Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le plaignant a déposé une plainte de pratique déloyale de travail contre son agent négociateur et la vice-présidente de celui-ci - il a allégué que l’agent négociateur avait pris contre lui une mesure disciplinaire parce qu’il avait exercé un droit prévu par la partie2 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (la << Loi>>) - en 2007, le fonctionnaire s’estimant lésé avait été impliqué dans un conflit avec d’autres membres de l’agent négociateur, et l’agent négociateur avait déclaré que son comportement était inacceptable - l’agent négociateur l’avait suspendu de ses fonctions à titre d’agent syndical pendant deux ans - le plaignant a déposé une première plainte auprès de la Commission des relations de travail dans la fonction publique - l’agent négociateur a adopté par la suite une politique prévoyant la suspension administrative de leurs responsabilités d’agent négociateur et s’appliquant aux membres de l’agent négociateur qui s’adressent à des organismes extérieurs pour résoudre des conflits qui ont ou auraient pu être réglés par des procédures internes de l’agent négociateur - il a appliqué la nouvelle politique au plaignant et, peu après la fin de la première suspension, l’a suspendu à nouveau pendant une période de deux ans pour avoir contrevenu à la politique et pour avoir manqué à son obligation de loyauté envers son agent négociateur - le commissaire a statué que l’agent négociateur avait imposé au plaignant une sanction qui était contraire aux dispositions de la Loi et a ordonné qu’il modifie sa politique. Plainte accueillie en partie.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2009-05-29
  • Dossier:  561-34-384
  • Référence:  2009 CRTFP 64

Devant la Commission des relations
de travail dans la fonction publique


ENTRE

GUY VEILLETTE

plaignant

et

INSTITUT PROFESSIONNEL DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA ET HÉLÈNE ROGERS

défendeurs

Répertorié
Veillette c. Institut professionnel de la fonction publique du Canada et Rogers

Affaire concernant une plainte visée à l'article 190 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Renaud Paquet, commissaire

Pour le plaignant:
Lui-même

Pour les défendeurs:
Geoffrey Grenville-Wood et Isabelle Roy

Décision rendue sur la base d'arguments écrits
déposés le 27 février, le 11 mars, le 19 mars, le 17 avril et le 24 avril 2009.

I. Plainte devant la Commission

1 Le 11 février 2009, Guy Veillette (le « plaignant ») a déposé une plainte auprès de la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la « Commission ») en vertu de l’alinéa 190(1)g) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, édictée par l’article 2 de la Loi sur la modernisation de la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22 (la « Loi »), contre l’Institut professionnel de la fonction publique du Canada (l’ « IPFPC ») et Hélène Rogers (les « défendeurs »). Le plaignant allègue que les défendeurs ont commis une pratique déloyale au sens de l’article 185 de la Loi en le suspendant de ses fonctions syndicales en janvier 2009.

2 Jusqu’au 15 janvier 2007, le plaignant, un fonctionnaire au sens de la Loi, occupait diverses fonctions syndicales au sein de l’IPFPC. Le 15 janvier 2007, l’IPFPC a suspendu le plaignant de ses fonctions syndicales une première fois pour une période de deux ans se terminant le 15 janvier 2009. Suite à cette première suspension, le plaignant a déposé une première plainte à la Commission le 20 mars 2007 alléguant que l’IPFPC avait enfreint certaines dispositions de la Loien lui imposant une suspension de deux ans. La suspension avait été imposée par l’IPFPC qui jugeait inacceptable le comportement du plaignant eu égard à des incidents reliés à un conflit interne entre ce dernier et d’autres officiers de l’IPFPC.  

3 La suspension de deux ans imposée par l’IFPFC prenait fin le 15 janvier 2009. Le 27 janvier 2009, l’IPFPC a écrit au plaignant pour l’informer qu’il était à nouveau suspendu, cette fois-ci pour une période non définie, de tous postes élus ou nommés à l’IPFPC, « à titre de mesure administrative et non disciplinaire ». Cette suspension temporaire faisait suite à la plainte que le plaignant avait déposée le 20 mars 2007 à la Commission. L’IPFPC a indiqué dans sa lettre du 27 janvier 2009 que la suspension temporaire prendrait fin dès que les procédures de son dossier à la Commission seraient terminées. C’est cette deuxième suspension qui est l’objet de la présente plainte.

4 Le plaignant prétend qu’en imposant cette suspension temporaire, les défendeurs enfreignent l’alinéa 188d) de la Loi en le suspendant de ses fonctions parce qu’il a exercé un droit prévu à la partie 1 ou à la partie 2 de la Loi. Les défendeurs prétendent qu’ils n’ont pas enfreint les dispositions en question de la Loi car la mesure prise n’est pas disciplinaire mais plutôt administrative. Également, la mesure prise découle d’une politique formelle de l’IPFPC et elle est de nature temporaire, le temps que la Commission dispose de la première plainte déposée le 20 mars 2007.

5 Le plaignant demande que la politique en vertu de laquelle il a été suspendu soit annulée. Il demande aussi d’être réintégré dans ses fonctions syndicales, d’être remboursé pour les frais encourus et de recevoir une compensation financière. 

6 La plainte renvoie aux dispositions suivantes de la Loi :

[…]

185. Dans la présente section, « pratiques déloyales » s’entend de tout ce qui est interdit par les paragraphes 186(1) et (2), les articles 187 et 188 et le paragraphe 189(1).

[…]

188. Il est interdit à l’organisation syndicale, à ses dirigeants ou représentants ainsi qu’aux autres personnes agissant pour son compte :

a) sans consentement de l’employeur, de tenter, sur le lieu de travail d’un fonctionnaire et pendant les heures de travail de celui-ci, de l’amener à adhérer ou continuer d’adhérer, ou à s’abstenir ou cesser d’adhérer à une organisation syndicale;

b) d’expulser un fonctionnaire de l’organisation syndicale ou de le suspendre, ou de lui refuser l’adhésion, en appliquant d’une manière discriminatoire les règles de l’organisation syndicale relatives à l’adhésion;

c) de prendre des mesures disciplinaires contre un fonctionnaire ou de lui imposer une sanction quelconque en appliquant d’une manière discriminatoire les normes de discipline de l’organisation syndicale;

d) d’expulser un fonctionnaire de l’organisation syndicale, de le suspendre, de prendre contre lui des mesures disciplinaires ou de lui imposer une sanction quelconque parce qu’il a exercé un droit prévu par la présente partie ou la partie 2 ou qu’il a refusé d’accomplir un acte contraire à la présente partie;

e) de faire des distinctions illicites à l’égard d’une personne en matière d’adhésion à une organisation syndicale, d’user de menaces ou de coercition à son égard ou de lui imposer une sanction, pécuniaire ou autre, pour l’un ou l’autre des motifs suivants :

(i) elle a participé, à titre de témoin ou autrement, à une procédure prévue par la présente partie ou la partie 2, ou pourrait le faire,

(ii) elle a soit présenté une demande ou déposé une plainte sous le régime de la présente partie, soit déposé un grief sous le régime de la partie 2,

(iii) elle a exercé un droit prévu par la présente partie ou la partie 2.

[…]

II. Faits menant à la plainte

7 Avant sa suspension de deux ans imposée par l’IPFPC à compter du 15 janvier 2007, le plaignant occupait les fonctions syndicales suivantes pour le compte de l’IPFPC et de ses membres : délégué syndical, président du sous-groupe VFS de Montréal, membre de l’exécutif du chapitre Montréal-Centre, trésorier de l’exécutif de la région du Québec, membre du Comité des finances et membre du Conseil régional du Québec.

8 En mars 2007, le plaignant a déposé une plainte à la Commission alléguant que la suspension imposée par l’IFPFC constituait une pratique déloyale au sens de l’article 185 de la Loi. Le 27 janvier 2009, peu de temps après la fin de la suspension du plaignant, l’IFPFC lui a écrit ce qui suit :

[…]

Vous trouverez ci-joint une copie de la politique relative aux membres et aux plaintes à des organismes extérieurs. En vertu de cette politique, à l’article 3.(1), à titre de mesure purement administrative et non disciplinaire, vous êtes suspendu temporairement de tous postes élus ou nommés que vous pourriez occuper à l’Institut. Cette suspension prendra fin dès que les procédures externes seront terminées. Vous pourrez alors présenter votre demande de renouvellement de délégué syndical.

En ce qui a trait aux postes élus que vous occupiez en janvier 2007, ils sont vraisemblablement échus, et suivant la fin des procédures de votre dossier devant la Commission des relations du travail, vous pourrez poser votre candidature à ces postes, aux élections subséquentes.

[…]

9 Le 27 janvier 2009, l’IPFPC a aussi écrit à divers responsables syndicaux pour les informer de l’essence de la lettre envoyée au plaignant. Le même jour, l’IPFPC a aussi écrit au directeur général des relations de travail pour l’employeur du plaignant, en l’occurrence l’Agence du revenu du Canada, afin de l’informer que, jusqu’à un avis contraire, le plaignant n’occupait plus de fonctions syndicales. Le 4 février 2009, dans un échange de correspondance avec le plaignant, l’IPFPC a ajouté que la suspension imposée le 27 janvier 2009 serait levée lorsque la Commission rendrait sa décision eu égard à la plainte du 20 mars 2007, à condition qu’aucune des parties à cette plainte ne fasse appel de la décision.

10 La « Politique relative aux membres et aux plaintes à des organismes extérieurs » (la « Politique »), en vertu de laquelle le plaignant a été suspendu temporairement de ses fonctions syndicales le 27 janvier 2009, a été élaborée par l’IPFPC et approuvée par son Conseil d’administration le 1er mai 2008. La Politique mentionne tout d’abord que l’IPFPC offre à ses membres des processus internes de résolution des différends. Il se peut cependant que des membres de l’IPFPC décident de recourir à des processus externes pour soulever leurs problèmes. L’objectif de la Politique est d’aborder les difficultés qui se présentent alors.

11 La Politique s’applique dans les situations où un membre de l’IPFPC renvoie à une instance externe une affaire qui a été traitée ou qui aurait pu être traitée à partir des procédures internes de l’IPFPC. La Commission fait partie des instances externes mentionnées dans la Politique. L’application de la section 3 de la Politique est à l’origine de la suspension temporaire imposée au plaignant le 27 janvier 2009 :

  1.        Politique
  1. Quand un membre ou des membres renvoient une affaire, qui a été ou qui aurait dû être référée à la procédure interne de l’Institut, à un processus ou une procédure externe pour étude, ce ou ces membres sont automatiquement suspendus temporairement des fonctions et des tâches liées à la charge ou au poste auquel ils ont été élus ou nommés à l’Institut. Cette suspension temporaire cesse dès que les procédures externes prennent fin, quelle qu’en soit la raison.
  2. Il est entendu qu’il est contraire à son devoir de loyauté envers l’Institut qu’un membre du Conseil d’administration ou de tout organisme décisionnaire de l’Institut, qu’il soit national, régional, local, de groupe, de sous-groupe, de chapitre, ou que tout membre nommé à un poste représentent ou participent de quelque façon au soutien d’un ou de plusieurs membres dans tous processus ou procédures externes contre l’Institut. Tout membre appartenant aux organismes décisionnaires évoqués ci-dessus ou occupant un poste auquel il a été nommé et qui représenterait un ou plusieurs membres ou participerait au soutien d’un ou de plusieurs membres dans un processus ou une procédure externes sera automatiquement considéré comme ayant été temporairement suspendu du poste auquel il a été élu ou nommé au sein de l’Institut. Cette suspension temporaire cesse dès que les procédures externes prennent fin, quelle qu’en soit la raison.

12 Le plaignant a soumis plusieurs documents à la Commission eu égard à la plainte qu’il a déposée le 20 mars 2007. Je ne ferai aucune mention de ces documents compte tenu qu’ils ne sont pas pertinents à la présente plainte. De plus, le plaignant adresse sa plainte contre Mme Rogers. La seule justification directe soumise par le plaignant pour justifier que Mme Rogers est une partie à cette plainte est liée au fait que Mme Rogers est membre du Comité exécutif et du Conseil d’administration de l’IPFPC.

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour le plaignant

13 Le plaignant a été suspendu de ses fonctions syndicales par les défendeurs parce qu’il a déposé, le 20 mars 2007, une plainte de pratique déloyale à la Commission. La durée de cette suspension est indéterminée. Elle pourrait se poursuivre pendant des mois, voire même des années, si une des parties décidait de demander une révision judiciaire de la décision de la Commission eu égard à la plainte de 2007.

14 La Politique de l’IPFPC enfreint l’alinéa 188d) de la Loi. Le seul motif de la suspension imposée par l’IPFPC le 27 janvier 2009 contre le plaignant est que le plaignant a déposé une plainte le 20 mars 2007. C’est donc dire que le plaignant a été discipliné pour avoir exercé un droit prévu à la Loi, soit celui de déposer une plainte de pratique déloyale.

15 La Politique a été appliquée de façon rétroactive. En effet, cette dernière a été adoptée par l’IPFPC en mai 2008, alors que la plainte ayant donné lieu à la suspension avait été déposée en mars 2007. Il aurait fallu que la Politique existe au moment des faits reprochés pour pouvoir imposer une suspension au plaignant. La Politique a donc été appliquée d’une manière déraisonnable puisqu’elle était inapplicable à cette cause.

16 Les dispositions de la Loi qui sont ici invoquées n’existaient pas avant l’adoption de la Loi en 2005. Les décisions de la Commission ayant trait à des pratiques déloyales et datant d’avant 2005 sont peu pertinentes car elles renvoient à un contexte juridique différent. Aussi, il faut mentionner que la présente plainte ne renvoie pas au devoir de représentation syndicale, mais plutôt à la suspension du plaignant de ses fonctions syndicales. Or, la jurisprudence porte surtout sur le devoir de représentation syndicale et, en ce sens, elle n’est pas nécessairement pertinente.

17 Selon le plaignant, la suspension imposée par l’IPFPC est de nature disciplinaire. Pour le Conseil d’administration de l’IPFPC, le plaignant a commis une faute en portant plainte à la Commission. L’IPFPC l’a donc puni en le suspendant, imposant une sanction pour le geste posé. L’inconduite ici reprochée est le dépôt d’une plainte à la Commission, et la mesure disciplinaire ou la punition est la suspension du plaignant de ses fonctions syndicales.

18 Le plaignant a aussi déposé des arguments alléguant qu’il avait été traité de façon discriminatoire. Je ne crois pas utile de reprendre ses arguments qui ne sont pas nécessaires pour trancher la plainte. Aucun fait soumis n’appuie une telle allégation. Le plaignant a également allégué qu’il avait perdu son statut de membre. Or, il n’a pas perdu son statut de membre. Je ne résumerai donc pas cet argument ici.

B. Pour les défendeurs

19 Les défendeurs ont tout d’abord rappelé que, sous l’ancienne Loi des relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-35 (l’« ancienne Loi »), la Commission ne pouvait intervenir dans les affaires internes d’un syndicat si ce n’est à l’égard de plaintes ayant trait au devoir de représentation syndicale. Les affaires internes incluent entre autres les questions de gestion interne des mesures disciplinaires que le syndicat peut imposer à ses membres. Sur ce sujet, les défendeurs me renvoient aux décisions suivantes : Hibbard c. Alliance de la Fonction publique du Canada, dossier de la CRTFP 161-02-136 (19760521); St-James c. Syndicat de l’Emploi et de l’Immigration du Canada (Élément de l’Alliance de la Fonction publique du Canada), dossier de la CRTFP 100-1 (19920331); Martel c. Veley et al., 2000 CRTFP 89; Kilby c. Alliance de la Fonction Publique du Canada, dossiers de la CRTFP 161-02-808 et 150-02-44 (19980427); et Feldsted c. Alliance de la Fonction publique du Canada, dossiers de la CRTFP 161-02-945, 161-02-946 et 161-02-955 (19990429).

20 L’article 188 de la Loi n’est pas incompatible avec le principe général de non-ingérence de la Commission dans les affaires syndicales que la jurisprudence a clairement développé et appliqué au fil des ans. Au contraire, cette disposition ne fait que définir les situations précises où la Commission peut déroger à ce principe général. Ces situations sont énumérées aux alinéas 188a) à e) de la Loi. Lorsqu’une plainte ne correspond pas spécifiquement à l’une des situations décrites à l’article 188, la Commission n’est pas habilitée à s’immiscer dans les affaires internes de l’agent négociateur. Cette interprétation a d’ailleurs été confirmée dans Shutiak et al. c. Syndicat des employé(e)s de l’impôt- Bannon, 2008 CRTFP 103.

21 Compte tenu qu’il existe très peu de jurisprudence de la Commission sur l’application de l’article 188 de la Loi, il est utile de se référer à la jurisprudence qui provient d’autres compétences comprenant des dispositions comparables à celles de l’article 188 de la Loi existent. Sur ce, les défendeurs font particulièrement référence aux lois du travail de l’Alberta, de la Nouvelle-Écosse et du Manitoba ainsi qu’au Code canadien du travail.

22 Le Conseil canadien des relations du travail, devenant par la suite le Conseil canadien des relations industrielles, a maintes fois indiqué qu’il n’avait pas comme mandat de juger en appel les décisions d’un agent négociateur portant sur ses affaires disciplinaires internes, ni de priver les syndicats de leur droit d’établir des règles. Le Conseil doit plutôt s’assurer que les normes disciplinaires syndicales et leur application, sont exemptes de discrimination. Sur ces points, les défendeurs me renvoient aux décisions suivantes : Horsley et al. c. Syndicat des postiers du Canada, [1991] CCRT no. 861; Beaven et al. c. Syndicat des travailleurs en télécommunications, [1996] DCRT no. 1163; Beaudet-Fortin c. Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, [1997] CCRT no. 1216; et Dickinson c. Syndicat international des débardeurs et magasiniers, section locale 500, [1993] DCRT no. 1029.

23 À partir de dispositions législatives comparables, les tribunaux administratifs de plusieurs provinces ont eux aussi rendu maintes décisions qui vont dans le même sens que les décisions rendues sous la compétence fédérale. Sur ce, les défendeurs me renvoient aux décisions suivantes : Dickinson déjà cité; Bitz et al. v. International Union of Operating Engineers, Local 963 and International Union of Operating Engineers, [2005] B.C.L.R.B.D. No. 71; et Zantolas v. Teamsters Local Union No. 213, [1986] B.C.L.R.B.D. No. 115.

24 Le plaignant cite les alinéas 188c) et d) de la Loi à l’appui de sa plainte. L’alinéa 188c) s'applique aux situations où des mesures disciplinaires ont été prises à l'égard du plaignant. Or, la suspension du plaignant de ses fonctions syndicales ne constitue pas une mesure disciplinaire. Les défendeurs allèguent qu’un examen des anciennes décisions de la Commission appuie cette prétention. Celles-ci établissent que pour déterminer si une décision est de nature disciplinaire, on doit notamment examiner si les agissements en cause comportent une motivation disciplinaire ou un élément de mauvaise foi. Par l'application de la Politique de l’IPFPC, la motivation des défendeurs n'était pas de nature disciplinaire ou teintée de mauvaise foi. Les défendeurs ont plutôt agi par souci d'éviter une situation de conflit d'intérêts. En ce sens, la mesure prise était de nature administrative. Sur ce, les défendeurs me renvoient aux décisions suivantes : Nablow c. Service canadien du renseignement de sécurité, dossiers de la CRTFP 166-20-24982 et 25306 (19940211); Toulouse c. Conseil du Trésor (Commission de l’emploi et de l’immigration), dossiers de la CRTFP 166-02-13138 et 166-02-13140 (19822312); Green-Davies c. Conseil du Trésor (Commission de l’immigration et du statut de réfugié), 2002 CRTFP 110; Cahill c. Conseil du Trésor (Secrétariat d’État), dossiers de la CRTFP 166-02-20060 (19910311); et Peet c. Conseil du Trésor (Forêts Canada), dossiers de la CRTFP 166-02-24105 (19932307).

25 Les alinéas 188c) et d) de la Loi soulèvent la notion de « sanction ». En examinant le sens de ce terme, on constate que le plaignant n’a fait l'objet d'aucune sanction. Comme l’indique la jurisprudence, une sanction se distingue d’une conséquence et est habituellement associée à une mesure disciplinaire. En plus des décisions citées au paragraphe précédent, les défendeurs me renvoient sur ce point aux décisions suivantes : Massip c. Conseil du Trésor (Affaires extérieures Canada), dossiers de la CRTFP 166-02-14313 (19840113) et Andrews c. Brent, [1981] 1 C.F. 181.  

26 Dans Carbin c. Association internationale des machinistes et des travailleurs de l’aéroastronautique, [1984] CCRT décision no. 492, le Conseil canadien des relations du travail s’est penché sur la capacité d’un syndicat d’appliquer ses normes disciplinaires internes à un membre qui exerçait un droit protégé par la loi. Il s’agit d’un cas analogue à celui du plaignant qui a exercé un droit reconnu par la Loi en déposant une plainte contre les défendeurs auprès de la Commission. Dans Carbin, le syndicat avait pris une mesure disciplinaire à l’encontre d’un membre parce qu’il avait appuyé un syndicat rival dans les procédures d’accréditation. Le Conseil a conclu que cette mesure ne constituait pas une application discriminatoire d’une règle d’adhésion et il a rejeté la plainte.

27 Les défendeurs avancent qu’un agent négociateur est un organisme qui doit veiller aux meilleurs intérêts de ses membres. Selon la structure de l’agent négociateur, le conseil d’administration et le comité exécutif sont élus par les membres de façon démocratique, afin d’assurer le bon fonctionnement de l’organisation. Les administrateurs et membres de l’exécutif exercent les pouvoirs qui leur sont conférés par les statuts et règlements de l’organisation. La Politique de l’IPFPC, en vertu de laquelle une suspension a été imposée au plaignant, a été adoptée par le Conseil d’administration de l’IPFPC. La Politique vise à assurer le devoir de loyauté des personnes qui occupent des postes de responsabilité au sein de l’organisation. Sur ce, les défendeurs me renvoient à Latrémouille c. Union des Artistes, [1983] CCRT décision no. 407. Dans cette affaire, le Conseil avait rejeté la plainte d’un administrateur d’un syndicat à la suite de sa participation dans une procédure d’accréditation d’un autre syndicat. Le Conseil avait suggéré qu’il fallait examiner les motifs et le contexte des décisions. Lors de cet examen, le Conseil avait conclu que le plaignant avait été expulsé, non pas parce qu’il avait exercé ses droits selon la loi, mais plutôt parce que ce qu’il avait fait était incompatible avec ses fonctions d’administrateur syndical.

28 Les défendeurs ont eux aussi déposé des arguments sur la discrimination, alléguant qu’ils n’avaient pas agi de façon discriminatoire. Ils y ont fait ressortir que la discrimination est souvent le critère central utilisé par les tribunaux administratifs du travail au Canada pour justifier leur intervention. Je ne reviendrai pas plus sur ces arguments que je ne l’ai fait jusqu’ici car les faits qui m’ont été soumis n’appuient aucunement la thèse de la discrimination évoquée par le plaignant.

IV. Motifs

29 Les faits relatifs à cette plainte sont relativement simples : les défendeurs ont suspendu temporairement le plaignant de ses fonctions syndicales parce qu’il avait déposé une plainte à la Commission, contrevenant ainsi à la Politique de l’IPFPC. Il est clair, et là-dessus je suis d’accord avec les défendeurs, que le plaignant n’a pas été privé de son statut de membre ou expulsé du syndicat. Il a plutôt été suspendu de ses fonctions syndicales. Il est aussi clair, à partir des faits qui m’ont été soumis, que le plaignant n’a pas été traité de façon discriminatoire par les défendeurs. Là n’est donc pas la question centrale à décider comme c’était le cas dans une bonne partie des décisions soumises par les défendeurs.

30 La première question à laquelle je dois répondre est de déterminer si les défendeurs ont imposé une mesure disciplinaire ou encore une sanction au plaignant. Si je conclus qu’une mesure disciplinaire ou une sanction a été imposée, j’examinerai si l’imposition d’une telle mesure disciplinaire ou d’une telle sanction constitue une violation de la Loi.

31 Les défendeurs prétendent que la suspension imposée au plaignant est de nature administrative, qu’elle n’est pas de nature disciplinaire et qu’il ne s’agit pas d’une sanction. Les défendeurs appuient cet argument sur les décisions des arbitres de la Commission qui ont maintes fois distingué les notions de mesures administratives et de mesures disciplinaires. Ces distinctions ont cependant été faites dans un cadre juridique bien différent. La Loi et l’ancienne Loi prévoient qu’un fonctionnaire peut renvoyer à l’arbitrage un grief portant sur une mesure disciplinaire entraînant entre autres une suspension ou une sanction pécuniaire. Par contre, l’alinéa 188d) de la Loi interdit au syndicat de suspendre ou de prendre des mesures disciplinaires ou d’imposer une sanction quelconque contre un fonctionnaire parce qu’il a exercé un droit prévu aux parties 1 ou 2 de la Loi. L’alinéa 188d) de la Loi a donc une portée et un sens plus large que les dispositions de la Loi relatives aux griefs car il inclut les mots « sanctions quelconque ». L’interdiction imposée au syndicat par l’alinéa 188d) de la Loi dépasse donc la simple notion de mesures disciplinaires. En effet, une mesure disciplinaire peut être considérée comme une sanction mais une sanction n’est pas nécessairement une mesure disciplinaire. 

32 Le Dictionnaire canadien des relations du travail, deuxième édition (1986), définit une sanction comme « une peine établie ou infligée par une loi ou une autorité quelconque pour réprimer un acte défendu ». Le plaignant a été suspendu temporairement de ses fonctions syndicales par les défendeurs parce qu’il a agi de façon contraire à son devoir de loyauté envers l’IPFPC en déposant une plainte à la Commission. En le privant ainsi de l’exercice de ses fonctions syndicales, les défendeurs ont imposé une sanction au plaignant, la peine étant la suspension et l’acte défendu, le dépôt d’une plainte.    

33 Certes, la suspension imposée est de nature temporaire, mais cela importe peu. Habituellement, une suspension est de nature temporaire, sans quoi on parle d’exclusion ou de congédiement. Dans le présent cas, la durée de la suspension est indéterminée. La suspension se terminera à la fin des procédures liées au dépôt de la plainte du 27 mars 2007. Même si la date de fin de la suspension est indéterminée, il s’agit quand même d’une sanction au sens de l’alinéa 188d) de la Loi.

34 Je suis d’accord avec les défendeurs que la jurisprudence d’autres tribunaux administratifs canadiens est utile pour aider à interpréter l’article 188 de la Loi compte tenu que d’autres compétences comprennent des dispositions législatives comparables à la Loi. Je suis aussi d’accord avec l’argument des défendeurs voulant que les tribunaux administratifs du travail hésitent, voire refusent, d’intervenir dans les affaires internes des syndicats à moins qu’on leur fasse la preuve que le syndicat a agi de façon discriminatoire envers ses membres. Mais là n’est pas la question lorsqu’il s’agit d’examiner s’il y a eu violation de l’alinéa 188d) de la Loi. Cet alinéa a une portée très étroite, car il ne renvoie qu’aux situations de mesures disciplinaires ou de sanctions imposées à des fonctionnaires qui exercent un droit en vertu de la partie 1 ou 2 de la Loi, ou qui refusent d’accomplir un acte contraire à la partie 1 de la Loi.

35 Parmi les décisions soumises par les défendeurs, Beaudet-Fortin, Cardin et Latrémouille sont d’une certaine utilité pour déterminer si la décision des défendeurs d’imposer une sanction au plaignant constitue une pratique déloyale au sens de la Loi.

36 Dans Beaudet-Fortin, l’employée avait été expulsée du syndicat pour la seule et unique raison qu’elle avait exercé de façon licite son droit de changer d’agent négociateur, exerçant alors un droit prévu à la loi. Le tribunal administratif a donné raison à l’employée qui avait déposé une plainte, car le syndicat l’avait expulsée pour la seule et unique raison qu’elle avait exercé un droit prévu par la loi.

37 Dans Carbin, l’employé a été expulsé du syndicat pour avoir travaillé pour une organisation syndicale rivale et pour avoir agi de manière à compromettre la position de son syndicat comme agent négociateur. Le tribunal administratif n’a pas donné raison à l’employé qui avait déposé une plainte. Le tribunal est arrivé à cette conclusion car l’expulsion avait été imposée, non pas pour avoir exercé un droit prévu à la loi, mais plutôt pour avoir compromis la position de son syndicat comme agent négociateur.

38 Dans Latrémouille, le syndicat avait empêché le plaignant de siéger au conseil d’administration du syndicat parce qu’il avait participé aux procédures relatives à la demande d’accréditation en prenant une position défavorable à la requête syndicale. Le tribunal administratif a rejeté la plainte sur la base que l’empêchement de siéger au conseil d’administration avait été motivé non pas par l’exercice d’un droit conféré par la loi, mais plutôt par l’incompatibilité des positions du plaignant avec celles de son rôle d’administrateur syndical. La citation suivante résume bien les motifs du rejet de la plainte : 

[…]

[…] Compte tenu du contexte global, nous n’avons aucune difficulté à venir à la conclusion que c’est cette incompatibilité perçue par les administrateurs qui a motivé leur décision d’expulser M. Latrémouille. Nous ne sommes pas ici en présence d’un cas où un syndiqué tente de faire valoir des droits comme par exemple la présentation d’une demande en révocation ou plainte de pratique déloyale pour des motifs prohibés par l’article 185 ou par l’article 136.1 et envers lequel son syndicat prendrait des mesures discriminatoires et punitives parce qu’il a exercé des droits que lui reconnaît le Code. […]

[…]

39 Nonobstant l’analyse des trois décisions qui précèdent, il y a toute une marge entre travailler contre la position de son syndicat sur des questions d’accréditation et déposer une plainte de pratique déloyale. Dans le premier cas, c’est l’existence même du syndicat qui est en péril. Dans le cas du plaignant, la plainte qu’il a déposée le 27 mars 2007 crée certainement un inconfort et peut même nuire au maintien de la cohésion interne du syndicat, mais une telle plainte ne met cependant pas l’organisation en péril.

40 En déposant une plainte le 27 mars 2007 à l’encontre d’une suspension que l’IPFPC lui avait imposée, le plaignant a exercé le droit que lui confère le paragraphe 190(1) de la Loi. Que cette plainte ait été fondée ou non importe peu. Tout ce qui importe ici est que la plaignant avait le droit de se prévaloir de ce recours. En réaction directe à la plainte, les défendeurs l’ont suspendu temporairement de ses fonctions syndicales, appliquant alors la Politique de l’IPFPC. En agissant ainsi, les défendeurs ont imposé une sanction à un fonctionnaire parce que celui-ci avait exercé un droit prévu à la partie 1 de la Loi. Les défendeurs ont alors enfreint la Loi.

41 Ce n’est pas le traitement particulier que les défendeurs ont réservé au plaignant qui enfreint la Loi,mais plutôt les dispositions en question de la Politique de l’IPFPC et leur application. Un agent négociateur accrédité sous la Loi ne peut avoir des statuts, des règlements ou des politiques qui enfreignent la Loi.

42 J’ajouterai en terminant que rien de ce qui m’a été présenté ne m’amène à conclure que Mme Rogers, individuellement, a enfreint la Loi. La plainte contre Mme Rogers est donc rejetée. Certes, elle était membre du conseil d’administration de l’IPFPC au moment des incidents menant à la plainte, mais elle n’est pas plus responsable des agissements des défendeurs que les autres membres du même conseil d’administration.

43 Même si j’accueille la plainte, je n’ai pas le pouvoir d’ordonner que le plaignant soit nommé délégué syndical, ni qu’il retrouve ses fonctions syndicales car ce serait clairement m’immiscer dans les affaires syndicales, ce que je ne suis pas en droit de faire. Qui plus est, je ne suis pas prêt à octroyer au plaignant les autres redressements demandés, car rien dans les faits soumis ne le justifie.

44 Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

V. Ordonnance

45 La plainte est accueillie en partie.

46 L’Institut professionnel de la fonction publique du Canada devra amender sa « Politique relative aux membres et aux plaintes à des organismes extérieurs » pour la rendre conforme à la Loi.

Le 29 mai 2009.

Renaud Paquet,
commissaire

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