Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La partie plaignante souhaitait réactiver une plainte qu'elle avait retirée après la procédure de médiation. Elle a fait valoir que l'intimé n'avait pas respecté le protocole d'entente et que ce manquement l'autorisait à faire entendre sa plainte initiale sur le fond, ou pouvait servir de motif à une nouvelle plainte d'abus de pouvoir. L'intimé a soutenu que le Tribunal n'avait pas compétence pour interpréter, appliquer ou superviser les protocoles d'entente, car cette procédure se fondait sur le " principe solidement établi qu'une entente valide rend l'arbitre de grief totalement inhabile à entendre les griefs. " Décision : Le Tribunal a établi que la plainte initiale était retirée sans condition ni contrainte. Le retrait d'une plainte en vertu de la LEFP met un terme à toute procédure d'arbitrage. Le Tribunal a conclu, d'autre part, que le respect ou le non-respect d'un protocole d'entente par l'une ou l'autre des parties ne constituait pas un motif valable pour déposer une plainte en vertu de l'alinéa 77(1)a) de la LEFP. Plainte rejetée.

Contenu de la décision

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Dossier:
2008-0579
Rendue à:
Ottawa, le 1er avril 2009

LAURA HOWARTH
Plaignante
ET
LE SOUS-MINISTRE DES AFFAIRES INDIENNES ET DU NORD CANADIEN
Intimé
ET
AUTRES PARTIES

Affaire:
Plainte d'abus de pouvoir en vertu de l'alinéa 77(1)a) de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique
Décision:
La plainte est rejetée
Décision rendue par:
Guy Giguère, président
Langue de la décision:
Anglais
Répertoriée:
Howarth c. Sous-ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien et al.
Référence neutre:
2009 TDFP 0011

Motifs de la décision

Introduction

1La plaignante, Laura Howarth, demande de reprendre le processus relatif à la plainte qu’elle avait retirée. L’intimé, le sous-ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien, estime que le Tribunal de la dotation de la fonction publique (le Tribunal) n’a pas compétence pour entendre cette plainte sur le fond.

Contexte

2Le 27 février 2008, le Tribunal a reçu une plainte concernant un processus de nomination pour un poste d’analyste principal en politiques (ES-06) au sein des Services fonciers et fiduciaires du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien (processus de nomination no 2007-IAN-IA-NCR-LTS-61837). Le numéro de dossier de la plainte est le 2008‑0146.

3Les parties ont accepté de participer au processus de médiation du Tribunal. La séance de prémédiation a eu lieu le 10 juin 2008, et les séances de médiation se sont tenues les 11 et 16 juin 2008.

4Les parties ont signé une convention de médiation le 11 juin 2008. Cette convention renferme les dispositions pertinentes suivantes :

13. Lorsqu’une entente sera conclue, les parties rédigeront et signeront un protocole d’entente. Le protocole d’entente demeure confidentiel et ne peut être dévoilé que si les parties y consentent.

14. Le protocole d’entente ne sera placé dans aucun dossier de plainte. Le TDFP sera seulement avisé qu’un règlement a été conclu ou non.

5Le 16 juin 2008, le Tribunal a reçu un rapport d’étape de la médiation indiquant le règlement de la plainte.

6La plaignante a signé un avis de retrait (formulaire 10) le 16 juin 2008. Dans cet avis, elle déclare ce qui suit : « Par la présente, je retire la plainte susmentionnée » [Traduction].

7Le 29 août 2008, le Tribunal a reçu une nouvelle plainte de la part de Mme Howarth, qui affirme que l’administrateur général a abusé de son pouvoir en vertu de l’article 77 de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, art. 12 et 13 (la LEFP) en ce qui concerne l’établissement et l’application du mérite.

8Dans sa nouvelle plainte, Mme Howarth demande de reprendre le processus relatif à sa plainte initiale, présentée le 27 février 2008, au motif que l’intimé n’a pas respecté le protocole d’entente conclu le 16 juin 2008.

9Le Tribunal a demandé aux parties de fournir une argumentation par écrit et de préciser la jurisprudence applicable. Les parties se sont conformées aux directives du Tribunal.

Questions en litige

10Pour régler la présente affaire, le Tribunal doit déterminer ce qui suit :

  1. Le retrait officiel d’une plainte enlève-t-il au Tribunal toute compétence pour entendre celle-ci?
  2. Le défaut présumé de respecter le protocole d’entente est-il un motif pour présenter une nouvelle plainte d’abus de pouvoir?

Argumentation des parties

A) Argumentation de la plaignante

11Dans son argumentation, la plaignante reconnaît que les parties ont convenu d’un protocole d’entente au sujet du dossier de plainte 2008-0146.

12Selon la plaignante, l’intimé ne s’est pas conformé au protocole d’entente, ce qui fait renaître sa plainte initiale. Ainsi, la plaignante estime que sa plainte initiale doit être entendue sur le fond.

13Si tel n’est pas le cas, la plaignante affirme que le non-respect du protocole d’entente lui permet de présenter une nouvelle plainte d’abus de pouvoir à l’encontre de l’intimé en vertu de l’alinéa 77(1)a) de la LEFP.

14La plaignante n’a fourni aucune jurisprudence pour appuyer sa position.

B) Argumentation de l’intimé

15L’intimé soutient que la LEFP n’accorde pas au Tribunal le pouvoir d’interpréter, d’appliquer ou de superviser les protocoles d’entente. Selon lui, le Tribunal n’est plus saisi de l’affaire depuis le retrait de la plainte 2008-0146.

16L’intimé soutient également qu’il n’y a aucun motif de plainte en vertu de l’alinéa 77(1)a) de la LEFP, car cette nouvelle plainte ne porte pas sur un processus de nomination interne.

17L’intimé affirme que le Tribunal n’a rendu aucune décision faisant jurisprudence sur cette question. Cela dit, il considère comme pertinentes certaines décisions rendues par la Commission des relations de travail dans la fonction publique (CRTFP). L’intimé se fonde sur les décisions suivantes : Le Conseil du Trésor et Déom, [1985] C.R.T.F.P.C. no 150 (Q.L); Lindor c. Conseil du Trésor (Solliciteur général - Service correctionnel Canada), [2003] C.R.T.F.P. 10; Bedok c. Conseil du Trésor (Développement des ressources humaines Canada), [2004] C.R.T.F.P. 163; et Van de Mosselaer c. Conseil du Trésor (ministère des Transports), [2006] C.R.T.F.P. 59.

18L’intimé soutient que les affaires susmentionnées se fondent sur le « principe solidement établi qu’une entente valide rend l’arbitre de grief totalement inhabile à entendre les griefs » (décision Van de Mosselaer, paragraphe 62). Il ajoute que le même principe s’applique à l’interprétation de la LEFP en ce qui concerne le rôle du Tribunal.

19Enfin, étant donné l’accord de confidentialité conclu entre les parties, l’intimé n’est pas disposé à fournir une argumentation à l’égard du respect du protocole d’entente, mais affirme tout de même avoir rempli toutes ses obligations.

Analyse

Question 1: Le retrait officiel d’une plainte enlève-t-il au Tribunal toute compétence pour entendre celle-ci?

20La plaignante a admis que la nouvelle plainte représente une continuation de la plainte initiale. La plaignante a déposé un avis de retrait de sa plainte initiale. La Cour d’appel fédérale a déjà statué sur les pouvoirs d’un arbitre de grief dans ces circonstances.

21Il a été question des conséquences juridiques d’un désistement dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Lebreux [1994]A.C.F. no 1711 (Q.L.), 178 N.R. 1 (C.A.F.). Dans cette affaire, à la suite d’un accord de règlement, le plaignant s’est désisté de ses griefs relatifs à sa suspension et à son congédiement. Par la suite, il a demandé à la CRTFP de fixer une nouvelle date d’audience au motif que les parties n’avaient pas conclu d’entente satisfaisante. La CRTFP a accepté d’examiner l’affaire et d’entendre le grief sur le fond. Au paragraphe 12 (Q.L.) de l’arrêt susmentionné, la Cour d’appel fédérale a déclaré que l’arbitre de grief a erré en rendant une telle décision, affirmant que la CRTFP n’a plus compétence pour entendre une plainte une fois le grief abandonné. Par conséquent, le retrait d’un grief fait entièrement obstacle à toute procédure d’arbitrage :

[12] À partir du moment où l’intimé s’est désisté de ses griefs, la Commission et l’arbitre désigné sont devenus functus officio puisqu’ils ont été alors déssaisis [sic] du litige. La Commission n’avait ni à s’enquérir du mérite et de l’opportunité d’un tel désistement ni à décider de l’accepter ou de le refuser. L’acte de désistement a mis, immédiatement et sans plus, un terme aux procédures à l’égard desquelles il fut produit.

22Plus récemment, la décision Lebreux a été analysée et appliquée à l’affaire Maiangowi c. Conseil du Trésor (ministère de la Santé), [2008] C.R.T.F.P. 6 (Q.L.).Dans cette affaire,la représentante de la plaignante a demandé que le grief soit rouvert et qu’une date d’audience soit fixée au motif que l’employeur aurait violé l’accord convenu entre les parties. Elle a demandé que la CRTFP veille à la mise en application de l’accord de règlement. Au paragraphe 61 (Q.L.), l’arbitre de grief, John A. Mooney, se fondant sur l’affaire Lebreux, déclare ce qui suit :

61. À mon avis, Lebreux établit le principe que le retrait d’un grief interdit son arbitrage non seulement sur le fond du grief, mais aussi sur l’exécution de l’entente conclue pour le régler, si j’avais compétence pour en connaître. Une fois qu’un grief est retiré, la Commission n’a plus compétence sur tout ce qui le concerne; l’arbitre de grief n’en est tout simplement plus saisi.

23En l’espèce, la plainte initiale a été retirée, et rien n’indique que l’avis de retrait était assorti de conditions ou déposé sous la contrainte. Le Tribunal conclut qu’il a perdu toute compétence pour entendre la plainte après son retrait par la plaignante. Le retrait d’une plainte en vertu de la LEFPfait entièrement obstacle à toute procédure d’arbitrage.

Question 2: Le défaut présumé de respecter le protocole d’entente est-il un motif pour présenter une nouvelle plainte d’abus de pouvoir?

24Selon l’argument subsidiaire de la plaignante, le défaut de l’intimé de respecter le protocole d’entente donne lieu à une nouvelle plainte d’abus de pouvoir en vertu de l’alinéa 77(1)a) de la LEFP.

25Cet argument ne peut pas être retenu non plus. L’alinéa 77(1)a) de la LEFP est rédigé comme suit :

77. (1) Lorsque la Commission a fait une proposition de nomination ou une nomination dans le cadre d’un processus de nomination interne, la personne qui est dans la zone de recours visée au paragraphe (2) peut, selon les modalités et dans le délai fixés par règlement du Tribunal, présenter à celui-ci une plainte selon laquelle elle n’a pas été nommée ou fait l’objet d’une proposition de nomination pour l’une ou l’autre des raisons suivantes:

a) abus de pouvoir de la part de la Commission ou de l’administrateur général dans l’exercice de leurs attributions respectives au titre du paragraphe 30(2);

[…]

[gras ajouté]

26Quant à l’alinéa 30(2)a) de la LEFP, il se lit comme suit :

30.(2) Une nomination est fondée sur le mérite lorsque les conditions suivantes sont réunies :

a) selon la Commission, la personne à nommer possède les qualifications essentielles - notamment la compétence dans les langues officielles - établies par l’administrateur général pour le travail à accomplir;

27Par conséquent, toute personne se trouvant dans la zone de recours a le droit de présenter au Tribunal une plainte d’abus de pouvoir relative à l’établissement ou à l’application du mérite, en vertu de l’alinéa 77(1)a) de la LEFP. Le respect ou le non‑respect du protocole d’entente par l’une ou l’autre des parties ne constitue pas un motif valable pour déposer une plainte en vertu de l’alinéa 77(1)a) de la LEFP.

Décision

28Pour tous ces motifs, la plainte est rejetée.

Guy Giguère

Président

Parties au dossier

Dossier du Tribunal:
2008-0579
Intitulé de la cause:
Laura Howarth et le Sous-ministre du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien et al.
Audience:
Audition sur dossier
Date des motifs:
Le 1er avril 2009
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