Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Les fonctionnaires s’estimant lésés ont renvoyé à l’arbitrage des griefs sur la présence de fumée secondaire du tabac dans leur lieu de travail - l’employeur a opposé comme objection qu’il existait un autre recours administratif pour traiter le problème - l’arbitre de grief a rejeté l’objection de l’employeur, puisque aucun autre recours administratif n’offrait le redressement de dommages-intérêts demandé par les fonctionnaires. Objection rejetée.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2009-06-08
  • Dossier:  566-02-122 à 124; 150 à 155; 168; 224 à 251;
  • Référence:  2009 CRTFP 70

Devant un arbitre de grief


ENTRE

HÉLÈNE GALARNEAU ET AL.

fonctionnaire s'estimant lésés

et

CONSEIL DU TRÉSOR
(Service correctionnel du Canada)

défendeur

Répertorié
Galarneau et al. c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada)

Affaire concernant des griefs individuels renvoyés à l’arbitrage en vertu de l’article 209 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Marie-Josée Bédard, arbitre de grief

Pour les fonctionnaires s'estimant lésés:
John Mancini, avocat

Pour le défendeur:
Nadia Hudon et Nadine Perron, avocates

Affaire entendue à Montréal le 27 mars 2009.
Arguments écrits déposés le 2 avril 2009

I. Griefs individuels renvoyés à l’arbitrage

1 Je suis saisie de 58 griefs qui ont été déposés entre le 27 juillet 2005 et le 6 avril 2006. Les 58 fonctionnaires s’estimant lésés (les « fonctionnaires ») travaillent pour le Service correctionnel du Canada (l’« employeur ») et ils ont déposé des griefs analogues qui ont été regroupés pour fins d’arbitrage. Ces griefs se lisent comme suit :

Depuis 1989 [l’année varie d’un grief à un autre] mon employeur m’expose à la fumée secondaire dans mon lieu de travail, et ce malgré la toxicité notoire du tabac. Cette situation m’occasionne des risques pour ma santé, des problèmes de santé, du stress, des tensions, des inquiétudes, des inconvénients et de l’inconfort. Ma qualité de vie au travail est nettement détériorée et ma qualité de vie personnelle est affectée. L’employeur ne prend pas de mesures pour éliminer la fumée secondaire des lieux de travail. Il contrevient à l’article 18.01 de la convention collective, à la Loi sur la santé des non-fumeurs, à la Charte canadienne des droits et libertés (art. 7 et 15) et à la Charte des droits et libertés de la personne.

2 Au chapitre des mesures correctives, les fonctionnaires demandent ce qui suit :

Ordonner à l’employeur de prendre les mesures nécessaires pour éliminer la fumée secondaire dans mon environnement de travail. Ordonner le paiement de 10,000$, à titre de dommages et intérêts pour préjudices physiques et psychologiques causée par sa négligence et ses manquements; Ordonner le paiement d’un montant de 20,000$ à titre de dommages et intérêts punitifs ou exemplaires pour contravention à la Charte Canadienne des droits et libertés de la personne.

3 Ces griefs s’inscrivent dans la foulée d’un débat qui s’est amorcé en 2004. Hélène Galarneau, qui est l’une des fonctionnaires en l’espèce, a, en 2004, déposé une demande pour intenter un recours collectif en Cour fédérale contre le Procureur général du Canada et le Service correctionnel du Canada au nom de tous les agents correctionnels qui travaillaient dans un pénitencier fédéral au Québec et qui étaient exposés à la fumée secondaire. Les reproches formulés dans l’action étaient essentiellement les mêmes que ceux formulés dans les griefs. Un débat s’en est suivi relativement à la compétence de la Cour fédérale pour traiter le litige. Dans la décision Galarneau c. Canada (Procureur général), 2004 CF, 718, le protonotaire de la Cour a accueilli une requête en radiation de la déclaration d’action. Estimant que le litige découlait des conditions d’emploi de Mme Galarneau, il a conclu que la Cour fédérale n’avait pas compétence et que Mme Galarneau devait se prévaloir des mécanismes prévus à sa convention collective et au Code canadien du travail (le « Code »). Ce jugement a été confirmé par la Cour fédérale dans Galarneau c. Procureur général du Canada, 2005 CF 39, à laquelle je reviendrai.     

4 L’employeur a soulevé une première objection à la compétence d’un arbitre de grief alléguant que les griefs n’avaient pas été déposés à l’intérieur du délai prévu à la convention collective (intervenue entre le Conseil du Trésor et Union of Canadian Correctional Officers-Syndicat des agents correctionnels du Canada – CSN pour le groupe Service correctionnels et expirant le 31 mai 2002). J’ai rejeté cette objection dans la décision 2009 CRTFP 1.

5 La présente décision traite d’une seconde objection à la compétence d’un arbitre de grief soulevée par l’employeur.

6 L’employeur allègue qu’en vertu du paragraphe 208(2) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (la « Loi »), les fonctionnaires ne pouvaient déposer de griefs parce qu’il existe d’autres recours administratifs de réparation en vertu de d’autres lois fédérales dont ils pouvaient se prévaloir pour régler le litige soulevé dans les griefs. À titre subsidiaire, l’employeur soutient que la clause 18.01 de la convention collective ne crée pas de droits substantifs individuels pouvant fonder des griefs individuels. 

7 Les parties n’ont pas fait entendre de témoins et ont limité leurs présentations aux arguments de droit qui ont été entendus lors de l’audience tenue le 27 mars 2009. Le 2 avril 2009, l’employeur m’a acheminé deux décisions additionnelles au soutien de sa position. Le procureur des fonctionnaires, qui a bénéficié d’un délai pour répliquer ou commenter jusqu’au 1er mai 2009, n’a pas soumis de commentaires ou d’autorités additionnelles.

II. Résumé de l’argumentation

A. Pour l’employeur

8 L’argument principal de l’employeur met en cause les paragraphes (1) et (2) de l’article 208 de la Loiqui prévoient ce qui suit :

208.(1) Sous réserve des paragraphes (2) à (7), le fonctionnaire a le droit de présenter un grief individuel lorsqu’il s’estime lésé :

a) par l’interprétation ou l’application à son égard :

(i) soit de toute disposition d’une loi ou d’un règlement, ou de toute directive ou de tout autre document de l’employeur concernant les conditions d’emploi,

(ii) soit de toute disposition d’une convention collective ou d’une décision arbitrale;

b) par suite de tout fait portant atteinte à ses conditions d’emploi.

(2) Le fonctionnaire ne peut présenter de grief individuel si un recours administratif de réparation lui est ouvert sous le régime d’une autre loi fédérale, à l’exception de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

9 L’employeur soutient que le paragraphe 208(2) de la Loiempêche un fonctionnaire de présenter un grief individuel s’il existe un recours administratif de réparation au terme d’une loi fédérale pour traiter de l’objet du litige. Lorsque le paragraphe 208(2) de la Loitrouve application, le caractère exclusif du recours administratif s’impose et un arbitre de grief doit décliner compétence. L’employeur appuie également sa position sur la clause 20.02 de la convention collective qui prévoit la même restriction. Cette clause se lit comme suit :

20.02 Sous réserve de l’article 91 [maintenant remplacé par l’article 28] de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique et conformément aux dispositions dudit article, l’employé-e qui estime avoir été traité de façon injuste ou qui se considère lésé par une action ou l’inaction de l’Employeur au sujet de questions autres que celles qui découlent du processus de classification, a le droit de présenter un grief de la façon prescrite au paragraphe 20.05, compte tenu des réserves suivantes :

  1. s’il existe une autre procédure administrative prévue par une loi du Parlement ou établie aux termes d’une telle loi pour traiter sa plainte particulière, cette procédure doit être suivie,

[…]

[Je souligne]

10 L’employeur soutient que pour déterminer si le paragraphe 208(2) de la Lois’applique à une situation donnée, il faut cerner l’objet et la nature du grief et que pour ce faire, il faut s’en remettre au grief tel qu’il est libellé. Or, en l’espèce, il ressort du libellé des griefs que les fonctionnaires allèguent avoir subi des problèmes de santé ou des atteintes à leur intégrité physique et psychologique en raison de l’exposition à la fumée secondaire et qu’ils cherchent â être indemnisés pour les dommages qu’ils allèguent subir. Cette exposition à la fumée secondaire découlerait de l’omission de l’employeur de prendre les mesures pour préserver leur santé et leur sécurité au travail et constituerait une violation de diverses lois fédérales. L’employeur soutient qu’il existe des recours administratifs de réparation pour traiter les doléances des fonctionnaires, et ce, en vertu des trois lois suivantes : la Loi sur l’indemnisation des agents de l’État (L.R.C. (1985), ch. G-5) (la « LIAE »), la Loi sur la santé des non-fumeurs (1985, ch. 15 (4e suppl.)) (la « LSNF ») et le Code.

11 L’employeur soutient que le législateur n’exige pas que les recours et les mesures de réparation prévus aux mécanismes administratifs et à la procédure d’arbitrage soient identiques pour que l’exclusivité du recours administratif s’applique. Le législateur a indiqué que le recours administratif devait prévoir une mesure de réparation, ce qui n’exige pas que les solutions à une problématique soient identiques. L’employeur soutient également que le fait que les fonctionnaires ne se soient pas prévalus de ces recours n’est pas pertinent puisque le critère d’application du paragraphe 208(2) de la Loi est celui de l’existence de tels recours administratifs de réparation, et ce, peu importe que les fonctionnaires s’en soient prévalus ou non.   

12 L’employeur a exposé sa position au regard de chacune des trois lois. L’employeur soumet que la LIAE a comme objet d’indemniser les fonctionnaires qui sont victimes d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle attribuable à la nature de leur travail selon les taux et selon les conditions prévues par la législation provinciale où les fonctionnaires exercent leurs fonctions, en l’occurrence, la Loi sur les accidents de travail et les maladies professionnelles, L.R.Q. c.A-3. L’employeur soumet que la LIAE prévoit un régime d’indemnisation complet et exclusif, sans égard à la faute, et que ces dispositions doivent être interprétées de façon large et libérale.

13 Selon l’employeur, les allégations et les réclamations dans les griefs des fonctionnaires correspondent à l’objet et aux paramètres de la LIAE puisque les fonctionnaires allèguent que l’exposition à la fumée secondaire leur a causé des problèmes de santé et du stress psychologique. Or, un fonctionnaire qui allègue avoir subi des problèmes de santé à l’occasion, ou par le fait de son travail, et qui réclame une indemnisation, doit le faire par le biais de la LIAE et non par la voie d’un grief.

14 L’employeur appuie également sa position sur l’article 12 de la LIAE qui prévoit une immunité de la Couronne. Cette disposition se lit comme suit :

12. L’agent de l’État ou les personnes à sa charge qui, par suite d’un accident du travail, ont droit à l’indemnité prévue par la présente loi ne peuvent exercer d’autre recours contre Sa Majesté ou un fonctionnaire, préposé ou mandataire de celle-ci pour cet accident.

15 L’employeur soutient que cette disposition indique clairement que l’immunité s’applique que le fonctionnaire ait ou non exercé ses droits en vertu de la LIAE et qu’elle exclut tout recours, par voie de grief ou autre, pour réclamer toute forme d’indemnisation qui excéderait les paramètres de >la LIAE. L ’employeur m’a également renvoyée à la Loi sur la responsabilité civile et le contentieux administratif (L.R.C. (1985), ch. C-50) qui prévoit elle aussi une immunité de la Couronne.

16 L’employeur soutient dans un second temps que l’objet des griefs est couvert par la LSNF qui régit l’usage du tabac dans les lieux de travail des fonctionnaires fédéraux. Cette loi édicte des règles strictes quant aux lieux où il est permis de fumer et impose à l’employeur de veiller à ce que personne ne fume dans un lieu de travail sous son autorité. Or, dans leurs griefs, les fonctionnaires invoquent directement une contravention à cette loi de la part de l’employeur. La LSNF prévoit un mécanisme de plaintes et d’infractions pénales en cas de contravention à ses dispositions qui constituerait en l’espèce un mécanisme de réparation au sens du paragraphe 208(2) de la Loi.

17 L’employeur prétend, en troisième lieu, que l’objet des griefs est couvert par la partie II du Code qui édicte un cadre législatif complet en matière de santé et de sécurité au travail. L’employeur me renvoie notamment à l’article 122.1 du Code qui prévoit que la partie II « a pour objet de prévenir les accidents et les maladies liées à l’occupation d’un emploi régi par ses dispositions ». L’employeur insiste sur le régime du Code, qui impose des obligations claires pour les employeurs de protéger leurs employés en matière de santé et de sécurité au travail et qui prévoit divers mécanismes de recours pour les employés qui estiment que l’employeur contrevient à ses obligations. L’employeur insiste particulièrement sur le mécanisme de plainte prévu à l’article 127.1 du Code et au droit de refus de travailler en cas de danger prévu à l’article 128 du Code. Dans le cadre de ces mécanismes, un agent de santé et de sécurité peut donner des instructions à l’employeur de mettre fin à toute contravention à ses obligations dans le délai qu’il précise. Le Code prévoit également un mécanisme d’appel et un régime d’infractions pénales.

18 Selon l’employeur, la partie II du Code constitue l’outil par excellence pour régler les problématiques et les situations qui, comme en l’espèce, relèvent de la santé et de la sécurité au travail. Le Code prévoit des mesures efficaces qui permettent de mettre fin à toute contravention aux obligations de l’employeur en matière de santé et de sécurité au travail.

19 L’employeur appuie ses propos sur la décision rendue dans Forster c. Agence du Revenu du Canada, 2006 CRTFP 72. Bien que cette décision ait été rendue sous l’égide de l’ancienne Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (l’« ancienne Loi »), l’employeur soutient que les principes dégagés dans cette affaire sont applicables au présent cas puisque l’article 91 de l’ancienne Loi prévoyait la même exception que celle prévue au paragraphe 208(2) de la Loi lorsqu’un autre recours administratif de réparation était offert au fonctionnaire. Dans cette affaire, les fonctionnaires avaient refusé de travailler parce qu’ils estimaient être exposés à des conditions dangereuses dans leur milieu de travail et ils réclamaient, par voie de grief, le versement de leur salaire pour cette période. L’arbitre de grief a décliné compétence au motif que la question en cause relevait de la partie II du Code. L’employeur m’a renvoyé de façon plus particulière au passage suivant de la décision :

29 À l’examen de ces dispositions à la lumière de la présente affaire, je conclus que le droit de refuser d’accomplir des tâches dangereuses est inscrit dans le Code canadien du travail. De plus, comme l’indique l’article 91 de l’ancienne LRTFP, l’article 133 du Code canadien du travail prévoit une « procédure administrative de redressement » pour ce droit. D’après la logique qui sous-tend ces dispositions, je n’ai pas compétence pour entendre une plainte au sujet du droit de refuser d’accomplir des tâches dangereuses. Cette affaire fait à juste titre l’objet d’une plainte déposée devant la Commission en vertu des articles 128 et 133 du Code canadien du travail et je ne suis pas autorisé à l’entendre à titre d’arbitre de grief en vertu de l’ancienne LRTFP.  

20 L’employeur soutient également que la jurisprudence développée sous l’égide de l’ancienne Loi relativement aux questions traitant des droits de la personne est pertinente aux fins d’interprétation du paragraphe 208(2) de la Loi et démontre que les arbitres n’ont pas appliqué l’exception du recours administratif exclusif de façon purement exceptionnelle.

21 L’employeur soumet un argument subsidiaire au soutien de son objection à la compétence d’un arbitre de grief, invoquant que les griefs des fonctionnaires ne pouvaient être valablement renvoyés à l’arbitrage en vertu de l’alinéa 209(1)a) de la Loi qui prévoit ce qui suit :

209.(1) Après l’avoir porté jusqu’au dernier palier de la procédure applicable sans avoir obtenu satisfaction, le fonctionnaire peut envoyer à l’arbitrage tout grief individuel portant sur :

a) soit l’interprétation ou l’application, à son égard, de toute disposition d’une convention collective ou d’une décision arbitrale.

22 L’employeur invoque que l’allégation des fonctionnaires selon laquelle l’employeur aurait contrevenu à la clause 18.01 de la convention collective ne peut servir de base à des griefs individuels puisque cette disposition ne confère aucun droit substantif aux fonctionnaires. Cette clause se lit comme suit :

18.01 L’Employeur prend toute mesure raisonnable concernant la santé et la sécurité au travail des employé-e-s. Il fera bon accueil aux suggestions de l’Agent négociateur à cet égard, et les parties s’engagent à se consulter en vue d’adopter et de mettre rapidement en œuvre toutes les procédures et techniques raisonnables destinées à prévenir ou à réduire les risques d’accidents de travail. 

23 L’employeur estime que cette disposition est de la même nature que celle qui était en cause dans Procureur général du Canada c. Thu-Cuc-Lâm, 2008 CF 874 et que le raisonnement appliqué par la Cour fédérale dans cette affaire doit s’appliquer en l’espèce. Dans Thu-Cuc-Lâm, la fonctionnaire alléguait avoir fait l’objet de harcèlement et elle basait son grief entre autres sur l’article 1 de sa convention collective qui se lisait comme suit :

1.01 La présente convention a pour objet d’assurer le maintien de rapports harmonieux et mutuellement avantageux entre l’Employeur, l’Alliance et les employé-e-s et d’énoncer certaines conditions d’emploi pour tous les employé-e-s décrits dans le certificat émis le 7 juin 1999 par la Commission des relations de travail dans la fonction publique, à l’égard des employé-e-s du groupe Services des programmes et de l’administration.

1.02 Les parties à la présente convention ont un désir commun d’améliorer la qualité de la fonction publique du Canada et de favoriser le bien-être de ses employé-e-s afin que les Canadiens soient servis convenablement et efficacement. Par conséquent, elles sont déterminées à établir, dans le cadre des lois existantes, des rapports de travail efficaces à tous les niveaux de la fonction publique auxquels appartiennent les membres des unités de négociation.

24 L’arbitre saisi du grief l’avait accueilli, mais la Cour fédérale a cassé sa décision et conclu ce qui suit relativement à la portée de l’article 1 de la convention collective :

[27]    L’arbitre a adéquatement conclu que l’article 19 de la convention collective ne s’applique pas en l’espèce puisque le harcèlement personnel n’y est pas mentionné. Cependant,  en décidant que la politique relative au harcèlement en milieu de travail édictée par le Conseil du Trésor s’inscrit dans le cadre des objectifs de l’article 1 de la convention collective, il a mal interprété ledit article et a excédé sa compétence. De plus, sa décision est déraisonnable.

[28]    L’article 1 de la convention collective est une clause générale, une introduction ou un avant-propos qui ne confère aucun droit substantif aux employés. Il n’y a rien dans la convention collective qui peut amener à conclure que celle-ci voulait inclure la politique édictée par le Conseil du Trésor.

25 L’employeur appuie également ses prétentions sur Galarneau. L’employeur y voit un parallèle avec la question dont je suis saisie et m’invite à décliner compétence, tout comme l’a fait la Cour fédérale à l’égard de sa compétence.

26 L’employeur m’a également renvoyé aux décisions Spacek c. Agence du Revenu, 2006 CRTFP 104 et Parsons et al. c. Conseil du Trésor, 2004 CRTFP 160, dans lesquelles les arbitres de griefs ont conclu que des clauses analogues à la clause 18.01 de la convention collective en cause ne conféraient aucun droit substantif et individuel et ne pouvaient servir de base à des griefs individuels. 

B. Pour les fonctionnaires s’estimant lésés

27 Les fonctionnaires ont répondu à chacun des arguments de l’employeur. Ils soutiennent, dans un premier temps, que pour écarter le droit au grief en cas de violation à la convention collective, la situation doit être claire et évidente. En l’espèce, le paragraphe 208(2) de la Loi ne trouverait pas application puisque les recours administratifs qui sont prévus dans chacune des trois lois invoquées par l’employeur ont des objets différents de celui des griefs et prévoient des redressements qui diffèrent de ceux recherchés dans les griefs qui ont été déposés.

28 Relativement à la LIAE , les fonctionnaires soutiennent que les allégations et les redressements recherchés par leurs griefs n’entrent pas dans les paramètres de cette loi qui a pour objet l’indemnisation des fonctionnaires qui ont subi un accident de travail ou une maladie professionnelle. En l’espèce, les fonctionnaires ne prétendent pas avoir subi un accident du travail ou une maladie professionnelle et aucune preuve médicale faisant état d’un tel diagnostic n’a été présentée. Dans leurs griefs, les fonctionnaires allèguent que l’exposition à la fumée secondaire leur occasionne des risques indus pour leur santé, du stress, des tensions, des inquiétudes, des inconvénients et de l’inconfort. Ils ne prétendent aucunement avoir subi une lésion professionnelle et ne recherchent pas le versement des indemnités prévues à la LIAE.

29 Relativement à la LSNF, les fonctionnaires soutiennent qu’ils ne recherchent aucunement, par leurs griefs, à mettre en branle le mécanisme pénal et les mesures de réparation prévus à cette loi. Par le biais de leurs griefs, les fonctionnaires recherchent des redressements différents de ceux prévus à la LSNF.  

30 Les fonctionnaires appliquent le même raisonnement à l’égard du Code. Ils soumettent qu’ils ne recherchent pas les redressements prévus au Code et qu’ils n’ont pas exercé le droit prévu au Code de refuser de travailler en cas de danger.

31 Les fonctionnaires prétendent donc que le paragraphe 208(2) de la Loi ne peut faire échec à leur droit de déposer des griefs qui sont, par ailleurs, fondés sur l’application et l’interprétation de la convention collective. Dans leurs griefs, les fonctionnaires allèguent qu’en les exposant à la fumée secondaire, et en ne prenant pas les mesures pour éliminer la fumée secondaire des lieux du travail, l’employeur contrevient à la clause 18.01 de la convention collective. 

32 Répondant à l’argument subsidiaire invoqué par l’employeur, les fonctionnaires soutiennent que la clause 18.01 de la convention collective confère clairement des droits substantifs et individuels et que sa violation peut servir d’assise à leurs griefs. Les fonctionnaires prétendent que la clause 18.01 de la convention collective diffère des dispositions purement déclaratoires qui étaient en cause dans Thu-Cuc-Lâm et des articles analogues à ces clauses que l’on retrouve dans la majorité des conventions collectives. Les fonctionnaires soutiennent que les termes de la clause 18.01 de la convention collective sont clairs et qu’il faut leur donner un sens. Les fonctionnaires m’invitent à retenir l’interprétation donnée à cette clause par la Cour d’appel de l’Ontario qui, dans Gaignard v. Canada (Attorney general), 2003 Can LII 40299, en a reconnu le caractère substantif. 

33 Tout comme l’employeur, les fonctionnaires invoquent Galarneau et soutiennent que la Cour fédérale a reconnu que le grief constituait le recours approprié pour traiter une allégation de violation à la clause 18.01 de la convention collective. Le procureur des fonctionnaires a insisté sur le fait que, dans cette affaire, le même employeur plaidait en faveur de la compétence de l’arbitre de grief alors qu’il plaide maintenant qu’un arbitre de grief n’a pas compétence. Les fonctionnaires soutiennent de plus que dans Galarneau, la Cour fédérale a implicitement reconnu le caractère substantif de la clause 18.01 de la convention collective en comparant cette clause à l’article 124 du Code.

34 Les fonctionnaires soutiennent de plus qu’ils peuvent, dans le cadre d’un grief, invoquer que l’employeur contrevient à la convention collective et à des lois d’ordre public et ce, sans qu’ils ne recherchent les redressements spécifiques prévus dans ces lois. Les fonctionnaires prétendent que le fait d’invoquer des contraventions à des lois d’ordre public ne fait pas perdre à l’arbitre sa compétence, s’il a par ailleurs compétence à l’égard de l’objet du grief.

35 Les fonctionnaires ajoutent que les dispositions de la LSNF, de la Charte canadienne des droits et libertés de la personne et du Code sont présumées être incorporées dans la convention collective et qu’elles peuvent dès lors servir d’assise à leurs griefs. Les fonctionnaires appuient leur position sur les principes énoncés par la Cour suprême dans Parry Sound (district), Conseil d’administration des services sociaux c. S.E.E.F.P.O., section locale 324, [2003] 2 R.C.S. 157.

IV. Motifs

36 Le régime des relations de travail dans la fonction publique fédérale a ceci de particulier que le législateur a circonscrit de façon précise les questions qui peuvent faire l’objet d’un grief et les circonstances dans lesquelles un grief peut être renvoyé à l’arbitrage. Les questions qui peuvent faire l’objet d’un grief sont précisées au paragraphe 208(1) de la Loi qui se lit comme suit :

208.(1) Sous réserve des paragraphes (2) à (7), le fonctionnaire a le droit de présenter un grief individuel lorsqu’il s’estime lésé :

a) par l’interprétation ou l’application à son égard :

(i) soit de toute disposition d’une loi ou d’un règlement, ou de toute directive ou de tout autre document de l’employeur concernant les conditions d’emploi,

(ii) soit de toute disposition d’une convention collective ou d’une décision arbitrale;

b) par suite de tout fait portant atteinte à ses conditions d’emploi.

37 Le droit de présenter un grief comporte toutefois une limite importante parce qu’il existe « sous réserve des paragraphes (2) à (7) » de l’article 208 de la Loi. Or , le paragraphe 208(2) de la Loi exclut le droit pour un fonctionnaire de présenter un grief « si un recours administratif de réparation lui est ouvert sous le régime d’une autre loi fédérale, à l’exception de la Loi canadienne sur les droits de la personne ». Une restriction de même nature est prévue à la clause 20.02 de la convention collective qui exclut le recours au grief s’il existe « une procédure administrative prévue par une loi du Parlement ou établie aux termes d’une telle loi pour traiter sa plainte particulière ». Le recours administratif de réparation s’impose donc de façon exclusive et obligatoire.

38 L’article 209 de la Loi prévoit pour sa part sous quelles conditions un fonctionnaire peut renvoyer un grief à l’arbitrage. Pour être renvoyé à l’arbitrage, un grief doit au préalable avoir été valablement déposé au sens de l’article 208 de la Loi, conformément à l’article 225 de cette même Loi.    

39 Je vais donc dans un premier temps examiner si le paragraphe 208(2) de la Loi doit recevoir application en l’espèce et faire échec au droit des fonctionnaires de déposer des griefs. Je dois, à cet égard, déterminer si un recours administratif de réparation est ouvert aux fonctionnaires sous le régime d’une autre loi fédérale. Si une loi fédérale prévoit un recours administratif pour obtenir réparation quant au fond d’un grief, les fonctionnaires ne peuvent alors déposer des griefs et ils doivent se prévaloir du recours administratif prévu à la loi en cause pour obtenir réparation. Bien que cette disposition qui vise à éviter la multiplicité des recours doive recevoir application lorsque les conditions énoncées sont existantes, elle constitue néanmoins une exception au droit de déposer un grief et par conséquent, l’arbitre de grief doit vérifier si les conditions de son application sont bien remplies.

40 Le principe de l’exclusivité du recours administratif existait sous l’égide de l’ancienne Loi. Le paragraphe 91(1) de l’ancienne Loi se lisait comme suit :

91.(1) Sous réserve du paragraphe (2) et si aucun autre recours administratif de réparation ne lui est ouvert sous le régime d’une loi fédérale, le fonctionnaire a le droit de présenter un grief à tous les paliers de la procédure prévue à cette fin par la présente loi, lorsqu’il s’estime lésé :

41 Comme la teneur du paragraphe 91(1) de l’ancienne Loi est la même que celle du paragraphe 208(2) de la Loi , la jurisprudence développée sous l’égide de cette disposition m’apparaît pertinente pour interpréter le paragraphe 208(2) de la Loi , et j’en dégage les principes suivants.

42 Pour déterminer s’il existe un autre recours administratif, l’arbitre de grief doit cerner l’objet du litige et déterminer si cet objet peut être raisonnablement et efficacement traité par le biais du recours administratif. Pour cerner l’objet du grief, l’arbitre de grief doit s’attarder à l’essence des allégations des fonctionnaires. L’interdiction de déposer un grief s’appliquera si le recours administratif porte sur les questions principales soulevées par le grief et non sur les questions secondaires ou accessoires. Le cas échéant, les recours et réparations auxquels donnent lieu le grief et le recours administratif n’ont pas à être identiques, mais le recours administratif doit offrir au fonctionnaire une réparation véritable et avantageuse.

43 Sur ce dernier point, la Cour fédérale s’est exprimée comme suit dans Mohammed c. Canada (Conseil du Trésor), 1998 Can LII 7997 (C.F.):

[…]

[27]    Il ressort des remarques de Monsieur le juge Linden que le recours administratif de réparation mentionné au paragraphe 91(1) n’a pas à être identique à la procédure de règlement des griefs prévue par la LRTFP. De plus, les réparations auxquelles donnent lieu ces deux recours n’ont pas à être identiques; la partie en cause devrait plutôt être en mesure d’obtenir une « réparation véritable » qui pourrait être avantageuse pour le plaignant. Le paragraphe 91(1) exige uniquement l’existence d’un autre recours de réparation lorsque la réparation à laquelle peut donner lieu ce recours est dans une certaine mesure avantageuse pour le plaignant lui-même.

[…]

44 Appliquant ces principes aux griefs en cause, je dois dans un premier temps cerner l’essence des griefs déposés par les fonctionnaires. Ceux-ci formulent divers reproches à l’endroit de l’employeur. Ils allèguent que l’employeur les expose illégalement à la fumée secondaire, qu’il est en violation de la convention collective et qu’il ne prend pas les mesures nécessaires pour éliminer la fumée secondaire de leur milieu de travail.

45 Les fonctionnaires prétendent de plus que la situation causée par l’employeur leur occasionne des risques pour leur santé, des problèmes de santé, du stress, des tensions, des inquiétudes, des inconvénients et de l’inconfort.

46 Les fonctionnaires recherchent des mesures correctives de deux ordres : une ordonnance visant à forcer l’employeur à prendre les mesures nécessaires pour éliminer la fumée secondaire de leur environnement de travail et l’octroi de dommages pour préjudices physiques et psychologiques en plus de dommages punitifs.

47 Voyons maintenant si les recours administratifs invoqués par l’employeur peuvent être considérés comme des recours de réparation à l’égard des allégations contenues dans les griefs et des mesures correctives recherchées.

48 L’employeur a, dans un premier temps, invoqué les recours existants au terme de >la LIAE. L ’objet de la LIAE est exposé à l’article 4 qui prévoit ce qui suit :

4. (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente loi, il est versé une indemnité :

a) aux agents de l’État qui sont :

(i) soit blessés dans un accident survenu par le fait ou à l’occasion de leur travail,

(ii) soit devenus invalides par suite d’une maladie professionnelle attribuable à la nature de leur travail;

b) aux personnes à charge des agents décédés des suites de l’accident ou de la maladie.

(2) Les agents de l’État visés au paragraphe (1), quelle que soit la nature de leur travail ou la catégorie de leur emploi, et les personnes à leur charge ont droit à l’indemnité prévue par la législation — aux taux et conditions qu’elle fixe — de la province où les agents exercent habituellement leurs fonctions en matière d’indemnisation des travailleurs non employés par Sa Majesté — et de leurs personnes à charge, en cas de décès — et qui sont :

a) soit blessés dans la province dans des accidents survenus par le fait ou à l’occasion de leur travail;

b) soit devenus invalides dans la province par suite de maladies professionnelles attribuables à la nature de leur travail.

[…]

49 Une immunité de la Couronne est édictée par l’article 12 de la LIAE qui se lit comme suit :

12. L’agent de l’État ou les personnes à sa charge qui, par suite d’un accident du travail, ont droit à l’indemnité prévue par la présente loi ne peuvent exercer d’autres recours contre Sa Majesté ou un fonctionnaire, préposé ou mandataire de celle-ci pour cet accident.  

50 Dans leurs griefs, les fonctionnaires allèguent que l’exposition à la fumée secondaire leur occasionne des risques et des problèmes de santé, mais ils ne prétendent pas avoir subi un accident du travail ou être devenus invalides par suite d’une maladie professionnelle. Ils ne réclament pas non plus les indemnités prévues à la LIAE. L’objet de la LIAE est clairement limité aux situations où les fonctionnaires ont subi un accident de travail ou sont devenus invalides par suite d’une maladie professionnelle. En l’espèce, les allégations des fonctionnaires, même en les tenant pour avérées, ne cadrent pas avec les paramètres de la LIAE. Je ne vois donc pas en quoi le mécanisme d’indemnisation prévu à la LIAE pourrait être considéré comme un recours administratif qui pourrait offrir aux fonctionnaires en l’espèce une réparation véritable et avantageuse.

51 L’employeur a également invoqué l’application de la LSNF. Il est vrai, que dans leurs griefs, les fonctionnaires prétendent que le comportement de l’employeur constitue une violation de cette loi. Par ailleurs, les mesures de redressement recherchées par les fonctionnaires diffèrent complètement de celles prévues à la LSNF. Bien que les réparations prévues au recours administratif et celles pouvant être octroyées dans le cadre d’un grief n’aient pas à être identiques, les mesures de réparation prévues dans le cadre du recours administratif doivent avoir une certaine connexité avec les mesures de redressement recherchées par les fonctionnaires pour que l’exclusivité du recours administratif s’applique. Les fonctionnaires recherchent une ordonnance afin d’éliminer la fumée secondaire de leur milieu de travail et réclament des dommages pour compenser les préjudices qu’ils allèguent subir du fait de leur exposition à la fumée secondaire. Je ne considère pas que la mise en œuvre des mesures pénales prévues à la LSNF pourraient apporter aux fonctionnaires une mesure de réparation efficace et avantageuse puisqu’elle ne pourrait ni permettre l’émission d’une ordonnance d’éliminer la fumée secondaire, ni permettre l’octroi de quelconques dommages. Je considère de plus que rien ne s’oppose à ce qu’une contravention à la convention collective puisse, par la même occasion, constituer une contravention à des lois visant les mêmes questions.

52 Reste le Code qui a pour objet la prévention en matière de santé et de sécurité au travail et qui met à la disposition des employés divers mécanismes pour assurer le respect des droits et obligations qui y sont prévus. L’article 124 du Code prévoit l’obligation générale pour l’employeur de veiller à la protection de ses employés en matière de santé et de sécurité au travail. L’article 125 du Code prévoit pour sa part des obligations plus spécifiques, mais aucune d’elles ne s’applique aux circonstances en l’espèce. Deux principaux mécanismes sont offerts aux employés en cas de contravention alléguée de l’employeur à ses obligations au terme du Code: le droit de refuser de travailler en cas de danger et le droit de déposer une plainte.  

53 Le droit de refuser de travailler en cas de danger est prévu à l’article 128 du Code. En l’espèce, les fonctionnaires n’ont pas refusé de travailler et non pas prétendu vouloir exercer un droit de refus de travailler. Je considère donc que le droit de refus ne peut, en l’espèce, être considéré comme un recours administratif de réparation au sens du paragraphe 208(2) de la Loi. Dans ce contexte, je ne crois pas que la décision rendue dans Foster puisse être d’une quelconque utilité. 

54 J’estime par ailleurs que le Code offre d’autres mécanismes qui permettraient de traiter les allégations des fonctionnaires et offre des mesures de réparation pouvant inclure une ordonnance de la nature de celle recherchée par les fonctionnaires dans leurs griefs.

55 Tel que mentionné précédemment, l’article 124 du Code impose une obligation générale à l’employeur de veiller à la santé et à la sécurité de ses employés. Le Code prévoit un recours à l’employé qui croit, pour des motifs raisonnables, à l’existence d’une situation qui contrevient à la partie II du Code. Ce recours commence par le dépôt d’une plainte, auprès du supérieur immédiat (article 127.1), qui doit faire l’objet d’une enquête. La plainte peut être renvoyée à l’agent de santé et de sécurité si l’employeur conteste les résultats de l’enquête ou s’il a omis de prendre les mesures nécessaires pour remédier à la situation faisant l’objet de la plainte (paragraphe 127.1(8)). L’agent de santé et de sécurité fait alors enquête et il dispose de divers pouvoirs, notamment ceux énoncés à l’article 145 du Code qui prévoit ce qui suit : 

145. (1) [Cessation d’une contravention] S’il est d’avis qu’une contravention à la présente partie vient d’être commise ou est en train de l’être, l’agent de santé et de sécurité peut donner à l’employeur ou à l’employé en cause l’instruction :

a) d’y mettre fin dans le délai qu’il précise;

b) de prendre, dans les délais précisés, les mesures qu’il précise pour empêcher la continuation de la contravention ou sa répétition.

[…]

(2) [Situations dangereuses] S’il estime que l’utilisation d’une machine ou chose, une situation existant dans un lieu de travail ou l’accomplissement d’une tâche constitue un danger pour un employé au travail, l’agent :

[…]

56 Les décisions rendues par l’agent de santé et de sécurité peuvent faire l’objet d’un appel auprès d’un agent d’appel aux termes de l’article 145.1 du Code.

57 À mon avis, le paragraphe 145(1) du Code a une portée suffisamment large pour permettre à un agent de santé et de sécurité d’enquêter et de déterminer si l’obligation générale de l’employeur de veiller à la santé et la sécurité au travail de ses employés a été violée et, le cas échéant, donner les directives qu’il estime appropriées pour faire cesser la contravention. Dans les circonstances en cause, je considère qu’un agent de santé et de sécurité aurait compétence pour enquêter afin de déterminer si les fonctionnaires sont exposés à la fumée secondaire dans leur lieu de travail, et, le cas échéant, si cette exposition contrevient à l’obligation de l’employeur prévue à l’article 124 du Code. Dans l’affirmative, l’agent de santé et de sécurité pourrait émettre les instructions qu’il juge approprié à l’intention de l’employeur pour le forcer à éliminer la fumée secondaire. Je considère donc, qu’a priori le mécanisme de plainte prévu aux articles 127.1 et suivants du Code constitue un recours administratif de réparation qui permet de traiter des allégations principales soulevées dans les griefs.

58 Je dois par ailleurs déterminer si ce recours offre une réparation véritable et avantageuse pour les fonctionnaires. À mon avis, le recours pourrait, à terme, mener à une directive forçant l’employeur à éliminer la fumée secondaire du lieu de travail des fonctionnaires mais il ne pourrait mener à l’octroi de dommages. Or, dans leurs griefs, les fonctionnaires recherchent deux mesures correctives : l’ordonnance d’éliminer la fumée secondaire et l’octroi de dommages.    

59 Je ne crois pas que les réclamations en dommages des fonctionnaires puissent être considérées comme constituant des éléments accessoires ou secondaires des griefs. Les fonctionnaires recherchent deux mesures de réparation, l’une ayant une perspective prospective qui vise l’élimination de la fumée secondaire pour l’avenir alors que l’autre vise à compenser des préjudices allégués qui auraient déjà été subis. Je ne vois pas sur quelle base on pourrait accorder moins d’importance ou de valeur à la réclamation en dommages ou encore la qualifier de secondaire. 

60  Or, conclure en l’espèce que le mécanisme de plainte constitue un recours administratif de réparation au sens du paragraphe 208(2) de la Loi équivaudrait à priver les fonctionnaires du droit de réclamer des dommages s’il s’avérait que l’employeur a contrevenu à la convention collective. Je considère qu’une telle interprétation du paragraphe 208(2) de la Loi restreindrait indûment le droit des fonctionnaires de faire valoir leurs prétentions. Je considère donc que le mécanisme de plainte prévu au Code, bien qu’il permette de déterminer si l’employeur a contrevenu à son obligation de veiller à la protection de la santé et de la sécurité de ses employés suivant l’article 124 du Code, n’offre pas une mesure de réparation aussi complète et avantageuse que les griefs parce qu’il laisse en plan un volet important des mesures correctives recherchées par les fonctionnaires. En ce sens, j’estime que le mécanisme de plainte n’offre pas une réparation suffisamment complète pour être considérée comme étant véritable et avantageuse pour les fonctionnaires. Je conclus donc que les fonctionnaires pouvaient, en l’espèce, valablement déposer leurs griefs individuels en vertu du paragraphe 208(1) de la Loi.

61 Sans présumer ni préjuger du mérite des griefs à ce stade-ci, je tiens toutefois à préciser que le droit, pour les fonctionnaires, de faire valoir leurs prétentions par voie de grief ne leur permettra pas de réclamer indirectement des indemnités de la nature de celles prévues à la LIAE. Ainsi, les fonctionnaires ne pourraient s’appuyer sur l’allégation contenue dans leurs griefs voulant qu’ils aient subi des « problèmes de santé » et des « préjudices physiques et psychologiques » pour chercher indirectement à obtenir des indemnités de la nature de celles prévues à >la LIAE. La LIAE exclut toute compétence d’un arbitre de grief pour indemniser des fonctionnaires si la cause des dommages réclamés est un accident du travail ou une maladie professionnelle.

62 Je vais maintenant traiter de l’argument subsidiaire soumis par l’employeur aux termes duquel il prétend que même si les fonctionnaires pouvaient déposer leurs griefs en vertu de l’article 208 de la Loi , ces griefs ne pouvaient être renvoyés à l’arbitrage en vertu de l’alinéa 209(1)(a) de la Loi , lequel se lit comme suit :

209.(1) Après l’avoir porté jusqu’au dernier palier de la procédure applicable sans avoir obtenu satisfaction, le fonctionnaire peut renvoyer à l’arbitrage tout grief individuel portant sur :

a) soit l’interprétation ou l’application, à son égard, de toute disposition d’une convention collective ou d’une décision arbitrale; 

63 L’employeur soutient que la clause 18.01 de la convention collective ne confère aucun droit substantif aux fonctionnaires et ne peut servir d’assise à des griefs individuels.  

64 La clause 18.01 de la convention collective se lit comme suit : 

18.01 L’Employeur prend toute mesure raisonnable concernant la santé et la sécurité au travail des employé-e-s. Il fera bon accueil aux suggestions de l’Agent négociateur à cet égard, et les parties s’engagent à se consulter en vue d’adopter et de mettre rapidement en œuvre toutes les procédures et techniques raisonnables destinées à prévenir ou à réduire les risques d’accidents de travail. 

65 L’employeur appuie sa position sur Spacek, Parsons et Thu-Cuc-Lâm. Les affaires Spacek et Parsons traitent de clauses analogues à la clause 18.01 en l’espèce et les arbitres ont conclu que ces clauses devaient être lues de façon globale, qu’elles avaient pour objet d’imposer aux parties l’obligation de collaborer en matière de santé et de sécurité, mais qu’elle n’imposaient pas à l’employeur des obligations spécifiques à l’égard des employés pris individuellement. Ces arbitres ont donc conclu que ces dispositions ne conféraient pas de droits individuels aux employés et que seul l’agent négociateur pouvait porter plainte contre la contravention par l’employeur aux obligations qu’il avait contractées. Avec beaucoup d’égards, je ne partage pas cette interprétation. 

66 À mon sens, la première phrase de la clause 18.01 de la convention collective crée clairement pour l’employeur une obligation substantive à l’endroit de chacun des employés : l’employeur doit prendre toute mesure raisonnable concernant la santé et la sécurité au travail des employé-e-s. Bien qu’il s’agisse d’une obligation énoncée en termes généraux, il s’agit, à mon avis, d’un engagement non moins substantif, dont la portée s’étend à chacun des employés de l’employeur. Dans la deuxième phrase de la clause, les parties énoncent les moyens qu’elles s’engagent à prendre pour assurer le respect de l’obligation prévue à la première phrase. Pour permettre à l’employeur de respecter son obligation de prendre des mesures raisonnables pour protéger la santé et la sécurité de ses employés, les parties se sont imposées l’obligation de se consulter et de collaborer en vue de mettre en œuvre les moyens nécessaires pour ce faire. Je ne vois pas sur quelle base ce deuxième volet de la clause devrait éclipser l’obligation de l’employeur, et le droit corollaire des employés, prévus dans la première phrase de la clause.    

67 Je considère au contraire que l’objet principal de la clause 18.01 de la convention collective se trouve dans l’obligation de l’employeur qui est énoncée dans la première phrase de la clause, alors que la deuxième phrase prévoit la mise en œuvre de mécanismes qui favoriseront le respect de cette obligation. Ces mécanismes, créés sous forme d’engagements respectifs de l’employeur et de l’agent négociateur, ne sont pas exclusifs et n’ont pas pour effet de réduire le caractère substantif de l’obligation clairement établie dans la première phrase de la clause. Au surplus, je ne vois pas ce qui empêcherait les parties de prévoir dans une même clause une obligation de l’employeur à l’égard de ses employés et des obligations mutuelles pour l’employeur et pour l’agent négociateur. J’estime, avec respect, que conclure que la clause 18.01 de la convention collective ne confère pas de droits individuels aux employés propose une interprétation trop restrictive qui vide de son sens la première phrase de cette clause.

68 L’obligation de l’employeur prévue dans la première phrase de la clause 18.01 m’apparaît être de la même nature que celle prévue à l’article 124 du Code. Dans Galarneau, la Cour fédérale a abordé, sans avoir à la trancher de façon définitive, la question du caractère substantif de la clause 18.01 de la convention collective et de la compétence des arbitres à cet égard. 

69 Dans Galarneau, c’est la demanderesse (au nom des fonctionnaires) qui alléguait que la Cour fédérale avait compétence, notamment parce que la clause 18.01 de la convention collective ne lui conférait pas un droit individuel et ne pouvait servir d’assise à un grief. La position de la demanderesse était fondée sur deux décisions rendues par des arbitres de la Commission. Sans se prononcer définitivement sur la question de savoir si la clause 18.01 conférait un droit individuel et pouvait servir d’accise à un grief, la Cour a émis des réserves à l’égard de la jurisprudence développée par les arbitres de griefs et fait un parallèle intéressant avec l’article 124 du Code. La Cour s’est exprimée comme suit :

[…]

[31]    Comme je l’ai dit, la demanderesse indique qu’elle ne peut se prévaloir de la procédure de grief prévue dans sa convention collective parce que l’article 18.01 ne lui donne pas de droit individuel et qu’elle ne peut se plaindre de son application à son égard (sous alinéa 91(1)(a)(ii)).

[32]    Elle fonde son interprétation sur deux décisions de la Commission des relations de travail dans la fonction publique […]

[33]    Dans ses affaires, la Commission a décidé qu’elle n’avait pas compétence pour entendre les griefs d’employés se disant lésés par une violation de l’obligation veiller à leur santé et sécurité édictée dans des dispositions similaires à l’article 18.01 dans leur convention collective. Selon la Commission , ces dispositions ne créent que des droits entre les parties à la convention collective soit l’employeur et le syndicat. C’est pour cette raison que dans Labelle, supra, la Commission a décidé qu’elle avait seulement compétence pour entendre le grief de principe déposé par le syndicat en vertu de l’article 99 de la LRTFP.

[34]    Il n’est pas aisé de comprendre le raisonnement de la Commission car ses décisions sont succinctes sur ce point. Essentiellement, la Commission dans Labelle adopte la conclusion de Alb, supra, et il semble que dans Alb, la Commission a donné une interprétation restrictive à la première phrase de cette disposition qui traite du devoir de l’employeur parce que la deuxième phrase réfère à des suggestions de l’agent négociateur.

[35]    Pourtant, le langage de l’article 18.01 et des dispositions étudiées dans ces affaires, est très similaire à celui de l’article 124 du Code canadien du travail qui lui crée l’obligation générale des employeurs vis à vis chacun de ses employés et qui lui se lit comme suit :

124. L’Employeur veille à la protection de ses employés en matière de santé et de sécurité au travail.

[36]    Les défendeurs soumettent que ces décisions n’ont pas été suivies et que la Cour d’appel de l’Ontario a maintenant réglé la question dans Gaignard c. Canada (Attorney General), (2003) O.J. no 3998 (C.A.)(QL).

[37]    L’argument de la demanderesse ne semble pas avoir été présenté à la Cour d’appel de l’Ontario dans Gaignard, supra. Et, la Cour doit tenir compte de la déférence que les tribunaux accordent à la Commission qui a, mainte fois, été décrite comme l’experte en cette matière.

[38] Donc même s’il est très probable que l’interprétation adoptée par la Cour d’appel de l’Ontario soit suivie particulièrement eu égard au langage de l’article 124 du Code canadien du travail et de l’interprétation large et libérale que l’on donne généralement aux conventions collectives, la Cour ne peut conclure que la position de la demanderesse n’a aucune chance de succès.

[39] La Cour examinera donc si, comme le plaide les défendeurs, sa compétence est exclue quelque soit l’interprétation que l’on donne à l’article 18.01.

[…]

[Sic pour l’ensemble de la citation]

70 Dans Gaignard, la Cour d’appel de l’Ontario a reconnu le caractère substantif de la clause 18.01. À noter toutefois que Gaignard ne semble pas avoir été invoquée dans Spacek et Parsons. Dans Gaignard, des agents correctionnels, qui travaillaient au pénitencier de Kingston, étaient membres de la même unité de négociation que les fonctionnaires en l’espèce et étaient assujettis à la même convention collective. Ils avaient entrepris une poursuite civile contre le Procureur général du Canada dans laquelle ils alléguaient que, dans le cadre d’une opération visant à contrer la contrebande au sein de la population de détenus, l’employeur avait adopté des méthodes et des mesures qui avaient empoisonné l’atmosphère dans le pénitencier et mis leur vie en danger. La Cour devait trancher quant à sa compétence pour traiter le litige. Concluant que le litige devait être réglé par l’arbitrage de grief, la Cour d’appel s’est exprimée comme suit :

[Traduction]

[…]

[23]    Les faits donnent lieu à une plainte déposée par des personnes qui reconnaissent être visées par la convention collective. Leur plainte, portée contre leur employeur et son équipe de direction, concerne la façon dont le lieu de travail était géré par la direction. L’employeur aurait mené une opération secrète pour faire cesser l’introduction d’objets interdits au Pénitencier de Kingston. Les méthodes employées, aux dires des appelants, empoisonnaient leur environnement de travail et leur causaient un préjudice physique et moral. Ces allégations font clairement intervenir l’obligation de l’employeur – prévue à l’article 18 de la convention collective – de prendre des dispositions raisonnables pour assurer la santé et la sécurité des employés au travail.

[24]    En suivant ce même raisonnement, il est clair que le champ d’application de l’article 18 englobe les faits qui, de l’avis des appelants, sont à l’origine de ce litige. L’obligation de l’employeur, en vertu de la convention collective, d’assurer la sécurité du lieu de travail est directement impliquée en raison de l’opération secrète et de ses conséquences pour les appelants, ainsi qu’on le fait valoir dans la déclaration.

[25]    Si ce différend faisait l’objet d’un arbitrage et qu’on établissait que la convention collective avait été enfreinte, le redressement ordonné comprendrait assurément un dédommagement des employés blessés qui auraient déposé le grief. Cela remédierait aux torts causés d’une façon très semblable à l’octroi de dommages-intérêts dans une poursuite en justice. Il n’y aurait pas de privation du recours ultime.

[26]    Enfin, globalement, il me semble que ce différend correspond précisément au genre de litiges que les parties envisageaient comme aboutissant à l’arbitrage lorsqu’elles se sont entendues sur l’article 18. Les faits renvoient à un conflit en milieu de travail entre des syndiqués et la direction. La convention collective prévoit une obligation qui s’applique assez clairement au problème. Et l’arbitrage peut donner lieu à un redressement efficace. Dans ces circonstances, le caractère essentiel du litige implique l’application du principe de la compétence exclusive. Les tribunaux ne sont donc pas habilités à connaître d’une action fondée sur ce différend.   

[…]

71 Je conclus donc que la clause 18.01 de la convention collective confère des droits substantifs aux fonctionnaires et qu’elle peut valablement servir d’assise à des griefs individuels.

72 J’estime enfin que la clause 18.01 de la convention collective diffère des clauses déclaratoires en cause dans Thu-Cuc-Lâm. Les clauses en cause dans cette affaire prévoyaient des obligations mutuelles pour l’employeur et l’agent négociateur sans prévoir d’engagement à l’égard des employés individuellement. J’estime que la situation est tout autre dans le cas de la clause 18.01 de la convention collective et que, par conséquent, aucun parallèle utile ne peut être fait avec le présent cas.

73 Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

V. Ordonnance

74 L’objection de l’employeur relative à la compétence d’un arbitre de grief est rejetée.

75 Les parties seront convoquées pour que les griefs soient entendus au fond.

Le 8 juin 2009.

Marie-Josée Bédard,
arbitre de grief

Dossier de la CRTFP No.

Fonctionnaires s’estimant lésés

566-02-122

Galarneau, Hélène

566-02-123

Desjardins, Michel

566-02-124

Gauthier, André

566-02-150

Percy, Joëlle

566-02-151

Perreault, Raymond

566-02-152

Rolland, Richard

566-02-153

Tremblay, Danny

566-02-154

Charbonneau, François

566-02-155

Dorvil, Yves-Marie

566-02-168

L’Italien, André

566-02-224

Alarie, Sonia

566-02-225

Sénécal, Pierre

566-02-226

Langlois, Jean

566-02-227

Lecault, Jean-Pierre

566-02-228

Lagacé, Rolland

566-02-229

Zomor, Jean-Gérald

566-02-230

Leroux, Martin

566-02-231

Denis, Pierre-Richard

566-02-232

Kalinowski, Christian

566-02-233

Querry, Luc

566-02-234

Mastrocola, Francesco

566-02-235

Jean-René, Renald

566-02-236

Vaillancourt, Guy

566-02-237

Leveillé, Martin

566-02-238

Doucet, Pierre

566-02-239

Godin, Michel

566-02-240

Venne, Denis

566-02-241

Pelletier, Gilles

566-02-242

Mongrain, Louise

566-02-243

Brien, Jean-Paul

566-02-244

Brunelle, Patrick

566-02-245

Dufour, Yves

566-02-246

Boulanger, Jean-Yves

566-02-247

Gilbert, Daniel

566-02-248

Renaud, Gilles

566-02-249

Tardif, Marylène

566-02-250

Soubyran, Christian

566-02-251

Morin, Bernard

566-02-274

Gardner, Jocelyn

566-02-275

Tremblay, Roger

566-02-277

Francoeur, Eugène

566-02-383

Cusson, André

566-02-384

Bartucci, Sandro

566-02-385

Carroll, Daniel

566-02-386

Tremblay, Madeleine

566-02-387

Labrecque, Maurice

566-02-388

Ethier, Guy

566-02-389

Poulin, Josée

566-02-390

Lafontaine, Michel

566-02-391

Lapierre, Gaston

566-02-392

East, Michel

566-02-393

Langlois, Raymond

566-02-394

Laroche, Réjean

566-02-425

Vallée, André

566-02-554

Fortin, France

566-02-555

Roy, Aldo

566-02-556

Ouellet, Pierre

566-02-557

Martel, Mario

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