’unité de négociation du groupe Services techniques (date d’expiration : 21 juin 2003) (la « convention collective ») (pièce F-2). La clause 7.03a) de la convention collective prévoit que la directive sur l’indemnité de premiers soins fait partie de la convention collective. Les fonctionnaires demandent que cette indemnité leur soit versée de façon rétroactive.

2 L’employeur a rejeté les griefs des fonctionnaires au troisième palier de la procédure de règlement des griefs, le 22 mars 2006. Les fonctionnaires ont renvoyé leurs griefs à l’arbitrage le 20 avril 2006.

3 Le 1er avril 2005, la nouvelle Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, édictée par l'article 2 de la Loi sur la modernisation de la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, a été proclamée en vigueur. En vertu de l'article 61 de la Loi sur la modernisation de la fonction publique, ces renvois à l'arbitrage de grief doivent être décidés conformément à l'ancienne Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-35 (l’« ancienne LRTFP »).

II. Résumé de la preuve

4 Daniel Dubé, coordonnateur des services techniques du ministère, a témoigné pour les fonctionnaires. Richard Dupuis, chef national des normes d’observation du ministère pour l’aviation, a témoigné pour l’employeur. Les fonctionnaires ont déposé sept pièces et l’employeur en a déposé six.

5 Les représentants des partiesont convenu que les fonctionnaires font un travail semblable etque la preuve versée lors de l’audience s’applique à tous les griefs dont traite la présente décision. Les représentants des partiesont convenu, tout particulièrement, que le libellé des dispositions de la description de tâches de M. Dubé (pièce F-4), auxquelles ils allaient me renvoyer, était identique au libellé des descriptions de tâches des autres fonctionnaires.

6 M. Dubé a témoigné qu’il travaille au ministère depuis 1978. Depuis un an, il est coordonnateur des services techniques, mais, au moment de la présentation des griefs, il occupait le poste de spécialiste des services techniques. Les spécialistes des services techniques font l’inspection, la vérification et l’entretien des stations d’observation météorologique, comme l’indique la description de tâches de son poste (pièce F-4).

7 M. Dubé a occupé différents postes au sein de son agent négociateur. Il a été membre de l’équipe de négociation de la convention collective de son unité de négociation de 2003 à 2005 et de 2007 à ce jour.

8 M. Dubé travaillait au bureau du ministère à Montréal lors de la présentation des griefs. Ses fonctions l’appelaient à voyager dans différentes régions éloignées du Canada, dont le Grand Nord. M. Dubé voyage 60 jours par année en moyenne; il peut cependant voyager jusqu’à 85 jours par année. Normalement, il voyage seul. Il voyage avec un autre employé du ministère une ou deux fois par année.

9 M. Dubé a expliqué que les stations météorologiques sont administrées par le ministère ou des organismes avec lesquels le ministère a conclu une entente, tels Nav Canada ou l’Administration régionale Kativik (ARK).

10 M. Dubé effectuait des tests et vérifications dans les stations météorologiques avec l’aide d’employés locaux. Ces employés pouvaient être des employés d’autres organismes qui administrent la station météorologique, des employés de compagnies aériennes telles Air Inuit et Air Labrador, ou il pouvait s’agir de personnes-ressources habitant la région qui avaient été recrutées à cette fin. À l’occasion, M. Dubé faisait affaires avec des employés locaux sans se rendre en région. Par exemple, il pouvait demander à des gardiens de sécurité de l’aéroport de Baie-Comeau de remettre un interrupteur en position. Cela évitait un voyage coûteux.

11 Selon M. Dubé, les personnes avec qui il travaillait dans les stations météorologiques n’étaient pas des employés de la fonction publique fédérale. Ces personnes n’étaient pas assujetties aux mêmes restrictions que lui. M. Dubé était soumis, par exemple, à diverses règles concernant les activités politiques des employés de la fonction publique fédérale, alors que les personnes avec qui il travaillait dans les stations météorologiques n’étaient pas soumises à ces règles. M. Dubé devait également se plier à diverses règles concernant la confidentialité des renseignements, alors que les employés avec qui il travaillait en région n’étaient pas tenus de se conformer à ces règles.

12 M. Dubé a déclaré qu’il avait suivi une formation en premiers soins offerte par le ministère et qu’il tenait pour acquis que, si un employé se blessait, il devait lui porter secours.

13 M. Dubé a décrit un incident lors duquel il a prodigué des premiers soins. Le ministère avait installé des équipements qui mesuraient la qualité de l’air dans une station de recherche administrée par l’Université Laval dans la forêt Montmorency. Des étudiants visitaient ce lieu chaque été. Au cours d’une de ces visites, une étudiante s’est coincé le pied entre des pierres au bord d’une rivière. M. Dubé, à l’aide d’autres personnes, a libéré le pied de l’étudiante en se servant d’une pelle et d’une pioche. Une ambulance a ensuite transporté l’étudiante à un établissement de santé.

14 En contre-interrogatoire, M. Dubé a déclaré qu’il connaît M. Dupuis, puisque, de 1990 à 1996, il se trouvait sous l’autorité de deux gestionnaires, dont M. Dupuis. M. Dubé a déclaré que M. Dupuis ne lui a jamais demandé de prodiguer des soins au public. En fait, M. Dupuis n’a jamais discuté de ce sujet avec M. Dubé.

15 Le représentant de l’employeur a porté à l’attention de M. Dubé les extraits suivants de la description de tâches de Stéphane Turgeon, coordonnateur, Conservation des ressources naturelles et enquêteur au ministère (pièce E-1A, pages 4 et 5) :

[…]

Assurer la santé et la sécurité du personnel, des chasseurs et du public en général sur le territoire de la Réserve nationale de faune de Cap Tourmente (environ 55 000 personnes / année)

Être en mesure d’intervenir auprès d’un employé ou employée, d’un visiteur ou visiteuse victime d’un accident, d’un malaise ou en détresse en appliquant les premiers soins.

[…]

Veiller à la santé et à la sécurité du personnel et du grand public en maintenant un environnement de travail et de visites sécuritaire.

[…]

Le représentant de l’employeur a demandé à M. Dubé si la description de tâches de M. Turgeon stipule clairement que ce dernier devait prodiguer des soins au public. M. Dubé a répondu par l’affirmative.

16 M. Dubé a aussi admis que les descriptions de tâches de Marc Patry, technicien, Entretien menuiserie au ministère (pièce E-1B) et d’Alain Tremblay, technicien, Entretien mécanique au ministère (pièce E-1C), stipulent qu’ils doivent prodiguer des soins au public. La description de tâches de M. Patry (pièce E-1B, page 3) prévoit que ce dernier doit :

[…]

Être en mesure de prodiguer des premiers soins et des soins d’urgence en forêt et en milieu isolé, aux employés et employées et au public de la RNF.

[…]

Quand à elle, la description de tâches de M. Tremblay (pièce E-1C, page 2 et 3) stipule que ce dernier doit :

[…]

Prodiguer les premiers soins et RCR aux visiteurs et visiteuses lors des opérations d’urgence.

[…]

Être en mesure de prodiguer des premiers soins et des soins d’urgence en forêt et en milieu isolé, aux employés et employées et au public de la RNF.

[…]

17 M. Dubé a déclaré avoir fourni ses commentaires à l’employeur lors de l’élaboration des descriptions de tâches des fonctionnaires.

18 En réinterrogatoire, M. Dubé a déclaré que sa description de tâches indique implicitement qu’il doit prodiguer des soins au grand public. Sa description de tâches stipule qu’il doit administrer les premiers soins à ses collègues et camarades en situation d’urgence (pièce F-4, page 5). Les « camarades » ne sont pas les employés du ministère. Ces « camarades » sont souvent les employés d’autres organismes qui administrent les stations météorologiques ou des personnes-ressources à qui il fait appel à l’occasion pour l’aider dans son travail.

19 M. Dupuis a témoigné qu’il travaille pour le ministère depuis 1974. Il occupe son poste actuel depuis août 2008. De 1995 à 2008, et en particulier au moment de la présentation des présents griefs, il était gestionnaire des services techniques. À ce titre, il gérait sept spécialistes des services techniques, dont M. Dubé. Ces spécialistes veillaient au contrôle de la qualité des équipements dans les stations météorologiques.

20 Les spécialistes des services techniques voyagent habituellement seuls. Ils peuvent visiter une station météorologique à deux ou trois si le ministère estime que le travail comporte des risques pour eux.

21 L’accès du public aux stations météorologiques varie d’un endroit à l’autre. La majorité des stations météorologiques sont situées dans des endroits à accès contrôlé d’aéroports auxquels le public n’a pas accès. D’autres stations météorologiques sont clôturées et surveillées par un radar ou une caméra. Le public n’a pas accès à ces stations non plus. À certains endroits, cependant, la station météorologique n’est pas clôturée et le public pourrait y avoir accès.

22 M. Dupuis a témoigné que les spécialistes en services techniques peuvent être appelés à travailler dans des régions éloignées où l’accès aux soins médicaux peut être difficile. Ils peuvent voyager en région avec des collègues faisant partie d’autres unités de négociation de la fonction publique. Les spécialistes en services techniques peuvent être appelés à prodiguer des premiers soins à leurs collègues en cas de besoin. M. Dupuis m’a renvoyé à la description de tâches de M. Dubé, qui indique que ce dernier doit « [a]dministrer les premiers soins aux collègues et camarades en cas de situations d’urgence qui peuvent survenir au bureau ou sur le terrain […] » (pièce F-4, page 5). Les spécialistes en services techniques ne sont pas tenus, cependant, de prodiguer des soins à des personnes qui ne travaillent pas pour la fonction publique, telles les personnes qui travaillent pour des entrepreneurs.

23 M. Dupuis a ajouté que les fonctionnaires ne sont pas tenus de prodiguer des premiers soins aux membres du public. Si une personne se blesse, les fonctionnaires peuvent lui porter secours, comme tout bon citoyen, mais ils ne sont pas tenus de le faire par l’employeur. Par exemple, dans le cas décrit par M. Dubé, si ce dernier n’avait pas porté secours à l’étudiante qui avait le pied coincé entre des pierres, le ministère n’aurait pas pu prendre de mesure disciplinaire contre lui. M. Dupuis a ajouté qu’il n’aurait jamais été mis au courant d’un tel incident, puisque que M. Dubé n’était pas tenu de porter secours au grand public. M. Dupuis n’a jamais eu vent de l’accident que M. Dubé a décrit. M. Dubé se trouvait sous l’autorité de M. Dupuis à l’époque de l’accident.

24 M. Dupuis a déclaré que, lorsqu’un employé se blesse, un rapport d’incident est dressé. À sa connaissance, il n’y a jamais eu d’incident en région. M. Dupuis n’a vu qu’un seul rapport d’incident, et ce rapport portait sur un incident survenu au bureau régional de Montréal.

25 M. Dupuis a témoigné que trois employés du ministère ont droit à l’indemnité de premiers soins. Il s’agit de M. Turgeon, de M. Patry et de M. Tremblay. Ces employés travaillent à Cap Tourmente. Ce lieu touristique accueille de 50 000 à 60 000 visiteurs par année. Vu cet achalandage, il y a un risque que des touristes se blessent. Les descriptions de tâches de ces trois employés indiquent clairement qu’ils doivent porter secours au grand public (pièces E-1A, E-1B, E-1C).

26 M. Dupuis a participé à la rédaction de la description de tâches des fonctionnaires, dont celle de M. Dubé. M. Dupuis faisait partie du comité de révision des descriptions de tâches. La description de tâches des fonctionnaires avait été révisée dans la foulée de la mise en œuvre de la Norme générale de classification. Les nouvelles descriptions de tâches avaient souvent de 35 à 50 pages. Le comité de révision a indiqué noir sur blanc dans la description de tâches les moindres tâches accomplies par les fonctionnaires. Si une tâche n’y est pas indiquée de façon explicite, c’est que le titulaire du poste n’accomplit pas cette tâche.

27 En contre-interrogatoire, M. Dupuis a déclaré que les personnes qui travaillent pour Nav Canada et pour l’ARK sont des « gens du public ».

28 La représentante des fonctionnaires a demandé à M. Dupuis si les conditions d’emploi du Conseil du Trésor (pièce F-6) s’appliquaient aux employés de Nav Canada et de l’ARK. M. Dupuis a répondu que ces conditions d’emploi ne s’appliquaient pas à ces personnes puisqu’il n’y avait aucune relation employeur-employé entre le Conseil du Trésor et les employés de ces organismes.

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour les fonctionnaires

29 Les fonctionnaires soutiennent qu’ils ont droit à l’indemnité prévue en vertu de la directive sur l’indemnité de premiers soins parce qu’ils satisfont aux conditions prévues dans cette directive. L’article 5.1 de cette directive prévoit que, pour recevoir cette indemnité, les employés doivent satisfaire à quatre conditions (pièce F-1) :

[…]

  1. être des employés de la fonction publique selon les termes de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique;
  2. être formellement tenus par le ministère de dispenser sur une base régulière, et en plus de leurs fonctions normales, les premiers soins au grand public;
  3. être employés dans une région isolée et éloignée où les installations médicales d’urgence ne sont pas aisément disponibles dans la zone immédiate (dans un rayon de 10 kilomètres); et
  4. être tenus par le ministère et au [sic]frais du ministère, de suivre une formation en premiers soins afin d’obtenir le Certificat de l’Ambulance St-Jean et conserver ce niveau de compétence en premiers soins.

[…]

30 Les fonctionnaires soutiennent qu’ils satisfont à ces quatre critères. L’employeur n’a pas contesté que les fonctionnaires satisfont aux premier, troisième et quatrième critères. Pour ce qui est du deuxième critère, les fonctionnaires soutiennent qu’ils ont implicitement l’obligation de porter secours aux gens du public puisqu’ils sont tenus de suivre une formation pour prodiguer des premiers soins, tel que l’indique la description de tâches de M. Dubé (pièce F-4, page 10) :

[…]

Des connaissances des techniques de premiers soins et de réanimation et des connaissances des procédures de sécurité spécialisées, ex. techniques de survie, ascension des tours, évacuation d’urgence des avions, requises pour assurer sa propre sécurité et celle de ses compagnons de travail.

[…]

[Sic pour l’ensemble de la citation]

31 La description de tâches de M. Dubé reconnaît qu’il effectue un travail risqué et prévoit qu’il doit prodiguer des premiers soins lorsqu’un accident se produit (pièce F-4, page 5) :

[…]

Œuvrer dans des équipes de deux personnes (système de compagnonnage) lorsque le travail le requiert. Certaines tâches telles que le travail en milieu isolé, sur des instruments installés sur des tours ou d’autres structures en hauteur ou présentant des risques plus élevés (électrolyseurs) nécessitent des équipes. Il est obligatoire de prodiguer les premiers soins d’urgence et les techniques de réanimation lorsque des accidents se produisent particulièrement lorsque le travail est accompli en région éloignée. […]

Administrer les premiers soins aux collègues et camarades en cas de situations d’urgence qui peuvent survenir au bureau ou sur le terrain. Ces situations d’urgence sont rares.

[…]

32 Les risques auxquels s’exposent les fonctionnaires sont aussi signalés aux pages 32 et 33 de la description de tâches de M. Dubé (pièce F-4) :

[…]

Il y a des risques d’accidents pouvant causer des blessures sérieuses et même la mort lors de l’exécution de travaux d’installation sur des chantiers de construction. […]

[…]

Il y a des risques de blessures sérieuses ou de mortalité par électrocution lors d’exposition à des systèmes de haute tension (supérieur [sic] à 400 volts) si les procédures appropriées ne sont pas suivies adéquatement […]

L’emplacement de certaines stations ou de systèmes d’instruments (quais, toits d’édifice, structures métalliques, etc.) ou l’ascension de tours d’anémomètres de 10 à 13 mètres exposent les spécialistes à des risques de noyade ou de blessures sérieuses en cas de chutes. Les risques sont élevés pour de courtes périodes de temps.

[…]

33 Les fonctionnaires soutiennent qu’il est erroné de croire que le ministère ne pourrait prendre des mesures disciplinaires contre les fonctionnaires s’ils ne prodiguaient pas des soins au grand public. Si un employé manque de jugement en refusant de porter secours à une personne, le ministère peut prendre des sanctions contre lui.

34 Les fonctionnaires soutiennent aussi qu’ils sont tenus de prodiguer des soins au « grand public », parce qu’ils sont tenus de prodiguer des soins aux employés de Nav Canada et des autres organismes avec lesquels ils font affaires dans les stations météorologiques, ainsi qu’aux personnes-ressources qu’ils on recrutées dans les régions. Ces personnes font partie du « grand public », parce qu’elles ne font pas partie de la « fonction publique », tel que ce terme est défini au paragraphe 2(1) de l’ancienne LRTFP, et parce qu’elles ne sont pas soumises aux conditions d’emploi du Conseil du Trésor (pièce F-6).

35 Les fonctionnaires ont signalé que M. Dupuis a admis dans son témoignage que les employés de Nav Canada et des autres organismes qui administrent les stations météorologiques étaient des « gens du public ».

36 Les fonctionnaires demandent donc que l’employeur leur verse l’indemnité pour prodiguer des premiers soins, et ce, rétroactivement.

B. Pour l’employeur

37 L’employeur soutient que les fonctionnaires n’ont pas droit à l’indemnité prévue en vertu de la directive sur l’indemnité de premiers soins parce qu’ils ne satisfont pas au deuxième critère prévu par cette directive, et ce, à deux égards. Premièrement, ils ne prodiguent pas des soins au « grand public ». Deuxièmement, ils ne sont pas tenus par l’employeur de prodiguer de tels soins.

38 Les employés des organismes avec lesquels les fonctionnaires travaillent ne font pas partie du « grand public » au sens où le prévoit la directive sur l’indemnité de premiers soins. Selon Le Nouveau Petit Robert, l’expression « grand public » signifie « […] l’essentiel, la majeure partie du public […] » (pièce E-2A). Black’s Law Dictionary, Fifth Edition (pièce E-2B), indique que le terme anglais « public » désigne les habitants d’un État, d’un pays ou d’une communauté, ou l’ensemble d’une communauté. Le « grand public » englobe un concept large qui signifie monsieur et madame tout le monde. Les employés des entrepreneurs et les personnes-ressources avec lesquels les fonctionnaires travaillent dans les stations météorologiques ne sont pas monsieur et madame tout le monde.

39 Selon l’employeur, les fonctionnaires n’ont pas établi que l’employeur leur a demandé de prodiguer des premiers soins au grand public. Les fonctionnaires doivent prodiguer des soins à leurs collègues, parce qu’ils doivent se rendre avec d’autres employés du ministère à des endroits isolés où les établissements médicaux ne sont pas accessibles. C’est pour cette raison qu’ils doivent suivre une formation en premiers soins. Mais l’employeur ne leur a jamais demandé de prodiguer des soins à des personnes autres que les employés du ministère. M. Dubé a même admis dans son témoignage que M. Dupuis ne lui avait jamais demandé de prodiguer des soins au grand public.

40 L’employeur a fait valoir que s’il avait voulu que les fonctionnaires prodiguent des premiers soins au grand public, il l’aurait indiqué dans leurs descriptions de tâches, comme il l’a fait dans les descriptions de tâches de M. Turgeon (pièce E-1A), de M. Patry (pièce E-1B) et de M. Tremblay (pièce E-1C). Si l’employeur n’a pas imposé une telle obligation dans la description de tâches des fonctionnaires, c’est qu’il ne voulait tout simplement pas exiger qu’ils prodiguent des premiers soins au grand public.

41 L’employeur soutient donc qu’il avait raison de refuser de verser aux fonctionnaires l’indemnité pour prodiguer des premiers soins.

IV. Motifs

42 Les fonctionnaires ont chacun renvoyé à l’arbitrage un grief en vertu de l’alinéa 92(1)a) de l’ancienne LRTFP,qui se lit comme suit :

92. (1) Après l'avoir porté jusqu'au dernier palier de la procédure applicable sans avoir obtenu satisfaction, un fonctionnaire peut renvoyer à l'arbitrage tout grief portant sur :

a) l'interprétation ou l'application, à son endroit, d'une disposition d'une convention collective ou d'une décision arbitrale;

43 Le présent litige porte sur le refus de l’employeur de verser aux fonctionnaires l’indemnité prévue en vertu de la directive sur l’indemnité de premiers soins. Cette directive prévoit que l’employeur doit verser une indemnité aux employés qui sont formellement tenus de prodiguer des soins au grand public. L’employeur soutient que les fonctionnaires ne sont pas tenus de prodiguer des soins au grand public. Les fonctionnaires, pour leur part, soutiennent qu’ils sont implicitement tenus de prodiguer des soins au grand public. Ils font également valoir qu’ils sont tenus de prodiguer des premiers soins au grand public, puisqu’ils doivent prodiguer des premiers soins à des personnes qui travaillent pour des organismes qui ne font pas partie de la fonction publique.

44 Dans un grief portant sur l’interprétation de la convention collective, ou comme dans les présents griefs, d’un document incorporé à la convention collective, ce sont les fonctionnaires qui ont le fardeau de la preuve. Ils doivent prouver selon la prépondérance de la preuve qu’ils ont droit à cette indemnité de premiers soins.

45 Mon rôle, en tant qu’arbitre de grief, est d’interpréter les dispositions de la directive sur l’indemnité de premiers soins qui fixe les conditions pour recevoir cette indemnité. Je dois donner aux termes clairs leur sens ordinaire. Lorsque les termes de la directive ne sont pas clairs, je dois rechercher l’intention des auteurs de cette directive en analysant son contexte.

46 La clause 5.1 de la directive sur l’indemnité de premiers soins pose quatre conditions pour recevoir cette indemnité. L’employeur ne conteste pas que les fonctionnaires satisfont à trois de ces conditions, mais il soutient qu’ils ne satisfont pas à la condition suivante (pièce F-1, page 2) :

[…]

2.   être formellement tenus par le ministère de dispenser sur une base régulière, et en plus de leurs fonctions normales, les premiers soins au grand public;

[…]

47 À mon avis, les fonctionnaires ne sont pas tenus de prodiguer des soins au « grand public ». Selon Le Nouveau Petit Robert, l’expression « grand public » désigne « […] l’essentiel, la majeure partie du public […] ». C’est une expression qui désigne la population en général. L’obligation des fonctionnaires de prodiguer des soins est beaucoup plus restreinte et beaucoup plus ciblée, comme le démontre les extraits suivants de la description de tâches de M. Dubé (pièce F-4, page 5) :

[…]

Œuvrer dans des équipes de deux personnes (système de compagnonnage) lorsque le travail le requiert. Certaines tâches telles que le travail en milieu isolé, sur des instruments installés sur des tours ou d’autres structures en hauteur ou présentant des risques plus élevés (électrolyseurs) nécessitent des équipes. Il est obligatoire de prodiguer les premiers soins d’urgence et les techniques de réanimation lorsque des accidents se produisent particulièrement lorsque le travail est accompli en région éloignée. Également, on doit obligatoirement être prêt à secourir ses compagnons de travail qui pourraient être en position fâcheuse ou blessés lors de travaux exécutés dans des mâts de navires, des tours d’anémomètres ou autres structures. […]

Administrer les premiers soins aux collègues et camarades en cas de situations d’urgence qui peuvent survenir au bureau ou sur le terrain. Ces situations d’urgence sont rares.

[…]

[Je souligne]

48 Les parties ont convenu que le libellé de la description de tâches de M. Dubé est le même que celui des descriptions de tâches des autres fonctionnaires. Ces extraits indiquent que les fonctionnaires doivent prodiguer des premiers soins à leurs « compagnons de travail », « collègues » et « camarades » si un accident survient. À mon avis, ces termes désignent les personnes avec qui les fonctionnaires effectuent un travail. Le terme « compagnon de travail » renvoie expressément à la notion de « travail ». Le Nouveau Petit Robert décrit « collègue » ainsi : « […] [p]ersonne qui exerce la même fonction qu’une ou plusieurs autres, appartenant ou non à la même administration, à la même entreprise […] ». Le même dictionnaire définit « camarade » comme étant une personne qui partage les mêmes activités qu’une autre. Les fonctionnaires doivent donc prodiguer des soins aux personnes avec qui ils doivent effectuer des tâches liées à leur travail.

49 Prodiguer des soins aux personnes avec qui on travaille, ce n’est pas la même chose que prodiguer des soins au « grand public »; il n’y a pas adéquation entre ces deux notions. L’expression « grand public » que l’on retrouve dans la directive sur l’indemnité de premiers soins englobe beaucoup plus de personnes que les termes « compagnons de travail », « collègues » et « camarades » que l’on retrouve dans la description de tâches des fonctionnaires. Le « grand public », c’est la population en général, comme le fait valoir la version anglaise de la directive, qui utilise l’expression « general public », alors que les « compagnons de travail », « collègues » et « camarades» ne représentent qu’une partie de cette population. L’ampleur de l’obligation dans les deux cas n’est pas la même.

50 À mon avis, si l’employeur avait voulu que les fonctionnaires prodiguent des soins au grand public, il l’aurait indiqué dans leurs descriptions de tâches, comme il l’a fait dans les descriptions de tâches de M. Turgeon, de M. Patry et de M. Tremblay (pièces E-1A, E-1B et E-1C). La description de tâches de M. Turgeon, par exemple, indique clairement que ce dernier est tenu de prodiguer des soins au grand public (pièce E-1A, pages 4 et 5) :

[…]

Assurer la santé et la sécurité du personnel, des chasseurs et du public en général sur le territoire de la Réserve nationale de faune de Cap Tourmente (environ 55 000 personnes / année)

Être en mesure d’intervenir auprès d’un employé ou employée, d’un visiteur ou visiteuse victime d’un accident, d’un malaise ou en détresse en appliquant les premiers soins.

[…]

Veiller à la santé et à la sécurité du personnel et du grand public en maintenant un environnement de travail et de visites sécuritaire.

[…]

[Je souligne]

51 L’employeur a précisé cette obligation dans les descriptions de tâches de M. Turgeon, de M. Patry et de M. Tremblay parce que ces trois employés peuvent être appelés à secourir des personnes du grand public à cause de la nature du site où ils travaillent, un lieu touristique qui accueille des milliers de visiteurs chaque année. Pour ce qui est des fonctionnaires, ils ne font pas affaire avec le public en général.

52 Les fonctionnaires soutiennent que les « compagnons de travail », « collègues » et « camarades», à qui ils doivent prodiguer des soins selon leur description de tâches, tels les employés de Nav Canada, font partie du grand public puisqu’ils ne font pas partie de la « fonction publique » au sens que lui donne le paragraphe 2(1) de l’ancienne LRTFP. Ce paragraphe énumère les organismes qui font partie de la fonction publique et les organismes susmentionnés ne sont pas visés par ce paragraphe. Il est vrai que les employés de ces organismes ne font pas partie de la « fonction publique », mais, comme je l’ai mentionné ci-dessus, pour avoir droit à l’indemnité de premiers soins, l’obligation de prodiguer des premiers soins doit porter sur la population en général, non pas sur une partie restreinte de cette population, tels les collègues de travail.

53 Les fonctionnaires soutiennent qu’ils sont « implicitement » tenus de prodiguer des soins au grand public. Ils invoquent le fait qu’ils doivent suivre une formation en premiers soins. À mon avis, il n’y a pas de preuve qu’ils soient implicitement tenus de prodiguer des soins au grand public. Les fonctionnaires doivent suivre une formation en premiers soins parce qu’ils sont tenus de prodiguer ces premiers soins à leurs collègues.

54 M. Dubé à témoigné qu’il avait porté secours à une étudiante qui s’était coincé le pied entre des pierres. Cette étudiante fait évidemment partie du « grand public ». Ce qu’a fait M. Dubé est louable, mais cela n’était pas une exigence d’emploi, et pour avoir droit à l’indemnité prévue en vertu de la directive sur l’indemnité de premiers soins, un employé doit être tenu par l’employeur de prodiguer ces soins.

55 Donc, en résumé, les fonctionnaires n’ont pas droit à l’indemnité prévue en vertu de la directive sur l’indemnité de premiers soins, parce qu’ils ne sont pas tenus par l’employeur de prodiguer de tels soins au grand public, contrairement à ce qu’exige cette directive.

56 Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

V. Ordonnance

57 Les griefs sont rejetés.

Le 5 mai 2009.

John A. Mooney,
arbitre de grief

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