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Résumé :

Le fonctionnaire s’estimant lésé a fait l’objet de plaintes de harcèlement - le fonctionnaire s’estimant lésé a allégué que l’employeur n’avait pas appliqué sa propre politique sur les enquêtes de harcèlement - il a aussi allégué que cela avait affecté son état de santé - à l’arbitrage, l’agentnégociateur a invoqué une disposition de la convention collective sur la santé et la sécurité - l’employeur a soutenu que cette disposition ne s’appliquait pas aux cas individuels - l’employeur a également fait valoir que le fonctionnaire s’estimant lésé ne pouvait pas invoquer la disposition parce qu’il ne l’avait pas fait pendant le traitement du grief - l’arbitre de grief a affirmé que la disposition pouvait s’appliquer aux cas individuels, mais il a convenu avec l’employeur qu’elle ne pouvait être invoquée pour la première fois à l’arbitrage, d’après la décisionBurchill. Grief rejeté. Référence: Burchill c. Procureur général du Canada, [1981] 1C.F.109 (C.A.)

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2010-09-21
  • Dossier:  566-02-2758
  • Référence:  2010 CRTFP 100

Devant un arbitre de grief


ENTRE

ROY LESLIE BOUDREAU

fonctionnaire s'estimant lésé

et

CONSEIL DU TRÉSOR
(ministère de la Défense nationale)

employeur

Répertorié
Boudreau c. Conseil du Trésor (ministère de la Défense nationale)

Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l’arbitrage

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Dan Butler, arbitre de grief

Pour le fonctionnaire s'estimant lésé:
Ronald A. Pink, avocat

Pour l'employeur:
Virgine Emiel-Wildhaber, Secrétariat du Conseil du Trésor

Décision rendue sur la base d’arguments écrits
déposés les 18 juin et 6 juillet 2009 et le 13 août 2010.
(Traduction de la CRTFP)

I. Grief individuel renvoyé à l’arbitrage

1 Roy Leslie Boudreau, le fonctionnaire s’estimant lésé (le « fonctionnaire »), est un fonctionnaire du ministère de la Défense nationale (MDN) qui travaille à l’Installation de maintenance de la flotte Cape Scott, de la Base des Forces canadiennes Halifax. Le 30 mars 2007, il a déposé un grief individuel au premier palier de la procédure de règlement des griefs qui se lit comme suit :

[Traduction]

Je désire contester par un grief le défaut de la direction de se conformer à la DOAD 5012-0, Prévention et résolution du harcèlement, et à la Politique sur la prévention et le règlement du harcèlement en milieu de travail du SCT et mon renvoi ultérieur à la maison par la direction.

Cette mesure est inéquitable, injuste, et m’a occasionné un stress excessif, de la maladie, et une perte financière.

[Mesures correctives demandées]

Je demande que la direction se fasse ordonner de se conformer aux politiques du SCT et du MDN sur la prévention du harcèlement et que je sois dédommagé pour l’ensemble de mes pertes financières.

2 Insatisfait de la réponse du MDN à son grief au dernier palier de la procédure de règlement des griefs, le fonctionnaire l’a renvoyé à la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la « Commission ») à des fins d’arbitrage avec l’appui de son agent négociateur, l’Association des Chefs d’équipes des chantiers maritimes du gouvernement fédéral (ACECM). Il a d’abord été établi que l’objet du grief était une mesure disciplinaire tombant sous le coup de l’alinéa 209(1)b) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22 (la « Loi »). Trois semaines plus tard, l’ACECM a remplacé le renvoi initial à l’arbitrage par un renvoi corrigé précisant que l’alinéa 209(1)a) est la disposition applicable de la Loi. L’objet d’un renvoi à l’arbitrage prévu par l’alinéa 209(1)a) est l’interprétation ou l’application d’une disposition d’une convention collective, à savoir, en l’espèce, la clause 16.01 (« Sécurité et santé ») de la convention collective intervenue entre le Conseil du Trésor (l’« employeur ») et l’ACECM relativement au groupe Réparation des navires (SR)(C), convention qui expire le 31 mars 2011.

3 La présente décision porte sur l’objection préliminaire de l’employeur, reçue par la Commission le 18 juin 2009, selon laquelle un arbitre de grief n’a pas compétence pour examiner le grief. L’ACECM s’est opposée à l’objection au nom du fonctionnaire et a déposé des arguments écrits le 6 juillet 2009. Elle a proposé que la Commission statue sur l’objection en se fondant sur les arguments versés au dossier. L’employeur a appuyé cette proposition, à laquelle la Commission a ultérieurement donné son aval. Pour compléter le processus de présentation des arguments, la Commission a donné à l’employeur une occasion de réfuter les arguments écrits déposés au nom du fonctionnaire.

II. Résumé de la preuve

4 L’ACECM fait valoir les faits suivants :

[Traduction]

[…]

M. Boudreau a fait l’objet de quatre plaintes de harcèlement. La première a été déposée en 2002. La deuxième a été déposée en 2003, mais il n’y a pas eu d’enquête avant septembre 2005. Les deux dernières plaintes ont été déposées en 2004 et en 2005 respectivement. La première plainte a été rejetée en 2003. Les trois autres ont été jugées non fondées en 2007.

Le 8 février 2005, M. Boudreau a reçu des menaces de mort. La police militaire a fait enquête au sujet de cette menace, mais n’a pas déposé d’accusations. M. Boudreau est demeuré au travail du 2 février 2005 à septembre 2005. Pendant cette période, M. Boudreau a subi de plus en plus de stress en raison des menaces pour sa vie et des enquêtes de harcèlement en cours.

Le 8 septembre 2005, la superviseure de M. Boudreau, la Capitaine de corvette Tanya Koester, l’a rencontré pour lui faire part de ses préoccupations au sujet de sa santé et pour lui proposer de demander l’aide d’un médecin. M. Boudreau l’a fait, et des professionnels de la santé lui ont conseillé de s’abstenir de retourner au travail.

M. Boudreau a été autorisé à prendre un congé pour accident de travail en septembre 2005. Il est demeuré en congé pendant 17 mois.

Le 30 mars 2007, M. Boudreau a déposé un grief. Le grief mentionnait que l’employeur avait enfreint la DOAD 5012-0, Prévention et résolution du harcèlement (et ses lignes directrices connexes), et la Politique sur la prévention et le règlement du harcèlement en milieu de travail du SCT.

Tout au long de la procédure de règlement des griefs, la question en litige entre les parties a été le retard de l’employeur à faire enquête sur les plaintes de harcèlement à l’encontre de M. Boudreau et l’impact de ce retard sur la santé de M. Boudreau.

Le 18 décembre 2007, M. Boudreau a rencontré l’employeur au deuxième palier de la procédure de règlement des griefs.

L’Association a ensuite renvoyé le grief de M. Boudreau à l’arbitrage. Dans ce renvoi, l’Association a expressément fait mention de la clause 16.01 de la convention collective.

[…]

5 Dans sa réfutation, l’employeur n’a pas contesté les faits allégués par le fonctionnaire.

6 L’employeur a cité le texte de la clause 16.01 de la convention collective qui suit dans ses arguments :

16.01 L'Employeur continue de prévoir toute mesure raisonnable concernant la sécurité et la santé au travail des employés. L'Employeur fera bon accueil aux suggestions faites par l'Association sur ce sujet, et les parties s'engagent à se consulter en vue d'adopter et de mettre rapidement en œuvre toutes les procédures techniques raisonnables destinées à prévenir ou à réduire le risque d'accident du travail. L'Association accepte d'encourager ses adhérents à observer et à promouvoir toutes les règles de sécurité et à utiliser tous les moyens de protection et de sécurité appropriés.

7 J’ai constaté une erreur apparente dans la Formule 20 (Avis de renvoi à l’arbitrage d’un grief individuel) présentée par l’ACECM. Elle indique que la durée de la convention collective applicable est du « 1er avril 2008 au 31 mars 2011 ». Toutefois, le fonctionnaire a déposé son grief au premier palier de la procédure de règlement des griefs le 30 mars 2007, soit un an avant la date d’effet mentionnée de cette convention collective. Comme l’ACECM n’a pas cité le texte de la clause 16.01 dans ses arguments, mais n’a pas contesté la version du texte rapportée par l’employeur, je suis convaincu que la clause 16.01 de la convention collective qui était en vigueur le 30 mars 2007 est identique et correspond à ce qu’exposait l’employeur. En outre, la convention collective actuelle, qui est entrée en vigueur le 1er avril 2008, et qui est du domaine public, indique qu’aucun changement n’avait été apporté à la clause 16.01 par rapport à la version précédente.

8 Il est entendu que lorsque j’utilise le terme « convention collective » dans les présents motifs, je fais référence à la convention collective précédente, qui était en vigueur le 30 mars 2007. La « clause 16.01 » désigne la clause 16.01 de cette convention collective.

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour l’employeur

9 D’après l’employeur, la preuve révèle que le grief porte sur le défaut allégué de la direction de s’être conformé à une politique du MDN — la DOAD 5012-0, Prévention et résolution du harcèlement — et à la Politique sur la prévention et le règlement du harcèlement en milieu de travail du Conseil du Trésor, aucun de ces documents ne faisant partie de la convention collective. La formule de grief elle-même ne renvoie pas à la clause 16.01. Le fonctionnaire n’a jamais soulevé d’arguments sur la santé et la sécurité pendant la procédure de règlement des griefs.

10 L’employeur fait valoir que l’ACECM tente de modifier la nature du grief en désignant la clause 16.01 de la convention collective comme objet du renvoi à l’arbitrage. Ce changement n’est pas autorisé, comme le confirme Burchill c. Procureur général du Canada, [1981] 1 C.F. 109 (C.A.).

11 Le grief ne peut être renvoyé à l’arbitrage à titre d’affaire concernant l’interprétation ou l’application de la clause 16.01 de la convention collective parce que le grief, à sa face même, ne se rapporte pas à cette disposition. Par conséquent, un arbitre de grief n’a pas compétence pour entendre le grief.

B. Pour le fonctionnaire s’estimant lésé

12 L’avocat de l’ACECM fait valoir que le renvoi à l’arbitrage n’a pas modifié la nature du grief. L’essentiel de la preuve du fonctionnaire est qu’il a subi un stress excessif, qu’il a été malade et qu’il est demeuré en congé pendant 17 mois parce que l’employeur ne respectait pas ses politiques sur le harcèlement. L’inobservation de ses politiques enfreignait la convention collective.

13 Le renvoi à l’arbitrage cite la clause 16.01 de la convention collective, ce qui ne modifie pas les questions en litige et les faits à trancher. Ils demeurent les mêmes que les questions et les faits dont il a été question durant la procédure de règlement des griefs. Le fait de mettre en relief la clause 16.01 de la formule de renvoi à l’arbitrage rendait explicite ce qui avait été implicite.

14 Dans Burchill, le fonctionnaire demandait de modifier le fond de son grief en le renvoyant à l’arbitrage pour le rendre arbitrable. Telle n’est pas la situation en l’espèce. Le renvoi à l’arbitrage ne soulève pas de nouvelle question; c’est ce problème que la décision Burchill règle. Dans les circonstances étudiées dans Burchill, l’employeur était privé de la possibilité de régler la question qui fait l’objet du grief, telle qu’elle est établie dans le renvoi à l’arbitrage, pendant la procédure de règlement des griefs. On ne peut en dire autant en l’espèce, d’après l’ACECM.

15 L’ACECM m’a renvoyé à la décision de la Cour suprême du Canada dans Parry Sound (district), Conseil d’administration des services sociaux c. Syndicat des employés et employées de la fonction publique de l’Ontario, section locale 324, 2003 CSC 42, selon laquelle : « […] il faut interpréter le grief de manière que le « grief véritable » puisse être tranché et que la réparation appropriée soit accordée afin de régler les questions qui ont donné lieu au grief […] ». Voir égalementUnited Steelworkers, Local 3998 v. Dunham Bush (Canada) Ltd.(1964), 15 L.A.C. 270, à la page 274.

16 L’ACECM soutient que les tribunaux ont donné à des fonctionnaires s’estimant lésés beaucoup de latitude dans la rédaction de leurs griefs. Pour sa part, la Commission a statué, dans Lannigan c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2006 CRTFP 34, que Burchill n’impose pas « […] de manière absolue, une obligation à un fonctionnaire s’estimant lésé de faire référence à chaque disposition de la convention collective se rapportant à un grief dont l’essentiel est clair de prime abord ». En outre, les tribunaux, les arbitres et les arbitres de grief ont statué de façon constante que les affaires ne devraient pas être gagnées ou perdues pour un vice de forme : Blouin Drywall Contractors Limited v. United Brotherhood of Carpenters and Joiners of America, Local 2486 (1975), 8 O.R. (2d) 103 (C.A. de l’Ont.).

17 L’ACECM soutient que les problèmes de santé du fonctionnaire ont été analysés dans le cadre de la procédure de règlement des griefs. L’employeur a explicitement reconnu ces problèmes au cours de la procédure de règlement des griefs et a dit regretter que le fonctionnaire ait souffert. L’employeur a écrit ce qui suit dans sa réponse au deuxième palier au grief le 28 janvier 2008 :

[Traduction]

[…]

[…] vous avez déclaré que tout le processus d’enquête sur le harcèlement a eu un impact majeur sur vous, sur votre santé et sur votre bien-être et vous a amené à vous absenter du travail et à recevoir des prestations de la CSST pendant dix-sept mois.

[…]

[…] bien que je regrette sincèrement l’impact de toute cette affaire sur vous et votre santé, je n’ai malheureusement pas le pouvoir de vous accorder le dédommagement que vous avez demandé.

[…]

L’ACECM prétend donc que l’employeur était clairement au courant des questions soulevées et du véritable objet du grief. La question de la santé et de la sécurité n’était pas nouvelle et a été reconnue par l’employeur pendant toute la procédure de règlement des griefs.

18 L’ACECM prétend en outre que l’employeur n’a pas fourni de preuve qu’il a subi un préjudice du fait du renvoi à la clause 16.01 de la convention collective dans le renvoi à l’arbitrage (voir Parry Sound (district), Conseil d’administration des services sociaux, au paragraphe 69).

19 L’ACECM conclut de la façon suivante :

[Traduction]

[…]

[…] il serait indûment technique de rejeter le grief si la question de la santé et de la sécurité qui opposait les parties a été examinée dans le grief au dossier. L’employeur n’a pas subi d’inconvénient du fait de la mention de la clause 16.01, et cette situation ne modifie aucunement la question à trancher.

[…]

20 L’ACECM demande à l’arbitre de grief d’entendre le grief sur le fond.

C. Réfutation de l’employeur

21 L’employeur soutient que la jurisprudence établit clairement que la clause 16.01 de la convention collective doit être interprétée globalement. Elle doit être interprétée comme si elle créait une obligation à l’égard de l’agent négociateur, et non d’un employé en particulier : Parsons et al. c. Conseil du Trésor (Défense nationale), 2004 CRTFP 160; Albus et Deminchuk c. Conseil du Trésor (Solliciteur général), dossiers 166-02-16887 et 16888 de la CRTFP (19871125); Preeper et al. c. Conseil du Trésor (Défense nationale), dossier 166-02-21892 de la CRTFP (19920212).

22 Comme le fonctionnaire a renvoyé le grief à l’arbitrage en vertu de la clause 16.01 de la convention collective, l’employeur réaffirme que le fonctionnaire en a modifié la nature dans le but de se prévaloir d’une clause qui crée une obligation envers l’agent négociateur de se prévaloir d’une obligation envers lui.

IV. Motifs

23 Je dois statuer sur la question de savoir si le grief en l’espèce a été renvoyé à l’arbitrage à juste titre comme question d’interprétation ou d’application de la clause 16.01 de la convention collective, comme le prétend l’ACECM, ou s’il y a eu une irrégularité dans le renvoi parce que le renvoi à l’arbitrage modifiait la nature du grief, en contravention de la doctrine exposée dans Burchill.

24 Le libellé du grief et la demande de mesure corrective du fonctionnaire établissent que la conformité à la « […] DOAD 5012-0, Prévention et résolution du harcèlement, et à la Politique sur la prévention et le règlement du harcèlement en milieu de travail du SCT […] » constitue la préoccupation fondamentale. L’exposé des faits de l’espèce par l’ACECM confirme que l’inobservation de la politique — le défaut de lancer une enquête de harcèlement au moment opportun — constitue l’objet principal du grief. Il mentionne que « […] [t]out au long de la procédure de règlement des griefs, la question en litige entre les parties a été le retard de l’employeur à faire enquête sur les plaintes de harcèlement à l’encontre de M. Boudreau et l’impact de ce retard sur la santé de M. Boudreau ».

25 Pour l’essentiel, l’employeur ne conteste pas cet exposé. Ce que l’employeur conteste, c’est que le grief, et la manière dont il a été abordé pendant la procédure de règlement des griefs, ont déjà révélé que la question à trancher portait sur l’interprétation ou l’application de la clause 16.01 de la convention collective, comme le prétendait ultérieurement le renvoi à l’arbitrage corrigé de l’ACECM.

26 Il me semble que l’agent négociateur a été confronté à un problème dans cette affaire. L’essentiel du grief réside dans l’allégation selon laquelle l’employeur a omis de se conformer à certaines exigences de la politique sur la tenue, au moment opportun, d’enquêtes en matière de harcèlement. Toutefois, ces exigences de politique précises ne font pas partie de la convention collective et à ce titre, il est peu probable que leur application puisse être arbitrable en vertu de la Loi. Pour que l’objet de l’affaire s’inscrive dans le champ d’application du paragraphe 209(1), l’agent négociateur devait formuler la question différemment. Le dossier laisse croire qu’il l’a d’abord fait en décrivant les mesures de l’employeur comme des mesures disciplinaires, en déposant le renvoi à l’arbitrage en vertu de l’alinéa 209(1)b). Dans le renvoi à l’arbitrage corrigé, il a remanié la question afin qu’elle tombe sous le coup de l’alinéa 209(1)a) — une question d’interprétation ou d’application d’une disposition de la convention collective. C’est à ce stade que l’agent négociateur a expressément désigné la clause 16.01 comme objet du grief pour la première fois. L’employeur affirme, sans réfutation, que ni le fonctionnaire ni son agent négociateur n’a fait mention de la clause 16.01 pendant la procédure de règlement des griefs. L’ACECM réplique qu’il aurait toujours dû être clair pour l’employeur que son interprétation ou son application constituait la véritable question. Comme le défaut allégué de l’employeur de se conformer aux exigences de la politique sur le harcèlement a porté préjudice à la santé du fonctionnaire, l’ACECM prétend que l’employeur a enfreint son obligation prévue à la convention collective de « […]prévoir toute mesure raisonnable concernant la sécurité et la santé au travail des employés »,et que cette violation constituait toujours l’objet implicite du grief.

27 J’ai conclu que je ne peux accepter l’argument de l’agent négociateur dans les circonstances de l’espèce.

28 Malgré ce que prétend l’employeur sur la base de la jurisprudence de l’ancienne Commission des relations de travail dans la fonction publique, je crois que les arbitres de grief devraient être ouverts à la possibilité que les préoccupations de santé d’un employé puissent être réglées comme question visée par une disposition de la convention collective comme la clause 16.01. Chose certaine, l’arbitre de grief, dans la décision récente Galarneau et al. c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2009 CRTFP 70, a accepté cette proposition, et a conclu comme suit aux paragraphes 66 et 67 :

66 À mon sens, la première phrase de la clause 18.01 de la convention collective crée clairement pour l’employeur une obligation substantive à l’endroit de chacun des employés : l’employeur doit prendre toute mesure raisonnable concernant la santé et la sécurité au travail des employé-e-s. Bien qu’il s’agisse d’une obligation énoncée en termes généraux, il s’agit, à mon avis, d’un engagement non moins substantif, dont la portée s’étend à chacun des employés de l’employeur. Dans la deuxième phrase de la clause, les parties énoncent les moyens qu’elles s’engagent à prendre pour assurer le respect de l’obligation prévue à la première phrase. Pour permettre à l’employeur de respecter son obligation de prendre des mesures raisonnables pour protéger la santé et la sécurité de ses employés, les parties se sont imposées l’obligation de se consulter et de collaborer en vue de mettre en œuvre les moyens nécessaires pour ce faire. Je ne vois pas sur quelle base ce deuxième volet de la clause devrait éclipser l’obligation de l’employeur, et le droit corollaire des employés, prévus dans la première phrase de la clause.

67      Je considère au contraire que l’objet principal de la clause 18.01 de la convention collective se trouve dans l’obligation de l’employeur qui est énoncée dans la première phrase de la clause, alors que la deuxième phrase prévoit la mise en œuvre de mécanismes qui favoriseront le respect de cette obligation. Ces mécanismes, créés sous forme d’engagements respectifs de l’employeur et de l’agent négociateur, ne sont pas exclusifs et n’ont pas pour effet de réduire le caractère substantif de l’obligation clairement établie dans la première phrase de la clause. Au surplus, je ne vois pas ce qui empêcherait les parties de prévoir dans une même clause une obligation de l’employeur à l’égard de ses employés et des obligations mutuelles pour l’employeur et pour l’agent négociateur. J’estime, avec respect, que conclure que la clause 18.01 de la convention collective ne confère pas de droits individuels aux employés propose une interprétation trop restrictive qui vide de son sens la première phrase de cette clause.

Toutefois, la conclusion de l’arbitre de grief dans Galarneau et al. ne signifie pas, selon moi, que tout grief comportant une allégation de préjudice pour la santé d’un fonctionnaire donnera nécessairement lieu à une question d’interprétation des dispositions sur la santé et la sécurité d’une convention collective qui justifierait un renvoi à l’arbitrage sur cette base en vertu de l’alinéa 209(1)a) de la Loi. La détermination qui doit être faite au sujet de la nature du grief est propre à chaque cas et est fonction des faits.

29 Dans Galarneau et al., les griefs déposés initialement auprès de l’employeur renvoyaient à une disposition de la convention collective concernant la santé et la sécurité au travail (très comparable à la clause 16.01 dans la présente affaire). La nature spécifique des préoccupations de santé qui ont donné lieu aux griefs — l’exposition de 58 employés à de la fumée secondaire au travail — ne laissait aucun doute dès le début que l’objet des griefs était la santé et la sécurité au travail. L’objection liée à la compétence (entre autres) tranchée par l’arbitre de grief ne contestait pas cette description (et la doctrine Burchill n’a pas été invoquée). L’employeur a plutôt fait valoir, sans succès, que la disposition sur la santé et la sécurité de la convention collective « […] ne créait pas de droits substantifs individuels pouvant fonder des griefs individuels ».

30 Dans le présent cas, les faits invoqués par l’ACECM me laissent croire que l’essence du grief ne touchait pas la santé et la sécurité au travail de manière comparable. D’entrée de jeu, le grief contestait explicitement les allégations de retards de l’employeur à faire enquête sur les plaintes de harcèlement déposées contre le fonctionnaire. L’objectif du grief, qui ne fait aucun doute dans les mesures correctives principales demandées par le fonctionnaire, était que l’employeur se fasse ordonner de se conformer à ses propres exigences de politique sur le harcèlement. Le dédommagement demandé par le fonctionnaire reposait sur les effets du défaut allégué de l’employeur de l’avoir fait.

31 Ce qui complique les choses dans le présent cas, c’est que l’on ne conteste pas que la santé du fonctionnaire a subi un préjudice du fait de ce qui lui est arrivé dans son milieu de travail — et que ces effets sur la santé ont fait l’objet de discussions pendant la procédure de règlement des griefs. Les deux énoncés de fait qui suivent de l’ACECM, non contestés par l’employeur, sont plutôt clairs :

[Traduction]

[…]

M. Boudreau a été autorisé à prendre un congé pour accident de travail en septembre 2005. Il est demeuré en congé pendant 17 mois.

[…]

Tout au long de la procédure de règlement des griefs, la question en litige entre les parties a été le retard de l’employeur à faire enquête sur les plaintes de harcèlement à l’encontre de M. Boudreau et l’impact de ce retard sur la santé de M. Boudreau.

[…]

32 La question clé consiste à déterminer si les faits révèlent que le grief tel qu’il a été présenté et plaidé au cours de la procédure de règlement des griefs mettait l’accent en son essence sur le défaut de l’employeur de « […] prévoir toute mesure raisonnable concernant la sécurité et la santé au travail […] » du fonctionnaire, en un sens comparable à la situation dans Galarneau et al., ou sur l’allégation d’inobservation par l’employeur des exigences procédurales de la politique sur le harcèlement. L’obligation de l’employeur à l’égard de la santé du fonctionnaire, qui est inscrite dans la convention collective à la clause 16.01, constituait-elle l’objet essentiel du grief tel qu’en ont discuté les parties, ou les effets sur la santé du fonctionnaire discutés par les parties à titre de résultats du défaut allégué de l’employeur de satisfaire aux obligations étaient-ils d’une nature différente, à savoir des obligations fondées sur les exigences procédurales établies par les politiques sur le harcèlement?

33 Tout bien considéré, je suis convaincu que cette dernière illustration du caractère essentiel du grief est plus appropriée. Si les arguments invoqués avaient révélé que la question en litige à laquelle les parties étaient confrontées pendant la procédure de règlement des griefs constituait plus clairement une question concernant l’obligation de l’employeur de prendre « toute mesure raisonnable » pour protéger la santé du fonctionnaire, j’aurais pu en venir à une conclusion différente. Selon moi, le précédent établi par Galarneau et al. ouvre la voie à cette possibilité si les faits fournissent le soutien nécessaire. En l’espèce, les faits mènent à une conclusion différente. La santé du fonctionnaire était parmi les questions soumises mais à mon avis, elle a été évoquée par les parties comme élément à prendre en compte aux fins du redressement plutôt que comme problème principal révélé par le grief. Je ne peux conclure, sur la base des faits, que l’employeur a compris ou aurait dû comprendre que ses obligations en matière de santé et de sécurité au travail prévues par la clause 16.01 de la convention collective étaient en litige, et cette question n’a certes pas été abordée explicitement par le fonctionnaire ou par l’agent négociateur.

34 Par conséquent, je statue que l’interprétation ou l’application de la clause 16.01 de la convention collective ne constituait pas l’objet essentiel du grief tel qu’il a été initialement déposé ou l’essence de ce qui a été discuté pendant la procédure de règlement des griefs. En mentionnant la clause 16.01 dans le renvoi à l’arbitrage, l’ACECM a introduit un élément différent dans le différend. Selon moi, l’interdiction de Burchill s’applique.

35 L’ACECM attire à juste titre l’attention sur la jurisprudence qui met en garde contre une approche trop technique ou trop exigeante de la rédaction et de la poursuite de griefs. Ceci étant dit, je ne crois pas qu’il soit trop exigeant dans les circonstances de la présente affaire d’exiger pendant la procédure de règlement des griefs une identification plus claire de la question de fond comme question concernant les obligations de l’employeur en matière de santé et de sécurité au travail en vertu de la clause 16.01 de la convention collective. À titre de règle générale de justice naturelle, l’employeur ne devrait pas, au stade de l’arbitrage de grief, être tenu de se défendre contre une qualification des questions nettement différente de celle à laquelle il a été confronté pendant la procédure de règlement des griefs. Je suis convaincu, dans les circonstances de la présente affaire, que le fait d’accepter d’entendre le grief sur le fond à titre de question concernant la clause 16.01 équivaudrait à fermer les yeux sur le type de reformulation du grief qui, de l’avis de la Cour d’appel fédérale dans Burchill, ne devrait pas survenir. L’objection de l’employeur à ma compétence d’être saisi de l’affaire est fondée.

36 Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

V. Ordonnance

37 Le grief est rejeté.

Le 21 septembre 2010.

Traduction de la CRTFP

Dan Butler,
arbitre de grief

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