Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Les fonctionnaires s’estimant lésés (les <<fonctionnaires>>) sollicitaient une rétroaction individuelle et la possibilité d’obtenir une révision de décision aux termes du programme de dotation de l’Agence du revenu du Canada Revenue (ARC) - les griefs ne faisaient aucune mention de l’article 1 de la convention collective, mais ont été renvoyés à l’arbitrage au motif d’une allégation de violation, par l’employeur, de l’article 1 - les fonctionnaires alléguaient que l’employeur avait agi de façon arbitraire et de mauvaise foi en leur refusant l’accès à un recours - l’employeur a formulé une objection à la compétence de la Commission à instruire les griefs au motif que ceux-ci concernaient son programme de dotation - l’arbitre de grief a déterminé que les fonctionnaires n’ont pas cité l’article1 dans leurs griefs, n’ont pas modifié leurs griefs à un quelconque palier ultérieur de la procédure applicable pour signifier clairement l’allégation de violation, et n’ont pas dûment soulevé la question - par conséquent, le principe établi dans l’arrêt Burchill c. Procureur général du Canada, [1981] 1 C.F. 109 (C.A.) s’applique en l’espèce - l’article 1 de la convention collective est une clause générale, une introduction ou un avant-propos qui ne confère aucun droit substantif aux employés - la teneur essentielle des griefs a trait au programme de dotation de l’ARC - l’article 209 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique empêche un arbitre de grief de se saisir d’une telle question et de l’instruire. Objection accueillie. Griefs rejetés.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2009-06-11
  • Dossier:  566-34-2105 et 2106
  • Référence:  2009 CRTFP 73

Devant un arbitre de grief


ENTRE

GORDON SWAN ET DAVID JOHN McDOWELL

fonctionnaires s'estimant lésés

et

AGENCE DU REVENU DU CANADA

employeur

Répertorié
Swan et McDowell c. Agence du revenu du Canada

Affaire concernant des griefs individuels renvoyés à l'arbitrage

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Dan Butler, arbitre de grief

Pour les fonctionnaires:
Steve Eadie, Institut professionnel de la fonction publique du Canada

Pour l'employeur:
Peter Cenne et Tracey O’Brien

Décision rendue sur la base d’arguments écrits déposés
le 4 juillet 2008 et les 11 mars et 16 et 29 avril 2009.
(Traduction de la CRTFP)

Griefs individuels renvoyés à l'arbitrage

1 Gordon Swan et David John McDowell (les « fonctionnaires s’estimant lésés » ou les « fonctionnaires » ont renvoyé des griefs individuels à l’arbitrage le 12 juin 2008, en vertu de l’alinéa 209(1)a) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (la « Loi » ou la LRTFP), édictée par l’article 2 de la Loi sur la modernisation de la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22. Les deux fonctionnaires ont relevé une infraction à l’article 1 (Objet de la Convention) de leur convention collective comme étant le cœur du litige. En ce qui le concerne, M. Swan a allégué que l’Agence du revenu du Canada (l’« Agence » ou l’« employeur ») avait [traduction] « […] agi de mauvaise foi et de manière arbitraire en n’offrant pas de recours. Aucun autre recours n’est disponible ». De son côté, M. McDowell a écrit que [traduction] « […] [l’] employeur a agi de mauvaise foi et de façon arbitraire eu égard à sa politique de dotation ».

2 La convention collective en question est celle de l’unité de négociation de la vérification et du personnel financier et scientifique, représentée par l’Institut professionnel de la fonction publique du Canada (l’« agent négociateur »). La convention collective venait à échéance le 21 décembre 2007.

3 M. Swan a d’abord relaté ainsi les détails de l’affaire dans son grief, lorsqu’il l’a présenté au premier palier de la procédure applicable :

[Traduction]

Le 16 septembre 2006, j’ai demandé à obtenir une rétroaction individuelle conformément à l’annexe E du programme de dotation concernant le processus de sélection 2005-4041-SOR-1214-3066. Le 21 septembre 2006, on m’a proposé un examen officieux sans autre recours ne faisant pas partie de la politique. À l’étape d’évaluation de la procédure de dotation, on avait auparavant déterminé que j’avais été traité de façon arbitraire et que la mesure corrective avait apparemment été prise. L’information limitée que l’on m’a transmise ne semble pas traiter de la décision du gestionnaire responsable, M. Tony Prosia […].

[Mesure corrective]

Que l’on m’accorde la rétroaction individuelle et la possibilité d’une révision de décision relativement au processus de sélection 2005-4041-SOR-1214-3066.

4 M. McDowell a initialement rédigé son grief comme suit :

[Traduction]

En contravention avec les principes et le programme de dotation de l’ARC, on m’a indûment refusé un recours officiel relativement aux processus de dotation 2005-4041-SOR-1214-3066 et 2005-4047-SOR-1216-3005.

Au stade d’évaluation de la procédure de dotation, j’ai droit à une rétroaction officielle. Si je ne suis pas satisfait de cette rétroaction et ai des raisons de croire que l’on m’a traité de façon arbitraire, j’ai droit à un autre recours – la révision de décision. Si des changements découlant du recours (comme c’est le cas ici) ou d’autre chose sont apportés aux outils d’évaluation et que ces changements sont importants et ont un effet sur ma nomination (ou ma non-nomination, comme c’est le cas ici), j’ai droit au recours prévu à l’étape d’évaluation du programme de dotation.

[Mesure corrective]

Que l’on m’accorde une rétroaction officielle et la possibilité d’une révision de décision relativement aux processus de sélection 2005-4041-SOR-1214-3066 et 2005-4047-SOR-1216-3005.

5 Le 25 juin 2008, l’employeur a contesté la compétence d’un arbitre de grief d’instruire les griefs et a demandé à la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la « CRTFP ») de les rejeter sans audience.

6 La présente décision porte sur l’objection préliminaire de l’employeur.

II. Objection préliminaire

7 L’employeur a cité plusieurs motifs à sa contestation de compétence. Il a fait valoir que les griefs traitaient de questions régies par le programme de dotation de l’Agence, lequel a été élaboré sous le régime de l’article 54 de la Loi sur l’Agence du revenu du Canada, L.C. 1999, c. 17 (la LARC). Selon l’employeur, le programme de dotation constitue une procédure administrative de réparation au sens du paragraphe 208(2) de la LRTFP, lequel stipule ce qui suit :

(2) Le fonctionnaire ne peut présenter de grief individuel si un recours administratif de réparation lui est ouvert sous le régime d’une autre loi fédérale, à l’exception de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

L’employeur a affirmé que cette disposition avait pour effet d’empêcher un fonctionnaire de contester une question relative au programme de dotation, comme c’est le cas dans les griefs de l’espèce.

8 Le paragraphe 54(2) de la LARC stipule que toutes les matières régies par le programme de dotation en personnel sont exclues du champ des conventions collectives. L’employeur soutient donc que le programme de dotation ne fait pas et ne peut pas faire partie de la convention collective qui régit les parties en l’espèce. Pour ce motif, les fonctionnaires n’ont pas, avec leur employeur, un différend qui porte sur une disposition de la convention collective et qui peut être renvoyé à bon droit à l’arbitrage en application de l’alinéa 209(1)a) de la LRTFP, lequel se lit ainsi :

          209. (1) Après l’avoir porté jusqu’au dernier palier de la procédure applicable sans avoir obtenu satisfaction, le fonctionnaire peut renvoyer à l’arbitrage tout grief individuel portant sur

a) soit l’interprétation ou l’application, à son égard, de toute disposition d’une convention collective ou d’une décision arbitrale;

9 Comme la Cour fédérale l’a confirmé dans Canada (Procureur général) c. Gagnon, 2006 CF 216, le programme de dotation de l’Agence a force de loi. L’employeur affirme donc que les fonctionnaires auraient pu contester des questions relatives au programme de dotation au moyen d’une demande de contrôle judiciaire, aux termes de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), c. F-7.

10 Au nom des fonctionnaires s’estimant lésés, l’agent négociateur a répliqué à l’objection préliminaire de l’employeur le 4 juillet 2008. Le représentant de l’agent négociateur a fait valoir les points suivants :

[Traduction]

[…]

Dans le renvoi à l’arbitrage, on a indiqué que ces fonctionnaires feraient mention de l’article 1.01 de la convention collective et qu’il s’agit d’une question de mauvaise foi. De par sa nature même, ce problème devrait donner compétence à la Commission. Que le cas de mauvaise foi de l’affaire en instance soit survenu eu égard à une situation de dotation n’en fait pas moins une affaire de mauvaise foi. À notre sens, il s’agit là d’un autre acte de mauvaise foi visant à protéger des actions déraisonnables sous le couvert du programme de dotation en personnel.

L’article 1.0 [sic] et le cas de mauvaise foi ne sont pas mentionnés dans le grief, car les fonctionnaires ne pouvaient pas savoir que l’employeur ferait preuve de mauvaise foi pendant la procédure de règlement des griefs. C’est ce que l’employeur a fait dans sa réponse au troisième palier de la procédure applicable, réponse aujourd’hui déférée à la Commission et qui, je le crois, a été examinée par M. Cenne.

La question d’agir de bonne foi et les commentaires faits dans les réponses données aux premier et troisième paliers ont été portés à l’attention de l’employeur au dernier palier de la procédure applicable. Ce n’est pas là un problème nouveau.

La question de savoir si un employeur a agi de mauvaise foi, de façon déraisonnable ou arbitraire dans ses interactions avec ses employés est une question dont la Commission peut se saisir pour la trancher. Ce principe est énoncé et convenu à l’article 1.0 [sic] de la convention collective. Le paragraphe 209(1) de la LRTFP est applicable.

La mauvaise foi et la conduite de l’employeur dans la façon dont il traite avec ses employés n’est pas une question régie par le programme de dotation.

[…]

11 Le président de la Commission m’a ensuite nommé comme arbitre de grief pour entendre et trancher ces questions. Après avoir examiné le dossier, j’ai décidé de me prononcer sur la contestation de compétence comme question préliminaire, et ce, sur la base d’arguments écrits qui ont été déposés et en application de l’article 227 de la Loi, qui se lit comme suit :

          227. L’arbitre de grief peut trancher toute affaire dont il est saisi sans tenir d’audience.

12 Pour m’assister dans l’examen de la question préliminaire, le greffe de la Commission, sur mes instructions, a sollicité des parties d’autres arguments écrits sur les questions suivantes :

[Traduction]

1. Pendant le déroulement de la procédure de traitement des griefs individuels, les fonctionnaires s’estimant lésés ont-ils allégué de quelque façon que l’employeur avait enfreint les clauses 1.01 et 1.02 de la convention collective applicable?

2. Dans l’affirmative, pareille allégation permet-elle à un arbitre de grief d’avoir compétence pour instruire des questions liées à l’interprétation ou à l’application aux fonctionnaires d’une disposition du programme de dotation de l’Agence du revenu du Canada?

3. En quoi des décisions arbitrales telles que Malette c. Agence du revenu du Canada, 2008 CRTFP 99, Hureau c. Conseil du Trésor (ministère de l’Environnement), 2008 CRTFP 47, et Dhudwal et al. c. Agence des douanes et du revenu du Canada, 2003 CRTPF 116, et des décisions de la Cour fédérale, telles que l’Institut professionnel de la fonction publique du Canada c. Agence des douanes et du revenu du Canada, 2004 CF 507, et Canada (Procureur général) c. Gagnon, 2006 CF 216, pourraient-elles s’appliquer aux présents griefs?

[…]

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour l’employeur

13 L’employeur a réitéré sa position selon laquelle le programme de dotation de l’Agence est une procédure administrative de réparation au sens de ce qu’exige la LARC; voir Institut professionnel de la fonction publique du Canada c. Canada (Agence des douanes et du revenu) 2004 CF 507. Ce programme a force de loi et lie les parties; voir Canada (Procureur général) c. Gagnon, 2006 CF 216. En cas de violation alléguée de dispositions du programme de dotation, le recours approprié est une demande de contrôle judiciaire adressée à la Cour fédérale.

14 L’agent négociateur et l’employeur ont reconnu et convenu, dans la clause 34.04 de la convention collective, que les employés ne pouvaient pas présenter de griefs concernant des affaires pour lesquelles une autre procédure de redressement est prévue par une loi du Parlement. La clause 34.04 se lit ainsi :

34.04 Sous réserve de l’article 91 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique et conformément à ses dispositions, tout employé qui estime avoir été traité d’une façon injuste ou qui se considère par une action quelconque ou une absence d’action de la part de l’Employeur au sujet de questions autres que celles qui résultent du processus de classification a le droit de présenter un grief de la façon prescrite par le paragraphe 34.02, sauf que :

(a)      dans les cas où il existe une autre procédure administrative prévue par une loi du Parlement ou établie aux termes de cette loi pour traiter sa plainte particulière, cette procédure doit être suivie.

[…]

Par conséquent, à l’instar du paragraphe 208(2) de la LRTFP, la convention collective empêche les employés de présenter des griefs concernant le programme de dotation lorsqu’une procédure de redressement leur est ouverte sous le régime d’une autre loi.

15 Qui plus est, les griefs ne portent pas sur une question prévue au paragraphe 209(1) de la Loi, plus précisément, ne portent pas sur l’interprétation ou l’application d’une disposition de la convention collective, ainsi que le prescrit l’alinéa 209(1)a) dans le cas d’un grief renvoyé à l’arbitrage.

16 L’employeur affirme que ni l’un ni l’autre des fonctionnaires, pas plus que l’agent négociateur, n’a allégué de violation de l’article 1 (Objet de la Convention) de la convention collective à une quelconque étape de la procédure applicable aux griefs. En citant l’article 1 dans leurs renvois à l’arbitrage, les fonctionnaires tentent de modifier leurs griefs pour se conformer à l’alinéa 209(1)a) de la Loi et, ce faisant, contreviennent au principe établi dans l’arrêt Burchill c. Procureur général du Canada, [1981] 1 C.F. 109 (C.A.).

17 Dans l’affaire Canada (Procureur général) c. Lâm, 2008 CF 874, la Cour fédérale s’est penchée sur la décision qu’un arbitre de grief avait rendue et selon laquelle l’article 1 de la convention collective lui donnait compétence pour examiner l’application d’une politique du Conseil du Trésor — sur le harcèlement — dans cette affaire. La Cour fédérale a conclu que « [l’]article 1 de la convention collective est une clause générale, une introduction ou un avant-propos qui ne confère aucun droit substantif aux employés ». Dans cette affaire, la Cour fédérale a estimé que l’arbitre avait outrepassé ses pouvoirs et mal interprété l’article 1. Dans le cas qui nous occupe, l’employeur soutient, de la même façon, que rien dans la convention collective ne saurait étayer une affirmation voulant que l’article 1 eût pour objet d’englober les affaires relatives à la dotation.

18 Dans Dhudwal et al. c. Agence des douanes et du revenu du Canada, 2003 CRTFP 116, la Commission a instruit des plaintes portant sur le caractère adéquat du recours prévu par le programme de dotation de l’Agence. Elle a déterminé ce qui suit :

[…]

[27] La réparation que les fonctionnaires s’estimant lésés souhaitent obtenir ne peut pas être accordée par les arbitres nommés en vertu de la LRTFP, mais plutôt par la Cour fédérale. En effet, comme on l’observe dans la jurisprudence présentée par l’employeur, plusieurs demandes de contrôle judiciaire déposées en Cour fédérale visaient l’examen du recours en matière de dotation de l’ADRC et de cas individuels.

[…]

19 D’après l’employeur, on peut établir une distinction avec la décision rendue dans Hureau c. Conseil du Trésor (ministère de l’Environnement), 2008 CRTFP 47, en ce que, dans cette affaire, l’arbitre de grief s’est déclaré compétent à instruire la question très précise d’une violation de l’article de la convention collective applicable traitant des « références d’emploi » et dont il était fait explicitement mention dans le grief original. Dans les renvois à l’arbitrage de l’affaire Hureau, les griefs initiaux ne comportaient pas d’allégation de contravention aux dispositions de la convention collective et ne portaient clairement que sur le programme de dotation de l’employeur ainsi que sur un processus de sélection régi par ledit programme de l’employeur, questions sur l’instruction desquelles un arbitre de grief n’a pas compétence.

20 Dans Malette c. Agence du revenu du Canada, 2008 CRTFP 99, l’arbitre de grief a fait observer, au paragraphe 30, que « [l]e libellé du grief initial en l’espèce laisse peu de place à une interprétation erronée. » L’employeur maintient que l’on peut en dire autant des griefs de l’affaire en instance. Accepter d’exercer une compétence sur l’instruction de ces griefs au motif d’une violation alléguée des clauses 1.01 et 1.02 de la convention collective qui ne faisait pas partie des griefs originaux reviendrait à permettre aux fonctionnaires s’estimant lésés de se soustraire à un empêchement légal. Comme dans Malette, un arbitre de grief n’a tout simplement pas compétence pour examiner les renvois à l’arbitrage de l’espèce, du fait que la teneur de ces renvois a essentiellement trait à une question de dotation.

21 En résumé, l’employeur affirme que la Commission n’a pas compétence pour se pencher sur les renvois à l’arbitrage de l’affaire en instance et qu’elle doit rejeter les griefs.

B. Pour les fonctionnaires s’estimant lésés

22 L’agent négociateur a produit le résumé suivant des événements qui ont donné lieu au dépôt de ces griefs :

[Traduction]

[…]

[Les fonctionnaires s’estimant lésés] avaient postulé aux processus de sélection 2005-4041-SOR-1214-3066 et 2005-4047-SOR-1216-3005.

Ils ont échoué à la phrase [sic] d’évaluation du processus de dotation et ont donc été avisés qu’ils ne feraient pas partie du bassin aux fins de placement.

Ils ont demandé et reçu une rétroaction individuelle, suivie d’une révision de décision, concernant certains aspects des notes qu’on leur avait attribuées. Dans leurs allégations, ils disent avoir été traités de façon arbitraire.

M. Tony Prosia, auteur de la révision de décision, a convenu du caractère arbitraire du traitement que les fonctionnaires avaient reçu dans cette procédure et a donc ordonné, dans son avis de révision de décision, que l’on refasse certains aspects de l’évaluation, y compris la notation globale.

Neuf mois plus tard, les résultats du nouvel exercice de notation sont arrivés, et ni l’un ni l’autre des candidats initiaux n’a été retenu pour que son nom soit inscrit dans la liste du bassin.

Il était évident, aux yeux des candidats, que les recommandations que M. Prosia avait faites n’avaient en fait pas toutes été suivies.

Ils ont demandé à obtenir une rétroaction individuelle, conformément à ce que prévoit la politique du programme de dotation.

On leur a refusé cette rétroaction individuelle.

Au lieu d’une rétroaction individuelle, on leur a offert une « rétroaction informelle ». On ne connaît ni ne relève aucune partie du programme de dotation qui prévoit ce qui a été désigné comme une rétroaction « informelle ». Et l’employeur a clairement indiqué qu’il ne s’agissait pas là d’un type de recours.

Les candidats ont décliné cette rétroaction informelle au motif qu’elle ne faisait pas partie du programme de dotation, et que, à leur sens, l’offre de l’employeur était illégitime.

[Les fonctionnaires s’estimant lésés] ont demandé pourquoi on leur refusait un recours et ont tenté de faire entendre raison à l’ARC au sujet du programme de dotation et de la façon dont l’annexe « E » […] prévoyait le recours qu’ils sollicitaient.

Le 20 septembre 2006, Mme Dianne Kemp, des Ressources humaines, a répondu à M. Swan en écrivant ceci : « En ce qui a trait à l’intention des directives du programme de dotation, aucun autre recours n’est prévu après les mesures correctives […]. »

Le 22 septembre 2006, M. Gauthier, délégué syndical de l’IPFPC à Hamilton, a adressé une réponse […] à Mme Kemp et à la directrice d’alors du BSF d’Hamilton, Mme Charlton. Dans son courriel, M. Gauthier a soulevé les questions d’équité et de transparence ainsi que du défaut de l’ARC de suivre ses propres politiques.

Le 10 octobre 2006, les deux candidats ont déposé un grief disant qu’on les avait empêchés d’exercer leurs droits légaux en vertu du programme de dotation.

[…]

23 L’agent négociateur soutient avoir présenté la question de la conduite de l’employeur, y compris celles de la manipulation, de la mauvaise foi et de l’application rétroactive de politique inexistante, au quatrième palier de la procédure applicable aux griefs. Dans la réponse qu’il a fournie au quatrième palier, l’employeur n’a pas abordé ces questions.

24 Les fonctionnaires ont renvoyé leurs griefs à l’arbitrage pour motif de mauvaise foi. Les clauses 1.01 et 1.02 de la convention collective ont été mentionnées, car elles représentaient les points de repère d’une interaction « de bonne foi ». Il est évident qu’aucune mention directe des clauses 1.01 et 1.02 n’a été faite dans les griefs en tant que tels, mais les principes énoncés dans ces deux dispositions étaient en jeu dès le départ.

25 Rien n’a été tenté pour modifier la nature ou la teneur des griefs. L’agent négociateur a toujours soulevé les questions exposées dans les renvois à l’arbitrage, et ce, avant, pendant et après la procédure applicable aux griefs.

26 L’agent négociateur affirme qu’il est clair que les clauses 1.01 et 1.02 de la convention  collective ne sont pas là pour accorder des droits fondamentaux aussi tangibles que la rémunération ou les avantages sociaux, mais qu’elles n’en servent pas moins le but légitime et utile de fournir des indications générales quant au comportement et à la conduite à adopter dans les relations entre les parties. Ce sont les seules clauses de la convention collective qui servent cette fin; aussi, ne devrait-on pas les priver de tout effet.

27 En vertu de la clause 1.01 de la convention collective, « [l]a présente convention a pour objet de maintenir des rapports harmonieux et mutuellement avantageux entre l’Employeur, les employés et l’Institut […] [je souligne] ». Cet énoncé n’exclut pas la façon dont se comportent l’employeur et les employés au sujet des promotions ou d’autres questions d’intérêt

28 La clause 1.02 de la convention collective se lit ainsi :

1.02 Les parties à la présente convention on un désir commun d’améliorer la qualité de la fonction publique du Canada, d’appliquer des normes professionnelles et de favoriser le bien-être des employés et l’accroissement de leur efficacité afin que les Canadiens soient servis convenablement et efficacement. Par conséquent, elles sont décidées à établir dans le cadre des lois existantes, des relations de travail efficaces à tous les niveaux à l’Agence des douanes et du revenu du Canada auxquels appartiennent les membres faisant partie de l’unité de négociation.

[Je souligne]

29 On peut présumer que, si les parties se sont entendues sur les clauses 1.01 et 1.02 de la convention collective, c’est qu’elles avaient l’intention de les respecter. On peut aussi inférer que tout geste de mauvaise foi ne serait pas acceptable en vertu de ces dispositions. La mauvaise foi ne donne pas lieu à des relations de travail efficaces, pas plus qu’elle n’aboutit à des « rapports harmonieux et mutuellement avantageux ».

30 Même si l’arbitre de grief rejette les arguments des fonctionnaires portant sur la validité de faire mention de l’article 1 de la convention collective, l’agent négociateur soutient que les gestes posés par l’employeur constituent de la mauvaise foi et que, en soi, cette mauvaise foi est une question dont un arbitre peut se saisir pour l’instruire.

31 Les fonctionnaires ne demandent pas à l’arbitre de déterminer si on aurait dû les nommer au poste. Ils ne lui demandent pas davantage de commenter le processus de dotation. Ce qu’ils demandent, c’est la tenue d’une audience pour que soient examinées les raisons pour lesquelles l’employeur leur a refusé l’accès à une réparation. Ils demandent à l’arbitre de grief d’informer l’employeur qu’il ne peut agir de mauvaise foi du simple fait que le problème découle de la dotation.

32 L’agent négociateur soutient que la situation déférée à l’arbitre est similaire à un grief portant sur un renvoi en cours de stage. En temps normal, un arbitre de grief n’accepterait pas d’exercer sa compétence pour instruire un cas de renvoi en cours de stage, mais il examinerait la situation s’il y avait des allégations de mauvaise foi. Dans ce genre de situations, l’arbitre de grief ne revient pas sur la décision de l’employeur, mais il creuse davantage la question pour s’assurer que cette décision n’a pas été prise de mauvaise foi.

33 La position des fonctionnaires est que l’employeur tente de se servir du programme de dotation comme d’un bouclier pour se protéger des conséquences de sa conduite irrégulière. Une telle façon de faire ne saurait être la volonté du Parlement. La conduite de l’employeur a constitué de la mauvaise foi et une manipulation délibérée des droits des employés.

34 L’agent négociateur affirme que le programme de dotation en tant que tel et le recours qu’il prévoit ne constituent pas ici « une procédure administrative de réparation », car l’employeur a décidé qu’il n’y aurait pas de recours. Il n’y a pas de « procédures  administratives de réparation » en place si la réparation est refusée lorsqu’il y a clairement intention de rendre une procédure de réparation disponible. Il est vrai que l’employeur a offert l’option d’une « rétroaction informelle », mais cette « rétroaction informelle » n’est pas un recours véritable et est absente de ce qui est prévu au programme de dotation. Le seul fait que l’on offre une telle rétroaction indique qu’il n’y avait pas de « procédures administratives de réparation » en place, selon l’Agence.

35 Les fonctionnaires ont été induits en erreur lorsqu’on leur a fait croire qu’ils avaient accès à un recours en vertu du programme de dotation. Dans la réponse qu’il a fournie au troisième palier de la procédure de règlement des griefs,  l’employeur a dit deux choses. Tout d’abord, toute personne posant un regard objectif sur la politique ne pourrait logiquement contester le fait que les fonctionnaires avaient droit à un recours. En second lieu, ce droit pourrait être retiré arbitrairement. Or, ce recours en vertu du programme de dotation n’a pas reposé sur ce que le programme disait, mais plutôt sur ce que l’employeur a dit, à un moment ou un autre, de ce que l’intention du programme devait être [le passage en évidence l’est dans l’original].

36 Dans les circonstances dans lesquelles chaque fonctionnaire s’est retrouvé, il n’existe pas d’autres [traduction] « […] procédure  administrative prévue par une loi du Parlement ou établie aux termes de cette loi pour traiter sa plainte particulière […] [je souligne] ». Les fonctionnaires s’estimant lésés avancent, en toute déférence, que la conduite de l’employeur, telle que décrite, a été délibérée, arbitraire et de mauvaise foi. Ils demandent donc la tenue d’une audience pour que soit prouvé le bien-fondé de leur cause.

37 L’agent négociateur a fait les commentaires qui suivent sur la jurisprudence.

38 Une distinction peut être établie avec Dhudwal et al. Au paragraphe 26 de cette décision, l’arbitre de grief s’exprime ainsi : « Puisqu’ils [les fonctionnaires s’estimant lésés] étaient insatisfaits du résultat du recours en matière de dotation, ils ont déposé leurs griefs, et l’employeur a répondu qu’il ne s’agissait pas d’une question pouvant faire l’objet d’un grief. » Dans le cas qui nous occupe, les fonctionnaires ne se plaignent pas du caractère insatisfaisant des résultats du recours de la procédure de dotation. Ils réagissent au fait qu’on ne leur a pas donné l’occasion d’avoir accès à un recours. Ils ne cherchent pas à faire modifier une décision de dotation insatisfaisante. Ils cherchent plutôt à faire examiner le raisonnement arbitraire qui sous-tend la décision de ne pas leur offrir de recours.

39 Contrairement à la situation décrite dans Malette, l’agent négociateur, dans l’affaire en instance, a soulevé la question de la mauvaise foi au quatrième palier de la procédure applicable aux griefs. Dès lors que la réponse au troisième palier confirmait la position des fonctionnaires s’estimant lésés, mais leur refusait le redressement, la question était manifestement distincte de la dimension de dotation. C’est devenu un problème de conduite et de manipulation délibérée du programme de dotation.

40 Dans Malette, l’arbitre de grief a estimé, au paragraphe 42, que « [l]a fonctionnaire s’estimant lésée n’est pas d’accord avec une décision de l’employeur au sujet du déroulement du processus de dotation et avec le traitement lui ayant été réservé à titre de participante au processus. » L’agent négociateur déclare qu’il y a une distinction à faire ici. Dans notre affaire, les fonctionnaires ne se plaignent pas d’une décision de dotation venue à l’issue d’un recours. Ils se plaignent qu’on ne leur accorde pas une révision de décision en vertu des dispositions de recours prévues au programme de dotation.

41 Les fonctionnaires soutiennent que, contrairement à la conclusion faite au paragraphe 43 de Malette, les détails de leur différend peuvent être compris en dehors du contexte du déroulement d’une procédure de dotation. Leur argument pourrait s’appliquer à toute situation ou politique hors processus de dotation.

42 En résumé, les fonctionnaires s’estimant lésés affirment que les décisions de la direction, qu’elles relèvent de la dotation ou de tout autre domaine, doivent être censées, reposer sur de justes motifs opérationnels, être prises de bonne foi et cadrer avec l’objet de la convention collective. Les fonctionnaires reconnaissent qu’ils doivent prouver toutes leurs allégations au sujet des actions de l’employeur. Ils demandent qu’on leur accorde la possibilité d’une audience pour prouver le bien-fondé de leurs déclarations et demandent à l’arbitre d’attendre l’issue de cette audience avant de se prononcer sur la question de compétence.

C. Réfutation de l’employeur

43 Dans ses observations de réfutation, l’employeur m’a cité la décision Johal c. Canada (Agence du revenu), 2008 CF 1397, dans laquelle la Cour fédérale a fait valoir ce qui suit :

[Traduction]

[…]

38. […] par l’adoption de la Loi sur l’agence du revenu du Canada, le législateur avait l’intention d’investir l’Agence du pouvoir exclusif de créer un régime complet permettant de régler toutes les questions de dotation. Des recours en matière de dotation sont offerts à tous les employés de l’Agence du revenu du Canada et visent toutes les circonstances prévisibles liées à l’éventail complet de la relation employé-employeur.

[…]

44 L’agent négociateur a avancé que l’arbitre de grief devait entendre la preuve avant de se prononcer sur la question de compétence, car il est allégué que l’employeur avait agit de mauvaise foi. Or, il n’est fait mention d’aucune allégation de mauvaise fois dans les griefs originaux. À aucun moment de ses interactions avec les fonctionnaires, l’employeur n’a agit de façon capricieuse, manipulatrice et injuste, n’a fait preuve de mauvaise foi ou ne s’est comporté de façon irrégulière, contrairement à ce que l’agent négociateur a allégué. Les fonctionnaires ont eu accès au recours prévu au programme de dotation et, donc, des mesures correctives ont été prises. Comme l’a indiqué l’agent négociateur, l’employeur a informé les fonctionnaires s’estimant lésés, immédiatement et de façon transparente, qu’ils n’auraient pas accès à une autre rétroaction individuelle après la prise de toute mesure corrective. Une rétroaction informelle a été offerte aux fonctionnaires s’estimant lésés, offre qu’ils ont déclinée. Dès le départ, l’employeur a expliqué de bonne foi aux fonctionnaires que le programme de dotation n’avait jamais eu pour intention de permettre l’accès à une rétroaction individuelle une fois que des mesures correctives ont été prises. L’employeur n’a nullement essayé d’appliquer une politique rétroactivement, ainsi que l’a allégué l’agent négociateur.

45 Sur le plan juridique, l’employeur soutient qu’un arbitre de grief ne peut exercer de compétence sur l’instruction des griefs de l’espèce, même s’il existait une preuve de mauvaise foi de la part de l’employeur. Les fonctionnaires s’estimant lésés auraient pu, à bon droit, poursuivre les démarches relatives à leurs préoccupations en présentant une demande de contrôle judiciaire fondée sur l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales.

IV. Motifs

46 La première question que le greffe de la Commission a posée en mon nom aux parties était la suivante : « Pendant le déroulement de la procédure de traitement des griefs individuels, les fonctionnaires s’estimant lésés ont-ils allégué de quelque façon que l’employeur avait enfreint les clauses 1.01 et 1.02 de la convention collective applicable? »

47 L’article 1 (Objet de la Convention) de la convention collective se lit ainsi :

[Traduction]

1.01 La présente convention a pour objet de maintenir des rapports harmonieux et mutuellement avantageux entre l’Employeur, les employés et l’Institut, d’établir certaines conditions d’emploi concernant la rémunération, la durée du travail, les avantages sociaux et les conditions de travail général des employés décrits dans le certificat émis par la Commission des relations de travail dans la fonction public le 12 décembre 2001, et comme modifiée le 29 juillet 2005, qui vise les employés inclus dans l’unité de négociation du groupe Vérification, finances et sciences.

1.02 Les parties à la présente convention on un désir commun d’améliorer la qualité de la fonction publique du Canada, d’appliquer des normes professionnelles et de favoriser le bien-être des employés et l’accroissement de leur efficacité afin que les Canadiens soient servis convenablement et efficacement. Par conséquent, elles sont décidées à établir dans le cadre des lois existantes, des relations de travail efficaces à tous les niveaux à l’Agence des douanes et du revenu du Canada auxquels appartiennent les membres faisant partie de l’unité de négociation.

48 Manifestement, les griefs déposés au premier palier de la procédure applicable ne mentionnent pas expressément de contravention à l’article 1 de la convention collective. Qui plus est, rien, dans les présentations faites au nom des fonctionnaires s’estimant lésés, ne permet d’établir que les fonctionnaires, ou leur agent négociateur, ont modifié les griefs à un palier subséquent de la procédure, pour préciser clairement que l’employeur avait enfreint l’article 1. Plutôt, l’agent négociateur affirme avoir porté des accusations de manipulation, de mauvaise foi et d’application rétroactive de politiques inexistantes au quatrième palier de la procédure applicable aux griefs, et ce, à la suite de la réponse de l’employeur au troisième palier. L’agent négociateur maintient que pareille conduite — résumée comme des [traduction] « gestes de mauvaise foi » — ne serait pas acceptable en vertu de l’article 1. Il affirme que la mauvaise foi ne donne pas lieu aux « rapports harmonieux et mutuellement avantageux » ni aux « relations de travail efficaces » que prône l’article 1 de la convention collective. L’agent négociateur est d’avis que l’article 1 présente donc les « points de repère » d’une interaction « de bonne foi ». Selon cette interprétation, les clauses 1.01 et 1.02 étaient en cause dès le début de la procédure de règlement des griefs, même si elles ne sont pas mentionnées dans les griefs en tant que tels.

49 Je n’ai pas de raison de remettre en cause l’affirmation de l’agent négociateur lorsqu’il dit qu’il a introduit, au quatrième palier de la procédure applicable aux griefs, les questions relatives aux allégations de manipulation, de mauvaise foi et d’application rétroactive d’une politique. Pour sa part, l’employeur n’a pas contesté, en réfutation, les affirmations de l’agent négociateur. Néanmoins, je ne suis pas d’avis que ce que l’agent négociateur a dit à l’audience — en supposant que cela soit vrai — a pour effet de faire intervenir l’article 1 de la convention collective.

50 L’effet de l’observation de l’agent négociateur est que l’article 1 doit être interprété comme établissant, pour l’employeur, une obligation d’agir de bonne foi et que cette obligation, étant une question d’interprétation et d’application de la convention collective, est déclenchée lorsqu’une partie allègue que les discussions intervenues durant la procédure applicable aux griefs ont été teintées de mauvaise foi, peu importe la teneur du grief en cause.

51 On ne peut pas retenir l’argument de l’agent négociateur à cet égard pour la raison suivante : les mots « bonne foi » et « arbitraire » (l’autre terme employé par les fonctionnaires dans leurs renvois à l’arbitrage) n’apparaissent pas à l’article 1 de la convention collective. Les expressions qui sont bel et bien employées dans cet article, comme « rapports harmonieux et mutuellement avantageux » et « relations de travail efficaces », dénotent des intentions louables que partagent les parties, mais rien de plus au sujet de comportements particuliers ou de normes précises que l’on exige des parties pour atteindre ces objectifs. L’agent négociateur n’a assurément produit aucune preuve à l’effet que les parties voulaient que les termes employés à l’article 1 donnent lieu à l’existence d’une obligation, pour l’employeur, d’agir de bonne foi  et de façon non arbitraire dans ses interactions avec les employés. L’existence d’une telle obligation est une inférence, peut-être pas déraisonnable, mais une inférence quand même. À mon sens, une justification beaucoup plus claire de cette inférence serait nécessaire dans la façon dont les parties ont effectivement libellé l’article 1 pour étayer l’argument selon lequel l’application de l’article 1 est une question réelle et doit faire intrinsèquement partie d’un grief lorsqu’une partie allègue de la mauvaise foi ou une conduite arbitraire de la part de l’employeur à un quelconque stade de la procédure de règlement des griefs.

52 Par conséquent, je conclus que les fonctionnaires s’estimant lésés n’ont pas dûment soulevé de cas de violation de l’article 1 de la convention collective dans leurs griefs pendant la procédure applicable. Dans sa plaidoirie, l’employeur estime donc que c’est le principe énoncé dans Burchill qui s’applique en l’espèce. Je souscris à cette vue. L’intention sous-jacente de la décision rendue dans Burchill est d’empêcher une partie de modifier le motif d’un grief au stade du renvoi de ce grief à l’arbitrage. Dans la pratique, cela signifie que, en vertu du principe énoncé dans Burchill, le motif d’un grief doit être clairement communiqué à l’employeur, dans le libellé original du grief ou tel qu’exposé lors de la procédure applicable aux griefs, de manière que l’employeur ait la possibilité de répondre aux questions soulevées. Lorsque le ou la fonctionnaire s’estimant lésé(e) change le motif de son grief en le renvoyant à l’arbitrage, cela mine l’objet et l’efficacité de la procédure applicable aux griefs, dans laquelle on cherche à trancher la véritable question qui figure dans le grief original. Au surplus, lorsque les changements apportés ont pour effet de reformuler un grief en vue d’améliorer la possibilité qu’il s’inscrive à l’intérieur des motifs recevables d’un renvoi à l’arbitrage, la nature des préoccupations sous-jacentes devient encore plus évidente.

53 Si, après avoir déterminé que les fonctionnaires s’estimant lésés n’avaient pas soulevé la question de l’article 1 de la convention collective dans leurs griefs ou lors de la procédure applicable, je dispose déjà de motifs suffisants pour rejeter les griefs relatifs à l’absence de compétence, j’ajouterai que, même si la question de l’article1 m’avait été dûment déférée, les griefs de l’espèce échoueraient pour d’autres raisons. Je souhaiterais ici m’entretenir plus avant de ces raisons, notamment en commentant les deux autres questions que le greffe de la Commission a posées, en mon nom, aux parties (voir paragraphe 12 de la présente).

54 En premier lieu, je trouve très convaincante la jurisprudence tirée de la décision Canada (Procureur général) c. Lâm, que l’employeur a citée. Dans cette affaire, la Cour fédérale s’est penchée sur les clauses suivantes de la convention collective :

[…]

1.01 La présente convention a pour objet d’assurer le maintien de rapports harmonieux et mutuellement avantageux entre l’Employeur, l’Alliance et les employé-e-s et d’énoncer certaines conditions d’emploi pour tous les employé-e-s décrits dans le certificat émis le 7 juin 1999 par la Commission des relations de travail dans la fonction publique, à l’égard des employé-e-s du groupe Services des programmes et de l’administration.

1.02 Les parties à la présente convention ont un désir commun d’améliorer la qualité de la fonction publique du Canada et de favoriser le bien-être de ses employé-e-s afin que les Canadiens soient servis convenablement et efficacement. Par conséquent, elles sont déterminées à établir, dans le cadre des lois existantes, des rapports de travail efficaces à tous les niveaux de la fonction publique auxquels appartiennent les membres des unités de négociation.

[…]

Hormis les différences relatives à l’identification du groupe d’employés et du syndicat, la disposition qui précède est pratiquement identique à l’article 1 de la convention collective examinée en l’espèce. Dans son évaluation de la disposition pertinente, la Cour fédérale a, au paragraphe 28 de sa décision, conclu puissamment et de façon concise ce qui suit : « L’article 1 de la convention collective est une clause générale, une introduction ou un avant-propos qui ne confère aucun droit substantif aux employés.» Mme Lâm avait allégué que son employeur n’avait pas respecté sa propre politique en matière de harcèlement personnel. Lorsque l’arbitre de grief a accepté de se pencher sur sa cause, considérée comme une affaire relative à la lettre et à l’esprit de l’article 1, il a commis une erreur réversible, selon la Cour fédérale. Au paragraphe 27 de sa décision, la Cour fédérale a écrit ce qui suit :

[…] en décidant que la politique relative au harcèlement en milieu de travail édictée par le Conseil du Trésor s’inscrit dans le cadre des objectifs de l’article 1 de la convention collective, il a mal interprété ledit article et a excédé sa compétence. De plus, sa décision est déraisonnable.

55 À mon avis, la même conclusion s’applique aux circonstances de l’espèce. L’effet véritable de l’argument invoqué par l’agent négociateur, s’il était retenu, serait de faire examiner le respect, par l’employeur, de son programme de dotation, sous l’angle d’une affaire concernant l’esprit et l’intention de l’article 1 de la convention collective. Or, comme l’a déterminé la Cour fédérale dans Canada (Procureur général) c. Lâm, l’article 1 ne crée aucun droit exécutoire et n’habilite pas un arbitre de grief à se pencher sur une politique de l’employeur dont le champ d’application sort du cadre de la convention collective. Eussé-je accepté d’exercer ma compétence sur les griefs de l’espèce, en les considérant comme une affaire touchant l’interprétation et l’application de l’article 1, j’aurais commis, je le crois, la même erreur que celle que la Cour fédérale a relevée.

56 L’agent négociateur maintient que la présente affaire est analogue à la situation où un arbitre de grief accepte de se pencher sur une décision de renvoi d’un emploi en cours de stage prise par l’employeur — une question dont l’examen, à première vue, n’est pas du ressort de l’arbitre — pour preuve de mauvaise foi. Dans cette optique, l’agent négociateur soutient que je devrais tenir audience et a jugé recevable la preuve relative à la mauvaise foi alléguée de l’employeur dans ses interactions avec les fonctionnaires.

57 Le but premier de la preuve, dans une affaire de renvoi en cours de stage, est de permettre à un arbitre de grief de se convaincre que l’objet du grief a effectivement trait à un renvoi en cours de stage. Ainsi qu’on l’a vérifié, à la lecture d’une jurisprudence maintenant abondante, dès lors que l’arbitre de grief est convaincu que l’employeur a agi sur la foi d’un motif véritable lié à l’emploi, sa compétence prend fin : voir, par exemple, Canada (Procureur général) c. Leonarduzzi, 2001 CFPI 529, Chaudhry c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2005 CRTFP 72, et Canada (Procureur général) c. Penner, [1989] 3 C.F. 429 (C.A.). La question de la mauvaise foi se pose pour autant qu’une preuve de conduite de mauvaise foi permette de conclure que le renvoi de l’employé ne reposait pas sur un motif véritable lié à l’emploi, et que ce « quelque chose d’autre » — une intention de mesure disciplinaire, par exemple — se trouve à l’intérieur du champ de compétence de l’arbitre. Quand un arbitre de grief se déclare compétent à instruire un grief qui, à première vue, traite d’un renvoi en cours de ce stage, cela ne signifie pas que la « mauvaise foi » du renvoi en cours de stage soit arbitrable en soi, mais plutôt que la teneur réelle ou première de la décision de l’employeur a été révélée de manière à faire intervenir une question pouvant être dûment renvoyée à l’arbitrage en vertu de la Loi. De ce point de vue là, la « bonne foi/mauvaise foi » n’est pas un critère universel ou fourre-tout qui autoriserait un arbitre de grief à se pencher sur une question qui, autrement, sortirait du cadre de sa compétence. La recherche de « mauvaise foi » est une recherche de preuve de l’existence de motifs qui trahissent l’objet véritable d’un grief — un objet qui est défini par la Loi comme étant arbitrable.

58 Par exemple, dans Canada (Conseil du Trésor) c. Rinaldi, [1997] ACF 225 (QL), la Cour fédérale a jugé que l’arbitre de grief avait exercé à bon droit sa compétence lorsqu’elle s’était penchée sur la question de savoir si la décision d’un employeur d’abolir le poste d’un employé puis de congédier celui-ci reposait sur des motifs fallacieux ou avait été prise de mauvaise foi — mais le but précis était de déterminer si cette décision dissimulait une mesure de discipline dont l’examen était de son ressort. Suivant Rinaldi, l’agent négociateur, dans cette affaire, aurait dû faire la preuve non seulement que l’employeur avait agi de mauvaise foi, mais aussi que la nature véritable de ses actions, teintées de mauvaise foi, constituait une question dont un arbitre de grief pouvait se saisir en vertu de l’article 209 de la Loi. Je ne trouve ici aucune indication, dans la plaidoirie de l’agent négociateur, qui fait valoir que l’objet véritable des griefs qui me sont déférés est visé par l’article 209, hormis son affirmation que l’article 1 de la convention collective est en cause. Pour le motif mentionné plus haut, j’ai statué que tel n’était pas le cas.

59 Au cœur de nombre d’affaires de contestation de compétence se trouve le besoin de cerner la teneur essentielle d’un litige. À l’examen du libellé des griefs originaux, en l’espèce, ainsi que des faits cités par l’agent négociateur dans ses observations, je n’ai aucune hésitation à conclure que le différend porte essentiellement sur la dotation et le programme de dotation en personnel de l’employeur.

60  Les circonstances évoquées dans le grief original de M. Swan portaient exclusivement sur la façon dont on l’avait traité à l’issue du processus de sélection 2005-4041-SOR-1241-3066. Il a explicitement affirmé que, selon lui, il avait [traduction] « […] droit à une rétroaction individuelle et à une révision de décision conformément à la Politique ». M. McDowell a exposé le détail de ses circonstances de façon quelque peu différente, mais cela va dans le même sens. Plus précisément, il a fait valoir ce qui suit :

[Traduction]

[…]

Au stade d’évaluation de la procédure de dotation, j’ai droit à une rétroaction officielle. Si je ne suis pas satisfait de cette rétroaction et ai des raisons de croire que l’on m’a traité de façon arbitraire, j’ai droit à un autre recours – la révision de décision. Si des changements découlant du recours (comme c’est le cas ici) ou d’autre chose sont apportés aux outils d’évaluation et que ces changements sont importants et ont un effet sur ma nomination (ou ma non-nomination, comme c’est le cas ici), j’ai droit au recours prévu à l’étape d’évaluation du programme de dotation.

[…]

Il n’y a rien qui soit dissimulé dans ce passage. Le fonctionnaire s’estimant lésé a exposé son problème sans détour et sans équivoque. Il était mécontent que l’employeur ne lui ait pas donné accès à la révision de décision, aux termes du programme de dotation, et il a fait valoir son droit à ce recours.

61 Les mesures correctives sollicitées par les fonctionnaires sont toutes aussi claires. Dans le cas de M. Swan, c’est le redressement suivant qui était le plus précisément recherché :

Que l’on m’accorde la rétroaction individuelle et la possibilité d’une révision de décision relativement au processus de sélection 2005-4041-SOR-1214-3066.

Quant à M. McDowell, il a fait écho comme suit à ce but :

Que l’on m’accorde une rétroaction officielle et la possibilité d’une révision de décision relativement aux processus de sélection 2005-4041-SOR-1214-3066 et 2005-4047-SOR-1216-3005.

Dans les redressements qu’ils cherchent à obtenir, les fonctionnaires demandent indéniablement l’exercice d’un droit procédural prévu au programme de dotation, à savoir le droit à une « rétroaction individuelle » ou « rétroaction formelle » et le droit à la « révision de décision ». La question de savoir si les fonctionnaires s’estimant lésés peuvent ou devraient pouvoir exercer ces droits procéduraux a nécessairement trait au programme de dotation. Cette question peut se comprendre dans ce contexte uniquement. Elle commande un examen de cette politique pour que l’on détermine si l’employeur s’est conformé aux exigences de sa politique eu égard aux circonstances auxquelles faisaient face les fonctionnaires.

62 S’il subsistait un doute quant à la nature des préoccupations des fonctionnaires, il est, à mon sens, largement levé par le propre exposé des faits de l’agent négociateur. Dans le passage qui suit, j’ai souligné toutes les références et mentions à la dotation ou au programme de dotation, que ce soit dans le contexte du litige ou en tant qu’objet du différend comme tel :

[Traduction]

[…]

[Les fonctionnaires s’estimant lésés] avaient postulé aux processus de sélection 2005-4041-SOR-1214-3066 et 2005-4047-SOR-1216-3005.

Ils ont échoué à la phrase [sic] d’évaluation du processus de dotation et ont donc été avisés qu’ils ne feraient pas partie du bassin aux fins de placement.

Ils ont demandé et reçu une rétroaction individuelle, suivie d’une révision de décision, concernant certains aspects des notes qu’on leur avait attribuées. Dans leurs allégations, ils disent avoir été traités de façon arbitraire.

M. Tony Prosia, auteur de la révision de décision, a convenu du caractère arbitraire du traitement que les fonctionnaires avaient reçu dans cette procédure et a donc ordonné, dans son avis de révision de décision, que l’on refasse certains aspects de l’évaluation, y compris la notation globale.

Neuf mois plus tard, les résultats du nouvel exercice de notation sont arrivés, et ni l’un ni l’autre des candidats initiaux n’a été retenu pour que son nom soit inscrit dans la liste du bassin.

Il était évident, aux yeux des candidats, que les recommandations que M. Prosia avait faites n’avaient en fait pas toutes été suivies.

Ils ont demandé à obtenir une rétroaction individuelle, conformément à ce que prévoit la politique du programme de dotation.

On leur a refusé cette rétroaction individuelle.

Au lieu d’une rétroaction individuelle, on leur a offert une « rétroaction informelle ». On ne connaît ni ne relève aucune partie du programme de dotation qui prévoit ce qui a été désigné comme une rétroaction « informelle ». Et l’employeur a clairement indiqué qu’il ne s’agissait pas là d’un type de recours.

Les candidats ont décliné cette rétroaction informelle au motif qu’elle ne faisait pas partie du programme de dotation, et que, à leur sens, l’offre de l’employeur était illégitime.

[Les fonctionnaires s’estimant lésés] ont demandé pourquoi on leur refusait un recours et ont tenté de faire entendre raison à l’ARC au sujet du programme de dotation et de la façon dont l’annexe « E » […] prévoyait le recours qu’ils sollicitaient.

Le 20 septembre 2006, Mme Dianne Kemp, des Ressources humaines, a répondu à M. Swan en écrivant ceci : « En ce qui a trait à l’intention des directives du programme de dotation, aucun autre recours n’est prévu après les mesures correctives […]. »

Le 22 septembre 2006, M. Gauthier, délégué syndical de l’IPFPC à Hamilton, a adressé une réponse […] à Mme Kemp et à la directrice d’alors du BSF d’Hamilton, Mme Charlton. Dans son courriel, M. Gauthier a soulevé les questions d’équité et de transparence ainsi que du défaut de l’ARC de suivre ses propres politiques.

Le 10 octobre 2006, les deux candidats ont déposé un grief disant qu’on les avait empêchés d’exercer leurs droits légaux en vertu du programme de dotation.

[…]

[Je souligne]

63 Je conclus sans réserve que la teneur essentielle des griefs a trait à la dotation et au programme de dotation de l’employeur. Compte tenu de cette détermination, la jurisprudence — dont des exemples ont été cités dans la troisième question, que le greffe de la Commission a posée en mon nom aux parties (voir paragraphe 12 de la présente décision) — a toujours empêché un arbitre de grief, en vertu de l’article 209 de la Loi, de se saisir d’une telle question et de l’instruire. Les conclusions suivantes auxquelles j’en suis arrivé dans Malette ne s’appliquent pas moins à la présente affaire devant moi :

[…]

44.     L’alinéa 209(1)a) de la Loi ne prévoit pas de recours en matière de dotation. Aussi récemment que la décision dans Hureau c. Conseil du Trésor (ministère de l’Environnement), 2008 CRTFP 47, un arbitre de grief a confirmé au paragraphe 27 que « […] tout argument ou tout redressement demandé par le fonctionnaire s’estimant lésé qui concerne le processus de dotation sera considéré comme en dehors du champ de [la] compétence [d’un arbitre de grief] ». La décision dans Hureau était fondée en partie sur le paragraphe 208(2) de la Loi qui est libellé comme suit :

208 (2). Le fonctionnaire ne peut présenter de grief individuel si un recours administratif de réparation lui est ouvert sous le régime d’une autre loi fédérale, à l’exception de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

La décision Dhudwal et al et la décision de la Cour fédérale dans Institut professionnel de la fonction publique du Canada, citées par l’employeur, offrent une solide confirmation que le programme de dotation de l’employeur constitue un « recours administratif de réparation » – le mécanisme de réparation qui s’applique aux différends dont la nature essentielle concerne la dotation. Même si les deux décisions ont été rendues en application de l’ancienne Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-35, art. 1, elles demeurent pertinentes en vertu de la nouvelle Loi, comme en témoigne Hureau.

45. Je conclus que je n’ai pas la compétence pour instruire le grief parce qu’il porte essentiellement sur une question de dotation.

[…]

[Le passage en évidence l’est dans l’original]

64 Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

V. Ordonnance

65 L’objection de l’employeur contestant la compétence est accueillie.

66 Les griefs sont rejetés.

Le 11 juin 2009.

Traduction de la CRTFP

Dan Butler,
arbitre de grief

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