Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La plaignante a soutenu que la gestionnaire d’embauche avait fait preuve de favoritisme personnel et de mauvaise foi dans la tenue d’un processus de nomination interne annoncé; que les évaluateurs n’avaient pas reçu les critères d’évaluation et qu’ils ont été contraints à accorder une note supérieure à deux candidats. Elle a ajouté que les deux candidates reçues avaient échoué à l’examen pratique et que, au bout du compte, deux personnes ne possédant pas les qualifications requises avaient été nommées. L’intimé a fait valoir que les évaluateurs avaient obtenu suffisamment d’information pour comprendre et administrer l’examen pratique; que les personnes nommées étaient dûment qualifiées. L’intime a soutenu d’autre part qu’il n’y avait aucune preuve pour étayer l’allégation de favoritisme personnel. Décision : Le Tribunal a jugé que les évaluateurs n’avaient pas reçu les critères d’évaluation écrits avant d’administrer l’examen pratique. Quand bien même il aurait été prudent de leur remettre ces critères, cette omission n’était pas grave dans le contexte de l’examen pratique. Bien que l’un des évaluateurs ait eu le sentiment d’avoir subi des pressions, la plaignante n’avait pas établi que la gestionnaire d’embauche avait agi avec une intention illégitime, une négligence ou insouciance grave, pas plus qu’elle n’avait démontré que des personnes avaient été nommées sans posséder les qualifications requises. Par conséquent, l’allégation de mauvaise foi n’a pas été prouvée. De même, les éléments de preuve produits ne permettaient pas de conclure au favoritisme personnel. Plainte rejetée.

Contenu de la décision

Coat of Arms - Armoiries
Dossier:
20078-0094
Rendue à:
Ottawa, le 1er décembre 2009

THERESA TRAN
Plaignante
ET
LE COMMISSAIRE DE LA GENDARMERIE ROYALE DU CANADA
Intimé
ET
AUTRES PARTIES

Affaire:
Plainte d'abus de pouvoir en vertu des l'alinéas 77(1)a) de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique
Décision:
La plainte est rejetée
Décision rendue par:
Merri Beattie, membre
Langue de la décision:
Anglais
Répertoriée:
Tran c. le commissaire de la Gendarmerie royale du Canada et al.
Référence neutre:
2009 TDFP 0031

Motifs de la décision

Introduction

1La plaignante, Theresa Tran, travaille à titre de tailleur sur mesure pour la Gendarmerie royale du Canada. Elle soutient que la gestionnaire d’embauche a fait preuve de favoritisme et de mauvaise foi dans la tenue d’un processus de nomination interne annoncé. Elle affirme qu’à l’issue de ce processus, deux personnes ne possédant pas les qualifications requises ont été nommées à des postes de superviseur, au groupe et au niveau GS MPS‑08.

2L’intimé, le commissaire de la Gendarmerie royale canadienne (GRC), nie tout abus de pouvoir dans le processus de nomination susmentionné.

Contexte

3Un processus de nomination interne annoncé a été lancé en vue de la dotation d’un poste de superviseur des tailleurs sur mesure et d’un poste de superviseur des tailleurs à la GRC, à Regina, en Saskatchewan. La date limite pour la présentation des candidatures était fixée au 18 décembre 2007. Les postulants avaient été informés qu’ils devaient clairement démontrer dans leur demande qu’ils possédaient « expérience considérable (trois ans ou plus) des retouches aux uniformes de la GRC » [traduction].

4Les entrevues ont eu lieu le 2 janvier 2008. Le 3 janvier 2008, un examen pratique visant à évaluer la capacité de choisir les bonnes méthodes pour apporter les retouches aux vêtements et les recoudre (capacité 1) a été administré. Cinq candidates, dont la plaignante et les deux personnes nommées, se sont présentées à l’entrevue et à l’examen pratique.

5Le 17 janvier 2008, une notification de nomination ou de proposition de nomination a été affichée sur Publiservice, indiquant qu’Anita Lam était nommée au poste de superviseur des tailleurs sur mesure et Karen Runzer, au poste de superviseur des tailleurs.

6Le 29 janvier 2008, la plaignante a présenté une plainte d’abus de pouvoir au Tribunal de la dotation de la fonction publique (le Tribunal) en vertu de l’alinéa 77(1)a) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, art. 12 et 13 (la LEFP).

Questions en litige

7Le Tribunal doit trancher les questions suivantes :

  1. L’intimé a-t-il fait preuve de mauvaise foi dans le processus de nomination, entraînant ainsi la nomination de deux personnes ne possédant pas les qualifications requises?
  2. L’intimé a-t-il fait preuve de favoritisme personnel par la nomination de Karen Runzer?

Résumé des éléments de preuve pertinents

8Deux versions des faits ont été présentées en ce qui a trait aux allégations d’abus de pouvoir; l’une par la plaignante, l’autre par l’intimé. Les autres éléments de preuve ne sont pas remis en question et mettent en contexte les événements.

9Gail Kuhn travaille pour la GRC depuis 23 ans et a occupé le poste de gestionnaire, Service des cadets, pendant trois ans. Elle est responsable de trois unités, y compris de l’atelier de confection. Les deux postes de superviseur à doter relèvent directement d’elle. Mme Kuhn était la gestionnaire d’embauche pour le processus de nomination susmentionné et a fait partie du comité d’évaluation tout au long du processus. Les deux superviseurs, l’un s’occupant de la confection générale et l’autre, de la confection sur mesure, sont responsables de la gestion du personnel, de la formation, de la gestion du rendement et de l’administration des congés.

10Mme Kuhn a expliqué brièvement chacune des qualifications essentielles et des qualifications constituant un atout qui figuraient dans l’énoncé des critères de mérite. Elle a affirmé que les candidates avaient été évaluées au moyen d’une entrevue, d’un examen pratique et de la vérification des références.

11Mme Kuhn a déclaré avoir examiné le dossier portant sur un processus de nomination précédent pour un poste de superviseur et avoir communiqué avec le gestionnaire de l’atelier de confection d’Ottawa pour obtenir des exemples de questions et les réponses attendues. Elle avait également discuté des questions relatives aux capacités avec les Ressources humaines. Pour l’examen pratique, elle avait consulté l’ancienne superviseure de l’atelier de confection, Theresa Bozza, qui avait formulé des commentaires et choisi les mannequins utilisés. Mme Kuhn a confirmé que l’examen pratique qui avait eu lieu le 3 janvier 2008 ne visait à évaluer que la capacité 1.

12Mme Kuhn a expliqué qu’elle possédait des connaissances et de l’expérience dans le domaine de la couture et qu’elle était en mesure d’évaluer la qualité de la confection, mais qu’elle n’était pas tailleur. Elle a d’ailleurs demandé à Mme Bozza et, à la suggestion de cette dernière, à Raffaele Lionetti, d’administrer l’examen pratique pour la capacité 1 en raison de leurs connaissances spécialisées. Mme Kuhn et Dyan Sandbeck, conseillère en ressources humaines par intérim, étaient présentes pendant les examens pratiques.

13Avant l’examen pratique, Mmes Sandbeck et Kuhn ont rencontré Mme Bozza et M. Lionetti au bureau de Mme Kuhn et leur ont expliqué que leur rôle consisterait à évaluer l’ajustement de tuniques rouges en serge. Mme Kuhn a expliqué qu’ils avaient discuté de la façon d’évaluer le travail d’ajustement. Elle a ajouté que la confection n’était pas abordée par tout le monde de la même façon et que l’évaluation portait sur l’ajustement des tuniques et sur la façon d’y indiquer les retouches.

14Mme Kuhn a expliqué que l’examen pratique consistait à faire l’ajustement d’une tunique rouge en serge sur un mannequin d’homme et un mannequin de femme, et à indiquer les retouches requises. Elle a ajouté qu’une fois l’examen de chaque candidate terminé, Mme Bozza et M. Lionetti examinaient les tuniques, discutaient du rendement de la personne à l’examen et attribuaient une note. Mme Kuhn prenait pour sa part des notes sur les commentaires qu’ils formulaient au sujet du rendement de chaque candidate dans chacun des guides de cotation pour la capacité 1.

Évaluation des personnes nommées

a) Version de la plaignante

15Mme Bozza a pris sa retraite le 1er janvier 2008, après avoir occupé pendant près de cinq ans le poste de superviseur de l’atelier de confection. Elle a témoigné par téléconférence au nom de la plaignante.

16Mme Bozza a expliqué que son rôle dans le processus de nomination consistait à évaluer les candidates et à choisir les bonnes personnes pour le poste. Elle a affirmé que quelqu’un devait s’occuper de l’atelier de confection après son départ et que, pour ce faire, il fallait des tailleurs compétents.

17Dans son témoignage, Mme Bozza a indiqué que le comité d’évaluation était constitué de deux membres, soit M. Lionetti et elle‑même. Elle a expliqué que Mme Kuhn leur avait fourni des directives et que Mme Sandbeck était demeurée silencieuse pendant l’évaluation de la capacité 1. Mme Bozza a confirmé que son rôle pendant l’administration de l’examen pratique était d’évaluer les choix des candidates et les retouches qu’elles apportaient aux tuniques.

18Mme Bozza a indiqué avoir été informée de la plainte formulée par la plaignante par le représentant de celle‑ci, Satinder Baines, quelque temps avant le mois de mai 2008. Mme Bozza a identifié une lettre en date du 1er mai 2008 et signée par elle le 15 mai 2008, qui a été produite en preuve. Mme Bozza a déclaré que M. Baines et elle‑même avaient discuté de la situation et qu’ils étaient ensemble lorsqu’elle avait rédigé la lettre, mais que M. Baines ne lui avait pas dit quoi écrire. Celui‑ci avait corrigé la grammaire et l’orthographe et il avait tapé la lettre que Mme Bozza avait ensuite signée. Celle‑ci a affirmé qu’elle avait rédigé et signé la lettre et qu’elle ne l’avait transmise qu’à M. Baines. En voici un extrait :

J’étais l’un des deux membres du comité d’évaluation pour le concours de superviseur de l’atelier de confection. Ma responsabilité consistait à attribuer une note pour les connaissances et les capacités. Pour ce qui est de la capacité de choisir les bonnes méthodes pour apporter les retouches aux vêtements et les recoudre, je devais vérifier si les candidates choisissaient la bonne taille et s’ils indiquaient correctement les modifications à faire. Le ministère ne nous a pas fourni de critères ni de grille de correction.

Pendant son évaluation, Karen n’a pas démontré qu’elle connaissait les principes de base de la retouche, elle semblait décontenancée et elle a fait plusieurs erreurs pour l’ajustement de la veste. Pour cette raison, je l’ai fait échouer et je ne lui aurais pas donné la note de passage. Toutefois, la gestionnaire, Gail Kuhn, nous a demandé de lui accorder quelques points de plus. On a fait pression sur moi pour que je lui accorde des points supplémentaires, mais je ne savais pas que ces points permettraient à Karen d’obtenir la note de passage.

[…]

À titre de membre du comité d’évaluation, j’estime ne pas avoir donné la note de passage à Karen car elle a affiché un rendement médiocre à la capacité 1. Je ne suis toujours pas d’accord pour donner à Karen des points supplémentaires, contrairement à ce que Gail Kuhn a demandé. [traduction]

19Mme Bozza avait indiqué dans sa lettre qu’elle était chargée de l’évaluation des connaissances. En fait, elle a expliqué que les connaissances et les capacités étaient une seule et même chose, puisque les connaissances sont requises pour accomplir le travail demandé au cours de l’examen pratique. Mme Bozza a reconnu que les entrevues avaient été menées par Mme Kuhn et qu’elle n’y avait pas participé. Elle a ajouté qu’il était inacceptable qu’elle ait seulement participé à l’évaluation de l’examen pratique.

20Mme Bozza a affirmé qu’elle n’avait pas réellement rencontré Mme Kuhn pour discuter de l’examen pratique, pas plus qu’elle n’avait examiné de document avant d’administrer l’examen. Elle a affirmé qu’elle avait discuté de l’examen avec un responsable des ressources humaines et qu’elle avait alors demandé que M. Lionetti lui apporte son concours. Mme Bozza a déclaré qu’elle savait que l’examen pratique était noté sur une échelle de 10, mais qu’elle ne connaissait pas la note de passage. Elle a ajouté que la note de cinq sur dix, ou de 50 %, n’était pas suffisante pour réussir, à son avis.

21Mme Bozza a expliqué qu’après l’examen pratique de chaque candidate pour l’évaluation de la capacité 1, M. Lionetti, Mme Kuhn et elle‑même discutaient de la note attribuée aux candidates et que les notes de certaines personnes avaient été changées. Elle a affirmé que Mme Kuhn avait influencé l’évaluation que M. Lionetti et elle‑même avaient effectuée pour certaines candidates.

22Mme Bozza a déclaré que Mme Runzer hésitait et n’était pas certaine des tailles et des indications au cours de l’examen pratique, et qu’elle aurait dû obtenir une note de trois ou quatre. Elle a affirmé que la note finale obtenue par Mme Runzer pour la capacité 1, c’est‑à‑dire cinq, était erronée, à son avis, mais qu’elle avait acquiescé à la demande de Mme Kuhn. Mme Bozza a ajouté que si elle avait pu voir les résultats d’évaluation des entrevues, elle aurait probablement fait échouer Mme Runzer. Elle a affirmé qu’elle connaissait le travail de toutes les candidates et que Mme Runzer n’était pas prête à occuper un tel poste.

23Selon Mme Bozza, au cours de l’examen pratique, Mme Lam a éprouvé les mêmes problèmes que Mme Runzer, mais elle s’est ressaisie plus rapidement. Mme Bozza estime que Mme Lam s’en est mieux tirée que Mme Runzer. Elle a ajouté qu’elle n’aurait pas fait échouer Mme Lam.

24Mme Bozza a indiqué qu’on lui avait demandé de fournir des références pour certaines candidates, y compris la plaignante. Mme Bozza avait rencontré Mme Kuhn le lendemain de l’examen pratique. Elle a reconnu que la rencontre portait sur les références, mais elle s’attendait également à discuter des notes attribuées et à connaître l’issue du processus. Mme Bozza a expliqué que dans les autres processus de nomination, le comité d’évaluation se réunissait toujours pour discuter des résultats. Or, dans ce cas, elle n’a pas pu voir les résultats de l’entrevue et de l’examen pratique puisque Mme Kuhn ne lui a pas permis d’examiner les guides de cotation des candidates, qui avaient déjà été envoyés aux Ressources humaines.

25Mme Bozza a déclaré que le résultat du processus de nomination n’était pas celui qu’elle escomptait. Elle a affirmé qu’elle n’avait pas réagi, même si elle avait l’impression que quelque chose clochait dans ce processus, car elle estimait, à la lumière de son expérience, qu’elle n’aurait rien pu y changer.

26M. Lionetti a pris sa retraite en 2002, après avoir travaillé plus de 30 ans pour la GRC. Au cours de ses 10 dernières années de service, il avait occupé le poste de maître-tailleur. Mme Kuhn lui avait demandé d’administrer l’examen pratique pour la capacité 1 avec Mme Bozza. M. Lionetti a reconnu qu’il y avait eu de nombreux changements au sein de l’atelier de confection depuis son départ à la retraite, notamment l’élimination du poste de maître-tailleur. Il a également convenu qu’il y avait des différences entre le poste de maître-tailleur et celui de superviseur, mais qu’il croyait tout de même que le superviseur devait être le meilleur tailleur de l’atelier.

27Une lettre non datée et ne portant aucune signature a été présentée en preuve. M. Lionetti a affirmé qu’il reconnaissait la lettre, mais qu’il n’en était pas l’auteur puisqu’il ne maîtrisait pas entièrement l’anglais. Il a affirmé que M. Baines avait communiqué avec lui pour lui demander de fournir une lettre et de témoigner au nom de la plaignante. M. Lionetti a affirmé qu’il avait dicté le contenu de la lettre à M. Baines et que c’est ce dernier qui l’avait rédigée. M. Lionetti n’avait remis la lettre à personne à la GRC. Voici un extrait de cette lettre :

[…] La GRC m’a demandé d’attribuer des notes à l’examen pratique pour le processus, avec Theresa Bozza.

Dans le cadre du processus, le personnel chargé de la dotation ne m’a pas précisé quelle était la note de passage ni comment l’évaluer. Pendant son évaluation, Karen manquait de connaissances et était déroutée, puisqu’elle a changé de veste trois fois avant de pouvoir trouver la bonne taille. Pour cette raison, je l’aurais fait échouer à l’examen et elle ne méritait même pas la note de 50 %. J’estime que si je lui ai donné la note de cinq sur dix, c’était trop, et ce n’était pas justifié. [traduction]

28Pendant l’audience, M. Lionetti a affirmé qu’il était pratiquement sûr d’avoir bien compris son rôle dans le processus. Il a ajouté qu’on ne lui avait pas expliqué le système de notation et qu’on ne lui avait pas donné d’explication écrite concernant les notes avant l’examen pratique. Il a expliqué que Mme Bozza et lui‑même avaient rencontré Mme Kuhn dans son bureau avant de se rendre au lieu de l’examen, mais il ne se rappelait aucune discussion. Il a indiqué avoir reçu comme consigne d’évaluer chaque candidate à tour de rôle, mais a précisé n’avoir reçu aucune autre explication. M. Lionetti a expliqué que chaque candidate devait prendre les mensurations de deux mannequins, puis choisir la bonne taille de tunique et indiquer les modifications à faire.

29M. Lionetti a expliqué qu’après le départ de chaque candidate, Mmes Bozza, Kuhn et Sandbeck et lui‑même discutaient de la note à attribuer. Il a affirmé qu’ils s’étaient tous entendus sur les notes à attribuer aux candidates, mais qu’il ne connaissait pas la note de passage lorsqu’il a donné son accord. Selon lui, tout le monde s’entendait pour dire que Mmes Runzer et Lam et une autre candidate n’avaient pas affiché un bon rendement. Il a indiqué que le comité d’évaluation avait décidé de leur donner une note de cinq pour ne pas les froisser, mais que pour sa part, il n’aurait accordé la note de passage à aucune des trois candidates. M. Lionetti a ajouté qu’il n’avait pas demandé quelle était la note de passage puisque deux autres candidates avaient déjà obtenu une note supérieure.

30Selon M. Lionetti, Mme Runzer aurait dû obtenir une note de deux ou trois. Il avait accepté de lui accorder la note de cinq, mais il s’y serait opposé s’il avait su que c’était la note de passage.

31M. Lionetti a déclaré que la plaignante et une autre candidate lui avaient demandé de fournir des références à leur égard; toutefois, il n’a pas été appelé à le faire. Il a indiqué qu’il comprenait que l’examen pratique ne représentait qu’un seul aspect de l’évaluation. Il a ajouté qu’il estimait que le processus n’était pas équitable parce qu’il n’avait pas participé à l’ensemble du processus et que les références n’avaient pas été vérifiées.

32La plaignante possède une vaste expérience dans le domaine de la confection et elle occupe actuellement le poste de tailleur sur mesure pour la GRC, organisation pour laquelle elle travaille depuis plus de 19 ans. Elle affirme qu’elle a assuré la formation de Mme Runzer. La plaignante a indiqué que, à la lumière ses observations, Mme Runzer ne possédait ni les connaissances ni l’expérience requises en couture ou en confection. Après avoir examiné le curriculum vitae de Mme Runzer, la plaignante a reconnu qu’elle ne connaissait pas les antécédents de Mme Runzer. Toutefois, elle a maintenu que le travail de Mme Runzer ne témoignait pas de l’expérience requise pour le poste de superviseur.

b) Version de l’intimé

33Mme Kuhn a indiqué que Mme Bozza était en congé de maladie avant son départ à la retraite et qu’elle n’avait donc pas été invitée à participer au processus de nomination dans son entier. Elle a ajouté que, dans des processus précédents, Mme Bozza avait éprouvé des difficultés en raison de ses lacunes en anglais. Cette dernière avait également posé des questions incitatives et donné des orientations aux candidats pendant des entrevues.

34Mme Kuhn ne se rappelle aucune discussion relative à la note de passage, mais elle a affirmé que Mme Bozza et M. Lionetti savaient que l’examen était noté sur une échelle de 10 points. Mme Kuhn a déclaré que les deux évaluateurs avaient vu le document d’évaluation pour l’examen pratique. Elle a également affirmé que Mme Bozza avait administré un examen pratique semblable pour un processus de nomination précédent visant la dotation d’un poste de tailleur sur mesure.

35Mme Kuhn a expliqué que Mme Bozza et M. Lionetti n’étaient pas toujours d’accord lorsqu’il s’agissait de déterminer si une candidate devait réussir ou échouer à l’examen. En particulier, Mme Bozza ne croyait pas que Mme Runzer devait réussir, tandis que M. Lionetti pensait le contraire. Elle se rappelle en outre une longue discussion entre les deux évaluateurs au sujet des résultats de Mme Lam. Mme Bozza estimait que la candidate devait obtenir la note de passage, mais M. Lionetti n’était pas d’accord.

36Mme Kuhn a affirmé que Mme Sandbeck et elle-même avaient posé des questions. Elles avaient demandé à Mme Bozza et à M. Lionetti comment ils évaluaient le rendement de Mmes Runzer et Lam comparativement à une troisième candidate, qui avait réussi à l’examen. Mme Kuhn a indiqué que les trois examens lui paraissaient semblables et qu’elle avait l’impression que Mme Bozza et M. Lionetti avaient relevé les mêmes problèmes dans la méthode des trois candidates; or, ils considéraient qu’une de ces candidates avait réussi, mais ils avaient l’intention de faire échouer une autre. Mme Kuhn a indiqué qu’après en avoir discuté, Mme Bozza et M. Lionetti avaient décidé d’accorder la note de passage à Mmes Runzer et Lam.

37Mme Kuhn a indiqué qu’à la suite de cette discussion, elle avait expressément demandé à Mme Bozza et à M. Lionetti si Mmes Runzer et Lam avaient réussi à l’examen. Les deux évaluateurs avaient répondu que les deux candidates avaient réussi.

38Mme Kuhn a affirmé que Mme Bozza et M. Lionetti avaient accordé la note de cinq sur dix à Mme Runzer. Le guide de cotation pour l’examen pratique de Mmes Runzer et Lam et de la troisième candidate a été présenté en preuve. Les trois personnes ont reçu la note de cinq sur dix pour la capacité 1. Mme Kuhn a affirmé qu’elle n’était pas préoccupée outre mesure quant à la note attribuée aux trois candidates étant donné qu’il n’y avait aucune réelle différence au chapitre de leur rendement à l’examen.

39Mme Kuhn a indiqué qu’elle n’avait pas eu d’autre discussion avec M. Lionetti après l’examen pratique, qui avait eu lieu le 3 janvier 2008. Le lendemain de l’examen pratique, Mme Bozza était allée au bureau de Mme Kuhn pour lui fournir des références. Mme Kuhn a affirmé que Mme Bozza avait été contrariée d’apprendre que des références étaient demandées seulement pour les personnes qui possédaient toutes les qualifications essentielles, puisque c’est alors qu’elle avait compris que la plaignante et deux autres candidates ne s’étaient pas qualifiées.

40Mme Kuhn a identifié les notes qu’elle avait prises pendant l’entrevue de la plaignante, le 2 janvier 2008. Elle a expliqué que Mme Sandbeck et elle-même avaient mené les entrevues et que les notes des candidates avaient été établies par consensus. La plaignante n’avait pas démontré qu’elle possédait la capacité de cerner et d’analyser des problèmes, de formuler des solutions et de prendre des décisions.

41Mme Sandbeck a fait partie du comité d’évaluation tout au long du processus de nomination visé. Elle a affirmé que Mmes Kuhn et Bozza, M. Lionetti et elle-même s’étaient rencontrés immédiatement avant l’administration de l’examen pratique. Mme Sandbeck a ajouté qu’elle était alors convaincue que Mme Bozza et M. Lionetti comprenaient le rôle qu’ils avaient à jouer. Son rôle à elle pendant l’examen pratique était d’observer les candidates et de prendre part à la discussion pour s’assurer de bien comprendre le résultat de l’évaluation effectuée par Mme Bozza et M. Lionetti.

42Selon Mme Sandbeck, à la fin de chaque examen pratique, Mme Bozza et M. Lionetti examinaient les tuniques et formulaient leurs commentaires, lesquels étaient transcrits sur les guides de cotation individuels. Mme Sandbeck a déclaré que les évaluateurs commençaient par dire à Mme Kuhn et à elle-même si la candidate en question avait réussi ou échoué, après quoi ils lui attribuaient une note.

43Mme Sandbeck ne se rappelait pas en détail la discussion concernant l’évaluation de Mme Runzer. Elle a indiqué que Mme Bozza et M. Lionetti n’étaient pas certains que Mmes Runzer et Lam aient réussi à l’examen et qu’ils avaient décidé d’examiner à nouveau la question une fois que toutes les candidates auraient subi l’examen.

44Mme Sandbeck a expliqué que les quatre membres du comité d’évaluation avaient discuté à nouveau des évaluations de Mmes Runzer et Lam une fois l’examen de la dernière candidate terminé. Ils avaient alors comparé leurs résultats avec les notes d’évaluation de l’autre candidate. Mme Sandbeck a précisé que l’autre candidate avait établi la norme pour ce qui est de la note de passage.

45Mme Sandbeck a déclaré que Mme Bozza et M. Lionetti s’étaient éloignés pour discuter en privé des évaluations de Mmes Runzer et Lam. À leur retour, Mme Bozza et M. Lionetti avaient indiqué à Mmes Kuhn et Sandbeck que les deux candidates avaient réussi à l’examen.

46Selon Mme Sandbeck, après avoir décidé que Mmes Runzer et Lam avaient réussi à l’examen, Mme Bozza et M. Lionetti avaient octroyé à chacune la note de cinq points. Elle a ajouté qu’au moment où les décisions ont été prises relativement à l’évaluation, elle ne savait pas qu’il y avait un désaccord au sujet des notes finales. Mme Sandbeck a ajouté qu’elle ne savait pas à quel moment ce désaccord s’était manifesté.

47Mme Sandbeck a affirmé que la note de cinq signifiait que la personne répondait à l’exigence, sans plus. Elle a ajouté qu’elle croyait que Mme Bozza et M. Lionetti avaient compris que la note de cinq correspondait à une note de passage.

48Mme Sandbeck a identifié les notes qu’elle avait prises durant l’entrevue de la plaignante, le 2 janvier 2008. Elle a affirmé que Mme Kuhn et elle-même avaient évalué chaque candidate et qu’elles s’étaient entendues sur les notes attribuées. La plaignante n’avait pas démontré qu’elle possédait la capacité de cerner et d’analyser des problèmes, de formuler des solutions et de prendre des décisions, étant donné que sa réponse n’était pas suffisamment détaillée pour le niveau de superviseur.

Favoritisme personnel

49La plaignante a affirmé avoir constaté qu’un lien d’amitié très fort unissait Mmes Kuhn et Runzer. Elle a indiqué que Mme Kuhn avait invité Mme Runzer à une soirée de démonstration de produits Avon qui avait lieu chez elle. Toutefois, la plaignante a reconnu que tout le monde avait été invité à cette soirée. La plaignante a expliqué qu’après un souper au restaurant, la route étant mauvaise en raison des conditions météorologiques, Mme Kuhn avait invité Mme Runzer à dormir chez elle. La plaignante a aussi affirmé qu’elle voyait souvent Mme Runzer discuter avec Mme Kuhn dans le bureau de cette dernière. La plaignante avait l’impression que Mmes Kuhn et Runzer étaient de très bonnes amies.

50Mme Kuhn a déclaré que Mme Runzer n’était jamais allée chez elle. Elle a indiqué que lorsqu’elle organisait des soirées Avon ou d’autres types de soirée, elle faisait circuler un feuillet et des invitations dans tout l’atelier de confection. Mme Kuhn a affirmé qu’après un souper de groupe au restaurant, elle avait invité Mme Runzer et une autre personne à dormir chez elle parce qu’il y avait une tempête hivernale et que les deux employés demeuraient assez loin. Mme Runzer habite à Moose Jaw, à 45 milles de Regina. Mme Kuhn a expliqué que le mari de Mme Runzer avait trouvé la mort dans une tempête hivernale et qu’elle voulait donc éviter à cette dernière d’avoir à conduire dans ces conditions pour retourner chez elle. Mme Runzer avait décliné son invitation.

51Mme Kuhn a reconnu que Mme Runzer venait souvent la voir à son bureau. Elle a expliqué que Mme Runzer avait présenté une plainte de harcèlement et qu’elle fournissait des conseils à cette dernière concernant la procédure à suivre, en sa qualité de gestionnaire du Service des cadets.

Argumentations des parties

a) Argumentation de la plaignante

52La plaignante affirme que ni Mme Lam ni Mme Runzer n’ont réussi à se qualifier en vue de la nomination à un poste de superviseur. Elle affirme que Mme Runzer aurait dû voir sa candidature éliminée à l’étape de la présélection, car elle ne possède pas l’expérience requise. La plaignante soutient également que Mmes Runzer et Lam ont échoué à l’examen pratique qui portait sur la capacité 1. Elle affirme que Mme Bozza et M. Lionetti n’ont pas reçu les critères d’évaluation et que Mme Kuhn a exercé des pressions sur eux afin qu’ils accordent une note supérieure à celle que méritaient Mmes Lam et Runzer, sans leur dire que celles-ci auraient ainsi la note de passage pour la capacité 1. Enfin, elle affirme que Mme Kuhn a appris que Mme Runzer avait échoué à l’examen pratique et qu’elle a tout de même procédé à sa nomination.

53La plaignante soutient que Mme Kuhn a agi de mauvaise foi. Elle maintient que la nomination de Mme Runzer était également entachée de favoritisme personnel.

b) Argumentation de l’intimé

54L’intimé affirme que, compte tenu des circonstances, Mme Bozza et M. Lionetti ont obtenu des renseignements suffisants pour leur permettre de comprendre et d’administrer l’examen pratique. Selon la prépondérance de la preuve, Mmes Runzer et Lam étaient qualifiées en vue d’une nomination.

55L’intimé affirme que l’allégation de favoritisme personnel formulée par la plaignante n’est étayée par aucun élément de preuve convaincant.

56L’intimé fait valoir que la plaignante n’a pas été nommée ni n’a été proposée en vue d’une nomination parce qu’elle ne possédait pas l’une des qualifications essentielles pour le poste.

c) Argumentation de la Commission de la fonction publique

57La Commission de la fonction publique (CFP) fait remarquer que les personnes responsables de l’évaluation doivent être compétentes et doivent connaître les critères d’évaluation et la note de passage. Dans le cas contraire, il y a un risque que l’intimé enfreigne les lignes directrices de la CFP en matière d’évaluation. La CFP soutient que le fait de ne pas respecter ces lignes directrices ne constitue pas en soi un abus de pouvoir, à moins que l’on puisse établir qu’il y a eu une intention illégitime ou qu’il y a eu une négligence ou une insouciance telle que l’on peut la qualifier de mauvaise foi.

Analyse

Question I : L’intimé a-t-il fait preuve de mauvaise foi dans le processus de nomination, entraînant ainsi la nomination de deux personnes ne possédant pas les qualifications requises?

58Le Tribunal a déjà insisté sur le fait que la mauvaise foi constituait l’une des formes les plus graves d’abus de pouvoir que la fonction publique dans son ensemble devait s’efforcer de prévenir avec diligence. Le Tribunal a confirmé dans plusieurs décisions que la mauvaise foi englobait la négligence ou l’insouciance grave. Voir par exemple les décisions Cameron et Maheux c. l’Administrateur général de Service Canada et al., [2008] TDFP 0016, Robert et Sabourin c. le Sous‑ministre de Citoyenneté et Immigration Canada, [2008] TDFP 0024 et Beyak c. Sous‑Ministre de Ressources naturelles Canada et al., [2009] TDFP 0007.

59Selon l’énoncé des critères de mérite, les candidates devaient posséder au moins trois ans d’expérience de la retouche d’uniformes de la GRC; il s’agissait là d’une qualification essentielle pour le poste. La plaignante n’a produit aucune preuve de fait démontrant que Mme Lam ne possédait pas cette qualification. Son allégation selon laquelle Mme Runzer n’a pas l’expérience nécessaire est plutôt fondée sur ses propres observations. Le curriculum vitae de Mme Runzer, qui a été produit en preuve, indique que celle‑ci a travaillé comme tailleur de juin 2003 à mai 2007, poste dont les fonctions consistaient à confectionner et à retoucher des uniformes de la GRC. De mai 2007 jusqu’à décembre 2007, moment où elle a présenté sa candidature pour le processus de nomination, elle a confectionné et retouché des tuniques de la GRC à titre de tailleur sur mesure. Les éléments de preuve indiquent donc que Mme Runzer répondait à l’exigence relative à l’expérience, telle qu’elle était décrite dans l’énoncé des critères de mérite. Le Tribunal tient pour avéré que Mme Runzer possédait l’expérience décrite dans l’énoncé des critères de mérite.

60Mme Bozza et M. Lionetti n’ont été appelés à évaluer qu’une seule qualification essentielle pour le processus de nomination visé, soit la capacité de choisir les bonnes méthodes pour apporter les retouches aux vêtements et les recoudre. Ils ont été invités à effectuer l’évaluation en raison de leurs connaissances spécialisées dans le domaine de la confection.

61Le Tribunal a abordé la question de la composition des comités d’évaluation dans la décision Sampert et al. c. Sous‑ministre de la Défense nationale et al., [2008] TDFP 0009, dont voici un extrait :

[53] Aucune disposition de la LEFP n’oblige les administrateurs généraux à constituer un comité d’évaluation ni à faire en sorte que celui-ci soit composé d’une certaine façon (par exemple à s’assurer de la présence d’un agent des ressources humaines au sein du comité). La question de savoir si un comité d’évaluation est composé de façon appropriée ou non est une question de fait qui dépend de la plainte présentée et de la preuve produite à l’audience.

[54] Les personnes qui effectuent l’évaluation doivent bien connaître les fonctions du poste à doter et, dans le cas d’un processus de nomination annoncé, ne doivent avoir aucune idée préconçue quant à la personne qui devrait être nommée. Dans certains cas, les gestionnaires peuvent décider de mener l’évaluation eux-mêmes, tandis que dans d’autres cas, ils peuvent demander à une personne provenant d’un autre ministère ou d’un autre secteur du ministère et qui possède une expertise particulière de participer à l’évaluation à titre de membre du comité.

62Personne ne conteste le fait que ni Mme Kuhn ni Mme Sandbeck ne possédaient les connaissances spécialisées pour évaluer la capacité 1. Or, il n’existe pas de preuve que les autres qualifications essentielles mentionnées dans l’énoncé des critères de mérite nécessitaient des connaissances spécialisées dans le domaine de la confection. De la même façon, rien ne prouve que Mme Kuhn ou Mme Sandbeck ne possèdent pas les compétences requises pour évaluer les autres qualifications essentielles.

63En demandant à Mme Bozza et à M. Lionetti d’évaluer la capacité 1, Mme Kuhn a établi deux comités d’évaluation distincts. Dans l’affaire Visca c. Sous‑ministre de la Justice et al., [2007] TDFP 0024, le plaignant avait contesté le recours à de multiples comités d’évaluation plutôt que l’utilisation d’un seul comité uniforme. Aux paragraphes 60 et 61, le Tribunal a jugé que l’utilisation de plusieurs comités s’expliquait fort bien par le pouvoir discrétionnaire considérable octroyé aux gestionnaires en vertu de l’article 36 de la LEFP.

64Dans l’affaire Visca, même si différents comités avaient évalué les mêmes qualifications, le Tribunal était convaincu que les mesures nécessaires avaient été prises par l’intimé pour assurer l’uniformité de l’évaluation par tous les comités. En l’espèce, aucune préoccupation relative à l’uniformité n’a été soulevée puisque Mme Bozza et M. Lionetti ont évalué toutes les candidates au regard d’une qualification essentielle.

65La plaignante n’a fourni aucun élément de preuve convaincant démontrant que le comité d’évaluation n’était pas approprié de par sa constitution. L’expertise de Mme Bozza et de M. Lionetti était requise pour l’évaluation d’une qualification essentielle spécialisée. Aucun élément de preuve n’établit que leur participation au processus de nomination ne devait pas se limiter à ce rôle.

66Le Tribunal constate que M. Lionetti et Mme Bozza n’avaient pas reçu les critères d’évaluation écrits avant d’administrer l’examen pratique. Même s’il aurait été prudent de les leur remettre, cette omission n’était pas grave dans le contexte de l’examen pratique. Le Tribunal est convaincu que les deux évaluateurs savaient quel était l’objet de l’évaluation.

67Mme Bozza et M. Lionetti ont facilement expliqué leur rôle, qui consistait à évaluer le choix des candidates en ce qui concerne la taille de la tunique et les modifications qui étaient requises. Le guide de cotation pour la capacité 1 comprend deux critères pour cette qualification, soit le choix de méthodes appropriées et la capacité d’appliquer les méthodes et les procédures de façon précise. En ce qui a trait à l’examen ou aux critères, aucune preuve n’a été produite qui démontrait que d’autres consignes particulières auraient dû être données à des évaluateurs aussi chevronnés dans le domaine de la confection que Mme Bozza et M. Lionetti. De plus, selon les éléments de preuve présentés par Mme Kuhn et qui n’ont pas été contestés, Mme Bozza avait mené le même type d’examen pratique à l’occasion d’un processus de nomination antérieur.

68Les éléments de preuve produits ne permettent pas de conclure que Mme Kuhn a constitué le comité d’évaluation de façon inappropriée ou que les évaluateurs n’étaient pas suffisamment préparés pour administrer l’examen pratique relatif à la capacité 1.

69Des éléments de preuve contradictoires ont été présentés quant à la question de déterminer si les évaluateurs savaient que la note de passage était de cinq sur dix. Comme l’a expliqué le Tribunal au paragraphe 46 de la décision Glasgow c. Sous‑ministre de Travaux publics et Services gouvernementaux Canada et al., [2008] TDFP 0007, lorsqu’il y a deux versions des faits, le Tribunal doit déterminer laquelle des versions est conforme à la prépondérance des probabilités qu’une personne informée et douée de sens pratique reconnaîtrait d’emblée comme raisonnables compte tenu des circonstances.

70Les évaluateurs, Mme Bozza et M. Lionetti, ont tous deux affirmé qu’ils ne savaient pas que la note de cinq sur dix était la note de passage lorsqu’ils ont administré l’examen pratique pour la capacité 1. Mme Kuhn, quant à elle, a déclaré que les deux évaluateurs savaient que l’examen était noté sur une échelle de 10 points. Mme Bozza a d’ailleurs confirmé dans son témoignage qu’elle savait que l’examen était noté sur 10 points. Les deux évaluateurs ont déclaré qu’il y avait eu des discussions au sujet des notes à attribuer aux candidates.

71Ni Mme Kuhn ni Mme Sandbeck ne se souviennent d’une discussion précise sur la note de passage, mais elles étaient toutes deux convaincues que les évaluateurs avaient compris que la note de cinq constituait une note de passage. Mme Sandbeck a précisé que pour chaque candidate, les évaluateurs discutaient pour déterminer si la personne avait réussi ou échoué, après quoi ils s’entendaient sur une note. Mmes Kuhn et Sandbeck ont toutes deux indiqué, en ce qui a trait à Mmes Lam et Runzer, que Mme Bozza et M. Lionetti leur avaient indiqué que les deux candidates avaient réussi à l’examen, après quoi ils leur avaient précisé les notes obtenues.

72Cinq personnes se sont présentées à l’examen pratique pour la capacité 1 le 3 janvier 2008. La plaignante était la deuxième candidate à passer l’examen. Il y avait ensuite Mmes Runzer et Lam et une autre candidate (la troisième candidate).

73Dans sa lettre en date de mai 2008, Mme Bozza indique que Mme Runzer aurait dû échouer à l’examen pratique pour la capacité 1. La lettre ne mentionne pas Mme Lam ni l’autre candidate. Mme Bozza a déclaré qu’elle n’aurait pas fait échouer Mme Lam, mais que Mme Runzer n’aurait pas dû obtenir la note de passage. Elle n’a fait aucune mention de la troisième candidate.

74La lettre préparée pour M. Lionetti quelque temps avant la tenue de l’audience indique également que Mme Runzer aurait dû échouer à l’examen pratique pour la capacité 1. Encore une fois, aucune mention n’est faite de Mme Lam ou de la troisième candidate. M. Lionetti a pour sa part affirmé que Mmes Runzer et Lam et la troisième candidate auraient toutes dû échouer à l’examen pratique.

75Même si les résultats de toutes les candidates ont fait l’objet d’une discussion entre Mme Bozza, M. Lionetti et Mmes Kuhn et Sandbeck, il n’y a aucune preuve que les résultats de la troisième candidate aient jamais été remis en question le jour de l’examen.

76Tous les éléments de preuve attestent que Mmes Lam et Runzer et la troisième candidate n’ont pas donné un bon rendement à l’examen pratique. Or, le seul élément de preuve indiquant que Mme Lam et la troisième candidate ont échoué est l’affirmation faite par M. Lionetti au cours de l’audience, soit plus de 10 mois après l’examen pratique, lorsqu’il a affirmé qu’aucune des ces personnes n’aurait dû réussir. Son témoignage à cet égard contredit les éléments de preuve présentés par Mme Bozza et les témoins de l’intimé.

77Après avoir déterminé que Mme Lam et la troisième candidate avaient réussi, Mme Bozza et M. Lionetti leur ont attribué la note de cinq points chacune. Selon la prépondérance des probabilités, le Tribunal juge qu’une personne informée et douée de sens pratique reconnaîtrait d’emblée comme raisonnable, compte tenu des circonstances, le fait que les évaluateurs savaient que l’examen était noté sur dix points et que la note de cinq constituait une note de passage.

78La comparaison des guides de cotation portant sur la capacité 1 pour l’examen de Mme Runzer et Lam et de la troisième candidate montre que les trois personnes ont fourni un rendement très semblable. En effet, les trois guides de cotation évoquent des problèmes du même ordre. Selon les éléments de preuve de l’intimé, qui n’ont pas été contestés, les notes prises dans chacun des guides de cotation pour la capacité 1 correspondent aux commentaires formulés par les évaluateurs.

79Mmes Kuhn et Sandbeck ont décrit une discussion portant sur les examens pratiques de Mmes Lam et Runzer, au cours de laquelle les résultats des deux candidates avaient été comparés avec ceux de la troisième personne. Mme Bozza a affirmé que les notes de certaines personnes avaient été modifiées après une discussion qui avait eu lieu entre M. Lionetti, Mme Kuhn et elle-même. À la lumière de la preuve présentée, ainsi que des trois guides de cotation portant sur la capacité 1, le Tribunal estime que Mmes Runzer et Lam ont chacune obtenu une note qui témoigne du fait que leurs résultats à l’examen pratique étaient semblables à ceux de la troisième candidate.

80Le témoignage des témoins de la plaignante n’est pas en accord avec la prépondérance de la preuve. Le Tribunal constate que le 3 janvier 2008, Mme Bozza et M. Lionetti ont déterminé que Mmes Runzer et Lam et la troisième candidate avaient réussi à l’examen pratique pour la capacité 1 et leur ont accordé une note de cinq.

81C’est dans l’explication de ses allégations que la plaignante a affirmé clairement pour la première fois que Mme Kuhn avait été informée que l’une des personnes nommées avait échoué à l’examen pratique. L’explication des allégations a été fournie le 1er mai 2008. La notification de nomination ou de proposition de nomination a été affichée le 17 janvier 2008. Le jour de l’examen pratique, Mme Kuhn a été informée que Mme Runzer avait réussi à l’examen. Mmes Bozza et Kuhn se sont réunies le lendemain, soit le 4 janvier 2008. Mme Bozza a expliqué le but de cette réunion et a précisé qu’elle n’avait pas vu les résultats de l’entrevue; elle n’a pas affirmé avoir dit à Mme Kuhn à ce moment‑là que Mme Runzer aurait dû échouer à l’examen pratique. Mme Kuhn a pour sa part indiqué qu’elle n’avait pas eu d’autre occasion de discuter avec Mme Bozza ou avec M. Lionetti avant l’audience. Mme Bozza, quant à elle, a confirmé qu’elle n’avait pris aucune mesure jusqu’à ce qu’elle soit informée de la plainte qui avait été formulée; c’est alors qu’elle a écrit une lettre. Il n’existe aucune preuve que Mme Kuhn ait été informée, avant de la nommer, que Mme Runzer avait échoué à l’examen pratique, étant donné que les lettres de Mme Bozza et de M. Lionetti ont été préparées dans le contexte de la plainte, à la demande du représentant de la plaignante, soit bien après l’administration et la notation de l’examen pratique et la décision de nommer Mme Runzer. Le Tribunal conclut que Mme Kuhn n’a pas été informée que Mme Runzer avait échoué à l’examen pratique avant de la nommer.

82La plaignante soutient que Mme  Kuhn a exercé une pression sur les évaluateurs pour les amener à accorder la note de passage à Mme Runzer.

83M. Lionetti n’a jamais déclaré avoir subi de pression pour donner la note de passage à quiconque. En revanche, le témoignage de Mme Bozza selon lequel Mme Kuhn a influencé le choix des évaluateurs et a exercé des pressions pour qu’elle attribue une note supérieure à Mme Runzer va dans le même sens que les affirmations qu’elle a faites dans sa lettre de mai 2008.

84Mmes Kuhn et Sandbeck ont toutes deux affirmé qu’au départ, les évaluateurs n’étaient pas du même avis lorsqu’il s’agissait de déterminer si Mmes Runzer et Lam avaient réussi à l’examen. Elles ont décrit une deuxième discussion concernant les résultats à l’examen pratique de Mmes Runzer et Lam, au cours de laquelle des questions ont été posées aux évaluateurs et les résultats ont été comparés avec ceux de la troisième candidate. Étant donné que Mme Bozza et M. Lionetti avaient décidé que la troisième candidate avait réussi à l’examen, celui‑ci a été utilisé comme point de référence pour l’établissement de la note de passage.

85Personne ne conteste le fait que Mmes Kuhn et Sandbeck ont posé des questions et ont demandé des précisions aux évaluateurs au sujet des résultats de Mmes Runzer et Lam. Les éléments de preuve indiquent en outre que les résultats à l’examen pratique de Mmes Runzer et Lam ont été comparés à ceux de la troisième candidate. Même si Mme Bozza estime avoir subi des pressions, la plaignante n’a pas réussi à établir que Mme Kuhn a agi avec une intention illégitime ou avec une négligence ou une insouciance telle que l’on pourrait l’assimiler à de la mauvaise foi. Le Tribunal estime plutôt que l’intervention de Mme Kuhn a eu pour effet d’assurer l’uniformité dans l’évaluation des examens pratiques de toutes les candidates.

86Les résultats à l’examen pratique pour la capacité 1 montrent clairement que Mmes Runzer et Lam n’ont pas démontré qu’elles étaient les tailleurs les plus compétentes parmi toutes les candidates. Selon leur témoignage, Mme Bozza et M. Lionetti estiment tous deux que ce sont les meilleurs tailleurs qui devraient être nommés à des postes de supervision. Toutefois, le Tribunal a clairement établi dans d’autres décisions que les administrateurs généraux et leurs délégués disposent d’un vaste pouvoir discrétionnaire en vertu du paragraphe 30(2) de la LEFP pour établir les qualifications nécessaires pour un poste. Voir par exemple la décision Visca c. le sous‑ministre de la Justice et al., [2207] TDFP 0024.

87En l’espèce, la gestionnaire n’a pas accordé la plus haute importance aux compétences en confection. Des 13 qualifications essentielles établies, seules trois étaient directement liées à la confection. L’expérience de la retouche d’uniformes de la GRC était évaluée selon le mode « réussite‑échec ». La capacité d’enseigner aux autres des notions de confection de vêtements de la GRC et la capacité 1 valaient 10 points chacune, ce qui correspondait à 20 points sur 103 points au total. Les 83 autres points étaient attribués pour d’autres qualifications essentielles que Mme Kuhn a décrites comme nécessaires pour un poste de supervision. Ces qualifications comprenaient, entre autres aptitudes, la capacité de planifier, d’organiser et de gérer le travail et les ressources, la capacité de cerner et d’analyser les problèmes et la capacité de communiquer efficacement; et, sur le plan des qualités personnelles, la souplesse, le souci du service à la clientèle et l’esprit d’équipe.

88Aucun argument ni aucun élément de preuve n’ont été présentés relativement à l’établissement des qualifications essentielles pour le processus de nomination en l’espèce.

89Enfin, le Tribunal estime qu’il n’y a aucun élément de preuve démontrant que Mme Kuhn était tenue de diffuser les résultats d’entrevue à Mme Bozza ou de vérifier les références des candidates qui ne possédaient pas toutes les qualifications essentielles.

90Le Tribunal juge que la plaignante n’a pas réussi à établir, selon la prépondérance des probabilités, que la déléguée de l’intimé a agi de mauvaise foi ou que des personnes ne possédant pas les qualifications requises ont été nommées.

Question II : L’intimé a-t-il fait preuve de favoritisme personnel par la nomination de Karen Runzer?

91La plaignante n’a pas réussi à expliquer au Tribunal pourquoi Mme Kuhn aurait influencé de façon inappropriée l’évaluation de Mme Lam. La plaignante soutient que les mesures prises par Mme Kuhn en ce qui a trait à l’évaluation de Mme Runzer étaient fondées sur le favoritisme personnel.

92Dans la décision Glasgow, le Tribunal a abordé la notion de favoritisme personnel et a expliqué les éléments de preuve requis à l’appui d’une allégation de favoritisme personnel :

[41] […] Des intérêts personnels indus, comme une relation personnelle entre la personne chargée de la sélection et la personne nommée, ne devraient jamais constituer le motif d’une nomination. De la même façon, la sélection d’une personne à titre de faveur personnelle ou pour obtenir la faveur de quelqu’un serait un autre exemple de favoritisme personnel.

[…]

[44]  Une preuve de favoritisme personnel peut être directe, comme des faits démontrant clairement le lien personnel étroit qui existe entre la personne chargée de la sélection et la personne nommée. Cela dit, ce sera souvent une question de preuve circonstancielle, où certains actes, commentaires ou événements observés avant ou pendant le processus de nomination doivent être examinés. Selon sa source et son lien particulier avec les questions en litige dans une plainte, la preuve circonstancielle peut être aussi convaincante que la preuve directe. […]

93La preuve présentée par la plaignante à l’appui de son allégation de favoritisme personnel est à la fois directe et circonstancielle. La plaignante a affirmé avoir eu connaissance de deux occasions où Mme Kuhn a invité Mme Runzer chez elle. Elle a toutefois reconnu que dans un des deux cas, tout le personnel de l’atelier de confection avait été invité. La plaignante a également déclaré que Mmes Kuhn et Runzer discutaient souvent ensemble au travail. Elle a affirmé avoir observé un lien d’amitié très étroit entre les deux femmes.

94Pendant son témoignage, Mme Kuhn a affirmé que, outre l’invitation générale lancée à tout le personnel de l’atelier de confection, elle avait déjà invité Mme Runzer et un autre employé à dormir chez elle un soir de tempête hivernale pour leur éviter d’avoir à faire un long trajet dans ces conditions. Elle a également déclaré que Mme Runzer avait refusé les deux invitations et n’était jamais allée à son domicile. Mme Kuhn a expliqué qu’elle rencontrait souvent Mme Runzer en raison d’une situation de harcèlement en milieu de travail. Aucune des affirmations de Mme Kuhn concernant son lien avec Mme Runzer n’a été remise en question au contre-interrogatoire.

95Selon la plaignante, une autre preuve de favoritisme personnel est que Mme Kuhn aurait influencé le processus de nomination des façons suivantes : elle a accepté l’expérience insuffisante de Mme Runzer, elle n’a pas informé Mme Bozza et M. Lionetti des critères d’évaluation et de la note de passage pour la capacité 1 comme elle aurait dû le faire, elle a exercé des pressions sur Mme Bozza et sur M. Lionetti pour qu’ils accordent la note de passage à Mme Runzer à l’évaluation de la capacité 1, et elle a empêché Mme Bozza et M. Lionetti de participer au processus d’évaluation dans son entier et d’avoir accès à tous les résultats.

96Les allégations de manipulation soulevées par la plaignante, si elles s’étaient avérées fondées, auraient pu mener à une constatation de mauvaise foi. Cependant, le Tribunal a déjà établi, selon la prépondérance des probabilités, que le processus n’avait pas été entaché de mauvaise foi.

97Le Tribunal conclut que les éléments de preuve ne permettent pas d’établir que Mme Kuhn a fait preuve de favoritisme personnel lorsqu’elle a nommé Mme Runzer. L’allégation d’abus de pouvoir fondée sur le favoritisme personnel ne peut donc pas être corroborée.

Décision

98Pour tous les motifs susmentionnés, la plainte est rejetée.

Merri Beattie

Membre

Parties au dossier

Dossier du Tribunal:
2008-0094
Intitulé de la cause:
Theresa Tran et le commissaire de la Gendarmerie royale canadienne et al.
Audience:
Les 25 et 26 november 2008
Regina, (Saskatchewan)
Date des motifs:
Le 1er décembre 2009

Comparutions:

Pour la plaignante:
Satinder Bains
Pour l'intimé:
Lesa Brown
Pour la Commission
de la fonction publique:
John Unrau
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