Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La fonctionnaire s’estimant lésée occupait un poste d’agente correctionnelle - elle a demandé des mesures d’adaptation lorsqu’elle a appris qu’elle était enceinte - l’employeur a proposé diverses mesures d’adaptation, mais aucune d’elles n’a été jugée satisfaisante - l’employeur a placé la fonctionnaire s’estimant lésée en congé payé - la fonctionnaire s’estimant lésée a fait une fausse couche - elle a déposé des griefs visant à contester le processus de prise de mesures d’adaptation et les occasions perdues de faire des heures supplémentaires pendant qu’elle était en congé payé - l’arbitre de grief a conclu que l’employeur avait agi de manière raisonnable et avec diligence en tentant de trouver des mesures d’adaptation adéquates - le congé payé constituait une solution raisonnable - la fonctionnaire s’estimant lésée a été affectée depuis à un autre lieu de travail. Griefs rejetés.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2009-05-12
  • Dossier:  566-02-770 et 1146
  • Référence:  2009 CRTFP 60

Devant un arbitre de grief


ENTRE

CHRISTINA SPOONER

fonctionnaire s'estimant lésée

et

CONSEIL DU TRÉSOR
(Service correctionnel du Canada)

employeur

Répertorié
Spooner c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada)

Affaire concernant des griefs individuels renvoyés à l’arbitrage

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Beth Bilson, arbitre de grief

Pour la fonctionnaire s'estimant lésée:
John Mancini, avocat, Union of Canadian Correctional Officers - Syndicat des agents correctionnels du Canada – CSN

Pour l'employeur:
Caroline Engmann, avocate

Affaire entendue à Abbotsford (Colombie-Britannique),
du 8 au 11 avril et du 15 au 17 octobre 2008.
(Traduction de la CRTFP)

I. Griefs individuels renvoyés à l’arbitrage

1 La fonctionnaire s’estimant lésée (la « fonctionnaire »), Christina Spooner, est agente correctionnelle au Service correctionnel du Canada (l’« employeur ») à l’établissement Mission. Les griefs découlent d’événements qui sont survenus durant la grossesse de la fonctionnaire et de la perte déchirante d’un fœtus en 2006, alors qu’elle travaillait à l’établissement Fraser Valley (l’« ÉFV »). Dans le premier grief, en date du 25 octobre 2006, la fonctionnaire allègue que le refus de l’employeur de prendre des mesures adéquates pour composer avec ses besoins durant sa grossesse a causé la perte du fœtus; elle allègue également avoir été victime d’abus de pouvoir, de harcèlement et de discrimination, en contravention de la convention collective. La convention collective en question, entre le Conseil du Trésor et l’Union of Canadian Correctional Officers – Syndicat des agents correctionnels du Canada - CSN (le « syndicat »), a été signée le 26 juin 2006 et expirera le 31 mai 2010. Dans le second grief, en date du 20 novembre 2006, la fonctionnaire allègue que l’employeur a continué de refuser de prendre des mesures pour composer avec ses besoins, la privant ainsi de sources de revenu.

2 Précisons ici que la Commission canadienne des droits de la personne a été avisée des allégations de discrimination, mais qu’elle a refusé de participer à l’instance.

II. Questions préliminaires

3 L’avocate de l’employeur a soulevé une objection préliminaire à propos de la compétence de l’arbitre de grief pour trancher le second grief, dans lequel la fonctionnaire allègue que la décision de l’employeur de lui octroyer un congé payé équivaut à une mesure disciplinaire. L’avocate de l’employeur a défendu la position qu’il ne s’agissait pas d’une mesure disciplinaire, puisqu’il n’y avait pas eu d’allégation de faute de conduite, et qu’il ne s’agissait pas non plus d’une « sanction » pécuniaire au sens de l’alinéa 209(1)a) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (LRTFP). Bref, le grief repose essentiellement sur l’allégation de mesure disciplinaire. Or, comme il n’y a pas eu de mesure disciplinaire, le grief ne peut pas être renvoyé à l’arbitrage.

4 L’avocat de la fonctionnaire a défendu la position que le second grief découlait d’événements qui s’inscrivaient dans la continuité de ceux qui avaient donné lieu au premier grief et qu’il portait sur le même type de mesures discriminatoires et de harcèlement. Il a ajouté que le grief est donc arbitrable, à l’instar du premier, en vertu de l’alinéa 209(1)a) de la LRTFP, puisqu’il porte sur l’application ou l’interprétation des dispositions de la convention collective ayant trait à la discrimination et aux mesures d’adaptation.

5 Après avoir renouvelé son objection, l’avocate de l’employeur a cependant admis qu’il était difficile de démêler l’écheveau des faits qui avaient donné lieu aux deux griefs et qu’il y aurait nécessairement beaucoup de recoupements dans la preuve relative à chaque grief; elle s’est toutefois réservé le droit de revenir sur ce point dans son argumentation finale.

6 Pour les fins de la seconde question préliminaire, j’ai entendu le témoignage de Karen Varey, qui avait été assignée par la fonctionnaire pour fournir certains renseignements. Au moment des faits ayant donné lieu au grief, Mme Varey était chef d’équipe adjointe à l’Unité d’intervention intensive (UII) à l’ÉFV et la surveillante immédiate de la fonctionnaire. L’information que l’avocat de la fonctionnaire cherchait à obtenir concernait pour une bonne part le protocole de contrôle qui avait été établi pour une détenue particulière, en l’occurrence la détenue N (les noms des détenues ont été remplacés par des lettres dans le texte de la présente décision). La détenue N était classifiée comme une délinquante soumise à un protocole de gestion — c’est-à-dire qu’on établissait des protocoles expressément pour elle — parce qu’elle n’entrait pas dans les catégories habituelles des détenues dites à sécurité minimale, ou moyenne ou maximale. Elle avait agressé des membres du personnel et d’autres détenues dans le passé et toutes les tentatives pour l’intégrer à la population carcérale dans d’autres établissements avaient échoué. Mme Varey a déclaré que la fonctionnaire était déjà en affectation à l’extérieur de l’UII et qu’elle n’avait aucun contact avec la détenue N lorsque les protocoles avaient été établis. Mme Varey a affirmé qu’elle avait examiné le volumineux dossier de la détenue N, sans y relever le nom de la fonctionnaire; d’autres aspects de ces documents n’étaient pas pertinents à l’instance. Tout ce dont elle se souvenait à propos de la fonctionnaire et de la détenue N, c’est que la fonctionnaire avait exprimé le regret, durant une réunion du personnel, de ne pas pouvoir travailler avec cette détenue.

7 Mme Varey a confirmé que certains aspects des protocoles établis pour la détenue N avaient été contestés par des intervenantes de première ligne (le nouveau titre des « agentes correctionnelles ») parce qu’ils posaient, selon elles, un risque pour la sécurité, et que cela l’avait amenée à imposer une mesure disciplinaire à Renelle (Dolly) Coulson, la vice-présidente du syndicat. La fonctionnaire avait participé aux discussions qui avaient précédé l’imposition de cette mesure, à titre de coordonnatrice des griefs pour le syndicat. En contre-interrogatoire, Mme Varey a déclaré à l’avocat de la fonctionnaire qu’il n’y avait pas de lien entre cet événement et la décision qui avait été prise à peu près au même moment de modifier les fonctions adaptées de la fonctionnaire. On ne pouvait nier que Mme Coulson avait des opinions bien arrêtées sur certains aspects des protocoles établis pour la détenue N, mais personne n’avait « crié » après personne durant les discussions. La mesure disciplinaire avait été imposée parce que Mme Coulson avait fait circuler une note parmi les membres du personnel et non pas parce qu’elle avait exprimé ses opinions. Mme Varey a déclaré qu’elle n’avait pas eu connaissance que des membres du personnel avaient exercé leurs droits en vertu de l’article 127 du Code canadien du travail; elle ne se souvenait pas non plus que Mme Coulson ou d’autres s’étaient opposés aux protocoles établis pour la détenue N pour des raisons de santé et de sécurité.

8 On avait demandé à Mme Varey de vérifier si la fonctionnaire avait déjà déposé des plaintes de harcèlement contre elle dans le passé. Elle a déclaré qu’elle n’avait trouvé qu’un seul document, sur lequel il y avait une note qui indiquait que la plainte avait été traitée dans le cadre de la procédure de règlement des griefs et que l’affaire était classée.

9 L’avocate de l’employeur a soutenu que les documents se rapportant à la détenue N n’étaient d’aucun intérêt dans ce cas-ci, car la fonctionnaire n’avait pas été mêlée à la gestion de ce dossier; elle était en fait déjà en affectation dans un autre secteur quand la détenue N est arrivée à l’ÉFV.

10 L’avocat de la fonctionnaire a été étonné d’entendre Mme Varey affirmer qu’elle ne se rappelait pas qu’il y avait eu d’autres plaintes de harcèlement contre elle ou que la controverse à propos des protocoles établis pour la détenue N touchait notamment à la santé et à la sécurité.

III. Résumé de la preuve

A.  Pour la fonctionnaire

11 La fonctionnaire a déclaré qu’elle était arrivée à l’ÉFV, qui venait tout juste d’ouvrir ses portes, en février 2004. Plusieurs nouveaux établissements avaient été créés pour les détenues, et l’ÉFV était l’un de ceux-là. On avait fait en sorte d’éliminer le plus de barrières statiques possible; les détenues vivaient dans des unités résidentielles et jouissaient d’une grande liberté de mouvement. On les encourageait à subvenir elles-mêmes à leurs besoins dans la mesure du possible. L’établissement était également censé avoir une unité de garde en milieu fermé (l’actuelle UII) pour les détenues dites à sécurité maximale et les détenues soumises à des protocoles de gestion. La fonctionnaire faisait partie de l’équipe de mise en service de l’unité de garde en milieu fermé.

12 En novembre 2004, la fonctionnaire a découvert qu’elle était enceinte. Elle savait que c’était une grossesse à haut risque, car elle avait déjà fait deux fausses-couches. La dernière était survenue à l’été de 2004, peu de temps près son entrée en fonctions chez l’employeur, avant son arrivée à l’ÉFV. Elle n’avait pas demandé de mesures d’adaptation lors de cette grossesse. Des spécialistes médicaux avaient conclu que ses fausses-couches étaient attribuables à une « incompétence cervicale ». Chez les femmes atteintes de cette affection, le col de l’utérus est plus court que la normale, de sorte que la pression exercée par le poids du fœtus au fil de la grossesse peut causer une fausse-couche.

13 Durant la grossesse de 2004, on avait composé avec les besoins de la fonctionnaire en l’autorisant à faire une bonne partie de son travail à la maison. À titre de membre de l’équipe de mise en service de l’unité de garde en milieu fermé, elle participait activement à la rédaction des politiques et des protocoles nécessaires pour l’unité, du travail qu’elle pouvait faire en grande partie à la maison sur son ordinateur personnel. Quand elle avait besoin de communiquer avec les membres de l’équipe, elle utilisait le téléphone ou la messagerie électronique.

14 À un certain stade de sa grossesse, la fonctionnaire avait subi une intervention chirurgicale pour atténuer la pression sur le col de l’utérus. Elle avait réussi à mener sa grossesse à terme et à donner naissance à un bébé en santé. Elle était retournée au travail en novembre 2005, avant la fin de son congé de maternité, afin d’aider à résoudre des problèmes qui étaient ressortis lors de la vérification de la mise en service de l’unité de garde en milieu fermé, qui a accueilli sa première détenue dite à sécurité maximale en février 2006. Le personnel de l’unité se composait de 15 intervenantes de première ligne, dont la fonctionnaire, et de trois conseillers en comportement et relevait d’un chef d’équipe, en l’occurrence Attila Turi. Un poste de chef d’équipe adjoint avait été créé par la suite et on l’avait attribué à Mme Varey.

15 La fonctionnaire a déclaré que, jusque-là, elle avait eu une relation plutôt cordiale avec Mme Varey. Les problèmes avaient commencé au moment où Mme Varey était devenue sa surveillante. La fonctionnaire n’avait pas été d’accord avec certaines des modifications qui avaient été apportées aux politiques et aux protocoles qu’elle avait aidé à rédiger. Elle a dit qu’elle se sentait très protectrice envers ces politiques et protocoles car elle les considérait en quelque sorte comme son « bébé ». Elle a émis l’hypothèse que Mme Varey se sentait sans nul doute menacée par la présence d’une subalterne qui connaissait mieux les politiques qu’elle parce que la fonctionnaire avait participé à leur rédaction. La tension s’était accrue quand la fonctionnaire s’était jointe à l’équipe de direction du syndicat en mars 2006. En mai, la fonctionnaire s’était plainte à M. Turi de l’attitude de Mme Varey à son endroit.

16 Précisons ici que l’avocate de l’employeur s’est opposée à ce type d’interrogatoire pour le motif que les frictions entre la fonctionnaire et Mme Varey à propos des modifications apportées aux politiques et aux procédures n’avaient aucun rapport avec les questions soulevées par les griefs. L’avocat de la fonctionnaire a fait valoir que ce témoignage visait à établir à quel moment le cycle de mesures discriminatoires et de harcèlement contre la fonctionnaire avait commencé. Je l’ai donc autorisé à poursuivre ses questions.

17 La fonctionnaire a déclaré qu’elle avait discuté avec M. Turi de ses problèmes avec Mme Varey. Il s’était employé à la convaincre de rester dans l’unité en affirmant qu’il s’agissait là de problèmes « d’adaptation ». Il lui avait aussi bien fait comprendre qu’il la considérait comme un membre important du personnel de l’unité, et elle avait accepté de rester. Sa relation avec Mme Varey ne s’était cependant pas améliorée. Mme Varey l’avait d’ailleurs accusée à deux reprises d’avoir contrevenu aux politiques, la première fois parce qu’elle avait pris l’initiative de retirer de la nourriture qui appartenait à une détenue et la deuxième fois parce qu’elle n’avait pas manipulé adéquatement des articles d’une détenue qui avaient été saisis. Même si la fonctionnaire avait réussi à justifier ses actions, ces incidents avaient fait monter la tension entre elle et Mme Varey.

18 La fonctionnaire est partie en vacances en juillet 2006. À son retour en août, elle savait qu’elle était enceinte et elle en avait informé M. Turi. Elle savait, entre autres choses, que l’arrivée de la détenue N était prévue pour la mi-août et elle s’attendait à ce que cela occasionne des problèmes pour les membres du personnel de l’UII. Elle voulait que M. Turi sache qu’elle pourrait ne plus être dans l’unité à ce moment-là. Compte tenu de ses antécédents, elle lui a dit qu’elle ne voulait pas discuter de mesures d’adaptation tant qu’elle n’aurait pas la certitude que sa grossesse était viable.

19 La fonctionnaire a indiqué qu’elle n’avait pas l’intention, même à ce moment-là, de travailler avec la détenue N, qui était considérée comme une délinquante très dangereuse. Le fait est que, durant une bonne partie du processus de planification de l’unité de garde en milieu fermé, on s’en était servi comme point de référence pour élaborer les mesures de protection extrêmes qui pourraient devoir être mises en place. À la différence des établissements pour hommes, l’ÉFV n’a pas d’unité spéciale de détention (USD) pour contrôler les détenues qui présentent le même niveau de risque que la détenue N, c’est pourquoi on avait été obligé d’établir des protocoles de contrôle expressément pour elle. Dans l’établissement où elle était incarcérée avant, la détenue N portait du matériel de contrainte chaque fois qu’elle sortait de sa cellule; on lui avait également retiré de nombreux articles personnels, notamment des stylos, parce qu’elle s’en servait pour attaquer le personnel et les autres détenues. La fonctionnaire a déclaré que même si elle n’avait aucune responsabilité directe pour ce qui touchait la gestion de la détenue N, les protocoles de sécurité qu’on avait établis pour cette détenue lui causaient du souci pour deux raisons, d’abord parce qu’elle était représentante syndicale ensuite, parce qu’elle était présente dans l’unité de temps à autre.

20 Le 15 août 2006, un ultrason avait confirmé à la fonctionnaire que sa grossesse était viable; son médecin de famille, le Dr M. Seger, lui avait remis une note (pièce U-1), qui disait ceci : [traduction] « Enceinte. DPA : 6 avril 2007. Antécédents d’incompétence cervicale. Doit être affectée à des tâches administratives. »

21    La fonctionnaire a déclaré qu’elle ne prévoyait pas avoir de difficultés à obtenir des mesures d’adaptation satisfaisantes, vu le succès des mesures qui avaient été prises en place en 2004. Donc, le 17 août, la fonctionnaire avait rencontré M. Turi pour lui remettre la note du médecin. Mme Varey était aussi présente. Ils avaient discuté de diverses mesures d’adaptation qui pourraient lui convenir. M. Turi avait dit qu’il croyait comprendre qu’une autre chef d’équipe, Angie Vankoughnett, avait entrepris de réviser les ordres permanents de l’établissement et qu’il croyait que la fonctionnaire pourrait la seconder dans cette tâche. La fonctionnaire avait déclaré qu’elle était un peu déçue de ne pas pouvoir maintenir une présence dans l’unité de garde en milieu fermé après avoir consacré tant d’énergie à son établissement. On avait décidé qu’en plus de seconder Mme Vankoughnett, la fonctionnaire allait rédiger les procès-verbaux des réunions hebdomadaires de l’équipe interdisciplinaire (ÉI) et continuer de préparer la documentation nécessaire pour l’une des détenues qui faisaient partie de ses dossiers de cas, la détenue P. On avait aussi envisagé la possibilité de l’autoriser à continuer de participer au processus d’examen des cas d’isolement.

22    Dans un courriel en date du 17 août (pièce U-2), Shawna O’Connor, chef d’équipe adjointe, indiquait qu’on avait décidé d’affecter la fonctionnaire au secteur de la gestion des cas, durant la semaine seulement, sous la supervision de Mme Vankoughnett. Le secteur en question est situé dans un autre édifice, auquel peu de détenues ont accès. La fonctionnaire a déclaré qu’elle n’avait pas expressément soulevé la question des contacts avec les détenues lors de sa rencontre avec M. Turi et Mme Varey. Elle les avait toutefois informés de l’intervention chirurgicale qu’elle devait subir le 22 septembre, en indiquant qu’il faudrait probablement réexaminer les mesures d’adaptation à ce moment-là.

23    M. Turi est parti en vacances le 20 août et Mme Varey a été nommée chef d’équipe par intérim de l’unité de garde en milieu fermé. Durant la réunion de l’ÉI du 22 ou du 23 août, il avait notamment été question du protocole établi pour la détenue N, qui était gardée dans l’unité d’isolement depuis son arrivée le 17 août. Mme Varey avait annoncé que le protocole allait être modifié afin de ne plus lui faire porter du matériel de contrainte quand elle était à l’extérieur de sa cellule dans l’unité d’isolement; on lui ferait porter le matériel de contrainte uniquement quand elle sortirait de l’unité. Quelques membres du personnel, dont la fonctionnaire, s’étaient alarmés de ce changement parce qu’ils ne connaissaient pas assez bien la détenue pour l’évaluer avec justesse et parce qu’ils n’avaient pas encore établi de rapport avec elle.

24    Quelques jours plus tard, selon la fonctionnaire, Mme Coulson avait déposé une plainte en vertu de l’article 127 du Code canadien du travail, dans laquelle elle indiquait que les membres du personnel exerçaient leur droit de refuser d’accomplir des tâches qu’ils jugeaient dangereuses. Après avoir rappelé d’autres employés au travail, Mme Varey avait ordonné à ceux qui refusaient de travailler de quitter l’unité, après quoi elle avait effectué une enquête. La fonctionnaire se trouvait alors dans l’unité, où elle prenait son repas. Elle avait été contrainte d’y rester jusqu’à ce qu’elle quitte les lieux en solidarité avec les employées qui avaient déposé la plainte en vertu de l’article 127.

25    À ce stade-là de l’audience, l’avocate de l’employeur s’est opposée à ce que la fonctionnaire mette en preuve le plan d’intervention établi pour la détenue N, au motif qu’il était interdit de sortir le document de l’établissement afin d’assurer la protection des renseignements personnels qu’il contenait. L’avocat de la fonctionnaire a déclaré que le document pourrait être produit en preuve par d’autres témoins.

26    Aux alentours du 30 août, Mme Varey avait convoqué la fonctionnaire à son bureau pour lui annoncer que son affectation dans le secteur de la gestion des cas était annulée et que de nouvelles fonctions allaient lui être attribuées la semaine suivante, dans un poste fixe. Elle lui avait également demandé si elle se consacrait à des tâches syndicales durant les heures de travail, sans autorisation.

27    La fonctionnaire avait été « bouleversée » d’apprendre que son affectation avait changée. Elle s’était rendue au poste de contrôle situé dans l’unité de garde en milieu fermé pour appeler Mme Coulson, sa conseillère syndicale. Mme Coulson l’avait trouvée assise par terre dans le poste parce qu’elle ne voulait pas que les détenues la voient en train de pleurer. Mme Coulson avait organisé une réunion avec la directrice, Patricia Lockhart. La fonctionnaire avait rencontré Mme Lockhart et John Romaine, le sous-directeur adjoint, pour leur faire part de ses inquiétudes concernant la nouvelle affectation que Mme Varey lui proposait. Elle avait cru comprendre que son travail au poste de l’entrée principale allait consister à vérifier les véhicules et filtrer les visiteurs, des tâches qui, à son avis, ne correspondaient pas à la recommandation de son médecin. Il était aussi question qu’elle continue de rédiger les procès-verbaux des réunions de l’ÉI, ce qui allait représenter une charge de travail beaucoup trop lourde. Elle leur avait expliqué les problèmes qu’elle avait eus lors de ses grossesses précédentes et leur avait remis une copie de la note de son médecin, dont ils prenaient connaissance pour la première fois. M. Romaine avait déclaré : [traduction] « Cela change tout. » Mme Lockhart lui avait dit de prendre le reste de la journée.

28    La fonctionnaire a déclaré qu’elle considérait que l’affectation au poste de l’entrée principale équivalait à une punition et que cela avait probablement un lien avec ses activités syndicales. Elle a aussi décrit un autre échange qu’elle avait eu avec Mme Varey alors qu’elle se dirigeait vers le bureau de la directrice. Mme Varey lui avait demandé si elle s’en allait à la réunion de l’ÉI, puisqu’elle était censée en rédiger le procès-verbal. La fonctionnaire avait répondu qu’elle avait trouvé quelqu’un pour la remplacer pendant sa réunion avec la directrice. La fonctionnaire a indiqué que, durant cette rencontre, elle pleurait et tremblait encore à cause de sa discussion qu’elle avait eue un peu plus tôt avec Mme Varey.

29    Le 31 août, la fonctionnaire avait rencontré l’un des spécialistes qui suivait sa grossesse, le Dr Waterman. Elle ne se rappelait pas si elle lui avait montré la note de service (pièce U-6) décrivant les nouvelles fonctions qu’on lui proposait à l’entrée principale. Le spécialiste lui avait remis une nouvelle note (pièce U-4), qui disait ceci : [traduction] « La patiente est enceinte et la date prévue de la naissance est le 6 avril 2007. Sa grossesse est à haut risque à cause d’une incompétence cervicale. Elle devrait travailler dans un milieu où elle n’est pas exposée à des altercations physiques. »

30    Le lendemain, 1er septembre, la fonctionnaire avait participé à une réunion pour discuter des mesures à prendre pour composer avec ses besoins. Corinne Blanchette, représentante syndicale, était présente, ainsi que M. Romaine, Mme Varey et Mme Vankoughnett. Selon la fonctionnaire, la réunion ne s’était pas très bien passée. Elle s’était sentie attaquée, surtout que Mme Varey « criait » beaucoup après elle, lui semble-t-il. On l’avait placée devant trois choix : soit travailler au bureau central de contrôle, soit travailler à l’entrée principale, soit prendre un congé de maladie et toucher des prestations d’assurance-emploi. Les choix lui avaient déplu; elle était par ailleurs déçue de constater que l’affectation au poste de l’entrée principale en faisait encore partie. On lui avait expliqué que l’affectation au poste de l’entrée principale était une « proposition », ce qui l’avait rendue perplexe, parce qu’elle avait cru comprendre que c’était un ordre et qu’elle n’avait pas son mot à dire. On lui avait aussi demandé de fournir des renseignements médicaux complémentaires à propos de ses restrictions dans le but de prendre des mesures adaptées à ses besoins.

31    La fonctionnaire a déclaré qu’elle ne comprenait pas pourquoi on avait décidé de mettre fin à sa première affectation dans le secteur de la gestion des cas. Elle refusait de croire qu’il n’y avait pas suffisamment de travail pour elle. Elle ne comprenait pas non plus pourquoi les notes de ses médecins étaient jugées insuffisantes alors que, durant sa grossesse précédente, on avait utilisé une note encore plus générale pour prendre des mesures d’adaptation parfaitement satisfaisantes. Elle a déclaré qu’elle était très bouleversée durant la réunion du 1er septembre et qu’elle avait beaucoup pleuré. Elle n’arrivait pas à comprendre la position de l’employeur qui avait, à son avis, une attitude très hostile à son endroit. Elle a admis qu’elle avait « crié »à son tour après les représentants de l’employeur. À un certain moment, elle avait déclaré que ses médecins préféreraient de beaucoup qu’elle « reste à la maison les jambes allongées ». La fonctionnaire a indiqué que ce qu’elle voulait dire en réalité c’est que, dans un monde idéal, elle aurait pu rester à la maison.

32    Il y avait eu une autre réunion le 7 septembre 2006. Dans l’intervalle, la fonctionnaire avait obtenu une autre note de son médecin de famille (pièce U-5), qui disait ceci :

[Traduction]

Je suis le médecin de famille de Christina depuis neuf ans et je rédige cette note à sa demande afin de fournir des détails sur les restrictions qui s’appliquent à ses activités durant sa grossesse actuelle. En raison des antécédents médicaux de Christina, il existe de hauts risques de fausses-couches répétitives. L’accouchement est prévu pour le 6 avril 2007.

Afin de minimiser les risques de fausse-couche, il est important d’attribuer à Christina des tâches adaptées qui ne la placent pas dans des situations où elle pourrait subir des blessures physiques ou un stress émotionnel inhabituel. À titre d’exemple, voici une liste de tâches qui seraient acceptables :

travail général de bureau;

tâches informatiques, entrée de données;

photocopie de documents;

transmission de télécopies;

classement de documents;

traitement du courrier interne;

participation à des réunions.

J’insiste aussi fortement sur les restrictions suivantes :

pas de contacts avec des détenus;

pas d’exposition visuelle à la violence;

pas d’exposition à des situations jugées émotionnellement pénibles;

pas d’exposition aux rayons X, à des agents chimiques ou à des armes à feu;

pas de rotation de quart, pas de travail par poste et pas de travail le soir;

interdiction de transporter, de tirer ou de pousser des charges plus lourdes qu’un dossier;

limiter la durée des stations assise ou debout à 30 minutes;

limiter la journée de travail à huit heures et la semaine de travail à 36 heures;

pas plus de plus de quatre jours de travail consécutifs.

J’espère sincèrement que cette note répondra aux besoins de l’employeur.

33    Mme Blanchette, la fonctionnaire, Mme Varey, M. Romaine et Mme Vankoughnett étaient présents à la réunion qui s’est tenue le 7 septembre. Il y avait eu une discussion à propos de l’authenticité de la note du médecin, qui n’était pas signée. Mme Blanchette avait accepté de faire le nécessaire pour en obtenir une copie signée. Une nouvelle affectation —à la salle du courrier — avait été proposée lors de la réunion. On avait aussi discuté assez longuement des moyens à prendre pour éviter que la fonctionnaire ait des contacts avec les détenues, puisque la note du médecin indiquait expressément que cela devait être évité. Mme Varey avait dit que des mesures allaient être instaurées pour empêcher que la fonctionnaire ait des contacts avec les détenues. On avait demandé à la fonctionnaire de se présenter au bureau principal quand elle entrait dans le secteur ou en sortait afin qu’on puisse connaître ses allées et venues et prendre les mesures nécessaires pour ne pas qu’il y ait de détenues dans le secteur quand elle y était. Ces mesures d’adaptation étaient expliquées dans un document (pièce U-6), que la fonctionnaire et Mme Blanchette avaient signé. Durant la réunion, on avait également dit à la fonctionnaire qu’il y avait d’autres possibilités d’affectation à l’étude et que le poste à la salle du courrier était considéré comme une mesure provisoire.

34    La fonctionnaire avait entamé sa nouvelle affectation à la salle du courrier, mais il y avait eu des problèmes. La consigne (pièce U-7) que Mme Varey avait donnée par courriel aux membres du personnel de prévenir la fonctionnaire chaque fois qu’une détenue devait se rendre dans le secteur n’avait pas toujours été respectée. Alors qu’on avait dit qu’on allait modifier l’horaire de la détenue chargée de l’entretien pour ne pas qu’elle se trouve dans le secteur en même temps que la fonctionnaire, il n’en avait rien été. La fonctionnaire avait parfois été obligée de se réfugier dans le bureau principal pendant que la préposée faisait le ménage. Un jour, un agent avait dû l’enfermer à clé dans le couloir parce qu’il s’apprêtait à recevoir une détenue dans son bureau, situé juste à côté de la salle du courrier. La fonctionnaire trouvait que le milieu était épuisant et stressant. Elle sentait qu’il y avait des tensions avec les gestionnaires qui travaillaient dans le secteur administratif autour de la salle du courrier, étant donné qu’ils étaient obligés de la [traduction] « garder comme enfant ».

35    La fonctionnaire a relaté l’incident où, sans qu’on l’eût prévenue, une détenue dite à sécurité maximale, qui l’avait déjà menacée, avait traversé son secteur. Il y avait eu au moins deux incidents de ce genre. Debbie Richardson, qui travaille dans le secteur des services administratifs où se trouve la salle du courrier, a confirmé que cela était arrivé. Un membre de la direction du syndicat, Lori Hawkings, avait rapporté l’incident à Mme O’Connor et lui avait demandé si la fonctionnaire pouvait rentrer chez elle, mais sa demande avait été refusée.

36    M. Turi était revenu de vacances à ce moment-là. Le 19 août, il avait avisé la fonctionnaire que les mesures d’adaptation ne répondaient définitivement pas à ses besoins et lui avait octroyé un congé payé parce qu’il était « difficilement réalisable » de composer avec ses besoins à l’ÉFV. Il avait aussi déclaré que d’autres possibilités d’affectation étaient à l’étude.

37    Le 22 septembre, la fonctionnaire avait subi l’intervention cervicale, dont elle avait parlé à l’employeur. De retour à la maison ce soir-là, elle avait pris connaissance du message que Mme Varey avait laissé dans sa boîte locale et qui disait qu’on lui avait trouvé une affectation à l’administration régionale et qu’elle commençait ses nouvelles fonctions le lundi 25 septembre. Selon la fonctionnaire, le ton était cassant, presque impoli. Le lundi, la fonctionnaire avait appelé à l’ÉFV pour tenter d'en savoir un peu plus. M. Turi et Mme Varey étaient partis assister à une conférence, mais Mme Vankoughnett lui avait donné le numéro de téléphone d’une personne-ressource à l’administration régionale avec laquelle elle avait pris rendez-vous. La fonctionnaire s’était présentée aux bureaux de l’administration régionale, le 3 octobre 2006, pour commencer ses nouvelles fonctions. Elle a déclaré que ces mesures d’adaptation répondaient à ses besoins et que le travail lui convenait, même si elle avait l’impression qu’on [traduction] « scrutait ses faits et gestes à la loupe », vu les circonstances dans lesquelles elle était arrivée à l’administration générale.

38    La fonctionnaire a déclaré qu’elle s’était mise à avoir des spasmes à la jambe le vendredi de la première semaine et qu’elle avait gardé le lit presque toute la fin de semaine. Dans la soirée du dimanche 9 octobre, elle s’était rendue à l’hôpital de Mission; pendant qu’elle attendait d’avoir une chambre, elle avait perdu ses eaux. Cela ne l’avait pas alarmée outre mesure parce qu’elle savait qu’il existait des techniques pour maintenir une grossesse dans ces cas-là. On l’avait transportée par ambulance à l’hôpital d’Abbotsford, où elle avait été soignée par le Dr Shaun Tregoning, le chirurgien qui avait pratiqué l’intervention cervicale. Après l’avoir examinée, il lui avait annoncé que le bébé n’avait aucune chance de survie; après avoir traversé l’épreuve du travail, elle avait accouché d’un enfant mort-né. Cela l’avait complètement anéantie et son époux et sa fille avaient eux aussi été très bouleversés.

39    Le 10 octobre, la fonctionnaire avait appelé M. Turi pour lui annoncer qu’elle avait fait une fausse-couche et qu’elle n’avait plus besoin de mesures d’adaptation. Il lui avait dit de prendre tout le temps dont elle avait besoin avant de revenir au travail. Elle s’était alors emportée et lui avait demandé pourquoi il ne lui avait pas accordé plus de temps avant.

40    La fonctionnaire a déclaré qu’elle avait repris le travail deux semaines plus tard; après avoir consulté ses représentants syndicaux, elle avait déposé le premier des deux griefs qui sont en cause ici. Entre autres mesures correctives, elle demandait, dans ce grief, de ne plus être supervisée par M. Romaine ou par Mme Varey et de faire en sorte que l’un et l’autre soient mutés dans un autre établissement.

41    Au début de novembre, la fonctionnaire et Mme Coulson avaient eu une réunion avec M. Turi et Mme Vankoughnett pour bien leur faire comprendre que ce que la fonctionnaire demandait ce n’était pas d’éviter à tout prix de rencontrer M. Romaine ou Mme Varey dans le cadre de ses fonctions à l’ÉFV, mais bien de ne plus être supervisée par l’un et l’autre. M. Turi lui avait alors offert le poste de préposée aux déplacements institutionnels (PDI), qui ne relevait ni de M. Romaine, ni de Mme Varey. La fonctionnaire avait rejeté cette option. M. Turi avait conclu qu’il n’y avait pas d’autres solutions pour répondre aux demandes de la fonctionnaire. Il lui avait octroyé un congé payé, qui s’est prolongé jusqu’au 22 novembre 2006. La fonctionnaire avait conclu que cela équivalait à une punition, d’où le second grief. On lui avait finalement trouvé un poste à l’établissement Mission, qu’elle occupait à titre permanent en date de l’audience.

42    Donna Mynott, agente des ressources humaines à l’administration régionale, a été assignée à témoigner par le syndicat. Elle a indiqué que son rôle consistait notamment à conseiller les gestionnaires lorsqu’un employé demande des mesures d’adaptation. Elle a précisé que la décision finale en la matière appartenait exclusivement aux gestionnaires. Le cas de la fonctionnaire lui avait été soumis au début de septembre 2006. À ce moment-là, l’employeur tentait de trouver des solutions de rechange au cas où il n’arriverait pas à lui trouver un poste convenable à l’ÉFV. Mme Mynott a déclaré qu’elle n’avait pas eu accès au dossier personnel de la fonctionnaire et qu’elle n’avait vu aucun dossier concernant les mesures d’adaptation qui avaient été prises en 2004. En rétrospective, elle considère que cela aurait probablement été utile d’avoir de l’information sur ces mesures, mais en 2006, ce qui retenait son attention et celle des gestionnaires qu’elle conseillait c’était les restrictions qui s’appliquaient aux activités de la fonctionnaire à ce moment-là. Ils tentaient d’obtenir suffisamment de renseignements des médecins de la fonctionnaire pour formuler des propositions raisonnables. Mme Mynott a déclaré qu’elle ne se souvenait pas d’avoir pris connaissance de la première note du Dr Seger (pièce U-1), mais elle pensait bien qu’on lui en avait communiqué les grandes lignes de vive voix.

43    Mme Mynott a déclaré que le projet d’affectation avait déjà été abandonné quand elle avait fini par obtenir suffisamment de renseignements utiles sur le cas de la fonctionnaire, de sorte qu’elle n’était pas en mesure de donner son avis sur cette proposition. Son expérience lui permettait de dire que les mesures d’adaptation qui sont mises en place pour les employées enceintes ne font pas nécessairement en sorte de leur éviter tout contact avec les détenus. C’est pourquoi elle ne pensait pas, au début, qu’une telle interdiction s’appliquerait à la fonctionnaire. Le dossier contenait certes des renseignements sur l’état de santé de la fonctionnaire, mais il reste que c’est la responsabilité de l’employé de fournir tous les renseignements médicaux nécessaires pour composer avec ses besoins. Mme Mynott ne se considérait pas suffisamment qualifiée pour porter un jugement médical. Elle misait sur la franchise et sur la consultation pour concevoir des mesures adaptées aux besoins des employés, mais ce n’est pas parce que la fonctionnaire n’est pas satisfaite des mesures d’adaptation qui ont été prises que ces mesures ne sont pas adéquates. La priorité absolue quand un employé demande des mesures d’adaptation c’est de faire des efforts pour lui trouver un poste convenable dans l’établissement où il travaille.

44    Mme Mynott avait été mise au courant, à la mi-septembre, des problèmes reliés à l’affectation à la salle du courrier. Elle avait alors conseillé à M. Turi d’octroyer un congé payé à la fonctionnaire. Elle n’était pas au courant des propositions qui avaient été faites à la fonctionnaire durant la réunion du 7 septembre, à laquelle elle n’avait pas été en mesure d’assister, ou de l’information qu’on lui avait communiquée à propos des possibilités d’affectation à l’extérieur de l’ÉFV. Elle savait qu’on faisait des recherches pour savoir s’il y avait des postes vacants ailleurs. Par exemple, elle croyait avoir transmis un avis de dotation (pièce U-22) à la personne qui effectuait ces recherches au service des ressources humaines.

45    Dans un courriel (pièce U-18) adressé à Mme Vankoughnett, le 26 septembre 2006, Mme Mynott demandait pourquoi la fonctionnaire ne s’était pas présentée aux bureaux de l’administration régionale pour commencer ses nouvelles fonctions. La réponse avait été qu’elle n’avait pas apprécié la façon dont on lui avait annoncé la nouvelle. Mme Mynott avait cessé après cela de s’occuper du dossier de la fonctionnaire.

46    Le Dr Tregoning, spécialiste en endocrinologie de la reproduction, a témoigné pour le compte de la fonctionnaire. Pour l’heure, il concentre son attention professionnelle sur les femmes qui sont incapables de concevoir ou qui sont susceptibles de faire des fausses-couches. Il a fait la connaissance de la fonctionnaire, en 2004, après sa fausse-couche. Il avait alors effectué des études chromosomiques qui n’avaient rien révélé d’anormal. Après d’autres tests, il avait conclu que la fausse-couche était probablement attribuable à une incompétence cervicale. Quand elle était devenue enceinte après, il avait décidé d’appliquer un traitement relativement controversé, soit le cerclage du col utérin. Cette procédure consiste à placer un faufilage autour du col afin de le maintenir artificiellement fermé. Une vaste étude est actuellement en cours pour évaluer l’efficacité de ce traitement. Il croit que la procédure peut accroître les chances des femmes qui présentent une incompétence cervicale de mener leur grossesse à terme. Il conseille aussi à ses patientes de se reposer au lit et d’adopter un mode de vie sédentaire ou moins actif afin de ne pas avoir à soulever ou à pousser des charges ou à rester debout pendant de longues périodes.     

47    Quand le Dr Tregoning avait traité la fonctionnaire, en 2004, elle était très bouleversée par sa fausse-couche précédente et voulait à tout prix mener sa nouvelle grossesse à terme. Il lui avait remis une note, en novembre 2004 (pièce E-3), dans laquelle il indiquait que : [traduction] « […] [i]l serait préférable d’affecter [la fonctionnaire] à des tâches courantes, le jour, et de lui éviter le travail par poste en dehors des heures ».

48    Le Dr Tregoning a déclaré qu’il était difficile de savoir avec certitude pourquoi les femmes qui présentent une incompétence cervicale ont tendance à faire des fausses-couches. Selon certaines études, le stress, y compris l’exposition visuelle à la violence, serait un élément déclencheur; nombreux sont ceux, dans la communauté médicale, qui croient que réduire le stress, à tout le moins, ne peut pas faire du tort. Après avoir pris connaissance des notes des autres médecins (pièces U-1, U-4 et U-5), il a déclaré que le message qui semblait se dégager de chacune, surtout la dernière (pièce U-5), c’était que la fonctionnaire devait éviter le stress. Il a déclaré que chaque fois qu’il l’avait reçue en consultation, durant sa grossesse en 2006, la fonctionnaire lui avait dit qu’elle était excédée par la situation au travail et qu’elle avait l’impression que personne ne l’écoutait.

49    Il a déclaré que la procédure de cerclage du cul de l’utérus du 22 septembre s’était bien déroulée et qu’il n’y avait pas eu de complications qui auraient nécessité une hospitalisation. Il n’avait pas recommandé une longue période de récupération au lit dans ce cas-là. Il préfère ne pas recommander à ses patientes de garder le lit ou de rester à la maison, car le manque de contacts sociaux et l’isolement engendrent d’autres maux. Il leur conseille plutôt de réduire le stress au travail.         

50    Le Dr Tregoning était en disponibilité, le 9 octobre 2006, lorsque la fonctionnaire s’était présentée à l’hôpital; il avait eu à lui annoncer que sa grossesse n’était pas viable. Il a indiqué que le stress au travail pouvait être en partie responsable de sa fausse-couche et qu’à sa connaissance, il n’y avait pas d’autres facteurs déclencheurs possibles. 

51    La fonctionnaire a également appelé Mme Coulson à témoigner. Mme Coulson a décrit les événements qui avaient précédé l’arrivée de la détenue N. Elle a déclaré que les modifications qui avaient été apportées aux protocoles de contrôle de la détenue N (pièces U-27 et U-28) avaient semé la confusion et qu’elle avait envoyé un courriel aux autres membres du personnel (pièce E-8), le 28 août, pour leur faire part de ses préoccupations. Mme Varey l’avait fait convoquée à une réunion, avec un autre représentant de l’employeur et la fonctionnaire. Elle lui avait dit qu’elle s’était servie du système de courrier électronique à des fins non autorisées et lui avait enjoint de rappeler le courriel [traduction] « avant la fin de la journée », ce qui avait causé un problème, car la journée de travail de Mme Coulson se terminait après celle de Mme Varey. Plus tard dans la journée, Mme Varey l’avait de nouveau convoquée, où se trouvait aussi M. Romaine, pour savoir pourquoi le courriel n’avait pas encore été supprimé. Elle avait indiqué qu’elle lui donnait l’ordre de faire disparaître le courriel, ce que Mme Coulson avait réussi à faire avec l’aide la fonctionnaire. Le tout s’était terminé par une réprimande à son dossier.

52    Mme Coulson a déclaré que, selon elle, les modifications au protocole de contrôle de la détenue N compromettaient la santé et la sécurité des membres du personnel de l’unité. Elle a toutefois admis qu’elle n’avait pas déposé de plainte en vertu de l’article 127 du CCT, pour la bonne raison qu’elle avait peur de Mme Varey et qu’elle craignait de se faire imposer une mesure disciplinaire.

53    Le 30 août, Mme Coulson avait croisé la fonctionnaire, qui était très bouleversée par le changement de son affectation. Pour lui venir en aide, Mme Coulson avait organisé une rencontre avec la directrice le jour même et téléphoné à Mme Blanchette. Elle l’avait accompagnée à la réunion avec la directrice, Mme Lockhart, et M. Romaine. Il avait été question de l’affectation proposée au poste de l’entrée principale et Mme Lockhart avait autorisé la fonctionnaire à rentrer chez elle.

54    Mme Coulson a déclaré qu’elle avait peur de Mme Varey et qu’elle s’était trouvée dans des situations où Mme Varey avait « crié » après elle.

55    Donna Collins, qui est devenue agente correctionnelle en 2004 et qui travaillait dans l’unité de garde en milieu fermé à l’ÉFV durant l’été et l’automne de 2006, a déclaré qu’elle avait été brutalisée et harcelée par Mme Varey. Elle a décrit l’incident où sa fille avait fait une surdose et où elle avait quitté l’établissement pour aller accueillir l’ambulance. Le lendemain, Mme Varey, en compagnie d’un autre surveillant, l’avait fait venir à son bureau et lui avait reproché d’avoir utilisé ses crédits de congé de maladie pour des raisons autres que des problèmes de santé. Elle avait ensuite déclaré qu’elle trouvait aussi que son rendement laissait à désirer. Compte tenu de sa situation personnelle avec sa fille, Mme Collins avait considéré cela comme du harcèlement. En contre-interrogatoire, elle a admis que sa banque de crédits de congés de maladie était déficitaire et que la direction était en droit de se préoccuper du nombre et du type de congés qu’utilisent les membres du personnel. Mme Collins a cependant réitéré que Mme Varey brutalisait et harcelait les employés et qu’elle s’en prenait plus particulièrement aux membres du syndicat. Elle a admis qu’elle n’avait jamais déposé de plainte de harcèlement contre Mme Varey, pour la bonne raison qu’elle ne croyait pas que cela allait donner quelque chose.

B.  Pour l’employeur

56    L’employeur a appelé à comparaître Mme Vankoughnett, Mme Varey, M. Romaine, M. Turi et Mme O’Connor, tous des gestionnaires qui avaient participé aux efforts successifs pour composer avec les besoins de la fonctionnaire. L’employeur a aussi appelé la Dre Marie-France Delisle à titre de témoin expert.

57    La Dre Delisle est professeure agrégée d’enseignement clinique au département d’obstétrique et de gynécologie de l’Université de la Colombie-Britannique. Ses recherches, son enseignement et sa pratique clinique sont axés sur les grossesses à haut risque. Elle a décrit l’incompétence cervicale, qui peut occasionner un risque de fausse-couche durant le deuxième trimestre de la grossesse, comme étant la « dilatation silencieuse » du col de l’utérus, qui finit par ne plus être capable de supporter le fœtus. Elle a déclaré que c’était un diagnostic très rare, auquel on arrivait après avoir éliminé toutes les autres possibilités. Elle a confirmé le témoignage du Dr Tregoning selon lequel le traitement actuel consistait à procéder au cerclage du col de l’utérus, 11 à 13 semaines après le début de la grossesse. Rien ne garantit toutefois que la patiente pourra mener sa grossesse à terme, mais ça peut aider; elle a qualifié le traitement de solution « de fortune ».

58    La Dre Delisle a déclaré qu’elle avait étudié les rapports médicaux relatifs à la grossesse de 2006, mais qu’elle n’avait jamais traité ni examiné la fonctionnaire. Elle trouvait que les rapports et les documents qui lui avaient été fournis n’étaient pas très clairs et qu’il y manquait notamment des données pathologiques. Elle a affirmé qu’il y avait deux diagnostics possibles dans le cas de la fonctionnaire : soit il s’agissait d’une incompétence cervicale, soit on était en présence du phénomène dit des « fausses-couches répétitives au premier trimestre ». Les rapports de pathologie n’indiquaient pas depuis combien de temps le fœtus était mort au moment de la fausse-couche, mais si cela faisait plusieurs semaines, on était probablement en présence du phénomène des fausses-couches répétitives au premier trimestre. Tout bien considéré, ce diagnostic lui semblait plus plausible que celui de l’incompétence cervicale.

59    Dans le cas d’une incompétence cervicale, l’« ennemie » c’est la gravité; c’est pourquoi on recommande aux patientes de ne pas pousser ni soulever de charges ni faire d’autres d’efforts physiques. Dans le cas de l’incompétence cervicale comme dans le cas des fausses-couches répétitives au premier trimestre, c’est tout à fait approprié de conseiller aux patientes d’éviter le stress, même s’il est difficile de déterminer quels effets le stress émotionnel peut avoir sur la condition physique.

60    À la date de l’audience, Mme Vankoughnett était directrice adjointe des Interventions à l’établissement Grand Valley; mais avant cela, elle avait travaillé à l’ÉFV. En août et en septembre 2006, elle était chef d’équipe adjointe de la réintégration et, à ce titre, elle était responsable du secteur de la gestion des cas. Ce secteur est situé dans une zone administrative à laquelle les détenues n’avaient pas librement accès. Des détenues peuvent venir dans le secteur pour rencontrer des agents de libération conditionnelle ou d’autres membres du personnel administratif, mais elles doivent avoir un rendez-vous.

61    Mme Vankoughnett était absente de l’ÉFV au moment où on avait discuté des premières mesures d’adaptation pour la fonctionnaire; elle n’avait pas non plus participé au choix du placement qui avait été retenu. La fonctionnaire avait été affectée au secteur de la gestion des cas le 18 août, quelques jours avant le retour de Mme Vankoughnett, le 21 août. Mme Vankoughnett avait rencontré la fonctionnaire pour discuter de son affectation. Elle avait cru comprendre que la fonctionnaire voulait continuer de s’occuper de certains aspects des dossiers de détenue qu’elle avait comme intervenante de première ligne et que, pour ce faire, elle devait retourner, de temps à autre, dans l’unité de garde en milieu fermé. Elles avaient discuté de projets que Mme Vankoughnett pourrait confier à la fonctionnaire, comme la création de modèles pour les documents ou la mise à jour des manuels des politiques ou d’autres documents, fort probablement. Mme Vankoughnett a déclaré qu’elle n’avait pas reçu de documents indiquant les restrictions qui s’appliquaient aux activités de la fonctionnaire, mais cela ne l’empêchait pas d’avoir compris de façon générale que l’unité de garde en milieu fermé n’était pas considérée comme un milieu de travail convenable. La fonctionnaire avait dit qu’elle n’avait pas fourni de précisions sur ses besoins, mais elle avait décrit brièvement les risques qu’elle courait durant sa grossesse. Elle avait aussi déclaré qu’elle croyait que les mesures d’adaptation allaient lui convenir. Elles avaient aussi discuté de la durée de son affectation et la fonctionnaire lui avait dit qu’elle ne savait pas combien de temps elle allait rester dans le secteur. Elle s’était aussi informée de la possibilité de travailler à la maison, mais Mme Vankoughnett lui avait expliqué qu’il n’y avait pas de travail dans le service qui se prêtait à ce genre d’aménagement.

62    Le bureau de la fonctionnaire était situé juste à côté du poste de Mme Vankoughnett, dans le secteur où se trouvaient les bureaux des agents de libération conditionnelle. Des détenues allaient et venaient de façon assez régulière, mais la fonctionnaire n’en avait pas fait de cas.

63    Mme Vankoughnett et la fonctionnaire s’étaient entendues sur un certain nombre d’objectifs de travail au début. Après un certain moment, la fonctionnaire était venue lui montrer à Mme Vankoughnett une partie des révisions qu’elle avait apportées au manuel des politiques; c’était de l’excellent travail, mais Mme Vankoughnett était convaincue qu’elle avait fait cela assez rapidement. Mme Vankoughnett avait été ensuite plusieurs jours sans voir la fonctionnaire. Mme Vankoughnett avait appris qu’elle passait la majeure partie de son temps dans l’unité de garde en milieu fermé; Mme Vankoughnett se demande encore aujourd’hui pourquoi la fonctionnaire restait dans le secteur plusieurs jours de suite dans l’unité. Elle avait appris ultérieurement que la fonctionnaire avait la tâche de rédiger les procès-verbaux des réunions de l’ÉI, mais cela ne devait pas lui prendre plus de quelques heures dans un après-midi, si bien que ses absences du secteur de la gestion des cas n’avaient pas entièrement été expliquées.

64    Mme Vankoughnett avait fini par conclure que si la fonctionnaire jugeait nécessaire de passer autant de temps dans l’unité de garde en milieu fermé, c’est que le placement dans le secteur de la gestion des cas ne répondait pas à ses besoins. Elle en avait discuté avec la surveillante en titre de la fonctionnaire, Mme Varey, qui lui avait avoué qu’elle trouvait elle aussi que la fonctionnaire passait beaucoup de temps dans l’unité de garde en milieu fermé. Mme Vankoughnett avait cru comprendre que d’autres mesures d’adaptation étaient à l’étude, dont une affectation au poste de l’entrée principale. Bref, l’affectation dans le secteur de la gestion des cas n’avait duré que huit jours environ.

65    Mme Vankoughnett avait participé à la réunion du 1er septembre avec la fonctionnaire et sa représentante syndicale et elle avait pris connaissance de la pièce U-3, qui décrivait l’affectation proposée au poste de l’entrée principale. On l’avait invitée parce qu’elle avait travaillé avec la fonctionnaire jusqu’à tout récemment, mais elle avait joué un rôle assez effacé à la réunion. Elle a déclaré que la fonctionnaire était très bouleversée durant la réunion et qu’elle semblait croire qu’on voulait l’obliger à accepter l’affectation au poste de l’entrée principale. La fonctionnaire avait déclaré que Mme Varey ne se souciait pas du tout de l’enfant qu’elle portait. Il avait aussi été question d’autres mesures d’adaptation possibles, dont un projet syndical. La fonctionnaire avait refusé un poste administratif en disant qu’elle ne voulait pas [traduction] « s’abaisser à faire du travail de commis ».

66    Mme Vankoughnett a déclaré que, sauf erreur, la discussion lors de la réunion sur les restrictions de la fonctionnaire avait porté exclusivement sur la note du médecin (pièce U-4), qui disait que la fonctionnaire devait éviter les [traduction] « altercations physiques ». Ne sachant pas trop ce que cela voulait dire, les gestionnaires présents avaient demandé à la fonctionnaire d’obtenir des explications plus détaillées, ce que la fonctionnaire et Mme Blanchette avaient semblé trouver déraisonnable. Mme Vankoughnett a déclaré que M. Romaine avait semblé particulièrement pressé d’obtenir ces détails supplémentaires quand la fonctionnaire avait déclaré que ses médecins préféreraient qu’elle reste à la maison les jambes allongées.

67    Mme Vankoughnett estimait que, de façon générale, les gestionnaires présents à la réunion avaient eu une attitude très respectueuse et très professionnelle. La fonctionnaire était agitée et en colère; ils avaient même interrompu la réunion à un certain moment pour lui permettre de se ressaisir. La fonctionnaire semblait excédée par le processus; elle avait d’ailleurs déclaré, durant la discussion, qu’elle trouvait ridicule de devoir [traduction] « se soumettre à un tel processus ». Mme Vankoughnett estimait que les gestionnaires présents avaient tenté de trouver des solutions acceptables et qu’ils avaient répondu de façon adéquate aux besoins de la fonctionnaire.

68    Mme Vankoughnett était également présente à la réunion du 7 septembre 2006. Cette fois-là, la discussion avait porté sur un autre projet de mesures d’adaptation pour la fonctionnaire. La réunion s’était terminée par la conclusion d’un protocole (pièce U-6) que toutes les parties, y compris la fonctionnaire, avaient signé. Mme Vankoughnett a déclaré que cette réunion avait été très productive et qu’elle s’était déroulée dans la bonne entente. La fonctionnaire avait présenté la note du médecin (pièce U-5), mais Mme Vankoughnett ne se rappelait pas si elle en avait pris connaissance. On avait également discuté d’autres affectations possibles dans l’avenir. La fonctionnaire avait demandé si elle pouvait travailler à la maison, mais on lui avait expliqué que le travail ne se prêtait pas à ce genre d’aménagement.

69    Lorsqu’on lui a demandé si les gestionnaires avaient examiné la possibilité d’une autre affectation dans le secteur de la gestion des cas, Mme Vankoughnett a répondu que cette éventualité n’avait pas été envisagée. Elle a déclaré qu’on avait déjà tenté une première expérience dans ce secteur, mais que cela ne semblait pas s’accorder avec le désir de la fonctionnaire de maintenir une présence dans l’unité de garde en milieu fermé. On avait obtenu la confirmation, à la réunion du 7 septembre, que la fonctionnaire ne devait pas avoir de contacts avec les détenues. Le seul poste disponible dans le secteur de la gestion des cas à ce moment-là était celui d’agente de libération conditionnelle, qui l’aurait nécessairement mise en contact avec des détenues; c’est pourquoi cette solution avait été rejetée.

70    Mme Vankoughnett a indiqué qu’elle était intervenue une seule autre fois par la suite pour régler un problème concernant les mesures d’adaptation de la fonctionnaire. Cela est arrivé alors qu’elle remplaçait temporairement M. Turi dans l’unité de garde en milieu fermé, à la fin de septembre. Le 26 septembre, on lui avait signalé que la fonctionnaire ne s’était pas présentée aux bureaux de l’administration régionale pour commencer ses nouvelles fonctions. Mme Vankoughnett avait laissé un message dans la boîte vocale de la fonctionnaire le lendemain, 27 septembre, en matinée. Mme Blanchette avait appelé Mme Vankoughnett ce jour-là pour lui dire que ni elle ni la fonctionnaire n’avaient reçu la documentation au sujet de l’affectation. Mme Vankoughnett la lui avait fait parvenir par télécopieur. Elle avait aussi rencontré la fonctionnaire dans la journée pour lui dire qu’elle devait se présenter aux bureaux de l’administration régionale pour discuter des modalités de son affectation.

71    Mme O’Connor était chef d’équipe par intérim des Opérations à l’ÉFV en août 2006. Elle a déclaré que l’idée de l’affectation dans le secteur de la gestion des cas venait d’elle. À part expédier un courriel (pièce U-2) à la fonctionnaire pour l’aviser de cette affectation, elle n’avait pas participé directement aux discussions sur les mesures d’adaptation.

72    Mme O’Connor a déclaré qu’elle remplaçait un surveillant correctionnel, le 15 septembre, et que c’est elle qui avait donné la consigne de faire passer la détenue par la salle du courrier, sans préavis. Mme Hawkings, une représentante syndicale, lui avait signalé que cela allait à l’encontre des conditions d’affectation de la fonctionnaire; c’est à ce moment-là, a-t-elle dit [traduction] « [q]ue le déclic s’était produit ». Mme O’Connor avait rencontré la fonctionnaire et une représentante syndicale pour leur présenter ses excuses pour le manquement. Après avoir réintégré son poste, Mme O’Connor avait entendu dire qu’il y avait eu une autre violation des conditions d’affectation de la fonctionnaire.

73    Mme Varey a ensuite témoigné. À l’époque où se sont produits les événements ayant rapport avec les mesures d’adaptation de la fonctionnaire, en août et en septembre 2006, elle était la chef d’équipe adjointe dans l’unité de garde en milieu fermé et la supérieure immédiate de la fonctionnaire. Mme Varey a déclaré qu’elle croyait qu’elle avait une bonne relation de travail avec la fonctionnaire au début, mais que les choses avaient changé par la suite. Elle attribuait cela au fait qu’on lui avait confié de nouvelles responsabilités après son arrivée dans l’unité de garde en milieu fermée. Une bonne partie du personnel de la nouvelle unité manquait d’expérience et on avait dû adapter les politiques à leurs besoins. La fonctionnaire considérait les politiques qu’elle avait aidé à rédiger un peu comme sa propriété et refusait d’accepter les modifications qu’on y apportait et d’obéir aux directives de Mme Varey. Même sans connaître en détail le rôle que la fonctionnaire avait joué dans la formulation des politiques, Mme Varey savait qu’elle avait fait partie de l’équipe. Mme Varey estimait que l’équipe avait fait de l’excellent travail, mais qu’il était nécessaire d’adapter les politiques maintenant que l’unité était fonctionnelle, ce qui ne plaisait pas à certains employés, dont la fonctionnaire.

74    Mme Varey a déclaré que M. Turi et elle avaient eu un certain nombre de défis à relever pour mettre sur pied la nouvelle unité de garde en milieu fermé, à commencer par des conflits interpersonnels, qu’ils avaient été obligés de désamorcer, et le manque d’esprit d’équipe. Ils avaient aussi été obligés, à certains moments, d’avoir des rencontres avec la fonctionnaire pour discuter de problèmes de rendement. Mme Varey a déclaré qu’il y avait une différence marquée dans le degré de respect que la fonctionnaire avait envers M. Turi et celui qu’elle avait envers elle. Mme Varey et M. Turi préféraient résoudre les problèmes de rendement de manière informelle en ayant de franches discussions avec les employés pour les aider à corriger leurs lacunes. Mme Varey a indiqué qu’elle avait eu un entretien avec la fonctionnaire à propos du fait qu’elle avait retiré de la nourriture appartenant à une détenue du réfrigérateur, et cela avait occasionné un désaccord entre elles. Mme Varey avait dit à la fonctionnaire que, selon la politique établie, seuls les préposés aux services alimentaires avaient le droit de décider quand de la nourriture devait être retirée. La fonctionnaire avait protesté, mais Mme Varey ne croyait pas que la discussion avait eu d’autres suites.

75    Mme Varey a déclaré que M. Turi l’avait informée, en août 2006, que la fonctionnaire était enceinte et qu’elle demandait des mesures d’adaptation. Mme Varey s’était jointe à une réunion déjà en cours, le 16 ou le 17 août, pour discuter de ces mesures. Elle avait cru comprendre, à ce moment-là, que, sur la recommandation de son médecin, la fonctionnaire voulait être retirée de l’unité de garde en milieu fermé et être exemptée de faire du travail par poste. La fonctionnaire n’avait pas fait allusion à quelque restriction à propos des contacts avec les détenues; elle voulait en fait conserver une partie de sa charge de travail dans l’unité de garde en milieu fermé. Pour tenir compte de ses besoins, on lui avait trouvé une affectation dans le secteur de la gestion des cas; on avait aussi convenu de lui laisser le dossier de la détenue P et de lui faire rédiger les procès-verbaux des réunions de l’ÉI. Mme Varey ne croyait pas que les modalités avaient été mises par écrit. On avait simplement convenu de vive voix qu’il s’agissait d’un « essai ».

76    Dès l’arrivée de la fonctionnaire dans le secteur de la gestion des cas, Mme Varey avait entendu dire par d’autres gestionnaires que la fonctionnaire passait beaucoup de temps dans l’unité de garde en milieu fermé, notamment dans le poste de contrôle, à faire la fouille des détenues, ce qui, selon elle, ne faisait pas partie des mesures d’adaptation convenues. Mme Vankoughnett lui avait aussi mentionné qu’elle ne croyait pas qu’il y avait suffisamment de travail qui convenait à la fonctionnaire dans son secteur. Lors d’une réunion de gestion, le 30 août, la question de la situation de la fonctionnaire avait suscité une discussion. En plus des points qui avaient déjà été portés à sa connaissance, Mme Varey avait appris, d’au moins une gestionnaire, que la fonctionnaire semblait se consacrer à des tâches syndicales dans le secteur de garde en milieu fermé durant ses heures de travail. On avait décidé, durant la discussion, de proposer une nouvelle affectation à la fonctionnaire, au poste de l’entrée principale, pour seconder l’agent responsable de ce secteur. On voulait aussi qu’elle continue de rédiger les procès-verbaux des réunions de l’ÉI et de s’occuper du dossier d’une détenue. Mme Varey a déclaré que la décision de modifier les mesures d’adaptation tenait principalement au fait qu’il n’y avait pas suffisamment de travail qui convenait aux besoins de la fonctionnaire dans le secteur de la gestion des cas. C’était l’avis de Mme Vankoughnett, et la présence continue de la fonctionnaire dans l’unité de garde en milieu fermé, où elle accomplissait des tâches qui n’étaient pas prévues dans le protocole d’affectation dans le secteur de la gestion des cas, semblait le confirmer. Étant donné que Mme Vankoughnett n’avait pas participé aux discussions qui avaient précédé l’affectation dans le secteur de la gestion des cas, son évaluation du succès des mesures d’adaptation revêtait de l’importance.

77    Mme Varey avait rencontré la fonctionnaire pour lui expliquer les nouvelles mesures d’adaptation qu’on se proposait de prendre. La fonctionnaire avait d’abord convenu qu’il n’y avait pas suffisamment de travail pour elle dans le secteur de la gestion des cas; elle craignait toutefois que les nouvelles tâches ne satisfissent pas aux exigences de son médecin. Mme Varey avait accepté de mettre la proposition par écrit afin de lui permettre d’en discuter avec son médecin. Mme Varey a déclaré que durant cet échange, elle avait aussi mentionné à la fonctionnaire qu’elle ne devait pas s’occuper de questions syndicales sans en avoir obtenu l’autorisation. La fonctionnaire avait été « sur la défensive » et « contrariée ». Mme Varey a déclaré que l’observation au sujet des activités syndicales n’était pas directement reliée à la mesure disciplinaire imposée à Mme Coulson dont la fonctionnaire a parlé dans son témoignage. D’après les notes que Mme Varey a consignées le jour même de la réunion (pièce E-5), la remarque faisait référence au fait que la fonctionnaire avait continué de discuter du cas de Mme Coulson au téléphone lorsque le directeur adjoint s’était présenté dans l’unité. Mme Varey a soutenu qu’il n’y avait pas de lien entre la décision de modifier les mesures d’adaptation de la fonctionnaire et le fait qu’elle avait participé, à titre de représentante de Mme Coulson, aux discussions qui avaient précédé l’imposition de la mesure disciplinaire.

78    Mme Varey a indiqué qu’elle avait rédigé une note de service (pièce U-3), dans laquelle elle décrivait la nature des nouvelles fonctions de la fonctionnaire au poste de l’entrée principale. En voici un extrait :

[Traduction]

Comme le poste ne peut accueillir qu’une « seule personne », vos fonctions consisteront à prêter mainte-forte au personnel qui y affecté à ce poste pour faire la vérification des personnes/véhicules qui transitent par cet endroit. Vous pourriez aussi être appelée à accomplir des tâches différentes ou additionnelles, de nature administrative surtout, comme rédiger les procès-verbaux des réunions de l’ÉI et des rapports d’isolement, tenir des dossiers de cas. Veuillez prendre note qu’en aucun cas vous ne serez appelée à intervenir dans une situation d’urgence.

[Le passage en gras l’est dans l’original]

Mme Varey terminait sa note en indiquant que d’autres mesures d’adaptation pourraient être envisagées si la fonctionnaire s’avérait incapable de s’acquitter des fonctions du poste. La note a été remise à la fonctionnaire au début de l’après-midi du 30 août.

79    Mme Varey a expliqué que les gestionnaires avaient arrêté leur choix sur ce placement particulier parce qu’ils avaient conclu, au terme d’une discussion, que c’était le genre de mesures qui convenaient aux besoins de la fonctionnaire, tels qu’ils les percevaient. Le travail au poste de l’entrée principale consistait à filtrer et à admettre les membres du personnel, les visiteurs et les détenues, à inspecter les véhicules qui traversent le périmètre et à distribuer du matériel de sécurité aux membres du personnel. On considérait que ces fonctions ne posaient pas de risques particuliers pour la sécurité. Le personnel était à l’abri derrière le poste de garde et rien n’indiquait à ce moment-là que la fonctionnaire devait éviter d’avoir des contacts avec les détenues. On savait que la fonctionnaire accomplissait le même genre de travail dans l’unité de garde en milieu fermé — comme ouvrir et fermer les portes de sécurité —, et on ne s’attendait donc pas à une réaction négative de sa part. Mme Varey avait cru comprendre que la fonctionnaire devait télécopier la proposition à son médecin et voir avec lui si les fonctions lui convenaient. Mme Varey a refusé d’admettre que la proposition constituait un « ordre » à ce moment-là. Rien n’empêchait en effet le médecin ou la fonctionnaire de proposer des modifications ou de fournir des renseignements complémentaires. Le document expliquait clairement en quoi consistaient les fonctions proposées. Le but visé n’était pas non plus d’accroître la charge de travail de la fonctionnaire. Même si la proposition indiquait que la fonctionnaire continuait de rédiger les procès-verbaux des réunions de l’ÉI et de s’occuper du dossier de la détenue, on s’attendait à ce que ces tâches soient combinées avec les fonctions au poste de l’entrée principale pour constituer une charge de travail normale. La fonctionnaire avait accès à un ordinateur au poste de l’entrée principale pour préparer les comptes rendus de réunion ou consigner des notes dans les dossiers. Mme Varey a précisé que la liste des fonctions de la fonctionnaire ne comprenait pas l’inspection des véhicules et qu’il existait un système à distance pour ouvrir la barrière.

80    Mme Varey a déclaré qu’elle avait croisé de nouveau la fonctionnaire après lui avoir remis la note de service contenant la description de la nouvelle affectation. Elle lui avait demandé si elle se rendait à la réunion de l’ÉI qui avait lieu cet après-midi-là. La fonctionnaire avait répondu qu’elle avait une réunion avec la directrice pour discuter de ses mesures d’adaptation.

81    Mme Varey s’était entretenue brièvement avec la directrice à l’issue de la réunion avec la fonctionnaire. Elle ne se souvenait pas de tous les détails de la conversation, mais elle se rappelait que la directrice avait pris très au sérieux le fait que la fonctionnaire attribuait sa fausse-couche précédente au refus de l’établissement de prendre des mesures adéquates pour composer avec ses besoins.

82    Mme Varey était présente à la réunion du 1er septembre au cours de laquelle la fonctionnaire avait présenté un nouveau certificat médical (pièce U-4) indiquant qu’elle devait éviter les « altercations physiques ». Mme Varey a déclaré que la fonctionnaire avait eu un comportement hostile et irrespectueux durant la réunion. Même si sa représentante syndicale, Mme Blanchette, avait indiqué qu’il y avait d’autres restrictions qui s’ajoutaient à celles contenues dans la note du médecin, la fonctionnaire n’avait pas fourni de détails sur le genre de travail qu’elle pouvait accomplir à l’établissement. Mme Blanchette avait déclaré que parmi les restrictions il y avait l’interdiction d’avoir de contacts avec les détenues, d’être exposée à des rayons X et de tirer ou de pousser des charges. Les gestionnaires présents avaient observé que ces restrictions n’étaient pas mentionnées expressément dans l’une et l’autre note du médecin et que celles concernant les contacts avec les détenues et l’exposition aux rayons X n’avaient encore jamais été portées à leur connaissance. La fonctionnaire avait déclaré : [traduction] « Je ne peux pas être ici »; elle avait ensuite dit qu’elle désirait travailler à la maison. Les gestionnaires lui avaient répété que ce n’était pas possible parce que le travail ne se prêtait à ce genre d’aménagement; ils avaient aussi remarqué que la note du médecin ne disait pas qu’elle devait rester à la maison. M. Romaine lui avait conseillé de prendre la fin de semaine pour réfléchir aux diverses propositions qui lui avaient été faites, mais la fonctionnaire avait refusé. Mme Varey avait alors eu l’idée d’une affectation à la salle du courrier, mais la fonctionnaire avait répondu qu’elle ne voulait pas « s’abaisser à faire du travail de commis ». Mme Blanchette avait aussi parlé d’un projet qui pourrait être lancé par le syndicat.

83    Mme Varey a déclaré qu’elle avait tenté de faire comprendre à la fonctionnaire, durant la réunion, que la note de service concernant l’affectation au poste de l’entrée principale était une proposition seulement et que l’objectif avait toujours été de lui permettre d’y répondre après en avoir discuté avec son médecin. Mme Varey avait également prié la fonctionnaire de l’excuser si elle avait fait une erreur en disant qu’elle s’occupait de questions syndicales durant les heures de travail.

84    Mme Varey a indiqué que plusieurs possibilités avaient été mentionnées durant la réunion du 1er septembre, dont l’affectation au poste de l’entrée principale et celle à la salle du courrier. M. Romaine avait également observé que si les médecins pensaient en réalité que la fonctionnaire devait rester au lit, l’une des solutions qui s’offrait à elle était de demander des prestations de maladie de l’assurance-emploi. Mme Varey avait tenté de faire comprendre que la proposition concernant le poste de l’entrée principale n’émanait pas d'une seule personne, mais que c’était le résultat d’une discussion entre les gestionnaires, qui avaient tenu compte des renseignements dont ils disposaient à ce moment-là à propos des restrictions de la fonctionnaire. Mme Varey a déclaré que la fonctionnaire était contrariée durant la réunion et que son attitude était hostile et irrespectueuse. Mme Varey a soutenu qu’elle n’avait pas haussé le ton durant la réunion et qu’elle n’avait observé qu’une seule fois que les propos de la fonctionnaire étaient inadmissibles. La fonctionnaire l’avait accusée de « mentir » sur le moment où elle avait pris connaissance de la première note du médecin (pièce U-1). Durant son témoignage, Mme Varey a expliqué qu’elle avait appris l’existence de la note aux alentours du 17 août, quand on avait commencé à discuter des mesures d’adaptation pour la fonctionnaire, mais elle croit se rappeler qu’elle n’en avait pas pris connaissance à ce moment-là. La réunion n’avait pas été très productive, car de nombreuses questions étaient demeurées en suspens, mais les gestionnaires présents avaient bien fait comprendre à la fonctionnaire qu’ils avaient besoin de renseignements médicaux plus détaillés à propos des restrictions qui s’appliquaient à ses activités. On avait convenu de poursuivre l’examen de certaines des possibilités qui avaient été mentionnées durant la réunion, y compris le projet du syndicat et l’affectation à la salle du courrier. À la fin de la réunion, il était clair pour tous que le projet d’affectation au poste de l’entrée principale avait été abandonné.

85    Il y avait eu une autre réunion, le 7 septembre 2006, avec la fonctionnaire, Mme Blanchette et des représentants de l’employeur. La fonctionnaire avait alors remis la note du médecin (pièce U-5) qui est reproduite au paragraphe 32.

86    Même si la note du médecin n’était pas signée et que les représentants de l’employeur avaient demandé à la fonctionnaire de leur en procurer une copie signée, ils avaient convenu de l’utiliser comme point de départ pour les discussions futures. Ils avaient présenté à la fonctionnaire un nouveau projet d’affectation à la salle du courrier (pièce U-6). Le document décrivait les mesures que l’employeur prévoyait mettre en place pour éviter que des détenues circulent dans le secteur, sans préavis. La fonctionnaire avait décidé, à la réunion du 7 septembre, d’accepter l’affectation à la salle du courrier. Une note avait été envoyée à tous les membres du personnel (pièce U-7) pour leur rappeler de toujours donner un préavis avant d’autoriser des détenues à circuler dans le secteur. Même si Mme Varey demeurait sa surveillante attitrée (pour l’évaluation de son rendement, entre autres), la fonctionnaire relevait directement des gestionnaires du secteur administratif où se trouvait la salle du courrier.

87    M. Turi était revenu de vacances après cette réunion et Mme Varey avait cessé de superviser directement la gestion des mesures d’adaptation de la fonctionnaire. Elle avait eu une rencontre avec M. Turi pour faire le point sur la situation; c’est à ce moment-là qu’elle avait appris que le protocole qui avait été mis en place pour prévenir les contacts entre la fonctionnaire et les détenues dans la salle du courrier n’avait pas été respecté. M. Turi lui avait demandé d’appeler la fonctionnaire pour lui dire qu’on lui avait trouvé un poste à l’administration régionale. Elle avait simplement appelé la fonctionnaire, le 25 septembre, et laissé un message lui demandant de se présenter aux bureaux de l’administration régionale.

88    Mme Varey a témoigné à propos des événements qui sont l’origine de la mesure disciplinaire qui a été imposée à Mme Coulson. Elle a déclaré que le protocole établi pour la détenue N (pièces U-27 et U-28) avait été modifié à la demande de M. Turi et que les changements apportés s’accordaient avec les méthodes qui sont généralement utilisées pour contrôler des détenus. La décision de réprimander Mme Coulson n’était pas liée au fait qu’elle avait soulevé des questions à propos de la sécurité, mais au fait qu’elle avait avisé les membres du personnel de ne pas appliquer le protocole établi (pièce E-8), ce qui constituait un acte d’insubordination. Mme Varey a admis que le personnel avait le droit, en vertu du Code canadien du travail, de soulever des questions à propos de la sécurité de leurs conditions de travail; elle estimait néanmoins que ces questions n’avaient pas été portées formellement à la connaissance de l’employeur en respectant les processus établis par le Code canadien du travail ou en suivant la filière prévue pour engager des discussions syndicales-patronales. Mme Varey a déclaré qu’elle avait eu l’occasion de discuter de ces problèmes avec M. Turi après son retour de vacances et qu’il avait convenu que l’employée méritait une réprimande.

89    Mme Varey a également témoigné à propos du rapport d’une enquête sur des plaintes de harcèlement qu’un employé (qui n’était pas la fonctionnaire) avait déposées contre elle et un autre gestionnaire, en mars 2004 et en juin 2005. Elle a déclaré qu’elle avait pris connaissance d’une version expurgée du rapport seulement (pièce U-30) parce qu’il contenait des passages qui ne la concernaient pas. L’enquêteur avait conclu que seulement une des plaintes contre elle était fondée.

90    L’employeur a aussi appelé M. Romaine à témoigner. Précisons ici que M. Romaine et Mme Varey sont expressément nommés dans le grief contenant les allégations d’abus de pouvoir et de harcèlement. Au moment des faits en cause ici, M. Romaine était le sous-directeur par intérim de l’ÉFV, et à ce titre, il avait de vastes responsabilités comme gestionnaire de l’établissement. Il supervisait notamment les chefs d’équipe et les chefs d’équipe adjoints, qui supervisaient directement les intervenants de première ligne. M. Romaine a déclaré qu’il avait déjà eu à mettre en place des mesures d’adaptation pour des employés et qu’il était parfaitement au courant des responsabilités de l’employeur. Selon lui, l’employeur doit faire des efforts pour trouver un poste adapté aux besoins de l’employé tout en tenant compte des restrictions imposées par son médecin. À sa connaissance, il n’existe pas de politique générale concernant les contacts entre les détenus et les employées enceintes.

91    En ce qui concerne la fonctionnaire, M. Romaine ne se rappelait pas exactement comment il a été mis au courant des problèmes concernant ses mesures d’adaptation, mais il savait qu’il avait commencé à participer aux discussions aux alentours du 30 août. Il était présent à la réunion de gestion qui avait eu lieu ce matin-là. Il n’avait pas participé aux discussions concernant la première affectation de la fonctionnaire dans le secteur de la gestion des cas. C’est M. Turi et Mme Varey qui avaient géré ce dossier. Il se rappelait qu’il n’avait nullement été question d’un problème concernant les contacts avec les détenus durant la réunion du 30 août, mais que d’autres aspects des mesures d’adaptation avaient été soulevés. M. Romaine avait reçu par la suite une copie de la note concernant le poste à l’entrée principale (pièce U-3); il a confirmé que la version produite en preuve contenait ses notes manuscrites et ses suggestions de libellé. Il ne se rappelait pas quand au juste il avait reçu le document, mais il était sûr que c’était avant la réunion du 1er septembre.

92    Plus tard dans la journée du 30 août, il avait été invité à assister à la réunion avec la directrice et la fonctionnaire. Il croyait qu’il y avait aussi une représentante syndicale qui était présente, mais il ne pouvait pas se rappeler qui c’était. Il n’était pas sûr s’il avait reçu la pièce U-3 à ce moment-là, mais il pensait bien que la note qui dit : [traduction] « Christina en prend trop » se rapportait aux discussions qu’il y avait eues durant la réunion avec la directrice. Il y avait aussi une autre note qui disait que le certificat du médecin qui avait été reçu à ce moment-là (pièce U-1) n’était [traduction] « d’aucune utilité » parce qu’il n’indiquait pas quelles étaient les restrictions. Il croyait se rappeler qu’on en avait discuté lors de la réunion avec la directrice. Ses notes résumaient la discussion qu’il y avait eu à propos du fait que les mesures d’adaptation doivent [traduction] « d’abord être établies pour composer avec les problèmes de santé » de l’employé. Il y avait aussi une allusion à la possibilité de recourir aux prestations de maladie de l’assurance-emploi quand des mesures d’adaptation ne sont pas possibles. La fonctionnaire avait également dit à la directrice que l’établissement était responsable de la fausse-couche qu’elle avait faite dans le passé, ce qui avait suscité beaucoup d’émoi parmi les participants à la réunion.

93    M. Romaine a déclaré qu’il avait cru comprendre que la première affectation de la fonctionnaire, dans le secteur de la gestion de cas, visait à lui permettre d’accomplir des tâches similaires à celles de sont poste d’intervenante de première ligne, mais sans l’obligation de faire du travail par roulement. Il avait cru comprendre que Mme Vankoughnett avait conclu qu’il n’y avait pas suffisamment de travail pour la fonctionnaire dans le secteur de la gestion des cas. D’après les notes consignées sur la pièce U-3, il semble que la fonctionnaire croyait que Mme Varey avait pris connaissance de la première note du médecin (pièce U-1). M. Romaine a déclaré que M. Turi lui avait dit que la note n’avait pas été montrée à Mme Varey quand on l’avait initialement reçue. M. Romaine a confirmé qu’il avait pris connaissance de cette note, mais il ne se rappelait pas quand. Il avait cru comprendre que l’affectation proposée au poste de l’entrée principale comportait des tâches « de nature administrative », telles que répondre au téléphone et utiliser l’ordinateur, mais pas de tâches reliées directement à la vérification des visiteurs et du personnel ou d’autres tâches ayant un rapport avec ce poste. Même si ce n'était généralement pas la tâche d'un commis d’appuyer sur un bouton pour ouvrir les barrières et faire entrer les véhicules, cela n’était pas plus difficile à faire que le reste des tâches qu’elle aurait à accomplir.

94    M. Romaine a confirmé qu’il avait participé à la réunion du 1er septembre et qu’il avait bien pris les notes manuscrites qui sont annexées à la pièce U-3. Il a déclaré qu’il tenait absolument à ce que la réunion démarre sur une bonne note; c’est pourquoi il avait commencé par s’excuser si l’objectif de la note de service concernant l’affectation au poste de l’entrée principale avait mal été compris. Il avait expliqué que cette note visait à permettre à la fonctionnaire de discuter de la proposition avec son médecin avant que les mesures s’appliquent. La fonctionnaire avait répondu : [traduction] « Je ne peux pas être ici. » Priée de s’expliquer, elle avait déclaré que son médecin voulait en fait qu’elle [traduction] « […] [r]este à la maison les jambes allongées ». M. Romaine avait répondu que c’était la première fois qu’il entendait parler de cette exigence; la fonctionnaire avait alors demandé : [traduction] « Pourquoi faut-il que ce soit si difficile? » Il avait tenté de la rassurer en lui disant que l’employeur voulait trouver avec elle des mesures qui répondaient à ses besoins. L’un des participants à la réunion avait suggéré d’abandonner l’idée de l’affectation au poste de l’entrée principale, puisque cela semblait nuire à la recherche d’une solution satisfaisante. M. Romaine avait expliqué à la fonctionnaire que cette affectation lui avait été proposée parce qu’elle comportait des fonctions qui semblaient moins exigeantes que celles qu’elle accomplissait à ce moment-là. La fonctionnaire avait alors déclaré : [traduction] « Je ne suis pas à l’aise quand il y a des détenues autour. » M. Romaine avait de nouveau déclaré que c’était la première fois qu’il entendait parler de cette restriction éventuelle. Les participants à la réunion avaient tenté de proposer d’autres mesures d’adaptation; on avait même lancé l’idée d’un projet syndical-patronal. M. Romaine avait suggéré à la fonctionnaire de prendre la fin de semaine pour réfléchir à ces diverses propositions et d’en discuter avec d’autres, mais elle avait refusé.

95    M. Romaine a déclaré que les participants s’étaient mis d’accord, à la fin de la réunion, pour examiner d’autres possibilités. On l’avait informé que la fonctionnaire devait subir une intervention chirurgicale le 22 septembre et qu’il faudrait peut-être réexaminer la situation à ce moment-là. M. Romaine avait indiqué qu’il allait faire des recherches pour voir s’il y avait des possibilités d’affectation ailleurs qu’à l’ÉFV, même si c’était une solution de dernier recours à ses yeux, puisque la fonctionnaire était une employée de l’établissement. La fonctionnaire avait répondu ceci : [traduction] « Je ne veux pas être votre employée. » Mme Blanchette avait demandé si c’était Mme Varey qui allait être la personne-ressource pour les futures discussions et la fonctionnaire avait indiqué que cela lui posait un problème.

96    M. Romaine a déclaré que le ton des discussions à la réunion du 1er septembre était insatisfaisant. Comme la fonctionnaire était [traduction] « passablement émotive », on avait eu de la difficulté à se concentrer sur les problèmes à résoudre. M. Romaine ne pensait pas que la réunion avait été [traduction] « aussi positive et productive que le sont généralement les réunions de ce genre ». L’idée de trouver un poste pour la fonctionnaire à l’extérieur de l’ÉFV lui déplaisait, même s’il était bien conscient que cela permettrait de résoudre le nouveau problème des contacts avec les détenues.

97    M. Romaine avait aussi participé à la réunion du 7 septembre, durant laquelle il avait pris les notes qui sont annexées à la pièce U-3, mais il avait quitté la réunion après une trentaine de minutes. La note détaillée du médecin (pièce U-5) avait été remise aux représentants de l’employeur ce jour-là et la discussion avait de nouveau porté sur les diverses solutions envisagées, y compris l’affectation à la salle du courrier. Il avait aussi été question de la réorganisation de l’horaire de la détenue qui faisait l’entretien de la salle du courrier. M. Romaine avait observé qu’il estimait que ce qui « convenait le mieux » à la fonctionnaire, c’était des tâches administratives, même si la préférence de cette dernière allait plutôt aux tâches qui avaient un rapport avec les politiques. La fonctionnaire avait de nouveau demandé si elle pouvait travailler à la maison, mais on lui avait dit qu’il n’y avait pas de travail qui se prêtait à ce genre d’aménagement.

98    La convention collective (pièce U-15) contient les dispositions suivantes :

[…]

Article 45

45.01 L'employée enceinte ou allaitant un enfant peut, pendant la période qui va du début de la grossesse à la fin de la vingt-quatrième (24e) semaine qui suit l'accouchement, demander à l'Employeur de modifier ses tâches ou de la réaffecter à un autre poste si, en raison de sa grossesse ou de l'allaitement, la poursuite de ses activités professionnelles courantes peut constituer un risque pour sa santé, celle du fœtus ou celle de l'enfant.

45.02 La demande dont il est question au paragraphe 45.01 est accompagnée d'un certificat médical ou est suivie d'un certificat médical aussitôt que possible faisant état de la durée prévue du risque possible et des activités ou conditions à éviter pour l'éliminer. Selon les circonstances particulières de la demande, l'Employeur peut obtenir un avis médical indépendant.

45.03 L'employée peut poursuivre ses activités professionnelles courantes pendant que l'Employeur étudie sa demande; toutefois, si le risque que représentent ses activités professionnelles l'exige, l'employée a droit de se faire attribuer d'autres tâches jusqu'à ce que l'Employeur :

a) modifie ses tâches ou la réaffecte,

b) l'informe par écrit qu'il est difficilement réalisable de prendre de telles mesures.

45.04 L'Employeur, dans la mesure du possible, modifie les tâches de l'employée ou la réaffecte.

45.05 Lorsque l'Employeur conclut qu'il est difficilement réalisable de modifier les tâches de l'employée ou de la réaffecter de façon à éviter les activités ou les conditions mentionnées dans le certificat médical, l'Employeur en informe l'employée par écrit et lui octroie un congé non payé pendant la période mentionnée au certificat médical. Toutefois, ce congé doit se terminer au plus tard vingt-quatre (24) semaines après la naissance.

45.06          Sauf exception valable, l'employée qui bénéficie d'une modification des tâches, d'une réaffectation ou d'un congé est tenue de remettre un préavis écrit d'au moins deux (2) semaines à l'Employeur de tout changement de la durée prévue du risque ou de l'incapacité que mentionne le certificat médical d'origine. Ce préavis doit être accompagné d'un nouveau certificat médical.

45.07 Nonobstant le paragraphe 45.05, dans le cas d'une employée qui travaille dans un établissement où elle a un contact direct et régulier avec les détenus, lorsque l'Employeur conclut qu'il est difficilement réalisable de modifier les tâches de l'employée ou de la réaffecter de façon à éviter les activités ou les conditions mentionnées dans le certificat médical, l'Employeur en informe l'employée par écrit et lui octroie un congé payé pendant la période du risque mentionnée au certificat médical. Toutefois, ce congé doit se terminer au plus tard à la date du début du congé de maternité non payé ou à la date de fin de la grossesse, selon la première de ces éventualités.

45.08 Une employée qui revient au travail à la fin de son congé de maternité ou de son congé parental peut demander de bénéficier d'une semaine de travail réduite se terminant au plus tard douze (12) mois après la fin de la période de congé de maternité ou de congé parental sans solde prévu aux paragraphes 30.03 et 30.06.

Pour la durée cette période, les avantages sociaux de l'employée sont régis par l'article 35, Employé-e-s à temps partiel.

Afin que l'employée puisse bénéficier d'une semaine de travail réduite, l'Employeur, l'employée et le Syndicat doivent convenir d'une entente écrite à cet effet. L'employée peut mettre fin à cette entente en tout temps sur un avis de trente (30) jours. À la fin de l'entente, l'employée reprend son poste ou un poste équivalent au poste d'attache qu'elle occupait au moment de son départ.

[…]

99    M. Romaine a déclaré qu’il connaissait bien ces dispositions et qu’il s’efforçait d’en respecter les paramètres quand une employée demandait des mesures d’adaptation. C’est d’ailleurs dans ce contexte qu’on avait commencé à penser qu’il était « difficilement réalisable » de prendre des mesures d’adaptation pour la fonctionnaire et qu’on pourrait devoir octroyer un congé à la fonctionnaire. M. Romaine ne se rappelait pas, toutefois, à laquelle des trois réunions (celles du 30 août, du 1er septembre ou du 7 septembre), on avait envisagé cette possibilité. En contre-interrogatoire, il a déclaré que la question des contacts avec les détenues dans le cas des employées enceintes pouvait être un facteur important et que l’employeur devait en être informé, car il est plus difficile de prendre des mesures d’adaptation quand il faut éviter les contacts avec les détenus. Il a indiqué que l’employeur s’efforçait de trouver du travail valorisant pour l’employé avant de se résoudre à lui octroyer un congé.

100  M. Romaine savait que l’affectation de la fonctionnaire à la salle du courrier n’avait pas été un succès. Mme Collins et Mme Hawkings avaient commis une erreur, qu’elles avaient admise, en faisant passer des détenues par la salle du courrier, sans prévenir la fonctionnaire.

101  M. Romaine a déclaré qu’il avait examiné diverses autres possibilités d’affectation pour la fonctionnaire à l’extérieur de l’ÉFV. Il avait surtout tenté de lui trouver un poste l’administration régionale puisqu’il avait constaté, au cours des discussions auxquelles il avait participé, que le milieu pénitentiaire n’était pas ce qu’il y avait de mieux pour la fonctionnaire.

102  M. Romaine a indiqué qu’il ne s’était plus occupé du dossier par la suite, jusqu’à ce que M. Turi lui apprenne, en octobre, que la fonctionnaire avait perdu son bébé. Il avait envoyé un courriel à la nouvelle directrice, Nancy Wrenshall (pièce E-9), pour l’en aviser. Il indiquait aussi, dans le courriel, qu’on avait trouvé un poste adapté aux besoins de la fonctionnaire à l’extérieur de l’établissement et que, durant des discussions antérieures, elle avait déclaré qu’elle était malheureuse à l'ÉFV.

103  Le dernier témoin de l’employeur a été M. Turi, le chef d’équipe de l’unité de garde en milieu fermé. Au moment des faits en cause ici, M. Turi supervisait une chef d’équipe adjointe, Mme Varey, qui supervisait directement les 25 à 30 intervenants de première ligne de l’unité et un groupe de conseillers en comportement. Il avait demandé la création du poste de chef d’équipe adjoint au moment de l’ouverture de l’unité, parce que les membres du personnel manquaient d’expérience pour une bonne part et qu’il y a toujours beaucoup des problèmes à régler quand on ouvre un nouveau type d’unité. Il avait demandé que le poste soit attribué à Mme Varey parce qu’elle avait de l’expérience avec les détenues.

104  M. Turi a déclaré qu’il avait déjà eu à prendre des mesures d’adaptation pour des employés et qu’il savait fort bien que la situation des employés qui demandent de telles mesures peut changer avec le temps. Il savait également que, malgré toutes les prédictions, il arrive que les mesures mises en place ne conviennent tout simplement pas. Selon les restrictions de l’employé, on peut ne pas être capable de lui trouver du travail durable. L’élément essentiel pour prendre des mesures d’adaptation, c’est l’information reçue du médecin quant aux restrictions qui s’appliquent aux activités de l’employé.

105  M. Turi a déclaré qu’il avait été informé de la grossesse de la fonctionnaire au début d’août, mais qu’elle lui avait demandé de ne pas en parler avant sa visite chez le médecin, prévue pour la mi-août. Elle avait renouvelé sa demande le 16 ou le 17 août, juste avant que M. Turi parte en vacances. Tout ce que la note du médecin (pièce U-1) disait, c’est que la fonctionnaire devrait être affectée à des « tâches administratives »; or M. Turi avait cru comprendre que cela ne correspondait pas aux activités habituelles d’une d’intervenante de première ligne. C’est pourquoi on avait pris des dispositions pour que la fonctionnaire aille travailler dans le secteur de la gestion des cas. La fonctionnaire lui avait également dit qu’elle tenait à maintenir une présence dans l’unité de garde en milieu fermé, d’où la décision de lui faire rédiger les procès-verbaux de l’ÉI et de la laisser continuer de s’occuper du dossier d’une détenue. Il ne se rappelait pas s’il avait discuté expressément du cas de la fonctionnaire avec Mme Varey avant son départ en vacances, mais c’est le genre de dossier dont il l’aurait normalement mis au courant en faisant le point sur la situation dans l’unité pour lui permettre de le remplacer pendant son absence.

106  Après son retour de vacances à la mi-septembre, l’un des premiers dossiers qui a été porté à sa connaissance est celui des mesures d’adaptation de la fonctionnaire. Il avait appris que les conditions de son affectation à la salle du courrier n’avaient pas été respectées; tandis qu’il tentait de tirer la situation au clair, il y avait eu une autre infraction. Il avait rencontré la fonctionnaire pour lui dire qu’il lui octroyait un congé payé en attendant de lui trouver un poste ailleurs. Une confirmation officielle de cette décision lui avait été donnée par écrit dans une note de service en date du 19 septembre (pièce U-10). On savait à ce moment-là que la fonctionnaire ne devait pas avoir de contacts physiques, visuels et auditifs avec les détenues, ce qui ne pouvait qu’avoir une incidence sur le choix des possibilités d’affectation. M. Turi devait assister à une conférence à l’extérieur la troisième semaine de septembre. Il ne lui restait plus qu’une semaine environ pour trouver une solution. Après avoir examiné plusieurs possibilités, il avait conclu que le poste à l’administration régionale était celui qui convenait le mieux. M. Turi savait qu’un certain nombre de placements avaient été examinés, mais il ne pouvait pas les énumérer tous. Compte tenu des restrictions concernant les contacts avec les détenues, beaucoup de possibilités avaient été écartées [traduction] « par [lui] ou par quelqu’un d’autre »; c’est pourquoi l’affectation aux bureaux de l’administration régionale lui avait paru la solution la plus appropriée. Avant de partir pour la conférence, il avait demandé à Mme Varey de le tenir au courant des détails du placement. Il n’avait pas pris une part active dans le dossier la semaine suivante, mais il avait appris à son retour que la date d’entrée en fonctions de la fonctionnaire à l’administration régionale avait été reportée au début d’octobre.

107  Le 10 octobre, la fonctionnaire avait appelé M. Turi pour lui annoncer qu’elle avait fait une fausse-couche. Elle était bouleversée, il va sans dire, et il lui avait dit de prendre tout le temps dont elle avait besoin avant de revenir au travail. Il croyait se rappeler qu’elle l’avait appelé de nouveau par la suite et qu’ils avaient convenu qu’elle reviendrait au travail aux alentours du 24 ou du 25 octobre. La fonctionnaire semblait avoir hâte de revenir. Il avait appris qu’elle n’avait pas assisté à la réunion de l’ÉI le jour de son retour au travail, ce qui l’avait plutôt surpris, car elle avait l’habitude de participer activement aux discussions. Il était allé la voir pour s’assurer que tout allait bien; elle lui avait dit qu’elle essayait juste de reprendre le train-train. En quittant le travail ce jour-là, un autre gestionnaire l’avait avisé que la fonctionnaire avait déposé un grief.

108  Les allégations contenues dans le grief étaient suffisamment graves pour qu’il en avise la directrice et demande conseil à un agent du service des ressources humaines. On lui avait recommandé d’offrir à la fonctionnaire la possibilité de repartir en congé, ce qu’il avait fait. Il lui avait également expliqué le recours dont elle disposait pour présenter une plainte de harcèlement, puisque c’était l’une des allégations qui était contenue dans le grief. La fonctionnaire lui avait confirmé, durant leur entretien, qu’elle avait l’intention de maintenir son grief.

109  M. Turi avait eu une autre réunion avec la fonctionnaire et sa représentante syndicale, au début de novembre, pour discuter, notamment, des problèmes découlant du fait qu’elle demandait, dans le grief, de ne plus être supervisée par Mme Varey ou par M. Romaine. La fonctionnaire avait précisé que ce n’était pas le fait d’avoir des contacts avec eux qui lui posait des problèmes, mais le fait d’être supervisée par eux. M. Turi lui avait dit que le poste d’exécution de PDI était vacant, mais elle n’en avait pas voulu. M. Turi a déclaré qu’il en avait discuté avec la directrice, qui avait trouvé que c’était une offre raisonnable. Il ne restait plus qu’une seule autre solution : trouver un poste à l’extérieur de l’établissement. On avait offert deux possibilités à la fonctionnaire et elle avait choisi le poste à l’établissement Mission en attendant la fin de l’enquête et de la procédure de règlement des griefs. Elle avait déposé le second grief (pièce E-11) pour protester contre la décision de lui octroyer un congé après son retour au travail en octobre, décision qui, selon elle, l’avait privée de certains avantages. M. Turi considérait que ce grief s’inscrivait dans la continuité des allégations contenues dans le premier grief à propos des mesures d’adaptation.

110  M. Turi avait pris part à l’enquête sur le grief, étant donné qu’il n’était pas mis en cause, et il avait rejeté le grief (pièce E-10), le 19 janvier 2007.

111  En contre-interrogatoire M. Turi a témoigné à propos des modifications apportées aux protocoles de contrôle de la détenue N. Il a déclaré que, contrairement aux établissements correctionnels pour les hommes, ceux pour les femmes n’ont pas d’USD, ce qui fait que les détenues qui posent des problèmes de sécurité doivent être prises en charge à l’intérieur même de l’établissement. Le plan opérationnel national définit le cadre général de la gestion des détenues. Les réunions de l’ÉI permettent de discuter de questions particulières ayant rapport avec le comportement de certaines détenues. Les modifications apportées aux protocoles de contrôle de la détenue N s’accordaient avec les plans qui avaient été établis pour faciliter sa réintégration, qui avait été amorcée avant son arrivée à l’ÉFV.

C. Réfutation de la fonctionnaire

112  Dans son témoignage en guise de réfutation, la fonctionnaire a rejeté l’idée qu’il n’y avait pas suffisamment de travail pour elle dans le secteur de la gestion des cas. Elle a déclaré qu’elle était accréditée comme agente de libération conditionnelle et qu’elle aurait pu accomplir certaines des fonctions de ce poste ou travailler à l’élaboration de plans d’urgence.

113  La raison pour laquelle elle voulait continuer à s’occuper du dossier d’une détenue dans l’unité de garde en milieu fermé, c’est qu’elle avait réussi à créer des liens avec la détenue P, une détenue dite à risque maximal, et qu’elle avait entamé des démarches afin de lui obtenir une visite familiale privée, un privilège inhabituel pour une détenue aussi violente que la détenue P. Elle voulait s’occuper elle-même des formalités requises, et pour cela, elle n’avait pas besoin d’avoir des entretiens « en profondeur » avec la détenue.

114  La fonctionnaire a admis qu’il y avait une différence entre ce qui était écrit dans les notes de ses médecins et sa déclaration, durant la réunion du 1er septembre, qu’elle devrait rester à la maison les jambes allongées. Elle a affirmé que la plupart des femmes enceintes aimeraient mieux rester à la maison, ce qu’elle ne pouvait pas faire parce qu’elle devait gagner sa vie. Elle a ajouté qu’elle avait fait cette déclaration parce qu’elle était très troublée émotionnellement.

115  La fonctionnaire s’est dite convaincue que sa première affectation avait été annulée parce qu’elle avait défendu Mme Coulson dans le dossier des modifications apportées aux protocoles de contrôle de la détenue N et que le rôle qu’elle avait joué durant les discussions lui avait valu d’être « ciblée » par Mme Varey. Elle a déclaré qu’il était entendu, au début de son affectation, qu’elle devait passer du temps dans l’unité de garde en milieu fermé. Elle avait admis qu’elle avait passé du temps dans le poste de contrôle, en disant que c’était le lieu le plus sûr. Elle a déclaré que Mme Varey ne lui avait pas présenté le poste à l’entrée principale comme une « proposition », mais comme un ordre, jusqu’à ce qu’elle insiste pour obtenir un document pour son médecin.

116  La fonctionnaire a déclaré qu’après avoir déposé son premier grief, le 25 octobre, elle avait eu un entretien avec M. Turi, au cours duquel il lui avait dit de rester à la maison en congé payé jusqu’à avis du contraire. Elle avait jugé que c’était une autre mesure disciplinaire, puisque cela la privait de la possibilité de recevoir des primes de poste ou des indemnités d’heures supplémentaires. C’est la raison pour laquelle elle avait déposé le second grief. Elle a fait allusion à une note de service qui avait été envoyée aux gestionnaires, à la demande de Mme O’Connor et de M. Turi (pièce U-31), dans laquelle on leur recommandait de ne pas appeler la fonctionnaire [traduction] « pour faire des heures supplémentaires ou du travail par poste ». Elle a déclaré qu’elle avait cru comprendre que sa mutation à l’établissement Mission faisait suite à sa demande de ne plus être supervisée par M. Romaine ou par Mme Varey. Elle a indiqué qu’elle avait eu de la difficulté, au début, à s’adapter à son nouveau milieu parce que c’était la première fois qu’elle travaillait avec des délinquants. Elle sentait aussi que sa présence suscitait quelque peu la désapprobation, en raison des circonstances dans lesquelles elle était arrivée dans l’établissement. N’empêche qu’elle avait fini par s’attirer le respect de ses nouveaux collègues et qu’au moment de l’audience, elle avait le statut d’employée permanente.

IV. Résumé de l’argumentation

A.  Pour la fonctionnaire

117  Le représentant de la fonctionnaire a défendu la position que l’employeur avait contrevenu aux dispositions de la convention collective et de la Loi canadienne sur les droits de la personne (LCDP) dans l’affaire qui nous occupe et que sa conduite allait à l’encontre de la jurisprudence de la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la « Commission ») sur cette question. Il m’a renvoyée à l’article 15 et au paragraphe 53(3) de la LCDP, qui sont libellés en partie comme suit :

15. (1) Ne constituent pas des actes discriminatoires :

a) les refus, exclusions, expulsions, suspensions, restrictions, conditions ou préférences de l’employeur qui démontre qu’ils découlent d’exigences professionnelles justifiées;

[…]

f) le fait pour un employeur, une organisation patronale ou une organisation syndicale d’accorder à une employée un congé ou des avantages spéciaux liés à sa grossesse ou à son accouchement, ou d’accorder à ses employés un congé ou des avantages spéciaux leur permettant de prendre soin de leurs enfants;

[…]

(2) Les faits prévus à l’alinéa (1)a) sont des exigences professionnelles justifiées ou un motif justifiable, au sens de l’alinéa (1)g), s’il est démontré que les mesures destinées à répondre aux besoins d’une personne ou d’une catégorie de personnes visées constituent, pour la personne qui doit les prendre, une contrainte excessive en matière de coûts, de santé et de sécurité.

[…]

53. (2) À l’issue de l’instruction, le membre instructeur qui juge la plainte fondée, peut, sous réserve de l’article 54, ordonner, selon les circonstances, à la personne trouvée coupable d’un acte discriminatoire :

[…]

(3) Outre les pouvoirs que lui confère le paragraphe (2), le membre instructeur peut ordonner à l’auteur d’un acte discriminatoire de payer à la victime une indemnité maximale de 20 000 $, s’il en vient à la conclusion que l’acte a été délibéré ou inconsidéré.

118  En plus de l’article 45 de la convention collective, l’avocat de la fonctionnaire a aussi cité la clause 37.01, qui dit ceci :

37.01 Il n'y aura aucune discrimination, ingérence, restriction, coercition, harcèlement, intimidation, ni aucune mesure disciplinaire exercée ou appliquée à l'égard d'un-e employé-e du fait de son âge, sa race, ses croyances, sa couleur, son origine ethnique, sa confession religieuse, son sexe, son orientation sexuelle, sa situation familiale, son incapacité mentale ou physique, son adhésion au Syndicat ou son activité dans celle-ci, son état matrimonial ou une condamnation pour laquelle il a été gracié.

119  L’avocat de la fonctionnaire m’a également renvoyée aux dispositions du Code canadien du travail et de la LRTFP qui protègent le droit des employés de prendre une part active aux activités de leur syndicat.

120  L’avocat de la fonctionnaire a déclaré que la présente cause portait essentiellement sur l’interprétation des faits et, sur ce point, il m’a exhortée à accorder une attention particulière à la chronologie des événements. Il a attiré l’attention sur le fait que les mesures d’adaptation mises en place durant la grossesse de la fonctionnaire en 2004 avaient été un succès et que les premières mesures  qui avaient été prises en 2006, dans le secteur de la gestion des cas, avaient été jugées satisfaisantes par la fonctionnaire. Les problèmes décrits dans le grief ont commencé lorsque M. Turi est parti en vacances et que Mme Varey a pris en charge le dossier des mesures d’adaptation. La fonctionnaire allègue que les mesures qui ont été prises à partir de ce moment-là pour répondre à ses besoins constituaient de la discrimination, du harcèlement et de l’abus de pouvoir. Cela s’applique plus particulièrement aux actes de Mme Varey. M. Romaine est également mis en cause, car même si son rôle était plus effacé, il aurait pu intervenir pour mettre un terme à la campagne que Mme Varey menait contre la fonctionnaire.

121  Selon la fonctionnaire, Mme Varey avait la réputation de brutaliser et de harceler les employés qui prenaient une part active dans les activités du syndicat. Lorsque Mme Coulson avait émis des réserves légitimes à propos de la sécurité du personnel après la modification des protocoles de contrôle de la détenue N, Mme Varey avait décidé de prendre des mesures de représailles, notamment en annulant les mesures d’adaptation qui étaient en place pour la fonctionnaire, même si elle connaissait ses problèmes médicaux et qu’elle était au courant de la nécessité de prendre des mesures d’adaptation adéquates.

122  La fonctionnaire était en fait convaincue que Mme Varey avait pris connaissance du premier certificat médical qui recommandait de lui attribuer des « tâches administratives » (pièce U-1. En supposant que Mme Varey n’ait pas examiné le document, le fait est qu’elle avait une assez bonne idée de son contenu. Les demandes successives de Mme Varey et de M. Romaine pour obtenir toujours plus de renseignements médicaux constituaient du harcèlement et cela avait pour effet d’accroître le stress de la fonctionnaire. Durant la réunion du 1er septembre, Mme Varey et M. Romaine avaient l’un et l’autre tenté de convaincre la fonctionnaire d’accepter le poste de l’entrée principale, même s’ils voyaient qu’elle souffrait et qu’elle était très stressée. La fonctionnaire avait bien été obligée de tenter de se plier aux dispositions qui avaient été prises pour elles par la suite à la salle du courrier, mais il est évident que tous les événements qui se sont produits avant le retour de M. Turi ont eu une incidence négative sur son état de stress et d’angoisse. La fonctionnaire n’a pas été tenue au courant de toutes les recherches qui étaient effectuées pour trouver un poste adapté à ses besoins à l’extérieur de l’établissement (pièces E-1 et E-2) et on ne lui a pas demandé son avis sur le type de fonctions qui auraient pu l’intéresser davantage. Comme elle était tenue dans l’ignorance, il va sans dire que le message « impoli » de Mme Varey lui intimant de se présenter aux bureaux de l’administration régionale n’avait fait qu’empirer la tension.

123  L’avocat de la fonctionnaire a fait valoir que les actes inconsidérés et délibérés auxquels les représentants de l’employeur se sont livrés à l’endroit de la fonctionnaire, alors qu’ils étaient parfaitement au courant des risques élevés associés à ses problèmes médicaux lui ouvrent droit à une indemnité en vertu du paragraphe 53(3) de la LCDP.

B. Pour l’employeur

124  L’avocate de l’employeur a fait valoir une objection concernant ma compétence pour instruire le second grief, qui porte sur des événements qui sont survenus après le dépôt du premier grief. Étant donné que la fonctionnaire demandait, entre autres, dans le premier grief, de ne plus être supervisée par Mme Varey et par M. Romaine, M. Turi avait consulté la fonctionnaire pour savoir où il conviendrait de la placer. Après avoir refusé le poste de PDI à l’ÉFV, elle avait finalement accepté d’être mutée à l’établissement Mission. Au début, cela avait occasionné des coûts pour l’employeur, qui prenait en charge les frais de déplacement et les autres dépenses de la fonctionnaire jusqu’à son installation définitive dans le nouvel établissement. Si la fonctionnaire avait accepté le poste de PDI, elle aurait immédiatement pu bénéficier de primes de poste et d’indemnités d’heures supplémentaires. C’est parce qu’elle avait entamé des discussions sur d’autres possibilités, qu’on avait jugé nécessaire de lui octroyer un congé. Dans ces conditions, la décision d’octroyer un congé ne peut pas être considérée comme une sanction pécuniaire au sens de l’alinéa 209(1)a) de la LRTFP. L’avocate m’a renvoyée à plusieurs décisions de la Commission se rapportant à des cas similaires, en l’occurrence : Stevenson c. Agence du revenu du Canada, 2007 CRTFP 43; Smith c. le Conseil du Trésor (Solliciteur général Canada – Service correctionnel), dossier de la CRTFP 166-2-27445 (19970922); et Schofield c. Conseil du Trésor (Affaires étrangères et du Commerce international), 2002 CRTFP 47,confirmée par 2004 CF 622.

125  L’avocate de l’employeur a avancé l’argument que pour en arriver à la conclusion que toute perte subie par la fonctionnaire équivaut à une sanction pécuniaire, il faut démontrer que l’employeur a imposé une mesure disciplinaire et, donc, que la fonctionnaire a commis une faute de conduite. Dans Stevenson, l’arbitre de grief fait d’ailleurs observer ceci :

[…]

[45]    Comme la Cour fédérale l'a indiqué récemment dans Canada (Attorney General) v. Grover, 2007 FC 28, les arbitres de griefs doivent se préoccuper de la substance et non de la forme des mesures disciplinaires présumées afin de déterminer s'ils ont compétence. Dans ce cas-ci, la mesure prise par l'employeur est de nature administrative. La fonctionnaire s'estimant lésée prétend que c'est une mesure disciplinaire déguisée. Quand il examine un acte de l'employeur qui lui paraît à première vue être de nature administrative, l'arbitre de grief doit prendre en considération tous les faits et circonstances accessoires pour déterminer s'il ne s'agit pas en fait d'une mesure disciplinaire déguisée.

[…]

[47]    Une mesure disciplinaire est une mesure que prend l'employeur pour remédier à un écart de conduite présumé ou, en d'autres termes, « [...] pour pallier à tout ce que l'employeur considère comme agissement coupable, quel que soit le terme inscrit dans les dossiers à cet effet […] » (Robertson c. Conseil du Trésor (ministère de la Défense nationale), dossier de la CRTFP 166-02-454 (19710628)). La fonctionnaire s'estimant lésée n'a pas démontré que les actes de l'employeur visaient à remédier à un écart de conduite présumé ou apparent. Il ressort au contraire de la preuve que l'employeur était satisfait de son travail et de la manière dont elle s'acquittait de ses tâches.

[…]

126  L’avocate de l’employeur m’exhorte à rejeter le premier grief, au motif que la fonctionnaire n’a pas démontré que l’employeur avait refusé de composer avec ses besoins ou qu’il avait pris des mesures discriminatoires à son endroit. La situation était délicate et chargée d’émotion, certes, mais rien ne permet de dire que les actes de l’employeur constituent du harcèlement, de la discrimination ou de l’abus de pouvoir au sens juridique de ces termes. L’avocate de l’employeur m’a renvoyée à un certain nombre de cas récents qui traitent d’actes discriminatoires et de mesures d’adaptation. Le principe qui s’en dégage est que l’employé a la charge d’établir à première vue qu’il a été victime de discrimination. Ces décisions établissent aussi les limites de l’obligation qui est faite à l’employeur de prendre des mesures pour composer avec les besoins d’un employé handicapé. L’avocate de l’employeur a également soutenu que la fonctionnaire n’avait pas fait la preuve qu’elle avait été victime de harcèlement ou que des gestionnaires avaient abusé de leurs pouvoirs.

127  L’avocate de l’employeur a passé la preuve en revue. Elle a déclaré que M. Turi avait réagi de façon plutôt précipitée à la première note du médecin, qui recommandait d’attribuer des « tâches administratives » à la fonctionnaire. Il avait regroupé pêle-mêle un certain nombre de fonctions, dont celles dans le secteur de la gestion des cas, pour répondre aux besoins de la fonctionnaire, du moins tels qu’il les percevait à ce moment-là. L’avocate de l’employeur a indiqué qu’il était entendu, dès le départ, que la situation serait réévaluée tout au long de la grossesse de la fonctionnaire. Quand la situation a été examinée, durant l’absence de M. Turi, on en est arrivé à la conclusion, pour diverses raisons — notamment parce qu’on croyait qu’il n’y avait pas suffisamment de travail pour la fonctionnaire et que son manque d’assiduité dans le secteur de la gestion des cas était une indication que les mesures en place n’étaient pas adaptées à ses besoins — que les mesures d’adaptation devaient être modifiées. C’est là qu’on a proposé le poste à l’entrée principale, en tenant pour acquis que la fonctionnaire allait en discuter avec son médecin, mais sa réaction a été si négative qu’on a décidé de retirer la proposition. L’employeur ne possédait pas de renseignements précis, à ce moment-là, sur les restrictions qui s’appliquaient aux activités de la fonctionnaire. La clause 45.02 de la convention collective dit expressément que l’employeur a le droit d’exiger des précisions sur ce point. Une fois muni des renseignements nécessaires, l’employeur a tenté de concevoir des mesures pour maintenir la fonctionnaire en poste dans l’établissement, comme il le souhaitait. Quand cela s’est avéré impossible, il lui a trouvé un poste dans un autre établissement.

128  L’avocate de l’employeur a soutenu que la recherche de mesures d’adaptation est un processus réciproque et que la fonctionnaire et ses représentants ont le devoir de participer aux efforts pour trouver des placements acceptables. Durant les discussions, la fonctionnaire s’est abstenue de proposer des mesures, mis à part travailler à la maison, une solution qui n’était pas réalisable à ce moment-là. Après avoir fait allusion à un éventuel projet syndical-patronal, la représentante syndicale n’a pas fourni d’autres indications sur la possibilité de réaliser ce projet.

129  L’obligation qui incombe à l’employeur dans ce cas-ci est de mettre en place des mesures d’adaptation raisonnables, et non pas de trouver des mesures qui sont parfaites ou qui coïncident à tous égards avec les préférences de l’employé. L’employeur est en droit de vouloir que l’employé accomplisse du travail utile. Il est évident dans ce cas-ci que la fonctionnaire souhaitait également accomplir du travail utile et que l’employeur a fait des efforts pour ne pas décevoir ses attentes.

130  L’avocate de l’employeur estime que les questions concernant les activités de la fonctionnaire durant le conflit à propos de la modification du protocole de contrôle de la détenue N étaient en bonne partie une échappatoire. Mme Varey a sévi contre Mme Coulson parce qu’elle avait commis un acte d’insubordination et non pas parce qu’elle avait soulevé des questions à propos de la sécurité du personnel ou avait exercé des droits aux termes du Code canadien du travail — droits qu’elle n’a pas exercé dans les faits. Lorsque Mme Varey s’est entretenue avec la fonctionnaire, le 30 août, et qu’elle lui a demandé si elle s’occupait de questions syndicales, son objectif n’était pas d’exercer des représailles contre la fonctionnaire pour quelque activité ayant un rapport avec la situation de la détenue N. Mme Varey tentait plutôt d’attirer l’attention de la fonctionnaire sur le fait que, semble-t-il, elle avait continué de discuter de questions syndicales au téléphone quand un membre de la haute direction s’était présenté dans l’unité. Elle ne faisait que rappeler à la fonctionnaire, en toute légitimité, qu’elle devait obtenir l’autorisation si elle désirait s’occuper de questions syndicales durant les heures de travail.

131  L’avocate de l’employeur a soutenu qu’aucune preuve n’avait été produite pour établir que Mme Varey avait la réputation d’être à couteaux tirés avec les représentants syndicaux ou de brutaliser ceux qui prenaient une part active aux activités du syndicat. Mme Collins a bien raconté que Mme Varey l’avait prise à partie pour avoir utilisé un certain type de congé par rapport à un autre, sauf qu’aucun grief ni aucune plainte de harcèlement n’ont été déposés à la suite de cet incident; de même, aucun exemple n’a été fourni pour appuyer ses déclarations générales que Mme Varey brutalisait d’autres employés.

C. Réfutation de la fonctionnaire

132  L’avocat de la fonctionnaire a soutenu que j’avais compétence pour trancher le second grief, puisque les allégations qu’il contient s’inscrivent dans la continuité des actes de harcèlement, de discrimination et d’abus de pouvoir qui sont décrits dans le premier grief.

133  L’avocat de la fonctionnaire refuse d’admettre que le premier certificat médical (pièce U-1) n’était pas suffisant. Le fait est qu’en 2004 et qu’en 2006, au tout début, l’employeur a réussi à mettre en place des mesures d’adaptation satisfaisantes en se basant sur le même type de renseignements. C’est à partir du moment où Mme Varey a pris en main le dossier des mesures d’adaptation que l’information contenue dans le certificat a été remise en cause. Le motif invoqué, en l’occurrence qu’il n’y avait « pas suffisamment de travail » dans le secteur de la gestion des cas, n’était qu’une pure invention et Mme Varey s’en est servi pour mettre un terme aux mesures d’adaptation initiales et proposer un nouveau placement qui était totalement inacceptable et qui ne correspondait pas à la recommandation d’attribuer des « tâches administratives » à la fonctionnaire.

134  L’avocat de la fonctionnaire a réitéré son argument que Mme Varey avait tenté illégalement d’empêcher des employés d’exercer les droits qui leur sont reconnus par le Code canadien du travail et la LRTFP, à titre d’employés syndiqués, et que ses rapports avec la fonctionnaire doivent être assimilés à des représailles contre quelqu’un qui a pris une part active dans ce conflit.

V. Motifs

135  Les allégations contenues dans les deux griefs sont extrêmement graves et les questions qu’elles soulèvent sont éminemment délicates et chargées d’émotion. Parmi les mesures correctives demandées par la fonctionnaire figurent la réaffectation de deux gestionnaires et le paiement d’une somme considérable d’argent pour souffrances et douleurs. Quiconque rencontre la fonctionnaire ne peut douter un seul instant que les événements qu’elle a vécus ont été terriblement stressants et que la perte de l’enfant à naître l’a marquée au plus profond de son être. De même, quiconque a entendu les témoignages ne peut pas ne pas s’être rendu compte du degré de tension qui se dégage des échanges qu’il y a eu entre la fonctionnaire et l’employeur au cours de l’été et de l’automne de 2006. Cela dit, je conviens avec l’avocate de l’employeur que je me dois ici de situer ces échanges dans un contexte juridique et de décider si les actes qui sont reprochés à l’employeur s’inscrivaient dans une perspective de discrimination et d’abus de pouvoir ou s’ils représentaient un effort consciencieux de sa part pour trouver un moyen de composer raisonnablement avec les besoins de la fonctionnaire.

136  Mes conclusions de faits dans ce cas-ci doivent être situées dans le contexte des principes juridiques qui se dégagent de la jurisprudence sur la question des rôles respectifs des employeurs et des employés dans les cas où l’employeur doit composer avec les besoins d’un employé handicapé. L’une des principales allégations sur lesquelles je dois me pencher dans ce cas-ci est que l’employeur a agi de manière discriminatoire à l’égard de la fonctionnaire en refusant de prendre des mesures d’adaptation adéquates durant sa grossesse. Dans Gibson c. Conseil du Trésor (ministère de la Santé), 2008 CRTFP 68, l’arbitre de grief a expliqué comment il fallait procéder pour déterminer si l’employeur qui ne prend pas des mesures d’adaptation adéquates agit de manière discriminatoire à l’égard de l’employé concerné. Voici ce qu’il a observé :

[…]

[27]   La Cour suprême du Canada s’est penchée sur le critère à appliquer dans les affaires d’allégation de discrimination dans une situation d’emploi. En particulier, elle a déterminé une méthode en trois étapes qui élimine la distinction faite entre discrimination directe et indirecte : Colombie-Britannique (Public Service Employee Relations Commission) c. BCGSEU (Meiorin), [1999] 3 R.C.S. 3, paragr. 54. Cependant, un aspect qui est souvent négligé, mais qu’a clairement fait valoir la Cour d’appel fédérale, est que l’un des principes fondamentaux de l’arrêt Meiorin prévoit que c’est au demandeur (en l’occurrence, ici, la fonctionnaire s'estimant lésée) qu’il incombe de produire une preuve prima facie […]

[…]

137  L’un des principes qui se dégage des cas tels que Colombie-Britannique (Public Service Employee Relations Commission) c. BCGSEU (Meiorin), [1999] 3 R.C.S. 3, est que l’obligation qui est imposée à l’employeur de prendre des mesures pour composer avec les besoins d’un employé handicapé est contraignante et que l’employeur doit faire des efforts consciencieux et prolongés pour trouver une solution qui permette à l’employé de demeurer au travail malgré ses restrictions médicales. C’est d’ailleurs ce que dit la Cour suprême du Canada au paragraphe 14 de sa récente décision dans Hydro-Québec c. Syndicat des employé-e-s de techniques professionnelles et de bureau d’Hydro-Québec, section locale 2000 (SCFP-FTQ), 2008 CSC 43 :

[14] Comme le dit la juge L’Heureux-Dubé [dans Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Montréal (Ville), 2000 CSC 27], les mesures d’accommodement ont pour but de permettre à l’employé capable de travailler de le faire. En pratique, ceci signifie que l’employeur doit offrir des mesures d’accommodement qui, tout en n’imposant pas à ce dernier de contrainte excessive, permettront à l’employé concerné de fournir sa prestation de travail. L’obligation d’accommodement a pour objet d’empêcher que des personnes par ailleurs aptes ne soient injustement exclues, alors que les conditions de travail pourraient être adaptées sans créer de contrainte excessive.

138  La Cour observe ensuite, aux paragraphes 15 et 16 de Hydro-Québec, que la responsabilité de l’employeur de prendre des mesures pour composer avec les besoins de l’employé comporte certaines limites :

[15]    L’obligation d’accommodement n’a cependant pas pour objet de dénaturer l’essence du contrat de travail, soit l’obligation de l’employé de fournir, contre rémunération, une prestation de travail.  Le fardeau qu’a imposé la Cour d’appel en l’espèce est mal formulé.  Voici ce qu’a dit la Cour d’appel :

Hydro-Québec n’a pas fait la preuve que, à la suite des évaluations de [la plaignante], il lui était impossible de composer avec ses caractéristiques, alors que certaines mesures étaient envisageables et même proposées par les experts.

[Je souligne; paragr. 100. – dans l’original]

[16]   Le critère n’est pas l’impossibilité pour un employeur de composer avec les caractéristiques d’un employé. L’employeur n’a pas l’obligation de modifier de façon fondamentale les conditions de travail, mais il a cependant l’obligation d’aménager, si cela ne lui cause pas une contrainte excessive, le poste de travail ou les tâches de l’employé pour lui permettre de fournir sa prestation de travail.

139  Le concept de « contrainte excessive » auquel la Cour suprême du Canada fait allusion dans le passage reproduit ci-dessus s’est révélé passablement difficile à définir dans le contexte de l’obligation de prendre des mesures d’adaptation. Dans Central Okanagan School District No. 23 c. Renaud, [1992] 2 R.C.S. 970, la Cour suprême du Canada a confirmé sa décision antérieure dans Commission ontarienne des droits de la personne et O'Malley c. Simpsons-Sears Ltd., [1985] 2 R.C.S. 536, selon laquelle les tribunaux canadiens doivent se garder d’appliquer la méthode décrite dans la jurisprudence américaine, qui veut que tout effort ou tout coût de l’employeur qui excède un seuil minimal ait valeur de contrainte excessive. Par ailleurs, comme la Cour l’indique dans Hydro-Québec, la notion de contrainte excessive ne doit pas imposer une charge si lourde à l’employeur qu’il ne peut s’en décharger qu’en démontrant qu’il lui est impossible de prendre des mesures d’adaptation satisfaisantes. La conclusion qui se dégage de ces observations est que l’obligation imposée à l’employeur est contraignante et que celui-ci doit faire des efforts diligents et vigoureux pour trouver des mesures qui permettront à l’employé de continuer de fournir sa prestation de travail, compte tenu de ses restrictions. Cela ne veut pas dire, cependant, que l’obligation qui est faite à l’employeur de composer avec les besoins de l’employé est illimitée.

140  En ce qui concerne la nature du processus qui s’applique pour façonner des mesures d’adaptation raisonnables, les observations formulées par la Cour suprême, au paragraphe 22 de Centre universitaire de santé McGill (Hôpital général de Montréal) c. Syndicat des employés de l'Hôpital général de Montréal, 2007 CSC 4, nous aident à mieux comprendre les principes courants qui sous-tendent l’obligation de prendre des mesures d’adaptation :

[22]    Le caractère individualisé du processus d’accommodement ne saurait être minimisé.  En effet, l’obligation d’accommodement varie selon les caractéristiques de chaque entreprise, les besoins particuliers de chaque employé et les circonstances spécifiques dans lesquelles la décision doit être prise. Tout au long de la relation d’emploi, l’employeur doit s’efforcer d’accommoder l’employé.  Cela ne signifie pas pour autant que les contraintes afférentes à l’accommodement doivent nécessairement être à sens unique.  Dans O’Malley (p. 555) et [Renaud], la Cour a reconnu que, lorsque l’employeur fait une proposition qui est raisonnable, il incombe à l’employé d’en faciliter la mise en œuvre.  Si l’absence de coopération de l’employé est à l’origine de l’échec du processus d’accommodement, sa plainte pourra être rejetée.  Comme le dit le juge Sopinka dans [Renaud], « [l]e plaignant ne peut s’attendre à une solution parfaite » (p. 995). L’obligation de l’employeur, du syndicat et de l’employé est d’arriver à un compromis raisonnable.  L’accommodement raisonnable est donc incompatible avec l’application mécanique d’une norme d’application générale […]

141  Les principes qui sont énoncés dans ces décisions nous indiquent que même si l’employeur est tenu de faire des efforts vigoureux pour composer avec les besoins d’un employé, l’obligation qui lui est imposée n’est pas infinie; elle lui permet d’arrêter son choix sur des mesures d’adaptation qui font son affaire aussi bien qu’elles font l’affaire de l’employé. L’employeur a le droit de vouloir que le travail accompli par l’employé représente une contribution utile pour l’entreprise. Rien ne l’oblige à créer des projets « artificiels » sous le prétexte de maintenir un employé au travail. Il faut aussi mentionner que l’employé a une responsabilité dans le processus menant à la conclusion d’une entente sur les mesures d’adaptation — celle d’accepter un compromis raisonnable et de fournir des documents médicaux sur lesquels l’employeur pourra se baser pour prendre des décisions. Qui mieux que l’employé et son médecin connaissent les restrictions associées à ses problèmes de santé; il appartient donc à l’employé de communiquer clairement ces restrictions à l’employeur.

142  Après examen de la preuve, je suis arrivée à la conclusion que l’employeur avait fait des efforts raisonnables pour composer avec les besoins de la fonctionnaire et qu’il s’était montré disposé à examiner des propositions qui l’auraient obligé à modifier les fonctions de la fonctionnaire en profondeur. Rappelons ici que les renseignements médicaux dont l’employeur disposait pour façonner des mesures adaptées aux besoins de la fonctionnaire étaient pour le moins limités, si je puis m’exprimer ainsi, et complètement inutiles. La première note du médecin ne contenait rien de plus qu’une mention à propos de « tâches administratives » et ne fournissait aucun détail sur les restrictions proprement dites qui s’appliquaient aux activités de la fonctionnaire. M. Turi en avait conclu qu’il y avait peu de chances que toutes les fonctions de la fonctionnaire comme intervenante de première ligne s’accordent avec cette description, d’où la décision de lui offrir une affectation qui ferait en sorte de la tenir éloignée le plus possible de l’unité de garde en milieu fermé. La fonctionnaire avait toutefois demandé à ne pas être retirée complètement de l’unité; c’est pourquoi on avait décidé de lui faire rédiger les procès-verbaux des réunions de l’ÉI et de la laisser s’occuper du dossier d’une détenue. Ces mesures ont été décidées sans consulter la personne qui allait avoir la responsabilité de superviser les tâches administratives de la fonctionnaire, en l’occurrence Mme Vankoughnett, mais en partant plutôt du principe qu’il y avait suffisamment de travail pour la fonctionnaire dans le secteur de la gestion des cas.

143  Durant les vacances de M. Turi, Mme Varey, qui avait la responsabilité de gérer les mesures d’adaptation durant son absence, a appris que la fonctionnaire était souvent absente du secteur de la gestion des cas, mais qu’elle était très présente dans l’unité de garde en milieu fermé, où elle semblait s’acquitter en partie des tâches d’une intervenante de première ligne, telles qu’admettre des détenues et des membres du personnel dans l’unité. Mme Varey n’était pas sûre que cela fasse partie des mesures d’adaptation qui avaient été mises en place pour la fonctionnaire et l’entretien qu’elle a eu avec Mme Vankoughnett semble avoir confirmé ses doutes que les mesures mises en place ne convenaient pas. De concert avec des représentants de la direction, Mme Varey a décidé de proposer de nouvelles mesures. La fonctionnaire et Mme Varey ont l’une et l’autre relaté l’entretien du 30 août, au cours duquel Mme Varey avait expliqué la nature de la nouvelle affectation proposée. Un peu plus tard dans la journée, les nouvelles mesures avaient été consignées dans un document (pièce U-3). Si la fonctionnaire a réagi de façon très négative à la proposition écrite, qu’elle a interprétée comme un « ordre » qui la forçait à accomplir des tâches qui ne correspondaient pas, à son avis, aux restrictions imposées par son médecin, j’ai de la difficulté à accorder cela avec son témoignage selon lequel elle avait demandé une description écrite de la proposition afin d’en discuter avec son médecin. Je retiens deux choses de la preuve, la première est que la fonctionnaire a eu le temps de discuter de la proposition avec son médecin et la seconde est que l’employeur a retiré la proposition après avoir été témoin de la réaction de la fonctionnaire et pris connaissance de la nouvelle note du médecin (pièce U-4).

144  Il faut se rendre à l’évidence, tous les témoins qui ont décrit la réunion du 1er septembre l’ont trouvée stressante et passablement éprouvante. La nouvelle note du médecin — qui recommandait de protéger la fonctionnaire contre les « altercations physiques » — pouvait elle aussi être interprétée de bien des façons. Selon la fonctionnaire et sa représentante, la recommandation signifiait que tout contact avec des détenues était interdit. C’était la première fois que l’employeur entendait parler de cette éventuelle restriction, qui lui compliquait singulièrement la tâche de prendre des mesures d’adaptation dans un établissement pénitentiaire, à plus forte raison un établissement où il y avait relativement peu de secteurs dont l’accès était interdit aux détenues. La fonctionnaire avait aussi déclaré au cours de la réunion que, idéalement, ses médecins préféreraient qu’elle [traduction] « […] reste à la maison les jambes allongées ». Dans son témoignage en guise de réfutation, la fonctionnaire a soutenu qu’elle était sous le coup d’une vive émotion quand elle avait tenu ces propos et qu’il ne fallait pas prendre ses paroles au pied de la lettre. N’empêche que les représentants de l’employeur en avaient conçu de l’inquiétude et que cela avait ajouté une nouvelle pierre à l’édifice des difficultés qui entravaient sa recherche de mesures d’adaptation acceptables.

145  Si la réunion du 1er septembre a été éprouvante, l’employeur a tout de même poursuivi ses efforts pour composer avec les besoins de la fonctionnaire. Il a demandé un complément d’information médicale parce qu’il ne savait toujours pas à quoi s’en tenir au sujet des restrictions particulières qui s’appliquaient aux activités de la fonctionnaire. L’avocat de la fonctionnaire a défendu la position que les demandes répétées de l’employeur pour obtenir des renseignements médicaux constituaient du harcèlement. Je n’accepte pas cet argument. Le fait est que les premières mesures d’adaptation qui ont été mises en place — il faut se rappeler que le 1er septembre, la fonctionnaire soutenait toujours que ces mesures avaient été annulées — faisaient en sorte que la fonctionnaire maintenait une présence dans l’unité de garde en milieu fermé et continuait d’avoir des contacts avec des détenues. Pourtant, le 1er septembre, la fonctionnaire et ses représentantes ont produit un nouveau certificat médical qui indiquait, selon elles, que tout contact avec les détenues était interdit. La fonctionnaire a également déclaré que la situation idéale pour elle serait de rester à la maison les jambes allongées, or, elle s’est expressément dite outrée par la suggestion de M. Romaine de réfléchir à la possibilité de demander des prestations de maladie de l’assurance-emploi. Si je me fie aux notes de M. Romaine et aux comptes rendus des témoins qui étaient présents à la réunion, on ne peut certainement pas dire que les restrictions qui s’appliquaient aux activités de la fonctionnaire étaient claires pour tous.

146  À plusieurs reprises durant les témoignages et la présentation des arguments, la fonctionnaire et son avocat ont fait allusion aux mesures d’adaptation dont la fonctionnaire avait bénéficiée en 2004 et qu’ils considéraient comme la norme souhaitable sur les plans de l’information médicale et du type de réponse attendue de l’employeur. Or, le consensus qui se dégage de la preuve des témoins de l’employeur est que la situation était bien différente en 2004. L’unité de garde en milieu fermé n’existait pas encore à ce moment-là, et il y avait une profusion de tâches que la fonctionnaire pouvait accomplir à la maison dans son domaine de compétence. La réaction de la fonctionnaire aux propositions qui lui ont été présentées en 2006 semble prendre sa source, dans bien des cas, dans sa préférence absolue pour l’option du travail à domicile. Seulement, rien n’oblige l’employeur à prendre des mesures d’adaptation qui s’accordent avec les préférences de l’employé. Les mesures qui sont mises en œuvre doivent répondre aux besoins des deux parties. L’employeur doit s’efforcer de trouver une solution qui permet à l’employé de continuer à fournir sa prestation de travail, mais cette solution doit aussi répondre en partie aux besoins opérationnels de l’employeur. Je ne doute pas que les mesures d’adaptation qui ont été mises en œuvre en 2004 correspondaient en tous points aux attentes de la fonctionnaire, mais cela ne veut pas dire que l’employeur a agi de manière déraisonnable ou discriminatoire parce qu’il a orienté ses recherches vers d’autres types de mesures en 2006.

147 Je trouve regrettable — et je ne saurais en imputer la faute ni à la fonctionnaire ni à l’employeur — que les renseignements médicaux sur lesquels les parties se sont basées pour tenter de trouver des mesures d’adaptation pour la fonctionnaire étaient insuffisants et si peu détaillés. Peu importe l’usage que l’employeur a fait des renseignements médicaux qui étaient disponibles en 2004 — aucune preuve ne m’a été présentée à ce sujet — le fait est que les premières notes reçues en 2006 contenaient peu de renseignements utiles. Comparativement à la dernière note fournie (pièce U-5) le 7 septembre, les notes produites sous les cotes U-1 et U-4 étaient incompréhensibles et d’une parfaite inutilité. La recommandation à propos des « tâches administratives » faisait allusion à une catégorie de responsabilités qui peut englober une multitude de tâches, y compris celles que l’employeur envisageait d’attribuer à la fonctionnaire au poste de l’entrée principale, mais elle restait muette sur les restrictions particulières qui s’appliquaient ou les situations qui devaient être évitées. De même, les mots « altercations physiques », dans la deuxième note, pourraient être interprétées — comme le prétendaient la fonctionnaire et sa représentante — comme signifiant que tous contacts, physiques, visuels et auditifs, avec des détenues étaient interdits, ou, de manière plus restrictive, comme signifiant que la fonctionnaire ne devait pas être exposée à des dangers physiques ou se trouver à proximité de personnes qui sont en danger. Les renseignements contenus dans les notes des médecins ainsi que les réactions de la fonctionnaire aux mesures proposées par l’employeur créaient une cible mobile, qui compliquait évidemment la tâche de l’employeur de trouver une réponse cohérente. Cela dit, j’en suis néanmoins venue à la conclusion que l’employeur avait fait des efforts raisonnables pour composer de manière satisfaisante avec les besoins de la fonctionnaire et que ses représentants n’avaient pas agi de manière discriminatoire.

148  L’avocat de la fonctionnaire m’a renvoyée à Marois et Hubert c. Conseil du Trésor (Service correctionnel Canada), 2004 CRTFP 150, dans laquelle l’arbitre a conclu que le degré de contact avec les détenus était l’un des éléments dont il fallait tenir compte pour composer avec les besoins des employées enceintes de l’établissement. La décision Marois et Hubert insiste sur l’importance de prendre en compte l’élément des contacts avec les détenus pour façonner des mesures d’adaptation adéquates. Il ne subsiste aucun doute dans mon esprit que l’employeur et le syndicat ont également attaché de l’importance à cet aspect, au vu du libellé de la clause 45.07 de la convention collective.

149  Durant son contre-interrogatoire des témoins de l’employeur, l’avocat de la fonctionnaire a donné à entendre que, dans la foulée de la décision Marois et Hubert, le Conseil du Trésor avait adopté une politique générale qui exclue d’office les contacts avec les détenus lorsque des agentes correctionnelles enceintes demandent des mesures d’adaptation. Si je me fie aux réponses des témoins, personne n’était au courant de l’existence d’une politique semblable; l’avocat de la fonctionnaire n’a par ailleurs fourni aucune preuve concrète pour étayer sa prétention. Quoi qu’il en soit, a-t-il dit, la conclusion qui se dégage de Marois et Hubert est que les mesures visant à composer avec les besoins des agentes correctionnelles enceintes doivent exclure tout contact avec les détenus.

150  Je ne crois pas qu’on puisse interpréter Marois et Hubert dans un sens aussi large. Cette décision porte pour une bonne part sur la question de savoir si les médecins de Santé Canada pouvaient véritablement fournir des avis médicaux indépendants dans le contexte de la clause 45.04 de la convention collective. L’arbitre de grief a conclu que Santé Canada ne pouvait pas être considéré comme une source d’avis médicaux indépendants pour l’employeur. Mentionnons aussi que les certificats médicaux fournis par les employées dans Marois et Hubert faisaient expressément mention des contacts avec les détenus, ce qui m’amène à dire que les faits de cette cause sont différents de ceux de la présente affaire. Dans ce cas-ci, la question des contacts avec les détenues s’est posée de manière indirecte, tout au plus, après la réception du deuxième certificat et c’est seulement après la réception du troisième certificat que la situation a véritablement été tirée au clair. J’ajouterai à cela que le texte des derniers paragraphes de Marois et Hubert ne donne aucune indication que les contacts avec les détenus devraient être interdits d’office chaque fois qu’une agente correctionnelle enceinte demande des mesures d’adaptation; voici d’ailleurs ce que l’arbitre écrit au paragraphe 68 de cette décision :

 [68]   Ainsi, en voulant imposer une réaffectation dans un poste de commis à l'administration I ou à l'administration III à Mmes Marois et Hubert, à compter du 19 novembre 2001, l'employeur contrevient à la clause 46.07 de la convention collective. Il aurait pu en être autrement si l'employeur avait obtenu, selon les stipulations de la clause 46.02, un avis médical indépendant contredisant que la restriction stipulant qu'il n'y ait aucun contact avec un détenu était motivée selon l'état de santé de la mère et(ou) du fœtus.

151  Ma conclusion que l’employeur a fait des efforts raisonnables pour composer avec les besoins de la fonctionnaire et qu’il n’a pas agi de manière discriminatoire ne met toutefois pas un point final à la présente affaire, puisque la fonctionnaire allègue également qu’elle a été victime de harcèlement, d’abus de pouvoir et de discrimination, du fait de ses activités syndicales.

152  L’allégation de harcèlement est surtout basée sur la relation qui existait entre la fonctionnaire et Mme Varey, même si M. Romaine est aussi mis en cause en sa qualité de surveillant de Mme Varey. La fonctionnaire et Mme Varey ont l’une et l’autre admis que leur relation était tendue; on peut d’ailleurs trouver regrettable qu’en raison de l’absence d’autres personnes, notamment M. Turi, à des moments cruciaux, la responsabilité de gérer les mesures d’adaptation ait échue à Mme Varey. Les frictions qui existaient entre Mme Varey et la fonctionnaire faisaient évidemment en sorte qu’il était difficile pour la fonctionnaire de réagir avec détachement aux propos de Mme Varey.

153  Cela dit, le fait qu’il y ait des tensions ou de l’animosité au travail n’est pas un motif suffisant pour conclure au bien-fondé d’une d’allégation de harcèlement. Dans Joss c. Conseil du Trésor (Agriculture et Agroalimentaire Canada), 2001 CRTFP 27, l’arbitre de grief a observé ceci au paragraphe 96 :

[96]    Dans les relations d’emploi, les cas d’amour-propre blessé, de ressentiments et même d’employés qui se détestent cordialement ne sont pas uniques. Pourtant, on ne peut pas toujours parler de harcèlement dans ces cas-là; le plus souvent, les deux parties ne sont pas sans reproche. Les sanctions disciplinaires ne sont pas nécessairement le meilleur remède pour les problèmes de ce genre, et il est certain que la façon optimale de les contrer n’est pas le recours aveugle aux politiques sur le harcèlement ou à des plaintes de harcèlement, comme cette triste histoire le démontre.

154  Au paragraphe 59 de Joss, l’arbitre de grief a énuméré les conditions qui doivent être réunies pour conclure que l’employé concerné est victime de harcèlement aux termes de la politique du Conseil du Trésor :

[59]    Bref, pour qu’on puisse conclure à ce genre de harcèlement au sens de la Politique sur le harcèlement en milieu de travail du Conseil du Trésor, il faut qu’il y ait 1) un comportement malséant, 2) que ce comportement vise le plaignant, 3) qu’il soit blessant pour celui-ci, 4) que son auteur en connaissait l’importunité ou aurait dû la connaître, 5) que le comportement humilie, rabaisse ou embarrasse personnellement le plaignant et 6) que ce soit un propos, une action ou une exhibition ayant cet effet une fois ou continuellement. Par conséquent, lorsque le harcèlement n’est pas sexuel, il ne suffit pas que le comportement soit malséant et que son auteur ait su ou aurait dû savoir qu’il était importun; la personne visée par le comportement doit le considérer comme blessant, et le comportement lui-même doit être répréhensible parce qu’il humiliait, rabaissait ou embarrassait personnellement la victime. Il s’ensuit que le harcèlement non sexuel doit être prouvé à la fois objectivement et subjectivement. Le critère objectif, c’est que le comportement doit être malséant et humiliant, rabaissant ou embarrassant personnellement pour la victime, et le subjectif, que la victime ou la personne visée par le comportement doit l’avoir considéré comme blessant pour une de ces raisons.

155  Après avoir entendu les témoignages de la fonctionnaire et de Mme Varey, on ne peut que conclure qu’il existait une relation malsaine entre les deux. La fonctionnaire estimait que Mme Varey n’avait pas les compétences requises pour diriger une unité de garde en milieu fermé comme celle qui avait été créée à l’ÉFV et qu’elle avait une moins bonne connaissance des politiques et procédures applicables que la fonctionnaire. Elle a admis qu’elle n’avait pas de respect pour Mme Varey en tant que surveillante. Mme Varey estimait pour sa part que la fonctionnaire lui manquait de respect et qu’elle avait une attitude hostile à son endroit, attitude qu’elle attribuait en bonne partie au sentiment de propriété qu’éprouvait la fonctionnaire à l’égard des politiques qu’elle avait aidé à rédiger. Mme Varey était d’avis que la fonctionnaire n’acceptait pas de voir ces politiques modifiées ou adaptées. Elle estimait qu’il était de son devoir, à titre de supérieure immédiate de la fonctionnaire, d’attirer son attention, de temps à autre, sur des aspects de son rendement ou de sa conduite qui laissaient à désirer. Bref, rien de cela n’était de nature à favoriser une relation harmonieuse et productive, sauf que la preuve ne me permet d’établir que Mme Varey a outrepassé, quoique sans succès, les pouvoirs qui lui sont dévolus comme surveillante, ni qu’elle a ciblé la fonctionnaire ou cherché à la rabaisser ou à l’humilier. La preuve limitée qui a été produite pour établir l’existence de conflits interpersonnels entre Mme Varey et d’autres employés est elle aussi insuffisante pour étayer une allégation de harcèlement, quoiqu’elle nous en dise un peu plus sur le climat de tension dans lequel les événements se sont déroulés. Une partie de la preuve qui a été produite pour établir que Mme Varey faisait du harcèlement révèle en fait qu’elle obéissait aux directives d’autres personnes. C’est à la demande de M. Turi que Mme Varey a téléphoné à la fonctionnaire pour lui dire de se présenter aux bureaux de l’administration régionale, et non parce qu’elle était prise d’une soudaine envie de harceler ou de contrarier la fonctionnaire. Mme Varey s’exprimait parfois avec fermeté et on a pu voir qu’il y avait de la tension dans certains des échanges qu’elle a eus avec la fonctionnaire et d’autres membres du personnel, mais cela n’est pas suffisant pour conclure que sa conduite équivalait à du harcèlement.

156  L’allégation de harcèlement contre M. Romaine est basée, en partie, sur son rôle à titre de surveillant de Mme Varey et sur les échanges qu’il a eus avec la fonctionnaire durant les réunions auxquelles il a participé. M. Romaine a indiqué que la réunion du 30 août avec la directrice et la réunion du 1er septembre ne s’étaient pas déroulées dans des conditions idéales; il a admis que la fonctionnaire était stressée à certains moments et qu’elle était en proie à de vives émotions. Je suis toutefois venue à la conclusion que, durant ces réunions, M. Romaine avait véritablement tenté de connaître le point de vue de la fonctionnaire sur les diverses mesures proposées et de lancer de nouvelles idées. Rappelons que ces efforts s’inscrivaient dans un contexte où il y avait peu de renseignements médicaux disponibles et où de nouveaux aspects de la situation de la fonctionnaire étaient constamment mis au jour. Cela étant, M. Romaine n’avait aucune raison de mettre en doute les informations fournies par Mme Varey, à titre de surveillante de la fonctionnaire et à titre de collègue gestionnaire capable d’offrir une perspective sur la situation dans l’établissement.

157  L’avocat de la fonctionnaire prétend également que la fonctionnaire a été l’objet de mesures discriminatoires en raison de ses activités syndicales, en violation de l’article 37 de la convention collective et des dispositions du Code canadien du travail et de la LRTFP. Il a établi un rapport de cause à effet entre le rôle que la fonctionnaire avait joué lors des événements qui avaient entraîné la prise d’une mesure disciplinaire contre Mme Coulson et la décision d’annuler sa première affectation dans le secteur de la gestion des cas. Il a également attiré l’attention sur le fait que Mme Varey avait soulevé la question des activités syndicales de la fonctionnaire lorsqu’elle l’avait informée du nouveau projet de placement.

158  Rien dans la preuve n’indique, selon moi, que la décision de modifier les mesures d’adaptation de la fonctionnaire ait quelque rapport avec ses activités syndicales. Mme Varey a elle-même indiqué qu’elle avait dit à la fonctionnaire, au cours de l’entretien du 30 août, qu’on lui avait signalé qu’elle avait omis de s’apercevoir de la présence d’un membre de la haute direction parce qu’elle discutait de questions syndicales au téléphone. L’entretien n’avait rien à voir avec le conflit avec Mme Coulson à propos des modifications apportées aux protocoles de contrôle de la détenue N. Le témoignage de la fonctionnaire concorde avec celui de Mme Varey pour ce qui est du contenu de l’entretien; il diffère cependant en ce qui concerne le ton des échanges. Je conviens avec l’avocate de l’employeur que les témoignages et les arguments entendus à propos du protocole établi pour la détenue N étaient en bonne partie une échappatoire. La preuve ne corrobore pas l’allégation que Mme Varey a tenté d’empêcher des employées de faire valoir leurs droits légitimes eu égard à leur sécurité. Aucune plainte n’a été déposée en vertu du Code canadien du travail. Mme Varey en est venue à imposer une mesure disciplinaire à Mme Coulson pour la façon dont elle avait choisi de faire valoir son point de vue, mais la preuve ne permet pas d’établir que le rôle que la fonctionnaire a joué en toute légitimité en représentant Mme Coulson a suscité une réaction de la part de Mme Varey. Certains témoins ont prétendu que Mme Varey avait tenté, dans le passé, d’intervenir dans l’exercice des droits de négociation des employés, mais aucun exemple ni aucune preuve concrète ne m’ont été fournis pour corroborer ces allégations. Une chose est sûre, c’est que je ne dispose d’aucune preuve que Mme Varey a été l’objet de plaintes de pratique déloyale.

159  L’avocat de la fonctionnaire n’a pas cherché à établir séparément le bien-fondé de l’allégation d’abus de pouvoir. Il faut donc en conclure, comme m’exhorte à le faire l’avocate de l’employeur, qu’il s’agit d’une accusation contextuelle ou globale ayant pour but de soutenir les allégations de discrimination et de harcèlement. Je ne nie pas que les représentants d’un employeur peuvent abuser de leurs pouvoirs en agissant de manière discriminatoire envers les employés ou en les harcelant. Compte tenu des conclusions que j’ai tirées à propos des allégations de discrimination et de harcèlement, il n’est pas nécessaire que j’examine en détail l’accusation d’abus de pouvoir; j’observerai toutefois que la profondeur du sentiment d’animosité d’un employé à l’endroit du personnel de supervision ou de gestion ne saurait être considérée comme un indicateur fiable que la conduite des représentants de l’employeur a outrepassé les limites des pouvoirs légitimes qui leur sont dévolus. La fonctionnaire percevait les actes de Mme Varey et de M. Romaine comme étant arbitraires et déraisonnables et cela se comprend qu’elle ait été dans un état de grande anxiété. Seulement, comme je l’ai expliqué plus tôt, je conclus que la conduite des gestionnaires ne constituait ni de la discrimination, ni du harcèlement, ni de l’abus de pouvoir.

160  L’avocate de l’employeur a fait valoir une objection à propos de ma compétence pour instruire le second grief, qui porte sur la décision d’octroyer un congé à la fonctionnaire après son retour au travail et le dépôt du premier grief en octobre 2006, en attendant de trouver d’autres moyens de composer avec ses besoins. Si c’était le seul grief que j’avais à trancher, peut-être bien que j’accepterais l’argument de l’employeur que la décision d’octroyer un congé n’équivalait pas à une mesure punitive donnant ouverture à l’application de l’alinéa 209(1)a) de la LRTFP. Mais dans ce cas-ci, je retiens plutôt l’argument de l’avocat de la fonctionnaire selon lequel cette décision s’inscrit dans la continuité des mesures que la fonctionnaire qualifiait de discriminatoires et d’abusives dans son premier grief. Je conclus que j’ai compétence pour instruire le grief sous cet angle et je l’ai dès lors examiné dans le contexte des événements qui sont à l’origine du premier grief.

161  Cela dit, je suis arrivée à la conclusion que les actes de l’employeur qui ont donné lieu au premier grief ne peuvent pas être qualifiés de la manière décrite dans le grief de la fonctionnaire; il s’ensuit que je rejette aussi le second grief. Après avoir tenté de répondre à la demande contenue dans le premier grief —, en l’occurrence faire en sorte que la fonctionnaire ne soit plus supervisée par Mme Varey ou par M. Romaine —, en proposant à la fonctionnaire un poste dans un autre secteur de l’établissement, où elle aurait pu bénéficier de primes de poste et d’indemnités d’heures supplémentaires, M. Turi a jugé nécessaire de lui octroyer un congé, en attendant de lui trouver un poste à l’extérieur de l’ÉFV. M. Turi n’est pas mis en cause dans le premier grief; en fait, la fonctionnaire et M. Turi ont l’un et l’autre indiqué à l’audience que, jusque-là, leur relation avait été harmonieuse. Rien ne me prouve que M. Turi ait agi de mauvaise foi et dans un autre but que celui de trouver une solution constructive pour la fonctionnaire.

162  Je tiens à préciser ici qu’aucune des observations que j’ai formulées dans la présente décision ne doit être interprétée comme une tentative de banaliser la perte incommensurable que la fonctionnaire a vécue durant les événements décrits ci-dessus. La perte de son enfant est une tragédie, et on peut comprendre que les risques associés à son état de santé l’aient rendue anxieuse et craintive durant sa grossesse. Il n’en reste pas moins que, pour les motifs que j’ai exposés, je ne puis faire droit aux allégations de discrimination, de harcèlement et d’abus de pouvoir contenues dans le premier grief et à l’allégation que l’octroi du congé de maladie s’inscrivait dans la continuité de ces actes.  

163  Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

VI. Ordonnance

164  Les griefs sont rejetés.

Le 12 mai 2009.

Traduction de la CRTFP

Beth Bilson,
arbitre de grief

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