Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

D'après les allégations du plaignant, l'intimé aurait fait preuve d'abus de pouvoir dans l'application du mérite lorsqu'il a éliminé sa candidature d'un processus de nomination interne. L'intimé a déposé une requête en rejet de la plainte au motif qu'il n'y a pas eu de nomination, que la plainte en question portait plutôt sur une affectation et qu'en conséquence le Tribunal n'avait pas compétence pour instruire la plainte, ni statuer sur celle-ci. Décision : Le Tribunal a jugé qu'il s'agissait bien d'une affectation et non d'une nomination puisque l'employé concerné demeurait au même niveau avec le salaire et les indemnités de son poste d'attache et devait retourner à son poste d'attache à la fin de son affectation. De plus, le processus portait sur une période déterminée. Le Tribunal a jugé qu'il n'avait donc pas compétence pour instruire la plainte, ni statuer sur celle-ci. Requête en rejet accordée ; plainte rejetée.

Contenu de la décision

Coat of Arms - Armoiries
Dossier:
2008-0732
Rendue à:
Ottawa, le 3 avril 2009

MOHAMED AIT LAHCEN
Plaignant
ET
LE COMMISSAIRE DU SERVICE CORRECTIONNEL DU CANADA
Intimé
ET
AUTRES PARTIES

Affaire:
Requête en rejet de la plainte
Décision:
La requête est accordée
Décision rendue par:
Guy Giguère, président
Langue de la décision:
Français
Répertoriée:
Ait Lahcen c. Commissaire du Service correctionnel du Canada et al.
Référence neutre:
2009 TDFP 0013

Motifs de la décision

Introduction

1Le plaignant, Mohamed Ait Lahcen, a présenté une plainte au Tribunal de la dotation de la fonction publique (le Tribunal) alléguant abus de pouvoir de la part de l’intimé, le Commissaire du Service correctionnel du Canada. Il est d’avis qu’il y a eu abus de pouvoir dans l’application du mérite concernant le poste de coordonnateur local, amélioration de la qualité et apprentissage aux services de santé au groupe et niveau WP-03 à l’établissement Donnacona.

2Le plaignant a présenté sa plainte en vertu de l’article 77 de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, art. 12 et 13, (la LEFP). Il explique que suite à un processus de nomination interne, sa candidature n’a pas été retenue. Il soutient qu’il n’y a pas eu d’entrevue, ni d’examen écrit. Par ailleurs, il indique qu’on n’a jamais communiqué avec lui pour des informations.

3L’intimé a déposé une requête en rejet de la plainte au motif qu’aucune nomination n’a été proposée ou n’a eu lieu au moment où la plainte a été présentée. Il précise que la plainte concerne une affectation et non une nomination.

Question en litige

4Le Tribunal doit statuer sur la question suivante : Est-ce que la plainte porte sur une affectation?

Arguments des parties

A) Arguments de l’intimé

5L’intimé indique que la plainte porte sur une affectation plutôt qu’une nomination ou une proposition de nomination. L’avis d’intérêt et le Protocole d’entente d’affectation, inclus avec la requête, précisent que la personne choisie sera affectée au poste de coordonnateur local, amélioration de qualité et apprentissage, Services de santé. De plus, le Protocole d’entente d’affectation indique que l’affectation est pour une durée spécifique, soit du 13 octobre 2008 au 30 septembre 2009, et que le statut et la rémunération de l’employé en affectation sont les suivants :

Statut de l’employée/salaire 

L’employé en affectation demeurera titulaire de son poste d’attache pendant toute la durée de ce protocole et réintégrera ce poste à moins que d’autres dispositions ne soient prises par entente des parties intéressées. Durant cette période il recevra le salaire applicable à son poste d’attache. Il conservera l’indemnité de facteur pénologique rattachée à son poste d’attache pendant toute la durée de l’affectation.

[Soulignement dans l’original]

6L’intimé atteste que le plaignant n’a aucun motif pour porter plainte en vertu de l’article 77 de la LEFP. Il demande donc que la plainte soit rejetée au motif que le Tribunal n’a pas compétence pour instruire la plainte, ni statuer sur celle-ci.

B) Arguments du plaignant

7Le plaignant n’a pas répondu à la requête de l’intimé.

Analyse

8La compétence du Tribunal est délimitée par sa loi habilitante, la LEFP. Le paragraphe 77(1) de la LEFP prévoit qu’une personne dans la zone de recours peut présenter une plainte au Tribunal, lorsqu’il y a nomination ou proposition de nomination.Les paragraphes 77(1) et (2) de la LEFP se lisent comme suit :

77. (1) Lorsque la Commission a fait une proposition de nomination ou une nomination dans le cadre d’un processus de nomination interne, la personne qui est dans la zone de recours visée au paragraphe (2) peut, selon les modalités et dans le délai fixés par règlement du Tribunal, présenter à celui-ci une plainte selon laquelle elle n’a pas été nommée ou fait l’objet d’une proposition de nomination pour l’une ou l’autre des raisons suivantes :

  1. abus de pouvoir de la part de la Commission ou de l’administrateur général dans l’exercice de leurs attributions respectives au titre du paragraphe 30(2);
  2. abus de pouvoir de la part de la Commission du fait qu’elle a choisi un processus de nomination interne annoncé ou non annoncé, selon le cas;
  3. omission de la part de la Commission d’évaluer le plaignant dans la langue officielle de son choix, en contravention du paragraphe 37(1).

(2) Pour l’application du paragraphe (1), une personne est dans la zone de recours si:

  1. dans le cas d’un processus de nomination interne annoncé, elle est un candidat non reçu et est dans la zone de sélection définie en vertu de l’article 34;
  2. dans le cas d’un processus de nomination interne non annoncé, elle est dans la zone de sélection définie en vertu de l’article 34.

(nos italiques)

9Le mot « affectation » n’est pas défini ou mentionné dans la LEFP, ni dans le Règlement du Tribunal de la dotation de la fonction publique, DORS/2006-6.

10Le Tribunal a eu l’occasion de se pencher sur la question des affectations dans la décision Beyak c. Sous-ministre de Ressources naturelles Canada et al., [2009] TDFP 0007. Il a été établi que, dans certaines circonstances, le Tribunal peut déterminer qu’une affectation est en fait une nomination et que cette dernière peut être révoquée en vertu de la LEFP. Le Tribunal a expliqué ce qui suit :

[90] Une affectation peut se définir comme le déplacement temporaire d’un employé, au sein d’un ministère du gouvernement, afin d’exercer les fonctions d’un poste existant ou pour réaliser un projet spécial. Pendant son affectation, l’employé conserve son poste d’attache et exerce des fonctions aux mêmes groupe et niveau. L’employé n’est pas titularisé au poste d’affectation; il est prévu qu’il retourne ensuite à son poste d’attache. Voir la décision Elmore c. Canada (Procureur général), [2000] A.C.F. No 119 (QL).

[91] Il a été reconnu dans la jurisprudence que les gestionnaires doivent disposer d’une marge de manœuvre raisonnable pour offrir des affectations temporaires sans que cela n’entraîne l’application du mérite, ni l’exercice du droit de recours. Toutefois, il y a des limites à ce principe et, selon les circonstances particulières de chaque cas, il peut être déterminé qu’une affectation constitue en fait une nomination. Dans les cas où il a été établi que la marge de manœuvre permettant les affectations n’avait pas été utilisée de façon juste et raisonnable, les tribunaux ont statué que l’affectation était en fait une nomination et ont révoqué celle-­ci. Dans la décision Doré c. Canada, [1987] 2 R.C.S. 503, qui porte sur une situation où un employé avait été affecté à titre temporaire à un nouveau poste en attendant la classification du poste, la Cour suprême du Canada a conclu qu’il s’agissait en fait d’une nomination et a révoqué celle-ci. Voir aussi la décision Canada (Procureur général) c. Brault, [1987] 2 R.C.S. 489; la décision Peet c. Canada (Conseil du Trésor), (30 juin 1993) no de greffe T­-1608­-92 (C.F. 1re inst.); et la décision Canada (Procureur général) c. Davidowski, [1994] 88 F.T.R. 234.

11Le Tribunal a conclu dans la décision Beyak que l’affectation était en fait une nomination intérimaire. Dans cette affaire, la personne nommée avait premièrement été affectée au poste d’agent du développement des affaires, mais par la suite, elle avait été nommée de façon intérimaire rétroactivement. Ainsi, le Tribunal a conclu que la nomination intérimaire, de par son caractère rétroactif, avait déplacé l’affectation effectuée initialement. Surtout, le Tribunal a jugé que, à la lumière de la preuve déposée, l’intention initiale était de nommer la personne au poste d’agent du développement des affaires. De plus, le Tribunal a déterminé que l’intention avait été de classifier ce poste à un groupe et niveau supérieur à celui du poste d’attache de la personne nommée qui était au groupe et niveau AS-02.

12La présente plainte se distingue de celle analysée dans la décision Beyak puisqu’il n’y a ici aucun élément de preuve pouvant démontrer qu’il s’agirait en fait d’une nomination à un groupe et niveau supérieur. De plus, le Protocole d’entente d’affectation précise que l’affectation est pour une durée spécifique, que l’employé demeure au même niveau car il continue de recevoir le salaire et les indemnités rattachées à son poste d’attache, et qu’il devrait retourner à son poste d’attache à la fin de son affectation. Pour ces raisons, le Tribunal juge qu’il s’agit bien ici d’une affectation et non d’une nomination ou d’une proposition de nomination.

13Comme le Tribunal l’a déterminé dans la décision Czarnecki c. l’Administrateur général de Service Canada et al., [2007] TDFP 0001, le droit d’une personne de présenter une plainte est assujetti à la condition préalable qu’une proposition de nomination ou une nomination ait été effectuée. Par conséquent, le Tribunal conclut que le plaignant n’a aucun droit de recours en vertu de l’article 77 de la LEFP.

14La compétence du Tribunal se limite à instruire les plaintes concernant une mise en disponibilité (article 65), une révocation d’une nomination (article 74), une nomination ou une proposition de nomination (article 77) et l’application des mesures correctives (article 83). Ainsi, à moins qu’une affectation constitue en fait une nomination, le Tribunal n’a pas compétence pour instruire une plainte portant sur une affectation ou statuer sur celle-ci.

Décision

15Pour tous ces motifs, la requête de l’intimé est accueillie. La plainte est donc rejetée faute de compétence du Tribunal.

Guy Giguère

Président

Parties au dossier

Dossier du Tribunal:
2008-0732
Intitulé de la cause:
Mohamed Ait Lahcen et le Commissaire du Service correctionnel du Canada et al.
Audience:
Audition sur dossier
Date des motifs:
Le 3 avril 2009
 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.