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Informations sur la décision

Résumé :

Le fonctionnaire s’estimant lésé avait été rétrogradé pour des raisons administratives liées à son rendement - l’employeur a soulevé une objection préliminaire à la compétence de l’arbitre de grief pour entendre le grief - le fonctionnaire s’estimant lésé a prétendu que sa rétrogradation était une tentative déguisée pour le punir et que l’arbitre de grief avait donc compétence pour entendre le grief - l’arbitre de grief a jugé qu’il devait entendre la preuve avant de se prononcer - les avocats ont produit conjointement un ensemble de documents et informé l’arbitre de grief que ni l’une ni l’autre des parties ne souhaitait produire des témoignages - le fonctionnaire s’estimant lésé était considéré comme un professionnel, il était apprécié et agréable, mais il avait de la difficulté à traiter les dossiers en temps voulu - l’employeur avait eu plusieurs rencontres avec lui, lui avait offert de l’aide et avait mis des plans d’action en œuvre avec son consentement, mais il n’avait pas réussi à obtenir les résultats attendus - au cours des mois qui avaient précédé sa rétrogradation, le fonctionnaire s’estimant lésé avait eu deux rencontres avec l’employeur à d’autres sujets - la première rencontre concernait une mésentente sur des procédures de travail qu’il contestait - la seconde rencontre portait sur une absence d’une journée, mais aucune mesure disciplinaire n’avait été prise - le fonctionnaire s’estimant lésé avait la charge de prouver que la mesure prise par l’employeur était une imposture ou un subterfuge - l’arbitre de grief a conclu que l’employeur avait agi avec franchise et de bonne foi - l’objection préliminaire était fondée et l’arbitre de grief a donc jugé qu’il n’avait pas compétence pour entendre le grief. Objection préliminaire accueillie. Grief rejeté.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2009-07-16
  • Dossier:  166-34-37385
  • Référence:  2009 CRTFP 89

Devant un arbitre de grief


ENTRE

PAUL STEVENSON

fonctionnaire s'estimant lésé

et

AGENCE DU REVENU DU CANADA

employeur

Répertorié
Stevenson c. Agence du revenu du Canada

Affaire concernant un grief renvoyé à l’arbitrage en vertu de l’article 92 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
George Filliter, arbitre de grief

Pour le fonctionnaire s'estimant lésé:
Rima Zamat, Alliance de la Fonction publique du Canada

Pour l'employeur:
Karen Clifford, avocate

Affaire entendue à Charlottetown (Île du Prince Édouard),
le 11 juin 2009.
(Traduction de la CRTFP)

Grief renvoyé à l’arbitrage

1 Paul Stevenson, le fonctionnaire s’estimant lésé (le « fonctionnaire »), travaille pour l’Agence du revenu du Canada (l’« employeur »). Le 26 novembre 2004, il a été rétrogradé du poste d’agent des services à la clientèle - remboursements (PM-01) au poste de commis aux examens et aux vérifications (CR-04). Le 20 décembre 2004, il a déposé un grief contestant cette rétrogradation. 

2 Le fonctionnaire a fait valoir que sa rétrogradation était une tentative voilée de lui imposer une mesure disciplinaire, tandis que l’employeur a soutenu qu’elle était de nature administrative et que, par conséquent, j’étais sans compétence.

3 L’employeur a soulevé la question préliminaire de la compétence avant la tenue de l’audience et m’a demandé de rejeter le grief. J’ai déterminé qu’il me fallait entendre la preuve pour prendre une décision sur la question. À l’ouverture de l’audience, les deux avocates m’ont remis un recueil conjoint des documents ainsi qu’une copie d’une lettre envoyée par l’Alliance de la Fonction publique du Canada le 19 février 2009. Les deux avocates m’ont à ce moment-là informé également que ni l’une ni l’autre partie ne souhaitait présenter quelque témoignage de vive voix que ce soit et que toutes deux souhaitaient aller de l’avant et débattre de l’objection préliminaire sur ma compétence sur le fondement de la preuve.

4 Les parties se sont mises d’accord pour que je rende une décision sur la question de compétence avant d’entendre quelque preuve que ce soit sur le bien-fondé du grief.

5 Le 1er avril 2005, la nouvelle Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, édictée par l’article 2 de la Loi sur la modernisation de la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, a été proclamée en vigueur. En vertu de l’article 61 de la Loi sur la modernisation de la fonction publique, ce renvoi à l’arbitrage de grief doit être décidé conformément à l’ancienne Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-35 (« l’ancienne Loi »).

Contexte factuel

6 L’avocate du fonctionnaire a confirmé que les faits de la présente affaire ne sont pas contestés. À cet égard, l’avocate de l’employeur a énoncé les grandes lignes de sa version des faits, que le fonctionnaire a acceptée comme en étant une analyste juste.

7 De 1993 au 26 novembre 2004, le fonctionnaire a occupé un poste d’agent des services à la clientèle – remboursements et, pendant toutes les périodes pertinentes, l’employeur a jugé qu’il faisait preuve de professionnalisme et qu’il était apprécié et aimable. Cependant, pour le poste qu’il occupait, la productivité était un facteur important, et le fonctionnaire éprouvait de la difficulté à traiter en temps opportun les dossiers qui lui étaient confiés.

8 La preuve documentée révèle qu’en mars 2002, l’employeur a entrepris de rencontrer le fonctionnaire pour discuter de ses niveaux de productivité peu élevés, qui n’atteignaient pas les normes attendues. Plusieurs rencontres ont eu lieu au cours des mois qui ont suivi (pièce 1, onglets 10 à 13). Le 24 mars 2003, l’employeur a mis en application un plan d’amélioration du rendement, que le fonctionnaire a signé (pièce 1, onglet 14). 

9 Le plan devait être passé en revue le 16 juin 2003. Dans les faits, cet examen a eu lieu le 18 juin 2003 (pièce 1, onglet 16). Lors de la rencontre qui a été tenue à cette fin, l’employeur a offert une aide technologique au fonctionnaire, qui l’a acceptée.

10 À partir de ce moment-là, l’employeur a continué de communiquer avec le fonctionnaire (pièce 1, onglets 17 à 25). En septembre 2003, l’employeur a mis au point, spécifiquement pour le fonctionnaire, un plan d’action d’un an qui devait être revu le 31 août 2004 (pièce 1, onglet 31). Ce plan d’action consistait en un exposé très détaillé des attentes de l’employeur et précisait des critères objectifs et mesurables.

11 Pendant toute la période visée par le plan d’action, des représentants de l’employeur et le fonctionnaire se sont rencontrés pour discuter de ses résultats. Personne n’a contesté le fait qu’en dépit de l’aide qu’il a offerte, l’employeur a élaboré le plan d’action avec le consentement et les efforts du fonctionnaire qui, toutefois, n’a pas été en mesure d’atteindre les résultats que l’on attendait de lui.

12 Le 2 octobre 2004, le fonctionnaire a rencontré sa superviseure immédiate, qui a discuté de diverses questions de rendement. Le 24 novembre 2004, il a rencontré des représentants de l’employeur. Par suite de cette rencontre, on lui a remis une lettre, datée du 26 novembre 2004 (pièce 1, onglet 40), indiquant qu’au 3 janvier 2005, il était rétrogradé en vertu de l’alinéa 51(1)g) de la Loi sur l’Agence du revenu du Canada (LARC).

13 Dans un autre dossier, les 22 et 30 juin 2004, le fonctionnaire et des représentants de l’employeur se sont rencontrés pour discuter d’un désaccord concernant certaines procédures que le fonctionnaire s’estimait forcé de suivre. D’après le fonctionnaire, ces procédures étaient contraires à la loi. J’ai lu les documents produits par l’employeur, tirés de ces rencontres (pièce 1, onglets 28 et 29), et j’en arrive à la conclusion que ce désaccord n’a eu aucune conséquence.

14 En outre, le 7 octobre 2004, le fonctionnaire a rencontré des représentants de l’employeur pour discuter de son omission de se présenter au travail une journée en particulier en septembre. Au cours de cette rencontre, la superviseure du fonctionnaire a clairement exprimé sa déception au sujet de son [traduction] « manque de responsabilité et de fiabilité » (pièce 1, onglet 34). À la fin, la superviseure a avisé le fonctionnaire qu’elle songeait à lui imposer une sanction disciplinaire. Cela étant dit, le dossier dont je suis saisi ne fait état d’aucune preuve de la prise d’une mesure disciplinaire.

Analyse de l’objection relative à ma compétence et décision

15 L’employeur soutient que la rétrogradation du fonctionnaire était de nature administrative et que, par conséquent, je ne suis pas compétent pour entendre l’affaire. Les deux parties admettent que je tire ma compétence du paragraphe 92(1) de l’ancienne Loi, dont voici le libellé :

92. (1) Après l’avoir porté jusqu’au dernier palier de la procédure applicable sans avoir obtenu satisfaction, un fonctionnaire peut renvoyer à l’arbitrage tout grief portant sur :

a) l’interprétation ou l’application, à son endroit, d’une disposition d’une convention collective ou d’une décision arbitrale,

b) dans le cas d’un fonctionnaire d’un ministère ou secteur de l’administration publique fédérale spécifié à la partie I de l’annexe I ou désigné par décret pris au titre du paragraphe (4),

(i) soit une mesure disciplinaire – entraînant la suspension ou une sanction pécuniaire,

ii) soit un licenciement ou une rétrogradation visé aux alinéas 11(2)f) ou g) de la Loi sur la gestion des finances publiques,

c) dans les autres cas, une mesure disciplinaire entraînant le licenciement, la suspension ou une sanction pécuniaire.

16 L’employeur indique, et je suis d’accord avec lui, que l’alinéa 92(1)c) de l’ancienne Loi s’applique dans la présente affaire, puisque l’employeur est un employeur distinct et qu’il n’est pas assujetti à l’application de la Loi sur la gestion des finances publiques. Par ailleurs, l’alinéa 51(1)g) de LARC s’applique également. En voici le texte:

51. (1) L’Agence peut, dans l’exercice de ses attributions en matière de gestion des ressources humaines :

[…]

g) prévoir, pour des motifs autres qu’un manquement à la discipline ou une inconduite, le licenciement ou la rétrogradation à un poste situé dans une échelle de traitement comportant un plafond inférieur et préciser dans quelles circonstances, de quelle manière, par qui et en vertu de quels pouvoirs ces mesures peuvent être appliquées, modifiées ou annulées, en tout ou en partie;

[Je souligne]

Ma conclusion est conforme à une décision qui a été rendue antérieurement, dans McConnell c. Agence des douanes et du revenu du Canada,2004 CRTFP 46.

17 Par conséquent, je n’ai la compétence pour me pencher sur le bien-fondé de ce grief que si la mesure prise par l’employeur était de nature disciplinaire. Dans la présente affaire, je suis appelé à déterminer si, compte tenu de la preuve produite sur consentement, la mesure prise par l’employeur, consistant à rétrograder le fonctionnaire le 26 novembre 2004, était de nature disciplinaire.

18 Le fonctionnaire et l’employeur ont tous deux admis qu’il doit y avoir une preuve que la mesure reposait sur des motifs disciplinaires. La preuve produite dans la présente affaire indique que la mesure en cause a été prise pour des motifs liés à l’emploi (Procureur général du Canada c. Leonarduzzi, 2001 CFPI 529, à laquelle l’on renvoie au paragraphe 26 de McConnell). Plus spécifiquement, la preuve doit démontrer que la mesure prise par l’employeur était une « imposture ou un subterfuge » (voir McConnell). À mon avis, dans la présente affaire, aucune preuve de cette nature n’a été présentée pour démontrer que les mesures prises par l’employeur étaient une « imposture ou un subterfuge ».

19 Le fonctionnaire n’a pas contesté le fait que l’employeur avait des préoccupations opérationnelles légitimes en ce qu’il devait faire en sorte qu’il soit satisfait aux niveaux de production prévus (voir Procureur général du Canada c. Frazee, 2007 CF 1176). En outre, le fonctionnaire ne soutient pas que l’employeur a à quelque moment que ce soit allégué l’existence d’un « acte malfaisant » de sa part (Peters c. Conseil du Trésor (ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien), 2007 CRTFP 7).

20 Le fonctionnaire fait valoir que la rétrogradation était une mesure disciplinaire voilée. L’avocate du fonctionnaire signale à cet égard les deux rencontres au cours desquelles le fonctionnaire a, à tout le moins, été conseillé sur son rendement en 2004 (voir les paragraphes 13 et 14 de la présente décision). Le fonctionnaire soutient que je devrais entendre la preuve sur le bien-fondé du grief avant de rendre une décision sur l’objection préliminaire touchant ma compétence. L’avocate du fonctionnaire m’a renvoyé aux trois décisions suivantes(dont aucune n’a été utile en bout de ligne) : Government of Saskatchewan v. Saskatchewan Government Employees’ Union (Pollock) (1988), 2 L.A.C. (4e) 423, Labatt’s Ontario Breweries, Division of Labatt Brewing Co. Ltd. v. Canadian Brewery Workers Union, Local 304 (1980), 29 L.A.C. (2d) 275, et Steel Co. of Canada Ltd. v. United Steelworkers, Local 1005 (1976), 7 L.A.C. (2d) 132.

21 Lorsque j’ai examiné l’affaire dont je suis saisi, j’ai été étonné de constater que personne n’affirmait que l’employeur avait agi de manière inappropriée. En outre, le fonctionnaire a reconnu que l’employeur devait satisfaire à une exigence opérationnelle légitime. Essentiellement, le fonctionnaire a soulevé comme seul point qu’avant d’être rétrogradé, des représentants de l’employeur avaient discuté avec lui d’autres questions. Le dossier ne montre pas qu’il a été frappé de mesures disciplinaires relativement à ces questions. Même s’il l’avait été, y a-t-il preuve d’une imposture ou d’un subterfuge? Je ne le crois pas.

22 Compte tenu du dossier, je conclus que, dans les faits, l’employeur a agi avec le fonctionnaire de manière franche en ce qui concerne les questions de rendement et les deux autres questions mentionnées précédemment (voir les paragraphes 13 et 14 de la présente décision). Je conclus également que l’employeur a agi de bonne foi, qu’il a tenu le fonctionnaire pleinement informé de ce qu’il attendait de lui et des conséquences qui en découleraient s’il ne satisfaisait pas à ces attentes, qu’il a donné au fonctionnaire la possibilité de s’adapter et de respecter les attentes, qu’il lui a fourni de l’aide et qu’il a envisagé d’autres solutions avant de le rétrograder (Lindsay c. Agence des services frontaliers du Canada, 2009 CRTFP 62).

23 L’employeur a noté également que le fonctionnaire n’avait pas exercé son droit à l’examen de sa rétrogradation par un tiers indépendant, dont jouissent tous les employés conformément à la directive de l’Agence du revenu du Canada qui touche les examens par un tiers indépendant, mise à jour le 1er mai 2005. Le fonctionnaire n’a pas contesté cette affirmation.

24 Je conclus que l’objection préliminaire relative à ma compétence est bien fondée et que je ne peux entendre cette affaire au fond.

25 Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit:

Ordonnance

26 L’objection préliminaire de l’employeur est accueillie et le grief est rejeté.

Le 16 juillet 2009.

Traduction de la CRTFP

George Filliter,
arbitre de grief

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