Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La plaignante a allégué que la décision par l'intimé de modifier ses Lignes directrices sur la gestion des bassins de candidats et d'appliquer ces directives rétroactivement s'apparente à un abus de pouvoir commis par mauvaise foi dans la mesure où l'administrateur général en cause a exercé son pouvoir discrétionnaire dans une intention illégitime. L'intimé a fait valoir que les lignes directrices modifiées offrent aux candidats en affectation à l'étranger une possibilité de nomination qu'ils n'auraient pas autrement et l'absence de l'application rétroactive. Décision : Le Tribunal a conclu que l'intimé a agi de bonne foi lorsqu'il a amendé les lignes directrices en juin 2007 afin d'y inclure des dispositions spécialement pour les employés en affectation à l'étranger. Les modifications ont pour but de protéger les candidats en affectation à l'étranger afin qu'ils aient la possibilité d'obtenir une nomination à leur retour. Le Tribunal a conclu que la bonne foi de l'intimé n'était pas en cause et que la plaignante n'a fourni aucune preuve convaincante pour étayer son allégation d'abus de pouvoir. Plainte rejetée.

Contenu de la décision

Coat of Arms - Armoiries
Dossier:
2007-0316
Rendue à:
Ottawa, le 17 février 2009

YSABEL BLANCO
Plaignante
ET
LE PRÉSIDENT DE L'AGENCE CANADIENNE DE DÉVELOPPEMENT INTERNATIONAL
Intimé
ET
AUTRES PARTIES

Affaire:
Plainte d'abus de pouvoir en vertu de l'alinéa 77(1)a) de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique
Décision:
La plainte est rejetée
Décision rendue par:
Francine Cabana, membre
Langue de la décision:
Anglais
Répertoriée:
Blanco c. Président de l'Agence canadienne de développement international et al.
Référence neutre:
2009 TDFP 0004

Motifs de la décision

Introduction

1 Ysabel Blanco, de concert avec six autres plaignants, a présenté une plainte au Tribunal de la dotation de la fonction publique (le Tribunal) au motif que l’intimé, le président de l’Agence canadienne de développement international (ACDI), a abusé de son pouvoir en agissant de mauvaise foi lorsqu’il a modifié les Lignes directrices de l'ACDI sur la gestion des bassins de candidats et les a appliquées de façon rétroactive. En bref, l’intimé a décidé que les candidats retenus qui se trouvaient en affectation à l’étranger ne pouvaient être nommés pendant la durée de leur affectation. Les employés travaillant à l’étranger resteraient dans le bassin pendant leur affectation et seraient admissibles à une nomination dans les six mois suivant leur retour, ce qui créerait un bassin spécialement pour les employés de l’ACDI en affectation à l’étranger.

2 Deux jours avant la tenue de l’audience, six des sept plaignants ont retiré leur plainte. Par conséquent, la présente décision concerne seulement la plainte de Mme Blanco.

3 L’audience a eu lieu le 22 septembre 2008 à Ottawa (Ontario).

Contexte

4 En juillet 2006, la plaignante a participé à un processus de nomination interne annoncé visant la dotation de postes d’agent principal de développement (PM-05) à l’ACDI, plus précisément au sein de la Direction générale des Amériques, de la Direction générale de l’Afrique, de la Direction générale de l’Asie et de la Direction générale de l'Europe, du Moyen-Orient et du Maghreb. Les postes sont situés à Gatineau (Québec). L’annonce de possibilité d’emploi indiquait qu’un bassin de candidats serait créé afin de pourvoir à des postes vacants à venir.

5 En novembre 2006, la plaignante a été affectée à un poste à New York, aux États‑Unis, pour une période de quatre ans. Le 2 mars 2007, elle a été informée qu’elle avait été jugée qualifiée pour les postes. C’est en posant des questions qu’elle a appris, le 13 mars 2007, que l’ACDI ne pouvait accorder de promotion à un employé pendant une affectation à l’étranger.

6 La plaignante a reçu une lettre modifiée, en date du 17 avril 2007, l’informant du nom des 17 candidats retenus aux fins de nomination. La lettre indiquait que la plaignante était qualifiée et qu’elle avait été placée dans un bassin de candidats qualifiés. Il était expliqué que le bassin serait valide pour une durée de trois ans dans le cas des personnes qui étaient déjà en affectation à l’étranger. Il était également précisé que la question de la nomination de candidats en affectation à l’étranger était toujours à l’étude et qu’un message à ce sujet serait envoyé personnellement aux candidats concernés.

7 Les Lignes directrices de l'ACDI sur la gestion des bassins de candidats (les Lignes directrices) ont pris effet le 31 décembre 2005 par suite de l’entrée en vigueur de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, art. 12 et 13 (la LEFP). De façon générale, les Lignes directrices prévoyaient la création d’un bassin pour les candidats possédant les qualifications essentielles dans un processus de nomination. Les candidats devaient être inscrits par ordre alphabétique, sans aucun classement, et le bassin devait être valide pendant 12 mois avec possibilité de prolongation jusqu’à 18 mois.

8 Le 21 juin 2007, les Lignes directrices ont été modifiées de façon à ce qu’un bassin soit créé spécialement pour les employés de l’ACDI en affectation à l’étranger. Le bassin ainsi créé n’avait pas de période de validité, et les employés demeuraient dans le bassin pendant la durée de leur affectation et pour une période supplémentaire de six mois suivant leur retour.

9 Dans le cadre de ce processus annoncé, la notification de nomination a été diffusée le 27 juin 2007. À ce moment-là, l’affectation de la plaignante à New York était déjà commencée.

10 Selon la plaignante, l’intimé a agi de mauvaise foi en modifiant les paragraphes des Lignes directrices concernant l’admissibilité aux offres de nomination et en les appliquant rétroactivement sans en avoir d’abord avisé les candidats. La plaignante affirme qu’il s’agit là d’un abus de pouvoir de la part de l’intimé.

11 La plainte a été présentée le 29 juin 2007 en vertu de l’alinéa 77(1)a) de la LEFP.

Question en litige

12 Le Tribunal doit trancher la question suivante :

L’intimé a-t-il abusé de son pouvoir lorsqu’il a décidé de ne pas nommer la plaignante après avoir modifié les Lignes directrices et les avoir appliquées rétroactivement au 31 décembre 2005 sans en avoir d’abord informé les candidats?

Éléments de preuve et argumentation des parties

A) Éléments de preuve et argumentation de la plaignante

13 La plaignante n’a pas comparu à l’audience. Sa représentante a toutefois déclaré au Tribunal qu’elle était autorisée à procéder en son absence, sans que cela ne soit préjudiciable à la plaignante en l’espèce.

14 La représentante de la plaignante a également affirmé que le fait que le témoin identifié lors de la conférence préparatoire ne témoignerait pas à l’audience ne nuirait pas à la présente affaire.

15 La plaignante soutient qu’au moment où elle a posé sa candidature pour les postes en juillet 2006, elle ignorait qu’elle ne serait pas nommée si elle était jugée qualifiée, contrairement à la pratique passée. À son avis, en modifiant les Lignes directrices en 2007 et en les appliquant rétroactivement au 31 décembre 2005, c’est‑à‑dire après la fin du processus de nomination, l’intimé a agi de mauvaise foi et a abusé de son pouvoir. La plaignante soutient que l’intimé a exercé son pouvoir discrétionnaire dans une intention illégitime, tel qu’il est décrit dans la décision Tibbs c. Sous‑ministre de la Défense nationale et al.,[2006] TDFP 0008.

16 Le document confirmant l’affectation de la plaignante a été déposé en preuve sur consentement. Dans ce document, il est précisé que l’affectation de la plaignante à New York a débuté en novembre 2006 pour une période de quatre ans. La plaignante soutient qu’il n’est indiqué nulle part dans le document que les Lignes directrices ont été modifiées et qu’elle ne pourrait être promue pendant son affectation.

17 En vue de la présente audience, la représentante de la plaignante a écrit au conseiller des Services ministériels des ressources humaines pour lui demander pourquoi la plaignante n’avait pas été nommée. La réponse, reçue par courriel le 15 octobre 2007, a été produite en preuve sur consentement. Elle se lit comme suit :

Voici la raison pour laquelle les candidates qui ont fait une plainte n’ont pas été nommés (sic) jusqu’à date :

Le poste à pourvoir sont (sic) des postes à Gatineau. Nous avons besoin de titulaires immédiatement pour pouvoir répondre à nos obligations mandataires. Hors (sic), les personnes qui sont à l’étranger le sont en vertue (sic) de la directive sur les services extérieurs qui stipule que sauf pour des raisons de sureté (sic), de santé ou de décès, on ne peut mettre fin à l’entente de détachement à l’étranger, sans quoi, les frais devraient être remboursés.

Nous ne pouvons pas non-plus (sic) nommer des personnes dans des postes supérieurs sans qu’elles n’exercent les fonctions du poste supérieur, ni ne pouvons mettre fin à l’etente (sic) de détachement. Les candidats qui sont à l’étranger ne sont donc pas disponibles pour le moment. Ils n’ont donc pas été considérés. Mais ils le seront dès leur retour et pour les six mois qui suivront leur retour à la RCN.

18 Dans son argumentation, la plaignante soutient que le paragraphe des Lignes directrices modifiées, qui porte sur le bassin créé pour les employés en affectation à l’étranger, n’indique pas qu’un candidat ne peut être nommé pendant qu’il remplit une telle affectation.

19 La représentante de la plaignante souligne que cette dernière n’a signé aucun document l’informant des modifications apportées aux Lignes directrices ou de leurs répercussions. Par conséquent, elle indique que la plaignante a accepté une affectation à New York en toute bonne foi, sans avoir été avisée qu’elle ne pourrait obtenir aucune promotion avant son retour au Canada.

20 La représentante de la plaignante ajoute que cette dernière l’a informée qu’elle ne souhaitait pas mettre fin à son affectation à New York pour être nommée à un poste PM‑05 à Gatineau. Elle ajoute que la plaignante n’aurait pas accepté une affectation à New York si elle avait été au courant des modifications apportées aux Lignes directrices et si elle avait su qu’elle ne pourrait obtenir aucune nomination pendant la durée de son affectation.

21 La plaignante demande que les Lignes directrices modifiées ne s’appliquent pas au processus de nomination en cause. Elle demande également que les 17 nominations effectuées à l’issue de ce processus de nomination soient révoquées car, selon elle, l’intimé ne pouvait appliquer rétroactivement les Lignes directrices modifiées. La plaignante souhaite être nommée pendant son affectation à l’étranger, sans avoir à retourner à Gatineau.

B) Éléments de preuve et argumentation de l’intimé

22 Mme Danica Shimbashi, directrice générale, Ressources humaines, a témoigné en faveur de l’intimé. Elle a déclaré être responsable de la prestation du programme de ressources humaines, lequel comprend notamment les services ministériels, les politiques, le programme de perfectionnement, la dotation, les relations de travail et autres. Mme Shimbashi a expliqué que l’ACDI compte 1 877 employés, dont environ 132 à 138 travaillent à l’étranger. La plupart des postes se trouvent à Gatineau, et environ huit postes se trouvent dans les bureaux régionaux d’un bout à l’autre du Canada.

23 Mme Shimbashi a expliqué que les affectations à l’étranger constituent bel et bien des affectations, et non des nominations, puisqu’il ne s’agit pas de postes classifiés. Elle a ajouté que toutes les affectations à l’étranger s’effectuent au groupe et niveau de titularisation de l’employé. À leur retour, les employés obtiennent un poste correspondant à leur groupe et niveau. De plus, les employés sont libres d’accepter ou non une affectation à l’étranger. Mme Shimbashi a précisé qu’un employé qui accepte une telle affectation doit respecter son engagement pour toute la durée de l’affectation, ce qui varie d’un cas à l’autre.

24 Le témoin a affirmé qu’un employé doit poursuivre son affectation jusqu’à la fin, à moins de demander une réaffectation. La section 15.35, Cessation de service hors du Canada, des Directives sur le service extérieur précise les conditions dans lesquelles une personne peut mettre fin à une affectation à l’étranger plus tôt que prévu : retraite, réaménagement des effectifs, décès du fonctionnaire, démission ou renvoi, ou longues périodes de congé non payé. Il en coûte très cher à l’employé et à l’ACDI de mettre fin à une telle affectation plus tôt que prévu.

25 Chaque année, l’ACDI annonce des possibilités d’affectation à l’étranger. Mme Shimbashi a précisé que le taux de roulement pour les affectations à l’étranger est de 30 à 40 postes par cycle, chaque année.

26 Mme Shimbashi a expliqué qu’en vertu de l’ancienne LEFP, les candidats qualifiés étaient inscrits sur des listes d’admissibilité par ordre de mérite. Lorsqu’il fallait nommer une personne à Gatineau, l’ACDI suivait l’ordre de mérite. Si la première personne sur la liste n’était pas disponible immédiatement pour exercer les fonctions du poste parce qu’elle était alors en affectation à l’étranger, l’ACDI la nommait au niveau le plus élevé même si elle ne remplissait pas les fonctions du poste. L’ACDI communiquait avec les personnes inscrites sur la liste les unes après les autres, accordant une promotion à chacune, jusqu’à ce qu’elle trouve quelqu’un qui était disponible immédiatement pour occuper le poste à Gatineau.

27 Le témoin a indiqué que l’entrée en vigueur de la nouvelle LEFP en décembre 2005 a contraint l’ACDI à revoir ses politiques et ses lignes directrices et à en rédiger de nouvelles sur la gestion des bassins de candidats qualifiés et la zone de sélection.

28 Selon le témoin, l’intimé n’est pas disposé à nommer des candidats à un niveau plus élevé à moins qu’ils ne remplissent les fonctions rattachées à ce niveau. La plaignante occupe un poste PM-04 et n’est pas disponible pour remplir les fonctions d’un poste PM-05 à Gatineau car elle est toujours en affectation à l’étranger.

29 Mme Shimbashi a indiqué que les Lignes directrices ont été rédigées et sont entrées en vigueur le 31 décembre 2005 de façon à répondre aux exigences de la LEFP. Les sections pertinentes liées à la création d’un bassin sont les suivantes :

Un bassin de candidats est composé des candidats qualifiés dans un processus de nomination annoncé. Le gestionnaire responsable est habilité à déterminer le besoin d'établir un bassin et le nombre de candidats qualifiés qui seront inclus dans ce bassin, le cas échéant. […]

Seuls les candidats qui possèdent des qualifications essentielles (p. ex. niveau d'études, connaissances, compétences, qualités personnelles et maîtrise de la langue) pour le travail à exécuter peuvent être intégrés à un bassin en ordre alphabétique et sans aucun classement. […]

La période de validité d'un bassin de candidats est de 12 mois. Par contre, cette période peut être prolongée jusqu'à concurrence de 18 mois, mais cela nécessite l'approbation du Comité principal de révision.

[Traduction]

30 Mme Shimbashi a expliqué qu’en vertu de ces Lignes directrices, une personne était intégrée à un bassin de candidats qualifiés pour une période maximale de 18 mois. D’après elle, ces Lignes directrices pénalisaient les employés dont l’affectation à l’étranger était d’une durée supérieure à la période de validité de 18 mois, car le bassin arrivait à échéance pendant qu’ils se trouvaient encore à l’étranger, ce qui les rendait non admissibles à une nomination à leur retour.

31 Mme Shimbashi a déclaré qu’en mai 2007, l’intimé en est arrivé à la conclusion que les Lignes directrices devaient être révisées puisqu’elles pénalisaient les employés en affectation à l’étranger. L’intimé a modifié les Lignes directrices en juin 2007 afin d’établir un bassin spécialement pour les employés en affectation à l’étranger. Les Lignes directrices modifiées sont entrées en vigueur rétroactivement au 31 décembre 2005. La modification en cause est la suivante :

Bassins établis spécifiquement pour les employés de l'ACDI en affectation à l'étranger :

·  Le bassin de candidats établi pour des employés en affectation à l'étranger n'a pas de période de validité comme tel. Ces employés demeurent cependant admissibles dans le bassin pour la durée d'une affectation unique et pour une période supplémentaire de six mois suivant leur retour d'affectation à l'étranger.

[Traduction]

32 Mme Shimbashi a expliqué que les Lignes directrices modifiées prévoient deux bassins : l’un pour les candidats qualifiés pouvant remplir immédiatement les fonctions d’un poste à Gatineau et l’autre pour les candidats qualifiés en affectation à l’étranger. Elle a ajouté que, si les Lignes directrices n’avaient pas été modifiées, les candidats qualifiés remplissant une affectation à l’étranger jusqu’à une date postérieure à la date de fin de validité du bassin n’auraient jamais eu l’occasion d’être admissibles à une nomination à un groupe et niveau supérieurs, étant donné que le bassin n’aurait plus été valide à leur retour au Canada.

33 Mme Shimbashi a précisé que le président et les cadres supérieurs de l’ACDI ont décidé d’appliquer rétroactivement les Lignes directrices modifiées de façon à ce qu’elles couvrent le processus de nomination en cause, le premier mené en vertu de la LEFP. Ainsi, les candidats qualifiés pourraient profiter des avantages des Lignes directrices modifiées puisqu’ils resteraient dans le bassin pendant une plus longue période.

34 Mme Shimbashi a précisé que 44 candidats, dont la plaignante, ont été jugés qualifiés à l’issue de ce processus de nomination annoncé. De ce nombre, 38 ont été nommés. Six candidats n’ont toujours pas été nommés, quoique la nomination de trois d’entre eux soit en suspens parce qu’ils attendent les résultats de leur évaluation de langue seconde. Trois candidats, dont la plaignante, sont toujours dans le bassin parce que leur affectation à l’étranger n’est pas terminée. Selon Mme Shimbashi, les Lignes directrices modifiées sont profitables aux candidats en affectation à l’étranger puisque le bassin de candidats qualifiés ne se trouvant pas en affectation à l’étranger est arrivé à échéance le 8 septembre 2008. Conformément aux Lignes directrices modifiées, le bassin est toujours valide pour les candidats qui sont encore en affectation à l’étranger ou qui sont rentrés récemment d’une affectation à l’étranger.

35 L’intimé comprend que la plaignante ait pu croire qu’elle obtiendrait une promotion si elle était jugée qualifiée. Il s’agissait de la pratique habituelle en vertu de l’ancienne LEFP. En effet, les candidats étaient alors nommés même s’ils se trouvaient en affectation à l’étranger car ils étaient inscrits sur la liste d’admissibilité par ordre de mérite.

36 L’intimé soutient que, en vertu de la LEFP, les candidats en affectation à l’étranger ne peuvent pas être nommés à un groupe et niveau supérieurs car ils ne rempliraient pas les fonctions rattachées au poste. L’intimé fait référence à la décision Tibbs, dans laquelle le Tribunal a affirmé que le système du mérite relatif en vertu de l’ancienne LEFP n’existait plus et que les gestionnaires jouissaient désormais d’un vaste pouvoir discrétionnaire en vertu du paragraphe 30(2) de la LEFP pour choisir la bonne personne pour le poste.

37 Les Lignes directrices ont été modifiées pour faire en sorte que les candidats en affectation à l’étranger, comme la plaignante, restent dans le bassin pour la durée de leur affectation à l’étranger et pour une période supplémentaire de six mois, ce qui les rendrait admissibles à une nomination à leur retour au Canada.

38 En outre, l’intimé soutient que le fait d’appliquer les Lignes directrices modifiées rétroactivement au 31 décembre 2005 évite des préjudices aux candidats qui ont participé au processus de nomination en cause et qui se trouvent en affectation à l’étranger. Selon l’intimé, il s’agit là d’un élément de preuve irréfutable. En fait, l’intimé soutient que les Lignes directrices modifiées offrent aux candidats en affectation à l’étranger une possibilité de nomination qu’ils n’auraient pas si les Lignes directrices n’avaient pas été modifiées et appliquées rétroactivement.

39 La plaignante demande une promotion à un poste PM‑05 à Gatineau. L’intimé affirme que le Tribunal n’a pas compétence pour nommer la plaignante.

40 L’intimé soutient que la plaignante n’a pas prouvé, selon la prépondérance des probabilités, qu’il avait agi de mauvaise foi ou qu’il avait abusé de son pouvoir.

41 L’intimé demande donc au Tribunal de rejeter la plainte.

C) Argumentation de la Commission de la fonction publique

42 La Commission de la fonction publique (la CFP) n’a pas comparu à l’audience, mais a présenté des arguments écrits portant sur la notion d’abus de pouvoir et sur la façon dont le Tribunal devrait aborder la question.

Analyse

Question en litige : L’intimé a-t-il abusé de son pouvoir lorsqu’il a décidé de ne pas nommer la plaignante après avoir modifié les Lignes directrices et les avoir appliquées rétroactivement au 31 décembre 2005 sans en avoir d’abord informé les candidats?

43 La plainte a été présentée en vertu de l’alinéa 77(1)a) de la LEFP :

77. (1) Lorsque la Commission a fait une proposition de nomination ou une nomination dans le cadre d'un processus de nomination interne, la personne qui est dans la zone de recours visée au paragraphe (2) peut, selon les modalités et dans le délai fixés par règlement du Tribunal, présenter à celui-ci une plainte selon laquelle elle n'a pas été nommée ou fait l'objet d'une proposition de nomination pour l'une ou l'autre des raisons suivantes :

a) abus de pouvoir de la part de la Commission ou de l'administrateur général dans l'exercice de leurs attributions respectives au titre du paragraphe 30(2);

[…]

44 L’article 30 de la LEFP précise ce qui suit :

30.(1) Les nominations — internes ou externes — à la fonction publique faites par la Commission sont fondées sur le mérite et sont indépendantes de toute influence politique.

(2) Une nomination est fondée sur le mérite lorsque les conditions suivantes sont réunies :

a) selon la Commission, la personne à nommer possède les qualifications essentielles — notamment la compétence dans les langues officielles — établies par l’administrateur général pour le travail à accomplir;

b) la Commission prend en compte :

(i) toute qualification supplémentaire que l’administrateur général considère comme un atout pour le travail à accomplir ou pour l’administration, pour le présent ou l’avenir,

(ii) toute exigence opérationnelle actuelle ou future de l’administration précisée par l’administrateur général,

(iii) tout besoin actuel ou futur de l’administration précisé par l’administrateur général.

45 Selon la plaignante, l’intimé a agi de mauvaise foi en modifiant les Lignes directrices et en les appliquant rétroactivement, ce qui a eu pour effet d’assujettir le processus de nomination en cause à ces lignes directrices. La plaignante soutient qu’une telle décision entre dans la première des cinq catégories d’abus de pouvoir établies dans la décision Tibbs, à savoir : « Lorsqu’un délégué exerce son pouvoir discrétionnaire dans une intention illégitime (incluant dans un but non autorisé, de mauvaise foi ou en tenant compte de considérations non pertinentes). »

46 Dans des décisions antérieures telles que Tibbs et Jolin c. Administrateur général de Service Canada et al., [2007] TDFP 0011, le Tribunal a déterminé que le fardeau de la preuve repose sur la partie qui formule une allégation d’abus de pouvoir. Par conséquent, la plaignante doit fournir une preuve convaincante et prouver, selon la prépondérance des probabilités, que l’intimé a abusé de son pouvoir en agissant de mauvaise foi.

47 La preuve démontre que, par suite de l’entrée en vigueur de la nouvelle LEFP en décembre 2005, l’intimé a revu ses politiques et ses lignes directrices et en a rédigé de nouvelles sur la gestion des bassins de candidats qualifiés et la zone de sélection.

48 Les Lignes directrices ont été rédigées en conformité avec l’objet et l’esprit de la LEFP. Toutefois, ce n’est qu’au printemps 2007 que l’intimé s’est rendu compte que les Lignes directrices seraient préjudiciables aux candidats en affectation à l’étranger, car le bassin arriverait à échéance avant leur retour au Canada, ce qui les rendrait non admissibles à une nomination. Afin de remédier à la situation, l’intimé a modifié les Lignes directrices de façon à permettre la création d’un bassin spécialement pour les employés en affectation à l’étranger. Ainsi, les candidats pouvaient rester dans le bassin pour la durée de leur affectation à l’étranger et pour une période supplémentaire de six mois après leur retour au Canada.

49 Après avoir modifié les Lignes directrices en juin 2007, l’intimé les a appliquées rétroactivement au 31 décembre 2005 afin de s’assurer que les employés en affectation à l’étranger et qui avaient participé au processus de nomination en cause pouvaient tirer parti des modifications. Le 22 juin 2007, un communiqué intitulé « Gestion des opportunités promotionnelles pour les employés en affectation à l’étranger » a été affiché sur le site intranet de l’ACDI, Entrenous, afin d’expliquer la raison pour laquelle les Lignes directrices avaient été modifiées. Des liens vers les Lignes directrices modifiées et une série de questions et réponses ont aussi été fournis.

50 Selon la représentante de la plaignante, cette dernière ignorait que les Lignes directrices avaient été modifiées au moment où elle a posé sa candidature pour les postes et elle aurait refusé l’affectation à New York si elle avait su que les Lignes directrices seraient appliquées rétroactivement. La plaignante n’a pas comparu à l’audience. Aucune preuve par affidavit ni preuve documentaire n’ont été déposées auprès du Tribunal relativement à ces faits. L’argumentation de la représentante n’a aucune valeur sans preuve pour l’étayer.

51 Il importe de souligner que la preuve démontre que c’est en mai 2007 que l’intimé s’est rendu compte que les Lignes directrices devaient être modifiées, c’est‑à‑dire près d’un an après que la plaignante a posé sa candidature pour les postes. L’intimé n’aurait donc pas pu prévenir la plaignante des changements apportés aux Lignes directrices.

52 La plaignante conteste l’application rétroactive des Lignes directrices modifiées et soutient qu’il n’y est indiqué nulle part qu’une nomination ne peut être effectuée pendant une affectation. Cela dit, le Tribunal estime que le libellé des Lignes directrices, tant avant qu’après les modifications apportées, n’offrent à l’intimé aucune latitude pour ce qui est de la nomination de candidats pendant une affectation à l’étranger.

53 Le Tribunal conclut que l’intimé a agi de bonne foi lorsqu’il a modifié les Lignes directrices en juin 2007 afin d’y inclure des dispositions spécialement pour les employés en affectation à l’étranger. Les modifications ont pour but de protéger les candidats en affectation à l’étranger de façon à ce qu’ils aient la possibilité d’obtenir une nomination à leur retour.

54 En outre, le Tribunal estime que l’intimé a agi de bonne foi et n’a pas abusé de son pouvoir lorsqu’il a appliqué les Lignes directrices modifiées rétroactivement au 31 décembre 2005. Si l’intimé n’avait pas pris cette décision, le bassin de candidats qualifiés qui avait été créé pour le processus de nomination en cause serait arrivé à échéance avant le retour au Canada de certains candidats, dont la plaignante.

Décision

55 Pour tous ces motifs, la plainte est rejetée.

56 Comme la plainte n’est pas fondée, le Tribunal n’a pas à aborder la question des mesures correctives.

Francine Cabana

Membre

Parties au dossier

Dossier du Tribunal:
2007-0316
Intitulé de la cause:
Ysabel Blanco c. le Président de l'Agence canadienne de dévelopement international et al.
Audience:
Le 22 septembre 2008
Ottawa, ON
Date des motifs:
Le 17 février 2009

Comparutions:

Pour le plaignant:
Andrée Lemire
Pour l'intimé:
Marie-Josée Bertrand
 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.