Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

En mai 2005, le fonctionnaire s’estimant lésé a déposé un grief alléguant que l’employeur ne lui avait pas permis d’assumer les fonctions de son poste depuis octobre2003 - le fonctionnaire s’était blessé au travail deux années auparavant et sa blessure était réapparue à quatre reprises - à l’arbitrage, l’employeur s’est opposé à la compétence de l’arbitre de grief pour instruire une question de droits de la personne portant sur des événements survenus avant le 1eravril2005, date d’entrée en vigueur de la nouvelle Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, parce qu’avant cette date, les arbitres de grief pouvaient se saisir de ces questions seulement si la Commission canadienne des droits de la personne jugeait que l’employé devait épuiser les procédures de règlement des griefs - le fonctionnaire n’avait pas soumis la question à la Commission canadienne des droits de la personne - l’arbitre de grief a déclaré ne pas avoir la compétence pour instruire la partie du grief portant sur des événements précédant le 1eravril2005 - l’employeur a également contesté la recevabilité du grief relativement aux événements survenus plus de 25jours avant le dépôt du grief - l’arbitre de grief a jugé que le grief était de nature continue et que l’employeur avait renoncé au délai de présentation du grief puisqu’il n’avait pas rejeté le grief pour ce motif à quelque palier de la procédure de règlement des griefs - l’arbitre de grief a conclu que, pour déterminer les mesures d’adaptation devant être prises à l’endroit du fonctionnaire, l’employeur avait eu raison de s’en remettre aux conseils et directives de la commission provinciale des accidents de travail - l’arbitre de grief a également conclu que le défaut du fonctionnaire de coopérer a nui aux tentatives réelles de l’employeur de prendre des mesures d’adaptation. Grief rejeté.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2009-07-07
  • Dossier:  566-02-396
  • Référence:  2009 CRTFP 84

Devant un arbitre de grief


ENTRE

CONRAD NEILSON MCNEIL

fonctionnaire s'estimant lésé

et

CONSEIL DU TRÉSOR
(ministère de la Défense nationale)

employeur

Répertorié
McNeil c. Conseil du Trésor (ministère de la Défense nationale)

Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l’arbitrage

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
George Filliter, arbitre de grief

Pour le fonctionnaire:
Jacek Janczur, Alliance de la Fonction publique du Canada

Pour l'employeur:
Karen Clifford, avocate

Affaire entendue à Toronto (Ontario),
du 9 au 10 et du 22 au 24 septembre 2008, ainsi que du 22 au 24 avril 2009.
(Traduction de la CRTFP)

I. Grief individuel renvoyé à l’arbitrage

1 Conrad Neilson McNeil (le « fonctionnaire ») est cuisinier pour le ministère de la Défense nationale). Durant toute la période visée par le grief, il travaillait à la base des Forces canadiennes à Borden (Ontario). Il s’est blessé au dos dans le cadre de son travail, le 11 novembre 2001 (l’« accident de travail »). Une demande de prestations a été soumise à la Commission de la sécurité professionnelle et de l’assurance contre les accidents du travail de l’Ontario (la « commission des accidents de travail »), et elle a été acceptée. En raison de son accident de travail, le fonctionnaire s’est absenté de son travail. Au cours des deux années suivantes, plusieurs tentatives ont été faites pour le réintégrer au marché du travail, et sa blessure au dos est réapparue à quatre reprises.

2 Cette affaire concerne une longue histoire dont il sera question tout au long de la présente décision. Quoi qu’il en soit, le fonctionnaire a déposé un grief le 27 mai 2005, dans lequel il prétendait que l’employeur avait fait preuve discrimination à son endroit et avait omis de prendre des mesures d’adaptation pour tenir compte de ses restrictions physiques.

3 La prétention relative à la discrimination découle d’un incident survenu le 6 octobre 2003, lorsque le fonctionnaire a manifesté le souhait de reprendre son travail de cuisinier. L’employeur n’aurait alors pas pris les mesures nécessaires pour tenir compte de son souhait. Le fonctionnaire estime que l’employeur a refusé de l’accommoder jusqu’à ce qu’il dépose son grief, et même au-delà de cette date.

4 La seule disposition pertinente de la convention collective signée par le Conseil du Trésor et l’Alliance de la Fonction publique du Canada, le 22 mars 2005, pour l’unité de négociation du Groupe des services d’exploitation (la « convention collective »), est l’article 19, qui est libellé comme suit :

[…]

ARTICLE 19
ÉLIMINATION DE LA DISCRIMINATION

19.01 Il n’y aura aucune discrimination ingérence, restriction, coercition, harcèlement, intimidation, ni aucune mesure disciplinaire exercée ou appliquée à l’égard d’un employé-e du fait de son âge, sa race, ses croyances, sa couleur, son origine nationale ou ethnique, sa confession religieuse, son sexe, son orientation sexuelle, sa situation familiale, son incapacité mentale ou physique, son adhésion à l’Alliance ou son activité dans celle-ci, son état matrimonial ou une condamnation pour laquelle l’employé-e a été gracié.

[…]

[Je souligne]

5 Les parties conviennent que l’article 19 de la convention collective devrait être interprété en fonction des dispositions 3(1) et 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne (la « LCDP »),  L.R.C. (1985) ch. H-6, étant libellés comme suit :

[…]

3.(1) Pour l’application de la présente loi, les motifs de distinction illicite sont ceux qui sont fondés sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l’âge, le sexe, l’orientation sexuelle, l’état matrimonial, la situation de famille, l’état de personne graciée ou la déficience.

7. Constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, par des moyens directs ou indirects,

a) de refuser d’employer ou de continuer d’employer un individu

b) de le défavoriser en cours d’emploi.

[Je souligne]

[…]

6 Le fonctionnaire a avisé la Commission canadienne des droits de la personne (la « CCDP ») qu’il soulevait, en arbitrage, une question portant sur l’interprétation ou l’application de la Loi canadienne sur les droits de la personne. La CCDP a décidé de ne pas présenter d’observations sur la question.

7 Pendant la plus grande partie des dates initiales d’audience, les parties ont traité de questions préliminaires et, avec le consentement des deux parties, l’audience a été ajournée à la fin de la journée du 10 septembre 2008. Les parties ont utilisé seulement trois jours de la deuxième série de dates d’audience parce que l’avocat du fonctionnaire était malade et a demandé l’ajournement. Les premières dates disponibles pour la reprise de l’audience étaient du 21 au 24 avril 2009.

8 L’incapacité du fonctionnaire et la nécessité d’accommoder celui-ci ne sont pas en litige. Les parties conviennent que le fonctionnaire souffre d’une incapacité permanente en raison de son accident de travail et qu’il doit faire l’objet de mesures d’adaptation au lieu de travail. La question que je dois trancher consiste donc à déterminer si, en présumant que j’ai la compétence nécessaire pour le faire, l’employeur a omis de prendre des mesures pour tenir compte de l’incapacité du fonctionnaire.

II. Question préliminaire

9 Le 8 août 2008, une conférence téléphonique préparatoire a eu lieu à la demande du fonctionnaire. Le fonctionnaire a demandé d’être autorisé à poursuivre sans devoir présenter d’éléments de preuve, compte tenu que son incapacité et l’obligation de l’employeur d’en tenir compte étaient reconnues.

10 La position de l’employeur était que le fonctionnaire avait l’obligation d’établir une preuve prima facie de discrimination. Essentiellement, l’employeur a soumis une preuve établissant qu’il avait pris des mesures adaptées aux besoins du fonctionnaire.

11 Après avoir pris connaissance des positions des deux parties, j’ai ordonné que le fonctionnaire, afin d’établir une preuve prima facie, démontre le lien existant entre son incapacité et sa prétention relative à la discrimination. Agir autrement aurait pour effet de priver l’employeur du droit à la justice naturelle.

12 Cette approche est compatible avec la décision Pepper c. Conseil du Trésor (ministère de la Défense nationale), 2008 CRTFP 8, dans laquelle l’arbitre de grief s’est penché sur l’application de la décision Commission ontarienne des droits de la personne c. Simpsons-Sears, [1985] 2 R.C.S. 536, eu égard à ce qu’un fonctionnaire s’estimant lésé est tenu d’établir lorsqu’il y a allégation de discrimination fondée sur l’incapacité. Au paragraphe 141 de Pepper, l’arbitre de grief a déterminé qu’il incombait à un fonctionnaire s’estimant lésé d’établir « [...] qu’il a une déficience considérée comme un motif de distinction illicite par la Loi canadienne sur les droits de la personne, qu’il a été défavorisé dans son milieu de travail et que cette déficience a contribué au traitement discriminatoire qu’il a subi [...] » (voir également Gibson c. Conseil du Trésor (ministère de la Santé), 2008 CRTFP 68).

III. Audience

13 Au début de l’audience, les parties ont présenté un bref exposé des faits déclarant notamment ce qui suit :

[Traduction]

[…]

3.       L’employeur convient que le fonctionnaire doit faire l’objet de mesures d’adaptation au travail en raison de sa blessure.

4.       L’employeur convient que le fonctionnaire souffre d’une incapacité permanente suite à cette blessure.

[…]

14 Comme mentionné précédemment, le fonctionnaire devait soumettre une preuve à l’appui de son affirmation selon laquelle il avait établi une preuve prima facie de discrimination. Cependant, l’employeur s’est opposé à ma compétence à instruire une affaire s’était produite avant le 1er avril 2005, date à laquelle la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (LRTFP), édictée par l’article 2 de la Loi sur la modernisation de la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, a été proclamée en vigueur.

A. Position du fonctionnaire

15 Le fonctionnaire a expliqué que plusieurs des faits de base n’étaient pas en litige. Par exemple, personne ne conteste le fait que le fonctionnaire a eu un accident de travail, le 11 novembre 2001, et qu’il était admissible à des prestations en vertu de la loi provinciale pertinente, en l’occurrence la Loi de 1997 sur la sécurité professionnelle et l’assurance contre les accidents du travailde l’Ontario, L.O. 1997, ch. 16, administrée par la commission des accidents de travail.

16 Par ailleurs, les parties conviennent que, jusqu’en octobre 2003, le fonctionnaire a fait quatre tentatives de retour au travail, sous la supervision de la commission des accidents de travail. Les tentatives s’inscrivaient dans le cadre de programmes de conditionnement au travail.  Le fonctionnaire est alors retourné au travail pour effectuer certaines tâches précises et limitées de son poste de cuisinier, ce qu’on peut également qualifier d’affectations de travail  modifiées. Le 7 janvier 2003, l’employeur a émis une lettre énumérant les tâches que le fonctionnaire était autorisé à effectuer (pièce 11).

17 Après quatre réapparitions de sa blessure, en juillet 2003, le fonctionnaire a entrepris un programme de formation, en conformité avec l’accord conclu dans le cadre d’une médiation dirigée par la commission des accidents de travail. Personne ne conteste le fait que, en dépit de ce programme, le fonctionnaire a exprimé, en octobre 2003, son souhait de reprendre son travail de cuisinier. Les parties ne contestent pas le fait que le fonctionnaire a fourni une note du médecin à l’appui de sa demande (pièce 12). Le fonctionnaire croyait avoir établi de manière convaincante que l’employeur n’avait pas fait d’efforts pour le réintégrer au marché du travail et qu’il avait donc omis de prendre des mesures d’adaptation à son endroit.

18 Le fonctionnaire a expliqué que l’accommodement aurait pu prendre la forme d’une modification de son plan de travail. Il a soumis que l’employeur aurait dû, à tout le moins, le référer pour un examen médical indépendant, comme une évaluation d’aptitude au travail par Santé Canada.

19 Le fonctionnaire estime qu’à partir de ce moment, l’employeur a omis de tenir compte de ses besoins. Par conséquent, il allègue qu’il a fait l’objet d’une discrimination parce qu’il a manifesté son souhait de reprendre le travail de cuisinier et que son médecin l’a appuyé. Selon le fonctionnaire, à compter du moment où il a exprimé sa volonté de reprendre le travail de cuisinier, en octobre 2003, l’employeur avait l’obligation de prendre des mesures d’adaptation sans aller jusqu’à la contrainte excessive.  Le fonctionnaire a invoqué la décision Pepper,qui renvoie à la décision maintes fois citée Colombie-Britannique (Public Service Employee Relations Commission) c. BCGSEU (Meiorin), [1999] 3 R.C.S. 3 (« Meiorin »).

20 Le fonctionnaire a fait valoir que l’employeur n’avait présenté aucune preuve de « contrainte excessive » et que, par conséquent, il ne s’est pas déchargé du fardeau de la preuve.

21 Le fonctionnaire a soumis que l’employeur s’est fondé uniquement sur la commission des accidents de travail pour déterminer s’il pouvait ou devrait retourner au travail, ce qui, d’après le fonctionnaire, est contraire à la jurisprudence actuelle. À l’appui de cette prétention, le fonctionnaire a invoqué les trois affaires suivantes : Pharma Plus Drugmart Ltd. v. U.F.C.W., [1993] O.L.A.A. No. 34 (QL); Canadian Pacific Ltd. v. Brotherhood of Maintenance of Way Employees (1996), 57 L.A.C. (4th) 129; et Air Canada v. International Association of Machinists and Aerospace Workers (1998), 74 L.A.C. (4th) 233.

22 Le fonctionnaire m’a également renvoyé à Giroux c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada), 2008 CRTFP 102, qui s’apparente étroitement, à son avis, à la situation en l’espèce.

23 En réponse à l’objection de l’employeur relativement à ma compétence à instruire toute affaire datant d’avant le 1er avril 2005, le fonctionnaire a soutenu que son grief était de nature récurrente, qu’il a commencé en octobre 2003 et qu’il existait toujours en avril 2005. Par conséquent, je ne devrais pas conclure que je n’ai pas la compétence nécessaire.

B. Position de l’employeur

24 L’employeur a fait valoir que, jusqu’au 1er avril 2005, un arbitre de grief nommé en vertu de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (LRTFP), L.R.C. (1985), ch. P-35, aurait eu la compétence nécessaire pour trancher une allégation de discrimination fondée sur la LCDP seulement si la CCDP avait renvoyé l’employé à la procédure de règlement des griefs. Cette situation serait survenue seulement si la CCDP, en vertu des alinéas 41(1)a) ou 44(2)a) de la LCDP, avait conclu expressément que l’employé devait épuiser les recours prévus par la procédure de règlement des griefs. À l’appui, l’employeur invoque l’affaire Canada (Procureur général) c. Boutilier, [2000] 3 C.F. 27 (C.A.).

25 L’employeur a soumis que, en vertu de la LRTFP, un arbitre de grief n’a pas la compétence initiale pour instruire un grief fondé sur des questions de droits de la personne. L’employeur m’a renvoyé aux affaires suivantes : Chopra c. Canada (Conseil du Trésor), [1995] 3 C.F. 445 (1re inst.), Mohammed c. Canada (Conseil du Trésor) , [1998] A.C.F. 845 (1re inst.) (QL); et O’Hagan c. Canada (Procureur général) , [1999] A.C.F. 32(1re inst.) (QL).

26 L’employeur a rappelé qu’au 1er avril 2005, la LRTFP est entrée en vigueur. Cette Loi confère aux arbitres un pouvoir exprès d’examiner les questions de droits de la personne. L’employeur a souligné que les arbitres ont déterminé qu’ils n’étaient pas compétents en vertu de la LRTFP à se prononcer sur des questions de droits de la personne ayant été soulevées avant le 1er avril 2005, sans que la CCDP n’invoque les articles 41 ou 44 de la LCDP. L’employeur m’a renvoyé à Lafrance c. Conseil du Trésor (Statistique Canada), 2006 CRTFP 56, à l’appui de cette observation.

27 L’employeur a également invoqué les restrictions énoncées à la clause 18.10 de la convention collective. De l’avis de l’employeur, cette clause exige qu’un employé dépose un grief « […] au plus tard le vingt-cinquième (25e) jour qui suit la date à laquelle il ou elle est notifié, oralement ou par écrit, ou prend connaissance, pour la première fois, de l’action ou des circonstances donnant lieu au grief ». L’employeur a soumis que cette clause limitait davantage ma compétence en raison de la date à laquelle le grief a été déposé, c’est-à-dire aux 25 jours précédant le 27 mai 2005.

28 Tout en maintenant l’argument concernant ma compétence, l’employeur a soutenu qu’il n’a pas fait preuve de discrimination à l’endroit du fonctionnaire. L’employeur a prétendu qu’au 27 mai 2005, le jour où le fonctionnaire a déposé le grief, celui-ci était inscrit à un programme de réintégration du marché du travail (pièce 10, onglet W) et suivait des cours à temps plein. L’employeur finançait ces cours, et le fonctionnaire continuait de recevoir son salaire. En juillet 2004 (pièce 24), une évaluation indépendante de l’aptitude du fonctionnaire à travailler a été effectuée. Le rapport n’a fourni aucune nouvelle information au sujet de la condition du fonctionnaire.

29 Par ailleurs, l’employeur a prétendu qu’il pouvait se fonder sur la commission des accidents de travail, qui est un organisme indépendant, à titre de partie intégrante du processus d’accommodement. Pour appuyer cette affirmation, l’employeur a invoqué les affaires suivantes : Corbiere c. Wikwemikong Tribal Police Services Board, 2007 CAF 97; Snow v. Honda of Canada Manufacturing, 2007 HRTO 45; et Price v. Fredericton (City), [2004] N.B.H.R.B.I.D. No. 1 (QL) (confirmé dans 2004 NBQB 319 et 2005 NBCA 45).

30 Même s’il s’opposait à ma compétence à instruire toute question précédant le 1er avril 2005, l’employeur a convenu que je pourrais examiner ces faits afin de placer le grief en contexte. À cet égard, l’employeur a soumis qu’au 6 octobre 2003, le fonctionnaire était sur le point d’entamer un programme de réintégration au marché du travail tel que convenu dans le cadre d’une médiation menée par la commission des accidents de travail. L’employeur estimait que le programme de réintégration au marché du travail s’inscrivait dans le processus d’accommodement; il visait à former le fonctionnaire pour lui permettre d’occuper d’autres postes au sein de la fonction publique.

IV. Analyse

A. Preuve prima facie de la discrimination

31 Dans l’exposé conjoint des faits, les deux parties ont reconnu que le fonctionnaire souffrait d’une incapacité et qu’il avait droit à des mesures d’adaptation. Cette reconnaissance établit la première portion de la preuve prima facie qui incombait au fonctionnaire. En conformité avec la question préliminaire tranchée précédemment, le fonctionnaire devait prouver qu’en raison de son incapacité il a été défavorisé au travail, après quoi il est à la charge de l’employeur de démontrer qu’il a pris des mesures d’adaptation jusqu’à la contrainte excessive.

32 À la lumière de la preuve, j’admets qu’à défaut d’obtenir une réponse, le fonctionnaire avait, du moins à ses yeux, été défavorisé en raison de son incapacité. Par conséquent, je me pencherai sur la question de savoir si l’employeur a pris des mesures d’adaptation à son endroit, jusqu’à la contrainte excessive.

B. Compétence à l’égard d’événements survenus avant le 1er avril 2005  et délais

33 Comme mentionné précédemment, le 1er avril 2005, la nouvelle Loi sur les relations de travail dans la fonction publique était en vigueur.

34 Nul ne conteste le fait qu’en vertu de la LRTFP, l’arbitre de grief peut seulement s’attribuer la compétence pour se saisir de questions de droits de la personne si la CCDP a déterminé, aux termes de l’article 41 ou 44 de la LCDP, que l’employé devait épuiser les recours prévus par la procédure de règlement des griefs. En l’espèce, il n’y a pas eu de telle décision. Autrement dit, en aucun temps, la CCDP n’a exigé du fonctionnaire qu’il épuise les recours prévus par la procédure de règlement des griefs. À vrai dire, rien ne démontre que le fonctionnaire avait déposé une plainte auprès de la CCDP ou déposé un grief, à aucun moment.

35 La compétence d’un arbitre de grief en matière d’interprétation et d’application des dispositions de la LCDP est clairement énoncée à l’alinéa 226(1)g) de la LRTFP. À mon avis, la LRTFP ne peut pas avoir un effet rétroactif, à moins qu’il existe une disposition législative claire et non équivoque allant dans le sens contraire (voir Sullivan and Driedger on the Construction of Statutes, 4th ed., page 546). L’article 64 de la Loi sur la modernisation de la fonction publique prévoit un effet rétroactif limité dans des cas précis, mais pas en l’espèce.

36 La question de la compétence d’un arbitre de grief à se prononcer sur le bien-fondé d’un grief déposé après le 1er avril 2005, alors que le grief concerne une question d’interprétation ou d’application de la LCDP survenue avant le 1er avril 2005, a été examinée dans l’affaire Lafrance. Dans cette affaire, l’arbitre de grief était confronté à un argument semblable à celui soulevé en l’espèce. Il a conclu qu’il n’avait pas la compétence pour instruire un grief fondé sur des faits survenus avant le 1er avril 2005 et alléguant la violation de la LCDP. Je ne vois aucune raison de m’écarter de cette conclusion; en fait, je souscris à cette conclusion et j’applique donc le même critère.

37 Par conséquent, je conclus que je n’ai pas la compétence pour me prononcer sur des allégations de discrimination reliées à des événements s’étant produits avant le 1er avril 2005. Cependant, comme dans Lafranceet dans Lafrance c. Conseil du Trésor (Statistique Canada), 2007 CRTFP 31,je peux examiner les faits afin d’établir le contexte et l’historique.

38 Le fonctionnaire a également argué que la discrimination à son endroit était de nature récurrente. L’arbitre dans Lafrance (2006 CRTFP 56)a traité d’un argument semblable. Au paragraphe 31, il a reconnu que, en raison de la nature récurrente de la discrimination, il était compétent à entendre le grief, mais seulement à compter du 1er avril 2005. Encore une fois, je souscris à cette conclusion et j’estime qu’elle devrait s’appliquer en l’espèce.

39 À l’audience, l’employeur a contesté la recevabilité du grief, en invoquant la clause 18.10 de la convention collective, qui est libellée comme suit :

[…]

18.10 Au premier (1er) palier de la procédure, l’employé-e peut présenter un grief de la manière prescrite au paragraphe 18.05, au plus tard le vingt-cinquième (25e) jour qui suit la date à laquelle il est notifié, oralement ou par écrit, ou prend connaissance, pour la première fois, de l’action ou des circonstances donnant lieu au grief.

[…]

40 Le fonctionnaire a déposé son grief le 27 mai 2005. L’employeur m’a invité à interpréter de manière stricte cette clause, ce qui pourrait constituer un obstacle de plus pour le fonctionnaire. Cependant, encore une fois dans l’affaire Lafrance (2006 CRTFP 56), l’arbitre de grief a été confronté à un libellé similaire. Aux paragraphes 22 et 23, il a passé en revue le Règlement sur les relations de travail dans la fonction publique (DORS/2005-79). Je souscris à sa conclusion selon laquelle, pour soulever une question de respect des délais, il faut suivre des procédures strictes. À mon avis, les articles 63 et 95 de ce Règlement ne laissent place à aucune ambiguïté. Le grief n’a été rejeté à aucun palier de la procédure de règlement des griefs au motif du non-respect des délais. L’employeur ne peut donc pas soulever cette question à l’arbitrage.

41 Par conséquent, je conclus que ma compétence n’est nullement écartée par le libellé de la clause 18.10 de la convention collective.

C. Événements menant au 6 octobre 2003

42 Même si j’ai jugé que je n’ai pas la compétence nécessaire pour examiner les questions précédant le 1er avril 2005, il est important de mettre en contexte les questions m’étant soumises. J’estime qu’il est utile et important de tracer l’historique des événements ayant mené à ce que le fonctionnaire soutient être la date cruciale.

43 Comme mentionné précédemment, suite à un accident de travail, le 11 novembre 2001, le fonctionnaire recevait des prestations de la commission des accidents de travail. Il a tenté de retourner au travail à quatre occasions, et lors de chacun de ces retours au travail, il s’est blessé de nouveau (17 décembre 2001 au 9 juin 2002; 22 au 23 août 2002; 7 au 27 janvier 2003 et 3 février au 14 juillet 2003).

44 Le 7 janvier 2003, au début de sa troisième tentative de retour au travail, l’employeur  a remis au fonctionnaire une liste de tâches et restrictions (pièces 11 et 48). Les tâches ont été déterminées suite à une évaluation du fonctionnaire par un physiothérapeute. Ce dernier avait rempli une formule d’évaluation de son aptitude au travail  (pièce 18) le 28 novembre 2002.

45 Au cours de sa dernière tentative de retour au travail, le fonctionnaire a été affecté à des tâches modifiées. De plus, le 1er mai 2003, son propre médecin a fourni un formulaire de détermination des capacités fonctionnelles pour un retour au travail rapide (pièce 10, onglet L) énonçant diverses restrictions qui correspondaient à celles énoncées dans la liste des tâches remise au fonctionnaire. De plus, un formulaire semblable de son médecin, daté du 27 mars 2003, a été présenté en preuve (pièce 10, onglet O), ce qui confirme encore une fois la mesure d’adaptation offerte au fonctionnaire. En dernier lieu, le 29 avril 2003, un ergonome a signé un rapport (pièce 10, onglet N) confirmant essentiellement que la liste des tâches remise au fonctionnaire satisfaisait à ses besoins.

46 Le fonctionnaire a fait valoir que, jusqu’au 6 octobre 2003, même si on lui avait fourni une liste de tâches, il ne faisait que couper des légumes, ce qui était une des tâches apparaissant dans la liste. Au cours de son témoignage, il a souligné le fait qu’il devait couper les légumes avec un couteau émoussé, et ce pendant trois mois. Cette preuve a été utilisée pour démontrer qu’il s’est infligé lui-même sa blessure en raison du mouvement répétitif lié à l’utilisation d’un couteau émoussé. Je juge que cette preuve est difficile à croire. Premièrement, l’adjudant-chef Michael Beaulieu, qui en 2005 était responsable de quatre salles à manger de la BFC de Borden et qui a également reçu une formation de cuisinier, tout comme le fonctionnaire, a déclaré que nul n’était tenu de travailler avec un couteau émoussé. L’adjudant-chef Beaulieu a également expliqué que la première chose qu’un cuisinier apprend est comment aiguiser son couteau et que chaque cuisine où le fonctionnaire a travaillé était muni de plusieurs appareils à aiguiser. En contre-interrogatoire, lorsqu’on lui a demandé pourquoi il n’avait pas tenté d’aiguiser son couteau, le fonctionnaire n’a fourni aucune explication valable.

47  Après que le fonctionnaire s’est blessé de nouveau, le 14 juillet 2003, la commission des accidents de travail a dirigé une séance de médiation qui a permis de conclure un accord, le 22 août 2003, ayant été confirmé dans une lettre datée du 25 août 2003 (pièce 10, onglet Q). Suite à ce processus, l’employeur, la commission des accidents de travail et le fonctionnaire ont convenu qu’il souffrait d’une incapacité permanente causée par une douleur discogénique au cou et une douleur radiculaire symptomatique et qu’il devait éviter de soulever des charges lourdes au-dessus des épaules, ainsi que les extensions et le positionnement statique ou extrême du cou pendant une période prolongée. De plus, l’employeur, la commission des accidents de travail et le fonctionnaire ont convenu qu’il pourrait assumer les fonctions de magasinier, de chauffeur, de préposé au lave-auto ou de caissier et qu’il pourrait faire du travail de bureau.

48 Le 6 octobre 2003, le fonctionnaire s’est rendu dans les bureaux de l’employeur pour signifier qu’il souhaitait reprendre le travail de cuisinier. Pour justifier sa demande, il a fourni une note manuscrite de son médecin indiquant simplement que le fonctionnaire était apte à assumer des fonctions modifiées à compter du 7 octobre 2003, conformément à la commission des accidents de travail (pièce 12).

49 L’employeur était confus au sujet de la note et a tenté de communiquer avec  le médecin du fonctionnaire. Elle n’était pas disponible avant le 27 novembre 2003, date à laquelle Annette Lightheart, généraliste des ressources humaines de l’employeur, a été en mesure de lui parler. Le médecin a confirmé à Mme Lightheart que sa note faisait référence aux restrictions de la commission des accidents de travail, celles-la même que l’employeur avait appliquées en janvier 2003 pour accommoder le fonctionnaire (pièce 11).

50 Selon le témoignage non contesté de Mme Lightheart, à ce stade, l’employeur tentait toujours de lui trouver un emploi autre que celui de cuisinier, parce que chaque fois que le fonctionnaire avait repris son travail, sa blessure était réapparue.

D. Événements survenus entre le 6 octobre 2003 et le 27 mai 2005

51 Je confirme de nouveau que je n’ai pas la compétence nécessaire pour déterminer si le fonctionnaire a fait l’objet de discrimination de la part de l’employeur avant le 1er avril 2005. Cela dit, le fonctionnaire prétend qu’à compter du 6 octobre 2003, l’employeur était tenu de prendre des mesures d’adaptation pour répondre à sa demande de retour au travail comme cuisinier, et ce jusqu’à la contrainte excessive. Comme mentionné précédemment, ce même jour, le fonctionnaire a présenté à l’employeur une note de son médecin (pièce 12). Le fonctionnaire argue que le prétendu refus continu de l’employeur de lui permettre de travailler comme cuisinier, jusqu’au dépôt du grief, constitue le fondement du litige en l’espèce. De là l’importance d’analyser les événements survenus entre le 6 octobre 2003 et le 27 mai 2005 qui sont au cœur du grief.

52 Bien que la capitaine R.L. Richards n’ait pas été appelée à témoigner, son courriel du 6 octobre 2003 est très révélateur de l’attitude de l’employeur (pièce 32). Le courriel a été envoyé après que l’employeur a reçu la note du médecin du fonctionnaire (pièce 12). Dans son courriel, la capitaine Richards décrit la note du médecin comme étant [traduction] « un énoncé douteux en soi ». Elle confirme également que l’employeur [traduction] « n’a pas l’obligation de  l’employer ». Par ces commentaires, la capitaine Richards renvoyait à l’accord du 22 août 2003 et aux autres possibilités d’emploi pouvant être offertes au fonctionnaire. Le 22 août 2003, le fonctionnaire avait donné son accord relativement à certains postes convenables.

53 Je conclus que l’employeur, au 6 octobre 2003, était frustré de l’insistance du fonctionnaire à travailler comme cuisinier. Cette conclusion a également été confirmée par la preuve globale de Mme Lightheart. L’employeur estimait que des tentatives avaient été faites, quatre plus exactement, pour permettre au fonctionnaire de retourner à son poste d’attache comme cuisinier, en tenant compte des restrictions qui, de l’avis du médecin, lui permettraient de réintégrer le marché du travail. À chaque occasion, la blessure du fonctionnaire était réapparue. L’employeur n’avait pas en sa possession de nouveaux documents médicaux indiquant que le fonctionnaire était maintenant apte à travailler comme cuisinier. Par ailleurs, compte tenu de l’accord conclu le 22 août 2003, l’employeur avait maintenant opté pour une nouvelle orientation. Par conséquent, l’employeur a déclaré qu’il ne permettrait pas au fonctionnaire de retourner à son poste d’attache.

54 À l’appui de cette décision, l’employeur s’est fondé sur l’avis de la commission des accidents de travail et sur les rapports médicaux et autres ayant été produits au cours de la période de deux ans écoulée depuis la blessure du fonctionnaire.

55 Après avoir examiné la jurisprudence présentée, je suis d’avis qu’un employeur peut se fonder sur l’avis et l’orientation de la commission des accidents de travail lorsqu’un employé se blesse dans le cadre de ses fonctions et qu’il doit s’absenter du travail (voir Price (N.B.H.R.B.), Wikwemikong Tribal Police Services Boardet Snow). Cependant, le droit de se fonder sur cet avis et d’accepter l’opinion de la commission des accidents de travail ne s’applique pas nécessairement pour toujours. Il cesse d’exister lorsque le souhait manifesté par l’employé, étayé par une preuve médicale adéquate, va à l’encontre de l’avis proposé par la commission. L’employeur doit alors envisager d’autres options afin de tenir compte des exigences de l’employé.

56 Le souhait manifesté par le fonctionnaire était-il étayé d’une preuve médicale adéquate?

57 En l’espèce, les tentatives de la commission des accidents de travail de lui faire reprendre le travail se sont soldées par un échec. En août 2003, le fonctionnaire et l’employeur avaient convenu d’un plan d’action qui comportait le recyclage professionnel. Cependant, le 6 octobre 2003, le fonctionnaire a présenté à son employeur une note de son médecin (pièce 12) indiquant qu’il était apte à reprendre le travail, sous réserve des mêmes restrictions imposées antérieurement par la commission des accidents de travail.

58 La note du médecin du fonctionnaire, en soi, n’a été d’aucune utilité. Elle n’indiquait pas, par exemple, un changement dans l’état médical du fonctionnaire. Je conclus par conséquent que le fonctionnaire n’a pas présenté une preuve médicale adéquate pour étayer son retour au travail.

59 L’employeur a pris la bonne décision en communiquant avec le médecin du fonctionnaire. Cependant, il lui a été impossible de lui parler avant la fin novembre 2003. La seule question posée au médecin du fonctionnaire visait à préciser les restrictions auxquelles elle renvoyait dans sa note. L’employeur avait manifestement des réserves au sujet de cette note. Peut-être que l’employeur aurait pu établir pourquoi le médecin du fonctionnaire avait rédigé la note et déterminer ensuite, en recourant par exemple à un examen indépendant et toujours sous la supervision de la commission des accidents de travail, s’il était sûr de permettre au fonctionnaire de retourner au travail et quelles mesures d’adaptation, le cas échéant, auraient été nécessaires. Mais, il ne l’a pas fait.

60 Cela dit, je ne peux pas conclure que la note du médecin du fonctionnaire était suffisante pour obliger l’employeur à adopter un traitement différent à l’endroit du fonctionnaire.

61 Je ne peux pas non plus faire abstraction du témoignage du fonctionnaire. Il a déclaré que, même s’il avait soumis la note de son médecin à l’employeur, il était toujours disposé à suivre les cours de perfectionnement afin d’être en mesure de postuler des postes prévus dans l’accord ayant été conclu le 22 août 2003, avec l’aide de la commission des accidents de travail. Cependant, il a indiqué que son souhait était toujours de reprendre le travail de cuisinier. Le dernier document qu’il a soumis à l’employeur à l’appui de ce souhait était la note de son médecin, datée du 6 octobre 2003.

62 L’employeur a soutenu que d’autres possibilités d’emploi avaient été désignées pour le fonctionnaire, et que celui-ci était d’accord. Ces possibilités constituaient le plan d’action devant être suivi. L’employeur a constaté que le fonctionnaire avait besoin d’une formation pour acquérir de nouvelles compétences. Cette formation a commencé le 13 septembre 2004. Avant le début des cours, l’employeur avait tenu des réunions et avait communiqué avec le fonctionnaire pour discuter de ses besoins en formation. Une réunion a eu lieu le 10 décembre 2003 (pièce 22), et au moins une pièce de correspondance soumise en preuve, datée du 25 février 2004 (pièce 23), confirme que l’employeur tentait de trouver une formation convenant au fonctionnaire.

63 Le 10 décembre 2003, l’employeur et le fonctionnaire ont discuté de la liste des emplois prioritaires et de la nécessité pour le fonctionnaire de se perfectionner pour l’un ou l’autre poste de cette liste. Le fonctionnaire a déclaré, lors de la réunion, qu’il souhaitait toujours être un cuisinier, mais l’employeur lui a signifié qu’aucune nouvelle information médicale ne justifierait de le rétablir dans son poste. Au terme de la réunion, le fonctionnaire a convenu,  quoique à contrecœur, de participer à des cours de formation.

64 Mme Lightheart a assuré un suivi en envoyant une lettre au fonctionnaire, le 10 décembre 2003 (pièce 33). La lettre expliquait, entre autres, la liste des emplois prioritaires et demandait au fonctionnaire de transmettre un curriculum vitae d’ici janvier 2004 à Martha Barr, gestionnaire du centre d’apprentissage et de carrière, situé à BFC de Borden. Mme Barr a témoigné qu’elle avait rencontré le fonctionnaire en décembre 2003. Il était cependant peu disposé à soumettre son curriculum vitae et estimait qu’il relevait de ses fonctions à elle d’en préparer un.  Le fonctionnaire a maintenu sa position malgré le fait que Mme Barr lui ait expliqué que l’information nécessaire pour préparer un curriculum vitae devait être fournie par lui, étant donné que lui seul connaissait les faits. Quoi qu’il en soit, le fonctionnaire a éventuellement fourni une ébauche manuscrite très sommaire, le 16 décembre 2003 (pièce 55).

65 Mme Barr a utilisé l’information fournie par le fonctionnaire pour rédiger une ébauche initiale (pièce 54). Elle a ensuite présenté cette ébauche initiale au fonctionnaire en lui demandant de fournir de l’information additionnelle. Il est important de mentionner que le fonctionnaire n’a pas fourni les commentaires et les précisions demandés.

66 En février 2004, le fonctionnaire a eu connaissance qu’un poste de superviseur de cuisine était ouvert et a indiqué à Mme Lightheart qu’il souhaitait occuper ce poste. L’employeur a répondu, dans un courriel daté du 25 février 2004 (pièce 23), que, premièrement, ces postes n’étaient pas ouverts aux employés civils et que, deuxièmement, les exigences physiques de ce poste n’étaient pas différentes de celles s’appliquant à un cuisinier. Dans le courriel, Mme Lightheart a rejeté la candidature du fonctionnaire en expliquant que les restrictions permanentes imposées par son médecin avaient malheureusement une très grande incidence  sur son aptitude à exécuter les fonctions de ce poste. Elle lui a aussi rappelé qu’il avait besoin d’une formation supplémentaire pour occuper les postes ayant été désignés comme satisfaisant à ses besoins. Elle a également confirmé que le fonctionnaire avait été placé sur la liste des emplois prioritaires.

67 Le 12 mai 2004, le fonctionnaire s’est présenté à la BFC de Borden et a commencé à travailler à la cuisine. On lui a demandé de quitter parce qu’il n’avait pas une attestation médicale confirmant qu’il pouvait travailler. Même si, selon la description en ayant été faite, il y a eu confrontation, je n’accorde pas une grande importance à cet incident allégué. Quoi qu’il en soit, une réunion a eu lieu ce même jour, et le fonctionnaire a convenu de rencontrer Mme Lightheart, le 14 mai 2004 (pièces 35 et 52).

68 Selon le témoignage de Mme Lightheart, n’ayant pas été contesté par le fonctionnaire, à la réunion du 14 mai 2004, l’employeur a proposé que le fonctionnaire subisse une évaluation de réintégration au marché du travail et qu’il participe à un programme de conditionnement au travail. Le fonctionnaire a refusé étant donné qu’il avait apparemment une note de son médecin (qui n’a pas été déposée en preuve) indiquant qu’il avait des problèmes reliés au stress et que, comme il supervisait la construction d’une demeure, il n’avait pas le temps. En ce qui concerne ce dernier point, je tiens à souligner que la preuve ne portait pas que le fonctionnaire construisait lui-même une demeure, mais bien qu’il en supervisait la construction.

69 Le fonctionnaire a éventuellement changé d’avis lorsqu’il a commencé son programme de conditionnement au travail, le 28 juin 2004, programme qu’il a terminé le 29 juillet 2004. Au terme du programme, un rapport daté du 29 juillet 2004 a été envoyé à la commission des accidents de travail (pièce 24). Le rapport concluait que la date de retour au travail de M. McNeil n’était pas définie pour le moment. Cette conclusion confirme, selon moi, que la préoccupation de l’employeur relativement au retour au travail du fonctionnaire à titre de cuisinier était fondée.

70 Le fonctionnaire a commencé son cours de perfectionnement, le 13 septembre 2004, et a continué jusqu’au 11 mars 2005. La preuve démontre que le fonctionnaire a obtenu de très bons résultats dans ses cours (pièces 13 et 14). Pendant cette période, le 6 octobre 2004, la commission des accidents de travail a approuvé la formation du fonctionnaire en vue d’occuper un poste de soutien administratif. Le coût de cette formation était d’environ 43 000 $, ce que l’employeur devait apparemment payer (pièce 10, onglet W).

71 Une preuve a été produite, le 13 janvier 2005, pour démontrer que le fonctionnaire a intimidé Mme Lightheart dans son bureau, après quoi l’accès à la BFC de Borden lui a été interdit (pièce 53). Encore une fois, j’accorde très peu d’importance à cet événement. Il n’est donc pas nécessaire de m’y attarder plus longuement.

72 Le 22 février 2005, suite à la plainte du fonctionnaire relativement à une douleur continue au dos, un rapport d’évaluation ergonomique a été produit. Il recommandait l’utilisation d’un appui-dos particulier et d’un porte-copie (pièce 28). L’employeur a fourni ces deux articles au fonctionnaire pour qu’il puisse poursuivre son cours de perfectionnement.

73 Le fonctionnaire a continué son programme de réintégration au marché du travail jusqu’à ce qu’il décide d’arrêter en août 2005. Même si cela n’est pas pertinent en ce qui concerne les questions du présent grief, j’ai appris que le fonctionnaire était par le suite retourné travailler pour l’employeur comme cuisinier à la BFC de Borden.

E. Accommodement des restrictions physiques du fonctionnaire à compter du 27 mai 2005

74 En l’espèce, je conclus que l’ensemble des tentatives visant à rétablir le fonctionnaire dans son poste de cuisinier ou de lui offrir une formation pour occuper un autre poste ont eu lieu sous la supervision de la commission des accidents de travail. Le fonctionnaire a soumis que cette supervision était inadéquate, et a invoqué les affaires suivantes : Pharma Plus Drugmart Ltd., Canadian Pacific Ltd. et Air Canada.

75 Cependant, il faudrait mentionner que la jurisprudence indique que, dans certaines circonstances, un employeur peut recourir aux services d’une commission provinciale des accidents de travail pour l’aider à tenir compte des besoins d’un employé : voir Wikwemikong Tribal Police Services Board, Snow et Price (N.B.H.R.B.).

76 La Cour suprême du Canada s’est penchée sur le critère à appliquer dans les affaires d’allégation de discrimination au travail. Elle a notamment établi un critère en trois volets : voir Meiorin. En somme, lorsqu’un employeur applique une condition ou une norme d’emploi à un employé, il doit la justifier en démontrant premièrement qu’elle est rationnellement liée à l’exécution du travail en cause, deuxièmement qu’elle a été établie pour réaliser un but légitime relié au travail et troisièmement qu’elle est nécessaire pour exécuter le travail.

77 Les critères susmentionnés créent un cadre d’évaluation de la validité de la norme en examinant son but légitime et l’intention de l’employeur. La jurisprudence indique que les critères doivent être appliqués avec souplesse et bon sens : Meiorin, paragraphe 63; Commission scolaire régionale de Chambly c. Bergevin, [1994] 2 R.C.S. 525, paragraphe 546; Central Alberta Dairy Pool c. Alberta (Commission des droits de la personne), [1990] 2 R.C.S. 489, paragraphes 520 et 521 et Centre universitaire de santé McGill (Hôpital général de Montréal) c. Syndicat des employés de l’Hôpital général de Montréal, 2007 CSC 4, paragraphe 15.

78 Je souscris à l’approche de la Cour d’appel fédérale pour ce qui est de déterminer si l’employeur, en l’espèce, aurait dû recourir aux services de la commission des accidents de travail, à tout le moins pour établir la nature des mesures d’adaptation devant être prises à l’endroit du fonctionnaire : voir Wikwemikong Tribal Police Services Board. Dans la présente affaire, à l’instar de Wikwemikong Tribal Police Services Board, il existe un lien rationnel entre la norme imposée par l’employeur, c’est-à-dire que le fonctionnaire soit apte à exécuter les fonctions, même dans leurs formes modifiées, et les exigences du poste.

79 À mon avis, les fonctions de cuisinier, mêmes si elles sont modifiées, imposent certaines exigences physiques qui sont intrinsèquement liées à l’exécution du travail. En l’espèce, lorsque l’employeur a reconnu que le fonctionnaire souffrait d’une incapacité, il a entrepris, conjointement avec la commission des accidents de travail, de définir la portée de l’incapacité. Avec l’approbation du médecin du fonctionnaire, une liste de restrictions a été mise au point. Le fonctionnaire et son médecin ont été informés des fonctions qui lui seraient assignées. Ces fonctions n’étaient pas en litige. 

80 Dans sa décision relative aux mesures d’adaptation aux besoins physiques du fonctionnaire, l’employeur pouvait s’attendre à ce que le fonctionnaire soit en mesure d’exécuter les fonctions établies avec la commission des accidents de travail et approuvées par son propre médecin. Je conclus que ces attentes ou normes avaient un but légitime lié au travail.

81 Le fonctionnaire voudrait me faire croire que l’employeur, à compter du 6 octobre 2003, aurait dû demander un examen médical indépendant au-delà des nombreuses évaluations effectuées par l’entremise des bureaux de la commission des accidents de travail. À mon avis, cette approche est rigide et manque de bon sens. Les faits que le fonctionnaire a repris le travail à quatre occasions au cours des deux premières années suivant l’accident de travail, qu’il a suivi des cours de perfectionnement et qu’il était inscrit à un programme de réintégration au marché du travail sont importants. Tous ces efforts indiquent, à mes yeux, que l’employeur a agi honnêtement et de bonne foi :  voir Wikwemikong Tribal Police Services Board.

82 En conclusion, la preuve établissait clairement que, pendant la totalité de la période visée, le fonctionnaire a fait l’objet de diverses évaluations menées par des experts indépendants, et ce à plusieurs occasions. Le fait qu’il soit retourné au travail pour assumer des fonctions modifiées, en tout temps sous la supervision de la commission des accidents de travail, me convainc que les normes s’appliquant à sa réintégration au marché du travail étaient raisonnablement nécessaires. Il ressort également clairement de la présente affaire que la preuve établit de manière satisfaisante que l’employeur a coopéré avec le fonctionnaire, l’a encouragé à exécuter les fonctions limitées et, au bout du compte, l’a aidé à se perfectionner et à envisager d’autres possibilités :  voir Wikwemikong Tribal Police Services Board.

83 Les quatre fois que le fonctionnaire a tenté de reprendre le travail, l’employeur lui a offert un programme de travail adapté en modifiant les fonctions pour se conformer à la liste des tâches élaborée par les experts médicaux, notamment son propre médecin. Par ailleurs, l’employeur a offert de réduire ses heures de travail et a fait preuve de souplesse en lui permettant de prendre des pauses selon ses besoins. La preuve démontre que l’employeur a même permis au fonctionnaire de se reposer dans un fauteuil lorsqu’il estimait qu’il en avait besoin. Pendant la période pertinente, l’employeur était ouvert aux suggestions de la commission des accidents de travail et a accepté toutes les propositions émanant des nombreuses évaluations effectuées par la commission des accidents de travail, afin de permettre au fonctionnaire de reprendre son travail de cuisinier.

84 Les mesures d’adaptation se sont poursuivies jusqu’au 22 août 2003, date à laquelle  une nouvelle orientation a été prise suite à une séance de médiation à laquelle le fonctionnaire a participé pleinement. Avec le consentement du fonctionnaire, l’employeur a entamé le processus de recyclage de celui-ci pour lui permettre de postuler d’autres emplois.

85 Il est important de mentionner que le fonctionnaire, même s’il avait accepté de participer à cette nouvelle orientation, se montrait peu coopératif. Je tire cette conclusion en me basant sur la preuve établissant que le fonctionnaire a refusé d’aider Mme Barr à rédiger son curriculum vitae. Sa réticence était évidente dès la première réunion avec Mme Barr, au cours de laquelle il n’a pas voulu fournir l’information la plus élémentaire, ensuite lorsqu’il a refusé de préparer une première ébauche et, enfin, lorsqu’il a omis de fournir des commentaires sur l’ébauche rédigée par  Mme Barr et lui ayant été transmise en lui demandant expressément d’y apporter des modifications. Le fonctionnaire a encore une fois démontré sa réticence à collaborer à cette nouvelle orientation lorsqu’il a refusé de participer aux premières étapes du programme de réintégration au marché du travail, parce qu’il n’avait soi-disant pas le temps de participer à une formation étant donné qu’il bâtissait une demeure et qu’il avait une note de son médecin attestant qu’il ne pouvait pas participer en raison du stress.

86 Malgré le manque apparent de coopération du fonctionnaire, l’employeur a continué de travailler avec la commission des accidents de travail et le fonctionnaire en vue de lui faire suivre ses cours de perfectionnement jusqu’à la fin. De plus, l’employeur a accepté de financer le programme de formation choisi par le fonctionnaire même si des options moins coûteuses étaient disponibles. L’employeur a également placé le fonctionnaire sur une liste des emplois prioritaires, ce qui, selon les explications que j’ai reçues, lui accordait la priorité pour l’obtention d’un emploi dans l’ensemble de la fonction publique.

87 À mon avis, les efforts de l’employeur, en concertation avec la commission des accidents de travail, s’inscrivaient dans les paramètres de toute définition du caractère raisonnable que je connais.

88 Comme mentionné par la Cour suprême du Canada, la « [...] recherche d’un compromis fait intervenir plusieurs parties [...] ». La cour a conclu que « [...] le plaignant a également l’obligation d’aider à en arriver à un compromis convenable » : Central Okanagan School District No. 23 v. Renaud, [1992] 2 S.C.R. 970, aux paragraphes 43 et 44. Bien que la Cour ait rapidement fait valoir que l’employeur était le mieux placé « [...] pour déterminer la façon dont il est possible de composer avec le plaignant sans s’ingérer indûment dans l’exploitation de son entreprise [...] », il est clair, à la lecture de cette décision, que le plaignant doit aussi faire sa part. Je suis d’avis que, en l’espèce, le fonctionnaire n’a pas collaboré comme il aurait dû le faire et que son absence de volonté de s’aider lui-même a nui aux tentatives de l’employeur de l’accommoder.

89 En réalité, je considère qu’il serait déraisonnable dans les circonstances d’obliger  l’employeur à déterminer unilatéralement la nature de l’accommodement à prévoir sans un certain apport de l’employé visé : voir Price (N.B.H.R.B.I.D.). Cette contribution n’était très franchement pas là.

90 Quant au souhait du fonctionnaire de reprendre son travail de cuisinier, comme en témoignent ses actions du 6 octobre 2003 et du 12 mai 2004, je conclus que, compte tenu de l’historique des événements, il ne suffisait pas de se présenter au travail et de dire : « Je veux être un cuisinier ». Le fonctionnaire doit, selon moi, être raisonnable. À tout le moins, il avait la responsabilité d’indiquer à l’employeur que sa situation médicale avait changé de sorte à lui permettre de travailler comme cuisinier, ce qu’il n’a pas fait.

91 Le fonctionnaire souhaiterait que je conclue que l’employeur aurait pu faire davantage pour l’aider et qu’il a, par conséquent, manqué à son obligation de prendre des mesures d’adaptation jusqu’à la contrainte excessive. Bien qu’il ait peut-être raison d’affirmer que l’employeur aurait pu en faire plus, je ne suis pas convaincu que mon rôle consiste à déterminer ce que, le cas échéant, l’employeur aurait pu faire différemment.

92 Je tire la conclusion que, dans les circonstances de la présente affaire, l’employeur a tenu compte des besoins du fonctionnaire, dans la mesure où le fonctionnaire le lui a permis. J’estime que l’imposition d’un fardeau additionnel à l’employeur d’accommoder un employé qui ne coopère pas constitue une contrainte excessive : Central Okanagan School District No. 23.

93 Dans son observation, le fonctionnaire me renvoie à la récente décision Giroux. J’ai pris connaissance de cette affaire et je ne suis pas convaincu qu’elle soit utile, étant donné que les faits de cette affaire sont grandement différents de ceux en l’espèce. Je note cependant que l’arbitre de grief a invoqué la LRTFP et a soulevé, au paragraphe 141, la question du regroupement des fonctions. Le fonctionnaire a également soulevé la question du regroupement des fonctions, mais j’estime que cette question n’a aucune incidence sur les faits dont je suis saisi.

94 Je constate que les parties n’ont pas eu la possibilité d’examiner la plus récente décision rendue en vertu de la LRTFP sur la question de l’accommodement : Sioui c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2009 CRTFP 44. Cette affaire m’a semblé d’une certaine utilité.

95 Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

V. Ordonnance

96 Le grief est rejeté.

Le 7 juillet 2009.

Traduction de la CRTFP.

George Filliter,
arbitre de grief

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