Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le fonctionnaire s’estimant lésé a prétendu que l’employeur avait violé son droit de ne pas être soumis à une fouille abusive en obtenant un rapport médical sans son consentement - l’employeur a fait valoir qu’il existait une autre procédure administrative en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels, que le fonctionnaire s’estimant lésé n’avait fait l’objet d’aucune sanction pécuniaire et qu’il ne pouvait pas invoquer la clause interdisant la discrimination de la convention collective étant donné qu’il n’avait pas l’appui de son agent négociateur - l’arbitre de grief a conclu qu’il n’avait pas la compétence pour instruire le grief parce que celui-ci ne s’inscrivait pas dans les paramètres de l’article 209 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique. Grief rejeté.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2009-08-13
  • Dossier:  566-02-02680
  • Référence:  2009 CRTFP 98

Devant un arbitre de grief


ENTRE

ROBERT BOIVIN

fonctionnaire s'estimant lésé

et

CONSEIL DU TRÉSOR
(Agence des services frontaliers du Canada)

défenderesse

Répertorié
Boivin c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada)

Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l’arbitrage

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Michel Paquette, arbitre de grief

Pour le fonctionnaire s'estimant lésé:
Lui-même

Pour la défenderesse:
Maryse Bernier, avocate

Décision rendue sur la base d’arguments écrits
déposés le 16 janvier et le 9 février 2009.
(Traduction de la CRTFP)

I. Grief individuel renvoyé à l’arbitrage

1 Le 24 décembre 2008, Robert Boivin, le fonctionnaire s’estimant lésé (le « fonctionnaire »), a renvoyé à l’arbitrage son grief, daté du 27 août 2008, qui se lit ainsi :

[Traduction]

Je proteste contre l’action répréhensible de l’ASFC, par laquelle l’employeur a enfreint l’art. 5 de la Loi sur la protection des renseignements personnels en recueillant illégalement des renseignements personnels me concernant et en faisant de la discrimination contre moi dans mon emploi en raison d’une invalidité, ce qui est interdit par la Loi canadienne sur les droits de la personne, en m’imposant par conséquent une mesure disciplinaire entraînant une sanction pécuniaire dont l’employeur est responsable quand il m’a enjoint de subir un examen médical et qu’il a secrètement payé une évaluation à laquelle je n’avais pas ni n’aurais jamais consenti.

Je proteste aussi contre l’infraction à la clause 19.01 de la convention collective pour ce qui précède et j’invoque la clause 19.02 afin que ce grief ne puisse pas être entendu au premier palier et qu’il doive être immédiatement transmis au troisième palier.

2 Le fonctionnaire réclame le redressement suivant :

[Traduction]

Je réclame l’annulation de la sanction pécuniaire par le versement d’une somme de cinquante mille dollars (50 000 $) pour les dommages subis par suite des actions de l’employeur,

que l’employeur prenne des mesures correctives, mette en place des mécanismes pour prévenir d’autres actes répréhensibles de cette nature;

et

prenne toutes les autres mesures correctives appropriées dans les circonstances.

3 Il convient de préciser, quant à l’allégation de discrimination, qu’un avis a été signifié à la Commission canadienne des droits de la personne, qui a refusé de participer à la procédure en l’espèce.

4 Le 16 janvier 2009, l’Agence des services frontaliers du Canada (la « défenderesse ») a contesté la compétence d’un arbitre de grief pour entendre l’affaire.

II. Résumé de la preuve

5 En juillet 2008, le fonctionnaire s’est fait demander de fournir des renseignements médicaux sur son invalidité. On lui a aussi remis une lettre dans laquelle on lui demandait de répondre à des questions précises en attendant les résultats d’une évaluation menée par Santé Canada. On lui a donné 100 $ pour ses efforts.

6 Le fonctionnaire a déposé son grief pour contester cette demande le 27 août 2008. Le grief a été rejeté au dernier palier de la procédure de règlement des griefs.

7 En outre, le 20 mars 2009, l’agent négociateur — l’Alliance de la Fonction publique du Canada — a confirmé qu’il refusait de représenter le fonctionnaire pour ce grief.

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour la défenderesse

8 La représentante de la défenderesse a déclaré que le grief ne pouvait pas être renvoyé à l’arbitrage sous le régime de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (LRTFP) parce que 1) il existe une autre procédure administrative, en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels, offrant un recours en pareil cas; 2) le fonctionnaire ne s’est fait imposer aucune sanction pécuniaire dans la situation qu’il a décrite; 3) le fonctionnaire a invoqué la convention collective pour soulever la question de la discrimination sans l’appui de son agent négociateur.

9 La clause 18.02a) de la convention collective pertinente entre le Conseil du Trésor et l’Alliance de la Fonction publique du Canada, pour le groupe Services des programmes et de l’administration, dont la date d’expiration était le 20 juin 2007 (la « convention collective »), stipule ce qui suit : « s’il existe une autre procédure administrative prévue par une loi du Parlement ou établie aux termes d’une telle loi pour traiter sa plainte particulière, cette procédure doit être suivie ».

10 Cet alinéa est compatible avec le paragraphe 208(2) de la LRTFP, qui dispose ce qui suit :

   208.(2) Le fonctionnaire ne peut présenter de grief individuel si un recours administratif de réparation lui est ouvert sous le régime d’une autre loi fédérale, à l’exception de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

11 Les dispositions pertinentes du paragraphe 209(1) de la LRTFP disposent ce qui suit :

   209.(1) Après l’avoir porté jusqu’au dernier palier de la procédure applicable sans avoir obtenu satisfaction, le fonctionnaire peut renvoyer à l’arbitrage tout grief individuel portant sur :

a) soit l’interprétation ou l’application, à son égard, de toute disposition d’une convention collective ou d’une décision arbitrale;

b) soit une mesure disciplinaire entraînant le licenciement, la rétrogradation, la suspension ou une sanction pécuniaire;

[…]

12 La représentante de la défenderesse a fait valoir que le fonctionnaire aurait mieux fait de se prévaloir du recours que lui offre la Loi sur la protection des renseignements personnels, et que ses plaintes ne peuvent donc pas faire l’objet d’un grief individuel ni être renvoyées à l’arbitrage. Le paragraphe 208(2) de la LRTFP refuse expressément à un fonctionnaire le droit de présenter un grief si un recours administratif de réparation lui est ouvert sous le régime d’une autre loi fédérale.

13 La représentante de la défenderesse s’est opposée au renvoi du grief à l’arbitrage, puisqu’il est fondé sur une « sanction pécuniaire » imposée au fonctionnaire. Aucune sanction disciplinaire n’a résulté de son examen médical par un optométriste.

14 La représentante de la défenderesse s’est aussi opposée au fait que le fonctionnaire a soulevé la discrimination dans son renvoi à l’arbitrage. Puisque la discrimination relève de la convention collective, le fonctionnaire doit avoir l’appui de son agent négociateur même pour pouvoir présenter un grief, alors qu’il ne semble pas l’avoir. Le paragraphe 208(4) de la LRTFP est libellé comme suit :

          208.(4) Le fonctionnaire ne peut présenter de grief individuel portant sur l’interprétation ou l’application à son égard de toute disposition d’une convention collective ou d’une décision arbitrale qu’à condition d’avoir obtenu l’approbation de l’agent négociateur de l’unité de négociation à laquelle s’applique la convention collective ou la décision arbitrale et d’être représenté par cet agent.

15 Compte tenu de ce qui précède, la défenderesse déclare en toute déférence qu’un arbitre de grief nommé pour entendre un renvoi à l’arbitrage fondé sur l’article 209 de la LRTFP n’a pas compétence, de sorte que ce renvoi à l’arbitrage devrait être immédiatement rejeté sans audience.

B. Pour le fonctionnaire s’estimant lésé

16 Le fonctionnaire réplique à l’objection de la défenderesse qu’aucun autre recours ne lui est ouvert. Dans Murdoch c. Gendarmerie royale du Canada (C.F.), 2005 CF 420, la Cour fédérale a jugé que la commissaire à la protection de la vie privée était limitée dans son rôle. Par conséquent, la Loi sur la protection des renseignements personnels ne prévoyait pas de recours de réparation. Le fonctionnaire a déclaré qu’une plainte au Commissariat à la protection de la vie privée produit une preuve par voie d’enquête et de décision plutôt que par recours de réparation, puisque seules des recommandations peuvent être faites. Il a donc conclu que la Commission a compétence pour arbitrer cette affaire, puisqu’il n’existe aucun autre recours ni aucun autre organisme compétent.

17 La défenderesse a aussi prétendu que ce grief ne peut être renvoyé à l’arbitrage en vertu de l’alinéa 209(1)b) de la LRTFP. Le fonctionnaire a déclaré qu’il conteste dans son grief une sanction disciplinaire déguisée, définie par la Commission comme une mesure ou une orientation en réaction à un agissement coupable perçu ou réel. Il a ajouté qu’il va produire une preuve pour démontrer que le représentant de la défenderesse en l’occurrence, son gestionnaire, a décidé sans aucune raison légitime de douter de son invalidité et de ses besoins d’adaptation, même s’ils n’avaient pas changé depuis au moins 1996. Il s’ensuit que l’instruction qui lui avait été enjointe de se présenter chez un optométriste était disciplinaire. La collecte illégale de renseignements personnels constitue une sanction pécuniaire qui lui a fait subir des dommages pour lesquels il a droit à un dédommagement financier en vertu de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif et de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

18 En outre, le fonctionnaire a déclaré que ses droits en vertu de l’article 8 de la Charte canadienne des droits et libertés (la « Charte ») à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives ont été violés quand il a dû payer 150 $ pour un rapport médical auquel il n’avait pas ou n’aurait jamais consenti, ce qui équivalait à une saisie abusive. Cette action portait aussi atteinte au paragraphe 15(1) de la Charte, qui reconnaît l’égalité de chacun devant la loi indépendamment de toute discrimination fondée sur une déficience.

19 Le fonctionnaire a fait également valoir que le paragraphe 24(1) de la Charte l’autorise à s’adresser à un tribunal compétent pour obtenir réparation, en citant comme jurisprudence Weber c. Ontario Hydro, [1995] 2 R.C.S. 929 ainsi que la décision de la Commission dans Van Duyvenbode c. Conseil du Trésor (ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien), 2008 CRTFP 90.

20 Enfin, le fonctionnaire a déclaré que le paragraphe 209(2) de la LRTFP est inconstitutionnel parce qu’incompatible avec le paragraphe 15(1) de la Charte, lequel reconnaît le droit à l’égalité devant la loi, de même qu’à son alinéa 2d), qui reconnaît la liberté d’association, en exigeant l’approbation de l’agent négociateur alors que cette approbation ne peut être raisonnablement refusée, en vertu de l’article 185 de la LRTFP. Il a ajouté que les dispositions du paragraphe 209(2) de la LRTFP ne sont pas conformes à l’article 1 de la Charte.

21 Pour toutes ces raisons, le fonctionnaire affirme que la Commission a compétence sur son grief et demande en toute déférence qu’elle fixe une date d’audience pour l’entendre.

IV. Motifs

22 L’article 209 de la LRTFP est très clair quant aux types de griefs qui peuvent être renvoyés à l’arbitrage.

23 Dans mon examen de ce grief, je constate que trois allégations découlent de la demande de la défenderesse que le fonctionnaire lui fournisse des renseignements médicaux sur son invalidité, à savoir :

  • la défenderesse a contrevenu à l’article 5 de la Loi sur la protection des renseignements personnels;
  • la défenderesse a fait preuve de discrimination fondée sur la déficience à l’égard du fonctionnaire;
  • la défenderesse a imposé une mesure disciplinaire entraînant une sanction pécuniaire.

24 L’argument du fonctionnaire sur ma compétence pour la contravention à l’article 5 de la Loi sur la protection des renseignements personnels est intéressant, mais il ne tient pas. Il a peut-être le droit de présenter un grief en se fondant sur l’interprétation que le juge Noël (voir Murdoch) donne de la réparation dans la mesure où la Loi sur la protection des renseignements personnels s’applique, mais même si je devais décider qu’il peut présenter un grief parce qu’on aurait contrevenu à l’article 5 de cette loi, il ne peut pas le renvoyer à l’arbitrage, puisque son grief n’est conforme à aucun des paramètres de l’article 209 de la LRTFP :

         209. (1) Après l’avoir porté jusqu’au dernier palier de la procédure applicable sans avoir obtenu satisfaction, le fonctionnaire peut renvoyer à l’arbitrage tout grief individuel portant sur :

a) soit l’interprétation ou l’application, à son égard, de toute disposition d’une convention collective ou d’une décision arbitrale;

b) soit une mesure disciplinaire entraînant le licenciement, la rétrogradation, la suspension ou une sanction pécuniaire;

c) soit, s’il est un fonctionnaire de l’administration publique centrale :

(i) la rétrogradation ou le licenciement imposé sous le régime soit de l’alinéa 12(1)d) de la Loi sur la gestion des finances publiques pour rendement insuffisant, soit de l’alinéa 12(1)e) de cette loi pour toute raison autre que l’insuffisance du rendement, un manquement à la discipline ou une inconduite,

(ii) la mutation sous le régime de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique sans son consentement alors que celui-ci était nécessaire;

[…]

25 Quant à la discrimination, le fonctionnaire a invoqué l’article 19 de la convention collective. Sans l’appui de l’agent négociateur, le grief n’est pas arbitrable en vertu du paragraphe 209(2) de la LRTFP, puisqu’il est basé sur l’interprétation ou l’application de la convention collective. Or, l’AFPC a refusé de représenter le fonctionnaire dans ce grief.

26 Enfin, quant à la mesure disciplinaire, le fonctionnaire n’a présenté aucune preuve qu’on lui ait imposé une suspension et/ou une sanction pécuniaire, comme l’alinéa 209(1)b) de la LRTFP l’exige.

27 Le fonctionnaire conteste également la constitutionnalité du paragraphe 209(2) de la LRTFP en alléguant qu’il contrevient à l’alinéa 2d) et au paragraphe 15(1) de la Charte.

28 Je n’arrive pas à comprendre comment l’alinéa 2d) de la Charte a été violé. Le fonctionnaire est membre de l’unité de négociation. Il n’a pas dit comment on a porté atteinte à sa liberté d’association.

29 On n’a pas contrevenu à ses droits fondés sur le paragraphe 15(1) de la Charte. Comme déclaré dans Vaughan c. Canada, 2005 CSC 11, au paragraphe 25 :

[…]

C’est le syndicat qui est partie à la convention collective, et il lui appartient de soumettre s’il y a lieu le grief d’un employé à l’étape suivante, compte tenu d’un certain nombre de facteurs comprenant notamment, mais certes pas exclusivement, le bien-fondé du grief.

30 Si le fonctionnaire n’était pas satisfait de la décision de l’agent négociateur, il aurait pu la contester en invoquant l’alinéa 190(1)g) de la LRTFP.

31 Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

V. Ordonnance

32 Le grief est rejeté faute de compétence.

Le 13 août 2009.

Traduction de la CRTFP

Michel Paquette,
arbitre de grief

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