Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

L’organisation syndicale n’avait pas informé le plaignant de la procédure qui serait suivie pour traiter la plainte présentée contre lui - la charte de l’organisation syndicale prévoyait cependant que le plaignant avait le droit d’être entendu avant qu’une mesure disciplinaire lui soit imposée, ce qui n’a pas été fait - après enquête, le plaignant a été suspendu de ses fonctions syndicales pour deux ans - la suspension était plus sévère que ce que prévoyait la charte de l’organisation syndicale - la Commission a conclu que l’organisation syndicale avait imposé au plaignant une mesure disciplinaire de façon discriminatoire parce que les principes énoncés dans la charte de l’organisation n’ont pas été respectés - la Commission a annulé la suspension et réintégré le plaignant dans ses fonctions syndicales comme s’il n’avait pas été suspendu, et ce, sans perte financière. Plainte accueillie en partie.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2009-05-07
  • Dossier:  561-34-153
  • Référence:  2009 CRTFP 58

Devant la Commission des relations
de travail dans la fonction publique


ENTRE

GUY VEILLETTE

plaignant

et

INSTITUT PROFESSIONNEL DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA

défendeur

Répertorié
Veillette c. Institut professionnel de la fonction publique du Canada

Affaire concernant une plainte visée à l'article 190 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Michele A. Pineau, vice-présidente

Pour le plaignant:
Louis Gélinas, avocat

Pour le défendeur:
Sean T. McGee, avocat

Affaire entendue à Montréal, Québec,
du 21 au 24 avril et le 14 juillet 2008

I. Plainte devant la Commission

1 Le plaignant, Guy Veillette, est un fonctionnaire fédéral à l’Agence du revenu du Canada depuis 1991 et un délégué syndical de l’Institut professionnel de la fonction publique du Canada (l’« Institut ») depuis 1999.

2 À la suite d’un processus disciplinaire de l’Institut, M. Veillette est suspendu de ses fonctions syndicales pour une période de deux ans. Le 23 mars 2007, M. Veillette adresse une plainte à la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la « Commission »), alléguant que l’Institut, son conseil d’administration et deux de ses plus hauts dirigeants ont contrevenu à l’alinéa 188c) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (la LRTFP) en appliquant d’une manière discriminatoire ses normes de discipline. M. Veillette allègue que le rapport d’enquête qui a mené à la suspension de ses fonctions syndicales était vicié, qu’il n’a pas eu la possibilité d’être entendu et d’en contester les conclusions et que la décision de l’Institut n’a pas été impartiale.

3 Comme mesure de réparation, M. Veillette recherche ce qui suit :

  1. annulation immédiate de la mesure disciplinaire; réintégration de son statut de délégué syndical et des fonctions syndicales qu’il occupait au moment de la suspension, soit celles de président du sous-groupe VSF de Montréal, de membre de l’exécutif du chapitre Montréal Centre, de trésorier de l’exécutif de la région du Québec, de membre du conseil régional du Québec et de membre du Comité des finances;
  2. remboursement des frais encourus;
  3. compensation financière;
  4. création par l’Institut d’un système apolitique indépendant pour traiter les plaintes qui respecte les principes d’équité procédurale.

II. Résumé de la preuve

4 Le 8 septembre 2006, le Conseil des délégués de la région du Québec de l’Institut tient une rencontre à l’hôtel Château Bromont. En soirée, après le banquet, les invités se rendent au bar de l’hôtel. En se dirigeant au bar, il y a une bousculade entre Réal Lamarche et M. Veillette (ci-après l’« incident »). M. Lamarche a le collet de chemise déchiré. Après l’incident et dans les jours qui suivent, M. Lamarche ressent des douleurs aux côtes. Le 13 septembre 2006, M. Lamarche éternue et ressent une douleur intense aux côtes. Le 14 septembre 2006, il reçoit le diagnostic d’une côte fracturée. Le médecin traitant explique à M. Lamarche qu’il n’est pas rare qu’une côte soit fêlée à la suite d’un choc, et qu’elle se fracture après un éternuement quelques jours plus tard.

5 Le 26 septembre 2006, M. Lamarche adresse une plainte à la présidente de l’Institut, feue Michèle Demers, concernant l’incident. La plainte se lit comme suit :

Michèle,

Tu trouveras en pièce attachée le détail d’un évènement survenu le 8 septembre 2006 à Bromont dans le cadre du Conseil des Délégués du Québec mettant en cause Guy Veillette et moi-même.

Je considère que le geste posé n’avait aucun motif personnel et me visait à titre de représentant syndical; je trouve ceci inacceptable et je te demande de traiter ceci comme une plainte formelle à l’encontre de Guy Veillette.

Je te demande de prendre toutes actions que tu jugeras nécessaire à l’effet que ce geste soit puni.

[Sic pour l’ensemble de la citation]

Comme toile de fond à cette affaire, il y a lieu de souligner le conflit qui est à l’origine de l’incident.

6 En 2005, Hélène Rogers est la représentante du Québec au sein de l’exécutif national de l’Institut. À ce titre, elle représente 11 sous-groupes d’employés au Québec. M. Lamarche est le président national sortant du sous-groupe VSF (env. 11 000 employés) classés dans les rangs AU, CS et MG au sein de l’Agence du revenu du Canada. M. Veillette est le président du sous-groupe VSF pour la région de Montréal et Mme Rogers fait aussi partie de cet exécutif depuis deux ans. Depuis 15 mois perdure un conflit entre Mme Rogers et M. Veillette. Ce dernier passerait outre Mme Rogers pour traiter des dossiers qui ont un impact national.

7 La goutte qui a fait déborder le vase est l’appui de Mme Rogers, à titre de représentante régionale, de candidats, pour des postes nationaux de l’Institut, avec lesquels l’exécutif du sous-groupe VSF pour la région de Montréal est en désaccord. Le 5 décembre 2005, l’exécutif du sous-groupe de Montréal, lors d’une réunion à laquelle Mme Rogers est absente, vote une motion de blâme et de censure contre elle et demande sa démission. Le 27 janvier 2006, Mme Rogers, avec l’appui de M. Lamarche, dépose une plainte auprès de la présidente de l’Institut pour décrier cette sanction, demandant que le statut de M. Veillette comme délégué syndical du sous-groupe VFS soit révoqué. Le 8 août 2006, Mme Rogers remet sa démission en tant que membre de l’exécutif du sous-groupe VSF de la région de Montréal. Dans une lettre du 10 août 2006, la présidente de l’Institut informe Mme Rogers qu’aucune suite ne sera donnée à sa plainte.

8 L’incident est l’aboutissement d’une altercation entre M. Lamarche et M. Veillette concernant le dépôt de la plainte de Mme Rogers. Après le dépôt de la plainte de M. Lamarche, le torchon entre M. Veillette, Mme Rogers et M. Lamarche continue à brûler à la suite de l’envoi par M. Lamarche d’un courriel non sollicité à une soixantaine de délégués syndicaux du sous-groupe VSF pendant la période des élections syndicales, dans lequel il expose sa version des faits entourant l’incident et fait porter le blâme de cet incident à M. Veillette. Malgré la demande du conseil d’administration de l’Institut, M. Lamarche refuse de se rétracter.

9 Le 10 octobre 2006, Pierre Delage, un ancien conseiller juridique de l’Institut, est nommé par le comité exécutif de l’Institut pour faire enquête sur la plainte de M. Lamarche conformément à la politique interne de l’Institut : « Section 11 – Règlement des différends – Partie B – Plainte par un membre de l’Institut contre un autre membre élu ou nommé à un poste » (ci-après la « politique »). M. Delage recueille des témoignages les 25 et 26 octobre 2006. Le 23 novembre 2006, M. Delage transmet à MM. Lamarche et Veillette son rapport des témoignages recueillis, sans ses conclusions, et sollicite leurs commentaires dans les sept jours suivant la réception du rapport. M. Lamarche transmet ses commentaires le 3 janvier 2007 et demande d’être entendu. Ses commentaires ne sont pas incorporés au rapport parce qu’à cette date, le rapport est maintenant « final » et a déjà été étudié par le comité exécutif. M. Veillette transmet ses commentaires dans le délai imparti. M. Delage en tient compte dans son rapport mais les rejette tous en donnant des motifs détaillés. Essentiellement, M. Delage conclut que la version de l’incident mise de l’avant par M. Lamarche, appuyée d’un témoin, Luc Carrière, est plus crédible que celle de M. Veillette, appuyée d’un autre témoin, Patrick Sioui. M. Delage conclut que le geste de M. Veillette est passible d’une sanction « […] qui signalera aux autres délégués que ce genre de comportement est inacceptable […] ». M. Delage signe et transmet son rapport d’enquête au comité exécutif le 6 décembre 2006.

10 Le menu détail du rapport d’enquête n’est pas pertinent à ma décision, sauf les conclusions suivantes du rapport, qui ont eu une conséquence disciplinaire pour M. Veillette :

[…]

Conclusions

Le moins que l’on puisse dire, c’est que les versions de deux parties sont sensiblement différentes.

D’après M. Veillette, l’incident n’était certes pas aussi sérieux que le prétend M. Lamarche. Qui plus est, M. Veillette avait bien raison de vouloir discuter de la plainte que Mme Rogers avait faite contre lui, plainte à laquelle M. Lamarche s’était joint comme partie. Selon M. Veillette, en agissant ainsi M. Lamarche s’était mis en position de conflit d’intérêts, ce qui était tout à fait inacceptable. Donc son intervention à l’égard de M. Lamarche était tout à fait légitime.

Dans sa version des faits, M. Lamarche indique qu’il ne voulait pas parler à M. Veillette et il est clair, d’après son témoignage, qu’il offrit à M. Veillette une claire fin de non-recevoir.

Dans la nature humaine, le refus de parler à quelqu’un qui s’adresse à vous, ou le renvoi sommaire de cet intervenant, attire, plus souvent qu’autrement, une réaction négative. Monsieur Veillette fut éconduit et il n’était pas très heureux de ce résultat.

[…]

En somme, les versions de M. Lamarche et Carrière appuient bien le résultat de la fêlure, et de la fracture qui s’ensuivit quelques jours plus tard. En cela, les rapports des médecins traitants, non infirmés en leur teneur, par le spécialiste que le soussigné a consulté, mènent à la conclusion inéluctable que M. Lamarche a subit un traumatisme tel, au niveau des côtes, qu’il en résulta une fracture. Et ce traumatisme a été causé par le fait de M. Veillette, lors d’un incident assez physique et violent dans le passage menant au salon bar le l’Hôtel Château Bromont, le soir du 8 septembre 2006 après le dîner (souper), le tout dans le cadre de la réunion Conseil régionale de la région du Québec de l’Institut.

Monsieur Veillette n’a pas su contrôler ses émotions au moment où il reçut la fin de non-recevoir de la part de M. Lamarche. Il s’est emporté. Et, sans être un colosse, il est clair que M. Veillette avait physiquement le dessus sur M. Lamarche. Et il n’a sûrement eu aucune difficulté à manœuvrer M. Lamarche vers le muret.

Le soussigné ne peut s’empêcher de conclure que M. Veillette vivait des moments de frustration depuis son accession au poste de président du Sous-groupe de Montréal. Il se voyait dans les souliers de son prédécesseur M. Bouthillette, qui avait occupé le poste pour de nombreuses années et qui « était assis partout », pour employer les termes de M. Veillette. Ce dernier arrive donc en poste, et, selon ses dires, non seulement aurait-il vécu des frustrations avec Mme Rogers, mais, semble-t-il, on n’a pas reconnu l’ascendance qu’il croyait avoir à titre de Président de plus important Sous-groupe du Québec.

Mais la frustration n’est pas un motif pour agir comme l’a fait. Si, le soir du 8 septembre 2006, M. Lamarche n’avait pas le goût de discuter de la plainte de Mme Rogers, il était dans son droit d’en décider ainsi. Cela dit, l’indifférence insulte; la diplomatie, par ailleurs, calme le jeu.

Quoiqu’il en soit, devant cette fin de non-recevoir, M. Veillette aurait dû se contenir. Il a choisit de faire autrement. Il a mal agi. Il a réagi avec de la force physique. Or, dans un débat, la force physique est non seulement l’arme du faible, mais elle est condamnable au plus haut point.

Et, d’avoir agi comme il l’a fait, M. Veillette a jeté un sérieux discrédit sur ses compétences de leader, et de représentant des membres de son syndicat. Un délégué syndical responsable n’agit pas de cette façon. Je ne dis pas que M. Veillette ne sera jamais un bon leader syndical. S’il apprend à contenir et à maîtriser ses émotions, il se peut fort bien qu’il devienne des plus habiles à réassumer ce genre de fonctions. Mais, pour le moment, son geste appelle une sanction qui signalera aux autres délégués que ce genre de comportement est inacceptable.

[…]

[Sic pour l’ensemble de la citation]

11 Le 20 décembre 2006, le comité exécutif, composé de cinq membres élus (la présidente de l’Institut, deux vice-présidents à temps plein et deux vice-présidents à temps partiel) prend connaissance du rapport de M. Delage. Le contenu du rapport et ses conclusions sont adoptés par une majorité (3 contre 2). Le comité exécutif recommande une sanction disciplinaire, soit la suspension du statut de délégué et des fonctions syndicales pour une période de deux ans dans le cas de M. Veillette, et d’un an dans le cas de M. Lamarche. Le 21 décembre 2006, Mme Demers tient une téléconférence avec M. Veillette et M. Lamarche et leur offre la possibilité de résoudre leur différend par une méthode informelle de résolutions de conflits. M. Veillette accepte, mais M. Lamarche refuse cette approche. Par conséquent, la recommandation disciplinaire du comité exécutif est transmise au conseil d’administration.

12 Le 11 janvier 2007, le conseil d’administration (composé de 15 membres, y compris ceux du conseil exécutif), après un débat et un vote secret, impose une mesure disciplinaire de deux ans à M. Veillette, mais rejette la sanction concernant M. Lamarche. En raison de la mesure disciplinaire, M. Veillette est non seulement suspendu de ses responsabilités syndicales, mais il devient aussi inapte à être nommé à un poste au comité des finances, un poste qu’il convoitait.

13 Le 11 janvier 2007, Mme Rogers fait partie du conseil d’administration qui a décidé de la sanction disciplinaire de M. Veillette. Selon le témoignage de Mme Demers, Mme Rogers n’a pas pris part aux discussions, mais a pris part au vote secret qui a décidé de la mesure disciplinaire de M. Veillette et du rejet de la sanction de M. Lamarche.

14 En outre, la campagne électorale de l’Institut à cette époque a eu un rôle dans cette affaire. À l’automne 2006, Mme Demers est réélue à la présidence de l’Institut. Mme Rogers est nouvellement élue vice-présidente à temps plein, ce qui fait en sorte qu’elle siège au conseil d’administration à compter du 1er janvier 2007. Mmes Rogers et Demers entretiennent une relation privilégiée. La campagne électorale de Mme Rogers a été appuyée par M. Lamarche et une collègue syndicale, Anne Hébert. Mmes Rogers et Hébert ont aidé M. Lamarche à rédiger sa plainte contre M. Veillette. Selon les courriels déposés en preuve, Mme Rogers aurait incité Suzanne Pelletier à porter plainte contre M. Veillette et aidé M. Carrière à « mieux se souvenir » de l’incident afin d’appuyer la version de M. Lamarche. Du reste, l’exécutif du sous-groupe VSF de Montréal a appuyé la candidature de Yvon Brodeur comme vice-président, plutôt que celle de Mme Rogers, et la candidature de Gaston Lampron comme président, plutôt que celle de Mme Demers.

15 De tous les témoignages, celui de Mme Demers fait ressortir certains éléments-clés au dénouement de cette affaire. L’Institut est un organisme électif. Les délégués syndicaux ont nécessairement des allégeances entre eux, sans que ce soit pour autant contraire aux règlements de l’Institut ou à l’esprit du mouvement syndical. Il est tout à fait normal que les délégués syndicaux s’aident entre eux, que ce soit pour les élections ou le traitement des dossiers et des plaintes. Les représentants élus participent aux activités des comités et sont amenés à donner leur opinion. En ne participant pas aux discussions concernant la sanction de M. Veillette, Mme Demers est d’avis que Mme Rogers a fait preuve de retenue; toutefois, en raison de ses nouvelles fonctions, Mme Rogers n’avait pas à s’abstenir du vote secret.

16 Mme Demers n’a aucun souvenir d’un courriel que M. Veillette lui aurait envoyé le 7 janvier 2007, dans lequel il demande d’être entendu par le conseil d’administration sur sa version de l’incident. Mme Demers souligne qu’elle reçoit un nombre important de courriels tous les jours et qu’il est impossible d’en prendre connaissance intégrale ou de répondre immédiatement à tous. Elle n’a donc pas fait mention de ce courriel au conseil d’administration lors des discussions et du vote secret le 11 janvier 2007. Par contre, elle estime que M. Veillette a eu l’occasion de se faire entendre par M. Delage, tout comme les autres témoins de l’incident. Mme Demers croit que le rapport d’enquête, même s’il n’était pas parfait, contenait toute l’information nécessaire pour prendre une décision éclairée. Elle dit avoir reproché à M. Lamarche le courriel qu’il a envoyé à tous les délégués du Québec concernant l’incident, mais qu’elle n’a pas ressenti le besoin de faire un suivi auprès de lui.

17 Mme Demers témoigne que le processus d’enquête de la plainte de M. Lamarche et la décision du conseil d’administration de sanctionner M. Veillette ont respecté l’esprit et la lettre de la politique. Ce processus n’exige pas qu’un membre soit entendu, en autant qu’une personne neutre ait fait enquête. Mme Demers dit avoir jugé de la qualité de l’ensemble du rapport de M. Delage, compte tenu de son expérience, et ne pas s’être attardée aux témoignages individuels.

18 Les Statuts et règlements de l’Institut (ci-après les « Statuts ») sont votés par les membres de l’Institut en assemblée générale annuelle. Le Statut 24 existe depuis 1991 en raison de la mise en péril de l’Institut comme l’agent négociateur d’un des groupes qu’il représente par l’un de ses membres. Le Statut 24 n’a pas été utilisé depuis ce temps. Par contre, la politique a été approuvée par le conseil d’administration en 1994 et n’a jamais fait l’objet d’un vote de l’assemblée générale annuelle. La politique est une dérogation à l’audience disciplinaire prévue au Statut 24. Selon la politique, la décision du conseil d’administration quant aux sanctions disciplinaires à la suite d’une plainte jugée fondée est finale et sans appel. Mme Demers dit que M. Veillette n’a pas invoqué ses droits quant au Statut 24 avant la tenue de la présente audience. Par ailleurs, la politique a été appliquée à deux reprises auparavant dans le cas d’altercations physiques, et ces plaintes ont été réglées à l’amiable.

19 En réponse à mes questions, Mme Demers témoigne que les Statuts sont des documents publics et accessibles sur le site Internet de l’Institut, tel que le requiert la Loi sur les corporations canadiennes. Mme Demers est incertaine si la politique de l’Institut était disponible sur son site Internet au moment du traitement de la plainte de M. Lamarche. La version française et la version anglaise des Statuts sont toutes deux officielles. Les Statuts ne peuvent être modifiés que par l’assemblée générale annuelle, alors qu’une politique peut être modifiée par le conseil d’administration. Une fois approuvés par l’assemblée générale annuelle, les Statuts doivent être approuvés subséquemment par le ministre responsable, tel que le stipule la Loi sur les corporations canadiennes.

20 Selon Edward D. Gillis, secrétaire exécutif de l’Institut, le Statut 24 est utilisé uniquement pour sanctionner l’inconduite mettant en péril les intérêts de l’Institut comme agent négociateur ou sa réputation. Le Statut 24 ne sert pas à régler les conflits entre les membres de l’Institut. M. Gillis témoigne que les Statuts ne peuvent être votés que par l’assemblée générale annuelle. Le conseil d’administration peut interpréter les Statuts, mais ne peut les amender. Il existe un comité de pratique, dont le rôle est de s’assurer que les politiques de l’Institut ne vont pas à l’encontre de ses Statuts. Dans le cas de M. Veillette, le conseil d’administration n’a pas appliqué le Statut 24. M. Gillis justifie l’existence de la politique en raison des tendances actuelles en relations de travail visant à régler les conflits par voie de médiation, évitant ainsi les audiences disciplinaires.

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour l’Institut

21 L’Institut plaide que M. Veillette n’a pas fait la preuve qu’on a appliqué à son égard les normes de discipline de façon discriminatoire. L’alinéa 188c) de la LRTFP est une nouvelle disposition législative et elle doit être interprétée dans le contexte de l’ensemble des relations de travail dans la fonction publique. De plus, l’Institut plaide que la Commission doit faire preuve de retenue à l’égard des gestes posés par un syndicat à l’égard de ses membres, comme elle le fait à l’égard de l’interprétation de l’article 187 de la LRTFP concernant le devoir de représentation équitable de l’agent négociateur vis-à-vis ses membres. Ces dispositions doivent être interprétées de façon très restrictive car le syndicat doit être en mesure d’exercer un certain contrôle sur ses membres et gérer ses délégués sans qu’on fasse appel à la Commission pour scruter à la loupe tous ses faits et gestes.

22 Quand l’Institut reçoit la plainte de M. Lamarche, il avise les parties que la plainte suivra la démarche habituelle. La démarche habituelle, depuis 12 ans, est d’embaucher un enquêteur qui formule des recommandations, au lieu de tenir une audience disciplinaire. Il n’y a eu aucune objection à la nomination de M. Delage. M. Delage a procédé à l’enquête. M. Lamarche et M. Veillette ont eu l’occasion de fournir leurs commentaires. Ni l’un ni l’autre ne s’est plaint d’un manque à l’équité procédurale, à la justice naturelle ou à la forme de l’enquête. Le rapport d’enquête a maintenu la version de M. Lamarche et a conclu que M. Veillette était le responsable de l’incident. La responsabilité de M. Lamarche et de M. Veillette n’étant pas la même, il est tout à fait légitime que le conseil d’administration ait décidé d’une sanction pour M. Veillette, tout en rejetant toute sanction contre M. Lamarche. Il y a eu discussion, puis un vote secret. M. Veillette n’a pas fait la preuve que la sanction qui lui a été imposée dérogeait aux normes de l’Institut. M. Veillette a été informé des résultats de la décision du conseil d’administration par Mme Demers. Le fait que M. Delage ait conclu différemment pour chacun des membres n’est pas discriminatoire.

B. Pour M. Veillette

23 M. Veillette plaide que l’Institut, à tort, prend la position que son comité exécutif et son conseil d’administration sont souverains et que la Commission ne devrait pas examiner leurs décisions, alors que la nouvelle LRTFP a changé la donne en 2005. M. Veillette n’a jamais été informé de la procédure qui allait s’appliquer à l’enquête de la plainte de M. Lamarche; par conséquent, il n’a donc pas été en mesure de s’y objecter. Il n’a pris connaissance de la procédure qu’une fois la mesure disciplinaire décidée par le conseil d’administration. Comme membre du conseil d’administration au moment où la sanction a été imposée à M. Veillette, Mme Rogers était en conflit d’intérêts, puisqu’elle était à l’origine de l’incident. Qui plus est, elle a aidé M. Lamarche à formuler sa plainte contre M. Veillette et à étoffer le témoignage de M. Carrière dans sa version de l’incident. M. Veillette n’aurait jamais appris ce fait, n’eut été d’une divulgation subséquente de courriels par l’Agence du revenu du Canada en vertu d’une demande d’accès à l’information.

24 M. Lamarche a été traité différemment. Il a envoyé un courriel à tous les délégués pour la région du Québec concernant sa version des faits et n’a reçu aucune sanction pour cet agissement répréhensible. Par contre, la sanction disciplinaire de M. Veillette convenait à Mme Demers. Ainsi, elle n’a pas donné suite à la demande de M. Veillette de s’expliquer devant le conseil d’administration, à la mention par M. Veillette d’inexactitudes dans le rapport d’enquête, au témoignage écrit de M. Sioui ou à la participation de Mme Rogers à la rédaction de la plainte de M. Lamarche. Comme M. Veillette n’a pas été entendu, le conseil d’administration n’a pas su que des personnes qui n’étaient pas témoins de l’incident ont été interviewées, alors que certains témoins directs de l’incident n’ont pas été interviewés.

25 M. Veillette me demande de tirer une conclusion négative à l’égard du processus d’enquête et de la décision de le sanctionner, compte tenu du fait que M. Delage ne s’est pas présenté à l’audience, bien qu’il ait été assigné comme témoin par M. Veillette à deux reprises. Il a donc été impossible de l’interroger concernant les circonstances de l’enquête.

26 La sanction imposée à M. Veillette n’est pas banale; elle a causé du tord à sa réputation et à sa famille. Plusieurs personnes qui ont été appelées à décider de cette sanction y avaient un intérêt personnel. Si le conseil d’administration avait bien été informé et si le processus décisionnel avait été transparent, les arguments soulevés par M. Veillette auraient vraisemblablement mené à un complément d’enquête ou à une audience disciplinaire. M. Veillette a été privé de ce droit fondamental.

IV. Motifs

27 Les dispositions de la LRTFP qui s’appliquent à la présente affaire sont les suivantes :

[…]

          185. Dans la présente section, « pratiques déloyales » s’entend de tout ce qui est interdit par les paragraphes 186(1) et (2), les articles 187 et 188 et la paragraphe 189(1).

[…]

          188. Il est interdit à l’organisation syndicale, à ses dirigeants ou représentants ainsi qu’aux autres personnes agissant pour son compte :

[…]

c) de prendre des mesures disciplinaires contre un fonctionnaire ou de lui imposer une sanction quelconque en appliquant d’une manière discriminatoire les normes de discipline de l’organisation syndicale;

[…]

Ces dispositions sont de droit nouveau depuis le 1er avril 2005, à la suite de la réforme de la LRTFP.  Elles sont précises. La Commission peut revoir une mesure disciplinaire imposée à un membre d’un syndicat afin de décider si celle-ci est discriminatoire, ce qui, de toute évidence, comprend le processus décisionnel qui y a mené. En effet, le législateur fédéral impose aux syndicats un devoir de transparence, qu’il s’agisse du secteur public ou du secteur privé, car une disposition identique à l’alinéa 188c) de la LRTFP se retrouve à l’alinéa 95g) du Code canadien du travail. Le libellé de l’alinéa 188c) laisse entendre que le législateur en a laissé l’interprétation à la Commission, qui doit traiter chaque affaire comme un cas d’espèce.

28 Pour les raisons que j’explique plus loin, l’expression « d’une manière discriminatoire » au sens de l’alinéa 188c) de la LRTFP réfère, à mon avis, à la notion d’un processus décisionnel exempt de discrimination, un concept de la justice administrative.  C’est donc avec le plus grand respect que je dois distinguer mon analyse de celle dans l’affaire Shutiak et al. c. Syndicat des employé(e)s de l’impôt – Bannon, 2008 CRTFP 103, qui a jugé que le mot « discriminatoire » employé à l’alinéa 188c) renvoie aux motifs de distinction illicite qui sont énoncés dans la Loi canadienne sur les droits de la personne.

29 La sanction discriminatoire alléguée par M. Veillette résulte de l’application d’une politique interne de l’Institut, qui, de l’admission de Mme Demers et de M. Gillis, déroge de la procédure prévue au Statut 24.  Succinctement, le Statut 24 prévoit une audience disciplinaire, tandis que la politique qui a été appliquée en l’instance n’en prévoit pas.  Comme nous le verrons dans l’analyse qui suit, la tenue de l’audience disciplinaire prévue au Statut 24 a été conçue en regard des principes de justice administrative dits de « justice naturelle », dont l’objectif est précisément d’éviter qu’une décision soit discriminatoire.

30 En bref, les principes de justice naturelle comportent deux notions. La première est la notion de compétence, qui exige que l’autorité décisionnelle agisse dans le cadre de son texte habilitant, dans le cas présent, les Statuts de l’Institut. La deuxième notion est celle de l’équité procédurale. Cette deuxième notion veut que les procédures respectent l’exigence fondamentale du « droit d’être entendu. » Ainsi, la personne dont les intérêts sont menacés a le droit de participer à la procédure avant qu’une décision ne soit prise en ce qui la concerne, que ce soit par voie d’audience ou autrement.  L’équité procédurale n’est pas un concept rigide. Tout dépend de la nature du pouvoir exercé, des conséquences de la mesure envisagée ainsi que des conditions pratiques découlant d’une procédure plus longue. Plus la mesure est lourde de conséquences, plus une procédure qui ressemble au processus judiciaire sera justifiée.

31 Voyons plus précisément la pertinence de ces notions à la présente affaire.

32 Dans le cas de M. Veillette, c’est le conseil d’administration qui a agi comme l’autorité décisionnelle par rapport à la sanction qui lui a été imposée. Cette autorité décisionnelle est déléguée par les membres de l’Institut, qui ont, au moment de l’assemblée générale exprimé leur volonté aux représentants élus chargés d’exécuter leur volonté. En effet, le préambule des Statuts prévoient ce qui suit :

PRÉAMBULE

L’Institut est un organisme dûment constitué qui agit à titre d’agent négociateur d’employés professionnels. Le pouvoir suprême est détenu par l’ensemble des membres de l’Institut. Les représentants élus agissent selon la volonté exprimée par les membres lors des assemblées générales de l’Institut.

[…]

Le contrôle de l’Institut appartient aux membres qui le confient, par voie d’élections directes, au Président, au Comité exécutif et au Conseil d’administration; ces derniers assurent l’application des politiques et la gestion des opérations entre les assemblées générales de l’Institut.

[Je souligne]

33 Seule l’assemblée générale a le pouvoir d’adopter, d’abroger ou de modifier les Statuts, tel que prévu à l’article 13.7.1, bien que les changements n’entrent en vigueur qu’après l’approbation du ministre fédéral responsable :

13.7.1 Statuts

13.7.1.1 Seule l’assemblée générale peut adopter, abroger ou modifier les Statuts de l’Institut.

[…]

Date d’entrée en vigueur  Les Statuts et leurs modifications n’entrent en vigueur qu’une fois approuvés par le ministre chargé de l’administration de la Loi sur les corporations canadiennes.

[Je souligne]

34 Le conseil d’administration doit donc agir sous réserve des Statuts, tel que prévu à l’article 15.2 :

[…]

15.2 Pouvoirs

Le Conseil est un organisme permanent qui exerce les pouvoirs de l’Institut et agit en son nom sur toutes les questions, sous réserve des présents Statuts et des décisions prises par les assemblées générales à l’égard des orientations de l’Institut. Les décisions du Conseil demeurent en vigueur jusqu’à ce qu’elles soient rescindées.

15.2.2 Entre chaque assemblée générale, le Conseil interprète les articles des statuts et les motions.

[…]

[Je souligne]

35 Les Statuts définissent le cadre de la « compétence » de l’autorité décisionnelle du conseil d’administration, dont la compétence de tenir un processus disciplinaire lorsque la conduite d’un membre est jugée nuire aux intérêts ou à la réputation de l’Institut. L’article 24.2 prévoit que, lorsqu’il y a preuve d’inconduite, les mesures disciplinaires sont prises en fonction de la gravité de l’inconduite et d’une gradation des sanctions contre le membre en cause.

36 Le processus d’enquête est décrit aux articles 24.3 et suivants des Statuts de l’Institut. Les éléments saillants de ce processus sont les suivants :

  1. le membre est avisé dans les 24 heures de l’intention de lui imposer des mesures disciplinaires et les motifs de celles-ci (24.12);
  2. l’audience doit avoir lieu dans un délai de deux ou au plus quatre semaines suivant l’avis au membre (24.12);
  3. le membre est avisé de l’identité des personnes qui entendent la cause, de l’heure et de l’endroit de l’audience (24.13);
  4. le membre a le droit d’assister à l’audience, d’y prendre parole, d’être représenté, de produire des preuves et de faire comparaître des témoins et au remboursement de ses dépenses, à la discrétion de l’Institut (24.14);
  5. toutes les parties ont la possibilité de se faire entendre et de soumettre un rapport de leurs conclusions et recommandations dans les quatre semaines qui suivent l’audience (24.15);
  6. des mesures disciplinaires progressives sont prévues; le conseil d’administration a l’autorité d’imposer des mesures plus sévères que l’exécutif de groupe (24.16.1 et 26.16.2).

37 Il y a lieu de constater que le processus disciplinaire décrit au Statut 24 est en tout point conforme aux principes de justice naturelle décrits plus avant. De plus, l’assemblée générale a imposé à l’article 24.16.1 des Statuts une limite aux sanctions qui peuvent être imposées aux membres de l’Institut :

  1. la révocation de l’adhésion à l’Institut;
  2. la suspension de l’adhésion à l’Institut pour une période de plus de 180 jours;
  3. la suspension de l’adhésion à l’Institut pour une période de 180 jours ou moins;
  4. le renvoi du ou des postes au sein de l’Institut ou d’un organisme constituant;
  5. la suspension du ou des postes au sein de l’Institut ou d’un organisme constituant pour une période de 180 jours ou moins;
  6. la perte de privilèges de vote pour une période n’excédant pas 90 jours;
  7. la perte des privilèges de vote pour un vote spécifique s’appliquant aux membres de l’Institut.

38 La politique n’incorpore pas les protections procédurales du Statut 24, mais laisse entière discrétion au conseil d’administration, tel que stipulé ci-dessous :

Section 11 – Règlement des différends

[…]

Partie B – Plainte par un membre de l’Institut contre un autre membre élu ou nommé à un poste    Dernière révision – 10 décembre 1994

Préambule

La présente politique entre en vigueur lorsqu’un membre est mécontent des mesures prises par d’autres membres dans le cadre de leurs fonctions de dirigeants nommés ou élus de l’Institut. Cette politique ne s’applique pas aux membres de l’Institut élus en vertu de l’article 20.1 des Statuts.

Procédure d’enquête

Une plainte doit être remise au Président, par écrit. Le membre contre qui une plainte a été déposée en est avisé et on lui demande de répondre par écrit avant une date précise.

Le Président, assisté du Comité exécutif, peut nommer un ou des enquêteurs pour recueillir de toutes les parties concernées des faits sur la plainte.

L’enquêteur remet un rapport au Comité exécutif.

D’après ce rapport, le Comité exécutif établit la validité de la plainte.

Si une plainte est jugée non fondée, aucune autre mesure n’est prise après que les parties (le plaignant et le membre élu ou nommé) sont informés de la décision.

Lorsqu’une plainte est jugée valide, les parties en sont ainsi avisées et doivent avoir la possibilité de régler la situation de façon informelle à la satisfaction de toutes les personnes en cause. Si cette mesure n’est pas possible, le membre élu ou nommé peut décider de présenter sa démission.

Si le processus informel ne permet pas de résoudre le problème, le Comité exécutif peut recommander au Conseil d’autres mesures.

[Je souligne]

39 Je n’ai pu relever aucune disposition dans les Statuts qui permette au conseil d’administration de passer outre la tenue d’une audience disciplinaire ou qui permette de suspendre un délégué de ses fonctions syndicales pour une période dépassant 180 jours. En effet, M. Veillette n’a pas été suspendu de son adhésion à l’Institut, ni a-t-il été renvoyé d’un poste au sein de l’Institut. Il a été relevé de ses fonctions syndicales pour une période de deux ans, une sanction disciplinaire n’apparaissant pas aux articles 24.16.1d) et e) des Statuts.

40 M. Veillette a fait valoir que l’Institut ne lui a pas fait part de la procédure qui allait s’appliquer à l’égard de l’enquête de la plainte de M. Lamarche. Il invoque la lettre que lui a envoyée Mme Demers après avoir reçu la plainte de M. Lamarche :

Monsieur,

J’ai reçu de Réal Lamarche le courriel ci-joint que je considère comme plainte écrite relativement à l’incident survenu lors du Conseil des délégués du Québec à Bromont, le 8 septembre 2006.

Ce dossier suivra son cours normal et vous serez tenu au courant en temps opportun.

[…]

La Présidente

[Je souligne]

Cette lettre n’indique pas la procédure d’enquête qui sera suivie, que ce soit celle du Statut 24 ou de la politique, car une copie de ni l’une ni l’autre des procédures y est annexée, contrairement à d’autres exemples de plainte déposés en preuve. Seule une copie de la plainte de M. Lamarche était annexée à la lettre. Compte tenu de l’existence de deux procédures, l’expression « le cours normal » est fort ambiguë.

41 L’accusé de réception de la plainte de M. Lamarche n’est pas en preuve, puisqu’il n’a pas été mis en cause dans la plainte devant la Commission. Je ne peux donc présumer de ce qui a été dit à M. Lamarche. Toutefois, l’Institut a déposé en preuve un courriel de M. Lamarche à Mme Demers, en date du 3 janvier 2007, dans lequel il dit avoir pris connaissance du rapport final de l’enquêteur et vouloir connaître « le rationnel » du comité exécutif pour vouloir lui imposer une sanction. Il conclut son courriel en disant ce qui suit : « […] Je me réserve la possibilité de demander une audition devant le Conseil d’Administration (CADM) pour expliquer mon point de vue. »

42 Dans son courriel du 7 janvier, 2007, M. Veillette exprime clairement à Mme Demers son désir d’être entendu :

[…]

Dans un autre ordre d’idée, j’accuse réception du rapport complet de l’enquêteur Delage. À défaut de pouvoir en arriver à une entente avec le plaignant, je demande au Comité exécutif la permission de vous présenter mon point de vue sur ce rapport et ce, pour les raisons suivantes :

 - lorsque le comité exécutif s’est réuni pour en discuter, j’en avais obtenu qu’une copie partiel du rapport de l’enquêteur Delage et ce sans conclusion;

 - je crois être en mesure de vous démontrer clairement que :

ledit rapport contient des faits erronés

des éléments important à la prise de décision sont absents;

des témoignages sont rapportés d’une façon inexacte, incomplète ou sont manquants;

des faussetés ainsi que plusieurs égarement sont inclus dans le rapport

votre décision dans ce dossier a un impact majeur sur ma carrière de syndicaliste, fonction que j’occupe à temps plein pour l’IPFPC

Dans notre démocratie, avant de reconnaître quelqu’un coupable, on doit de lui fournir l’occasion de s’exprimer de se défendre. Un syndicat tel que l’IPFPC ne peut se permettre de bafouer cette règle de base.

J’apprécierais que le comité exécutif (1) m’accorde l’opportunité de fournir mes commentaires sur le rapport complet avant de prendre une décision finale et de la référer au Conseil d’administration.

En conclusion, je suis ouvert à un dialogue avec le plaignant M. Lamarche et je souhaite que cette approche réussisse. À défaut, j’aimerais que vous m’accordiez la possibilité de fournir au Comité exécutif mes commentaires au sujet du rapport d’enquête.

[…]

[Les passages soulignés le sont dans l’original]

[Sic pour l’ensemble de la citation]

43 Compte tenu de l’ambiguïté de la lettre de Mme Demers, je dois donner raison à M. Veillette et conclure qu’il n’a pas été pleinement mis au courant du processus qui allait être suivi pour décider des sanctions qui risquaient de lui être imposées et qu’il n’était pas en mesure de s’y objecter. Il est clair que le courriel de M. Veillette, ainsi que celui de M. Lamarche, suggère qu’il s’attendait à ce que le processus disciplinaire et l’audience que prévoit le Statut 24 soit suivis.

44 Alors, pourquoi ce processus n’a-t-il pas été suivi? Selon Mme Demers et M. Gillis, le Statut 24 n’avait pas été appliqué depuis 12 ans et, à cette époque, il avait servi à discipliner un membre pour une inconduite d’un autre ordre. Puis, le conseil d’administration a jugé, après une décision du comité exécutif, que la procédure applicable à la plainte de M. Lamarche était celle décrite dans la politique.

45 Je suis d’avis que la décision du conseil d’administration de passer outre le Statut 24 ne reflétait pas la volonté de l’assemblée générale d’assurer à ses membres un processus disciplinaire qui respecte la justice naturelle. De plus, comme les Statuts sont des documents publics et accessibles en vertu de la Loi sur les corporations canadiennes, le conseil d’administration n’avait pas le loisir d’adopter une procédure contraire, puisque le but de la publicité de ce document est d’informer les personnes concernées de leurs droits.

46 Mais il y a plus : le conseil d’administration a imposé à M. Veillette une suspension de la participation aux activités syndicales pour une période de deux ans. Toutefois, l’article 24.2 des Statuts fait état de l’imposition de mesures progressives et en fonction de mesures et décisions prises dans des causes semblables :

24.2 Lorsqu’il y a preuve d’inconduite, les mesures disciplinaires sont prises en fonction de la gravité de l’infraction commise et tiennent compte des décisions disciplinaires prises antérieurement à l’égard du membre en cause. Dans la mesure du possible, il faut également tenir compte des mesures et décisions prises dans des causes similaires.

[Je souligne]

47 Dans la présente affaire, bien que M. Veillette n’avait aucun antécédent disciplinaire, le conseil d’administration lui a imposé une sanction plus sévère que celles prévues dans le Statut 24. L’Institut ne m’a pas expliqué les motifs d’une sanction aussi sévère (sauf les conclusions du rapport d’enquête) ni fait la preuve de cas comparables où l’Institut aurait imposé une sanction aussi sévère. Le fait que le Statut 24 ait été appliqué la dernière fois en 1991 dans des circonstances autres que celles de cette affaire, ou le fait que la politique vise à moderniser les relations entre membres en remplaçant les audiences disciplinaires par une enquête, ne justifie pas une décision de passer outre une procédure qui privilégie l’équité procédurale.

48 Dans la présente affaire, il n’y a rien qui empêchait l’Institut de tenter de régler la plainte de M. Lamarche à l’amiable. Toutefois, à partir du moment où le conflit ne pouvait se régler par une approche à l’amiable, le conseil d’administration devait appliquer le Statut 24, surtout que les deux membres en cause ont demandé d’être entendus. Le fait que la demande d’être entendu de M. Lamarche ait été présentée après le délai fixé par M. Delage pour répondre à son rapport préliminaire est sans conséquence. Il ne s’agissait pas d’un délai de rigueur. La même situation prévaut pour M. Veillette, qui a demandé d’être entendu. Le fait que Mme Demers ait ignoré ou n’ait pas donné suite à la demande de M. Veillette est tout aussi répréhensible.

49 Le conseil d’administration a non seulement court-circuité le Statut 24, il s’est permis d’imposer une sanction qui ne reflète pas la progression de la discipline prévue à l’article 24.16.1 des Statuts. Le Statut 24 représente la volonté de l’assemblée générale d’appliquer un processus disciplinaire qui respecte les règles de l’équité procédurale et le conseil d’administration était tenu de suivre ces règles. Par conséquent, la norme de discipline appliquée à M. Veillette a été discriminatoire. Elle ne respectait pas les règles dont s’était doté l’Institut et constitue une pratique déloyale par une organisation syndicale prohibée par l’alinéa 188c) de la LRTFP.

50 M. Veillette n’a pas témoigné à l’audience. En l’absence de quelque autre preuve concrète de ses pertes, hormis le plaidoyer de son procureur, je considère que M. Veillette n’a pas présenté une preuve qui me permette de lui accorder un redressement d’ordre financier supplémentaire pour les impacts de la suspension. Par ailleurs, même si la décision du conseil d’administration de ne pas suivre le Statut 24 a été mal avisée, je n’ai pas été convaincue qu’il s’agissait de mauvaise foi de l’ensemble du conseil d’administration et, par conséquent, il n’y a pas lieu d’accorder les autres redressements demandés.

51 L’Institut a demandé à M. Veillette de rembourser les frais afférents à la présence des témoins qu’il a assignés et qui sont membres de l’Institut. En ma présence, M. Veillette a consenti à payer ces frais. L’Institut a alors présenté à M. Veillette une feuille sur laquelle étaient inscrits quelques chiffres. En l’absence de quelque autre justification ou reçus, M. Veillette s’est objecté à payer les montants réclamés. En l’occurrence, les parties m’ont demandé de décider si le paiement de ces frais était justifié.

52 En vertu de l’article 248 de la LRTFP, M. Veillette est tenu de payer les frais et indemnités accordés aux témoins qu’il a assignés. Toutefois, il est en droit d’obtenir une justification et des reçus, le cas échéant, plutôt que simplement des calculs sur un bout de papier. L’Institut a 30 jours à compter de l’émission de cette décision pour produire une justification et des reçus à M. Veillette pour les montants payables aux témoins, faute de quoi M. Veillette ne sera pas tenu de payer les frais et indemnités des témoins membres de l’Institut qui ont été assignés par lui et qui se sont présentés à l’audience.

53 Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

V. Ordonnance

54 La plainte est accueillie en partie.

55 La mesure disciplinaire est annulée.

56 M. Veillette est réintégré dans son statut de délégué syndical et les fonctions syndicales qu’il occupait au moment de sa suspension.

57 L’Institut et son dirigeant attitré doivent prendre toutes les mesures nécessaires pour réintégrer pleinement M. Veillette dans ses fonctions syndicales, comme s’il n’avait jamais été suspendu, et ce sans perte financière, le cas échéant.

58 L’Institut et son représentant attitré disposent de 30 jours à compter de cette décision pour produire les justifications nécessaires à M. Veillette pour le paiement des frais d’assignation des témoins membres de l’Institut qu’il a assignés et qui se sont présentés à l’audience.

59 Je demeure saisie de cette affaire pour une période de 45 jours afin de trancher toute question découlant de son exécution.

Le 7 mai 2009.

Michele A. Pineau,
vice-présidente

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