Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le fonctionnaire s’estimant lésé a été embauché à l’extérieur de la fonction publique - en se fondant sur ses études et sur son expérience, l’employeur lui a offert un salaire se situant au milieu de l’échelle salariale - la nouvelle convention collective prévoyait des augmentations salariales rétroactives, ainsi que l’ajout d’un nouvel échelon au maximum de l’échelle salariale et la suppression de l’ancien premier échelon, avec un effet rétroactif précédant la date d’embauche du fonctionnaire s’estimant lésé - lorsque la restructuration salariale a été mise en œuvre, l’employeur a appliqué les dispositions de la convention collective, y compris la <<règle du calcul d’application directe>> - par conséquent, sa position est demeurée la même dans l’échelle salariale - le fonctionnaire s’estimant lésé estimait que son salaire était d’un échelon trop bas puisqu’il s’était retrouvé au quatrième au lieu du cinquième échelon d’une échelle salariale de neuf échelons - la lettre d’offre du fonctionnaire s’estimant lésé était claire et ne prévoyait aucune condition de modification ni mention de modifications éventuelles de la convention collective - il n’y a eu aucune déclaration orale assimilable à une promesse claire et précise - la doctrine de préclusion ne s’appliquait pas. Grief rejeté.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2009-08-12
  • Dossier:  566-02-450
  • Référence:  2009 CRTFP 97

Devant un arbitre de grief


ENTRE

JAMIE MATEAR

fonctionnaire s'estimant lésé

et

CONSEIL DU TRÉSOR
(ministère des Affaires indiennes et du Nord)

employeur

Répertorié
Matear c. Conseil du Trésor (ministère des Affaires indiennes et du Nord)

Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l’arbitrage

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Dan Butler, arbitre de grief

Pour le fonctionnaire s'estimant lésé:
Dan Rafferty, Institut professionnel de la fonction publique du Canada

Pour l'employeur:
Isabel Blanchard, avocate

Affaire entendue à Toronto (Ontario),
le 16 juin 2009.
(Traduction de la CRTFP)

I. Grief individuel renvoyé à l’arbitrage

1 Jamie Matear, le fonctionnaire s’estimant lésé (le « fonctionnaire »), a été embauché en 2003 de l’extérieur de la fonction publique par Industrie Canada, comme CO-02 dans la section de l’entreprise autochtone (ABC) de Toronto, qui a été intégrée dans le ministère des Affaires indiennes et du Nord du Canada (AINC) en décembre 2006.

2 Quand l’échelle de rémunération des CO-02 a été restructurée rétroactivement par une décision arbitrale 18 mois après son embauche, le fonctionnaire s’attendait à ce que son employeur respecte la promesse qu’il lui aurait faite avant de l’embaucher de le rémunérer au milieu de cette échelle. Lorsque l’employeur a appliqué les règles de restructuration de la convention collective avec un autre résultat, le fonctionnaire a tenté sans succès de le convaincre de s’en tenir à cette promesse.

3 Je dois me prononcer sur l’argument du fonctionnaire voulant que l’employeur soit tenu par la doctrine de préclusion de ne pas appliquer rigoureusement les règles de restructuration de la convention collective, mais plutôt de rajuster son traitement de départ en fonction de la promesse qu’il lui aurait faite au moment où le fonctionnaire avait accepté l’offre d’emploi de le payer au taux médian de l’échelle de rémunération des CO-02.

4 Le 30 mars 2006, le fonctionnaire a déposé un grief qui se lit comme suit :

[Traduction]

[…]

(Détails du grief)

Je présente un grief par suite du refus de l’employeur de continuer d’honorer l’entente que nous avions conclue à l’époque de l’embauchage et selon laquelle je serais rémunéré au taux de l’échelon du milieu de l’échelle salariale des CO-02. À mon détriment, je me suis fié à cette entente et cette promesse de mon employeur. Ce dernier est préclus de résilier l’entente en question.

Je demande à pouvoir être entendu à chaque palier de la procédure de règlement des griefs.

(Mesure corrective demandée)

Je demande que mon salaire soit rétroactivement fixé au taux de l’échelon du milieu de l’échelle salariale restructurée des CO-02, conformément à l’entente mentionnée plus haut. Je demande un paiement immédiat pour toute perte salariale à cet égard, avec intérêts.

[…]

5 Après la réponse au dernier palier d’Industrie Canada — le 23 juin 2006 —, rejetant son grief, le fonctionnaire l’a renvoyé à l’arbitrage devant la Commission des relations de travail dans la fonction publique, avec l’appui de son agent négociateur, l’Institut professionnel de la fonction publique du Canada (l’« agent négociateur »). Dans son avis de renvoi à l’arbitrage, il a cité l’article 45 (Administration de la paye) et l’Appendice « A » (Taux de rémunération annuels) en tant que dispositions litigieuses de la convention collective conclue entre le Conseil du Trésor (l’« employeur ») et l’agent négociateur à l’égard du groupe Vérification, commerce et achat (AV), expirée le 21 juin 2007 (la « convention collective ») (pièce G-1).

6 Dans Matear c. Conseil du Trésor (ministère de l’Industrie), 2008 CRTFP 11, j’ai rejeté l’objection de l’employeur alléguant qu’un arbitre de grief n’a pas compétence en vertu de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22 (la « Loi ») pour entendre ce grief. Sur la foi des arguments écrits des parties, j’avais conclu à l’existence d’un rapport prima facie entre l’esprit du grief et une disposition de la convention collective applicable, de sorte que le grief était lié à l’interprétation ou à l’application d’une disposition de la convention collective, au sens de l’alinéa 209(1)a) de la Loi.

7 J’ai ordonné la tenue d’une audience pour entendre le grief au fond, sauf si les parties m’informaient qu’elles souhaitaient procéder en soumettant des arguments écrits, ce qu’elles n’ont pas fait.

II. Résumé de la preuve

8 À l’été 2003, le fonctionnaire avait appris d’un ami travaillant à la section ABC de Toronto qu’Industrie Canada avait lancé un concours national pour doter des postes d’agents de perfectionnement CO-02 dans plusieurs localités du pays, dont Toronto. Il s’était présenté à un examen pour se qualifier, après quoi on l’avait convoqué à une entrevue de sélection. Il a déclaré avoir été informé à l’époque par son ami que le poste était syndiqué et que la convention collective avait expiré.

9 Le fonctionnaire a franchi toutes les étapes de la procédure de sélection avec succès avant de recevoir une lettre d’offre datée du 21 novembre 2003 (pièce G-3) dans laquelle figurait l’échelle de rémunération des CO-02 (de 53 865 $ à 76 311 $); on lui proposait un traitement de 65 086 $ à sa nomination. Il a témoigné avoir été déçu de cette offre salariale, parce qu’il estimait que ses études et son expérience professionnelle justifiaient un traitement plus élevé.

10 Il a raconté avoir pris rendez-vous avec Peter Jones, un membre du comité de sélection qui devait être son gestionnaire, pour le rencontrer afin de lui parler de ses réserves quant à l’offre salariale. M. Jones lui a expliqué que le traitement qu’on lui avait offert au milieu de l’échelle des CO-02 était basé sur une comparaison de ses études et de son expérience avec celles d’une douzaine d’autres agents de perfectionnement embauchés par l’employeur. Le fonctionnaire avait demandé à M. Jones s’il allait reparler de son offre de traitement avec ses supérieurs. M. Jones avait accepté de le faire et s’était servi d’un document que le fonctionnaire lui avait remis dans ses discussions ultérieures avec eux.

11 Quand le fonctionnaire a fait un suivi avec M. Jones, le 3 ou le 4 décembre 2003, il a été déçu d’apprendre que le Ministère s’en tenait à son offre salariale initiale. Il a néanmoins décidé d’accepter le poste, compte tenu qu’une nouvelle convention collective allait vraisemblablement entraîner une [traduction] « certaine augmentation » de son traitement. Il a signé la lettre d’offre et s’est présenté au travail. Il a informé son autre employeur potentiel — une firme torontoise de recherche en investissements — qu’il avait décidé d’accepter un poste à Industrie Canada.

12 Le fonctionnaire a déclaré que l’expression que M. Jones avait toujours employée pour décrire l’offre salariale qu’on lui avait faite était qu’elle se situait [traduction] « au milieu de l’échelle salariale ». M. Jones avait aussi dit qu’à son avis, le fonctionnaire atteindrait le maximum de l’échelle de rémunération en moins de cinq ans.

13 Le fonctionnaire a été informé des détails de la décision arbitrale de juin 2005 concernant le groupe AV dans une lettre distribuée au personnel. En plus des augmentations de traitement annuelles rétroactives, la décision ajoutait un nouvel échelon au maximum de l’échelle des CO-02 et en supprimait l’échelon le plus bas, dans les deux cas à compter du 22 juin 2003, soit avant la date d’embauche du fonctionnaire. L’échelle de rémunération des CO-02 comprenait donc neuf échelons tant avant qu’après la restructuration.

14 Initialement, le fonctionnaire a été heureux de ces nouvelles, mais après la restructuration de l’échelle de rémunération, il a constaté que sa position au cinquième échelon dans l’ancienne échelle, avait régressé au quatrième échelon de la nouvelle échelle de rémunération des CO-02, alors qu’il estimait qu’il aurait dû être au cinquième échelon, celui du milieu de la nouvelle échelle. Ses tentatives répétées pour convaincre l’employeur de corriger la situation ont toutes échoué. Comme Rosemary Maggio, une conseillère en ressources humaines d’Industrie Canada le lui a confirmé dans une lettre datée du 27 mars 2006, son traitement était conforme à ce que précisait la Note 1 sur la rémunération de la nouvelle convention collective (pièce E-4).

15 Le fonctionnaire a répété qu’il avait compris lorsqu’on l’avait embauché que M. Jones avait comparé ses études et son expérience à celles des autres candidats et qu’il s’était engagé à le payer au milieu de l’échelle salariale. Il était convaincu que son point de départ serait toujours le milieu de l’échelle.

16 Le fonctionnaire a quitté la fonction publique le 31 octobre 2008. Il estimait que ses pertes découlant du manquement de l’employeur à sa promesse s’élevaient alors à juste un peu plus de 16 000 $.

17 En contre-interrogatoire, le fonctionnaire a déclaré qu’il n’avait pas parlé du montant exact (65 086 $) de son traitement avec M. Jones. Il a reconfirmé que celui-ci lui avait expliqué que l’offre salariale se situait au milieu de l’échelle des CO-02 en raison d’une comparaison de ses études et de son expérience avec celles des autres employés. Il a reconnu qu’ils n’avaient pas parlé de la convention collective en négociation et qu’il n’était pas conscient à l’époque d’une possibilité de restructuration de l’échelle de rémunération.

18 Quand on lui a demandé expressément si M. Jones lui avait promis qu’il resterait au cinquième échelon de l’échelle de rémunération dans l’éventualité d’une restructuration, le fonctionnaire a répondu que leur discussion n’était pas entrée dans tous ces détails.

19 Le fonctionnaire a confirmé avoir touché des augmentations annuelles d’échelon et bénéficié de révisions de sa rémunération au cours de son emploi au Ministère, et qu’il a quitté en 2008 à un échelon de rémunération supérieur au milieu de l’échelle des CO-02.

20 M. Jones a été le premier témoin de l’employeur. Il a décrit la procédure de sélection qui a mené à l’offre d’emploi au fonctionnaire. Il a déclaré que les autres membres du comité de sélection et lui-même avaient convoqué six ou sept candidats à des entrevues pour des postes d’agents de perfectionnement dans la région de l’Ontario et qu’ils avaient fini par en choisir trois, deux de l’extérieur de la fonction publique et un candidat interne. Le traitement de départ offert au candidat interne avait été déterminé conformément aux lignes directrices de l’employeur normalement applicables à la rémunération en cas de promotion interne. L’employeur avait comparé les études et l’expérience des deux candidats recrutés de l’extérieur aux qualifications des autres agents de perfectionnement CO-02 et avait conclu que le traitement moyen des employés ayant des qualifications comparables était de 63 000 $ à 65 000 $. Même si la politique de l’employeur recommandait que les candidats de l’extérieur soient nommés au minimum de l’échelle de rémunération, M. Jones reconnaissait qu’il fallait être conséquent, et c’est pourquoi il avait recommandé une offre salariale de 65 086 $, soit l’échelon de l’échelle de rémunération des CO-02 le plus proche de cette fourchette de 63 000 $ à 65 000 $. L’employeur a donc offert un poste avec ce traitement au fonctionnaire.

21 M. Jones s’est rappelé que le fonctionnaire avait pris rendez-vous avec lui pour lui demander de majorer son offre salariale. Il a demandé au fonctionnaire de lui envoyer par courriel sa justification d’un traitement initial plus élevé. Après avoir examiné ce document, M. Jones en a parlé avec son directeur ainsi qu’avec le coordonnateur des ressources humaines, qui avaient tous deux confirmé sa conclusion : l’information avancée par le fonctionnaire ne justifiait pas une offre salariale plus élevée.

22 M. Jones a témoigné qu’il n’avait pas parlé avec le fonctionnaire de la façon de l’employeur de déterminer précisément son offre salariale avant de lui envoyer l’offre d’emploi. Il s’est rappelé lui avoir dit qu’il toucherait un traitement qui se situerait autour du milieu de l’échelle salariale des CO-02, quand on lui avait demandé ce que l’offre signifierait. À ce moment-là, M. Jones ne savait pas que la convention collective avait expiré.

23 M. Jones a nié avoir promis au fonctionnaire qu’il resterait toujours au milieu de l’échelle de rémunération des CO-02. Il a déclaré qu’il n’aurait pas fait cette promesse, parce qu’il n’aurait pas pu savoir ce qui arriverait avec la convention collective.

24 M. Jones a confirmé la validité de la version de la position de l’employeur exprimée par Mme Maggio le 27 mars 2006 ainsi que ce qui s’était passé quant à l’offre salariale au fonctionnaire (pièce E-4).

25 En contre-interrogatoire, M. Jones a témoigné avoir expliqué au fonctionnaire pourquoi il jugeait qu’un traitement de 63 000 $ à 65 000 $ était approprié lorsque le fonctionnaire avait communiqué avec lui à ce sujet. Il avait dit au fonctionnaire qu’il avait comparé son cas avec celui d’autres employés et qu’il avait conclu que son traitement devrait se situer vers le milieu de l’échelle des CO-02. Comme il n’y avait pas d’échelon autour de 63 000 $ dans la convention collective, il avait dû recommander 65 086 $, l’échelon le plus proche. Il s’est rappelé avoir dit dans sa conversation avec le fonctionnaire que cela [traduction] « […] [allait le] faire débuter vers le milieu de l’échelle ».

26 Toujours en contre-interrogatoire, le fonctionnaire a insisté, en demandant à M. Jones, s’il pensait vraiment que 66 713 $ — l’échelon dans l’échelle de rémunération restructurée des CO-02 figurant immédiatement au-dessous de 65 086 $ dans l’échelle antérieure — était au milieu de l’échelle. M. Jones a répondu que 66 713 $ semblait près du milieu de l’échelle. Quand le fonctionnaire lui a fait remarquer que le milieu de la nouvelle échelle était plutôt 69 591 $, M. Jones a reconnu que 69 591 $ était à peu près au milieu.

27 Deux autres témoins d’Industrie Canada ont comparu pour l’employeur : Lisa Lovis, gestionnaire de la Rémunération et des avantages de la région de l’Ontario, et Mme Maggio, conseillère principale aux Ressources humaines.

28 Mme Lovis a décrit l’application de la restructuration de l’échelle de rémunération en expliquant la Note 1 sur la rémunération de la convention collective (pièce G-1). Les employés rémunérés aux échelons 2 à 8 de l’ancienne échelle des CO-02 ont été automatiquement rémunérés au taux figurant juste au-dessous de leur ancien taux. Cette règle s’appliquait également aux employés rémunérés au neuvième échelon (l’échelon maximum de l’ancienne échelle, à moins qu’ils n’aient touché ce taux pour au moins 12 mois, auquel cas ils passaient au nouvel échelon ajouté. Le premier échelon de l’ancienne convention collective avait été supprimé. Les employés continuaient à toucher des augmentations annuelles d’échelon jusqu’à ce qu’ils atteignent l’échelon le plus élevé de l’échelle.

29 Mme Maggio a confirmé avoir expliqué la position du Ministère dans sa lettre au fonctionnaire datée du 27 mars 2006 (pièce E-4).

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour le fonctionnaire s’estimant lésé

30 Selon le fonctionnaire, je dois décider si l’employeur pourrait ne pas s’en tenir à ce qu’il lui avait dit au moment de l’embaucher, à savoir que son traitement serait [traduction] « au milieu » de l’échelle de rémunération des CO-02, ou si la doctrine de préclusion fondée sur une promesse l’oblige à respecter cette promesse dans le contexte de l’échelle de rémunération restructurée qui a résulté de la décision arbitrale.

31 Le fonctionnaire a cité les définitions suivantes de la préclusion tirées de deux affaires britanniques toutes deux tranchées par Lord Denning. En 1951, quand il était juge d’appel, Lord Denning a écrit le jugement jurisprudentiel suivant dans Combe v. Combe, [1951] 1 All E.R. 767 :

[Traduction]

[…]

Selon ce principe, tel que je le comprends, si une partie, explicitement ou implicitement, fait une promesse à l’autre ou lui donne une garantie censée avoir une incidence sur leurs rapports juridiques et l’amener à agir en conséquence alors, une fois que celle-ci l’a prise au mot et qu’elle a effectivement agi en conséquence, la partie qui a fait la promesse ou donné la garantie ne peut plus revenir aux rapports juridiques antérieurs et faire comme si la promesse ou la garantie n’avait jamais existé. Elle doit accepter ces rapports sous réserve des conditions qu’elle a elle-même posées, même si elles n’ont aucun fondement en droit et qu’elles reposent seulement sur ses paroles.

[…]

En 1981, en qualité de président de la cour d’appel, il a écrit ce qui suit dans Amalgamated Investment & Property Co. Ltd. v. Texas Commerce Int’l Bank Ltd., [1981] 3 All E.R. 577 :

[Traduction]

La doctrine de préclusion est une des plus souples et des plus utiles dans l’arsenal du droit […] En même temps, on a cherché à la limiter par une série de maximes : la préclusion n’est qu’une règle de preuve; la préclusion ne peut donner lieu à une cause d’action; la préclusion n’empêche pas qu’on doive examiner les faits, et ainsi de suite. Aujourd’hui, toutes ces considérations ont été fusionnées en un principe général dépouillé de limitations. Quand les parties à une transaction se fondent sur une hypothèse sous-jacente (qu’elle repose sur des faits ou sur un point de droit ou qu’elle découle d’une allégation inexacte ou erronée n’a aucune importance) qui a été déterminante pour leurs relations, ni l’une ni l’autre ne peut revenir sur cette hypothèse quand il serait déloyal ou injuste de lui permettre de le faire. Si l’une d’entre elles cherche à revenir sur cette hypothèse, les tribunaux accordent à l’autre le redressement que l’équité de l’affaire exige.

[…]

32 Le fonctionnaire a rappelé les éléments fondamentaux de la préclusion décrits par Brown et Beatty dans Canadian Labour Arbitration, 4e édition, 2:2211, de la façon suivante :

[Traduction]

  1. des paroles ou des actes clairs et sans équivoque
  2. visant à amener la partie à laquelle ils s’adressaient à compter dessus
  3. certaine confiance sous la forme d’une quelconque action ou en se gardant d’agir
  4. un préjudice en résultant

33 Selon le fonctionnaire, les faits démontrent que la doctrine de préclusion s’applique bel et bien en l’espèce. Par conséquent, l’employeur se devait de garder son traitement initial au milieu de l’échelle de rémunération restructurée des CO-02, autrement dit au cinquième des neuf échelons de la nouvelle échelle de rémunération entrée en vigueur le 22 juin 2003 (67 894 $, soit 69 591 $ après l’ajout de l’augmentation annuelle de 2,5 p. 100), plutôt qu’au quatrième des neuf échelons de la nouvelle échelle (65 086 $, soit 66 713 $ après l’augmentation annuelle). Dans la nouvelle échelle de rémunération restructurée, seul le nouveau cinquième échelon correspondait à l’objectif de lui verser une rémunération [traduction] « vers le milieu » ou [traduction] « au milieu » de l’échelle de rémunération. Le nouvel échelon auquel le fonctionnaire s’est retrouvé par suite de l’application de la Note 1 sur la rémunération de la convention collective se situait au contraire à 14 380 $ du maximum et à 8 623 $ du minimum de l’échelle de rémunération, ce qui est loin d’être « vers le milieu » et certainement pas « au milieu » de cette échelle.

1. Paroles et actes clairs et sans équivoque

34 Le fonctionnaire a déclaré que M. Jones lui avait tenu des propos clairs et sans équivoque. Il lui avait confirmé que le Ministère avait décidé que son traitement se situerait [traduction] « vers le milieu » de l’échelle de rémunération des CO-02, d’après son témoignage, ou [traduction] « au milieu » de cette échelle, d’après le témoignage du fonctionnaire — c’était la raison pour laquelle il lui avait offert 65 086 $. Il y avait donc eu à la fois des paroles, avec l’explication qui avait été donnée au fonctionnaire, et des actions, puisque l’employeur l’avait payé au cinquième des neuf échelons de l’ancienne échelle de rémunération des CO-02.

2. Visant à compter dessus

35 M. Jones voulait que le fonctionnaire se fie à ce qu’il lui disait. Il devait savoir que le fonctionnaire était en train de décider s’il devait accepter l’offre d’emploi d’Industrie Canada. Comme le fonctionnaire tentait de le convaincre qu’il devrait toucher un traitement supérieur à 65 086 $, M. Jones ne lui avait certainement pas parlé à la légère en lui promettant un traitement au milieu de l’échelle des CO-02.

3. Confiance

36 Le fonctionnaire s’est fié à l’explication de M. Jones, qui lui disait que ses études et son expérience justifiaient un traitement au milieu de l’échelle de rémunération. Il s’est fié à sa promesse qu’on le paierait au milieu de cette échelle, a cessé de tenter de négocier un plus gros traitement et a mis fin à ses discussions avec son autre employeur potentiel. Il s’est aussi fié au fait que les propos de M. Jones s’appliqueraient à la nouvelle convention collective une fois qu’elle serait conclue.

4. Préjudice

37 À cause de l’application de la Note 1 sur la rémunération de la convention collective, le fonctionnaire s’est retrouvé au quatrième échelon de l’échelle de rémunération des CO-02 rétroactivement à sa date d’embauche, ce qui lui a fait perdre le traitement qu’on lui avait promis « au milieu » de l’échelle.

38 Le fonctionnaire a donc déclaré que tous les éléments nécessaires étaient réunis pour que la doctrine de préclusion s’applique.

39 Le fonctionnaire reconnaît que l’application par l’employeur de la règle du taux « juste en-dessous » du taux dans l’ancienne structure de rémunération conformément à la Note 1 sur la rémunération de la convention collective serait correcte dans des circonstances ordinaires. Tous les employés seraient normalement visés par cette Note. La seule exception est une situation comme celle-ci, faisant que la doctrine de préclusion s’applique. Le fonctionnaire avait accepté une offre d’emploi avec un traitement de 65 086 $ en décembre 2003. Ce traitement était à toutes fins utiles l’équivalent de celui qui allait lui être substitué rétroactivement par la décision arbitrale. Une fois que les nouveaux taux de traitement ont été établis, ils étaient les seuls traitements valides pour les membres de l’unité de négociation. Pour appliquer correctement sa décision de payer le fonctionnaire au milieu de l’échelle de rémunération, l’employeur devait s’assurer que son nouveau taux correspondait au même échelon dans la nouvelle échelle qu’à celui auquel il se situait dans l’échelle de l’ancienne convention collective. La raison d’être de la doctrine de préclusion dans une affaire comme celle-là consiste à rendre possible une exception à l’application stricte d’une disposition de la convention collective qui viderait de son sens la promesse ou l’engagement de l’employeur au fonctionnaire. La doctrine de préclusion permet à l’employeur de ne pas appliquer la Note 1 sur la rémunération dans le cas exclusif du fonctionnaire.

40 Le fonctionnaire m’a renvoyé à plusieurs décisions illustrant l’application de la doctrine de préclusion en affirmant qu’elles étaient pertinentes en l’espèce : Vancouver v. Canadian Union of Public Employees, Local 15, [2000] B.C.C.A.A.A. No. 148 (QL); Grey Bruce Regional Health Centre v. O.P.S.E.U., Local 235 (1993), 35 L.A.C. (4e) 136; Toronto (City) v. C.U.P.E., Local 79 (2002), 110 L.A.C. (4e) 1; Pacific Press Ltd. v. Vancouver - New Westminster Newspaper Guild, Local 115 (1987), 31 L.A.C. (3e) 411; Molbak c. Conseil du Trésor (Revenu Canada, Impôt), dossier de la CRTFP 166-02-26472 (19950928).

B. Pour l’employeur

41 L’employeur a déclaré que la question à trancher est simple : le fonctionnaire a-t-il démontré que la doctrine de préclusion fondée sur une promesse s’applique dans les circonstances?

42 D’après l’employeur, la charge de prouver que la doctrine de préclusion est applicable incombe au fonctionnaire : Ellement c. Conseil du Trésor (Travaux publics et Services gouvernementaux Canada), dossier de la CRTFP 166-02-27688 (19970611), paragr. 35.

43 La Cour suprême du Canada a établi la doctrine de préclusion dans Maracle c. Travellers Indemnity Co. of Canada, [1991] 2 R.C.S. 50, à la page 57 :

13. Les principes de l’irrecevabilité fondée sur une promesse sont bien établis. Il incombe à la partie qui invoque cette exception d’établir que l’autre partie a, par ses paroles ou sa conduite, fait une promesse ou donné une assurance destinées à modifier leurs rapports juridiques et à inciter à l’accomplissement de certains actes. De plus, le destinataire des déclarations doit prouver que, sur la foi de celles-ci, il a pris une mesure quelconque ou a de quelque manière changé sa position. Dans l’arrêt John Burrows Ltd. v. Subsurface Surveys Ltd., [1968] R.C.S. 607, le juge Ritchie dit, à la p. 615 :

[Traduction]

Il me semble évident que ce genre de défense d’equity ne peut être invoquée en l’absence d’une preuve qu’une des parties a mené des négociations qui ont eu pour effet d’amener l’autre à croire que les obligations strictes prévues au contrat ne seraient pas exécutées, et je crois que cela suppose qu’il doit y avoir une preuve qui permet de conclure que la première partie a voulu que les rapports juridiques établis par le contrat soient modifiés en conséquence des négociations.

Ce passage a été cité et approuvé par le juge McIntyre dans l’arrêt Engineered Homes Ltd. c. Mason, [1983] 1 R.C.S. 641, à la p. 647. Le juge McIntyre y affirme que la promesse doit être non équivoque, mais qu’elle peut s’inférer des circonstances.

Voir aussi Brown et Beatty, tel que cité par le fonctionnaire.

44 L’employeur a affirmé que le fonctionnaire doit prouver qu’on lui a fait une promesse claire et non équivoque et qu’il s’y est fié à son détriment. S’il n’arrive pas à prouver l’un ou l’autre de ces éléments, la doctrine de préclusion fondée sur une promesse ne s’applique pas : Long c. Canada (Conseil du Trésor), [1990] 1 C.F. 3 (pas de promesse) et Ménard c. Canada, [1992] 3 C.F. 521(C.A.) (aucun préjudice).

45 M. Jones a expliqué qu’il avait déterminé quel traitement offrir aux deux personnes embauchées de l’extérieur de la fonction publique dans des postes d’agents de perfectionnement CO-02 de sa région en se fondant sur leur expérience et sur leurs études. Il avait vérifié le traitement des autres employés et conclu qu’une offre salariale de 63 000 $ à 65 000 $ serait appropriée. En consultant la convention collective, il avait constaté que le seul échelon de rémunération dans cette fourchette était 65 086 $. Il a fait son offre au fonctionnaire sur cette base.

46 L’employeur a souligné que le fonctionnaire avait confirmé dans son témoignage que M. Jones lui avait dit que l’offre salariale résultait d’une comparaison avec le traitement d’autres employés et qu’elle allait le situer au milieu de l’échelle. Le fonctionnaire a aussi confirmé qu’ils n’avaient pas parlé d’une nouvelle convention collective et que ni lui, ni M. Jones ne savaient que la nouvelle convention allait changer les échelons de l’échelle de rémunération. Le fonctionnaire a reconnu que M. Jones ne lui avait jamais promis qu’il allait rester au milieu de l’échelle.

47 L’employeur a insisté sur le fait que M. Jones avait déclaré dans son témoignage qu’il avait dit que le fonctionnaire se situerait « vers le milieu de l’échelle salariale » en réponse à une question que celui-ci lui avait posée pour savoir où l’offre salariale le situerait dans l’échelle.

48 Ces témoignages prouvent qu’il n’y avait pas eu de promesse claire et non équivoque que le traitement du fonctionnaire resterait au milieu de l’échelle de rémunération des CO-02. La conversation entre lui et M. Jones portait seulement sur la lettre d’offre et sur le traitement de 65 086 $ qu’on lui offrait. La lettre elle-même était claire (pièce G-3). L’employeur offrait un traitement précis et non une fourchette salariale, un échelon ou un niveau dans une échelle de rémunération.

49 L’employeur a aussi déclaré que rien ne prouve que le fonctionnaire se soit fié à cette prétendue promesse à son détriment. Même s’il briguait un poste chez un autre employeur au moment où il a été embauché, le fait demeure que le fonctionnaire a accepté une lettre d’offre claire et qu’il a communiqué avec son autre employeur potentiel pour lui déclarer que cette possibilité d’emploi ne l’intéressait plus. Après être entré au service du Ministère, il a continué à toucher des augmentations annuelles d’échelon et des augmentations économiques en vertu de la convention collective. Il a quitté la fonction publique en 2008 avec un traitement supérieur à celui du milieu de l’échelle.

50 Comme il n’y avait pas eu de promesse claire et non équivoque et qu’il n’y a pas eu non plus de préjudice, le grief devrait être rejeté.

51 Dans son argumentation, l’employeur m’a renvoyé aux décisions suivantes : Hicks c. Conseil du Trésor (Développement des ressources humaines Canada), dossier de la CRTFP 166-02-27345 (19970425); Bolton c. Conseil du Trésor (Affaires indiennes et du Nord Canada), 2003 CRTFP 39; Jefferies et al. c. Agence canadienne d’inspection des aliments, 2003 CRTFP 55.

C. Réfutation du fonctionnaire s’estimant lésé

52 Le fonctionnaire a déclaré qu’il n’y a pas une grande différence entre son témoignage que M. Jones lui avait promis un traitement « au milieu » de l’échelle de rémunération et le témoignage de M. Jones voulant qu’il ait parlé d’un traitement « vers le milieu » de cette échelle.

53 Toute la jurisprudence reconnaît que l’application de la doctrine de préclusion dépend des faits dans chaque cas. Or, les faits étaient différents dans chacune des décisions citées par l’employeur. Par exemple, la situation dans Hicks peut ressembler à celle en l’espèce à certains égards, mais les faits sont différents. M. Hicks travaillait déjà dans la fonction publique quand il avait accepté une promotion, ce qui n’était pas le cas du fonctionnaire. Ce sont les faits dans la situation que l’arbitre de grief avait analysée dans Hicks qui l’avaient amené à conclure que l’intéressé ne s’était pas fié à ce qu’on lui disait à son détriment. Par conséquent, sa conclusion ne s’applique pas ni aux faits dans le cas du fonctionnaire, ni à sa situation.

54 Le fonctionnaire a conclu qu’il s’en tenait à la preuve qu’il a produite et à ses arguments.

IV. Motifs

55 Si la Note 1 sur la rémunération de la convention collective s’appliquait à la lettre, le fonctionnaire reconnaîtrait que l’employeur avait correctement calculé son traitement dans l’échelle de rémunération restructurée des CO-02. Toutefois, il estime que cette Note sur la rémunération était inapplicable parce que l’employeur lui avait fait avant de l’embaucher une promesse l’obligeant à ne pas se conformer à la lettre à la convention collective.

56 La Note 1 sur la rémunération de l’Appendice « A » de la convention collective se lit comme suit :

1. L’employé […] est rémunéré à la date d’entrée en vigueur applicable de rajustements des taux de rémunération, selon l’échelle des nouveaux taux figurant juste au-dessous de son ancien taux, sauf que l’employé qui, durant la période d’effet rétroactif, a été rémunéré, à sa première (1re) nomination, à un taux de rémunération supérieur au minimum ou, après une promotion ou une mutation, à un taux de rémunération supérieur aux taux précisés par les règlements sur les promotions ou les mutations, est rémunéré selon la nouvelle échelle de taux au taux de rémunération immédiatement supérieur à celui auquel il a été nommé et, à la discrétion de l’administrateur général, peut être rémunéré à n’importe quel taux jusque et y compris le taux figurant juste au-dessous de celui qu’il touchait.

[…]

57 Conformément à la règle de passage au taux figurant juste au-dessous de son ancien taux exprimée dans la Note 1 sur la rémunération de la convention collective et appliquée par l’employeur dans le cas du fonctionnaire, l’employé touchant un taux de 65 086 $ comme CO-02 dans la ligne « De » de l’Appendice « A » avait droit à la restructuration à 65 086 $ dans la ligne « X » (aux taux de la restructuration), le taux figurant juste au-dessous de son ancien taux, puis à 66 713 $ dans la ligne « A » (après l’application de l’augmentation économique de 2,5 p. 100), là encore au taux figurant juste au-dessous de ce taux-là. Les taux figurant dans la ligne « X » et dans la ligne « A » étaient rétroactifs au 22 juin 2003. L’application de la Note 1 sur la rémunération signifiait ce qui suit dans le cas du fonctionnaire :

De :    53865  56673  59477  62286  65086  67894  70694  73507  76311

X :                56673  59477  62286  65086  67894  70694  73507  76311  79115

A :               58090  60964  63843  66713  69591  72461  75345  78219  81093

[Je souligne]

58 Comme on peut le voir, 65 086 $ était le cinquième des neuf échelons de la ligne « De » et le quatrième des neufs échelons des lignes « X » et « A ». Le fonctionnaire prétend que son recul du cinquième au quatrième échelon de l’échelle violait la promesse que M. Jones lui avait faite. Je souligne que les parties ne semblent pas contester que la règle voulant qu’on passe au taux figurant juste au-dessous de l’ancien taux s’applique bel et bien au passage de la ligne « X » à la ligne « A ». Le conflit porte seulement sur la détermination du taux de rémunération du fonctionnaire dans la ligne « X » en fonction de son traitement de 65 086 $ à sa nomination, dans la ligne « De ».

59 Le fonctionnaire maintient que l’employeur aurait dû respecter la promesse qu’il lui avait faite avant de l’embaucher en lui accordant un traitement de 67 894 $, soit le nouveau taux médian (le cinquième échelon) dans la ligne « X » :

De :    53865  56673  59477  62286  65086  67894  70694  73507  76311

X :                56673  59477  62286  65086  67894  70694  73507  76311  79115

A :               58090  60964  63843  66713  69591  72461  75345  78219  81093

[Je souligne]

60 Dans l’ensemble, les parties s’accordent sur ce que le fonctionnaire doit prouver pour que la doctrine de préclusion fondée sur une promesse puisse s’appliquer en l’espèce. J’accepte la thèse de l’employeur sur les deux éléments fondamentaux à démontrer, à savoir que le fonctionnaire doit prouver à la fois que l’employeur lui a fait une promesse claire et non équivoque de le payer au taux médian de l’échelle de rémunération des CO-02 et qu’il s’est fié à cette promesse à son détriment. Si le fonctionnaire ne peut pas prouver ces deux éléments, la doctrine de préclusion fondée sur une promesse ne s’applique pas, et l’application de la Note 1 sur la rémunération de la convention collective par l’employeur doit prévaloir. La norme applicable de la preuve est celle qu’on reconnaît normalement au civil, celle de la « prépondérance des probabilités ».

61 Il ne fait certainement aucun doute que la lettre d’offre au fonctionnaire (pièce G-3) était claire, comme l’employeur le fait valoir. Il avait proposé au fonctionnaire un traitement de départ de 65 086 $ sans préciser aucune autre condition pour le modifier. Rien dans sa lettre ne précise que le traitement offert par l’employeur était le [traduction] « taux médian de l’échelle » ni son [traduction] « cinquième échelon ». La lettre ne contenait pas non plus une mention d’une modification ultérieure quelconque de ce taux en vertu d’une nouvelle convention collective, et encore moins une déclaration pouvant plausiblement être interprétée comme une promesse claire que le fonctionnaire continuerait d’être rémunéré au milieu de l’échelle dans l’avenir. Je souligne également que le fonctionnaire a signé la lettre d’offre sans ajouter d’autres conditions à son acceptation de l’offre salariale sur la position de son traitement dans l’échelle de rémunération des CO-02.

62 Cela dit, la lettre d’offre n’élimine pas en elle-même la possibilité que l’employeur ait pu faire une déclaration différente ou additionnelle au fonctionnaire avant qu’il soit embauché. Une preuve claire et non équivoque que M. Jones ou quelqu’un d’autre aurait promis de vive voix au fonctionnaire qu’il serait payé [traduction] « au taux de rémunération médian » ou au cinquième échelon de l’échelle de rémunération à son entrée en fonctions le 4 décembre 2003 — quel qu’aurait pu être le taux médian ou le cinquième taux de l’échelle dans l’avenir — pourrait être satisfaisante comme premier élément pour que la doctrine de préclusion puisse s’appliquer.

63 À mon avis, le témoignage de M. Jones tend à démontrer autre chose. Selon lui, le facteur critique de sa décision d’offrir au fonctionnaire un traitement de départ de 65 086 $ était qu’une rémunération de l’ordre de 63 000 $ à 65 000 $ était appropriée, d’après une comparaison de ses études et de son expérience avec celles d’autres agents de perfectionnement CO-02. M. Jones a témoigné qu’il avait opté pour ce traitement de 65 086 $ en se fondant sur cette conclusion et parce que c’était l’échelon de rémunération le plus proche dans la fourchette correspondante. Évidemment, 65 086 $ était le cinquième échelon, l’échelon médian dans l’échelle des CO-02, mais M. Jones a déclaré que c’était une conséquence de son souci d’offrir un traitement comparable et non une promesse faite en soi. Il a expressément nié avoir promis de payer le fonctionnaire au milieu de l’échelle de rémunération dans l’avenir. Il a aussi déclaré avoir parlé du « milieu de l’échelle » en réponse à une question du fonctionnaire quant à l’incidence de son offre salariale, et c’est une réponse qui tend une fois de plus à me faire interpréter cette remarque plutôt comme une description du résultat que comme une promesse au fonctionnaire.

64 Pour sa part, le fonctionnaire a témoigné que M. Jones et lui-même n’avaient pas parlé du véritable « montant » de son traitement comme tel (65 086 $). Quand on lui a demandé, en contre-interrogatoire, si M. Jones lui avait promis qu’il resterait au cinquième échelon de l’échelle de rémunération, il a répondu que leur discussion [traduction] « n’était pas entrée dans tous ces détails ». En outre, quand il a confirmé que M. Jones lui avait expliqué que l’offre salariale se situait au milieu de l’échelle des CO-02, en fonction d’une comparaison de ses études et de son expérience, j’estime que son témoignage étayait plutôt que contestait ce que M. Jones se rappelait de leur conversation.

65 La restructuration de l’échelle de rémunération ordonnée par la décision arbitrale était manifestement inattendue. Le fonctionnaire a pu revenir sur ses conversations avec M. Jones et sur sa lettre d’offre pour conclure qu’il y avait là un engagement durable de le payer à l’échelon médian de l’échelle des CO-02. Néanmoins, je n’ai pas trouvé dans son témoignage le genre d’indication claire et non équivoque qu’il aurait fallu pour me prouver cet engagement ou pour prévaloir sur le témoignage crédible rendu par M. Jones. Même si je peux accepter que M. Jones a peut-être dit « au milieu de l’échelle » plutôt que « vers le milieu de l’échelle », comme le fonctionnaire le maintient — si une telle conclusion était importante —, il m’est impossible d’aller plus loin. À mon avis, la meilleure interprétation que je puisse donner des témoignages des deux principaux témoins, c’est que M. Jones avait décidé de payer le fonctionnaire entre 63 000 $ et 65 000 $ quand il l’a embauché, en se basant sur une comparaison de ses études et de son expérience avec celles des autres employés, qu’il a décidé de lui offrir 65 086 $, qu’il lui a expliqué son raisonnement quand le fonctionnaire le lui a demandé et qu’il ne lui a fait aucune autre déclaration précise qui aurait constitué une promesse claire et non équivoque. L’explication après coup de ce qui s’était passé que Mme Maggio a donnée dans sa lettre du 27 mars 2006 (pièce E-4) renforce mon opinion.

66 Mis à part le manque de preuve d’une promesse claire et non équivoque, la logique sous-jacente aux faits ne laisse pas entendre que M. Jones aurait promis au fonctionnaire le résultat que celui-ci recherche. Comme je l’ai dit, la preuve non contestée est que M. Jones avait basé son explication de l’offre salariale sur les résultats de sa comparaison des traitements payés aux autres employés embauchés comme agents de perfectionnement CO-02 qui avaient des études et une expérience professionnelle comparables, ce qui l’avait décidé à offrir un traitement de départ de l’ordre de 63 000 $ à 65 000 $. Comment M. Jones aurait-il justifié un traitement de départ de 67 894 $ le 4 décembre 2003 dans la ligne « X » de la nouvelle convention collective — si elle avait été en vigueur à l’époque —, alors que ce taux ne correspondait manifestement pas avec la fourchette qu’il avait jugé appropriée? S’il avait offert 67 894 $ au fonctionnaire à cette date-là, il aurait nié la comparabilité salariale même qu’il avait donnée comme raison de son choix d’un traitement de 65 086 $. La règle du passage d’un taux au taux figurant juste au-dessous de l’ancien taux établie dans la Note 1 sur la rémunération se serait appliquée à ce moment-là pour placer les autres employés payés 65 086 $ dans la ligne « De » à un taux de 65 086 $ dans la ligne « X ». Si le fonctionnaire avait eu droit à un taux de 67 894 $ dans la ligne « X », il aurait bénéficié d’un avantage qu’on aurait refusé aux autres employés, ce qui lui aurait fait gagner un échelon par rapport à l’analyse de comparabilité de M. Jones, qui a clairement témoigné qu’il n’avait pas envisagé la possibilité d’une restructuration de l’échelle de rémunération quand il avait offert 65 086 $ au fonctionnaire. S’il avait pu prévoir cette possibilité, est-il vraisemblable qu’il aurait fait fi de son souci de comparabilité de la rémunération avec celle des autres employés en acceptant d’accorder au fonctionnaire un traitement exceptionnel? Je ne le crois pas. Quoi qu’il en soit, pour que la doctrine de préclusion s’applique, il faudrait non seulement que M. Jones ait envisagé cette possibilité, mais aussi qu’il ait fait une promesse basée sur sa conclusion, et il ne l’a pas fait.

67 Bref, je conclus que le fonctionnaire n’a pas prouvé que l’employeur lui a fait une promesse claire et non équivoque de le rémunérer à l’échelon médian ou au cinquième échelon de l’échelle restructurée de rémunération des CO-02. Plus précisément, le fonctionnaire n’a pas prouvé à ma satisfaction que quoi que ce soit que M. Jones lui ait dit puisse raisonnablement être interprété comme une déclaration claire et non équivoque obligeant l’employeur à le rémunérer au taux de 67 894 $ dans la ligne « X » de l’échelle de rémunération restructurée de la nouvelle convention collective plutôt qu’au taux de 65 086 $, comme le stipule la Note 1 sur la rémunération.

68 Puisque le fonctionnaire n’a pas prouvé selon la prépondérance des probabilités que l’employeur lui avait fait une promesse claire et non équivoque, la doctrine de préclusion ne s’applique pas. Par conséquent, comme la doctrine de préclusion fondée sur une promesse ne peut s’appliquer, le grief doit être rejeté. Cela dit, les deux parties reconnaissent que l’employeur a appliqué la Note 1 sur la rémunération de la convention collective correctement à l’égard du fonctionnaire.

69 Je tiens à souligner que je n’ai pas eu besoin de me fonder sur la jurisprudence invoquée par les parties, si ce n’est pour confirmer les éléments de la doctrine de préclusion fondée sur une promesse. À mon avis, la décision rendue dans cette affaire reflète les faits présentés en preuve sans devoir être basée sur des points de droit tranchés dans d’autres décisions.

70 Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

V.Ordonnance

71 Le grief est rejeté.

Le 12 août 2009.

Traduction de la CRTFP

Dan Butler,
arbitre de grief

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