Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le fonctionnaire s’estimant lésé avait accumulé plus de 30 années de service - ses années de service n’étaient pas continues et elles ne comptaient pas toutes dans le calcul de sa pension - l’employeur a refusé sa demande de congé de préretraite - une des conditions d’admissibilité à ce congé était d’avoir 30années de service à son actif - l’arbitre de grief a accueilli le grief en concluant que les parties n’avaient pas précisé dans la convention collective que le terme <<service>> signifiait <<service ouvrant droit à pension>>. Grief accueilli.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2009-08-17
  • Dossier:  566-34-2786
  • Référence:  2009 CRTFP 99

Devant un arbitre de grief


ENTRE

DOUG KLOCK

fonctionnaire s'estimant lésé

et

AGENCE DU REVENU DU CANADA

employeur

Répertorié
Klock c. Agence du revenu du Canada

Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l’arbitrage

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Renaud Paquet, arbitre de grief

Pour le fonctionnaire s'estimant lésé:
Krista Devine, Alliance de la Fonction publique du Canada

Pour l'employeur:
Dianne Dioguardi, Agence du revenu du Canada

Décision rendue sur la base d’arguments écrits
déposés le 22 juin et les 20 et 28 juillet 2009.
(Traduction de la CRTFP.)

Grief individuel renvoyé à l’arbitrage

1 Le 22 août 2007, Doug Klock (le « fonctionnaire »), un employé de l’Agence du revenu du Canada (l’« employeur ») au Bureau des services fiscaux de Toronto Nord, a présenté un grief contestant la décision de l’employeur de ne pas lui accorder un congé de pré-retraite de cinq jours. L’employeur a rejeté le grief au dernier palier de la procédure de règlement des griefs le 6 janvier 2009. L’Alliance de la Fonction publique du Canada (l’« agent négociateur ») a renvoyé le grief à l’arbitrage le 17 mars 2009. Le fonctionnaire était assujetti aux dispositions de la convention collective signée le 10 décembre 2004 entre l’employeur et l’agent négociateur pour l’unité de négociation Exécution des programmes et des services administratifs (la « convention collective de 2004 »).

2 Aux termes de la clause 53.01 de la convention collective, les employés ont droit à un congé de pré-retraite s’ils comptent 30 années de services et qu’ils sont âgés de 55 ans ou plus. La clause 53.01 est libellée dans les termes suivants:

[…]

CONGÉ DE PRÉ-RETRAITE

53.01 À compter de la date de signature de la présente convention collective, l'Employeur accordera un congé payé de cinq (5) jours par année, jusqu'à un maximum de vingt-cinq (25) jours, à l'employé-e âgé de cinquante-cinq (55) ans ou plus qui compte un minimum de trente (30) ans de service.

[…]

3 Le fonctionnaire était âgé de 59 ans lorsqu’il a déposé le grief. Il a commencé à travailler pour l’employeur en 1966, et il a quitté son emploi en 1974. Il y est retourné en 1984, et il y travaille encore aujourd’hui. En 1984, il a choisi de ne pas racheter, aux fins du régime de pension de retraite, ses huit premières années de service. Lorsqu’il a demandé un congé de pré-retraite, le fonctionnaire comptait au total 32 années de service, mais seulement 23 au titre d’un emploi continu, et seules ces 23 années étaient admissibles pour le calcul de la pension de retraite.

4 Plusieurs mois après le dépôt du grief, soit le 3 décembre 2007, les parties ont renouvelé la convention collective et révisé le libellé de la clause 53.01 de la convention collective, de manière qu’il soit libellé dans les termes suivants:

[…]

CONGÉ DE PRÉ-RETRAITE

53.01 À compter de la date de signature de la présente convention collective, l’employeur accordera un congé payé de cinq (5) jours par année, jusqu’à un maximum de vingt-cinq (25) jours, à l’employé-e qui détient la combinaison en âge et en années de service ouvrant droit à une pension immédiate sans pénalité aux termes de la Loi sur la pension dans la fonction publique.

[…]

5 La question qui oppose les parties est celle de savoir si l’expression « années de service » telle qu’elle est utilisée à la clause 53.01 de la convention collective de 2004 renvoie aux années de service ouvrant droit à pension ou au nombre total d’années de service. Suivant la première option, le fonctionnaire ne serait pas admissible au congé de pré-retraite, mais, suivant la seconde, il y aurait droit.

Résumé de l’argumentation du fonctionnaire

6 Le fonctionnaire était admissible à un congé de pré-retraite lorsqu’il en a fait la demande en août 2007. Les deux conditions suivantes sont énoncées dans la clause 53.01 de la convention collective de 2004: l’employé doit être âgé de 55 ans ou plus et compter 30 années de service. Le fonctionnaire a rempli ces deux conditions: il était âgé de 59 ans, et il comptait 32 années de service. Aux fins de l’application de la clause 53.01, toutes les années de service doivent être prises en compte; peu importe que certaines de ces années ne soient pas prises en compte dans le calcul de la pension de retraite.

7 La convention collective ne définit pas le terme « service ». Étant donné cette absence d’une définition, le terme doit être interprété de manière à inclure tous les services rendus à l’employeur. Le texte de la disposition n’est assorti d’aucune restriction, et il y a lieu de n’en incorporer aucune non plus. Si, certes, l’article 53 de la convention collective est intitulé « Congé de pré-retraite », il n’est cependant pas visé par les dispositions de la Loi sur la pension de la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-36 (LPFP). Le congé est lié aux années de service et non aux conditions d’admissibilité à la pension de retraite.

8 L’interprétation de la clause 53.01 de la convention collective qu’avance l’employeur est déraisonnablement restrictive. L’employeur y incorpore des restrictions qui n’y figurent pas. Rien à la clause 53.01 n’exige que le service ouvre droit à pension ni même qu’il soit continu. Les parties à la convention collective étaient libres de négocier une définition de « service » ou d’utiliser le terme « service ouvrant droit à pension », mais elles ont choisi de ne pas le faire.

9 Le fonctionnaire me renvoie à la jurisprudence suivante: International Brotherhood of Boilermakers, etc. v. Howden & Parsons (Canada) Ltd. (1970), 21 L.A.C. 177; City of Trail v. International Association of Fire Fighters, Local 941 (1983), 10 L.A.C. (3d) 251; Federated Cooperatives Ltd. v. Miscellaneous Employees Teamsters, Local 987 (2004), 130 L.A.C. (4th) 185; et Lawrence c. Agence du revenu du Canada, 2007 CRTFP 65.

Résumé de l’argumentation de l’employeur

10 La disposition sur le congé de pré-retraite a été adoptée dans l’espoir d’inciter les employés en poste à rester au travail même s’ils étaient admissibles à la retraite avec pleine pension. Comme très peu d’employés choisissent de prendre leur retraite avec pension réduite, il fallait que la disposition cible les employés ayant droit à la retraite sans pénalité. En conséquence, le terme « service » qui figure dans la clause 53.01 de la convention collective doit être interprété comme visant le service ouvrant droit à pension. Lorsqu’il a déposé le grief, le fonctionnaire comptait moins de 30 années de service ouvrant droit à pension; il n’était donc pas admissible à un congé de pré-retraite.

11 Ce raisonnement est appuyé par l’interprétation de la clause 53.01 de la convention collective que l’employeur avance depuis longtemps, y compris de la définition de « service », qui a été constamment appliquée dans le contexte de l’application de la LPFP. À cet égard, l’employeur soumet plusieurs Bulletins d’interprétation qu’il a publiés en 2000, 2001 et 2004. Il renvoie également au nouveau libellé de la clause 53.01, dont les parties ont convenu en décembre 2007.

12 L’employeur reconnaît que le libellé d’une convention collective doit être interprété suivant son sens normal et ordinaire, à moins que le contexte ne révèle que les termes ont été utilisés dans un autre sens. Dans la présente affaire, la clause 53.01 de la convention collective de 2004 doit être interprétée selon le contexte, puisqu’elle est liée aux dispositions de la LPFP qui portent sur la retraite

13 L’employeur soutient également qu’il a le droit résiduel, aux termes de la clause 6.01 de la convention collective, d’adopter une interprétation de la clause 53.01 qui correspond à sa définition publiée de l’admissibilité au congé de pré-retraite.

14 L’employeur me reporte à la jurisprudence suivante: Lawrence, et Saskatchewan Joint Board, Retail, Wholesale and Department Store Union v. Pepsi-Cola Canada Beverages (West) Ltd., [1997] S.L.R.B.D. No. 62 (QL). Il me renvoie également à Sullivan, Driedger on the Construction of Statutes, 3e éd. (1994), p. 131.

Motifs

15 Ainsi que je l’ai déjà mentionné, la question en litige est celle de savoir si le terme « années de service » qui figure à la clause 53.01 de la convention collective de 2004 renvoie aux années de service ouvrant droit à pension ou au nombre total d’années de service. L’employeur soutient que « service » doit être interprété comme signifiant « service ouvrant droit à pension ». Le fonctionnaire fait valoir quant à lui que toutes les années de service chez l’employeur doivent être prises en compte aux fins du calcul des 30 années de service requises par la clause 53.01.

16 Je suis d’accord avec le fonctionnaire qu’il n’existe aucune restriction ayant pour effet de limiter le terme « service » de manière qu’il signifie « service ouvrant droit à pension ». La convention collective ne définit ni le « service », ni la « retraite ». Cela étant, ces termes doivent être interprétés selon leur sens ordinaire. Le The Concise Oxford Dictionary, 10e éd. (1995), énonce les définitions suivantes:

[…]

[Traduction]

service: période d’emploi au sein d’une entreprise ou d’une organisation.

retraite: période de la vie d’une personne qui suit son départ à la retraite.

prendre sa retraite: quitter un emploi et cesser de travailler, surtout après avoir atteint un certain âge.

[…]

17 Le titre de la clause 53.01 de la convention collective indique que le congé est accordé lorsqu’un employé est sur le point de prendre sa retraite. Cependant, cela en soi ne signifie pas que l’admissibilité au congé est limitée aux seuls employés qui sont admissibles à une rente immédiate sans pénalité sous le régime de la LRFP. Cela signifie simplement que ce type de congé est accordé aux employés qui approchent la retraite.

18 Le fonctionnaire a travaillé pour l’employeur pendant huit ans, puis il est parti. Il a repris le travail en 1984 et, à la date du grief, il avait travaillé 23 autres années pour l’employeur. Ses huit premières années ne sont pas prises en compte aux fins du calcul de la pension, puisque le fonctionnaire n’a pas racheté ces huit années de service. Personne ne conteste le fait que le fonctionnaire compte 23 années de service ouvrant droit à pension et plus de 30 années au total de service non continu auprès de l’employeur.

19 Dans leur sens ordinaire, les années de service incluent une période ou plusieurs périodes d’emploi chez un employeur. L’emploi continu renvoie généralement au service non interrompu. Dans la convention collective, il s’entend « […] dans le sens attribué à cette expression dans la Politique sur les conditions d’emploi de l’Employeur ». Ces conditions comptent comme étant des périodes continues de service qui ne sont pas séparées par plus de trois mois. Le service ouvrant droit à pension renvoie au service pris en compte aux fins du calcul de la pension.

20 Contrairement aux autres dispositions de la convention collective de 2004, la clause 53.01 n’impose aucune restriction à l’égard du calcul des années de service. À cet égard, il vaut la peine d’examiner les clauses 34.03a) et 63.01:

[…]

34.03

a)       Aux fins du paragraphe 34.02 seulement, toute période de service au sein de la fonction publique, qu'elle soit continue ou discontinue, entrera en ligne de compte dans le calcul des crédits de congé annuel sauf lorsque l'employé-e reçoit ou a reçu une indemnité de départ en quittant la fonction publique. Cependant, cette exception ne s'applique pas à l'employé-e qui a touché une indemnité de départ au moment de sa mise en disponibilité et qui est réaffecté dans la fonction publique pendant l'année qui suit la date de ladite mise à pied.

[…]

La clause 63.01 prévoit le versement d’une indemnité de départ en cas de mise en disponibilité, de démission et de retraite, entre autres motifs. Cette indemnité est calculée compte tenu du nombre d’années d’emploi continu.

21 Les clauses 34.03 et 63.01 de la convention collective restreignent toutes deux le calcul des années de service ou des années d’emploi. Si l’employeur souhaitait limiter le congé de pré-retraite prévu à la clause 53.01 au service ouvrant droit à pension ou à l’emploi continu, il devait obtenir le consentement de l’agent négociateur afin d’insérer cette restriction dans la convention collective, comme les parties l’avaient fait à l’égard des restrictions imposées relativement aux calculs utilisés dans les clauses 34.03 et 63.01.

22 L’employeur a fait valoir que le congé de pré-retraite a été adopté dans l’espoir de maintenir en poste les employés qui étaient admissibles à la retraite sans pénalité. Cette prétention est reprise dans le nouveau libellé de la clause 53.01 de la convention collective sur lequel les parties se sont entendues en décembre 2007, mais elle ne l’est pas dans le libellé de la clause 53.01 qui était en vigueur à la date du dépôt du grief.

23 L’employeur a fait valoir également que sa position trouve appui sur l’interprétation de longue date qu’énoncent plusieurs bulletins publiés en 2000, 2001 et 2004. Ces bulletins peuvent être utiles aux gestionnaires de l’employeur en leur permettant d’assurer une interprétation uniforme de la convention collective, mais ils ne sont d’aucune utilité dans la présente affaire, car ils ne sont pas des documents négociés. L’interprétation qu’offrent ces bulletins n’est rien de plus que l’interprétation qu’avance une partie à la convention collective et, à cet égard, elle n’a pas plus de poids que l’interprétation donnée par l’autre partie.

24 Le fonctionnaire était âgé de 59 ans, et il comptait plus de 30 années de service lorsqu’il a déposé son grief. En conséquence, il satisfaisait aux conditions énoncées à la clause 53.01 de la convention collective. En lui refusant sa demande, l’employeur a contrevenu à la convention collective.

25 Pour tous les motifs qui précèdent, je rends l’ordonnance suivante:

Ordonnance

26 Le grief est accueilli.

27 L’employeur doit accorder au fonctionnaire le congé de pré-retraite de cinq jours qu’il a demandé en vertu de la clause 53.01 de la convention collective qui était en vigueur en août 2007.

Le 17 août 2009.

Traduction de la CRTFP.

Renaud Paquet,
arbitre de grief

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