Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Les fonctionnaires s’estimant lésés avaient travaillé trois heures supplémentaires et s’attendaient à toucher une indemnité de repas de 10 $ et à se faire payer une pause-repas d’une demi-heure en vertu de la clause 27.08 de la convention collective - l’employeur a payé l’indemnité de repas, mais il a refusé de payer une pause-repas - les deux fonctionnaires étaient rentrés chez eux immédiatement après avoir terminé leurs heures supplémentaires - ils n’avaient pas parlé d’une pause-repas à ce moment-là; ils ont soulevé la question pour la première fois lorsqu’ils ont présenté leurs demandes - la principale raison d’être de la clause consiste à reconnaître le droit à la pause-repas elle-même plutôt que celui de se la faire payer - la << période raisonnable >> prévue par la convention collective n’est pas nécessairement une pause suivie d’un retour au travail - la convention collective n’obligeait pas les employés à demander une pause-repas, mais stipulait simplement que l’employeur était tenu d’en offrir une dans certaines circonstances - la convention collective exige que l’employé travaille trois heures supplémentaires avant d’avoir droit à une pause-repas - une fois qu’il a travaillé trois heures supplémentaires, la clause 27.08c) impose à l’employeur l’obligation de lui offrir une période raisonnable pour prendre une pause-repas payée - l’employeur a violé la convention collective - subsidiairement, l’inaction de l’employeur est une preuve prima facie de violation de la convention collective, de sorte que la charge de la preuve est inversée et retombe donc sur lui - l’employeur n’a pas pu expliquer pourquoi il ne s’est pas acquitté de son obligation. Griefs accueillis.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2009-06-12
  • Dossier:  566-32-431 et 432
  • Référence:  2009 CRTFP 76

Devant un arbitre de grief


ENTRE

BRIAN KRANSON ET JOHN W. SAWCHUK

fonctionnaires s'estimant lésés

et

AGENCE CANADIENNE D’INSPECTION DES ALIMENTS

employeur

Répertorié
Kranson et Sawchuk c. Agence canadienne d’inspection des aliments

Affaire concernant des griefs individuels renvoyés à l’arbitrage

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Dan Butler, arbitre de grief

Pour le fonctionnaire s'estimant lésé:
Ray Domeij, Alliance de la Fonction publique du Canada

Pour l'employeur:
Barry Benkendorf, avocat

Affaire entendue à Vancouver (Colombie-Britannique),
le 6 mai 2009.
(Traduction de la CRTFP)

I. Griefs individuels renvoyés à l’arbitrage

1 Quand Brian Kranson et John W. Sawchuk, les fonctionnaires s’estimant lésés (les « fonctionnaires ») ont travaillé trois heures supplémentaires le 24 février 2005, ils s’attendaient à recevoir une indemnité de repas pour les heures supplémentaires s’élevant à 10,00 $ et une demi-heure payée correspondant à une pause-repas en vertu de la clause 27.08 de leur convention collective. Lorsque l’employeur leur a versé l’indemnité de repas mais a rejeté leur demande d’une pause-repas payée, les fonctionnaires ont soulevé une objection et ont déposé un grief. La présente décision vise à établir s’ils avaient raison.

2 La convention collective pertinente est celle conclue entre l’Agence canadienne d’inspection des aliments (l’« employeur ») et l’Alliance de la Fonction publique du Canada concernant l’unité de négociation du groupe de l’Alliance de la Fonction publique du Canada. La convention collective a expiré le 31 décembre 2006.

II. Résumé de la preuve

3 Les parties ont déposé l’énoncé conjoint des faits suivant :

[Traduction]

1.       La convention collective applicable est la Convention collective entre l’Agence canadienne d’inspection des aliments (ACIA) et l’Alliance de la Fonction publique du Canada (AFPC) concernant l’unité de négociation du groupe de l’Alliance de la Fonction publique du Canada, signée le 9 mars 2005.

2.       À tous les moments pertinents, M. Brian Kranson travaillait à l’ACIA en tant qu’inspecteur du Programme modernisé d’inspection de la volaille au niveau EG-03 à l’établissement 7F, au 2619-91e Avenue, Edmonton (Alberta).

3.       À tous les moments pertinents, M. John Sawchuk travaillait à l’ACIA en tant qu’inspecteur du Programme modernisé d’inspection de la volaille au niveau EG-03 à l’établissement 7F, au 2619-91e Avenue, Edmonton (Alberta).

4.       Le 24 février 2005, les fonctionnaires travaillaient leur quart régulier de 4 h 40 à 12 h 40.

5.       Puis, les fonctionnaires ont travaillé trois heures supplémentaires de plus de 12 h 40 à 15 h 40. Ils ont été rémunérés pour cette période au taux des heures supplémentaires.

6.       Ils ont touché 10,00 $ conformément à la clause 27.08a) de la convention collective pour l’indemnité de repas.

7.       Le 1er mars 2005, les fonctionnaires ont soumis des relevés de présence et d’heures supplémentaires et de prime. Les fonctionnaires demandaient à recevoir 0,50 heure au taux d’une fois et demie pour une indemnité de repas. Cette demande portait sur la période allant de 15 h 40 à 16 h 10. On trouvera ci-jointes les pièces « A » et « B » qui sont les relevés de présence et d’heures supplémentaires et de prime respectives pour chacun des fonctionnaires. Les fonctionnaires se sont lavés de 15 h 40 à 15 h 50.

8.       Les fonctionnaires ont quitté le lieu de travail à 15 h 50 sans demander ou sans obtenir une pause-repas durant la période d’heures supplémentaires mentionnée au point 5 ou à la fin de cette période. Les premières demandes de ce genre étaient celles présentées le 1er mars 2005.

9.       La pratique habituelle à l’établissement 7F était de fournir un repas et d’accorder un certain temps pour le manger durant la période d’heures supplémentaires ou à la fin de celle-ci.

10.     Le 10 mars 2005, les demandes d’heures supplémentaires ont été rejetées par Bob Holowaychuk, gestionnaire des services d’inspection.

11.     Le 1er avril 2005, les fonctionnaires ont chacun déposé un grief.

12.     La clause pertinente dans la convention collective est la clause 27.08, qui est formulée comme suit :

a. L’employé-e qui effectue trois (3) heures supplémentaires ou plus juste avant ou juste après ses heures de travail prévues à l’horaire reçoit dix dollars (10,00 $) en remboursement des frais d’un (1) repas, sauf lorsque les repas sont fournis gratuitement.

b. L’employé-e qui effectue trois (3) heures supplémentaires ou plus qui se prolongent sans interruption après la période mentionnée en a) ci-dessus reçoit un remboursement de dix dollars (10,00 $) pour chaque période additionnelle de trois (3) heures supplémentaires de travail, sauf si les repas sont fournis gratuitement.

c. Une période payée raisonnable, déterminée par l’Employeur, est accordée à l’employé-e pour lui permettre de prendre une pause-repas à son lieu de travail ou dans un lieu adjacent.

13.     Les parties conviennent qu’aucune autre preuve ne sera déposée.

4 Les parties ont également déposé, sur consentement, les relevés de présence et d’heures supplémentaires et de prime pour chaque fonctionnaire, ayant trait au 24 février 2005 (pièces A et B).

5 Aucun témoin n’a été appelé par aucune des parties.

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour les fonctionnaires

6 Selon les fonctionnaires, l’employeur était obligé par la convention collective de leur accorder une « période payée raisonnable » afin de leur permettre de prendre une pause-repas une fois qu’ils avaient terminé les trois heures supplémentaires requises le 24 février 2005. L’octroi de cette pause-repas n’était pas laissé à la discrétion de l’employeur. La clause 27.08c) précise que cette période payée raisonnable « est accordée » à l’employé. L’utilisation, par les parties, du libellé « est accordée » dans la clause confirme que l’exigence est obligatoire.

7 Les fonctionnaires n’étaient pas obligés de demander la pause-repas; l’employeur était obligé de la leur accorder. Le seul aspect qui était laissé à la discrétion de l’employeur était de déterminer la « période raisonnable » requise pour prendre le repas. La preuve est claire que l’employeur n’a pas suivi la pratique habituelle et n’a pas fourni une « période payée raisonnable ». En omettant de le faire, l’employeur a enfreint la clause 27.08c) de la convention collective.

8 En ce qui concerne la mesure de redressement appropriée, les fonctionnaires ont fait valoir que l’employeur ne peut maintenant les indemniser intégralement pour la pause-repas perdue, particulièrement dans le cas de l’un des fonctionnaires, qui a pris sa retraite depuis. Quoi qu’il en soit, l’employeur peut fournir un redressement pécuniaire pour indemniser les fonctionnaires. Des dommages-intérêts correspondant à une demi-heure de rémunération constituent un redressement équitable à la limite inférieure de l’échelle appropriée et sont conformes à l’objectif d’indemniser les fonctionnaires plutôt que de punir l’employeur.

9 Pour appuyer leur position concernant le redressement, les fonctionnaires m’ont renvoyé à Brown et Beatty, Canadian Labour Arbitration, paragr. 2:1410, 2:1423, 5:3240, 8:2130 et 8:3700; Mitchnick et Etherington, Leading Cases on Labour Arbitration, 7.4.1; et United Steelworkers of America v. International Nickel Co. of Canada Ltd. (1970), 21 L.A.C. 428.

B. Pour l’employeur

10 L’employeur a noté que l’énoncé conjoint des faits révèle que les deux fonctionnaires ont travaillé des heures supplémentaires jusqu’à 15 h 40 le 24 février 2005 et puis, ont quitté le lieu de travail pour rentrer chez eux. Aucun d’eux n’a profité de la possibilité de prendre une pause-repas. Il n’y a aucune preuve qu’ils avaient discuté de la prise d’une pause-repas avec leur employeur ou que celui-ci leur a refusé une pause-repas à ce moment-là. La première fois que les fonctionnaires ont soulevé la question d’une pause-repas était au moment où ils ont présenté leurs relevés de présence et d’heures supplémentaires le 1er mars 2005 (pièces A et B).

11 L’employeur m’a renvoyé à Comeau c. Conseil du Trésor (Transports Canada), dossier de la CRTFP 166-02-14716 (19850723), tout en caractérisant la décision comme étant « tout à fait à propos ». D’après l’employeur, dans Comeau, on analysait essentiellement la même disposition de la convention collective et elle était appliquée aux mêmes faits, et on a rendu la décision suivante :

[…]

[11] Je conclus qu’il faut répondre à cette question par la négative; il s’ensuit donc que le grief doit être rejeté.

[12] La clause 23.23a) prévoit une période payée raisonnable pour permettre à l’employé « de prendre une pause-repas ». À mon sens, ladite clause a été rédigée de façon que le droit à une période payée ne s’applique que si l’employé interrompt son travail ou a l’intention de le faire. Elle a pour objet de permettre à l’employé de manger et de se reposer si, immédiatement après une journée normale de travail, il doit effectuer une période assez longue de travail supplémentaire. Je n’exprime aucune opinion sur la question de savoir s’il est nécessaire de prévoir ou de prendre un repas dans de telles circonstances. Si l’employé ne veut pas profiter de l’occasion qui lui est offerte de quitter son travail pour une période raisonnable afin de manger et de se reposer, libre à lui de continuer à travailler jusqu’à ce qu’il ait terminé son travail. Mais, dans un tel cas, il m’est difficile de voir sur quoi il pourrait se fonder pour demander à être rémunéré pour une pause à laquelle il a renoncé.

[13] Cela ne veut pas dire que la demande de M. Comeau n’a pas une certaine valeur financièrement. Ainsi, s’il l’avait voulu, il aurait pu prendre une pause-repas payée, disons de 18 h à 18 h 30, puis retourner au travail jusqu’à 19 h 15. (Sans trancher la question, je suppose qu’en vertu de la clause 23.23a), il est possible de prendre une pause-repas avant la fin d’une période de travail supplémentaire de trois heures à condition que l’horaire prévoie au moins une période supplémentaire de cette durée.) S’il avait pris sa pause puis était retourné au travail comme il est mentionné ci-dessus, il aurait eu droit à trois heures et demie de rémunération au taux des heures supplémentaires. En fait, il a travaillé sans interruption de 15 h 45 à 18 h 45, fournissant ainsi un service de qualité supérieure à son employeur. Pourquoi alors n’aurait-il droit qu’à la rémunération de trois heures de travail supplémentaire au lieu de trois heures et demie?

[14] Un tel argument, pour intéressant qu’il soit du point de vue financier, ne tient pas compte du principe fondamental du droit du travail selon lequel il incombe aux parties à la négociation collective de déterminer quels seront les divers avantages et les diverses conditions de travail et de rédiger une convention collective en conséquence. L’entente ainsi rédigée lie les parties et les employés. En l’absence d’une entente entre les parties, il n’est pas possible à l’employé d’affirmer que, parce qu’il a renoncé, dans l’intérêt de l’employeur, à certains droits prévus par la convention collective, il devrait être rémunéré en conséquence. A moins d’indications contraires dans la convention collective, les périodes de repos et les congés ne peuvent être convertis en espèces, et les employés qui s’abstiennent d’exercer certains droits ne peuvent généralement pas choisir d’être rémunérés en espèces pour avoir agi ainsi. […]

[15] Disons, en termes simples, que la clause 23.23a) de la convention collective ne prévoit pas, contrairement à ce que M. Landry laisse entendre dans son exposé, qu’un employé qui effectue trois heures de travail supplémentaires immédiatement avant ou après ses heures normales de travail a le droit d’être rémunéré pour trois heures et demie ou quatre heures (selon ce qui serait considéré comme une période raisonnable de repas). La clause en question stipule que les employés ont droit à une pause-repas payée. Cette pause-repas ne peut pas être convertie en espèces au gré de l’employé. Il faut la prendre telle quelle.

[…]

L’employeur fait valoir qu’on devrait en arriver à la même conclusion dans le cas des fonctionnaires.

12 L’employeur maintient que le véritable argument présenté par les fonctionnaires est que la clause 27.08c) de la convention collective précise que l’employeur « doit payer » les fonctionnaires durant une pause-repas. Mais, en réalité, la disposition précise que du temps « est accordé » à l’employé pour lui permettre de prendre une pause-repas. Allant dans le sens de la décision rendue dans l’arrêt Comeau, cela signifie qu’on accorde à l’employé une période payée raisonnable s’il souhaite prendre une pause-repas. En l’espèce, les fonctionnaires n’ont pas demandé une pause-repas et ont décidé plutôt de rentrer chez eux. Une fois qu’ils rentraient chez eux, ils étaient en temps libre et pouvaient faire ce qu’ils souhaitaient.

13 L’employeur prétend que la question des dommages-intérêts ne se pose pas. La situation qu’ont vécue les fonctionnaires n’était due aucunement à une quelconque déception de la part de l’employeur, et les fonctionnaires n’ont subi aucun préjudice ou dommage à cause des gestes de l’employeur. La question est simplement de savoir s’ils avaient droit à une période payée raisonnable pour prendre une pause-repas.

C. Réfutation des fonctionnaires

14 Les fonctionnaires ont fait valoir que l’on peut faire la distinction entre l’affaire Comeau et leur situation parce que dans ce cas-là, l’employeur avait offert à l’employé une pause-repas, mais l’employé avait décidé de renoncer au temps et à la rémunération qui lui étaient offerts. Une fois que l’employé fait ce choix, il ne peut pas par la suite demander à obtenir le temps et la rémunération offerts.

15 En l’espèce, l’employeur n’a jamais rempli son obligation d’accorder aux fonctionnaires une période payée raisonnable pour qu’ils puissent prendre une pause-repas, contrairement à sa pratique habituelle. À cause de cette omission, l’employeur ne peut prétendre que les gestes posés par les fonctionnaires leur enlevaient leurs droits en vertu de la convention collective.

IV. Motifs

16 La convention collective obligeait-elle l’employeur à accorder aux fonctionnaires une pause-repas payée lorsqu’ils ont travaillé trois heures supplémentaires le 24 février 2005 et puis, ont quitté les lieux de travail pour se rendre chez eux?

17 Les faits ne sont pas contestés, mais il s’agit plutôt de l’interprétation correcte de la clause suivante de la convention collective :

27.08c) Une période payée raisonnable, déterminée par l’Employeur, est accordée à l’employé-e pour lui permettre de prendre une pause-repas à son lieu de travail ou dans un lieu adjacent.

18 La question du droit des fonctionnaires à une pause-repas se posait une fois qu’ils avaient satisfait à l’exigence de travailler « […] trois (3) heures supplémentaires ou plus juste avant ou juste après [leurs] heures de travail prévues à l’horaire […] ». Les fonctionnaires affirment que l’octroi d’une pause-repas payée était obligatoire une fois qu’ils avaient franchi ce seuil. Le fait qu’ils n’ont pas pris la pause-repas et ont décidé plutôt de quitter le lieu de travail et de rentrer à la fin de leurs heures supplémentaires ne modifiait pas l’obligation de l’employeur. L’employeur rejette cette interprétation et prétend que, de par sa formulation, la convention collective « autorisait » les fonctionnaires à prendre une pause-repas, à titre de droit, le 24 février 2005, mais seulement s’ils prenaient effectivement la pause-repas. Lorsque les fonctionnaires ont décidé de quitter le lieu de travail plutôt que de prendre une pause, l’obligation de l’employeur prenait fin. D’après l’employeur, la clause 27.08c. de la convention collective ne crée pas un droit automatique à une rémunération au taux plus élevé — ou, vraisemblablement, à n’importe quel taux — qui serait séparé de la prise d’une pause.

19 L’employeur cite la décision dans Comeau comme puissant précédent qui vient appuyer sa position. La décision rendue dans Comeau est basée sur une analyse fondée sur l’objet de la disposition. Le président suppléant (de l’époque) a statué que l’intention des parties était que les employés devraient avoir la possibilité de prendre une pause-repas lorsqu’ils se trouvent dans une situation où ils prolongent les heures de travail et font des heures supplémentaires. Cette pause-repas est rémunérée par l’employeur mais doit être d’une durée raisonnable, telle que fixée par l’employeur. Si les employés décident de ne pas prendre la pause-repas — l’objectif fondamental de la disposition de la convention collective — ils dégagent l’employeur de l’obligation et ne peuvent ensuite demander que l’indemnité à laquelle ils ont renoncé soit convertie en un paiement en espèces.

20 Un grand nombre des observations faites dans Comeau sont convaincantes. Comme on l’affirme dans cette affaire, il y a peu de doute dans mon esprit que l’origine des dispositions que l’on trouve dans les conventions collectives comme la clause 27.08 est la conviction que les employés devraient pouvoir s’arrêter et prendre une pause-repas rémunérée lorsque leurs heures de travail vont nettement au-delà de leur journée de travail habituelle. L’idée que l’objectif principal est la pause proprement dite en tant que mesure de protection du bien-être de l’employé, plutôt que la création d’un droit d’être rémunéré pour une « période raisonnable » est renforcée par le libellé précis que les parties ont utilisé. Celles-ci ont prévu une « période payée raisonnable […] accordée à l’employé-e pour lui permettre de prendre une pause-repas […] [je souligne] ». Par ailleurs, la pause doit être prise « […] à son lieu de travail ou dans un lieu adjacent [je souligne] », ce qui suggère fortement que l’on s’attend à ce que les employés organisent leurs pauses de sorte à pouvoir reprendre rapidement leurs fonctions à la fin de la pause. Si les employés pouvaient revendiquer ce droit une fois qu’ils ont quitté le lieu de travail pour la journée, la présence des mots « […] à son lieu de travail ou dans un lieu adjacent » serait difficile à expliquer, il me semble. On peut se demander aussi si l’objectif principal consistant à assurer le bien-être des employés dans une situation où ils font de longues heures supplémentaires s’appliquerait réellement si au moment où le travail se prolonge et que le droit est déclenché, les employés peuvent quitter le lieu de travail pour le restant de la journée sans qu’il existe la possibilité qu’ils y retournent. De ce point de vue, le mot « pause » semble clairement laisser sous-entendre qu’il s’agit d’une période interposée dans une période de travail continue. Voir, par exemple, The New Shorter Oxford English Dictionary, où le terme « pause » est défini comme suit : [traduction] « Un court moment de récréation ou de repos durant une période de travail. »

21 De l’autre côté de la médaille, l’énoncé conjoint des faits suggère clairement que la « période raisonnable » qu’accorde l’employeur dans la pratique pour la pause-repas et pour laquelle il prévoit une rémunération en vertu de la clause 27.08c) de la convention collective ne doit pas nécessairement être une « pause » suivie d’un retour au travail. Le paragraphe 9 confirme ce qui suit :

[Traduction]

La pratique habituelle à l’établissement 7F était de fournir un repas et d’accorder un certain temps pour le manger durant la période d’heures supplémentaires ou à la fin de celle-ci.

[Je souligne]

Si la période de pause pouvant faire l’objet d’une rémunération peut être accordée à la fin de l’obligation de travailler des heures supplémentaires, pourquoi est-il crucial que les employés prennent la pause et/ou mangent un repas (qu’il soit fourni par l’employeur ou non) comme condition préalable au versement de la rémunération pour la « période raisonnable »? Par ailleurs, l’accent mis par l’employeur sur ce point est-il entièrement conforme à sa décision en l’espèce de verser l’indemnité de repas pour les heures supplémentaires s’élevant à 10,00 $ (paragraphe 6 de l’énoncé conjoint des faits), en dépit du fait qu’ils n’avaient pas pris la pause-repas?

22 Une lecture plus attentive de Comeau montre pourquoi les conclusions auxquelles on est arrivé dans ce cas-là risquent de ne pas s’appliquer raisonnablement au cas devant moi, comme le soutient l’employeur. Au paragraphe 13 de la décision (reproduit plus haut), le président suppléant précise qu’il suppose « […] qu’en vertu [de la clause], il est possible de prendre une pause-repas avant la fin d’une période de travail supplémentaire de trois heures à condition que l’horaire prévoie au moins une période supplémentaire de cette durée [je souligne] ». À mon avis, il faut interpréter l’analyse effectuée et les conclusions auxquelles on est arrivé dans l’affaire Comeau tout en gardant cette supposition solidement à l’esprit. Le raisonnement dans Comeau a comme fondement la croyance que le fonctionnaire, dans cette affaire, avait décidé de continuer à travailler durant une pause-repas qui aurait pu ou aurait dû avoir été prise durant les premières trois heures supplémentaires plutôt qu’après. Lorsqu’il a exercé ce choix, il ne pouvait pas par la suite demander à ce que du temps additionnel lui soit payé à la fin des trois heures supplémentaires à la place de la pause-repas à laquelle il avait renoncé. Dans le cadre de l’analyse décrite dans Comeau, ce point de vue est adopté parce qu’on estime que la condition préalable de trois heures supplémentaires est satisfaite si l’horaire prévoit trois heures supplémentaires. Tout en ayant le plus grand respect pour l’ancien président suppléant, je ne crois pas qu’il s’agit là de la meilleure interprétation à donner à la disposition de la convention collective, jadis et aujourd’hui. La clause 27.08a) commence ainsi : « L’employé-e qui effectue trois (3) heures supplémentaires ou plus […] ». Elle n’est pas formulée comme suit : [traduction] « un employé dont l’horaire prévoit qu’il travaillera trois (3) heures supplémentaires ou plus […] [je souligne] ». Je me fie au simple sens des mots qui sont inclus à la clause 27.08 et qui précisent que pour avoir droit à une pause-repas, l’employé doit accomplir les trois heures supplémentaires exigées — en réalité, « effectue » signifie « a effectué ».

23 Si j’interprète la disposition de cette manière, je dois aussi donner effet au droit énoncé à la clause 27.08c) de la convention collective dans toute situation où un employé travaille trois heures supplémentaires ou plus, même si la période d’heures supplémentaires prend fin à ce moment-là. À mon avis, si l’on exige qu’un employé qui travaille seulement trois heures supplémentaires prenne une pause-repas comme condition préalable au versement de l’indemnité de repas ou d’une « période raisonnable », on élimine l’exigence de travailler trois heures supplémentaires dans cette situation particulière. Je ne crois pas que c’était l’intention des parties, en dépit de certains autres bouts de phrase inclus à la clause 27.08c).

24 Étant donné que l’employeur a pour pratique d’accepter qu’une période de repas peut survenir à la fin d’un quart travaillé en heures supplémentaires, il semble clair que l’employeur aurait versé aux fonctionnaires non seulement l’indemnité de repas, mais également la « période raisonnable » s’ils avaient effectivement pris une pause-repas à 15 h 40 le 24 février 2005 et puis avaient quitté le lieu de travail pour rentrer chez eux après la pause. L’employeur a souligné que les fonctionnaires n’avaient pas demandé une pause-repas mais, dans le contexte des heures supplémentaires déjà effectuées, pourquoi auraient-ils eu besoin de demander une pause? Le but d’une requête aurait été de permettre à l’employeur de confirmer que les fonctionnaires pouvaient arrêter de travailler à ce moment-là et prendre leur pause ou aurait permis à l’employeur de déterminer ce qui aurait constitué une « période raisonnable » pour cette pause. En l’espèce, le premier aspect ne se présentait pas. En ce qui concerne la détermination d’une « période raisonnable », l’employeur conservait entièrement le droit de décider d’une période appropriée aux fins de la rémunération lorsqu’il a par la suite évalué la demande de paiement des heures supplémentaires présentée par les fonctionnaires. Il aurait certainement pu faire cette détermination en se fondant sur ce qui aurait été sa pratique habituelle d’autoriser une « période raisonnable » si les fonctionnaires avaient pris une pause et puis avaient continué à travailler. Dans l’ensemble, je trouve difficile, sur le plan pratique, de comprendre pourquoi la décision des fonctionnaires de rentrer à la maison à 15 h 50 occupe une place aussi importante dans l’évaluation de la situation faite par l’employeur. Rien dans le comportement des fonctionnaires n’a causé de problème opérationnel pour l’employeur ou a changé le fait qu’ils avaient travaillé les trois heures supplémentaires que l’employeur leur avait demandé d’effectuer et qui correspondaient à la période d’admissibilité prévue à la stipulation 27.08a. de la convention collective. Si l’argument de l’employeur  était retenu, il se soustrairait à une responsabilité (qu’il aurait acceptée autrement) uniquement parce que les employés n’étaient pas restés proches du lieu de travail pour prendre une pause-repas après avoir terminé leurs heures supplémentaires, même si l’employeur n’avait aucune raison opérationnelle d’insister qu’ils le fassent.

25 Tout compte fait, je préfère l’interprétation que donnent les fonctionnaires à la clause 27.08c) de la convention collective. Même si la décision rendue dans l’affaire Comeau est utile pour comprendre l’objectif de la disposition, la supposition clé faite dans ce contexte n’est pas compatible, d’après moi, avec l’exigence pratique consistant à donner effet aux droits énoncés à la clause 27.08 quand un employé travaille trois heures supplémentaires — et rien que trois heures supplémentaires — et puis a fini de travailler pour la journée. Interprétée dans le contexte de la période d’admissibilité de trois heures qui est essentielle à l’application de cette disposition, j’accepte la prétention des fonctionnaires que la clause 27.08c) renferme une exigence obligatoire. Les fonctionnaires s’attendaient à recevoir l’indemnité de repas de 10,00 $ après avoir travaillé trois heures supplémentaires, et ils l’ont effectivement touchée. Ils s’attendaient aussi à recevoir une rémunération correspondant à une période raisonnable pour la pause-repas, qui devait être déterminée par l’employeur. Ils ne l’ont pas reçue. En rejetant leur demande, l’employeur a enfreint la convention collective.

26 Si j’ai fait fausse route dans l’évaluation décrite ci-dessus, je crois qu’une autre analyse aboutirait à la même constatation.

27 Il semble probable que les parties n’ont pas envisagé les circonstances particulières de ce cas lorsqu’ils ont négocié la clause 27.08 de la convention collective — il est très difficile d’établir une correspondance entre l’ensemble des éléments qui constituent l’article et les circonstances en l’espèce. La structure générale de l’article semble présupposer une situation où un employé travaille au moins trois heures supplémentaires et prend une pause-repas « […] à son lieu de travail ou dans un lieu adjacent […] » et puis continue à faire des heures supplémentaires. Cependant, le langage précis utilisé par les parties ne semble pas contenir une exigence que les heures supplémentaires se poursuivent effectivement après la pause-repas. Au sens strict, le libellé de la clause 27.08 oblige plutôt l’employeur à fournir à la fois une indemnité de repas de 10,00 $ et une période payée raisonnable pour permettre à l’employé de prendre une pause-repas dans toute situation où un employé a travaillé une première période de trois heures supplémentaires, même si par la suite, il n’effectue aucune heure supplémentaire de plus. L’expression « trois (3) heures supplémentaires ou plus [je souligne] » à la clause 27.08a) ne permet aucune autre interprétation. Aussi bien le bout de phrase « trois (3) heures supplémentaires » que le mot « plus » donnent effet aux droits.

28 En l’espèce, le paiement par l’employeur de l’indemnité de repas de 10,00 $ aux fonctionnaires doit être interprété comme prouvant qu’il acceptait que la clause 27.08 s’appliquait. Une fois que l’article s’appliquait, l’employeur était également obligé d’accorder aux fonctionnaires une période payée raisonnable pour leur permettre de prendre la pause-repas. Son omission de respecter cette obligation est une preuve prima facie qu’il a enfreint la convention collective.

29 La violation de la convention collective étant établie prima facie, le fardeau de la preuve incombait à l’employeur, qui devait expliquer pourquoi il n’avait pas rempli son obligation. Par exemple, l’employeur a-t-il offert une période payée raisonnable aux fonctionnaires pour leur permettre de prendre une pause-repas, mais ont-ils refusé? Y avait-il une pratique au lieu de travail que les fonctionnaires suivraient d’après l’employeur, mais qu’ils n’ont pas suivie? Y avait-il des instructions précises sur ce que les employés sont censés faire lorsqu’une période de pause-repas survient à la fin d’un quart qui n’ont pas été respectées?

30 La seule preuve dont je dispose concernant les événements qui sont survenus le 24 février 2005 après que les fonctionnaires avaient effectué trois heures supplémentaires (et s’étaient lavés) est qu’ils ont quitté le lieu de travail sans demander une pause-repas (paragraphe 8 de l’énoncé conjoint des faits). Cependant, comme je l’ai indiqué plus haut, la clause 27.08 de la convention collective n’exige pas que les fonctionnaires demandent une pause-repas. Le fait qu’ils n’en ont pas demandé une ne dégageait pas l’employeur de son obligation de fournir une période payée raisonnable pour la pause-repas. Étant donné qu’il n’y a aucune autre information dans l’énoncé conjoint des faits expliquant la raison pour laquelle l’employeur ne pouvait respecter cette obligation, l’employeur n’a pas satisfait au fardeau de la preuve suite à la détermination de l’existence d’une preuve prima facie selon laquelle il y a eu violation de la clause 27.08. Par conséquent, la conclusion qu’il y a eu violation de la convention collective est confirmée.

31 Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

V. Ordonnance

32 Les griefs sont accueillis.

33 Je reste saisi de l’affaire pour une période de 30 jours à compter de la date de la présente décision au cas où les parties ne parviendraient pas à s’entendre sur le redressement à prévoir en réponse à la violation de la convention collective.

Le 12 juin 2009.

Traduction de la CRTFP

Dan Butler,
arbitre de grief

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