Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La plaignante a formulé des allégations d'abus de pouvoir dans l'application du mérite à l'encontre de l'intimé au motif que ce dernier n'avait pas évalué l'une des exigences opérationnelles établies pour les postes à pourvoir. L'intimé a répliqué qu'une exigence opérationnelle n'était pas une qualification essentielle, que toutes les exigences opérationnelles avaient été prises en compte et que le fait d'établir des exigences opérationnelles ne crée pas une obligation d'évaluer le mérite des candidats par rapport à ce critère. Décision : Le Tribunal a jugé qu'aux termes de la LEFP l'intimé devait prendre en compte l'exigence opérationnelle mais n'était pas tenu de l'appliquer ni de l'évaluer. Plainte rejetée.

Contenu de la décision

Coat of Arms - Armoiries
Dossier:
2007-0192
Rendue à:
Ottawa, le 23 juillet 2009

MARTINE GUIMOND
Plaignant
ET
LE SOUS-MINISTRE DE LA DÉFENSE NATIONALE
Intimé
ET
AUTRES PARTIES

Affaire:
Plainte en vertu du paragraphe 77(a) de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique
Décision:
La plainte est rejetée
Décision rendue par:
Guy Giguère, Président
Langue de la décision:
Français
Répertoriée:
Guimond c. Sous-Ministre de la Défense nationale et al.
Référence neutre:
2009 TDFP 0023

Motifs de décision

Introduction

1La plaignante, Martine Guimond, allègue qu’il y a eu abus de pouvoir dans l’application du mérite lors de nominations à des postes de magasinier et plus particulièrement, qu’une des exigences opérationnelles n’a pas été évaluée.

2L’intimé, le sous-ministre de la Défense nationale, soutient que les nominations dans ce processus étaient fondées sur le mérite et que les personnes nommées répondent aux qualifications essentielles établies. L’intimé distingue ces dernières des exigences opérationnelles qu’il soutient avoir pris en compte.

Contexte

3En novembre 2006, le ministère de la Défense nationale a annoncé des processus de nomination à durée indéterminée pour six postes de magasinier, groupe et niveau GS-STS-04 (#06-DND-MNTRL-IA-056165) au 25e Dépôt d’approvisionnement des Forces canadiennes (DAFC) du ministère de la Défense nationale, à Montréal.

4Le 25e DAFC comporte un entrepôt principal, dont le tiers permet d’entreposer du matériel militaire à une hauteur de 60 pieds, et compte neuf chariots à tourelle qui montent à 60 pieds. Le 25e DAFC compte environ 75 personnes aux groupe et niveau GS-STS-04. Moins d’une personne sur cinq travaille sur les chariots à tourelle. Dans une journée de travail, huit personnes pour le quart de jour sont appelées à travailler sur les chariots à tourelle, et six personnes pour le quart de nuit, pour un total de 14 personnes.

5Trente-six personnes ont posé leur candidature au poste en question dont la plaignante. Suivant l’examen écrit, 22 candidats répondaient à l’ensemble des qualifications essentielles, y compris la plaignante pour les six postes disponibles.

6Les qualifications essentielles étaient identifiées dans l’énoncé des critères de mérite en ordre d’importance. Elles étaient les suivantes :

  • Connaissance des procédures et méthodes de travail se rattachant aux tâches effectuées dans un entrepôt;
  • Connaissance des règles de sécurité en entrepôt;
  • Connaissance des calculs mathématiques;
  • Capacité de travailler en équipe;
  • Connaissance du système d’approvisionnement des Forces canadiennes;
  • Connaissance des systèmes informatisés utilisés au 25e DAFC; et
  • Capacité à communiquer efficacement par écrit.

7Les six personnes ayant le mieux performé dans l’évaluation des sept qualifications essentielles précédemment identifiées ont reçu une offre de nomination. La plaignante n’était pas une des candidates ayant le mieux performé à l’évaluation des qualifications essentielles et n’a pas fait l’objet d’une nomination pour une période indéterminée.

8Parmi les critères de mérite, figuraient aussi des exigences opérationnelles dont celle d’être en mesure de travailler en hauteur jusqu’à 60 pieds. Aucun des candidats n’a été évalué en fonction de cette exigence opérationnelle.

9Le 11 avril 2007, un avis de notification de nomination a été affiché sur le site Web Publiservice informant que six personnes avaient été nommées pour une période indéterminée suivant le processus de nomination.

10Le 25 avril 2007, la plaignante a présenté une plainte auprès du Tribunal de la dotation de la fonction publique (le Tribunal) en vertu du paragraphe 77(1) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, art. 12 et 13 (la LEFP). Elle explique qu’une des exigences opérationnelles, soit « être en mesure de travailler en hauteur jusqu’à 60 pieds », n’a pas été évaluée.

Question en litige

11Le Tribunal doit statuer sur la question suivante :

L’intimé a-t-il abusé de son pouvoir en omettant d’évaluer l’exigence opérationnelle « être en mesure de travailler en hauteur jusqu’à 60 pieds »?

Arguments des parties

A) Arguments de la plaignante

12Selon la plaignante, les critères de mérite comprennent les qualifications essentielles, les qualifications constituant un atout, les exigences opérationnelles et les besoins organisationnels. Si l’intimé prend la peine d’identifier une exigence opérationnelle, il doit au moins en faire l’évaluation. Par conséquent, il devait y avoir une évaluation pour déterminer si les candidats répondaient à l’exigence de travailler en hauteur jusqu’à 60 pieds, ce qui n’a pas été fait en l’espèce.

13La plaignante soutient que le fait de ne pas évaluer cette exigence opérationnelle signifie que l’intimé a pris pour acquis que les candidats répondaient à cette exigence. L’intimé a présumé que les candidats sont en mesure de travailler en hauteur jusqu’à 60 pieds.

14La plaignante estime que le paragraphe 30(2) de la LEFP est clair : pour qu’une nomination soit fondée sur le mérite, les conditions des alinéas 30(2) a) et b) doivent être réunies.

15Puisque l’intimé n’a pas évalué l’exigence opérationnelle, il a abusé de son pouvoir. Le fait que l’évaluation de l’exigence opérationnelle n’a pas été faite constitue un abus de pouvoir de l’intimé sous l’une ou l’autre des cinq catégories établies par les auteurs Jones et de Villars (Voir: David Phillip Jones et Anne S. De Villars, Principles of Administrative Law (Toronto: Thomson Carswell, 2004)).

B) Arguments de l’intimé

16Selon l’intimé, l’exigence d’être en mesure de travailler en hauteur jusqu’à 60 pieds fait partie des exigences opérationnelles dont l’intimé a tenu compte. Une exigence opérationnelle n’est pas une qualification essentielle. Le législateur a créé une distinction et cette distinction doit avoir un sens.

17L’intimé soutient que le gestionnaire sous-délégué possède le pouvoir discrétionnaire d’établir les qualifications essentielles et d’identifier des exigences opérationnelles qui pourraient être utilisées dans l’évaluation ou le choix des candidats qui feront l’objet d’une proposition de nomination. L’exigence opérationnelle identifiée en l’espèce ne revêt pas un caractère essentiel. Une personne ne doit pas nécessairement être en mesure de travailler en hauteur jusqu’à 60 pieds pour être qualifiée et occuper un poste des groupe et niveau GS-STS-04 au 25e DAFC.

18L’intimé fait valoir que le Tribunal a reconnu dans Glasgowc. Sous-ministre de Travaux publics et Services gouvernementaux Canada et al., [2008] TDFP 0007, que le choix parmi les candidats qualifiés peut reposer sur les exigences opérationnelles. Cela signifie qu’une personne peut être est un candidat qualifié avant que les exigences opérationnelles ne soient prises en compte ou évaluées.

19L’intimé soutient que les éléments énoncés à l’alinéa 30(2)b) sont optionnels etne créent pas d’obligation mais ils peuvent être utilisés dans l’évaluation ou le choix des candidats. Le fait de ne pas avoir évalué une exigence opérationnelle ne signifie pas que les nominations ne sont pas fondées sur le mérite.

20Selon l’intimé, tous les éléments de l’alinéa 30(2)b) doivent obtenir le même traitement, c’est-à-dire ne pas être considérés comme « essentiels » telles que le sont les qualifications identifiées à l’alinéa 30(2)a).

21Bref, l’intimé peut identifier des exigences opérationnelles sans créer une obligation d’évaluer le mérite des candidats ou de choisir des personnes qui feront l’objet d’une proposition de nomination.

C) Arguments de la Commission de la fonction publique

22La Commission de la fonction publique (CFP) souligne que les alinéas 30(2)a) et b) sont libellés différemment : L’alinéa a) énonce que la personne à nommer doit posséder toutes les qualifications essentielles établies par l’administrateur général tandis que l’alinéa b) énonce que peuvent être pris en compte les qualifications considérées comme un atout, les exigences opérationnelles et les besoins organisationnels.

23Le fait que l’alinéa 30(2)a) soit rédigé différemment de l’alinéa 30(2)b) indique qu’ils ont un sens distinct. Il est apparent à la lecture de l’alinéa 30(2)a) que la personne à être nommée doit posséder toutes les qualifications essentielles. En utilisant les mots « prenant en compte » et « has regard to » dans sa version anglaise, l’alinéa 30(2)b) prend un sens différent.

24Le sens ordinaire des mots « prendre en compte » de l’alinéa 30(2)b) indique donc que les critères de mérite élaborés en vertu de l’alinéa 30(2)b) doivent être considérés, mais qu’il n’est pas obligatoire de tous les évaluer.

D) Réplique de la plaignante

25La plaignante a répliqué que, bien qu’une exigence opérationnelle puisse être future, elle peut être précisée au moment de la rédaction de l’énoncé des critères de mérite puisque l’exigence future peut tout de même être prévue. De plus, l’intimé a pris la peine de préciser l’exigence opérationnelle.

Analyse

26L’un des objectifs législatifs clé de la LEFP est d’accorder aux gestionnaires une latitude considérable en matière de dotation. Le préambule de la LEFP indique à cet effet que «  […] les gestionnaires disposent de la marge de manoeuvre dont ils ont besoin pour effectuer la dotation […]. » Le législateur a choisi de s’éloigner du régime de dotation de l’ancienne LEFP, fondé sur des règles rigides, pour accorder aux gestionnaires un pouvoir discrétionnaire considérable dans le choix de la personne qui répond aux qualifications essentielles et qui est la bonne personne pour faire le travail (VoirTibbs c. Sous-ministre de la Défense nationale et al., [2006] TDFP 0008; Visca c. Sous-ministre de la Justice et al., [2007] TDFP 0024).

27La question en litige porte sur l’interprétation à donner au paragraphe 30(2) de la LEFP, particulièrement à l’alinéa b). L’article 30 se lit comme suit :

30. (1) Les nominations — internes ou externes — à la fonction publique faites par la Commission sont fondées sur le mérite et sont indépendantes de toute influence politique.

(2) Une nomination est fondée sur le mérite lorsque les conditions suivantes sont réunies :

  1. selon la Commission, la personne à nommer possède les qualifications essentielles — notamment la compétence dans les langues officielles — établies par l’administrateur général pour le travail à accomplir;
  2. la Commission prend en compte :
    1. toute qualification supplémentaire que l’administrateur général considère comme un atout pour le travail à accomplir ou pour l’administration, pour le présent ou l’avenir,
    2. toute exigence opérationnelle actuelle ou future de l’administration précisée par l’administrateur général,
    3. tout besoin actuel ou futur de l’administration précisé par l’administrateur général.

28Tel qu’énoncé au paragraphe 30(2), une nomination est fondée sur le mérite lorsque les conditions prévues aux alinéas 30(2)a) et b) sont réunies. L’alinéa a) requiert que la personne à nommer possède toutes les qualifications essentielles établies par l’administrateur général alors que l’alinéa b) indique que sont pris en compte les qualifications considérées comme un atout, les exigences opérationnelles et les besoins organisationnels précisés.

29Le choix de différents mots par le législateur est important et significatif. Les alinéas a) et b) sont rédigés différemment, ce qui indique que le législateur a voulu ainsi accordé un sens distinct à chaque alinéa (Voir Ruth Sullivan, Sullivan and Driedger on the Construction of Statutes, 4e éd. (Markham : Butterworths, 2002), à la page 164).

30L’alinéa 30(2)a) prévoit une obligation, soit que la personne à être nommée doit répondre à toutes les qualifications essentielles. Si la personne nommée ne répond pas aux qualifications essentielles, la nomination n’est pas fondée sur le mérite (Voir Rinn c. Sous-ministre des Transports, de l’Infrastructure et des Collectivités et al., [2007] TDFP 0044 paragraphe 38).Cette même obligation est absente de l’alinéa b) où le législateur a utilisé les termes « prenant en compte ».

31La version anglaise de l’alinéa 30(2)b) « has regard to » (prend en compte) indique encore plus clairement cette absence d’obligation. Ainsi, le mot « regard » dans l’expression « has regard to » signifie « to consider » (considérer), « to pay attention to : take into consideration or account » (porter attention à, prendre en considération) (Black’s Law Dictionary, 10e éd., s.v. « has regard to » ).

32Les mots « prendre en compte » et « has regard to » de l’alinéa 30(2)b) indiquent que les critères de mérite établis en vertu de cet alinéa doivent être considérés, qu’il faut leur porter attention mais qu’il n’est pas obligatoire de les évaluer.

33Si les critères de mérite de l’alinéa 30(2)b) devaient être obligatoirement évalués, il n’y aurait pas de distinction à faire entre ceux-ci et les qualifications essentielles. Pour qu’une nomination soit faite en se fondant sur le mérite, il faudrait aussi que le candidat possède les qualifications considérées comme un atout et qu’il réponde aux exigences opérationnelles et aux besoins organisationnels précisés. Cette interprétation irait à l’encontre de l’intention du législateur qui est d’accorder une marge de manoeuvre considérable aux gestionnaires en matière de dotation. Il n’y a donc pas lieu d’écarter le sens ordinaire des mots utilisés par le législateur.

34Pour qu’une nomination soit faite au mérite, la personne nommée doit posséder les qualifications essentielles et il doit donc y avoir eu une évaluation pour déterminer qu’elle les possède. Le gestionnaire a le pouvoir discrétionnaire de déterminer qui est la bonne personne pour le poste parmi les candidats qualifiés. Il doit considérer s’il le fera en se fondant sur des critères de l’alinéa 30(2)b). Il peut ainsi déterminer que la sélection se fera en se fondant sur des qualifications constituant un atout, des exigences opérationnelles ou des besoins organisationnels (Voir Glasgow).

35En l’espèce, la sélection des candidats à nommer s’est faite en nommant les six personnes ayant le mieux performé lors de l’évaluation des sept qualifications essentielles. La LEFP accorde toute la souplesse nécessaire au gestionnaire pour qu’il procède de cette façon. La sélection de la bonne personne pour le poste peut reposer uniquement sur les qualifications essentielles. Ainsi, dans la décision Visca, le Tribunal a reconnu que la sélection des candidats à nommer en fonction du rendement des candidats lors de l’évaluation des qualifications essentielles considérées les plus importantes s’inscrit dans le cadre du vaste pouvoir discrétionnaire accordé aux gestionnaires en vertu de la LEFP.

36Les Lignes directrices en matière de nomination et les Lignes directrices en matière de sélection et nomination de la CFP indiquent d’ailleurs que le gestionnaire doit déterminer, en premier lieu, si les autres critères non essentiels établis au début du processus, dont les exigences opérationnelles, seront utilisés. Le gestionnaire peut décider d’utiliser un ou plusieurs de ces critères non essentiels ou de ne pas les utiliser. Lorsque le gestionnaire a décidé d’utiliser des critères non essentiels, il doit procéder à leur évaluation avant de choisir la personne qui sera nommée.

37En l’occurrence, parmi les 75 magasiniers employés par l’intimé, seulement huit d’entre eux travaillent avec des chariots élévateurs pendant le quart de jour et six pendant le quart du soir. Compte tenu de la forte proportion d’employés qui ne travaillent pas avec les chariots élévateurs, le gestionnaire a jugé que l’exigence opérationnelle « d’être en mesure de travailler en hauteur jusqu’à 60 pieds » n’était pas nécessaire pour effectuer les nominations et donc, qu’il n’avait pas à évaluer celle-ci.

38Le Tribunal estime qu’aux termes de l’alinéa 30(2)b) de la LEFP, l’intimé devait considérer l’exigence opérationnelle mais n’était aucunement tenu de l’appliquer et de l’évaluer. L’intimé l’a considérée mais ne l’a pas retenue compte tenu qu’il n’était pas nécessaire d’être en mesure de travailler en hauteur jusqu’à 60 pieds pour ces nominations. Par conséquent, le Tribunal juge que l’intimé n’a pas abusé de son pouvoir en omettant d’évaluer cette exigence opérationnelle.

Décision

39Pour tous ces motifs, la plainte est rejetée.

Guy Giguère

Président

Parties au dossier

Dossier du Tribunal:
2007-0192
Intitulé de la cause:
Martine Guimond et le Sous-Ministre de la Défense nationale et al.
Date des motifs:
Le 23 juilet 2009
 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.