Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Les plaignantes ont soutenu que l’intimé avait fait preuve d’abus de pouvoir et de mauvaise foi par rapport au choix d’un processus de nomination non annoncé et à l’application du mérite pour la dotation du poste de chef de la section du programme d’anglais. Elles ont maintenu, d’autre part, que la nomination avait été effectuée par favoritisme personnel; que le processus mené par l’intimé manquait de transparence et que les critères de mérite étaient taillés sur mesure afin de favoriser la nomination de la candidate reçue. L’intimé a fait valoir qu’il avait le pouvoir discrétionnaire de choisir un processus non annoncé; qu’il devait alors faire face à des situations inhabituelles; qu’il n’y avait aucune preuve de favoritisme personnel; que les allégations étaient fondées sur des rumeurs, des perceptions et insinuations; que les erreurs et omissions n’étaient pas une preuve d’abus de pouvoir; que les Ressources humaines ont été consultées à chaque étape. L’intimé a ajouté qu’il avait agi de bonne foi et que la nomination était fondée sur le mérite. Dans une observation écrite, la Commission de la fonction publique (CFP) a fait remarquer que les lignes directrices n’ont pas la même valeur ou incidence que les règles de conduite dans la mesure où les premières sont des outils servant à aider les ministères selon qu’ils choisissent de les utiliser ou non. La CFP a soutenu d’autre part que la question de l’urgence n’était pas la seule question à prendre en compte dans le choix du type de processus. Décision : Le Tribunal a conclu que l’intimé avait mené un processus de nomination interne non annoncé et non pas un processus externe étant donné que les candidatures prises en considérations provenaient d’employés de la fonction publique; que la plainte relevait de sa compétence; que l’intimé avait fait preuve d’abus de pouvoir en procédant à une nomination non fondée sur le mérite puisqu’il n’y avait aucune preuve démontrant que la personne nommée possédait toutes les qualifications essentielles ou avait été évaluée par rapport à celles-ci; que l’intimé détenait toute l’information relative aux processus de nomination; que ce dernier était donc en mesure de présenter des éléments de preuve susceptibles d’expliquer le déroulement d’un processus de nomination; que l’intimé avait abusé de son pouvoir et fait preuve de favoritisme personnel envers la personne nommée en modifiant l’énoncé des critères de mérite en fonction du profil de cette dernière; qu’il n’y avait pas d’urgence, mais que la décision de nommer la candidate reçue était prédéterminée; que l’intimé avait abusé de son pouvoir en menant un processus non annoncé, injuste et non transparent. Plaintes accueillies.

Contenu de la décision

Coat of Arms - Armoiries
Dossiers:
2007-0207 à 0209, 0295, 0305 et 0307
Rendue à:
Ottawa, le 3 juillet 2009

SUSAN AYOTTE ET AL.
Plaignant
ET
LE SOUS-MINISTRE DE LA DÉFENSE NATIONALE
Intimé
ET
AUTRES PARTIES

Affaire:
Plaintes d'abus de pouvoir en vertu de l'alinéa 77(1)a) et b) de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique
Décision:
Les plaintes sont fondées
Décision rendue par:
Francine Cabana, membre
Langue de la décision:
Anglais
Répertoriée:
Ayotte et al. c. Sous-ministre de la Défense nationale et al.
Référence neutre:
2009 TDFP 0021

Motifs de la décision

Introduction

1Les plaignantes, Susan Ayotte, Helen Pohl et Giovanna Druda, ont présenté deux plaintes chacune auprès du Tribunal de la dotation de la fonction publique (le Tribunal). Les plaignantes soutiennent que l’intimé, le sous‑ministre de la Défense nationale, a abusé de son pouvoir et agi de mauvaise foi relativement au choix d’un processus de nomination non annoncé et à l’application du mérite, aux termes du paragraphe 30(2) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, art. 12 et 13 (la LEFP). De plus, les plaignantes estiment que l’intimé a nommé Hope Seidman au poste de chef de la section du programme d’anglais (ED‑EDS‑03) à l’École de langues des Forces canadiennes (l’ELFC) par favoritisme personnel, en modifiant les critères de mérite pour les adapter à la personne nommée.

2Le 7 décembre 2007, le Tribunal a procédé à la jonction des six plaintes en vertu de l’article 8 du Règlement du Tribunal de la dotation de la fonction publique, DORS/2006‑06 (le Règlement du TDFP).

Contexte

3Le 19 février 2007, Bruno Jobin, chef des normes adjoint, a annoncé au cours d’une réunion d’équipe que Mme Seidman allait occuper le poste de chef de la section du programme d’anglais.

4Le 5 mars 2007, les plaignantes ont présenté leurs premières plaintes auprès du Tribunal (nos 2007‑0100, 2007‑0101 et 2007‑0102) afin de contester la nomination de Mme Seidman en février 2007 à la suite d’un processus de nomination non annoncé. Le 20 avril 2007, le Tribunal a rejeté ces plaintes dans une lettre de décision au motif qu’il n’y avait eu ni nomination ni proposition de nomination puisque Mme Seidman exerçait les fonctions de chef de la section du programme d’anglais en plus de remplir ses tâches de chef de la section des technologies éducatives.

5Le 17 avril 2007, M. Jobin a fait suivre un courriel du major Bernard Cyr, chef des normes, qui informait qu’à la suite d’un processus de nomination externe non annoncé, Mme Seidman avait été nommée au poste de chef de la section du programme d’anglais pour une durée indéterminée, et que cette nomination entrait en vigueur immédiatement. Le 8 mai 2007, William‑Eric Sinden, agent des ressources humaines, a offert à Mme Seidman le poste de chef de la section du programme d’anglais pour une durée indéterminée (numéro de processus 07‑DND‑ENA‑MNTRL‑059782), et ce, à compter du 17 avril 2007 (gras ajouté).

6Le 2 mai 2007, chacune des plaignantes a présenté une plainte en vertu de l’article 77 de la LEFP,faisant valoir que le choix du processus constituait un abus de pouvoir.

7Le 11 juin 2007, l’offre datée du 8 mai 2007 a été modifiée. En effet, le numéro du processus de nomination a été changé pour le numéro 07‑DND‑INA‑MNTRL‑063671, lequel indique qu’il s’agit d’une nomination interne (gras ajouté).

8Le 11 juin 2007, une notification de candidature retenue portant le numéro de processus 07‑DND‑INA‑MNTRL‑063671 (processus interne non annoncé) a été affichée sur Publiservice. Cette notification indiquait que la candidature de Mme Seidman était envisagée pour le poste, et que la durée de l’emploi était passée de déterminée à indéterminée.

9Le 26 juin 2007, la nomination de Mme Seidman a fait l’objet d’une notification. À la suite de cette annonce, le 27 juin 2007, chacune des plaignantes a présenté une autre plainte en vertu des alinéas 77(1)a) et b) de la LEFP.

Questions en litige

10Le Tribunal doit trancher les questions suivantes :

  1. Le processus de nomination mené par l’intimé et qui a conduit à la nomination de Mme Seidman le 17 avril 2007 était‑il un processus de nomination interne ou externe?
  2. L’intimé a‑t‑il abusé de son pouvoir en se fondant sur des éléments matériels insuffisants lorsqu’il a nommé Mme Seidman?
  3. L’intimé a‑t‑il abusé de son pouvoir en nommant Mme Seidman par favoritisme personnel?
  4. L’intimé a‑t‑il abusé de son pouvoir en agissant de mauvaise foi lorsqu’il a opté pour un processus de nomination non annoncé?

Résumé des éléments de preuve pertinents

11Mme Pohl est agente d’élaboration de programme et des examens d’anglais (ED‑EDS‑02) à l’ELFC depuis janvier 2000 et elle occupe un poste à durée indéterminée depuis janvier 2003. Elle a expliqué qu’à la fin de 2003, elle était chef de la section du programme d’anglais (ED‑EDS‑03) par intérim, mais elle n’a pas précisé pendant combien de temps.

12Mme Pohl a expliqué que lors qu’elle exerçait les fonctions liées au poste ED‑EDS‑03, elle était responsable des tâches administratives et continuait à préparer le programme. Elle a présenté en preuve un rapport qui continue d’être utilisé par les Forces canadiennes. Elle a indiqué qu’elle avait obtenu d’excellents résultats à son évaluation du rendement ce qui, selon elle, indique que son travail avait été très satisfaisant. Au retour du chef, elle était retournée à son poste ED‑EDS‑02.

13Mme Pohl a témoigné qu’en mai 2006, Mme Middleman, chef de la section des technologies éducatives, avait amorcé un processus de nomination externe afin de trouver une remplaçante pendant son congé de maternité. Mme Middleman a préparé des outils d’évaluation et a évalué les candidats. Par suite du processus de nomination externe, Mme Seidman a été recrutée dans la fonction publique autour de septembre 2006, pour une période déterminée, soit pendant le congé de maternité de Mme Middleman.

14Selon Mme Pohl, Mme Seidman avait demandé de suivre une formation en gestion en octobre et novembre 2006, ce qu’elle avait fait. Mme Pohl avait elle aussi demandé de suivre la formation en gestion et en gestion de projet lors de son évaluation du rendement de 2005, et M. Jobin avait recommandé cette formation, mais celle‑ci n’a jamais été offerte.

15Selon Mme Pohl, Mme Seidman avait mentionné avoir été abordée en septembre ou octobre 2006 dans le but de sonder son intérêt pour le poste de chef de la section du programme d’anglais. Mme Pohl a aussi fait référence au Plan de ressources humaines envoyé par M. Jobin à tous les employés EDS‑02 et LAT (enseignement des langues) le 8 décembre 2006. Toujours selon elle, la décision de nommer Mme Seidman à ce poste a été prise le 8 décembre 2006 ou avant, car le plan de ressources humaines indiquait que « le poste EDS‑03 (268795) occupé par Kevin Miller fera l’objet d’une mutation latérale pour Hope Seidman (date à déterminer) » [traduction]. Elle croit que Mme Seidman n’avait pas d’expérience de l’enseignement d’une langue seconde ni d’expérience se rapportant à l’élaboration d’un programme d’enseignement d’une langue seconde.

16Le 9 janvier 2007, Mme Pohl a envoyé un courriel à M. Jobin dans lequel elle exprimait ses préoccupations quant à ce qu’elle a appelé la mutation de Mme Seidman du poste de chef de la section des technologies éducatives à celui de chef de la section du programme d’anglais. Elle affirmait dans son message que les deux postes « n’exigeant pas les mêmes qualifications essentielles, une telle mutation contreviendrait à la nouvelle définition du mérite de la fonction publique ». Mme Pohl a expliqué que M. Jobin avait répondu à son courriel et avait indiqué que, puisque l’occasion de pourvoir au poste s’était présentée d’elle‑même, « nous avons envisagé les options possibles et nous avons choisi de puiser à un bassin existant permettant de pourvoir à des postes semblables. Il ne s’agit donc pas d’une mutation latérale (ou déploiement) proprement dite, mais d’une nomination » [traduction].

17Kevin Miller, un témoin des plaignantes, a déclaré être devenu chef de la section des programmes de français et d’anglais en juin 2004. Lorsque le poste de chef de la section de programme a été divisé en deux postes (français et anglais), il a continué d’occuper le poste de chef de la section du programme d’anglais. Il a expliqué qu’il avait précédemment occupé divers postes, y compris un poste de groupe et de niveau LAT‑01, où il avait enseigné le français et l’anglais. Il a également occupé un poste de LAT‑02 et, en 1989, un poste de EDS‑03. Il devait exercer les fonctions de chef des examens durant l’été de 2006, car la titulaire de ce poste avait prévu prendre sa retraite à ce moment‑là. Toutefois, la chef des examens avait reporté son départ à la retraite à l’été 2007. Au début de 2007, M. Miller a demandé une nomination dans le cadre du Programme de rémunération d’affectation spéciale (PRAS). Il a déclaré avoir été muté au moment où la nomination de Mme Seidman a été annoncée en février 2007.

18Selon le témoignage de M. Miller, le chef est à la tête de la section et dirige l’équipe des agents d’élaboration des programmes d’études. Il a également indiqué que le chef doit superviser et gérer l’équipe, qui comprend des enseignants.

19M. Miller a brièvement décrit l’évolution des programmes à l’ELFC. Les programmes de français et d’anglais n’étaient pas organisés de la même manière, et les enseignants et les étudiants s’en plaignaient. L’ELFC voulait que le programme d’anglais soit modifié de façon à privilégier le contenu à caractère militaire. Conséquemment, le programme devait être rebâti. Il a expliqué que les différences ne portaient pas sur la langue, mais plutôt sur le vocabulaire.

20M. Miller a expliqué qu’il existe un programme de formation pour chacun des trois niveaux de compétences linguistiques, à savoir les niveaux A, B et C. Il a précisé que le programme du niveau A était complété, mais qu’il était devenu urgent d’entreprendre l’élaboration de celui du niveau B. Il a déclaré que le plan détaillé du programme du niveau B avait été amorcé vers la fin de 2007, mais il ne pouvait ni donner de date ni faire le point sur l’état d’avancement du projet. À sa connaissance, l’élaboration du programme du niveau B n’était pas encore commencée.

21Lorsqu’on lui a demandé si l’expérience de l’enseignement d’une langue seconde était importante pour ce qui est du poste de chef de la section du programme d’anglais, M. Miller a renvoyé le Tribunal à la description de travail contenue dans le document intitulé Fiche d’analyse du poste (FAP) et tout particulièrement aux paragraphes portant sur les connaissances :

CONNAISSANCES

[…]

Le titulaire doit avoir une connaissance approfondie du Système d’instruction individuelle et d’éducation des Forces canadiennes (SIIEFC) et posséder une connaissance générale des éléments, classifications et métiers au sein des FC.

Le travail requiert une connaissance approfondie des théories et pratiques se rapportant à l’enseignement des langues secondes, y compris l’application des diverses méthodes et méthodologies se rapportant à l’enseignement des langues aux adultes…

22M. Miller a aussi indiqué que les plaignantes avaient joué un rôle important en ce qui a trait aux modifications apportées au programme d’anglais.

23M. Jobin, témoin de l’intimé, était chef des normes adjoint à l’ELFC à l’époque du processus de nomination. Il a expliqué avoir été chargé de pourvoir au poste de chef de la section du programme d’anglais et qu’il avait pris part au processus du début à la fin.

24Il a renvoyé le Tribunal à un document non titré, présenté avec le consentement des parties, dont la première phrase précise : « Ce rapport est soumis comme source d’information essentielle dans le traitement des plaintes au Tribunal de dotation de la Fonction (sic) publique sur le processus de dotation en objet ». Ce document n’est pas daté et son destinataire n’est pas indiqué. M. Jobin a déclaré que le rapport avait été préparé et envoyé le 10 juin 2007, mais il n’a pas dit à qui il avait été adressé.

25Le rapport de M. Jobin porte sur le fait qu’il était prévu que M. Miller quitterait son poste de chef de la section du programme d’anglais à l’été 2007. Au moment où la direction a annoncé son plan de succession de la Cie des normes en décembre 2006, il était prévu que Mme Seidman remplacerait M. Miller en tant que chef de la section du programme d’anglais par voie de mutation latérale. Selon le rapport de M. Jobin, la direction devait revoir sa décision de mutation latérale puisque Mme Seidman était employée pour une période déterminée et ne pouvait pas être mutée à un poste à durée indéterminée, même si elle était qualifiée.

26Au début de février 2007, M. Miller a demandé à être relevé de ses fonctions de chef de la section du programme d’anglais. Pressée par les exigences liées aux priorités de la section du programme d’anglais, la direction a demandé à Mme Seidman d’exécuter simultanément les fonctions de chef de la section des technologies éducatives et celles de chef de la section du programme d’anglais.

27Le major Cyr, témoin de l’intimé, était chef des normes à l’époque du processus de nomination. Selon son témoignage, lorsque M. Miller a quitté son poste de chef de la section du programme d’anglais en février 2007, il avait demandé à Mme Seidman d’exécuter les tâches associées à ce poste. Il a indiqué que la gestion avait l’intention de nommer Mme Seidman à ce poste parce qu’elle était qualifiée. Il avait été aussi question de muter celle‑ci au poste. Toutefois, de l’avis des Ressources humaines, cette procédure était impossible dans le cas de Mme Seidman.

28Le major Cyr a expliqué qu’il avait consulté les Ressources humaines et que M. Sinden et Samora Mérizier, conseillère en ressources humaines (personnel civil), lui avaient fait savoir que Mme Seidman pouvait assumer à la fois les fonctions de chef de la section des technologies éducatives et celles de chef de la section du programme d’anglais.

29Le 19 février 2007, au cours d’une réunion du personnel, M. Jobin a annoncé que Mme Seidman, qui était employée pour une durée déterminée depuis l’automne 2006, remplacerait le chef de la section du programme d’anglais, et que ce remplacement entrait en vigueur immédiatement.

30Mme Pohl a indiqué qu’après avoir été informée lors de cette réunion du personnel que Mme Seidman avait été nommée chef de la section du programme d’anglais, elle avait exprimé son intérêt à M. Jobin et lui avait demandé de prendre part au processus de nomination lié à ce poste. Mme Druda a indiqué qu’elle avait, elle aussi, exprimé son intérêt pour le poste à M. Jobin. Elle a parlé de ses antécédents et a indiqué qu’elle avait commencé à travailler en 1999 comme professeur de langue (LAT‑01). En octobre 2004, elle avait accepté un poste EDS‑02 pour une durée indéterminée au sein de la section du programme.

31Le 27 février 2007, les trois plaignantes, agentes d’élaboration de programmes d’études au groupe et au niveau EDS‑02, ont écrit à M. Jobin pour lui faire part de leur intérêt pour le poste de chef de la section du programme d’anglais. Le lendemain, M. Jobin a demandé aux plaignantes de présenter un texte mettant l’accent sur leurs compétences en gestion dans le contexte du poste. Elles devaient présenter leur texte au plus tard le 7 mars 2007.

32Danielle Moffet, présidente du Local 10377 du Syndicat de l’agriculture de l’Alliance de la fonction publique du Canada, a expliqué qu’elle avait, à titre de présidente du Local, pris part à plusieurs réunions concernant la dotation du poste de chef de la section du programme d’anglais.

33Le 22 février 2007, Mme Moffet a rencontré le major Cyr afin de discuter de ce qui se passait relativement au poste de chef de la section du programme d’anglais. Elle a déclaré au major Cyr ne pas comprendre comment Mme Seidman pourrait être mutée au poste de M. Miller tandis que celui‑ci occupait le poste. Elle était étonnée que Mme Seidman, en qualité d’employée nommée pour une durée déterminée, accomplisse les tâches, reliées aux deux postes. Elle a en outre demandé au major Cyr si la gestion avait envoyé une demande d’intérêt aux employés. Celui‑ci a confirmé qu’aucune demande d’intérêt n’avait été envoyée et qu’aucune autre candidature n’était envisagée.

34Selon Mme Moffet, le major Cyr a confirmé que la direction avait l’intention de nommer Mme Seidman à un poste à durée indéterminée, et que cette nomination aurait lieu au printemps. Toujours selon elle, il faisait allusion au poste de chef de la section du programme d’anglais. Mme Moffet avait aussi interrogé le major Cyr au sujet de l’Énoncé des critères de mérite (ECM) et elle a expliqué à ce dernier que Mme Seidman n’avait pas d’expérience de l’enseignement ni d’expérience de l’administration des examens, et qu’elle était employée pour une durée déterminée. Elle a témoigné que le major a répondu que Mme Seidman « fera comme nous, elle apprendra sur le tas. »

35On a demandé au major Cyr s’il se rappelait avoir rencontré Mme Moffet à propos de ce processus de sélection. Il a répondu qu’il se rappelait vaguement une réunion, mais ne se souvenait pas du sujet qui y avait été discuté.

36Le 27 février 2007, Mme Moffet a interrogé M. Jobin à propos du statut de Mme Seidman. Elle s’est reportée à la réponse de M. Jobin à un courriel en date du 28 février 2007, dans laquelle celui-ci confirmait que Mme Seidman était employée pour une durée déterminée et occupait le poste de chef de la section des technologies éducatives tout en exécutant les tâches liées au poste de chef de la section du programme d’anglais depuis le 19 février 2007. Il expliquait en outre que Mme Seidman était le chef intérimaire de la section du programme d’anglais, mais qu’elle n’avait pas été nommée officiellement au poste, puisque celui‑ci appartenait toujours officiellement à M. Miller.

37Mme Moffet a décrit une discussion qu’elle avait eue avec M. Sinden concernant la possibilité d’affecter des personnes à tour de rôle, chacune pour une période de trois mois, au poste de chef de la section du programme d’anglais. Selon elle, M. Sinden a refusé cette suggestion car, si la direction avait permis que chaque personne assume la fonction pour une période de trois mois, Mme Seidman n’aurait pas eu la chance de participer à cette rotation avant la fin de son mandat, le 31 juillet 2007. Selon le témoignage de Mme Moffet, M. Sinden a confirmé que la direction avait l’intention de nommer Mme Seidman à un poste à durée indéterminée avant la fin de son mandat.

38Dans son rapport, M. Jobin a expliqué que la modification de l’ECM avait fait l’objet d’une consultation préliminaire le 27 février 2007 entre le vice‑président de l’Union des employés de la Défense nationale pour le groupe ED, Mme Moffet, M. Sinden et d’autres superviseurs militaires de l’ELFC. Le rapport de M. Jobin mentionnait expressément ce qui suit :

À cette occasion, la gestion a expliqué quels étaient les besoins cruciaux du poste dans le contexte de l’important mandat du côté du curriculum anglais, à savoir qu’il était opportun de mettre l’accent sur la gestion de projet et la gestion des ressources, et que le prochain énoncé de critères de mérite refléterait cette exigence. La question de la révision du critère de l’expérience de l’enseignement de langue y a également été abordée sans susciter de préoccupation particulière de la part des représentantes syndicales, de même que l’emphase que l’ELFC souhaitait mettre sur la technologie de la formation à distance.

39Le 5 mars 2007, les plaignantes ont présenté leurs premières plaintes auprès du Tribunal afin de contester la nomination de Mme Seidman en février 2007, à l’issue d’un processus de nomination non annoncé.

40M. Jobin a indiqué qu’au départ, la gestion devait procéder à un processus de nomination interne non annoncé. Cependant, lorsque les plaignantes ont manifesté leur intérêt pour le poste de chef de la section du programme d’anglais en mars 2007, M. Sinden a recommandé que le processus de nomination soit défini comme un processus de nomination externe non annoncé, puisque Mme Seidman provenait d’un bassin externe.

41Le 8 mars 2007, M. Jobin a fait parvenir aux trois plaignantes un avis précisant qu’elles participaient à un processus de nomination non annoncé pour la dotation du poste de chef de la section du programme d’anglais. Cet avis était accompagné d’un ECM. Un courriel subséquent indiquait qu’il y aurait une entrevue.

42Le 14 mars 2007, M. Jobin a envoyé aux plaignantes un courriel portant sur l’entrevue et sur le texte que celles‑ci devaient présenter :

  1. Comme suite au courriel ci‑joint, la prochaine étape du processus consistera en une entrevue avec le comité d’évaluation. Nous préciserons plus tard la date, le lieu et la durée de l’entrevue. Celle-ci a pour but d’évaluer votre candidature au regard des qualifications essentielles ci-après, qui figurent dans l’Énoncé des critères de mérite :
    1. Capacité de gérer
    2. Capacité de convaincre de vive voix
    3. Jugement
    4. Entregent
  2. Nous tenons à vous informer que le texte de 500 mots que nous vous avons demandé de soumettre ne sera pas noté. Comme je l’expliquais dans mon courriel daté du 5 mars 2007 à 14 h 24, la présentation de ce texte visait précisément à appuyer votre demande individuelle. Nous avons prévu un « examen » formaté afin d’évaluer votre capacité de convaincre par écrit. Cet examen pourrait avoir lieu le jour de votre entrevue, et le thème sera précisé alors.
  3. Merci de votre participation.

[traduction]

43Le 30 mars 2007, M. Sinden a informé Mme Pohl par courriel que le numéro du processus de nomination était le 07‑DND‑ENA‑MNTRL‑059782. Il s’agissait donc d’un processus de nomination externe non annoncé. Mme Pohl a expliqué qu’elle n’était pas consciente de participer à un processus de nomination externe avant de recevoir ce courriel.

44M. Jobin a indiqué que la gestion a eu recours à un processus externe non annoncé parce que celui‑ci lui permettait de recruter des personnes à l’extérieur de la fonction publique. Ils pensaient à quatre ou cinq personnes de l’Université Concordia et à des personnes qui avaient pris part au processus de nomination précédent, à l’automne 2005. Il a déclaré que la gestion avait alors décidé de ne pas chercher à l’extérieur de la fonction publique puisqu’il y avait quatre candidats à l’intérieur de celle-ci. Il a mentionné que le processus aurait dû être un processus interne.

45Le 2 avril 2007, jour des entrevues, Mme Druda et Mme Ayotte ont retiré leur candidature du processus de nomination. Mme Druda a expliqué avoir eu l’impression qu’il ne s’agissait pas d’un processus véritable, et qu’il était injuste et non transparent. Elle s’est retirée du processus avant de passer l’entrevue.

46M. Jobin a déclaré que Mme Pohl et Mme Seidman ont passé l’entrevue le 2 avril 2007. Il a indiqué que l’entrevue avait servi à évaluer la capacité de gérer des deux candidates. M. Jobin s’est reporté à la grille d’évaluation de l’entrevue de Mme Seidman. Il a expliqué que sept questions portaient sur la « capacité de gérer » [traduction] et qu’un candidat devait, pour réussir, fournir quatre bonnes réponses sur sept. Mme Seidman a donné cinq bonnes réponses. Il a indiqué que les « autres compétences et qualités » [traduction] n’avaient pas été évaluées, ayant été jugées inapplicables compte tenu de l’évaluation préalable de Mme Seidman dans le cadre du processus de nomination de juin 2006 visant à pourvoir au poste de chef de la section des technologies éducatives.

47Le 3 avril 2007, M. Jobin a informé Mme Pohl qu’elle ne possédait pas la qualification essentielle définie comme la « capacité de gérer » qui avait été évaluée durant l’entrevue. Sa candidature a donc été éliminée du processus de nomination.

48Le 3 avril 2007, le représentant des plaignantes à l’époque a envoyé un courriel à M. Sinden, lui demandant des renseignements relatifs aux plaintes qu’elles avaient déposées le 5 mars 2007 concernant la nomination de février 2007. M. Sinden a informé celui-ci que Mme Seidman avait tout simplement assumé le rôle de chef de la section du programme d’anglais de façon temporaire depuis le 19 février 2007. Il a indiqué qu’aucune nomination n’avait été effectuée et qu’il ne s’agissait que d’une affectation supplémentaire.

49Le 18 avril 2007, M. Jobin a fait parvenir à Mme Druda la copie d’un organigramme daté du même jour. Mme Druda a souligné dans son témoignage que le nom de Mme Seidman y figurait en qualité de chef de la section du programme d’anglais.

50Mme Pohl a déclaré que le 12 juin 2007, Mme Mérizier l’avait informée que le processus de nomination avait un nouveau numéro, soit le 07‑DND‑INA‑MNTRL‑063671, et qu’il s’agissait maintenant d’un processus de nomination interne non annoncé. Le courriel de Mme Mérizier était ainsi libellé : « Comme nous en avons parlé au téléphone il y a quelques minutes, Mme Seidman étant déjà une employée interne, il fallait que le processus soit interne et non externe puisqu’il a été utilisé pour la nomination » [traduction].

51Selon Mme Pohl, contrairement à ce qu’indique la justification du recours à un processus non annoncé, la dotation du poste de chef de la section du programme d’anglais n’était pas urgente. Elle a mentionné, pour appuyer son affirmation, qu’à ce jour, le travail lié au programme du niveau B n’était pas encore amorcé.

52De l’avis de Mme Druda, M. Jobin faisait preuve de favoritisme personnel envers Mme Seidman parce qu’il l’encadrait constamment. Elle a mentionné que l’intimé avait offert à Mme Seidman une formation en gestion de deux semaines alors que cette formation lui avait été refusée dans le passé. À son avis, les critères de mérite avaient été modifiés pour correspondre au profil de Mme Seidman tandis que la description de travail était restée la même.

53Mme Moffet s’est reportée à l’ECM de 2005 qui avait été utilisé pour doter le poste de chef de la section du programme de français, poste semblable au poste de chef de la section du programme d’anglais, mais pour le volet français. Elle s’est également reportée à l’ECM de 2008 utilisé pour la dotation du poste de chef de la section du programme d’anglais. Après avoir comparé ces deux documents à l’ECM de 2007, elle a fait observer que les qualifications essentielles figurant dans l’ECM de 2007 avaient été modifiées en vue de favoriser la candidate retenue. En effet, l’exigence linguistique figurant dans l’ECM de 2005 était BBB/PPP, par opposition à celle de l’ECM de 2007 qui indique BBB/BBB. De surcroît, l’expérience d’enseignement, qui comptait parmi les qualifications essentielles dans l’ECM de 2005, n’était considérée que comme une qualification constituant un atout dans l’ECM de 2007.

54Mme Pohl a aussi indiqué que Mme Seidman avait bénéficié d’un traitement préférentiel parce qu’elle s’était vu accorder une formation en gestion alors que ses propres demandes de formation dans ce domaine avaient été refusées. Elle est d’avis que Mme Seidman n’avait aucune expérience associée aux fonctions du poste, et que les critères de mérite ont été modifiés pour s’adapter à son profil.

55Le major Cyr a expliqué que Mme Seidman avait pu suivre une formation en gestion au moment où elle occupait le poste de chef de la section des technologies éducatives, mais qu’elle aurait été formée pour le poste de chef de la section du programme d’anglais.

56Mme Druda a fait état de la confusion entourant les mesures prises pour nommer Mme Seidman au poste visé. Elle a déclaré que Mme Seidman avait été nommée pour la deuxième fois le 26 juin 2007, et que la durée de l’emploi avait été modifiée dans la notification de candidature retenue publiée le 11 juin 2007, passant de déterminée à indéterminée.

57Elle a aussi fait observer que les plaignantes avaient posé de nombreuses questions qui sont demeurées sans réponse. Par exemple, Mme Druda a mentionné un courriel daté du 20 juin 2007 et adressé à Mme Mérizier, dans lequel elle lui demandait pourquoi le profil linguistique lié au poste n’était plus le profil BBB/BBB précédemment exigé dans l’ECM envoyé aux plaignantes le 8 mars 2007. Le 12 juillet 2007, Mme Mérizier a répondu à son courriel comme suit :

On a répondu à la plupart des questions au cours d’une conférence téléphonique à laquelle vous avez assisté avec le représentant local du syndicat, en présence du major Cyr, en juin, et aussi durant une réunion avec deux de vos collègues, Mmes Pohl et Ayotte, le 26 juin. De surcroît, vous avez déjà déposé une plainte liée à cette nomination auprès du Tribunal de la dotation de la fonction publique, et je vous recommande fortement de laisser le Tribunal prendre la relève dans cette affaire.

[traduction]

58Mme Druda a indiqué que les plaignantes avaient aussi présenté des griefs concernant la nomination de Mme Seidman et avaient demandé la tenue d’un processus juste et transparent.

59M. Jobin a indiqué qu’une erreur s’était glissée dans l’ECM de 2007 destiné au processus de nomination externe non annoncé, qui exigeait le profil linguistique BBB/BBB. Le profil linguistique exigé a été changé pour PPP/BBB le 3 avril 2007 pour correspondre aux compétences que possédait Mme Seidman en juin 2006.

60En ce qui a trait à l’ECM lié au poste de chef de la section du programme d’anglais, le major Cyr a expliqué que la situation avait changé; il fallait un gestionnaire de projet pour le programme d’anglais, et il avait été décidé que le fait d’être un enseignant de langue seconde serait une qualification constituant un atout plutôt qu’une qualification essentielle. Il a mentionné avoir examiné la question avec le lcol Houde et avoir décidé d’adopter une nouvelle approche pour le programme d’anglais. Il a précisé que les capacités nécessaires pour exercer les fonctions du poste de chef de la section du programme d’anglais étaient la gestion de projet, les compétences en gestion et la capacité d’élaborer un programme. L’expérience de l’enseignement d’une langue seconde était considérée comme un atout.

61Lorsqu’on lui a demandé de parler du processus de nomination, le major Cyr a indiqué qu’il n’en connaissait pas les détails car il n’y avait pas participé, mais il a affirmé que Mme Seidman possédait les qualifications essentielles pour le poste. Il a confirmé que la gestion voulait qu’elle occupe ce poste parce qu’elle avait été jugée qualifiée dans un autre processus de nomination. Il était d’avis qu’elle occupait un poste semblable aux mêmes groupe et niveau (EDS‑03). Selon lui, si elle n’avait pas répondu aux exigences du poste, la gestion ne lui aurait pas demandé d’exercer les fonctions de chef de la section du programme d’anglais.

Argumentation des parties

A) Argumentation des plaignantes

62Les plaignantes soutiennent que le processus mené par l’intimé n’a pas été transparent. À compter du 19 février 2007, moment où la nomination de Mme Seidman a été annoncée verbalement, toute l’information que les plaignantes ont reçue faisait toujours suite à des questions, que ce soit par courriel ou dans le cadre de réunions. Celles‑ci soutiennent que l’intimé ne donnait jamais de renseignements concernant le poste de chef de la section du programme d’anglais. L’information provenant de la gestion était très limitée et fragmentaire et elle n’était pas fournie en temps opportun. Les plaignantes affirment que l’intimé réagissait toujours aux démarches qu’elles‑mêmes entamaient, qu’il s’agisse de griefs, de plaintes ou de questions posées à des réunions du Comité patronal-syndical.

63En appui à leur argumentation, les plaignantes font référence au Guide de mise en oeuvre des lignes directrices en matière de choix du processus de nomination de la CFP et, plus précisément, au paragraphe suivant l’en‑tête « Pourquoi le choix du processus doit‑il être compatible avec les valeurs directrices? »

… Le choix du processus de nomination a une incidence sur l'accès. Il est important de s'assurer que ce choix fournit une possibilité raisonnable de poser sa candidature et d'être considéré/e pour un emploi dans la fonction publique. De même, dans le respect de la valeur de transparence, il faut s'assurer que l'information au sujet des décisions, les lignes directrices et les pratiques est communiquée d'une manière ouverte et opportune…

64Elles se reportent en outre aux directives relatives à la justification du recours à un processus non annoncé [traduction] et, en particulier, aux points suivants :

  • La nécessité d'une justification écrite assure que le choix du processus non annoncé par le ou la gestionnaire est bien documenté…
  • On entend par équité que le choix du processus sera arrêté objectivement et sera exempt de favoritisme politique ou personnel… Comment la direction peut‑elle démontrer qu’il n’y a pas eu d’influence politique ou de favoritisme personnel?
  • On entend par transparence que l’information au sujet du processus de nomination sera communiquée de manière ouverte et en temps opportun…
  • Il doit être évident que son utilisation dans les circonstances contribuera plus efficacement à répondre à une exigence opérationnelle du plan de ressources humaines de l’organisation… nomination urgente…

[traduction]

65Selon les plaignantes, si la justification de nomination datée de mars 2007 de M. Jobin fait état du besoin urgent de l’organisation de pourvoir au poste, l’intimé, pour sa part, n’a pas prouvé qu’il y avait une urgence. De l’avis des plaignantes, l’intimé a simplement défini les besoins auxquels il faudrait répondre. De plus, lorsqu’il a été interrogé, le major Cyr a parlé d’une priorité ou de plusieurs priorités, mais n’a jamais utilisé les mots urgence ou situation d’urgence à propos du projet du niveau B.

66En outre, les plaignantes soutiennent que le témoignage de M. Miller a démontré que le projet relatif au niveau B n’était pas encore terminé, ce qui a été corroboré par d’autres témoins et confirmé par le major Cyr. Dans son témoignage, Mme Pohl a aussi indiqué que le projet était en attente jusqu’à l’entrée en fonction du nouveau chef de la section du programme d’anglais.

67Selon les plaignantes, la nomination de Mme Seidman était prédéterminée, et l’intimé n’a pas démontré que le choix de nommer Mme Seidman était objectif. Elles font référence au témoignage du major Cyr, à savoir que la gestion voulait que Mme Seidman occupe le poste de chef de la section du programme d’anglais, et que s’il fallait avoir recours à un processus non annoncé pour que cela se produise, elle devrait procéder ainsi.

68Les plaignantes soulignent que Mme Moffet avait mentionné que la gestion et le syndicat avaient eu plusieurs discussions pour essayer de comprendre les motifs de l’employeur, mais que l’intimé n’arrivait jamais à démontrer que sa décision de nommer Mme Seidman était dénuée de favoritisme personnel.

69Les plaignantes font une distinction entre la décision Chaves c. Commissaire du Service correctionnel du Canada et al.,[2008] TDFP 0003, du Tribunal et la présente affaire. Dans la décision Chaves, le Tribunal a conclu que le choix d’avoir recours à un processus de nomination non annoncé s’appuyait en fait sur des besoins opérationnels et organisationnels urgents et qu’il importait d’agir immédiatement. Cependant, en l’espèce, l’intimé n’a pas démontré l’existence d’un besoin urgent ni n’a justifié le choix d’un processus non annoncé fondé sur des besoins opérationnels et organisationnels puisque le projet du niveau B n’était pas encore commencé au moment de l’audience.

70Les plaignantes font valoir que l’intimé n’a pas effectué cette nomination conformément au mérite parce que les critères de mérite n’ont pas tous été évalués dans le processus.

71L’intimé a présenté la grille d’évaluation de l’entrevue de Mme Seidman. Les questions portaient sur la gestion et permettaient d’évaluer, dans une certaine mesure, sa capacité de gérer. Mis à part l’entrevue, l’intimé n’a pas fourni de documents associés à l’évaluation de la candidate sélectionnée, un examen par exemple. Les plaignantes se demandent si Mme Seidman a passé l’examen et veulent savoir ce qu’il permettait d’évaluer. Les plaignantes sont forcées de conclure que Mme Seidman n’a pas subi d’autre examen que l’entrevue.

72Les plaignantes comprennent que le fardeau de la preuve leur incombe, mais elles soutiennent que c’est l’intimé qui est responsable du processus. Elle sont d’avis que l’intimé doit démontrer que la personne qui sera nommée possède toutes les qualifications essentielles.

73Selon les plaignantes, l’intimé n’a pas démontré que Mme Seidman a été évaluée et qu’elle possédait toutes les qualifications essentielles. L’intimé n’a pas démontré que Mme Seidman satisfaisait à l’exigence linguistique PPP/BBB ni même au profil BBB/BBB. Aucun élément de preuve n’a été présenté au Tribunal pour démontrer que Mme Seidman avait de l’expérience au regard de la conception ou de l’élaboration de programme dans le domaine de l’éducation ou de la formation, ou qu’elle avait travaillé comme conseillère de direction pour des questions liées à l’éducation ou à la formation. Les plaignantes affirment que l’intimé n’a pas réussi à démontrer que Mme Seidman connaissait les théories et les pratiques associées à la formation des adultes.

74Les plaignantes font valoir que la présente affaire s’apparente à la décision Cameron et Maheux c. l'Administrateur général de Service Canada et al., [2008] TDFP 0016. Selon elles, la preuve et, jusqu’à un certain point, l’insuffisance de documentation, démontrent que l’intimé a abusé de son pouvoir en s’appuyant sur des éléments insuffisants lorsqu’il a nommé Mme Seidman. Ce faisant, il a procédé à une nomination non fondée sur le mérite.

75Les plaignantes soutiennent que Mme Seidman avait été présélectionnée pour le poste, et cette affirmation est étayée par le plan de ressources humaines de décembre 2006.

76De l’avis des plaignantes, le témoignage du major Cyr soutient leur affirmation puisqu’il a déclaré que la gestion estimait que Mme Seidman était qualifiée pour exécuter le travail et voulait qu’elle occupe le poste de chef de la section du programme d’anglais.

77Les plaignantes estiment que les critères de mérite étaient taillés sur mesure pour permettre à Mme Seidman d’être nommée au poste. Elles affirment que l’énoncé des qualifications utilisé pour une mesure de dotation lancée en 2005 et achevée en 2006, indiquait : enseignement de l’anglais langue seconde et du français langue seconde, expérience de l’élaboration de matériel de formation, connaissance de la méthodologie de la formation et connaissance de la gestion de projet. Or, les qualifications essentielles citées dans l’ECM du processus de nomination de 2008 sont à peu près les mêmes que celles qui figuraient dans celui du processus de nomination de 2005. De l’avis des plaignantes, Mme Seidman ne possède pas ces qualifications. Conséquemment, l’intimé devait adapter les critères de mérite pour qu’ils correspondent à ses connaissances et à son expérience, ce qui explique pourquoi l’ECM de 2007 pour le poste de chef de la section du programme d’anglais, dont il est question ici, diffère de celui qui a servi pour les processus de nomination précédent et suivant.

78Selon les plaignantes, l’intimé a tenté d’expliquer que la gestion de projet était « la façon de faire » actuelle, et que cela n’était pas nouveau puisque cette approche avait déjà été mise en lumière dans le processus de nomination de 2005 et qu’elle était toujours privilégiée dans le processus de 2008. Toujours selon les plaignantes, le changement apporté au processus de nomination de 2007 a consisté à éliminer de manière soudaine l’expérience de l’enseignement et de l’élaboration de matériel de formation, et la connaissance de la méthodologie de la formation.

79Les plaignantes soutiennent que l’intimé a tenté d’expliquer que l’organisation changeait d’orientation. Le major Cyr a signalé que le poste de chef de la section du programme d’anglais devait être plus axé sur la gestion de projet, mais ni M. Jobin ni lui n’ont fourni de documentation pour appuyer cette thèse. Ils ont tous deux indiqué que de nouvelles priorités avaient été établies relativement au programme, mais sans justifier un changement aussi drastique dans l’orientation du poste. L’intimé n’a pas fourni au Tribunal une nouvelle description de travail susceptible de préciser le renouvellement des fonctions de ce poste.

80Les plaignantes renvoient le Tribunal au passage du témoignage de M. Miller où celui‑ci décrit ce qui était exigé lorsqu’il occupait le poste de chef de la section du programme d’anglais. M. Miller a démontré, documents à l’appui, que le chef de la section du programme d’anglais est un superviseur qui met la main à la pâte, est responsable de l’élaboration du matériel et travaille avec les élaborateurs. Il a en outre confirmé que la description de travail de 2003 était toujours en vigueur à son départ en 2007.

81Pour ce qui est de la question du favoritisme personnel, les plaignantes s’appuient sur la décision Glasgow c. Sous‑ministre de Travaux publics et Services gouvernementaux Canada et al., [2008] TDFP 0007, et soutiennent que la présente affaire est fondée sur une preuve circonstancielle. Selon elles, il est assez clair que la gestion voulait que Mme Seidman devienne le nouveau chef de la section du programme d’anglais, et ce, depuis le 8 décembre 2006. Elles avancent que Mme Seidman avait été préparée pour le poste et qu’on lui avait accordé un traitement préférentiel en lui permettant de suivre une formation, laquelle avait été refusée aux plaignantes et à d’autres employés à plusieurs occasions.

82Les plaignantes font valoir que le processus de nomination n’était pas bien planifié, car la gestion ne s’attendait pas à devoir lancer un processus de nomination. C’est d’ailleurs ce qui expliquerait les erreurs, comme le changement du numéro du processus, la modification du processus interne pour un processus externe. Selon elles, sans leur intervention et celle du syndicat à la suite de l’annonce du 19 février 2007, Mme Seidman serait dès lors devenue une employée pour une durée indéterminée. De surcroît, elles avancent que l’intention de la direction de confier le poste de chef de la section du programme d’anglais à Mme Seidman était ferme au point qu’elle avait rejeté l’idée de procéder à des nominations par rotation parce que le mandat de Mme Seidman aurait pris fin avant que celle-ci n’ait eu l’occasion d’occuper le poste. La gestion voulait donc la nommer pour une durée indéterminée avant cela.

B) Argumentation de l’intimé

83L’intimé soutient que c’est aux plaignantes que revient la tâche de convaincre le Tribunal que l’intimé a abusé de son pouvoir en optant pour un processus de nomination non annoncé. Il affirme que l’article 33 de la LEFP permet à l’intimé d’utiliser un processus annoncé ou non annoncé, et qu’il n’est pas tenu d’examiner la candidature de plus d’une personne.

84Selon l’intimé, le Tribunal a reconnu dans la décision Robbins c. l'Administrateur général de Service Canada et al., [2006] TDFP 0017, que l’intimé dispose du pouvoir discrétionnaire de choisir le processus à utiliser, et que le fait de choisir un processus non annoncé ne constitue pas à lui seul un abus de pouvoir.

85L’intimé estime en outre que, même s’il n’était pas dans l’obligation d’examiner plus d’une candidature, il a pris en considération celle des trois plaignantes dans le processus externe non annoncé.

86L’intimé fait valoir que le Tribunal a entendu les éléments de preuve du major Cyr et de M. Jobin en ce qui a trait à la situation avec laquelle la direction composait à l’époque, c’est‑à‑dire la tenue d’une étude spéciale relativement aux problèmes que connaissait le programme d’anglais, le départ hâtif de M. Miller pour d’autres motifs, les processus de nominations antérieurs infructueux ainsi que l’urgence de faire avancer le programme.

87L’intimé affirme que les plaignantes doivent fournir des éléments de preuve clairs et convaincants pour démontrer qu’il y a eu abus de pouvoir.

88De plus, l’intimé soutient que rien ne permet de conclure au favoritisme personnel. Il fait observer que les allégations sont fondées sur des rumeurs et des insinuations, et non sur des faits.

89Selon l’intimé, le Tribunal a entendu la preuve présentée par le major Cyr et M. Jobin, selon laquelle les Ressources humaines ont été consultées à chaque étape. Il indique que le fait qu’on a cherché à obtenir des conseils démontre que le conseil a été suivi. L’intimé soutient avoir agi de bonne foi et affirme que la nomination était fondée sur le mérite.

90En appui à son argumentation, l’intimé renvoie le Tribunal aux outils d’évaluation présentés en preuve, et plus précisément à la grille d’évaluation de l’entrevue, qui démontre que Mme Seidman a été évaluée de façon à confirmer qu’elle satisfaisait aux critères de mérite.

91De surcroît, l’intimé soutient que les plaignantes n’ont pas réussi à démontrer que Mme Seidman avait été nommée sur la base de facteurs autres que le mérite. Il fait référence à la décision Carlson‑Needham et Borden c. Sous‑ministre de la Défense nationale et al., [2007] TDFP 0038, pour appuyer son argumentation. Dans cette décision, le Tribunal déclare que c’est aux plaignantes qu’il revient de prouver que la nomination a été entachée de favoritisme personnel et fondée sur des facteurs autres que le mérite. Elles doivent présenter des éléments de preuve convaincants démontrant qu’il y a eu favoritisme personnel et non se contenter de faire des déclarations reposant sur des perceptions et des faits dépourvus de pertinence.

92Selon l’intimé, M. Jobin n’a pas tenu compte de la deuxième section de la grille d’évaluation de l’entrevue, car Mme Seidman avait déjà subi cette évaluation dans le cadre d’un processus de nomination pour un poste semblable (chef de la section des technologies éducatives) et qu’elle s’était qualifiée. L’intimé est d’avis que Mme Seidman possédait toutes les qualifications essentielles associées au poste de chef de la section du programme d’anglais. Selon lui, les plaignantes n’ont produit aucune preuve démontrant que la personne nommée ne possédait pas les qualifications énumérées dans l’ECM.

93L’intimé fait valoir qu’un changement à l’ECM ne suffit pas à lui seul à prouver qu’il y a eu favoritisme personnel. Le Tribunal doit examiner les circonstances exposées par le major Cyr et M. Jobin pour justifier le motif du changement. Il affirme qu’il ne faudrait pas accorder trop d’importance au fait que la description de travail n’a pas été modifiée; en effet, l’intimé n’est pas tenu de se servir de chaque point énoncé dans la description de travail lorsqu’il prépare l’ECM. Il soutient qu’il n’était pas nécessaire de modifier la description de travail dès lors que les nouveaux critères de mérite se traduisaient dans la description d’emploi.

94De l’avis de l’intimé, les erreurs et les omissions ne démontrent pas qu’il y a eu abus de pouvoir. À l’appui de son argument, l’intimé fait référence à la décision Cannon c. Sous‑ministre des Pêches et des Océans et al., [2008] TDFP 0021, dans laquelle le Tribunal a conclu que l’intimé avait commis une erreur technique mineure, laquelle ressemble beaucoup au cas qui nous occupe. L’intimé affirme qu’il fallait changer le numéro du processus, mais qu’il n’a pas créé un nouveau processus.

95Pour tous les motifs exposés ci‑dessus, l’intimé demande au Tribunal de rejeter les plaintes.

C) Argumentation de la Commission de la fonction publique

96La CFP a présenté des observations écrites sur la notion d’abus de pouvoir. La CFP a indiqué qu’elle n’était pas mandatée pour examiner l’existence d’abus de pouvoir dans des cas individuels.

97Elle soutient qu’aux termes du paragraphe 29(3) de la LEFP, la CFP peut établir des lignes directrices, et qu’il faut observer ces lignes directrices en vertu de l’article 16 de la LEFP. Par ailleurs, elle soutient qu’il n’est pas nécessaire de se conformer aux directives telles que la Série d’orientation – Évaluation, sélection et nomination, parce qu’il s’agit d’outils créés pour aider les ministères, et qu’il leur est loisible d’utiliser ou non l’information que contiennent les documents. De ce fait, les directives n’ont pas la même valeur ou incidence que les lignes directrices.

98Enfin, la CFP fait valoir que, comme il est indiqué dans les propres directives de l’intimé relativement à la justification du recours à un processus non annoncé, la question de l’urgence n’est pas la seule question à prendre en compte dans le choix du type de processus.

Analyse

Question I : Le processus de nomination mené par l’intimé et qui a conduit à la nomination de Mme Seidman le 17 avril 2007 était‑il un processus de nomination interne ou externe?

99Les définitions énoncées dans la LEFP s’avèrent utiles pour déterminer si le processus mené par l’intimé était un processus de nomination interne ou externe. L’article 2 de la LEFP comprend les définitions suivantes :

« Processus de nomination externe » Processus de nomination dans lequel peuvent être prises en compte tant les personnes appartenant à la fonction publique que les autres.

« Processus de nomination interne » Processus de nomination dans lequel seules peuvent être prises en compte les personnes employées dans la fonction publique.

100Mme Seidman a été recrutée dans la fonction publique en septembre 2006 pour une durée déterminée afin de remplacer une employée en congé de maternité. À titre d’employée pour une durée déterminée, Mme Seidman était une employée de la fonction publique fédérale. Toutefois, l’intimé croyait que la candidature de Mme Seidman ne pourrait pas être envisagée parce qu’elle provenait d’un bassin formé à la suite d’un processus de nomination externe. Compte tenu des circonstances, les Ressources humaines ont recommandé l’utilisation d’un processus de nomination externe.

101Le 8 mars 2007, après que les plaignantes ont manifesté leur intérêt, M. Jobin leur a envoyé un avis précisant qu’elles participaient à un processus de nomination non annoncé visant à pourvoir au poste de chef de la section du programme d’anglais.

102Le 17 avril 2007, Mme Seidman a été nommée pour une durée indéterminée. Or, lorsque l’intimé a conclu, en juin 2007, que Mme Seidman était en fait une employée de la fonction publique embauchée pour une durée déterminée, il a simplement changé le numéro du processus pour que celui-ci désigne un processus de nomination interne non annoncé.

103Comme l’a précisé le Tribunal dans la décision Richardson et al. c. Sous‑ministre d'Environnement Canada et al., [2007] TDFP 0007, un processus de nomination externe qui ne prend en compte que des personnes employées dans la fonction publique est considéré comme un processus de nomination interne :

[13] Cependant, un administrateur général ne peut pas désigner un processus de nomination comme étant un « processus de nomination externe », puis n’examiner que la candidature d’une seule personne qui est déjà fonctionnaire, car cela aurait pour effet d’enlever tout son sens à la distinction entre un « processus de nomination externe » et un « processus de nomination interne ». De plus, le fait de désigner un processus de nomination de cette façon pourrait avoir pour effet de soustraire le droit de recours auprès du Tribunal auquel les fonctionnaires devraient avoir accès. Il est évident qu’une telle interprétation ne peut pas correspondre à l’intention du législateur lorsque ce dernier a établi ces définitions dans la LEFP.

[14] Il incombe à l’intimé de prouver au Tribunal qu’un processus de nomination externe a eu lieu dans le but de doter le poste en question. L’intimé n’a fourni aucune preuve que la candidature d’une personne de l’extérieur de la fonction publique a réellement été examinée en vue de doter le poste en question.

[15] Le Tribunal estime que, bien que l’intimé croyait procéder à un processus de nomination externe, en examinant la candidature d’une seule personne qui était déjà fonctionnaire, l’intimé a mené un processus de nomination interne.

104À compter de mars 2007 et jusqu’à ce que la nomination soit effectuée en avril 2007, il est possible que le processus de nomination se soit déroulé comme un processus externe. Toutefois, les quatre employées dont la candidature a été examinée étaient toutes des employées de la fonction publique. Donc, le processus était un processus de nomination interne et non externe. Le changement du numéro du processus, en juin 2007, pour un numéro de processus interne, a supplanté le processus externe précédent. Or, cette modification n’a pas entraîné, comme le prétendent les plaignantes, la création d’un nouveau processus; elle a tout simplement corrigé un processus en cours.

105Par conséquent, le Tribunal conclut que l’intimé a mené un processus de nomination interne. La nomination en l’espèce relève donc de la compétence du Tribunal.

Question II : L’intimé a‑t‑il abusé de son pouvoir en se fondant sur des éléments matériels insuffisants lorsqu’il a nommé Mme Seidman?

106Les plaintes ont aussi été présentées en vertu de l’alinéa 77(1)a) de la LEFP, afin de faire valoir que l’intimé a abusé de son pouvoir dans l’application du mérite. L’alinéa 77(1)a) est ainsi libellé :

77. (1) Lorsque la Commission a fait une proposition de nomination ou une nomination dans le cadre d’un processus de nomination interne, la personne qui est dans la zone de recours visée au paragraphe (2) peut, selon les modalités et dans le délai fixés par règlement du Tribunal, présenter à celui‑ci une plainte selon laquelle elle n’a pas été nommée ou fait l’objet d’une proposition de nomination pour l’une ou l’autre des raisons suivantes :

  1. abus de pouvoir de la part de la Commission ou de l’administrateur général dans l’exercice de leurs attributions respectives au titre du paragraphe 30(2);

107Le paragraphe 30(2) précise ce qui suit :

30. (2) Une nomination est fondée sur le mérite lorsque les conditions suivantes sont réunies :

  1. selon la Commission, la personne à nommer possède les qualifications essentielles — notamment la compétence dans les langues officielles — établies par l’administrateur général pour le travail à accomplir;
  2. la Commission prend en compte :
    1. toute qualification supplémentaire que l’administrateur général considère comme un atout pour le travail à accomplir ou pour l’administration, pour le présent ou l’avenir,
    2. toute exigence opérationnelle actuelle ou future de l’administration précisée par l’administrateur général,
    3. tout besoin actuel ou futur de l’administration précisé par l’administrateur général.

108Dans des décisions antérieures telles que Tibbs c. Sous‑ministre de la Défense nationale et al., [2006] TDFP 0008, Chiassonc.Sous‑ministre de Patrimoine canadien et al.,[2008] TDFP 0027,et Cameron et Maheux au paragraphe 75, le Tribunal a déclaré qu’ « il y a abus de pouvoir lorsqu’un délégué se fonde sur des éléments insuffisants pour prendre une décision discrétionnaire y compris lorsqu’il ne dispose d’aucun élément de preuve ou qu’il ne tient pas compte d’éléments pertinents. »

109De plus, dans nombre de décisions, le Tribunal a déclaré que pour qu’une nomination soit fondée sur le mérite, la personne nommée devait posséder les qualifications essentielles. Voir, par exemple, la décision Rinn c. Sous‑ministre des Transports, de l'Infrastructure et des Collectivités et al.,[2007] TDFP 0044.

110Les plaignantes sont d’avis que la nomination de Mme Seidman n’a pas été fondée sur le mérite parce que rien ne permet de conclure que celle‑ci possédait les qualifications essentielles. L’intimé soutient que Mme Seidman était titulaire d’un poste semblable, et que c’est la raison pour laquelle des tâches supplémentaires lui ont été attribuées en février 2007.

111Le Tribunal n’accepte pas la thèse de l’intimé voulant que les postes étaient semblables. La comparaison de l’ECM lié au poste de chef de la section du programme d’anglais et de celui se rapportant au poste de chef de la section des technologies éducatives révèle des différences importantes qui n’appuient pas la thèse des deux postes semblables. Des extraits pertinents des deux ECM sont reproduits ci‑dessous :

CHEF, SECTION DU PROGRAMME D’ANGLAIS
Qualifications essentielles
CHEF, section des technologies éducatives
Qualifications essentielles
Exigences linguistiques
Poste bilingue, niveau BBB/BBB impératif à la nomination [changé pour PPP/BBB le 3 avril 2007]
Exigences linguistiques
Poste bilingue, niveau BBB/BBB impératif à la nomination
Études
Baccalauréat d’une université reconnue en éducation ou dans un domaine lié au poste
Études
Maîtrise d’une université reconnue en technologie éducative ou combinaison acceptable d’études, de formation ou d’expérience
Expérience
Expérience du travail de concepteur ou d’élaborateur dans le domaine de l’éducation ou de la formation
Expérience du travail de conseiller de direction pour les questions relatives à l’éducation ou à la formation
Expérience
Expérience de l’élaboration de logiciels éducatifs
Expérience pratique des systèmes de gestion de l’apprentissage
Expérience de la prestation de conseils à la direction
Connaissances
Connaissance des théories et pratiques se rapportant à l’enseignement des langues aux adultes
Connaissances
Connaissance approfondie des théories et pratiques se rapportant à la technologie éducative
Connaissances techniques liées à l’enseignement assisté par ordinateur et à l’apprentissage à distance
Connaissance des théories et pratiques se rapportant à l’enseignement des langues aux adultes
Capacités/compétences
Capacité de gérer
Capacité de gérer des projets de recherche et de développement dans le domaine de l’éducation
Capacité de convaincre de vive voix et par écrit
Capacités/compétences
Capacité de concevoir et de mettre en oeuvre des programmes d’enseignement
Capacité de convaincre de vive voix et par écrit
Qualités personnelles
Intégrité
Jugement
Esprit d’initiative
Entregent
Qualités personnelles
Esprit d’initiative
Jugement
Entregent

[traduction]

112Les qualifications essentielles associées au poste de chef de la section du programme d’anglais sont fondamentalement différentes de celles qui sont exigées pour le poste de chef de la section des technologies éducatives. Premièrement, la compétence linguistique diffère d’un poste à l’autre. Le niveau exigé pour le poste de chef de la section du programme d’anglais est supérieur (PPP/BBB) à celui exigé pour le poste de chef de la section des technologies éducatives (BBB/BBB).

113Deuxièmement, l’expérience en matière d’enseignement et de formation prédomine dans les qualifications essentielles liées au poste de chef de la section du programme d’anglais, alors que le poste de chef de la section des technologies éducatives fait beaucoup plus appel à l’expérience et aux connaissances de nature technologique. Une personne possédant une maîtrise en technologie éducative ou une combinaison acceptable d’études, de formation ou d’expérience ne satisferait pas nécessairement à l’exigence relative au baccalauréat en éducation pour le poste de chef de la section du programme d’anglais. Dans le même ordre d’idées, il faudrait évaluer les exigences portant sur l’expérience dans le domaine de l’éducation ou de la formation et l’expérience de la prestation de conseils à la direction pour les questions relatives à l’éducation ou à la formation, car le titulaire du poste de chef de la section des technologies éducatives ne satisferait pas nécessairement à ces exigences en ayant élaboré des logiciels éducatifs ou en ayant travaillé sur des systèmes de gestion de l’apprentissage.

114Par ailleurs, le titulaire du poste de chef de la section du programme d’anglais doit posséder la capacité de gérer, une qualification essentielle de premier plan qui n’est pas exigée pour le poste de chef de la section des technologies éducatives. Ce dernier poste exige plutôt de la personne qu’elle possède la capacité de concevoir et de mettre en oeuvre des programmes d’enseignement. Enfin, l’« intégrité » compte parmi les qualités personnelles exigées pour le poste de chef de la section du programme d’anglais, mais celle‑ci n’est pas mentionnée dans l’ECM de l’autre poste.

115Le poste de chef de la section du programme d’anglais exige de l’expérience en formation, en éducation et en gestion, alors que le poste de chef de la section des technologies éducatives exige de l’expérience en technologie. Il est clair que les deux postes sont différents; ces derniers exigent des compétences différentes et sont orientés différemment. L’argumentation de l’intimé est donc indéfendable. Le Tribunal ne dispose pas de la description de travail du poste de chef de la section des technologies éducatives, laquelle aurait pu l’aider à comprendre l’argumentation de l’intimé.

116La grille d’évaluation de l’entrevue de Mme Seidman a été présentée en preuve par l’intimé avec le consentement des parties. Le document montre que l’intimé a évalué la capacité de gérer en se fondant sur sept questions. Mme Seidman a reçu une note de cinq sur sept pour les questions. Or, la section se rapportant aux « autres compétences et qualités » [traduction], qui fait référence à la « capacité de convaincre de vive voix (en tenant compte de toutes les questions) » [traduction], au « jugement (en tenant compte de toutes les questions et références) » [traduction] et à « l’entregent face aux membres du comité et aux autres personnes visées (en tenant compte de toutes les questions et références) » [traduction] est rayée, et une note manuscrite dans la marge indique qu’elle est « sans objet » [traduction].

117L’intimé a soutenu que les « autres compétences et qualités » [traduction] de Mme Seidman n’avaient pas été évaluées durant l’entrevue pour le poste de chef de la section du programme d’anglais parce qu’elles l’avaient déjà été pour le poste de chef de la section des technologies éducatives. Néanmoins, le Tribunal ne dispose d’aucune preuve établissant que ces qualifications ont bel et bien été évaluées. L’intimé n’a pas fourni le dossier d’évaluation de Mme Seidman pour le poste de chef de la section des technologies éducatives ni quelque référence que ce soit par rapport à ce processus de nomination. De plus, rien ne permet de conclure que, parmi les qualifications essentielles, l’intégrité et la capacité de gérer des projets de recherche et de développement ont été évaluées, ni que le profil linguistique PPP/BBB l’a été.

118Dans la décision Tibbs, le Tribunal a conclu qu’en l’absence de preuve contraire, le Tribunal peut tirer des conclusions raisonnables sur la base de faits non contestés :

[54] Bien qu’il soit possible pour l’intimé, pour sa part, de nier tout simplement l’allégation, une fois que le plaignant a présenté certains éléments de preuve pour appuyer son allégation qu’un abus de pouvoir a eu lieu, il voudra vraisemblablement invoquer un moyen de défense positif à l’égard de l’allégation. De plus, il est possible pour le Tribunal de tirer des conclusions raisonnables de faits non contestés. Par conséquent, si l’intimé ne présente pas d’éléments de preuve pour expliquer les motifs d’une ligne de conduite particulière, il risque de devoir faire face à une décision défavorable par le Tribunal, soit que la plainte est fondée : Gorsky, Uspich et Brandt, supra, aux pp. 9‑15 et 9‑16.

119Le curriculum vitaede Mme Seidman n’a pas été produit en preuve. Ce document aurait pu indiquer si Mme Seidman possédait l’expérience requise. Le Tribunal n’a devant lui que le témoignage du major Cyr selon lequel Mme Seidman était qualifiée et qu’elle a été embauchée pour une durée déterminée à l’automne 2006 au moyen d’un processus externe afin de remplacer le titulaire du poste de chef de la section des technologies éducatives. Ce témoignage ne suffit pas à lui seul à réfuter les affirmations des plaignantes. C’est l’intimé qui est responsable de mener à bien les processus de nomination et il détient toute l’information relative à ces processus. Il est donc en position de présenter des éléments de preuve pouvant expliquer la façon dont un processus de nomination a été mené.

120Le Tribunal a abordé une situation semblable dans la décision Cameron et Maheux, où l’intimé a omis de présenter en preuve le curriculum vitae et le rapport d’évaluation de la personne nommée :

[81] Le fait que le curriculum vitae et le rapport d’évaluation de Mme Bouchard n’ont pas été présentés par l’intimé laisse le Tribunal perplexe. Le Tribunal estime que la simple affirmation de Mme Domingue que Mme Bouchard répondait à l’ensemble des qualifications n’est pas suffisante compte tenu de la preuve avancée par les plaignants. L’intimé détient toute l’information sur le processus de nomination et il est en mesure de présenter une preuve complète pour expliquer le processus de nomination s’il s’est déroulé de façon différente que celle avancée par les plaignants. Il se peut que l’intimé ait choisi de ne pas déposer en preuve ces documents parce que les documents n’existent pas ou que leur divulgation mettrait en doute les qualifications essentielles de Mme Bouchard. Il peut y avoir d’autres raisons, mais en l’absence de ces documents, le Tribunal rend sa décision sur la base de la preuve prépondérante. 

121La preuve portée à la connaissance du Tribunal l’amène à conclure que l’intimé a abusé de son pouvoir, parce qu’il ne s’est pas assuré que Mme Seidman possédait toutes les qualifications essentielles avant de la nommer. L’intimé s’est appuyé sur des éléments matériels insuffisants lorsqu’il a nommé Mme Seidman au poste visé. Par conséquent, le Tribunal juge que la nomination de Mme Seidman au poste de chef de la section du programme d’anglais n’a pas été effectuée sur la base du mérite; en effet, rien ne permet de conclure que toutes les qualifications essentielles ont été évaluées ou que Mme Seidman les possédait toutes.

Question III : L’intimé a‑t‑il abusé de son pouvoir en nommant Mme Seidman par favoritisme personnel?

122De l’avis des plaignantes, l’intimé a fait preuve de favoritisme envers Mme Seidman. Elles affirment que l’ECM a été conçu pour correspondre aux qualifications et aux capacités de celle-ci.

123Dans la décision Glasgow, le Tribunal a jugé que, dans les plaintes d’abus de pouvoir, il est possible de démontrer qu’il y a eu favoritisme personnel au moyen d’une preuve directe ou circonstancielle :

[44] Une preuve de favoritisme personnel peut être directe, comme des faits démontrant clairement le lien personnel étroit qui existe entre la personne chargée de la sélection et la personne nommée. Cela dit, ce sera souvent une question de preuve circonstancielle, où certains actes, commentaires ou événements observés avant ou pendant le processus de nomination doivent être examinés. Selon sa source et son lien particulier avec les questions en litige dans une plainte, la preuve circonstancielle peut être aussi convaincante que la preuve directe. Comme le précisent Morley R. Gorsky, S.J. Uspich et Gregory J. Brandt, Evidence and Procedure in Canadian Labour Arbitration (Toronto: Thomson Carswell, 1994), à la page 13‑5 :

La preuve circonstancielle peut procurer un sentiment de certitude tout aussi profond que la preuve directe. En effet, la preuve circonstancielle peut parfois s’avérer plus convaincante que la preuve directe. Le pouvoir de conviction de la preuve circonstancielle réside généralement dans l’importance que prennent de nombreuses circonstances réunies [traduction].

124Toujours dans la décision Glasgow, le Tribunal a établi que des intérêts personnels indus, comme une relation personnelle entre la personne chargée de la sélection et la personne nommée, ne devraient jamais constituer le motif d’une nomination. La modification des qualifications essentielles liées à un poste pour assurer la nomination d’un employé sans égard aux exigences réelles d’un poste constitue un autre exemple de favoritisme personnel. La nomination d’un employé qui ne possède pas les qualifications essentielles liées à un poste en vue de donner à cet employé un poste à durée indéterminée est assimilable à du favoritisme personnel.

125Le nom de Mme Seidman apparaissait dans le courriel de M. Jobin en date du 8 décembre 2006, qui décrit le plan de ressources humaines relativement aux postes ED : « le poste EDS‑03 (268795) occupé par Kevin Miller fera l’objet d’une mutation latérale pour Hope Seidman (date à déterminer) » [traduction].

126Le major Cyr a indiqué que la gestion avait l’intention de nommer Mme Seidman au poste visé au printemps parce qu’elle avait été jugée qualifiée dans un autre processus. Mme Moffet a fait observer que, lorsqu’elle avait abordé les lacunes sur le plan de l’expérience de l’enseignement de Mme Seidman avec le major Cyr, celui‑ci lui avait répondu que Mme Seidman « fera comme nous, elle apprendra sur le tas. » L’intimé n’a pas réfuté cette déclaration, laquelle démontre que le major Cyr n’était pas préoccupé du fait que Mme Seidman possédait ou non de l’expérience en tant que professeur de langue seconde.

127De plus, lorsque Mme Moffet a laissé entendre à M. Sinden que les plaignantes pourraient occuper à tour de rôle le poste de chef de la section du programme d’anglais, celui‑ci a refusé sa proposition. Il a expliqué à Mme Moffet que c’était impossible parce que l’emploi pour une durée déterminée de Mme Seidman prenait fin en juillet 2007, et que la direction souhaitait lui confier un poste à durée indéterminée avant la fin de son mandat. Cette déclaration n’a été ni contredite ni réfutée par l’intimé.

128En outre, contrairement à ce qu’il est affirmé dans la justification du recours à un processus de nomination interne non annoncé, il n’y avait aucune urgence. Le courriel ci-après de M. Jobin, daté du 22 janvier 2007, le confirme :

Dans l’intervalle, la dotation à la section d’anglais n’étant plus urgente par comparaison à celle de la section de français, le processus a été abandonné. La possibilité de pourvoir à ce poste s’étant une fois de plus récemment présentée d’elle-même, nous avons examiné les options possibles et nous avons choisi de puiser à un bassin existant permettant de pourvoir à des postes semblables. Il ne s’agit donc pas d’une mutation latérale (ou déploiement) proprement dite, mais d’une nomination.

[traduction]

129Dès décembre 2006, l’intimé avait l’intention de nommer Mme Seidman au poste de chef de la section du programme d’anglais. Elle s’est d’abord vu confier, en février 2007, les tâches du chef de la section du programme d’anglais en plus de ses propres tâches à titre de chef de la section des technologies éducatives. Mme Seidman a ensuite été nommée, en avril 2007, par suite d’un processus externe non annoncé qui a été transformé, en juin 2007, en processus de nomination interne non annoncé. En soi, cette conduite indique fortement que l’intimé voulait absolument que Mme Seidman occupe ce poste.

130L’ECM a été modifié pour Mme Seidman. Selon le rapport daté du 10 juin 2007 de M. Jobin, la première consultation concernant la modification de l’ECM a eu lieu le 27 février 2007, quelques jours seulement après que les plaignantes et Mme Moffet eurent posé des questions et exprimé des inquiétudes quant au fait que les tâches additionnelles liées au poste de chef de la section du programme d’anglais avaient été assignées à Mme Seidman le 19 février 2007. Compte tenu de tout ce qui précède, toute personne raisonnable qui se pencherait sur ces circonstances jugerait qu’elles sont suspectes et qu’il ne s’agit pas simplement d’une coïncidence.

131L’expérience de l’enseignement est considérée comme une qualification essentielle tant dans l’énoncé des qualifications de 2005 que dans l’ECM de 2008, alors qu’elle est reléguée au rang de qualification constituant un atout dans l’ECM de 2007. Aux dires de Mme Moffet, Mme Seidman n’avait aucune expérience de l’enseignement d’une langue seconde. Elle a en outre affirmé que le major Cyr lui avait mentionné que Mme Seidman apprendrait sur le tas.

132Il est clair que l’ECM de 2007 a été modifié en fonction du profil de Mme Seidman, parce que celle‑ci ne possédait aucune expérience de l’enseignement d’une langue seconde. Ce faisant, l’intimé a fait preuve de favoritisme personnel envers Mme Seidman pour ce qui est du poste de chef de la section du programme d’anglais.

133Les plaignantes soutiennent également que Mme Seidman a été privilégiée du fait qu’elle a reçu une formation en gestion, et pas elles. Toutefois, les plaignantes n’ont pas présenté d’éléments de preuve pour soutenir cette affirmation. Le simple fait de recevoir une formation n’est pas en soi une marque de favoritisme personnel et ne suffit pas à démontrer qu’il y a eu favoritisme personnel. Nombre d’autres facteurs qui n’ont pas été portés à la connaissance du Tribunal ont pu entrer en jeu.

134Pour tous ces motifs, le Tribunal conclut que l’intimé a abusé de son pouvoir et a fait preuve de favoritisme personnel lorsqu’il a nommé Mme Seidman au poste de chef de la section du programme d’anglais.

Question IV : L’intimé a‑t‑il abusé de son pouvoir en agissant de mauvaise foi lorsqu’il a opté pour un processus de nomination non annoncé?

135L’article 33 de la LEFP prévoit que la CFP, ou son délégué, détient le pouvoir discrétionnaire de choisir entre un processus de nomination annoncé ou non annoncé. Or, ce pouvoir discrétionnaire n’est pas absolu, et une plainte peut être présentée auprès du Tribunal pour abus de pouvoir en ce qui a trait au choix du processus en vertu de l’alinéa 77(1)b) de la LEFP. Ces articles sont ainsi libellés :

33. La Commission peut, en vue d’une nomination, avoir recours à un processus de nomination annoncé ou à un processus de nomination non annoncé.

77. (1) Lorsque la Commission a fait une proposition de nomination ou une nomination dans le cadre d’un processus de nomination interne, la personne qui est dans la zone de recours visée au paragraphe (2) peut, selon les modalités et dans le délai fixé par règlement du Tribunal, présenter à celui‑ci une plainte selon laquelle elle n’a pas été nommée ou fait l’objet d’une proposition de nomination pour l’une ou l’autre des raisons suivantes :

(…)

b) abus de pouvoir de la part de la Commission du fait qu’elle a choisi un processus de nomination interne annoncé ou non annoncé, selon le cas;

136Essentiellement, les plaignantes soutiennent que le pouvoir discrétionnaire de l’intimé de choisir un processus non annoncé a été exercé de mauvaise foi, et non pour les fins visées en vertu de la LEFP.

137L’« abus de pouvoir » n’est pas défini dans la LEFP, mais on peut lire au paragraphe 2(4) : « Il est entendu que, pour l’application de la présente loi, on entend notamment par « abus de pouvoir » la mauvaise foi et le favoritisme personnel. »

138La mauvaise foi et le favoritisme personnel figurent parmi les formes les plus graves d’abus de pouvoir. Le législateur a abordé la mauvaise foi et le favoritisme personnel au paragraphe 2(4) de la LEFP afin de démontrer clairement que ces types de comportement constituent un abus de pouvoir (voir la décision Glasgow).

139Dans le passé, les tribunaux ont conclu à la mauvaise foi dans l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire lorsqu’il y a intention illégitime, parti pris ou manque d’impartialité, ou lorsqu’une procédure irrationnelle conduit à un résultat incompatible avec l’exercice des fonctions publiques de l’autorité. Il peut être difficile d’établir une preuve directe de mauvaise foi, mais les tribunaux ont statué qu’il était possible de le faire sur la base d’une preuve circonstancielle. Prise dans un sens élargi, la mauvaise foi peut englober l’incurie ou l’insouciance grave, même en l’absence d’intention illégitime. (Voir René Dussault et Louis Borgeat, Administrative Law : A treatise, 2nd ed. (Toronto : Carswell, 1990) vol. 1, page 425 et vol. 4, page 343, et Finney c. Barreau du Québec, [2004] 2 R.C.S. 17, [2004] A.C.S. No 31 (QL).)

140Au paragraphe 56 de la décision Cameron et Maheux, le Tribunal a expliqué que « la mauvaise foi pourrait être établie par la preuve d’actes qui se démarquent au point où le Tribunal ne peut conclure qu’ils ont été posés de bonne foi parce qu’ils sont inexplicables et incompréhensibles dans le contexte de la LEFP ». (Voir aussi la décision Burke c. Sous‑ministre de la Défense nationale et al., [2009] TDFP 0003 ; Chiasson; et Robert et Sabourin c. le Sous‑ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration et al., [2008] TDFP 0024.)

141La preuve établit que l’intimé avait, dès le 8 décembre 2006, l’intention de nommer Mme Seidman au poste de chef du programme d’anglais. Dans le plan de ressources humaines envoyé par M. Jobin à la même date, il est mentionné que : « le poste EDS‑03 (268795) occupé par Kevin Miller fera l’objet d’une mutation latérale pour Hope Seidman (date à déterminer) » [traduction]. Le 19 février 2007, il a été annoncé que Mme Seidman remplacerait immédiatement M. Miller à titre de chef de la section du programme d’anglais. De surcroît, lorsque Mme Moffet a remis en question l’expérience de Mme Seidman, le major Cyr lui a dit que l’absence d’expérience de Mme Seidman n’était pas un problème, puisqu’elle apprendrait sur le tas.

142Le 17 avril 2007, à la suite de ce que l’on croyait être un processus de nomination externe non annoncé, Mme Seidman a été nommée au poste de chef de la section du programme d’anglais pour une durée indéterminée. Pour appuyer cette décision, l’intimé a justifié par écrit le recours à un processus de nomination externe non annoncé, lequel a été signé par M. Jobin le 21 mars 2007 :

Justification

Il s’agit d’un processus externe non annoncé, destiné à combler un poste de niveau ED-EDS-03 (Chef Curriculum anglais). Ce processus fait suite à la tenue de deux processus annoncés d’envergure nationale, interne et externe, mis en oeuvre en novembre 2005 pour doter le poste en question, mais qui se sont avérés improductifs dès février 2006. En cela, nous reproduisons la solution identifiée pour la dotation d’un poste similaire (EDS-03/Chef Curriculum français), qui a pu être doté de cette manière après l’échec de deux processus annoncés.

Accessibilité, justice et transparence :

Ce nouveau processus permet de cibler plus efficacement les candidats susceptibles de se qualifier, qui n’avaient pas nécessairement présenté leur candidature initialement. La nouvelle zone de sélection choisie est organisationnelle et professionnelle, à savoir la Compagnie des normes de l’École de langues des Forces canadiennes. Tous les postes EDS de l’ELFC y sont concentrés. La participation de quatre (4) personnes titulaires EDS ayant manifesté leur intérêt pour le poste, et dont trois appartiennent à la section du curriculum anglais, est considérée. La consultation interne menée au sein de l’ELFC n’a pas permis d’identifier d’autres candidats potentiellement intéressés pour ce poste qui requiert une spécialisation du domaine. Aucune autre candidature ne s’est manifestée.

La méthode retenue pour fins de dotation est conforme aux critères du ministère. Au regard des principes de gestion, elle est abordable et efficiente en ce qu’elle permet une dotation rapide et efficace. Elle se veut également souple, étant adaptée aux besoins urgents de l’organisation. Elle répond au Plan des ressources humaines de l’ELFC/Cie des normes pour l’AF 07/08.

143Aux termes de la ligne directrice de la CFP concernant le choix du processus de nomination, les gestionnaires doivent rédiger une justification écrite complète expliquant en quoi un processus de nomination non annoncé satisfait aux critères établis et aux quatre valeurs de dotation que sont l’équité, la transparence, l’accessibilité et la représentativité. Les administrateurs généraux doivent se conformer à cette ligne directrice en vertu de l’article 16 de la LEFP. (Voir la décision Robert et Sabourin)

144M. Jobin a déclaré dans sa justification que la participation des quatre candidates qui avaient démontré leur l’intérêt avait été examinée. Toutefois, la participation des trois plaignantes à un processus de nomination externe non annoncé n’a été considérée qu’une fois que ces dernières eurent fait part à M. Jobin de leur intérêt à la suite de l’annonce de la nomination de Mme Seidman, en février 2007, et après avoir présenté leurs plaintes auprès du Tribunal. Les plaignantes ont dû prendre l’initiative de communiquer avec l’intimé à un certain nombre d’occasions dans le but d’obtenir de l’information sur le processus de nomination, et l’intimé a parfois répondu à leurs questions de façon vague et en faisant preuve d’indifférence.

145Il est mentionné dans la justification que la consultation interne à l’ELFC n’a pas permis de repérer d’autres candidats intéressés et que personne d’autre n’avait présenté sa candidature. Ce passage contredit le témoignage de Mme Moffet selon lequel le major Cyr lui avait mentionné que la direction n’avait pas envoyé de demande d’intérêt aux employés et n’envisageait personne d’autre. L’intimé n’a pas présenté d’élément de preuve pour appuyer les termes de l’énoncé de la justification, à savoir qu’il y avait eu une consultation interne et qu’il n’y avait pas d’autres candidats intéressés.

146Dans la décision Cameron et Maheux, l’intimé a fait valoir qu’une situation urgente justifiait le recours à un processus de nomination non annoncé. Cependant, le Tribunal a considéré que la situation n’était pas absolument urgente, puisqu’elle était prévisible et connue depuis des mois. Dans cette affaire, le Tribunal a conclu que l’intimé avait abusé de son pouvoir, car il avait agi de mauvaise foi en prolongeant la durée de la nomination de la personne retenue au moyen d’un processus de nomination non annoncé.

147En l’espèce, le programme d’anglais était une priorité. Or, comme l’ont expliqué M. Miller et Mme Pohl, le travail portant sur le programme d’anglais n’était pas encore commencé à l’époque où elles ont présenté leur témoignage. L’intimé n’a pas réfuté cet élément de preuve, qui contredit le motif de l’urgence invoqué dans la justification. Le travail sur le projet du niveau B n’avait été accompli ni par Mme Seidman ni par personne d’autre puisqu’elle avait pris la relève des fonctions du chef de la section du programme d’anglais en février 2007. La justification signée par M. Jobin mentionnait simplement qu’il était urgent de pourvoir au poste de chef de la section du programme d’anglais, sans en préciser les raisons. M. Miller n’a pas assumé comme prévu les fonctions du poste de chef des examens durant l’été 2006, parce que la titulaire de ce poste a reporté son départ à la retraite jusqu’à l’été 2007. M. Miller est parti de façon inattendue en février 2007, mais son départ n’a pas eu beaucoup de conséquences en l’espèce, puisque les démarches de l’intimé pour nommer Mme Seidman au poste avaient déjà été entreprises avant son départ. Le Tribunal estime donc qu’il n’y avait pas d’urgence, mais que la décision de nommer Mme Seidman au poste était prédéterminée depuis le 8 décembre 2006.

148Le processus de nomination en cause contient un certain nombre d’erreurs. Toutefois, le Tribunal ne fonde pas sa conclusion d’abus de son pouvoir sur celles‑ci. Le Tribunal estime que l’intimé a agi de mauvaise foi en optant pour un processus non annoncé, marqué par un manque général d’équité et de transparence et ayant pour seul but d’assurer la nomination de Mme Seidman. L’intimé voulait à tout prix que Mme Seidman occupe le poste de chef de la section du programme d’anglais dès le moment où il a inscrit son nom dans le plan de ressources humaines en décembre 2006 et jusqu’à sa nomination le 26 juin 2007. Les actes de l’intimé, tout au long du processus, constituent une dérogation flagrante aux valeurs de dotation que sont l’équité et la transparence figurant dans le préambule de la LEFP, aux exigences de la LEFP et à la ligne directrice de la CFP sur le choix du processus de nomination.

149La conduite de l’intimé démontre sa volonté de dissimuler le fait qu’il a nommé Mme Seidman sans s’assurer qu’elle possédait toutes les qualifications essentielles liées au poste et prouve que cette nomination était entachée de favoritisme personnel. Le processus n’a pas été transparent, du fait que l’information n’était pas communiquée. L’ensemble du processus a entraîné énormément de confusion. L’intimé n’a jamais déclaré que Mme Seidman s’était vu assigner les fonctions du chef au moment de l’annonce du 19 février 2007, et environ un mois s’est écoulé avant qu’il en informe les plaignantes.

150Compte tenu des éléments de preuve dans toute la suite des événements, le Tribunal conclut que l’intimé avait d’entrée de jeu l’intention de nommer Mme Seidman, qu’elle possède ou non les qualifications essentielles liées au poste, et que les démarches entreprises dans ce processus constituent de la mauvaise foi de la part de l’intimé. L’intimé a donc abusé de son pouvoir en choisissant un processus de nomination non annoncé.

Décision

151Pour tous ces motifs, les plaintes sont fondées.

Ordonnance et mesures corrective

152Les plaignantes demandent au Tribunal d’ordonner la révocation de la nomination de Mme Seidman au poste de chef de la section du programme d’anglais.

153L’intimé, la CFP et les plaignantes ont présenté une requête demandant au Tribunal de remettre le prononcé de la décision concernant des mesures correctives s’il établissait que les plaintes étaient fondées. Les parties font valoir que Mme Seidman ne travaille plus au ministère. Par conséquent, l’intimé et la CFP soutiennent qu’ils devront produire une preuve en ce qui a trait à la révocation.

154À la demande des parties, le Tribunal réserve donc sa décision concernant les mesures correctives. Le Tribunal communiquera avec les parties afin de fixer la date de l’audience visant à régler la question des mesures correctives.

Francine Cabana

Membre

Parties au dossier

Dossier du Tribunal:
2007-0207 au 0209, 0295, 0305 et 0307
Intitulé de la cause:
Susan Ayotte et al. et le Sous-ministre de la Défense nationale et al.
Audience:
Les 18, 19 et 20 novembre 2008
Montéal (Québec)
Date des motifs:
Le 3 juillet 2009

Comparutions:

Pour les plaignants:
Sylvie Rochon
Pour l'intimé:
Stéphane Bertrand
Pour la Commission
de la fonction publique:
Marie-Josée Montreuil
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