Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le fonctionnaire s’estimant lésé a été renvoyé en cours de stage après plusieurs prolongements de sa période probatoire - le fonctionnaire a reconnu qu’il était incapable de satisfaire aux exigences du poste - le fonctionnaire a fait valoir que l’employeur avait fait preuve de mauvaise foi en ne prenant pas les mesures d’adaptation nécessaires - le fonctionnaire n’a jamais révélé la nature de sa déficience - d’après l’ensemble de la preuve, l’arbitre de grief a conclu que l’employeur avait fait preuve de bonne foi en tentant de répondre aux besoins du fonctionnaire - l’arbitre de grief a conclu qu’il n’avait pas compétence. Le grief est rejeté.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2010-01-22
  • Dossier:  566-02-2160
  • Référence:  2010 CRTFP 10

Devant un arbitre de grief


ENTRE

CHRIS CURRIE

fonctionnaire s'estimant lésé

et

ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL
(ministère des Pêches et des Océans)

employeur

Répertorié
Currie c. Administrateur général (ministère des Pêches et des Océans)

Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l’arbitrage

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
George Filliter, arbitre de grief

Pour le fonctionnaire s'estimant lésé:
James Shields, avocat

Pour l'employeur:
Pierre Marc Champagne, avocat

Affaire entendue à Halifax (Nouvelle-Écosse),
du 23 au 25 novembre 2009.
(Traduction de la CRTFP)

I. Grief renvoyé à l’arbitrage

1 Christopher Currie, le fonctionnaire s’estimant lésé (le « fonctionnaire »), allègue que le ministère des Pêches et des Océans (l’« employeur ») n’a pas pris de mesures pour répondre à ses besoins en tant qu’employé handicapé. Le fonctionnaire prétend que le manque de mesures d’adaptation a entraîné son renvoi en cours de stage et que ce renvoi contrevient donc à la loi. Le fonctionnaire a déposé un grief, le 18 mars 2008, dans lequel il demandait que son poste lui soit restitué, que la rémunération et les avantages perdus lui soient remboursés en totalité et qu’une « indemnité intégrale » lui soit payée.

2 L’employeur a soutenu dès le départ que je n’avais pas compétence pour instruire cette affaire. Il soumet que la loi est limpide et qu’elle m’interdit d’exercer ma compétence parce qu’il s’agit d’un renvoi en cours de stage.

II. Question de procédure

3 Outre le grief en instance, le fonctionnaire a déposé un second grief (dossier de la CRTFP 566-02-2113). Avant la tenue de l’audience, la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la « CRTFP ») a été avisée par le représentant du fonctionnaire que la plainte avait été retirée.

4 Au début de l’audience, l’avocat du fonctionnaire a confirmé qu’il ne me restait plus que le présent grief à trancher.

5 Durant les plaidoiries finales, l’avocat du fonctionnaire a avancé l’argument, pour la première fois semble-t-il, que l’employeur avait contrevenu aux dispositions de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6 (la « LCDP »). Par conséquent, le 4 décembre 2009, le fonctionnaire a avisé la Commission canadienne des droits de la personne (la « CCDP ») qu’il avait soulevé, à l’arbitrage, une question portant sur l’interprétation ou l’application de la LCDP. Le 24 décembre 2009, la CCDP a avisé la CRTFP qu’elle n’avait pas l’intention de soumettre des observations sur la question soulevée par le fonctionnaire.

III. Audience

6 La présente affaire était censée être instruite du 23 au 27 novembre 2009, sauf qu’au début de l’audience, l’avocat du fonctionnaire m’a informé que le fonctionnaire ne contestait pas la position de l’employeur selon laquelle il n’avait pas atteint les objectifs de rendement du poste. L’audience s’est donc conclue le 25 novembre 2009, puisque la seule question qu’il me restait à trancher était celle de savoir si l’employeur avait agi de mauvaise foi en ne satisfaisant pas aux besoins du fonctionnaire.

IV. Résumé de la preuve

7 Cinq témoins ont comparu à l’audience. L’employeur a appelé Donald Inkpen, qui occupait le poste de surveillant de la maintenance des dispositifs électroniques et des systèmes durant la période visée par le grief; Elwin George, qui était surveillant de la Section des dispositifs électroniques et de l’information des Services techniques intégrés durant la période en question; Paul McKiel, surveillant de l’entretien technique à l’atelier technique de Dartmouth (l’« ATD »); Lorne Anderson, technicien principal à l’ATD. Le fonctionnaire a aussi témoigné pour son compte.

8 Malgré les quelques différences que j’ai relevées dans les dépositions des témoins, j’estime que la plupart, voire la totalité des faits pertinents ne sont pas contestés.

9 Le fonctionnaire a postulé un emploi auprès de l’employeur, en 2003, en tant que personne « handicapée ». M. Inkpen a expliqué qu’il s’agissait d’un processus d’équité en matière d’emploi dans le cadre duquel le fonctionnaire « s’identifiait » comme ayant une incapacité.

10 Quoi qu’il en soit, le fonctionnaire a obtenu le poste. Il a accepté l’offre d’emploi le 9 janvier 2004 et est entré en fonctions le 2 février 2004, à Charlottetown (Île-du-Prince-Édouard).

11 Le fonctionnaire n’a jamais indiqué à l’employeur, ni même à moi durant l’audience, en quoi consistait son incapacité. Il n’a pas non plus démontré qu’il avait demandé des mesures d’adaptation entre 2004 et 2005. Le témoignage de M. Inkpen confirme que l’employeur savait que le fonctionnaire avait une incapacité en raison de son auto-identification sur sa demande d’emploi (pièce 5, onglet 1), mais qu’aucune demande de prendre des mesures d’adaptation n’a été faite. Sur la demande d’emploi du fonctionnaire, il est écrit ceci : [traduction] « […] incapacité diagnostiquée par un médecin […] »; c’est la seule preuve qui existe que le fonctionnaire avait une incapacité.

12 L’offre d’emploi qui a été faite au fonctionnaire consistait à participer à un programme de formation pour les techniciens en électricité. Tous les témoins ont utilisé le titre Programme de perfectionnement des technologues de l'électronique de la marine (le « PPTEM ») pour désigner le programme. C’est un programme d’une durée de quatre ans qui exige que le participant satisfasse à certains critères de rendement pour passer d’une année à l’autre. L’employeur peut prolonger toute portion du programme de trois à six mois au plus.

13 Les témoins ont décrit de manière assez détaillée comment le rendement du fonctionnaire était évalué. Je ne m’attarderai pas sur les critères d’évaluation appliqués, puisque le fonctionnaire a admis qu’il n’avait pas été capable d’atteindre le niveau acceptable à Charlottetown ou, comme nous le verrons plus loin, à Dartmouth.

14 Je dirai simplement que, même s’il a obtenu deux prolongations de trois mois (le 31 janvier 2005 (pièce 5, onglet 4) et le 28 avril 2005 (pièce 5, onglet 4)), le fonctionnaire n’a pas été capable de satisfaire aux critères nécessaires pour passer à l’étape suivante du PPTEM et que l’employeur a mis fin à son emploi le 28 juillet 2005 (pièce 5, onglet 5). La lettre de licenciement fait expressément référence au paragraphe 28(2) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22(la « LEFP »).

15 Le fonctionnaire a déposé un grief pour contester la mesure de l’employeur; la preuve a été faite qu’une entente était intervenue avec l’aide d’un médiateur ayant comme résultat de réintégrer le fonctionnaire. Plusieurs témoins ont fait mention du grief et du règlement durant leur témoignage, mais aucune preuve documentaire n’a été produite. Le fonctionnaire s’est de nouveau fait offrir un poste dans le cadre du PPTEM, le 4 avril 2006 (pièce 5, onglets 6 et 7).

16 Là encore, l’employeur savait que le fonctionnaire était une personne handicapée. Mais comme M. Inkpen l’a indiqué en contre-interrogatoire, il n’y a pas de pressions qui sont exercées sur les employés pour qu’ils dévoilent la nature de leurs incapacités. Dans ce cas-ci, on a invité le fonctionnaire, comme on le fait pour les autres employés handicapés, à indiquer les mesures d’adaptation dont il avait besoin. M. Inkpen a déclaré qu’une fois cette information obtenue, on demande à Santé Canada d’évaluer la demande. M. Inkpen a déclaré que l’employeur suivrait les recommandations de Santé Canada.

17 Après la nomination du fonctionnaire à l’ATD, Santé Canada a demandé à ce qu’il soit autorisé à prendre souvent des pauses. Le fonctionnaire a admis que cette demande lui avait été accordée. Il a déclaré, en fait, que ce point n’était pas en litige.

18 Le jour de son arrivée à l’ATD, le 17 mai 2006, le fonctionnaire a rencontré M. Anderson, lequel a déclaré à l’audience qu’il avait discuté du PPTEM avec le fonctionnaire et qu’ils avaient passé rapidement en revue les diverses activités de l’ATD (pièce 5, onglet 8). M. Anderson a rédigé un document, le 1er juin 2006, dans lequel il décrivait les discussions qu’il avait eues avec le fonctionnaire le 17 mai 2006, document que le fonctionnaire a signé (pièce 5, onglet 9). M. Anderson était le technicien principal auquel le fonctionnaire se rapporterait à l’ATD.

19 L’employeur était préoccupé, entre autres, par le manque de ponctualité du fonctionnaire. Le fonctionnaire a demandé l’autorisation de faire varier son heure d’arrivée, mais l’employeur n’a pas donné son accord sur-le-champ. C’est seulement après avoir reçu une lettre de Santé Canada, le 2 janvier 2007 (pièce 5, onglet 14), que l’employeur a considéré qu’il s’agissait d’une demande de mesure d’adaptation. La lettre de Santé Canada disait ceci : [traduction] « […] il se peut fort bien que M. Currie présente un trouble médical qui lui occasionnera des difficultés pour s’éveiller et pour arriver à l’heure au travail ». M. McKiel a déclaré que l’employeur avait « fait marche arrière » et qu’il avait permis au fonctionnaire de faire varier quelque peu son heure d’arrivée.

20 Le 11 mai 2007, l’employeur a reçu une autre lettre de Santé Canada (pièce 5, onglet 14) indiquant que le trouble médical mentionné dans la lettre du 2 janvier 2007 ne pouvait pas être confirmé. M. McKiel a déclaré qu’il avait tenté de corriger le manque de ponctualité du fonctionnaire, un problème qui était apparu dès le début, par des séances de counselling qui se sont soldées par une lettre datée du 29 juin 2006 (pièce 5, onglet 10).

21 L’employeur a prolongé la période de stage du fonctionnaire, le 7 mai 2007 (pièce 5, onglet 17), même s’il avait des réserves à propos de ses capacités techniques et de sa ponctualité. Il a en outre répondu à une demande du fonctionnaire en lui fournissant un poste de travail mieux adapté à ses besoins. Peu de temps après, le fonctionnaire a indiqué pour la première fois à M. McKiel qu’il avait des problèmes avec M. Anderson. Cela dit, le fonctionnaire est demeuré muet à l’audience sur les problèmes qu’il avait avec M. Anderson ou, en fait, avec quelque membre de la direction.

22 Le 5 juin 2007, à la demande de l’employeur, Santé Canada a fourni la liste des 10 mesures d’adaptation recommandées pour le fonctionnaire (pièce 5, onglet 19). Cette liste est reproduite ci-après :

[Traduction]

  1. M. Currie doit travailler dans un endroit calme où il n’y a pas de distractions. Son poste de travail doit être situé à l’écart des zones très passantes ainsi que des aires où les employés prennent leur pause-café et leurs repas. Il serait préférable que son bureau soit situé près d’une fenêtre afin qu’il puisse bénéficier de la lumière naturelle.
  2. Son superviseur devra lui communiquer chaque jour, par courriel ou sur un support écrit, les tâches qu’il doit accomplir ce jour-là. Si la situation de travail nécessite un changement, par exemple des modules de formation IST un jour ou la visite du navire à la base un autre jour, les tâches doivent lui être remises la veille du changement.
  3. M. Currie peut accomplir plusieurs tâches en même temps, malgré son problème d’ordre médical, mais c’est beaucoup plus facile pour lui d’accomplir une tâche à la fois.
  4. M. Currie aura besoin d’un assistant numérique personnel (ANM), de préférence un appareil électronique, pour continuer d’agir de manière structurée et disciplinée dans son milieu de travail quotidien. Il pourra mettre en évidence les priorités importantes et effacer celles dont il n’a pas besoin. Cela l’aidera à mieux gérer son emploi du temps.  L’appareil constituerait un excellent outil visuel et auditif, car il pourrait utiliser l’avertisseur intégré dans l’ANM pour lui rappeler qu’une tâche particulière doit être accomplie à un moment précis.
  5. [Les parties ont convenu que le texte qui suit devrait constituer le paragraphe 5, même s’il faisait partie du paragraphe 4.] Il faudra lui expliquer clairement son programme de formation et lui en présenter les grandes lignes. Si ce n’est déjà fait, il faudrait lui montrer comment utiliser le matériel etc. Les superviseurs devraient avoir des discussions avec lui à propos du matériel et lui communiquer leurs attentes; ils doivent s’assurer qu’il comprend bien leurs explications et adopter une approche positive; ils doivent comprendre et appuyer ses points forts et les mettre en valeur.
  6. Il serait bon d’évaluer son rendement chaque mois, par écrit, afin de l’encourager et de l’informer des points forts et des points faibles que son superviseur a relevés.
  7. Il vaudrait éviter de lui attribuer du travail par poste à ce moment-ci en raison des effets secondaires des médicaments qui pourraient lui être prescrits. Des heures régulières de travail lui conviendraient mieux.
  8. En raison de son trouble médical, sa journée de travail devrait commencer aux alentours de 8 h, pas avant, car cela a une incidence sur le rythme circadien du sommeil et sur ses habitudes de sommeil.
  9. Il serait très utile que ses collègues et ses superviseurs fassent du renforcement positif.
  10. Le poste de travail devrait être situé dans un endroit clair et bien éclairé.

23 Je note que la liste de mesures d’adaptation n’a été envoyée que le 5 juin 2007, soit 13 mois après l’entrée en fonctions du fonctionnaire et un mois après la première prolongation de sa période de stage. Le fonctionnaire n’a pas expliqué pourquoi la liste n’avait pas été fournie plus tôt.

24 Quoi qu’il en soit, MM. McKiel et Anderson ont déclaré que les mesures recommandées avaient presque toutes été mises en œuvre. Ils ont admis que les directives mentionnées au point deux n’avaient pas toujours été données par écrit; que le fonctionnaire avait fait savoir, après quelques mois, que l’ANM dont il est question au point quatre ne fonctionnait pas et qu’il n’avait d’ailleurs jamais demandé qu’on lui en procure un; que les évaluations mensuelles mentionnées au point six n’avaient pas toujours été faites par écrit.

25 Le fonctionnaire a témoigné à propos de la mise en application des 10 recommandations contenues dans la lettre de Santé Canada. Au sujet du point un, il a déclaré qu’on l’avait changé de bureau, mais seulement après des demandes répétées de sa part. Sur le point deux, il a dit qu’il y avait eu une certaine amélioration, mais que les directives avaient continué, dans bien des cas, de lui être données autrement que par écrit. À propos du point trois, il a déclaré que ce n’était pas un problème. Concernant le point quatre, il a déclaré que, dès le début, la pile de l’ANM perdait sa charge rapidement, mais qu’il avait attendu avant de le signaler parce qu’il ne voulait pas passer pour un plaignant. À propos du point cinq, le fonctionnaire a admis qu’on lui avait attribué un mentor et concernant le point six, il a reconnu que les évaluations mensuelles s’étaient améliorées. Pour ce qui est du point sept, il a admis que le travail par poste n’était pas un problème. Pour ce qui est du point huit, il a admis qu’on n’avait plus soulevé la question de sa ponctualité par la suite. En ce qui touche le point neuf, le fonctionnaire a déclaré qu’il n’avait pas reçu de renforcement positif. Pour finir, à propos du point dix, il a indiqué qu’il n’y avait pas de problème de ce côté-là.

26 Quoi qu’il en soit, le fonctionnaire a continué de participer au PPTEM. M. Anderson a déclaré qu’il avait rédigé au moins deux évaluations techniques pour le fonctionnaire, l’une le 15 juin 2007 (pièce 5, onglet 21) et l’autre le 5 septembre 2007 (pièce 5, onglet 22), et qu’un plan d’action avait été établi le 14 septembre 2007 (pièce 5, onglet 23).

27 Le 21 novembre 2007, M. Anderson a rédigé une autre évaluation technique (pièce 5, onglet 24). Je note que, pour les fins de cette évaluation, le fonctionnaire avait demandé l’autorisation de consulter ses notes. Ce n’était pas la première fois que le fonctionnaire formulait une demande semblable, mais comme les autres fois, l’employeur ne l’a pas autorisé à consulter ses notes, le 21 novembre 2007, car l’objectif de l’outil d’évaluation était de vérifier le niveau de connaissance que le participant au PPTEM avait atteint.

28 Quoi qu’il en soit, le fonctionnaire a reçu une lettre, datée du 28 février 2008 (pièce 5, onglet 28), l’avisant qu’il était licencié. Il convient d’en reproduire les passages pertinents :

[Traduction]

[…]

Conformément à l’article 62.1 de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, j’ai le regret de vous informer que nous avons décidé de mettre fin à votre emploi au ministère des Pêches et des Océans à compter du 1er avril 2008. Vous n’aurez plus à vous présenter au travail à compter du 29 février 2008 […] Conformément à l’article 3.1 du Règlement fixant la période de stage et le délai de préavis en cas de renvoi au cours de la période de stage, vous serez en congé rémunéré du 29 février 2008 jusqu’à la fermeture des bureaux le 31 mars 2008.

Cette décision est basée sur la conclusion que vous ne répondez pas aux exigences pour être promu au niveau suivant (EL02) du programme de formation. Vous avez bénéficié de nombreuses séances de counselling au cours de la dernière année et demie par suite de préoccupations continues à propos de votre capacité d’assimiler et d’appliquer les connaissances, de votre capacité d’atteindre les objectifs de travail ainsi que de la question de savoir si vous possédez les qualités requises pour participer à ce programme. Vous n’avez pas réussi à franchir le premier niveau du programme de formation, malgré les prolongations répétées et la formation dont vous avez bénéficié. S’ajoutent à cela les divers incidents où vous avez refusé d’obéir aux ordres et de coopérer, incidents dont la fréquence et la gravité se sont intensifiés au fil des mois. Dans la dernière évaluation que vous avez reçue en janvier 2008 et dans la documentation qui vous a été fournie en mai 2007 sur le PPTEM, il était indiqué que, faute d’être promu au niveau suivant du programme, vous pourriez être renvoyé en cours de stage. J’ai par ailleurs insisté sur ce point lors des discussions que nous avons eues en avril 2007.

[…]

V. Question à trancher

29 Je dois d’abord déterminer si j’ai compétence pour statuer sur la présente affaire.

30 Si j’en arrive à la conclusion que j’ai la compétence nécessaire, la question que je dois trancher est facile à formuler, puisque le fonctionnaire a admis qu’il n’avait pas atteint le niveau technique nécessaire pour être promu au niveau de classification suivant. Il s’agit donc de déterminer si l’employeur a pris des mesures pour composer avec les besoins du fonctionnaire.

VI. Positions des parties

A. L’objection préliminaire de l’employeur quant à la compétence de l’arbitre de grief

31 L’employeur défend la position que je n’ai pas compétence pour trancher la présente affaire parce qu’elle porte sur un licenciement ou sur un renvoi en cours de stage et que l’article 211 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22 (la « LRTFP »), n’autorise pas le renvoi à l’arbitrage d’un licenciement prévu sous le régime de la LEFP.

B. La position du fonctionnaire

32 En ce qui concerne l’objection préliminaire de l’employeur, le fonctionnaire défend la position que j’ai la compétence. Dans son argumentation sur ce point, il admet qu’il était un employé en stage et que, au vu de la preuve, il a été renvoyé en cours de stage.

33 Cependant, une fois que l’employeur a établi à première vue que le licenciement était en fait un renvoi en cours de stage, il appartient au fonctionnaire s’estimant lésé de prouver que la décision de l’employeur était entachée d’erreurs ou comportait des lacunes. Le fonctionnaire soutient que l’employeur n’a pas satisfait à ses besoins et que, cela étant, l’objection préliminaire doit être rejetée. Pour l’essentiel, le fonctionnaire soumet que la décision de l’employeur était arbitraire, discriminatoire et disciplinaire.

34 Le fonctionnaire soutient également que le paragraphe 208(2) de la LRTFP me confère le pouvoir de déterminer si on a contrevenu au paragraphe 3(1) de la LCDP. Il avance que la LCDP est une loi quasi constitutionnelle et que, cela étant, elle prime sur toute restriction contenue dans la LRTFP.

35 L’avocat du fonctionnaire soumet qu’il est bien établi en droit que l’employeur a l’obligation de prendre des mesures d’adaptation tant que cela ne lui impose pas de contrainte excessive. Il poursuit en disant que rien dans les faits n’indique que l’employeur a satisfait aux besoins du fonctionnaire. De plus, il n’a pas été démontré que l’employeur aurait été soumis à une contrainte excessive s’il avait pris des mesures pour satisfaire aux besoins du fonctionnaire.

36 Le fonctionnaire se considère comme une personne handicapée et l’employeur n’a jamais remis ce fait en question. Le fonctionnaire observe que les quelques mesures qui ont été prises pour répondre à ses besoins étaient insuffisantes. À titre d’exemple, l’avocat du fonctionnaire indique qu’après avoir accepté de se montrer plus souple quant à l’heure d’arrivée du fonctionnaire après janvier 2007, l’employeur a fait volte-face lorsque Santé Canada a retiré sa recommandation le 11 mai 2007 (pièce 5, onglet 14).

37 Le fonctionnaire soutient par ailleurs que les mesures d’adaptation recommandées par Santé Canada, le 12 juin 2007 (pièce 5, onglet 19), n’ont pas été mises en application comme il se devait. Cependant, quand on lui a demandé ce que l’employeur aurait pu faire d’autre, l’avocat du fonctionnaire a répondu que l’employeur avait refusé de satisfaire aux besoins du fonctionnaire lorsqu’il avait refusé de l’autoriser à consulter ses notes durant l’évaluation.

38 L’avocat du fonctionnaire a attiré mon attention sur les dispositions législatives et les décisions suivantes : les articles 208 et 209 de la LRTFP et l’article 62 de la LEFP; Canada (Procureur général) c. Leonarduzzi, 2001 CFPI 529; Canada (Procureur général) c. Penner, [1989] 3 C.F. 429 (C.A.); Raveendran c. Bureau du surintendant des institutions financières, 2009 CRTFP 116; Ondo-Mvondo c. Administrateur général (ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux), 2009 CRTFP 52; Melanson c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2009 CRTFP 33; Pepper c. Administrateur général (ministère de la Défense nationale), 2008 CRTFP 71; Chaudhry c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2005 CRTFP 72.

C. La position de l’employeur au fond

39 L’employeur avance pour sa part que si je déclare que j’ai la compétence, je dois rejeter le grief. Dans son observation, l’employeur se dit en désaccord avec les conclusions du fonctionnaire à propos de l’application des recommandations qui ont été faites le 12 juin 2007 (pièce 5, onglet 19).

40 En ce qui concerne la question de l’utilisation des notes, l’employeur observe qu’il n’a pas été démontré que cette mesure d’adaptation était nécessaire pour composer avec les besoins du fonctionnaire. À ce propos, l’employeur observe que le fonctionnaire n’était pas partie prenante du processus à volets multiples que l’employeur doit appliquer pour aider les employés ayant besoin de mesures d’adaptation. La réalité c’est que le fonctionnaire n’a pas apporté sa coopération, même si l’employeur avait reconnu qu’il avait une incapacité.

41 En réfutation, l’employeur s’est opposé à ce que le fonctionnaire soulève la question de la violation de la LCDP à ce stade-ci de la procédure. Il a observé que rien dans les documents dont je disposais n’indiquait que le fonctionnaire avait l’intention de soulever cette question.

42 Au soutien des arguments de l’employeur, l’avocat de ce dernier m’a renvoyé aux décisions suivantes : Penner; Canada (Conseil du Trésor) c. Rinaldi, [1997] AC.F. no 225 (1e inst.) (QL); Leonarduzzi; Wright c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2005 CRTFP 139; Dalen c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2006 CRTFP 73; Melanson; Swan et McDowell c. Agence du revenu du Canada, 2009 CRTFP 73; Rousseau c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2009 CRTFP 91; Central Okanagan School District No. 23 c. Renaud, [1992] 2 R.C.S. 970; Kandola c. Canada (Procureur général), 2009 CF 136; Gibson c. Conseil du Trésor (ministère de la Santé), 2008 CRTFP 68.

VII. Analyse

43 Je conviens avec l’avocat du fonctionnaire qu’il s’agit d’une bien triste affaire. J’ai trouvé que le fonctionnaire était une personne intelligente qui possédait de la formation et de l’expérience connexe. Compte tenu de ce que j’ai observé durant son témoignage, j’ai conclu qu’il était généralement docile, patient et sincère, des qualités qui, malheureusement ne lui ont pas été d’une grande utilité.

44 Indépendamment de l’allégation voulant que l’employeur ait contrevenu à la LCDP, sur laquelle je reviendrai plus loin dans la présente décision, je serais porté à conclure, sans autre examen, que je n’ai pas compétence pour rendre une décision au fond dans ce cas-ci.

45 La jurisprudence contient de nombreuses décisions qui décrivent les limites du pouvoir de l’arbitre de grief lorsqu’il s’agit de statuer sur des licenciements prévus sous le régime de la LEFP. Les limites sont définies à l’article 211 de la LRTFP, qui dit qu’un grief portant sur « tout licenciement prévu sous le régime de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique » ne peut pas être renvoyé à l’arbitrage.

46 Malgré la multitude de décisions qui m’ont été citées, je suis convaincu qu’il y a un grand nombre d’affaires parmi les plus récentes qu’on a signalé à mon attention qui contiennent de très bons résumés de l’état du droit.

47 Dans Leonarduzzi, la Cour fédérale a conclu que l’employeur doit uniquement démontrer que le renvoi (licenciement) a été décidé pour une raison liée à l’emploi. La Cour a observé qu’il suffisait de démontrer une « […] insatisfaction à l'égard de l'aptitude du fonctionnaire […] ».

48 Depuis que cette décision a été rendue en 2001, plusieurs arbitres de grief ont interprété les limites établies par l’article 211 de la LRTFP. J’estime que l’arbitre de grief dans Melanson était fondé à tirer la conclusion suivante, au paragraphe 160 : « Si l’employeur établit l’existence d’un motif légitime lié à l’emploi pour renvoyer un fonctionnaire, l’arbitre de grief ne peut intervenir. »

49 De plus, je souscris pleinement à l’analyse et à la conclusion de l’arbitre de grief dans Rousseau. Au paragraphe 106, l’arbitre de grief a observé ceci :

106    Dès lors que l’employeur a démontré que le renvoi était lié à l’emploi du fonctionnaire en cause, l’arbitre est sans compétence, à moins que le fonctionnaire n’établisse que dans les faits, son renvoi ne constituait pas un véritable renvoi en cours de stage au sens de la LEFP […]

[…]

50 Dans le présent cas, le fonctionnaire a été licencié ou renvoyé en cours de stage par l’employeur pour des raisons qui, à mon sens, étaient liées à son emploi. Par exemple, l’employeur a conclu que le fonctionnaire n’était pas capable de satisfaire aux exigences techniques requises pour être promu au niveau suivant du PPTEM (voir le paragraphe 28 de la présente décision). Cette conclusion de l’employeur n’est pas contestée par le fonctionnaire, qui admet en fait ne pas être capable de satisfaire aux exigences.

51 Il est acquis que le licenciement est lié à l’emploi. Cependant, étant donné que le fonctionnaire s’est identifié comme une personne handicapée, il pourrait se révéler nécessaire d’examiner la bonne foi de l’employeur eu égard à la LCDP.

52 Le fonctionnaire allègue que l’employeur a agi de manière discriminatoire à son endroit en ne prenant pas de mesures pour satisfaire à ses besoins découlant de son incapacité. À ce stade-ci, je tiens à dire que je ne suis pas convaincu que l’employeur est fondé à s’opposer à ce que le fonctionnaire soulève la question de la violation de la LCDP dans sa plaidoirie finale. Puisque le fonctionnaire allègue expressément que l’employeur n’a pas satisfait à ses besoins, il serait tout naturel, à mon sens, de soulever la question de la violation de la LCDP. Je suis d’avis que l’avocat du fonctionnaire a corrigé toute erreur qui a pu se produire en donnant avis de la question à la CCDP, laquelle a indiqué pour sa part qu’elle ne voulait pas intervenir.

53 Je conclus que le fonctionnaire n’a pas établi que l’employeur avait agi de mauvaise foi; j’estime en fait qu’il a bénéficié de mesures d’adaptation.

54 Au début de son emploi à l’ATD, le fonctionnaire a été autorisé à prendre toutes les pauses dont il avait besoin, conformément à la recommandation de Santé Canada datée du 19 décembre 2005 (pièce 5, onglet 6).

55 La preuve révèle en outre que le fonctionnaire n’a pas demandé formellement de mesures d’adaptation, exception faite du droit d’avoir une heure d’arrivée flexible. L’employeur lui a accordé l’autorisation demandée après avoir reçu la lettre de Santé Canada, le 2 janvier 2007 (pièce 5, onglet 14). J’estime que l’employeur a mis en application la plupart des 10 recommandations contenues dans la liste fournie par Santé Canada, le 12 juin 2007 (pièce 5, onglet 9); j’attire d’ailleurs l’attention sur le fait que le fonctionnaire n’a pas remis cette conclusion en cause durant son témoignage.

56 Je note également qu’aucune preuve n’a été produite pour expliquer pourquoi Santé Canada n’avait pas fourni la liste de recommandations plus tôt. Je conclus à ce propos que l’employeur ne peut pas être tenu responsable de ce retard. Cela m’oblige toutefois à me demander si le fonctionnaire a agi avec toute la diligence voulue pour fournir les renseignements nécessaires à Santé Canada.

57 Je conclus que l’employeur a donné suite aux demandes du fonctionnaire ou aux recommandations de Santé Canada.

58 La seule fois où une demande du fonctionnaire a été rejetée, selon la preuve dont je dispose, est celle où il a demandé l’autorisation d’utiliser ses notes durant les évaluations techniques. L’employeur ne nie pas qu’il a refusé de lui accorder cette autorisation; il m’a toutefois expliqué que les évaluations techniques servent à déterminer dans quelle mesure les participants ont assimilé les connaissances. Je note également qu’aucune preuve ne m’a été soumise pour établir qu’une personne comme le fonctionnaire avait besoin d’une mesure d’adaptation de ce genre. Aucun détail n’a été donné, à l’audience, sur l’incapacité du fonctionnaire et aucune preuve n’a été produite pour établir que certaines mesures, telles que l’utilisation des notes, auraient utiles et nécessaires pour composer avec ce type d’incapacité.

59 J’en arrive à la conclusion que le fonctionnaire s’est desservi lui-même. Il a été embauché en tant qu’employé handicapé. Rien ne l’obligeait, j’en conviens, à donner des détails sur la nature de son incapacité, mais cela ne résout pas tout. J’ai déjà dit dans le passé et je crois encore aujourd’hui que, même si l’employeur est fort probablement le mieux à même de déterminer le type de mesures d’adaptation qui peuvent être autorisées, l’employé doit aussi faire sa part.

60 De plus, je suis incapable de conclure que l’employeur a agi de mauvaise foi à l’égard du fonctionnaire. Il m’apparaît donc que je n’ai pas compétence pour trancher le grief.

VIII. Motifs

61 Pour les motifs exposés ci-dessus, je conclus que le fonctionnaire ne s’est pas déchargé du fardeau qui lui incombait et que je n’ai pas la compétence pour trancher le grief.

62 Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

IX. Ordonnance

63 Le grief est rejeté.

Le 22 janvier 2010.

Traduction de la CRTFP

George Filliter,
arbitre de grief

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