Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Les plaignantes ont allégué que leur employeur s’était livré à une pratique déloyale de travail parce qu’il les avait retirées de certaines fonctions en raison de leur adhésion à l’agent négociateur et de leur participation à des activités syndicales - l’employeur a contesté la compétence de la Commission - il a fait valoir que la plainte ne reposait pas sur une preuve prima facie et que l’une des plaignantes avait présenté sa plainte après l’expiration du délai de 90jours prescrit par la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (la << Loi>>) - l’employeur a soutenu qu’il était en droit d’être informé de tous les détails des allégations portées contre lui, surtout en raison de l’inversion du fardeau de la preuve qui lui est imposée par le paragraphe191(3) de la Loi et que les plaignantes avaient fait des allégations fondées uniquement sur des inférences et des soupçons sans aucun lien avec les faits - les plaignantes faisaient partie de l’exécutif de leur section locale et avaient contesté l’application faite par l’employeur de la convention collective - les plaignantes ont été retirées de l’équipe principale du Nord sans qu’on leur fournisse d’explications - la Commission a statué que, en supposant que tous les faits allégués sont vrais, il existait une preuve soutenable que les défendeurs avaient fait à leur égard des distinctions illicites en matière d’emploi en raison de leur adhésion à l’agent négociateur - le critère de la preuve prima facie doit être appliqué de manière à favoriser le plaignant en permettant que sa plainte soit instruite sur le fond - les plaignantes doivent présenter suffisamment de faits pour établir qu’il existe un lien défendable entre la Loi et les actes de l’employeur - les faits tels qu’allégués en l’espèce constituaient une preuve soutenable, bien qu’elle soit assez ténue - les rares faits allégués ont convaincu le Commissaire d’exiger des plaignantes qu’elles présentent leur preuve en premier - la question du respect des délais doit être traitée à l’audience portant sur le bien-fondé de la plainte - le <<ministre responsable de Statistique Canada>> ne doit pas figurer parmi les défendeurs étant donné qu’aucun élément de preuve ne démontre que le ministre a joué un rôle dans les événements qui ont donné lieu à la plainte. Objection préliminaire accueillie en partie. Instructions données.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2009-06-24
  • Dossier:  561-24-323
  • Référence:  2009 CRTFP 80

Devant la Commission des relations
de travail dans la fonction publique


ENTRE

GAIL HAGER, DONNA HENRY ET LINDA WOODS

plaignantes

et

OPÉRATIONS DES ENQUÊTES STATISTIQUES ET LE MINISTRE RESPONSABLE DE STATISTIQUE CANADA

défendeurs

Répertorié
Hager et al. c. Opérations des enquêtes statistiques et le ministre responsable de Statistique Canada

Affaire concernant une plainte visée à l’article 190 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Dan Butler, commissaire

Pour les plaignantes:
John Haunholter, Alliance de la Fonction publique du Canada

Pour les défendeurs:
Robert Lindey, avocat

Affaire entendue à Winnipeg (Manitoba),
le 3 juin 2009.
(Traduction de la CRTFP)

I. Plainte devant la Commission

1 Gail Hager, Donna Henry et Linda Woods, les fonctionnaires s’estimant lésées (les « fonctionnaires »), allèguent qu’elles ont été retirées d’une équipe de travail en raison de leur appartenance à l’agent négociateur et de leurs activités syndicales. Il s’agit de déterminer si les défendeurs désignés dans la plainte qui a été déposée par la suite — les Opérations des enquêtes statistiques (l’« employeur ») et le ministre responsable de Statistique Canada — se sont livrés à une pratique déloyale.

2 La plainte a été déposée devant la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la « Commission »), le 4 juin 2008, aux termes de l’alinéa 190(1)g) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22 (la « Loi »). Les plaignantes décrivent la mesure corrective demandée comme suit :

[Traduction]

Aux alentours du 28 mars 2008, les plaignantes ont été retirées de l’équipe principale du Nord qui effectuait des enquêtes pour les Opérations des enquêtes statistiques, un mandataire de Statistique Canada, en raison de leur appartenance à l’agent négociateur et de leurs activités syndicales.

[mesure corrective]

Une déclaration que l’employeur, Opérations des enquêtes statistiques (Statistique Canada), s’est livré à une pratique déloyale.

Que les plaignantes soient réintégrées sans délai dans l’équipe principale du Nord et qu’elles soient indemnisées pour toute perte de rémunération et d’avantages.

Toute réparation supplémentaire que la Commission jugera indiqué d’accorder.

3 Le président m’a attribué le dossier en tant que banc de la Commission pour trancher l’affaire.

II. Question préliminaire – contestation de la compétence de la Commission

4 Dans une lettre datée du 7 mai 2009 adressée à la Commission, l’avocat des défendeurs a indiqué que les défendeurs entendaient contester la compétence de la Commission pour instruire la plainte. Il faisait valoir les deux moyens suivants au soutien de l’objection : 1) la plainte n’établissait pas prima facie que les défendeurs s’étaient livrés à une pratique déloyale et 2) la plainte de Mme Woods a été présentée après l’expiration du délai de 90 jours prescrit par la Loi.

5 Les Services du greffe de la Commission ont demandé aux plaignantes, en mon nom, de faire connaître leur position, au plus tard le 22 mai 2009, sur la contestation de la compétence de la Commission. À la fermeture des bureaux le jour dit, les Services du greffe n’avaient toujours pas reçu la réponse des plaignantes. Le 26 mai 2009, les Services du greffe ont communiqué avec le représentant des plaignantes et reçu de lui une copie d’un courriel envoyé à l’avocat des défendeurs, qui contenait prétendument la position des plaignantes sur la contestation de la compétence de la Commission. Dans ce courriel, le représentant des plaignantes indiquait ceci :

[Traduction]

[…]

Mmes Hager, Henry et Woods étaient intervieweuses sur le terrain depuis 14, 5 et 6 ans respectivement. En 2006, OES a créé une « équipe principale du Nord » pour effectuer des enquêtes dans le nord du Canada. Les trois plaignantes ont été retirées de l’équipe. Mmes Hager et Henry ont été avisées de la décision le 28 mars 2008; il semblerait que ce soit en décembre 2007 que Mme Woods se serait fait dire qu’il valait mieux pour elle de quitter l’équipe à ce moment-là que de se faire licencier en mars […]

L’employeur avait indiqué qu’il voulait commencer à affecter des intervieweurs par roulement dans l’équipe; or les plaignantes prétendent qu’au lieu de cela, l’employeur a embauché de nouvelles équipes pour accomplir le travail, puis réattribué le travail d’enquête à d’autres employés d’OES (en sus de leur charge de travail habituelle). Les heures de travail des plaignantes ont été réduites et, par conséquent, leur revenu et leurs avantages.

Les plaignantes allèguent également que le superviseur a révélé à deux autres intervieweurs que l’employeur avait décidé de retirer Mmes Hager et Henry de l’équipe principale du Nord parce qu’elles avaient dépassé les bornes sur la question des heures supplémentaires. L’employeur a apparemment fait travailler des employés durant leurs jours de repos sans les rémunérer au tarif prévu au contrat. Il se serait entendu avec eux pour les rémunérer à tarif réduit en leur interdisant de discuter de cette entente. Nous avons l’intention d’appeler des témoins pour établir nos prétentions sur ce point.

[…]

6 Après avoir pris connaissance du courriel, j’ai demandé aux Services du greffe d’envoyer la lettre suivante aux parties :

[Traduction]

[…]

Ayant examiné les documents au dossier à ce jour, la Commission n’arrive pas à comprendre quelle est exactement la position des plaignantes sur la question de sa compétence. Des observations additionnelles sont nécessaires. Par conséquent, la question de la compétence de la Commission sera tranchée dans le cadre de l’audience qui commencera le 3 juin 2009.

Dès l’ouverture de l’audience, le représentant des plaignantes devra indiquer expressément la (les) interdiction(s) mentionnée(s) à l’article 186 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique qui est (sont) l’objet de la plainte et préciser la nature de la violation présumée de cette (ces) interdiction(s). La Commission pourra alors demander aux parties de lui soumettre des observations sur la question de savoir si les plaignantes ont établi prima facie que les défendeurs avaient enfreint cette interdiction. Le représentant des plaignantes devra également indiquer à quelle date exactement Mme Woods a eu connaissance de l’acte, de l’omission ou de toute autre situation ayant donné lieu à la plainte et répondre expressément à l’objection des défendeurs voulant que la plainte de Mme Woods soit hors délai.

La Commission demandera aussi aux parties de lui soumettre des observations sur la question de savoir s’il y a lieu de désigner le « ministre responsable de Statistique Canada » comme défendeur dans une plainte alléguant la violation d’une interdiction mentionnée à l’article 186 de la Loi.

En se basant sur les observations préliminaires des parties, la Commission déterminera de quelle manière se déroulera l’audience. Les parties doivent être prêtes à présenter leur preuve sur la question de la compétence de la Commission en même temps que celle sur le bien-fondé de la plainte, dans l’éventualité où la Commission en décide ainsi.

[…]

7 L’avocat des défendeurs a de nouveau écrit à la Commission, le 28 mai 2009, pour lui demander de convoquer immédiatement une conférence préparatoire afin de trancher la question de sa compétence ou, subsidiairement, de limiter l’audience prévue pour la semaine suivante à l’examen de cette question. Invoquant l’omission présumée des plaignantes d’indiquer l’interdiction particulière de la Loi que les défendeurs avaient enfreint, de même que leur omission présumée de répondre de manière adéquate à la contestation de la compétence de la Commission, les défendeurs estimaient qu’ils étaient en droit d’être informés de tous les détails des allégations des plaignantes, de manière à pouvoir préparer et présenter leurs arguments.

8 À ma demande, les Services du greffe ont envoyé la lettre suivante aux parties :

[Traduction]

[…]

Sur les instructions du commissaire qui est saisi du présent dossier, les Services du greffe n’ont pas demandé aux plaignantes d’exposer leur position par écrit sur la demande contenue dans la lettre des défendeurs du 28 mai 2009, contrairement à la procédure habituelle. Il se trouve que l’emploi du temps du commissaire ne lui permet pas de convoquer une conférence préparatoire ou de recevoir des observations additionnelles sur la question de sa compétence avant l’audience prévue pour la semaine prochaine.

Dans la correspondance antérieure en date du 26 mai 2009, les Services du greffe indiquaient que le commissaire entendait examiner les questions découlant de la contestation de sa compétence dès l’ouverture de l'audience. Le commissaire reconnaît que, par souci d’équité dans ce cas-ci, les plaignantes doivent fournir tous les détails de leur allégation de pratique déloyale surtout s’il est déterminé que la plainte porte sur une interdiction mentionnée au paragraphe 186(2) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (la « Loi ») et que la charge de la preuve se trouve dès lors inversée pour l’application du paragraphe 191(3) de la Loi. Le commissaire a pris acte du fait que les plaignantes n’avaient toujours pas précisé la nature de leur plainte.

Au vu des circonstances, le commissaire indique que l’audience se déroulera de la manière décrite dans la lettre du 26 mai 2009, à cette différence qu’il acceptera de se saisir d’une demande d’ajournement après avoir tranché les questions préliminaires […] s’il juge à ce moment-là qu’il serait préférable d’ajourner la séance par souci d’équité procédurale.

[…]

III. Question préliminaire – clarification de l’allégation des plaignantes

9 Comme il est indiqué dans les directives données aux parties, j’ai demandé aux plaignantes, dès le début de l’audience, de clarifier leur allégation contre les défendeurs. Je résume ci-après la déclaration qui a été présentée pour leur compte en réponse à ma demande.

10 Les plaignantes ont indiqué que les Opérations des enquêtes statistiques avaient créé un groupe, l’équipe principale du Nord, pour effectuer des enquêtes dans le nord du Canada. Les trois plaignantes, qui étaient des travailleuses saisonnières, faisaient partie de ce groupe. Elles étaient régies par la convention collective, elles avaient adhéré à l’agent négociateur et elles faisaient partie de l’exécutif de la section locale. À ce titre, elles exprimaient des opinions à l’employeur à propos de l’application et de l’interprétation de la convention collective — [traduction] « […] des choses que font normalement des membres solides d’un syndicat […] et cela en toute légalité ». La convention collective conclue entre les Opérations des enquêtes statistiques et l’Alliance de la fonction publique du Canada s’applique du 1er décembre 2007 au 30 novembre 2011 (la « convention collective »). (Prière de noter que dans le texte anglais de la convention collective, l’employeur est désigné sous le nom de « Statistical Survey Operations », au lieu de « Statistics Survey Operations » [Opérations des enquêtes statistiques], le nom qui est indiqué à l’annexe V de la Loi sur la gestion des finances publiques, L.R. 1985, ch. F-11. La décision originale en anglais utilise la première forme du nom.)

11 Les plaignantes ont expliqué qu’elles s’étaient fait dire, à l’insu l’une de l’autre, qu’elles ne faisaient plus partie de l’équipe principale du Nord. L’hypothèse la plus tenace qui circulait à ce moment-là était que leur retrait du groupe était la conséquence de leur appartenance à l’agent négociateur ou de leurs activités syndicales, plutôt que d’une restructuration organisationnelle. L’employeur n’a d’ailleurs pas expliqué pourquoi il retirait les plaignantes de l’équipe.

12 Les plaignantes ont déclaré qu’elles ne possédaient aucune preuve documentaire pour établir les raisons de leur retrait de l’équipe principale du Nord. Un membre de l’agent négociateur, qui était aussi un gestionnaire, leur avait également mis la puce à l’oreille lorsqu’il leur avait dit qu’ : [traduction] « […] à force de [se] plaindre et d’insister pour avoir gain de cause, [elles allaient] finir par se retrouver dans une mauvaise posture ».

13 Les plaignantes prétendent qu’elles étaient les membres les plus compétentes et les plus expérimentées de l’équipe et qu’il était absurde, sur le plan économique, de les retirer du groupe. Elles avaient l’impression que le remaniement de l’équipe principale du Nord avait surtout touché [traduction] « […] les membres de l’exécutif du syndicat, ceux qui montent le plus souvent au créneau […] ».

14 Il existe selon elles des « indices » que leurs activités syndicales [traduction] « […] ont joué contre elles ». Elles demandent à la Commission d’inférer que ces activités ont [traduction] « […] à tout le moins constitué un facteur ».

15 À la fin de la présentation, j’ai demandé aux plaignantes de m’indiquer sur quelle disposition de la Loi elles basaient leur allégation. Elles ont répondu que les défendeurs avaient fait des distinctions illicites à leur égard parce qu’elles avaient adhéré à une organisation syndicale ou en étaient des dirigeantes, en violation du sous-alinéa 186(2)a)(i). Cette disposition dit ceci :

          186. (2) Il est interdit à l’employeur, à la personne qui agit pour le compte de celui-ci et au titulaire d’un poste de direction ou de confiance, que ce dernier agisse ou non pour le compte de l’employeur :

a) de refuser d’employer ou de continuer à employer une personne donnée, ou encore de la suspendre, de la mettre en disponibilité, ou de faire à son égard des distinctions illicites en matière d’emploi, de salaire ou d’autres conditions d’emploi, de l’intimider, de la menacer ou de prendre d’autres mesures disciplinaires à son égard pour l’un ou l’autre des motifs suivants :

(i) elle adhère à une organisation syndicale ou en est un dirigeant ou représentant — ou se propose de le faire ou de le devenir, ou incite une autre personne à le faire ou à le devenir —, ou contribue à la formation, la promotion ou l’administration d’une telle organisation,

[…]

IV. Question préliminaire – résumé de l’argumentation sur la question de la compétence de la Commission

A. Pour les défendeurs

16 Les défendeurs ont fait valoir qu’une déclaration selon laquelle l’employeur avait fait des distinctions illicites à l’égard des plaignantes n’était pas suffisante pour établir prima facie que l’employeur avait contrevenu à la Loi. Ils m’ont renvoyé au critère décrit au paragr. 21 de l’affaire Quadrini c. Agence du revenu du Canada et Hillier, 2008 CRTFP 37, reproduit ci-après :

21.[…] Selon moi, il est essentiel de déterminer si la plainte, à première vue, est raisonnablement corrélée aux interdictions stipulées aux sous-alinéas 186(2)a)(iii) et (iv) de la nouvelle Loi. Cela touche directement à la compétence en tout premier lieu. Si, en supposant que tous les faits allégués dans la plainte sont vrais, il s’avère qu’on ne peut prouver que les défendeurs ont violé les sous-alinéas 186(2)a)(iii) ou (iv), alors la plainte peut être rejetée pour ce seul motif. Les autres questions relatives à la compétence et l’argument subsidiaire des défendeurs selon lequel la plainte devrait être rejetée parce qu’elle est frustratoire, ainsi que certaines ou la totalité des demandes présentées par le plaignant, pourront être ou seront soumises à la CRTFP si le critère préalable de preuve prima facie relatif à la plainte est satisfait. J’ai fondé ma décision quant à la procédure sur ma compréhension de la nature de l’analyse requise aux termes de la nouvelle Loi, en tenant compte de la jurisprudence.

17 Les défendeurs estiment qu’il ne suffit pas de demander à la Commission de conclure que les défendeurs ont enfreint une interdiction. Il doit exister un lien de cause à effet entre la simple allégation et les faits. Or les plaignantes n’ont pas présenté de faits pour établir ce lien. Une chose est sûre, les faits allégués par les plaignantes ne satisfont pas au critère défini dans Quadrini. La Commission ne peut pas se déclarer compétente pour trancher l’affaire en se basant exclusivement sur une inférence des plaignantes.

18 Les défendeurs ont soutenu que, au vu de la charge inverse de la preuve qui est imposée par le paragraphe 191(3) de la Loi dans le cas d’une violation présumée du paragraphe 186(2), il est particulièrement important d’établir qu’il existe un lien de cause à effet entre l’allégation et les faits. En vertu de la disposition portant inversion de la charge de la preuve, les défendeurs sont réputés avoir contrevenu à la Loi et doivent donc démontrer qu’il n’en est rien. C’est un fardeau dont il est difficile de s’acquitter et que la Commission ne doit pas appliquer en se basant exclusivement sur des inférences ou de vagues allusions du plaignant.

19 Les défendeurs ont fait valoir qu’ils avaient le droit de savoir de quoi ils étaient accusés avant de présenter leur défense. Ils m’ont renvoyé à la décision du Conseil canadien des relations industrielles (CCRI) dans Wilson c. ADM Agri-industries Ltd., [2000] CCRI 99, dont un passage est reproduit au paragraphe 29 de Quadrini :

29. Dans Wilson c. ADM Agri-industries Ltd., [2000] CCRI no 99, le CCRI a proposé une condition qui m’apparaît essentielle. Pour que puisse s’appliquer l’inversion du fardeau de la preuve prévue au paragraphe 98(4) du Code, il faut avant tout que la plainte s’accompagne d’une preuve prima facie. Dans le cadre de l’examen d’une situation où il n’était pas certain du bien-fondé d’une plainte de pratique déloyale de travail déposée contre un syndicat, le CCRI a résumé l’approche qu’il a adoptée en vertu du Code dans de telles circonstances :

[…]

[13] Au début des audiences, le Conseil a déclaré que les circonstances énoncées dans la plainte étaient plutôt vagues et ne semblaient pas établir une preuve prima facie des activités syndicales qui ont donné lieu au litige. Le paragraphe 98(4) fait reposer le fardeau de preuve sur l’employeur. Par contre, tel que décidé par le Conseil dans Société canadienne des postes (1983), 52 di 106; et 83 CLLC 16,047 (CCRT no 426), « malgré les dispositions du paragraphe 188(3) [maintenant le paragraphe 98(4)] du Code relatives au fardeau de la preuve, il faut, pour prouver qu’il y a eu violation du Code, qu’une plainte s’appuie sur des motifs suffisants. En effet, il ne suffit pas au plaignant de formuler des accusations contre une partie puis de se croiser les bras en comptant que celle-ci sera incapable d’en démontrer la fausseté. ». Le Conseil a le pouvoir de décider si le plaignant a produit les éléments nécessaires pour établir une cause prima facie, avant que le fardeau de la preuve soit imputé à l’employeur. Cette pratique a été appliquée entre autres dans les décisions suivantes : CHUM Western Ltd., Radio CKVN (1974), 3 di 19 (CCRT no 6); Radio Ste-Agathe (CJSA) Inc. (1975), 8 di 8; et 75 CLLC 16,154 (CCRT no 39); Air Canada (1975), 11 di 6; {1975} 2 Can LRBR 193; et 75 CLLC 16,164 (CCRT no 45); et Les Transports Provost Inc. (1985), 61 di 77 (CCRT no 517).

20 Les défendeurs ont soutenu qu’ils étaient obligés de se défendre contre le même genre d’accusations vagues que le CCRI décrit dans Wilson. Les plaignantes disent soupçonner que les défendeurs ont fait des distinctions illicites à leur égard, mais leur allégation n’est basée sur « rien de concret ». Les défendeurs défendent la position que la « […] plainte doit s’appuyer sur des motifs suffisants », comme il est indiqué dans Wilson.

21 Bref, les défendeurs estiment que les plaignantes n’ont pas démontré que les défendeurs avaient commis des actes, eu une conduite ou tenu des propos qui satisfaisaient au critère de la preuve prima facie. Il s’ensuit que la Commission doit refuser d’exercer sa compétence pour statuer sur la plainte.

22 Les défendeurs m’ont aussi renvoyé au paragr. 81 de Laplante c. Conseil du Trésor (Industrie Canada et le Centre de recherches sur les communications), 2007 CRTFP 95.

B. Pour les plaignantes

23 Les plaignantes ont défendu la position que les obliger à dévoiler la totalité de leur preuve pour établir prima facie qu’il y a eu violation de la Loi serait contraire à l’esprit de cette même Loi. Elles estiment que la cause [traduction] « […] est ce qu’elle est ». Elles n’ont pas reçu de document écrit ni d’indication orale des défendeurs quant aux raisons de leur retrait de l’équipe principale du Nord. Tout ce qu’elles ont c’est la décision des défendeurs.

24 Elles estiment que la « théorie » qu’elles avancent à propos de leur retrait de l’équipe est crédible et qu’elle est suffisante pour établir une preuve prima facie. Les faits sont irréfutables. Les plaignantes étaient de bonnes employées, mais à divers moments, chacune a contesté la façon dont les défendeurs appliquaient la convention collective. Elles faisaient partie de l’équipe, mais on les en retirées sans leur dire pourquoi. L’équipe a continué d’exister après cela et elle a même pris de l’expansion. La preuve que les plaignantes entendent produire à propos des circonstances ayant donné lieu à leur plainte établira à la satisfaction de la Commission que la plainte est fondée.

25 Les plaignantes m’ont renvoyé aux affaires Association des employé(e)s en sciences sociales c. Frank Claydon, Secrétaire du Conseil du Trésor, 2002 CRTFP 101, et Lamarche c. Marceau, 2007 CRTFP 18. La première décision, selon les plaignantes, établit que la Commission est autorisée à tirer des conclusions à propos de l’intention de l’employeur quand celui-ci ne parvient pas à établir qu’une décision a été prise pour des raisons opérationnelles impérieuses.

C. Réfutation des défendeurs

26 Les défendeurs avancent qu’on ne peut pas déposer une plainte en vertu du paragraphe 186(2) de la Loi pour avoir contesté l’application de la convention collective. Ils me renvoient à Hamelin c. le Conseil du Trésor et autres, dossier de la Commission 161-2-591 (19910815), dans laquelle la Commission a conclu que la négation de droits prévus par la convention collective ne constituait pas en soi la preuve d’une pratique déloyale parce que la négation ne découlait pas du fait que l’employé était membre d’une organisation syndicale.

27 Les défendeurs estiment que les plaignantes n’ont pas établi le nécessaire lien de cause à effet entre les actes ou les paroles des défendeurs et le prétendu traitement discriminatoire. Il faut donc en conclure qu’elles n’ont pas établi une preuve prima facie.

28 Si la Commission décide qu’elle a compétence pour statuer sur la plainte, les défendeurs se trouveront eux aussi placés dans la situation où ils ne savent pas précisément de quoi ils sont accusés avant de présenter leur défense, comme il est indiqué dans Gignac c. Fradette, 2009 CRTFP 18, aux paragraphes 31 et 32 reproduits ci-après :

31. Le plaignant a rencontré son fardeau de preuve initiale car il a démontré qu’une partie des faits reprochés au défendeur sont survenus. Le fardeau de la preuve est donc renversé et il appartient au défendeur de prouver que ces faits ne constituent pas des pratiques déloyales au sens de la Loi et, plus particulièrement, au sens du sous-alinéa 186(2)a)(i) de la Loi. Entre autres, il ne fait [sic] de doute que le plaignant a été convoqué à une entrevue disciplinaire en janvier 2008, qu’il y a eu une controverse au sein du comité de gestion sur son double rôle et qu’une enquête de sécurité a eu lieu sur la présence de sa fille au CPQ. Reste à savoir s’il s’agit là de pratiques déloyales.

32. Nonobstant ce qui précède, j’ai cependant accepté que le plaignant présente sa preuve en premier afin de permettre une pleine défense au défendeur. Il aurait été illogique de procéder à l’inverse compte tenu que le défendeur devait savoir précisément de quoi on l’accusait avant de présenter sa défense.

D. Observations finales des plaignantes

29 Étant donné que les défendeurs ont introduit un nouveau droit jurisprudentiel dans leur réfutation, j’ai autorisé les plaignantes à formuler des observations sur les décisions citées.

30 Les plaignantes ont déclaré que les affaires Hamelin et Gignac ne changeaient rien à ce que la Commission devait faire. Les défendeurs n’ont pas expliqué pourquoi ils les avaient retirées de l’équipe principale du Nord. Or ils sont tenus de s’acquitter de la charge de la preuve qui leur est imposée par la Loi et de répondre à la plainte. C’est un fardeau dont ils peuvent facilement se décharger. Il leur suffirait de produire une lettre expliquant les raisons de leur décision initiale. Compte tenu des arguments que les plaignantes ont présentés, les défendeurs ne sont pas placés dans une situation où ils sont incapables de présenter une défense pleine et entière.

31 En terminant, les plaignantes ont indiqué que la prépondérance de la preuve démontrerait que la décision des défendeurs était la conséquence de l’appartenance syndicale des plaignantes ou de leurs activités comme membres de l’agent négociateur.

V. Motifs – contestation de la compétence de la Commission

32 Les plaignantes allèguent que les défendeurs se sont livrés à une pratique déloyale en les retirant de l’équipe principale du Nord. Elles estiment que leur appartenance à l’agent négociateur ou leurs activités syndicales expliquent en partie la décision des défendeurs. Elles affirment qu’elles se sont acquittées de l’obligation d’établir prima facie que les défendeurs ont enfreint l’interdiction mentionnée à l’alinéa 186(2)a)(i) de la Loi. Cette disposition est libellée comme suit :

          186. (2) Il est interdit à l’employeur, à la personne qui agit pour le compte de celui-ci et au titulaire d’un poste de direction ou de confiance, que ce dernier agisse ou non pour le compte de l’employeur :

a) de refuser d’employer ou de continuer à employer une personne donnée, ou encore de la suspendre, de la mettre en disponibilité, ou de faire à son égard des distinctions illicites en matière d’emploi, de salaire ou d’autres conditions d’emploi, de l’intimider, de la menacer ou de prendre d’autres mesures disciplinaires à son égard pour l’un ou l’autre des motifs suivants :

(i) elle adhère à une organisation syndicale ou en est un dirigeant ou représentant — ou se propose de le faire ou de le devenir, ou incite une autre personne à le faire ou à le devenir —, ou contribue à la formation, la promotion ou l’administration d’une telle organisation,

[…]

[Je souligne]

En reprenant les termes de loi, je reformule l’allégation des plaignantes comme suit : l’employeur a fait à l’égard des plaignantes des distinctions illicites en matière d’emploi parce qu’elles avaient adhéré à une organisation syndicale ou en étaient des dirigeantes.

33 Puisqu’il s’agit d’une plainte alléguant la violation d’une interdiction mentionnée au paragraphe 186(2) de la Loi, le paragraphe 191(3) s’applique. Cette disposition est libellée comme suit :

          191. (3) La présentation par écrit, au titre du paragraphe 190(1), de toute plainte faisant état d’une contravention, par l’employeur ou la personne agissant pour son compte, du paragraphe 186(2), constitue une preuve de la contravention; il incombe dès lors à la partie qui nie celle-ci de prouver le contraire.

Dans le contexte de la présente affaire, le paragraphe 191(3) signifie que les défendeurs doivent prouver que, selon la prépondérance des probabilités, ils n’ont pas fait à l’égard des plaignantes des distinctions illicites en matière d’emploi parce qu’elles avaient adhéré à une organisation syndicale ou en étaient des dirigeantes. Autrement dit, les défendeurs doivent démontrer que la décision de retirer les plaignantes de l’équipe principale du Nord s’expliquait par des raisons opérationnelles et n’avait rien à voir avec leur appartenance à l’agent négociateur ou le rôle qu’elles y jouaient.

34 Comme il est indiqué dans Quadrini, pour que la charge inverse de la preuve s’applique, les plaignantes doivent avoir établi prima facie que les défendeurs ont enfreint l’interdiction particulière mentionnée dans la Loi. La question qu’il faut se poser dans ces cas-là est énoncée comme suit dans Quadrini, :

32. Au bout du compte, le critère de la preuve prima facie fait appel au bon sens. S’il suffisait de déposer une plainte dans laquelle on affirme que le paragraphe 186(2) de la nouvelle Loi a été violé pour faire en sorte que le défendeur soit automatiquement soumis à l’obligation légale de prouver le contraire, cela ouvrirait toute grande la porte aux plaintes vexatoires. Il faut qu’une allégation de violation du paragraphe 186(2) soit raisonnablement défendable à première vue. Comme je l’ai indiqué plus haut, la question essentielle à trancher est la suivante : si l’on tient pour acquis que tous les faits allégués dans la plainte sont vrais, y a-t-il une preuve soutenable que les défendeurs ont violé les sous-alinéas 186(2)a)(iii) ou (iv) de la nouvelle Loi?

Si j’applique cette approche, la question à laquelle je dois répondre pour statuer sur l’objection des défendeurs à propos de ma compétence pour trancher la plainte est la suivante : « Si l’on tient pour acquis que tous les faits allégués dans la plainte sont vrais, y a-t-il une preuve soutenable que les défendeurs ont fait à l’égard des plaignantes des distinctions illicites en matière d’emploi parce qu’elles avaient adhéré à une organisation syndicale ou en étaient des dirigeantes?

35 Donc, pour ne pas contrecarrer l’intention du législateur selon laquelle « […] la présentation par écrit […] de toute plainte […] constitue une preuve de la contravention […] », le critère de la preuve prima facie doit être appliqué de manière à faire pencher la balance en faveur du plaignant en autorisant que sa plainte soit instruite sur le fond, à condition qu’il existe une preuve soutenable et en tenant pour acquis que tous les frais allégués sont vrais. Je souscris à l’argument des plaignantes qu’on ne peut certainement pas les obliger de révéler tous les faits de leur cause pour satisfaire au critère préalable de la preuve prima facie. Elles doivent plutôt présenter suffisamment de faits pour établir qu’il existe un lien défendable entre la décision des défendeurs de les retirer de l’équipe principale du Nord et leur appartenance à l’agent négociateur ou leur rôle comme membres de l’exécutif de la section locale.

36 Les défendeurs soutiennent que les plaignantes n’ont pas présenté de faits qui établissent ce lien de cause à effet et que leur cause est basée exclusivement sur une inférence ou sur des soupçons. Ils font valoir que pour établir une preuve prima facie, il faut quelque chose de plus concret et de plus factuel — ou que, subsidiairement, ils ont le droit d’obtenir plus de détails sur les faits allégués par les plaignantes avant d’être contraints à justifier leur décision.

37 Je trouve que la position des défendeurs est tout à fait défendable. Après avoir entendu les plaignantes expliquer leur cause, j’ai la vague impression que leur décision de déposer une plainte a probablement davantage à voir avec le refus présumé des défendeurs d’expliquer pourquoi ils les ont retirées de l’équipe principale du Nord qu’avec la certitude absolue, basée sur une analyse des événements, que les défendeurs ont fait des distinctions illicites à leur égard en raison de leur appartenance à l’agent négociateur ou de leurs activités syndicales. Le fait qu’elles disent que leur plainte résulte d’« une inférence » ou est basée sur « des soupçons » m’incite à me demander si elles ne se servent pas du moyen que constitue une plainte imposant la charge inverse de la preuve pour obtenir les faits au lieu de débattre des faits de la cause. Lorsqu’elles soutiennent que les défendeurs peuvent se décharger facilement du fardeau de la preuve et qu’il leur suffirait probablement de produire [traduction] « […] une lettre expliquant les raisons de leur décision initiale », je me dis que je ne suis peut-être pas très loin de la vérité.

38 Cela dit, peut-on utiliser la procédure de plainte pour vérifier des soupçons ou une inférence que les défendeurs ont contrevenu à la Loi? Il n’est certainement pas déraisonnable de considérer que la présentation d’une plainte alléguant une violation du paragraphe 186(2) de la Loi est un moyen qui est mis à la disposition des employés pour obliger les employeurs à rendre compte de leurs actes. Cela dit, le critère de la preuve prima facie a pour but d’encadrer ce mécanisme de reddition de compte. Au bout du compte, le tribunal doit s’en remettre aux faits établis. Avant d’obliger le défendeur à se défendre contre des accusations, le tribunal doit être convaincu que les faits allégués par le plaignant — en tenant pour acquis qu’ils sont vrais — révèlent qu’il y a une cause soutenable.

39 Les faits essentiels allégués par les plaignantes dans ce cas-ci sont relativement limités : 1) elles accomplissaient leurs tâches au sein de l’équipe principale du Nord de façon compétente; 2) les défendeurs les ont retirées de l’équipe principale du Nord; 3) l’équipe a continué d’exister et les anciennes tâches des plaignantes ont été attribuées à d’autres employés; 4) les défendeurs n’ont pas motivé leur décision; 5) les plaignantes étaient membres de l’agent négociateur et de l’exécutif de la section locale; 6) elles s’étaient vivement opposées à la manière dont l’employeur appliquait les dispositions de la convention collective ayant trait aux heures supplémentaires.

40 Les plaignantes ont également déclaré que l’hypothèse qui circulait au lieu de travail est que la décision de les retirer de l’équipe était la conséquence de leurs activités syndicales. Elles ont fait allusion à un indice qu’un membre de l’agent négociateur, qui était aussi un gestionnaire, leur avait donné lorsqu’il leur avait dit qu’ : [traduction] « […] à force de [se] plaindre et d’insister pour avoir gain de cause, [elles allaient] finir par se retrouver dans une mauvaise posture ». Je trouve que ces arguments sont trop vagues pour déterminer si les défendeurs ont présenté une preuve soutenable.

41 Si je tiens pour acquis que les faits essentiels qui sont résumés au paragraphe 39 de la présente décision sont vrais, peut-on dire que cela constitue une preuve soutenable que les défendeurs ont contrevenu au sous-alinéa 186(2)a)(i) de la Loi? J’estime que oui, même si la preuve est tout de même assez tenue. Les faits allégués établissent à tout le moins la possibilité que des employées par ailleurs compétentes aient été retirées d’une équipe parce que, en tant que membres de l’exécutif de la section locale de l’agent négociateur, elles ont défendu une position à propos de l’application des dispositions de la convention collective ayant trait aux heures supplémentaires qui pourrait avoir incité l’employeur à ne plus les considérer aptes à faire partie de l’équipe principale du Nord. Il n’est pas nécessaire de savoir si cet argument constitue la meilleure interprétation des faits ou même une bonne interprétation. C’est suffisant pour satisfaire au critère de la preuve prima facie qu’il y a à tout le moins une preuve soutenable de l’existence d’un lien de cause à effet entre la décision des défendeurs et les activités syndicales des plaignantes.

42 Par conséquent, je rejette la position des défendeurs que je n’ai pas compétence pour trancher la plainte sur le fond.

43 Je note que les défendeurs m’ont renvoyé à la décision rendue dans Hamelin au soutien de leur argument que la négation de droits prévus par la convention collective ne constitue pas en soi la preuve de mesures de représailles pour des activités syndicales. J’estime que la situation qui est examinée dans Hamelin est différente de celle qui est l’objet de la présente plainte. Mme Hamelin prétendait que des personnes agissant pour le compte de l’employeur l’avaient privée de conditions d’emploi contenues dans la convention collective et qu’ils avaient pris des mesures de représailles illégales pour l’empêcher d’exercer les droits découlant de la convention collective. L’allégation est différente dans ce cas-ci, car elle repose sur le rôle des plaignantes comme membres de l’agent négociateur — Mme Hamelin ne jouait pas de rôle semblable. En tenant pour acquis que les faits sont vrais, les plaignantes ont apparemment utilisé leur rôle comme membres de l’agent négociateur dans ce cas-ci pour défendre une position à propos de l’application de la convention collective. Les mesures de représailles qui sont l’objet de la présente plainte se rapportent à l’exercice de ce rôle — ce n’est pas ce sur quoi porte Hamelin.

44 J’accepte l’argument subsidiaire des défendeurs qu’ils se trouvent placés dans une situation similaire à celle qui est décrite dans Gignac, où le peu de faits allégués par les plaignants faisait en sorte que le défendeur ne savait pas exactement de quoi il était accusé. C’est pourquoi je procéderai de la même façon que l’arbitre de grief dans Gignac en demandant aux plaignantes de présenter leur preuve en premier — autrement dit, à exposer les détails de leur cause — avant que les défendeurs commencent à produire leur preuve. Il faut toutefois bien comprendre que l’ordre de présentation de la preuve ne change rien à la charge de la preuve qui est imposée aux défendeurs aux termes du paragraphe 191(3) de la Loi.

45 Même si cela n’a eu aucune incidence sur ma décision, je tiens à souligner que la décision rendue dans Association des employé(e)s en sciences sociales citée par les plaignantes a été annulée à l’issue d’un contrôle judiciaire : Canada (Procureur général) c. Association des employé(e)s en sciences sociales et al., 2004 CAF 165.

VI. Question préliminaire – recevabilité

46 Dans cette affaire-ci, j’ai décidé de tenir en suspens l’objection de l’employeur selon laquelle Mme Woods a présenté sa plainte après l’expiration du délai prescrit par la Loi. J’ai conclu qu’il serait probablement difficile, en pratique, de séparer la preuve qui me permettra de trancher la question de la recevabilité des éléments de la preuve principale se rapportant au bien-fondé de la plainte. Donc, par souci d’efficacité, j’entendrai la preuve sur la recevabilité en même temps que celle sur le bien-fondé de la plainte.

VII. Question préliminaire – identification du défendeur

47 Comme je l’ai indiqué plus tôt, j’ai demandé aux parties, de ma propre initiative, de me présenter des observations, à l’audience, sur la question de savoir s’il y avait lieu de désigner le « ministre responsable de Statistique Canada » comme défendeur dans une plainte alléguant la violation d’une interdiction mentionnée à l’article 186 de la Loi. La raison que j’ai donnée est que je n’arrivais pas à déterminer, à l’examen des documents au dossier, quelle était la nature du rôle que le ministre responsable avait joué, le cas échéant, dans les événements ayant donné lieu à la plainte et s’il devait être désigné comme défendeur en l’absence de preuve qu’il avait eu un rôle à jouer.

48 À l’audience, les plaignantes ont fait valoir que la désignation du « ministre responsable de Statistique Canada » comme défendeur s’accordait avec le libellé de la convention collective conclue entre les parties. L’« employeur» est défini comme suit à la clause 2.01 de la convention collective :

« Employeur » désigne le ministre responsable de Statistique Canada ainsi que toute personne autorisée à exercer les pouvoirs du ministre (Employer)

[Le passage en évidence l’est dans l’original]

49 Vu qu’elles n’ont jamais reçu de document des défendeurs expliquant pourquoi elles ne faisaient plus partie de l’équipe principale du Nord, les plaignantes ont déclaré qu’elles n’avaient pas été en mesure de désigner comme défendeur la personne particulière qui avait pris la décision au nom de l’employeur. Elles avaient dû se résoudre à se reporter à la définition contenue dans la convention collective pour désigner le défendeur. Elles ont fait valoir que, aux termes de la convention collective, le « ministre responsable de Statistique Canada » est l’ultime responsable des actes de l’employeur.

50 Les défendeurs ont défendu la position que les plaignantes ne pouvaient pas désigner le « ministre responsable de Statistique Canada » comme défendeur dans la plainte parce qu’elles n’avaient pas établi que le ministre avait pris part à la décision. La plainte porte sur l’attribution du travail; or les décisions en la matière sont prises par les employés de l’organisme et non par le ministre. Le fait que le ministre soit désigné comme l’employeur dans la convention collective ne veut pas dire qu’il est l’employeur sur le plan fonctionnel. C’est la loi qui exige qu’un ministre soit désigné comme responsable d’un employeur distinct. Les défendeurs avancent que le défendeur doit être nommément désigné dans une plainte fondée sur l’article 186 de la Loi et que les plaignantes doivent maintenant modifier leur plainte pour désigner la ou les personnes qui auraient contrevenu à la Loi.

51 Compte tenu du libellé du sous-alinéa 186(2)a)(i) de la Loi, j’estime que rien ne s’oppose légalement à ce que « l’employeur » soit désigné comme le défendeur dans une plainte fondée sur cette disposition et qu’il est techniquement exact à ce moment-là de désigner le « ministre responsable de Statistique Canada » comme l’employeur dans les cas où les faits allégués portent sur une violation de la Loi par le ministre. Cela dit, rien dans les faits allégués à ce jour par les plaignantes, et que je tiens pour vrais, ne me permet de conclure que le ministre responsable à la date de présentation de la plainte a joué un rôle dans les événements ayant donné lieu à la plainte. À moins que les plaignantes me prouvent ultérieurement le contraire, j’estime qu’il suffit désormais de considérer les « Opérations des enquêtes statistiques » comme l’unique défendeur. J’estime également que rien dans le paragraphe 186(2) n’oblige les plaignantes à désigner une ou des personnes particulières « […] agissant pour [le] compte de [l’employeur] » comme le(s) défendeur(s) inscrit(s) au dossier. Dans ce cas-ci, j’admets que les plaignantes ne sont probablement pas en mesure de le faire.

52 Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

VIII. Ordonnance

53 L’objection des défendeurs à propos de la compétence de la Commission pour trancher la plainte au motif que les plaignantes n’ont pas établi prima facie une violation du sous-alinéa 186(2)a)(i) de la Loi est rejetée.

54 Les Services du greffe de la Commission communiqueront avec les parties pour fixer les dates de l’instruction de la plainte sur le fond.

55 À l’audience, les plaignantes présenteront leur preuve sur le fond en premier, mais la charge inverse de la preuve imposée par le paragraphe 191(3) de la Loi s’appliquera quand même.

56 L’objection des défendeurs à propos de la recevabilité de la plainte de Mme Woods sera examinée à l’audience.

57 Le défendeur désigné dans la décision sur le fond sera les « Opérations des enquêtes statistiques », à moins que la preuve sur le fond établisse que le « ministre responsable de Statistique Canada » a joué un rôle dans les événements ayant donné lieu à la plainte.

Le 24 juin 2009.

Traduction de la CRTFP

Dan Butler,
commissaire

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