Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le plaignant a allégué que l’intimé a abusé de son pouvoir dans l’application du principe du mérite; que l’énoncé des critères de mérite (ECM) a été modifié après l’évaluation des candidats et que le comité d’évaluation n’a pas appliqué correctement les critères d’évaluation. L’intimé a soutenu qu’il n’avait pas abusé de son pouvoir par la simple modification de l’ECM après l’évaluation des candidats, ajoutant que ladite modification n’avait aucune incidence sur l’évaluation de l’expérience, que le candidat retenu était la bonne personne pour occuper le poste, compte tenu de ses qualités personnelles et de sa capacité de communiquer. Décision Le fait de modifier un ECM après l’évaluation des candidats est une erreur fondamentale dans un processus de nomination. Le Tribunal a d’autre part estimé que l’outil d’évaluation utilisé était inapproprié dans la mesure où il ne permettait pas d’évaluer la qualification modifiée, que le comité d’évaluation n’a pas appliqué correctement les critères d’évaluation, et que l’intimé n’avait fourni aucune preuve fiable sur la qualification de la personne nommée par rapport à l’expérience. Le Tribunal a conclu que l’intimé avait fait preuve d’une négligence telle qu’elle constituait de la mauvaise foi. Plainte fondée. Le Tribunal a ordonné à l’administrateur général de révoquer la nomination.

Contenu de la décision

Coat of Arms - Armoiries
Dossier:
2007-0175
Rendue à:
Ottawa, le 9 février 2009

MICHAEL BURKE
Plaignant
ET
LE SOUS-MINISTRE DE LA DÉFENSE NATIONALE
Intimé
ET
AUTRES PARTIES

Affaire:
Plainte d'abus de pouvoir en vertu de l'alinéa 77(1)a) de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique
Décision:
La plainte est fondée
Décision rendue par:
Helen Barkley, membre
Langue de la décision:
Anglais
Répertoriée:
Burke c. Sous-ministre de la Défense nationale et al.
Référence neutre:
2009 TDFP 0003

Motifs de la décision

Introduction

1 Michael Burke a présenté une plainte en vertu de l’article 77 de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, art. 12 et 13 (la LEFP), au motif qu’il n’a pas été nommé au poste de technologue en électronique de systèmes sous-marins en raison d’un abus de pouvoir de la part de l’intimé, le sous-ministre du ministère de la Défense nationale (MDN). Le poste est situé à Halifax (Nouvelle-Écosse).

Question en litige

2 Pour régler cette plainte, le Tribunal doit trancher la question suivante :

L’intimé a-t-il abusé de son pouvoir lorsqu’il a modifié l’énoncé des critères de mérite après avoir évalué les candidats et lorsqu’il a établi que la personne nommée, Robert Jeannot, possédait la qualification essentielle « Expérience acceptable et récente du soutien technique et de la maintenance de systèmes d’armes sous-marines fixés à des sous-marins » [Traduction]?

Contexte

3 En 2006, il y avait plusieurs postes de technologue en électronique vacants (groupe et niveau EL-6) à l’Installation de maintenance de la Flotte Cape Scott (IMF Cape Scott) du MDN. La direction a donc décidé de mener un processus de dotation collective pour pourvoir à ces postes vacants. En août 2006, le MDN a affiché une annonce de possibilité d’emploi sur Publiservice relativement à un processus de nomination interne annoncé (06-DND-IA-HALFX-052717) visant la dotation de quatre types de postes, soit technologue en systèmes de commandement et de contrôle, technologue – surveillance et guerre électronique, technologue en électronique de systèmes sous-marins et technologue en systèmes d’armes de surface. Les qualifications essentielles communes pour tous les postes comprenaient notamment des exigences relatives aux études, une expérience appréciable dans trois domaines liés aux systèmes électroniques, la capacité de communiquer et six qualités personnelles.

4 De plus, l’énoncé des critères de mérite (ECM) comprenait plusieurs qualifications constituant un atout qui étaient propres à chacun des postes à doter. La qualification qui fait l’objet de la plainte en l’espèce était libellée comme suit au moment de l’affichage de l’annonce : « Expérience acceptable du soutien technique et de la maintenance de systèmes d’armes sous-marines ».

5 Les candidats pour le poste de technologue en électronique de systèmes sous-marins ont été évalués relativement à cette qualification liée à l’expérience en fonction de leur demande, de documents justificatifs supplémentaires et de la connaissance personnelle que les membres du comité avaient des candidats. À la suggestion du Lcdr Watters, soit la personne qui faisait partie de tous les comités d’évaluation, une grille d’évaluation a été élaborée pour la qualification relative à l’expérience. Cette grille contenait cinq critères :

  Expérience récente (plates-formes multiples et systèmes multiples) Élaboration de spécifications pour les modifications techniques MT Conduite d’essais Analyse du rendement technique et analyse d’échec Réparation et maintenance de divers systèmes courants
5
APPRÉCIABLE
Vaste expérience des navires de classe VICTORIA et des navires de classe HALIFAX/ IROQUOIS BPR pour une MT importante touchant à plus d’une discipline d’ingénierie Direction/ coordination de plusieurs essais sur des systèmes sous-marins principaux (classes multiples) Direction d’enquêtes pour la plupart des systèmes électroniques sous-marins fixés à des sous-marins Liste exhaustive d’équipement de bord sous-marin sur des sous-marins, y compris SFCS
4
CONSIDÉRABLE
Vaste expérience des navires de classe VICTORIA seulement OU vaste expérience des navires de classe HALIFAX/ IROQUOIS et expérience des navires de classe VICTORIA BPR pour un projet de moindre envergure touchant à plus d’une discipline d’ingénierie Direction/ coordination de quelques essais sur des systèmes principaux, comme SFCS, 510, 2040, 2046CANTASS, etc. Direction de certains aspects des analyses et collaboration dans d’autres domaines (toutes disciplines confondues) Liste exhaustive d’équipement sous-marin sur des sous-marins, y compris des systèmes principaux, comme 2040, 2046, bus de données de systèmes d’armes, périscopes, etc.
3
MOYENNE
Vaste expérience des navires de classe HALIFAX/ IROQUOIS Bureau consultatif (BC) pour un projet Direction d’au moins un essai sur des systèmes sous-marins, ou collaboration à plusieurs essais sur des systèmes sous-marins Collaboration fréquente pour la plupart des aspects (toutes disciplines confondues) Divers autres systèmes courants sur des sous-marins, tels que périscopes, gyroscopes, PDM, MSE, radars, SNAPS, etc.
2
PEU ÉTENDUE
Expérience des navires de classe HALIFAX/ IROQUOIS ou des navires de classe VICTORIA Aide au BPR ou au BC pour un projet Collaboration à quelques essais sur des systèmes sous-marins Collaboration occasionnelle par la tenue d’analyses exhaustives sur les diagnostics des anomalies et la formulation de recommandations Systèmes sous-marins principaux sur des appareils de classe HALIFAX/ IROQUOIS, comme 510, CANTASS, SPS, etc.
1
FAIBLE
Peu d’expérience, toutes classes confondues Un peu d’expérience dans le domaine des spécifications Participation à quelques essais Collaboration (toutes disciplines confondues) Systèmes secondaires (toutes classes confondues)

[Traduction]

6 Les candidats ont été évalués pour chaque critère sur une échelle de un à cinq. Ceux qui obtenaient une cote moyenne globale de trois (15/25) pouvaient passer à la prochaine étape de l’évaluation. Trois candidats ont été jugés qualifiés sur la base de l’expérience particulière demandée et ont ensuite été évalués au moyen d’une entrevue. Ces trois candidats étaient qualifiés pour le poste de technologue en électronique de systèmes sous-marins. C’est M. Jeannot qui a été considéré comme la bonne personne pour occuper le poste, étant donné que c’était lui qui avait obtenu les notes les plus élevées pour les qualifications évaluées durant l’entrevue, soit la capacité de communiquer, l’entregent, la motivation, la fiabilité, le jugement, la faculté d’adaptation et l’esprit d’équipe.

7 Le 5 mars 2007, les candidats ont été informés que l’ECM avait été modifié pour correspondre plus exactement aux qualifications essentielles et aux qualifications constituant un atout qui avaient été établies par le gestionnaire délégataire, M. Ian Cobb, avant l’affichage de l’annonce de possibilité d’emploi. En effet, l’expérience jugée essentielle pour chaque type de poste avait été incluse par mégarde dans la catégorie des qualifications constituant un atout, alors qu’il s’agissait en fait d’une qualification essentielle pour le poste. La Commission de la fonction publique (CFP) a recommandé à l’intimé de modifier l’ECM pour faire état de ces exigences. Un ECM modifié a donc été affiché. À la rubrique des qualifications essentielles pour le poste de technologue en électronique de systèmes sous-marins figurait désormais la qualification suivante : « Expérience acceptable et récente du soutien technique et de la maintenance de systèmes d’armes sous-marines fixés à des sous-marins » [Traduction] [caractères gras ajoutés].

8 Le 12 mars 2007, les candidats ont été informés que la candidature de M. Jeannot avait été retenue en vue d’une nomination. Le 27 mars 2007, une notification indiquant la nomination de ce dernier a été affichée sur Publiservice.

Résumé des éléments de preuve pertinents

9 Brad Smith a été appelé à comparaître comme témoin par le plaignant. Il a indiqué qu’il occupait le poste de technologue en électronique de systèmes sous-marins depuis 18 ou 19 ans. Son superviseur, M. Cobb, ingénieur de systèmes sous-marins, lui a demandé de faire partie du comité d’évaluation pour le poste de technologue en électronique de systèmes sous-marins au moment où la grille d’évaluation pour ce même poste a été élaborée. M. Smith a également participé activement à l’évaluation des candidats pour ce poste.

10 M. Smith a affirmé que l’expression « fixés à des sous-marins » [Traduction] avait été ajoutée à la qualification relative à l’expérience, car elle précisait davantage l’expérience requise pour le poste. Certes, les sous-marins et les navires de surface sont tous deux munis de systèmes d’armes sous-marines, mais pour ce poste, une expérience particulière des systèmes d’armes sous-marines fixés à des sous-marins était requise.

11 Le premier critère figurant dans la grille d’évaluation de l’expérience était « Expérience récente (plates-formes multiples et systèmes multiples) » [Traduction]. Ce critère se rapporte à l’expérience des sous-marins (navires de classe VICTORIA) et des navires de surface (navires de classe HALIFAX/IROQUOIS). Pour obtenir une cote de cinq dans ce domaine, le candidat devait posséder une « vaste expérience des navires de classe VICTORIA et des navires de classe HALIFAX/IROQUOIS » [Traduction]. Lorsqu’on lui a demandé ce qu’il entendait par « vaste », M. Smith a répondu que, dans le cas des navires de classe VICTORIA, il s’agissait de un à deux ans d’expérience. Le nombre d’années d’expérience devait toutefois être supérieur pour les navires de classe HALIFAX/IROQUOIS, étant donné que ce type de plates-formes existe depuis 30 ans, tandis que les sous-marins de classe VICTORIA n’existent que depuis cinq ou six ans. M. Smith a expliqué que l’équipement utilisé sur les diverses plates-formes variait considérablement. Les navires de classe VICTORIA sont munis d’un équipement plus important. Lorsqu’on lui a demandé comment le comité définissait l’« expérience acceptable », M. Smith a répondu que ce critère était défini dans la grille d’évaluation, mais que, de façon approximative, le comité demandait un à deux ans d’expérience sur des sous-marins. Le plaignant et la personne nommée ont tous deux obtenu une cote de cinq pour ce critère.

12 Les candidats qui obtenaient une note minimale de 15/25 selon la grille d’évaluation pouvaient ensuite passer à l’étape de l’entrevue. La qualification relative à l’expérience servait donc d’outil de présélection. Les trois personnes dont la candidature a été prise en considération pour le poste ont obtenu une note supérieure à 15/25 et ont donc été convoquées à l’entrevue.

13 Après la présentation de la plainte, M. Smith a dressé la liste des essais d’équipement auxquels la personne nommée avait participé pendant qu’elle travaillait avec lui-même à l’unité technique, systèmes d’armes sous-marines, soit de janvier à septembre 2005. Les travaux figurant sur cette liste avaient été effectués sur deux navires de classe VICTORIA.

14 Pendant le contre-interrogatoire, M. Smith a affirmé que le comité d’évaluation avait évalué la qualification constituant un atout décrite dans l’ECM initial, soit : « Expérience acceptable du soutien technique et de la maintenance de systèmes d’armes sous-marines ». Il a ensuite expliqué quels renseignements provenant du curriculum vitæ de la personne nommée avaient permis au comité d’évaluation d’établir que celle-ci possédait une expérience acceptable dans le domaine des systèmes d’armes sous-marines. Les membres du comité d’évaluation se sont également fondés sur leur connaissance personnelle de l’expérience que la personne nommée avait acquise lorsqu’elle travaillait avec M. Smith et M. Cobb à l’unité technique, systèmes d’armes sous-marines, de janvier à septembre 2005.

15 Le plaignant a également cité la personne nommée, M. Jeannot, à comparaître comme témoin. M. Jeannot a indiqué qu’avant de participer au processus de nomination, il avait occupé le poste d’électronicien naval (acoustique) au sein des Forces canadiennes pendant 22 ans. À ce titre, il avait reçu la formation requise pour installer des appareils électroniques sur tous les systèmes d’armes sous-marines, les systèmes de navigation et les dispositifs de sécurité des hélicoptères, et en assurer la maintenance. Au fil de sa carrière, il a acquis de l’expérience dans divers domaines, notamment les systèmes radar, les systèmes de communication, les systèmes de guerre électronique, les sonars, les sondeurs acoustiques et les systèmes de commandement et de contrôle. Pendant qu’il faisait partie des Forces canadiennes, il n’a jamais travaillé sur un sous-marin.

16 M. Jeannot a reconnu qu’il existait des postes de technicien d’armes navales dans les Forces canadiennes. Les personnes occupant ces postes étaient chargées de la maintenance d’armes comme des torpilles, des canons 57 mm, des missiles et des systèmes de leurre.

17 Dans sa demande, M. Jeannot a indiqué, en ce qui a trait à l’expérience des systèmes d’armes sous-marines, qu’il avait été « responsable de l’installation, de la maintenance et de la mise à l’essai de sonars et d’équipement de navigation sur des NCSM et des sous-marins […] » [Traduction]. M. Jeannot a également dressé une liste des appareils sur lesquels il avait travaillé qui sont propres aux armes sous-marines. De plus, il a énuméré les essais qu’il a menés avec M. Smith, dont les essais sur le revêtement des hydroptères, les réservoirs sous pression et la barge bleue dans le bassin de Bedford.

18 M. Jeannot a reconnu qu’il avait été en vacances en août 2005 et qu’il avait commencé à travailler à l’unité de génie naval, combat, en septembre 2005.

19 M. Cobb a témoigné au nom de l’intimé. Il travaille depuis 25 ans à l’IMF Cape Scott et occupe le poste d’ingénieur de systèmes sous-marins et de chef de l’unité depuis 21 ans. Il supervise environ 14 personnes à l’unité technique, systèmes d’armes sous-marines.

20 Selon M. Cobb, les systèmes d’armes sous-marines désignent l’ensemble des appareils qui permettent de détecter, d’identifier et de localiser les cibles, puis de choisir la torpille à lancer et, au besoin, d’orienter la torpille vers sa cible. Ces armes peuvent être fixées soit à des navires, soit à des sous-marins.

21 M. Cobb avait un poste de technologue à doter au sein de son unité. De concert avec les autres superviseurs, il a établi les qualifications essentielles devant être utilisées pour le processus de dotation collective. On lui a demandé de présider le comité d’évaluation uniquement pour le poste relevant de son unité. Le comité était composé du Lcdr Watters, de M. Smith et de M. Cobb.

22 Une fois que les candidats étaient évalués pour certaines qualifications communes (études et expérience des systèmes électroniques), ils étaient placés dans des catégories en fonction de leur expérience de travail. Le comité d’évaluation a élaboré la grille d’évaluation en fonction de la description de travail du poste. Il y avait cinq critères principaux pour ce qui est de l’expérience (voir le paragraphe 5 ci-dessus). Les candidats devaient posséder de l’expérience dans les domaines du soutien technique sur des sous-marins, des essais techniques et de l’installation. L’échelle de cotation allait de un à cinq, soit de la cote la plus faible à la cote la plus élevée, celle-ci étant attribuée aux candidats qui possédaient beaucoup d’expérience. Le comité a également tenu compte des demandes et des curriculum vitæ des candidats. Il a choisi trois candidats, à qui il a demandé de fournir par écrit des détails concernant l’« expérience acceptable du soutien technique et de la maintenance de systèmes d’armes sous-marines » en indiquant leur employeur, la nature du travail et les défis relevés.

23 Les trois candidats ont été évalués en fonction de ces documents, de leur demande et de la connaissance personnelle que les membres du comité avaient d’eux. M. Cobb connaissait le plaignant ainsi que la personne nommée.

24 On a demandé à M. Cobb d’expliquer pourquoi il avait modifié l’ECM. Il a expliqué que, lorsque l’intimé a demandé une autorisation en matière de priorités pour effectuer la nomination en janvier 2007, la CFP a exprimé des préoccupations, car elle était d’avis que l’intimé appliquait une qualification constituant un atout comme s’il s’agissait d’une qualification essentielle. Étant donné que l’évaluation de la qualification relative à l’expérience était terminée, la CFP a suggéré à l’intimé de modifier l’ECM en plaçant la qualification constituant un atout à la rubrique des qualifications essentielles. Pour ce poste, deux termes ont également été ajoutés relativement à la même qualification, soit la nécessité de posséder une expérience récente et d’avoir une expérience des systèmes d’armes sous-marines fixés à des sous-marins. M. Cobb a indiqué que ces modifications avaient été effectuées afin que l’ECM décrive fidèlement la qualification essentielle qu’il jugeait nécessaire pour le poste.

25 Le seul poste à doter était un poste de technologue sur un sous-marin. Bien qu’il existe des navires de surface munis d’armes sous-marines, l’unité technique travaille principalement sur des systèmes d’armes fixés à des sous-marins. Quant à l’expérience « récente », ce critère indiquait que l’expérience des candidats devait porter sur des navires existants. Selon M. Cobb, les candidats avaient déjà été évalués selon le critère de leur expérience acceptable et récente des systèmes d’armes sous-marines fixés à des sous-marins, de sorte qu’il n’était pas nécessaire de procéder à une nouvelle évaluation. L’erreur a été constatée à la fin du mois de janvier, mais, compte tenu du fait que les membres du comité s’occupaient des entrevues, personne n’a été en mesure de modifier la qualification avant le mois de mars. Tous les candidats ont été avisés du changement apporté à l’ECM le 5 mars 2007.

26 Pour ce qui est de l’expérience de la personne nommée dans le domaine des sous-marins, le comité a pris en considération la période durant laquelle elle a travaillé à l’unité technique, systèmes d’armes sous-marines, soit de janvier à septembre 2005, ainsi que la période où elle a travaillé à l’unité de génie naval, combat, soit de septembre 2005 à novembre 2006, étant donné que les appareils sur lesquels elle travaillait alors étaient liés aux armes sous-marines. En guise d’explication, M. Cobb a indiqué que, sans recevoir de données sur la navigation, les systèmes d’armes ne pouvaient pas fonctionner, puisque le sous-marin doit connaître l’emplacement de la cible ainsi que son propre emplacement. Le comité d’évaluation a estimé que la personne nommée possédait une expérience considérable et récente en ce qui concerne les plates-formes multiples et les systèmes multiples (« vaste expérience des navires de classe VICTORIA seulement OU vaste expérience des navires de classe HALIFAX/IROQUOIS et expérience des navires de classe VICTORIA » [Traduction]) et lui a donc accordé une cote entre quatre et cinq. Toutefois, étant donné que le comité n’octroyait pas de points partiels, la personne nommée a obtenu cinq. Le plaignant, qui possédait une vaste expérience sur les deux plates-formes, a également obtenu une cote de cinq.

27 En ce qui a trait au cinquième critère, « réparation et maintenance de divers systèmes courants » [Traduction],le plaignant a obtenu la cote de cinq, même s’il ne possédait pas d’expérience dans le domaine des sonars. M. Cobb a indiqué qu’une proportion de 75 % à 80 % des fonctions du poste portent sur les sonars. M. Burke possédait beaucoup d’expérience dans d’autres domaines, et c’est pourquoi il a obtenu la cote la plus élevée pour ce critère.

28 En contre-interrogatoire, M. Cobb a indiqué que les systèmes d’armes sous-marines faisaient tous partie des systèmes d’armes tactiques. Cette dernière catégorie comprend les systèmes de surveillance et de guerre électronique, les systèmes de communication et de navigation, et les armes sous-marines, qui viennent tous compléter les systèmes des sous-marins. M. Jeannot, à la page deux de sa demande, a indiqué qu’il avait été chargé de l’installation, de la maintenance et de la mise à l’essai de sonars et d’équipement de navigation sur des NCSM et des sous-marins, ce qui comprend Arma Brown, NCS1 Gyros, lochs Doppler et systèmes mondiaux de positionnement. Selon M. Cobb, tous ces appareils font partie des systèmes d’armes sous-marines fixés à des sous-marins.

29 En ce qui touche le troisième critère, soit la « conduite d’essais » [Traduction], M. Cobb a expliqué que M. Jeannot avait mené des essais sur plus d’un navire et qu’il avait donc obtenu la cote de quatre pour ce critère. En effet, M. Jeannot avait effectué des essais sur des systèmes de conduite de tir fixés à des sous-marins, ainsi que sur des navires (510 et CANTASS). Le comité d’évaluation recherchait des candidats qui avaient de l’expérience dans la conduite d’essais, ce qui ne se limitait pas aux essais effectués sur des sous-marins.

30 Même si M. Jeannot n’a pas dirigé les essais en ce sens qu’il n’était pas celui qui les approuvait en apposant sa signature, M. Cobb a indiqué que tous ceux qui participent à l’essai sont réputés « mener » [Traduction] un essai. Même s’il n’y a qu’une seule personne qui appose sa signature au terme d’un essai, il se peut très bien que les autres participants aient accompli la majeure partie du travail. Tout le groupe qui a pris part à un essai est considéré comme ayant mené l’essai.

31 C’est l’évaluation, au moyen d’une entrevue, de sa capacité de communiquer et de ses qualités personnelles (entregent, motivation, fiabilité, jugement, faculté d’adaptation et esprit d’équipe) qui a permis à M. Jeannot d’être sélectionné à l’étape finale. M. Jeannot a obtenu 64 points, tandis que M. Burke en a reçu 54.

Argumentation des parties

A) Argumentation du plaignant

32 Le plaignant soutient que l’intimé a abusé de son pouvoir dans l’application du principe du mérite. Lorsque l’intimé a constaté qu’il avait fait erreur en faisant figurer à la rubrique des qualifications constituant un atout des qualifications qui étaient en fait essentielles pour les postes à doter, il a publié un nouvel ECM afin de préserver son processus. Il en a également profité pour préciser l’exigence relative à l’expérience en ajoutant les termes récente et fixés à des sous-marins, ce qui correspondait à l’intention initiale de M. Cobb. Toutefois, le comité n’a effectué aucune nouvelle évaluation pour s’assurer que les trois personnes dont la candidature avait été retenue possédaient toutes une expérience récente des systèmes d’armes sous-marines fixés à des sous-marins.

33 La grille d’évaluation ne correspondait pas à l’intention initiale de M. Cobb, selon l’explication qu’il en a fournie. S’il recherchait une expérience dans le domaine des sous-marins, le comité d’évaluation n’aurait pas dû accorder une importance équivalente aux navires de classe VICTORIA et aux navires de classe HALIFAX/IROQUOIS dans la grille d’évaluation.

34 Selon le plaignant, il est clair que M. Jeannot ne possédait pas l’expérience requise : il n’avait jamais travaillé sur des sous-marins au cours de sa carrière dans les Forces canadiennes. Or, il a tout de même obtenu cinq points pour le critère de l’expérience récente sur des plates-formes multiples et des systèmes multiples. Pourtant, la grille d’évaluation indiquait clairement que, pour obtenir cinq points, les candidats devaient posséder une vaste expérience des navires de classe VICTORIA (sous-marins) et des navires de classe HALIFAX/IROQUOIS (navires de surface). M. Smith a affirmé qu’un candidat devait posséder une expérience d’un à deux ans dans le cas des navires de classe VICTORIA ou une expérience de deux à trois ans pour les navires de classe HALIFAX/IROQUOIS afin que l’on considère qu’il possède une vaste expérience dans le domaine. M. Jeannot possédait une expérience de six mois sur des sous-marins, expérience qu’il avait acquise à l’unité technique, systèmes d’armes sous-marines.

35 Le troisième critère de la grille d’évaluation portait sur la conduite d’essais. M. Cobb a indiqué que ces essais ne devaient pas obligatoirement avoir été effectués sur des sous-marins. Toutefois, la qualification demandée indiquait une expérience récente des systèmes d’armes sous-marines fixés à des sous-marins. Il était donc négligent de la part du gestionnaire de ne pas exiger que les essais aient été effectués sur de l’équipement fixé à un sous-marin.

36 En outre, selon la grille d’évaluation, les candidats devaient avoir dirigé ou coordonné des essais sur quelques systèmes principaux pour pouvoir obtenir la cote de quatre dans ce domaine, soit la cote accordée à M. Jeannot. M. Cobb a indiqué que la personne nommée avait collaboré à un certain nombre d’essais avec M. Smith. Pour obtenir la cote de trois, les candidats devaient avoir dirigé au moins un essai ou avoir collaboré à plusieurs essais sur des systèmes sous-marins, tandis qu’une cote de deux était accordée aux candidats s’ils avaient collaboré à quelques essais sur des systèmes sous-marins. Il est clair que la grille établissait une distinction entre le fait de diriger les essais et d’y collaborer, et qu’il était donc déraisonnable d’attribuer la cote de quatre à M. Jeannot.

37 Bref, bien que le comité d’évaluation ait établi des critères relatifs à l’expérience dans la grille d’évaluation, il ne les a pas appliqués. M. Jeannot ne possédait pas une expérience de un à deux ans dans le domaine des systèmes d’armes sous-marines fixés à des sous-marins.

B) Argumentation de l’intimé

38 L’intimé soutient qu’il n’a pas abusé de son pouvoir en modifiant l’ECM après l’évaluation des candidats. Il a toutefois admis qu’il avait commis une erreur en faisant figurer parmi les qualifications constituant un atout des exigences qui étaient en fait essentielles à chaque spécialité. Il a alors consulté la CFP, qui lui a suggéré de modifier l’ECM et d’en informer tous les candidats. Selon l’intimé, ce changement n’a pas eu d’incidence sur l’évaluation de l’expérience. Les termes « récente » et « fixés à des sous-marins » [Traduction] ne faisaient que clarifier l’expérience que le comité avait déjà évaluée.

39 Pour ce qui est de l’évaluation de l’expérience de M. Jeannot, l’intimé a cité les décisions Visca c. Sous-ministre de la Justice et al., [2007] TDFP 0024, et Jolin c. Administrateur général de Service Canada et al., [2007] TDFP 0011. Selon l’intimé, ces décisions rendues par le Tribunal mettent en évidence le vaste pouvoir discrétionnaire dont jouissent les gestionnaires pour établir les qualifications pour les postes à doter et choisir les méthodes d’évaluation qui leur permettront de déterminer si une personne possède les qualifications établies.

40 Le gestionnaire, M. Cobb, occupe depuis 25 ans le poste d’ingénieur de systèmes sous-marins. C’est celui qui connaissait le mieux les fonctions du poste, et il a approuvé la grille qui a servi à l’évaluation de l’expérience des candidats. Il n’incombe pas au Tribunal, ni au plaignant d’ailleurs, d’effectuer une nouvelle évaluation des candidats. Le rôle du Tribunal est plutôt d’examiner l’ensemble du processus de nomination afin de déterminer s’il y a eu abus de pouvoir. Le comité d’évaluation a tenu compte des renseignements fournis par les candidats ainsi que de la connaissance personnelle que les membres du comité avaient des candidats. Le comité a conclu que le plaignant et la personne nommée avaient tous deux l’expérience requise. À l’étape de l’évaluation finale, M. Cobb a déterminé que M. Jeannot était la bonne personne pour occuper le poste, en fonction de ses qualités personnelles et de sa capacité de communiquer.

Analyse

41 Plusieurs erreurs graves ont été commises dans la tenue de ce processus de nomination, tant dans l’établissement des critères de mérite que dans leur application. La question que doit donc trancher le Tribunal est de savoir si ces erreurs graves constituent un abus de pouvoir. Dans la décision Robert et Sabourin c. le Sous-ministre de Citoyenneté et Immigration et al., [2008] TDFP 0024, le Tribunal a établi que l’on pouvait supposer qu’il y avait eu mauvaise foi si l’on constatait une incurie ou une insouciance grave dans l’exercice des pouvoirs :

[91] Dans la décision Finney c. Barreau du Québec, [2004] 2 R.C.S. 17, [2004] A.C.S. No 31 (QL), la Cour suprême indique qu’il n’est pas nécessaire de montrer qu’il y a eu une faute intentionnelle pour prouver qu’il y a eu de la mauvaise foi, et qu’il faut interpréter les faits de façon plus large afin d’inclure l’incurie ou l’insouciance grave. Au paragraphe 39, la Cour suprême déclare ce qui suit (version QL) :

39. Ces difficultés montrent néanmoins que la notion de mauvaise foi peut et doit recevoir une portée plus large englobant l’incurie ou l’insouciance grave. Elle inclut certainement la faute intentionnelle, dont le comportement du procureur général du Québec, examiné dans l’affaire Roncarelli c. Duplessis, [1959] R.C.S. 121, représente un exemple classique. Une telle conduite constitue un abus de pouvoir qui permet de retenir la responsabilité de l’État ou parfois du fonctionnaire. Cependant, l’insouciance grave implique un dérèglement fondamental des modalités de l’exercice du pouvoir, à tel point qu’on peut en déduire l’absence de bonne foi et présumer la mauvaise foi. L’acte, dans les modalités de son accomplissement, devient inexplicable et incompréhensible, au point qu’il puisse être considéré comme un véritable abus de pouvoir par rapport à ses fins. (Dussault et Borgeat), op. cit., p. 485). […]

[92] Après avoir examiné la série de nominations intérimaires de Mme Gomes et les nombreuses erreurs et omissions de l’intimé, le Tribunal conclut que le gestionnaire délégataire a agi avec une telle insouciance grave que ses actions constituent de la mauvaise foi. Par conséquent, le Tribunal juge que l’intimé a abusé de son pouvoir en agissant de mauvaise foi et en nommant une personne qui ne possédait pas toutes les qualifications essentielles liées au poste.

42 Le paragraphe 2(4) de la LEFP indique que « […] on entend notamment par “abus de pouvoir” la mauvaise foi et le favoritisme personnel ».

43 Le Tribunal commencera par examiner les erreurs commises par l’intimé dans le processus de nomination susmentionné.

a) La modification des qualifications

44 Le fait de modifier un ECM après avoir évalué les candidats, sans procéder à une nouvelle évaluation des candidats à la lumière du nouvel ECM, est une erreur fondamentale dans un processus de nomination. Selon les circonstances, cette erreur peut très bien mener à une conclusion d’abus de pouvoir. Les comités d’évaluation doivent savoir quelles qualifications sont à évaluer, et les candidats ont le droit de connaître les qualifications essentielles qui sont évaluées pour une possibilité d’emploi donnée. Comme l’a expliqué le Tribunal dans la décision Neil c. Sous-ministre d’Environnement Canada et al., [2008] TDFP 0004 :

[50] Le Tribunal tient à souligner que, bien qu’il ne soit pas obligatoire d'informer les candidats de tous les détails concernant la façon dont une qualification en particulier sera évaluée, il est dans l’intérêt de tous de faire preuve de clarté et de transparence dans la mesure du possible dans le cadre d’un processus de nomination. Il s’agit de s’assurer que tous ceux qui possèdent effectivement une qualification peuvent le démontrer et passer à la prochaine étape du processus. Il aurait donc été préférable que l’intimé fournisse aux candidats plus de détails dans l’énoncé des critères de mérite sur la façon dont « l’expérience appréciable » serait évaluée par le comité. Cette démarche est d’ailleurs recommandée dans la Série d’orientation de la Commission de la fonction publique portant sur l’évaluation, la sélection et la nomination. […]

45 Selon la preuve présentée en l’espèce, les qualifications relatives à l’expérience, qui étaient propres à chaque poste, ont été incluses à la rubrique des qualifications constituant un atout dans le cadre du processus de dotation collective. Cette méthode, bien qu’elle se soit avérée erronée, devait permettre de diriger les candidats vers les postes pour lesquels ils possédaient de l’expérience. Une fois que les candidats avaient été évalués pour les qualifications relatives aux études et les qualifications communes relatives à l’expérience, ils étaient placés dans des catégories correspondant aux postes précis. Trois candidats, dont le plaignant et la personne nommée, avaient été ciblés comme des candidats possibles pour le poste de technologue en électronique de systèmes sous-marins. On leur a donc demandé de fournir d’autres renseignements pour démontrer qu’ils possédaient une « expérience acceptable du soutien technique et de la maintenance de systèmes d’armes sous-marines ». Une fois que l’évaluation des critères d’expérience propres à chaque type de poste de technologue a été terminée, l’intimé a été informé par la CFP que ces qualifications auraient dû figurer parmi les qualifications essentielles, étant donné qu’elles étaient nécessaires pour accomplir les fonctions du poste.

46 Le Tribunal accepte l’explication de M. Cobb selon laquelle l’ECM a été modifié afin d’indiquer clairement aux candidats que la qualification « constituant un atout » était en fait essentielle pour le poste de technologue en électronique de systèmes sous-marins qui devait être doté. Si l’intimé n’avait effectué que cette modification et qu’il en avait avisé immédiatement les candidats, l’erreur n’aurait pas été grave.

47 Or, l’intimé est allé plus loin. Il a modifié la formulation de la qualification relative à l’expérience en y ajoutant les termes récente et fixés à des sous-marins. À l’audience, l’intimé n’a pas fourni d’explication satisfaisante quant à la raison pour laquelle ces termes avaient été ajoutés. Bien que M. Cobb ait insisté sur le fait qu’il avait simplement clarifié la qualification relative à l’expérience qui était initialement demandée et évaluée, la preuve n’appuie pas cette affirmation.

48 L’intimé est venu aggraver son erreur en omettant d’aviser les candidats au moment où il a été décidé d’apporter ce changement, c’est-à-dire en janvier 2007. Le plaignant et la personne nommée ont passé une entrevue en février 2007, laquelle visait à évaluer d’autres qualifications. Ce n’est que le 5 mars 2007 que les candidats ont été informés de la modification de l’ECM. Peu de temps après, soit seulement une semaine plus tard, les candidats ont reçu la notification de candidature retenue qui indiquait le nom de M. Jeannot.

49 L’explication de M. Cobb selon laquelle personne n’a été en mesure de modifier l’ECM avant le début du mois de mars 2007 démontre de la négligence. L’ECM est le document de base à partir duquel les candidats sont évalués et, lorsque des erreurs s’y glissent, les candidats devraient être informés immédiatement de tout changement. Le fait d’attendre si longtemps avant d’informer les candidats a entraîné des soupçons, ce qui n’est guère surprenant, puisqu’on se demandait si la modification avait été apportée dans le but de favoriser un candidat en particulier.

50 Le Tribunal juge que l’ajout des termes récent et fixés à des sous-marins à la qualification relative à l’expérience constituait une modification considérable. Il pourrait s’agir là d’une erreur fondamentale dans le cas où le comité d’évaluation ne tiendrait pas compte des changements dans son évaluation.

b) L’outil d’évaluation

51 Le comité d’évaluation a élaboré une grille détaillée pour évaluer l’expérience des candidats. Les deux membres du comité qui étaient présents à l’audience ont indiqué que c’est cet outil qui avait servi à l’évaluation des candidats. À la lumière de la preuve dont il dispose, le Tribunal conclut que cet outil était inapproprié, puisqu’il ne pouvait pas servir à évaluer la qualification prévue, soit l’« expérience acceptable et récente du soutien technique et de la maintenance de systèmes d’armes sous-marines fixés à des sous-marins » [Traduction].

52 M. Cobb a indiqué qu’en décembre 2006, l’expérience des systèmes d’armes sous-marines « fixés à des sous-marins » [Traduction] avait été évaluée. Or, si l’on se reporte au premier critère de la grille d’évaluation, on constate qu’il est possible qu’un candidat reçoive une cote de trois, c’est-à-dire une cote acceptable, pour l’expérience sur des plates-formes multiples et des systèmes multiples sans toutefois posséder d’expérience dans le domaine des sous-marins. Si l’exigence portait bel et bien sur l’expérience de systèmes d’armes sous-marines fixés à des sous-marins, le critère aurait dû le préciser.

53 De la même façon, l’intimé a indiqué que, pour ce qui est du critère de la conduite d’essais, soit le troisième critère de la grille d’évaluation, il n’était pas obligatoire que les essais aient été effectués sur des systèmes d’armes sous-marines fixés à des sous-marins. Une fois de plus, si l’expérience évaluée avait trait aux systèmes d’armes sous-marines fixés à des sous-marins, il serait logique de penser que ces essais devaient être effectués sur des sous-marins.

54 À la lumière de la preuve présentée, le Tribunal estime que l’intimé n’a pas évalué la qualification essentielle qui figurait dans l’ECM modifié. Aucune explication logique n’a été fournie relativement à l’ajout à l’ECM de l’expression fixés à des sous-marins, et il est clair qu’il ne s’agit pas de la qualification qui a été évaluée au moyen de la grille d’évaluation.

55 L’ajout du terme récente à la qualification relative à l’expérience ne constitue pas une question en litige en l’espèce. M. Cobb a affirmé que par « récente », le comité entendait une expérience acquise sur des navires existants. Le fait que certains navires de classe HALIFAX/IROQUOIS sont utilisés par l’intimé depuis 20 ans semble invalider la définition du terme fournie par M. Cobb. Selon cette définition, un candidat pourrait avoir acquis de l’expérience il y a 15 ou 20 ans et celle-ci serait toujours considérée comme « récente ». Même si rien n’indique que l’expérience des candidats n’est pas à jour, il s’agit là d’un signe de négligence de la part du comité d’évaluation.

56 Le Tribunal estime que l’outil d’évaluation utilisé était inapproprié, étant donné qu’il ne permettait pas d’évaluer la qualification voulue, soit l’« expérience acceptable et récente du soutien technique et de la maintenance de systèmes d’armes sous-marines fixés à des sous-marins » [Traduction].

c) L’évaluation du mérite

57 Même si le comité d’évaluation avait créé une grille détaillée pour évaluer l’expérience, le Tribunal a constaté, après examen de la preuve, que le comité avait été très négligent dans l’application des critères lorsqu’il avait évalué la personne nommée et le plaignant. Par exemple, il a attribué cinq points à M. Jeannot pour l’expérience récente sur de multiples plates-formes et de multiples systèmes, critère qui était défini comme une « vaste expérience des navires de classe Victoria et des navires de classe HALIFAX/IROQUOIS » [Traduction]. À la lumière de la preuve présentée à l’audience, il est clair que le comité n’a pas appliqué ses propres critères lorsqu’il a évalué l’expérience de M. Jeannot relativement aux plates-formes multiples et aux systèmes multiples.

58 De la même façon, pour le critère portant sur la conduite d’essais, les membres du comité ont affirmé qu’il n’y avait aucune distinction entre le fait de diriger un essai et d’y collaborer. Or, l’échelle de cotation de la grille d’évaluation établit une distinction claire entre les notes attribuées aux candidats qui ont collaboré aux essais et à ceux qui ont dirigé ou coordonné les essais. Pour que l’on considère qu’ils possèdent une vaste expérience de la conduite d’essais (une cote de quatre), les candidats devaient avoir l’expérience de la « direction/coordination de quelques essais sur des systèmes principaux comme SFCS, 510, etc. » [Traduction]. La preuve indique clairement que le comité d’évaluation n’a pas appliqué les critères qu’il a lui-même établis lorsqu’il a évalué M. Jeannot sur le plan de la conduite d’essais.

59 En effet, M. Cobb a souligné que le plaignant avait obtenu la cote de cinq au cinquième critère de la grille, soit « réparation et maintenance de divers systèmes courants » [Traduction], alors qu’il avait lui-même indiqué que M. Burke ne possédait aucune expérience dans le domaine des sonars. M. Cobb a même ajouté qu’une proportion de 75 % à 80 % du travail dans le domaine des systèmes d’armes sous-marines portait sur les sonars. Même si M. Cobb a expliqué que le plaignant possédait beaucoup d’expérience dans d’autres domaines, il semble incompréhensible qu’un candidat reçoive une cote parfaite pour ce critère sans posséder d’expérience dans un domaine aussi important que les sonars. Le Tribunal juge que le comité a également fait preuve d’une grande négligence lorsqu’il a attribué cette cote.

60 Toutes ces observations découlent du fait que le comité a établi un ensemble extrêmement rigide et détaillé de critères et de cotes, ce qui a finalement nui au processus, plutôt que d’évaluer les candidats en fonction de la qualification réellement établie, soit l’« expérience acceptable et récente du soutien technique et de la maintenance de systèmes d’armes sous-marines fixés à des sous-marins » [Traduction].

61 Le Tribunal estime que le comité d’évaluation n’a pas appliqué de façon appropriée les critères qu’il a établis dans sa grille d’évaluation. Par conséquent, le Tribunal ne peut pas conclure que l’évaluation des candidats est fiable. Le plaignant a affirmé que M. Jeannot n’était pas qualifié pour le poste auquel il a été nommé. L’intimé n’a fourni aucune preuve fiable permettant d’établir que la personne nommée répondait aux critères d’expérience.

62 Les nominations doivent être effectuées sur la base du mérite, conformément au paragraphe 30(1) de la LEFP. La personne nommée doit posséder toutes les qualifications essentielles pour le travail à accomplir. Le Tribunal a d’ailleurs établi ce qui suit dans la décision Rinn c. Sous-ministre des Transports, de l’Infrastructure et des Collectivités et al., [2007] TDFP 0044 :

[35] Le mérite est maintenant lié au mérite individuel; pour être nommée, la personne doit répondre aux qualifications essentielles se rapportant au travail à effectuer. Il existe une latitude considérable pour choisir la personne qui fera l’objet d’une nomination. Cependant, l’exigence fondamentale pour nommer une personne sur la base du mérite est que la personne doit être qualifiée pour le poste.

[38] Le paragraphe 30(1) de la LEFP indique clairement que les nominations doivent être fondées sur le mérite. De son côté, le paragraphe 30(2) établit les critères permettant de procéder à une nomination fondée sur le mérite. […] Le recours prévu à l’alinéa 77(1)a) de la LEFP porte sur cette question en matière de nomination, nommément, si la nomination ou la nomination proposée est fondée sur le mérite. Ce n’est pas une question liée à une intention illégitime. Si la personne nommée ne répond pas aux qualifications essentielles, peu importe l’intention, la nomination n’est pas fondée sur le mérite. Comme il est expliqué dans la décision Tibbs, supra :

[74] (…) Le législateur n’aurait pas pu envisager qu’il n’y aurait aucun recours en vertu de la LEFP lorsque, par exemple, un gestionnaire, de façon involontaire, procèderait à une nomination qui donnerait lieu à un résultat déraisonnable ou discriminatoire. Lorsqu’un gestionnaire involontairement procède à une nomination qui va clairement à l’encontre de la logique et des renseignements disponibles, cela peut ne pas constituer un acte de mauvaise foi, un acte répréhensible intentionnel ou une conduite irrégulière, mais le gestionnaire peut avoir abusé de son pouvoir discrétionnaire.

63 En l’espèce, le Tribunal conclut que l’intimé a fait preuve de négligence dans la façon dont il a mené le processus de nomination susmentionné. L’intimé a établi une qualification qu’il a ensuite modifiée en y ajoutant deux expressions. Aucune explication satisfaisante n’a été fournie relativement à ce changement. Les candidats n’ont pas été évalués à nouveau après cette modification considérable à la qualification. De plus, l’outil d’évaluation utilisé ne permettait pas d’évaluer cette qualification. Le comité a fait preuve de négligence dans l’évaluation des candidats, étant donné qu’il n’a pas appliqué les critères qu’il avait établis dans sa grille d’évaluation. Cette évaluation ne permet donc pas de conclure avec certitude que la personne nommée est qualifiée pour le poste.

64 Le Tribunal conclut que l’intimé a fait preuve d’une négligence telle qu’elle constitue de la mauvaise foi. Le Tribunal estime que l’intimé a abusé de son pouvoir dans la tenue du processus de nomination visé.

Décision

65 Pour les motifs susmentionnés, la plainte est considérée comme fondée.

Mesure corrective

66 Les pouvoirs du Tribunal relativement à la prise de mesures correctives sont énoncés au paragraphe 81(1) de la LEFP, lequel est libellé comme suit :

81. (1) S’il juge la plainte fondée, le Tribunal peut ordonner à la Commission ou à l’administrateur général de révoquer la nomination ou de ne pas faire la nomination, selon le cas, et de prendre les mesures correctives qu’il estime indiquées.

67 Le plaignant demande que la nomination soit révoquée, car il estime que la personne nommée n’est pas qualifiée pour le poste.

68 Étant donné que l’intimé n’a pas établi que la personne nommée était qualifiée pour le poste auquel elle a été nommée, le Tribunal ordonne à l’administrateur général de révoquer la nomination.


Helen Barkley

Membre

Parties au dossier

Dossier du Tribunal:
2007-0175
Intitulé de la cause:
Michael Burke et le Sous-ministre de la Défense nationale et al.
Audience:
Le 19 et 20 février 2009
Halifax, Nouvelle-Écosse
Date des motifs:
Le 9 février 2009

Comparutions:

Pour le plaignant:
Lorne Brown
Pour l'intimé:
Amita Chandra
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