Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La plaignante a formulé des allégations d'abus de pouvoir à l'encontre de l'intimé pour avoir choisi un processus non annoncé et négligé de puiser dans un bassin établi de candidats pour la dotation d'un poste de chef d'équipe. Elle a fait observer que des erreurs graves s'étaient produites, entraînant un abus de pouvoir comme par exemple le non-affichage de la nomination initiale de six mois. Elle a également fait valoir qu'elle n'avait pas été sélectionnée en raison de ses obligations parentales, ce qui constituait un cas prima facie de discrimination fondée sur la situation de famille. Personne n'a discuté de mesures d'adaptation avec elle. Elle a déclaré d'autre part qu'au vu de la preuve circonstancielle la candidate reçue l'a été par favoritisme personnel, tout en ajoutant que la nomination ne pouvait pas être simplement basée sur le fait que la candidate reçue et la gestionnaire délégataire se connaissaient. L'intimé a nié tout abus de pouvoir dans le choix d'un processus de nomination non annoncé; la LEFP confère à l'intimé le pouvoir discrétionnaire d'utiliser un processus annoncé ou non annoncé. L'intimé a fait valoir que les lignes directrices de la CFP ne sont pas exécutoires sous le régime de la LEFP, et qu'il n'était pas obligatoire d'utiliser le bassin de candidats, lequel est un outil administratif non exécutoire aux fins de la dotation. L'intimé a ajouté que le fait d'omettre d'afficher une notification n'avait rien à voir avec le fond de l'affaire ni avec le choix du processus de nomination, que la plaignante n'a pas établi de preuve prima facie de discrimination, qu'il examine toute demande d'adaptation émanant d'employés ayant des obligations parentales, et que la situation de famille n'avait aucune incidence sur la décision. Pour ce qui concerne la question de favoritisme personnel, l'intimé a fait valoir qu'il n'y avait aucune preuve démontrant que le processus et la nomination intérimaire avaient été motivés par autre chose que le mérite; que la candidate reçue a été nommée en fonction de ses connaissances, de ses capacités, de son expérience, de ses qualités personnelles ainsi que des besoins opérationnels. L'intimé a ajouté que ce n'étaient pas les qualifications de la candidate reçue qui posaient problème puisque les allégations d'abus de pouvoir se rapportaient au choix du processus. La Commission de la fonction publique (CFP) a soutenu que le fait de conclure à la discrimination n'entraîne pas automatiquement un constat d'abus de pouvoir sous le régime de la LEFP. La CFP n'a pas pris de position ferme sur la question de savoir s'il y a eu discrimination ou non en l'espèce, n'ayant pas assisté à l'audience. Elle estimait cependant que la plaignante avait peut-être produit une preuve prima facie de discrimination. Selon la Commission canadienne des droits de la personne (CCDP), si le Tribunal jugeait que l'intimé avait présumé que la plaignante n'aurait pas la capacité ou la volonté de s'acquitter de tâches diverses en raison de ses responsabilités parentales, il devrait conclure que l'intimé n'a pas observé la Loi canadienne sur les droits de la personne. Décision : Le Tribunal a jugé que les éléments de preuve produits ne permettaient pas de conclure à une justification sans fondement, déraisonnable ou fallacieuse, et que la plaignante n'avait pas démontré que ladite justification manquait de pertinence pour un processus non annoncé. Dans l'ensemble, un certain nombre d'erreurs, actes et omissions - notamment le fait pour l'intimé de ne pas respecter ses obligations par rapport à la notification - démontrent une insouciance grave ou une négligence s'apparentant à de l'abus de pouvoir. Le Tribunal a énoncé le critère juridique et les éléments de preuve nécessaires pour établir un cas prima facie de discrimination fondée sur la situation de famille. Le Tribunal a estimé que la plaignante avait établi une preuve prima facie de discrimination vu que l'intimé avait présumé que cette dernière ne pourrait pas travailler selon un horaire flexible ni faire des heures supplémentaires en raison de ses obligations parentales. Une fois la preuve prima facie établie, il incombe à l'intimé de fournir une explication raisonnable ou de présenter une défense assortie d'une exigence professionnelle justifiée (EPJ). L'intimé n'a pas présenté de défense EPJ mais a affirmé tenir compte des demandes de mesures d'adaptation de tout employé ayant des obligations familiales. L'explication de l'intimé en ce qui a trait à sa conduite discriminatoire prima facie n'était pas raisonnable compte tenu des faits en l'espèce. Le Tribunal a estimé que l'intimé n'avait pas su établir qu'il n'était pas en mesure de répondre aux besoins d'adaptation de la plaignante pour cause de contraintes excessives. Selon le Tribunal, l'interprétation de la CFP par rapport à l'intention laisserait supposer qu'elle pourrait nommer un employé ou le mettre en disponibilité de façon déraisonnable ou discriminatoire si ce geste était involontaire ou dénué d'intention illégitime. Le législateur n'a pas investi la CFP du pouvoir d'agir de la sorte. En faisant preuve de discrimination à l'égard de la plaignante, l'intimé a abusé de son pouvoir dans l'application du mérite. Pour ce qui est de l'allégation de favoritisme personnel, le Tribunal a établi que les parties étaient pleinement conscientes du fait que la plainte portait sur la question du mérite. Les qualifications énumérées dans l'énoncé des critères de mérite n'avaient pas été évaluées au moment de la création du bassin. L'intimé a produit des éléments de preuve suffisants quant à l'évaluation des qualifications et des capacités de la candidate reçue. La plaignante n'a pas établi que la candidate reçue avait été nommée au poste par favoritisme personnel. Plainte d'abus de pouvoir accueillie. Mesures correctives : Le Tribunal n'a pas compétence pour ordonner à l'intimé d'offrir à la plaignante une possibilité d'affectation intérimaire. Le Tribunal recommande que l'intimé consulte la CCDP afin de déterminer si ses gestionnaires délégataires ont besoin de formation en matière de discrimination et, plus particulièrement, de discrimination fondée sur la situation de famille. S'agissant du constat de mauvaise foi, il est essentiel que l'intimé prenne des mesures pour s'assurer qu'à l'avenir, les notifications de nomination intérimaire de quatre mois ou plus sont faites conformément aux exigences. Ordonnance : Le Tribunal a ordonné à l'intimé d'évaluer la plaignante au regard de ses besoins d'adaptation compte tenu de ses obligations parentales.

Contenu de la décision

Coat of Arms - Armoiries
Dossier:
2008-0061
Rendue à:
Ottawa, le 7 août 2009

CHANTAL RAJOTTE
Plaignante
ET
LE PRÉSIDENT DE L'AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA
Intimé
ET
AUTRES PARTIES

Affaire:
Plainte d'abus de pouvoir en vertu des l'alinéa 77(1)a) de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique
Décision:
La plainte est fondée
Décision rendue par:
Robert Giroux, membre
Langue de la décision:
Anglais
Répertoriée:
Rajotte c. le président de l'Agence des services frontaliers du Canada et al.
Référence neutre:
2009 TDFP 0025

Motifs de la décision

Introduction

1La plaignante, Chantal Rajotte, est adjointe administrative, AS‑01, à l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC). Elle a déposé une plainte auprès du Tribunal de la dotation de la fonction publique (le Tribunal) dans laquelle elle affirme que l’intimé, le président de l’Agence des services frontaliers du Canada, a abusé de son pouvoir en choisissant un processus non annoncé et en ne puisant pas dans un bassin établi de candidats pour la dotation d’un poste de chef d’équipe. Après avoir entendu le témoignage de la gestionnaire délégataire, la plaignante a également déclaré avoir été victime de discrimination fondée sur sa situation de famille.

Contexte

2Le 7 janvier 2008, l’ASFC a affiché une notification de nomination ou de proposition de nomination concernant la nomination intérimaire de Christine Denault au poste de chef d’équipe (AS‑03), Unité des services de gestion de la direction générale (USGDG), pour la période du 22 décembre 2007 au 21 décembre 2008 (la nomination intérimaire de décembre 2007). Cette nomination intérimaire résultait d’un processus non annoncé (processus no 07‑BSF‑ACIN‑HQ‑SCB‑AS‑1125).

3Le 21 janvier 2008, la plaignante a déposé une plainte contre la nomination intérimaire visée en vertu de l’alinéa 77(1)b) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, L.C. 2003, art. 12, 13 (la LEFP). La plaignante affirme que l’intimé a abusé de son pouvoir en nommant Mme Denault, laquelle ne faisait pas partie du bassin qu’il avait lui‑même établi.

4Le 11 août 2008, la veille de l’audience, la plaignante a demandé d’apporter une modification à ses allégations en application du paragraphe 23(2) du Règlement du Tribunal de la dotation de la fonction publique, DORS/2006‑6, (le Règlement du TDFP) au motif qu’elle disposait de renseignements nouveaux qu’il aurait été impossible d’obtenir avant la présentation de ses allégations initiales.

5La plaignante a expliqué n’avoir reçu que récemment de l’intimé la justification de l’utilisation d’un processus de nomination non annoncé. Selon cette justification, la nomination en question était en fait la prolongation d’une première nomination non annoncée en date du 25 juin 2007 (la nomination intérimaire de juin 2007). Cette nomination initiale n’avait fait l’objet d’aucune notification de nomination sur Publiservice. Or, avant de recevoir la justification en question, la plaignante ignorait que la nomination intérimaire de décembre 2007 était une prolongation de la nomination initiale faite le 25 juin 2007.

6Au début de l’audience, la plaignante a répété qu’elle désirait ajouter une allégation d’abus de pouvoir concernant la nomination non annoncée initiale du 25 juin 2007. L’intimé ne s’est pas opposé à cette demande. Le Tribunal a accueilli la demande, et la nouvelle allégation a été ajoutée à la plainte originale. Conséquemment, la plaignante affirme également qu’il y a eu abus de pouvoir dans la nomination initiale du 25 juin 2007.

7La plaignante a demandé l’exclusion de témoins, ce à quoi l’intimé ne s’est pas opposé. Le Tribunal a accordé la demande d’exclusion de témoins.

Question préliminaire : Demande de reconvocation de l’audience après la présentation de l’argumentation

8Dans l’argumentation qu’elle a présentée à l’audience, la plaignante a soulevé une allégation additionnelle de discrimination fondée sur la situation de famille dans le cadre du processus de nomination initial (la nomination de juin 2007). Elle a fait valoir que l’accès à une promotion ne devrait pas être limité en raison d’obligations parentales. Selon ses dires, elle ne pouvait pas prévoir cette allégation lorsqu’elle avait présenté sa plainte, puisque l’élément de preuve sur lequel elle s’appuyait avait été avancé durant le témoignage de la gestionnaire d’embauche intérimaire, Lynn Shannon, témoin de l’intimé.

9L’intimé a répliqué à cette allégation de discrimination dans sa plaidoirie. Selon lui, l’incapacité de la plaignante de faire des heures supplémentaires en raison de ses obligations familiales n’a pas été un facteur dans la décision de nommer Mme Denault.

10Le 13 novembre 2008, le Tribunal a avisé les parties qu’aux termes de l’article 78 de la LEFP et de l’article 20 du Règlement du TDFP, le plaignant est tenu de notifier la Commission canadienne des droits de la personne (CCDP) lorsque sa plainte soulève une question touchant l’interprétation ou l’application de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C., 1985, ch. H‑6 (LCDP). La lettre indiquait que, par souci d’équité et en raison des circonstances particulières en l’espèce, le Tribunal accordait à la plaignante la possibilité de notifier la CCDP au plus tard le 27 novembre 2008, si elle avait l’intention de donner suite à la question relative aux droits de la personne.

11Le 17 novembre 2008, le représentant de la plaignante a informé la CCDP de la question relative aux droits de la personne soulevée à l’audience. L’article 20 du Règlement du TDFP prévoit que la CCDP doit notifier le Tribunal dans les 15 jours suivant la réception de l’avis de son intention de présenter des observations au regard de la question soulevée par la plaignante. Le Tribunal n’a pas reçu d’observations de la CCDP dans le délai prescrit.

12Le 16 janvier 2009, le Tribunal a été avisé par la CCDP que c’était par suite d’une erreur administrative qu’elle n’avait pas notifié le Tribunal dans le délai prescrit. La CCDP a indiqué qu’elle souhaitait présenter des observations sur la question relative aux droits de la personne et a demandé l’autorisation de le faire. L’intimé ne s’est pas objecté à la demande de la CCDP, et le Tribunal a octroyé à celle-ci une prorogation de délai afin qu’elle puisse fournir ses observations. Le Tribunal a alors établi un nouveau calendrier de présentation des observations, lequel permettait à l’intimé de fournir des observations en réplique à la Commission de la fonction publique (CFP) et à la CCDP.

13Le 10 février 2009, la CFP a fourni ses observations écrites concernant l’allégation de discrimination. Elle y signale qu’elle n’était pas présente à l’audience et n’a donc pas entendu le témoignage duquel émanait de l’allégation de discrimination. Elle fonde donc ses observations sur celles de la plaignante et celles de l’intimé, mais déclare ne pas être en mesure de conclure qu’il y a eu discrimination ou non. Ne disposant pas de tous les faits en l’espèce, la CFP avait plusieurs questions et proposait de tenir une audience.

14Le 13 février 2009, la CCDP a produit ses observations écrites. Elle y indique que le témoignage de Mme Shannon, tel qu’il est relaté par les deux parties, semble diverger, ce qui soulève nombre d’autres questions. Par ailleurs, selon la CCDP, les deux versions appuient la teneur de ses observations, à savoir qu’il est possible que la plaignante ait été victime de discrimination.

15Le 20 février 2009, l’intimé a répliqué aux observations de la CFP et de la CCDP. Dans sa réplique, l’intimé sollicite la convocation d’une nouvelle audience afin de lui permettre de présenter des éléments de preuve sur la question de discrimination. Il soutient que d’après les règles de justice naturelle, il devrait être autorisé à produire une preuve sur la question de discrimination en réponse aux observations de la CFP et de la CCDP.

16Selon l’intimé, la possibilité d’une décision défavorable à son endroit l’emporte sur toute difficulté pour les autres parties. D’autre part, l’intimé soutient que sa théorie de cause et sa décision de clore sa preuve étaient déterminées avant que ne survienne l’allégation de discrimination.

17Le 27 février 2009, la plaignante a présenté sa réplique, indiquant qu’elle ne contestait pas le compte rendu fait par l’intimé du témoignage de Mme Shannon. Toutefois, la plaignante a affirmé s’opposer à la demande de l’intimé de convoquer une nouvelle audience et ne pas souhaiter revivre ce processus laborieux. Selon elle, l’intimé était au courant de la nouvelle allégation avant de clore sa preuve et a eu la possibilité de formuler son argumentation sur la question de discrimination durant ses conclusions finales.

18Selon la plaignante, les principes de justice naturelle ont été appliqués envers l’intimé. Ce dernier a bénéficié du droit d’être entendu et d’exposer ses arguments même après avoir terminé ses dernières observations. Du reste, l’intimé a présenté sa réplique au Tribunal en ce qui concerne l’allégation de discrimination fondée sur la situation de famille le 30 janvier 2009 et sa réplique, le 20 février 2009. De l’avis de la plaignante, le Tribunal dispose de tous les éléments de preuve nécessaires pour rendre une décision.

Analyse de la question préliminaire

19L’intimé demande la reconvocation de l’audience en vertu de l’équité procédurale, notamment du droit d’être entendu.

20Dans l’arrêt Baker c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817; [1999] A.C.S. No 39 (QL), la Cour suprême a énoncé les exigences de l’obligation procédurale en common law (voir les paragraphes 23 à 28 de la version de QL) :

  1. la nature de la décision recherchée et le processus suivi pour y parvenir;
  2. la nature du régime législatif et les termes de la loi en vertu de laquelle agit l’organisme en question;
  3. l’importance de la décision pour les personnes visées;
  4. les attentes légitimes de la personne qui conteste la décision;
  5. les choix de procédure que fait lui‑même l’organisme.

21À la lumière de ces exigences, le Tribunal doit déterminer si, en vertu du devoir d’agir équitablement, l’audience doit être convoquée de nouveau dans le contexte particulier de la LEFP, des droits et procédures qu’elle prévoit et de la question relative aux droits de la personne.

22La loi habilitante du Tribunal, la LEFP, est muette en ce qui a trait à la reconvocation des audiences, mais aux termes du paragraphe 98(1), le membre qui instruit une plainte doit procéder, dans la mesure du possible, sans formalisme et avec célérité. Pour sa part, l’article 27 du Règlement du TDFP prévoit ce qui suit : « Le Tribunal est maître de la procédure. Il peut décider de l’ordre et de la manière dont la preuve et les plaidoiries seront présentées. » Dès lors, le Tribunal est maître de toutes les questions de procédure postérieures à l’audience et devrait procéder aussi informellement et rapidement que possible, tout en respectant son obligation d’agir équitablement.

23L’intimé soutient n’avoir compris ce qu’on lui reprochait qu’après avoir pris connaissance des observations de la CFP et de la CCDP, et ne pas être en mesure de se défendre contre les questions relatives aux droits de la personne sans présenter de nouveaux éléments de preuve.

24Il arrive qu’un tribunal reçoive une demande de reconvocation d’audience, par exemple lorsqu’une partie se voit refuser la possibilité de présenter l’ensemble de sa preuve devant le tribunal (voir : David Phillip Jones et Anne S. De Villars, Principles of Administrative Law (Toronto : Thomson Carswell, 2004), p. 344). Dans l’arrêt Mansigh c. Canada (ministre de l'Emploi et de l'Immigration), (No 2), (1978) 24 N.R. 576 (C.A.F.); [1978] A.C.F. No 1109 (QL), le requérant a demandé la tenue d’une nouvelle audience au motif qu’il avait omis de produire une preuve. Ayant déterminé que rien dans les observations ne révélait la preuve supplémentaire que le requérant cherchait à présenter lors de la seconde audience, la Cour d’appel fédérale a rejeté cette demande.

25Dans l’arrêt Garba c. Lajeunesse, [1979] 1 C.F. 723; [1978] A.C.F. No 179 (QL), la Cour d’appel fédérale a soutenu qu’un tribunal administratif qui doit décider s’il reconvoquera une audience doit fournir des motifs quant à la pertinence et à la force probante de la nouvelle preuve qui sera déposée. Dans le cas en question, un arbitre avait refusé de convoquer une nouvelle audience aux fins d’examen d’autres éléments de preuve, car les nouveaux éléments de preuve que souhaitait produire le requérant étaient accessibles avant l’audience initiale. Le requérant avait estimé que la preuve produite était suffisante. La Cour d’appel fédérale a fait observer ce qui suit aux paragraphes 8 et 9 de la version susmentionnée (version de QL) :

Dans la mesure où l'on peut, en pareille matière, parler de façon générale, il me semble que les considérations principales qui devraient normalement influer sur l'exercice de ce pouvoir sont la force probante et la pertinence des preuves nouvelles. Il ne convient pas, en effet, de rouvrir une enquête pour connaître une preuve qui n'est pas digne de foi ou qui se rapporte à un fait dont l'existence ne peut influencer le résultat du litige3. Le fait que les preuves nouvelles n'aient pas été récemment découvertes et aient pu être produites à l'enquête ne me paraît pas, en lui‑même et sans égard aux circonstances, pouvoir toujours justifier un refus de rouvrir une enquête […]

Dans les circonstances que révèle le dossier, je ne crois pas que l'arbitre ait agi illégalement en refusant de rouvrir l'enquête. […] De plus, les preuves offertes, dont la requête ne précisait pas la nature, se rapportaient à des faits qui avaient été directement soulevés lors de l'enquête et que ni le requérant ni son avocat n'avaient pu oublier. Rien ne permet de croire que ces preuves ne pouvaient être produites à ce moment. Dans ces circonstances, on pouvait juger que le défaut de produire ces preuves à l'enquête était le résultat d'une décision délibérée ou d'une négligence grave, ce qui, à mon sens, constituait une justification légalement suffisante de la décision attaquée.

(Caractères gras ajoutés)

26La nature exacte des éléments de preuve que l’intimé souhaite produire n’est pas claire. Celui‑ci ne donne aucun détail à ce sujet dans ses observations. La force probante et la pertinence de cet élément de preuve sont inconnues du Tribunal.

27La demande de l’intimé est tellement vague et générale qu’elle pourrait impliquer le rappel de ses propres témoins. L’intimé a réinterrogé ses deux témoins, et plus particulièrement Mme Shannon, après que le témoignage de celle‑ci en contre‑interrogatoire eut donné lieu à l’allégation de discrimination. De surcroît, une ordonnance d’exclusion de témoins a été rendue à l’audience. L’audience a pris fin une fois que l’intimé a clos sa preuve et que les parties ont mis un terme à la présentation de leur argumentation. Compte tenu du temps écoulé depuis l’audience, il se peut que des témoins aient parlé de leur témoignage avec d’autres ou que de nouveaux témoins possibles aient entendu parler de la preuve présentée à l’audience. Ces possibilités remettent en cause l’à-propos de faire comparaître ces témoins.

28L’intimé soutient n’avoir compris la preuve contre laquelle il devait se défendre qu’à la suite des observations en réplique. Il n’avait pas exprimé son besoin de produire d’autres éléments de preuve avant ces observations.

29L’équité et en particulier la connaissance de la preuve contre laquelle il faut se défendre signifient que « […] tout renseignement sur lequel se base le tribunal lorsqu’il prend sa décision doit être divulgué à la personne » [traduction] (voir : Jones et de Villars, page 259). En l’espèce, cela signifie l’accès aux déclarations des témoins et aux documents produits en preuve. Étant présent à l’audience, l’intimé connaissait la preuve contre laquelle il devait se défendre. Il a en outre entendu tous les témoins et obtenu toutes les pièces produites. De surcroît, l’intimé a eu la possibilité de répliquer aux argumentations écrites de la CFP et de la CCDP.

30D’autre part, c’est le témoin de l’intimé, Mme Shannon, qui, durant son contre‑interrogatoire, a fourni la preuve sur laquelle est fondée l’allégation de discrimination. L’intimé a alors interrogé son témoin à nouveau et a eu la possibilité de clarifier son témoignage. Après le témoignage de Mme Shannon, l’intimé n’a pas demandé à appeler d’autres témoins et a choisi de clore sa preuve. L’intimé était bien au fait des allégations formulées à son encontre depuis l’audience qui a eu lieu les 12 et 13 août 2008.

31À l’audience, la plaignante a soulevé la question des droits de la personne et a présenté ses observations. L’intimé a également présenté son argumentation sur la question à la fin de ses observations. L’intimé avait le loisir de demander un ajournement en tout temps pendant l’instance s’il doutait de sa défense.

32Il y a eu des moments, avant le dépôt de l’argumentation écrite se rapportant à l’allégation de discrimination, où l’intimé aurait pu donner avis au Tribunal qu’il disposait d’un nouvel élément de preuve qu’il souhaitait produire. Le 13 novembre 2008, le Tribunal a informé les parties que la plaignante devait aviser la CCDP si elle souhaitait présenter son allégation de discrimination. L’intimé aurait pu exprimer ses préoccupations à ce moment‑là s’il avait estimé que la preuve était insuffisante pour assurer sa défense. De même, lorsque le Tribunal a fourni le calendrier relatif aux observations des parties, le 10 décembre 2008, ainsi que le calendrier révisé, le 2 février 2009, l’intimé aurait pu formuler sa demande en vue de produire des éléments de preuve additionnels. Ce n’est que lorsqu’il a répliqué aux observations de la CFP et de la CCDP le 20 février 2009 que l’intimé a mentionné, pour la première fois, son besoin de présenter un nouvel élément de preuve. Il n’est ni juste ni raisonnable de présenter cette demande si longtemps après la fin de l’audience et la réception de l’argumentation écrite.

33L’intimé affirme que, la CFP et la CCDP s’étant prononcées sur les faits contre lui, le risque que le Tribunal conclue àune preuve prima facie de discrimination s’accroît considérablement. Cet argument est fallacieux. Les conclusions de fait sont fondées sur la preuve produite à l’audience, et non sur les observations. Les positions de la CFP et de la CCDP n’ont aucun rapport avec les conclusions de fait. La CFP et la CCDP ont toutes deux souligné que, n’ayant pas assisté à l’audience, elles avaient fondé leurs observations sur la foi de celles de la plaignante et de l’intimé. Leurs observations respectives se rapportent aux principes juridiques qui régissent les questions relatives aux droits de la personne.

34Pour tous ces motifs, le Tribunal juge que l’intimé n’a pas réussi à le convaincre du bien‑fondé de sa demande de reconvocation de l’audience. Rien n’empêchait l’intimé de produire d’autres preuves à l’audience s’il le voulait. L’intimé connaissait la preuve contre laquelle il devait se défendre; il a eu la possibilité d’être entendu et de présenter sa preuve. Le Tribunal est convaincu de disposer de tous les éléments de preuve nécessaires pour tirer une conclusion en ce qui a trait à la discrimination. Des délais supplémentaires seraient injustes pour les parties. Par conséquent, le Tribunal statue que les règles de justice naturelle ont été respectées, et il ne convoquera pas de nouvelle audience.

35La CFP a laissé entendre que la tenue d’une audience pourrait être justifiée étant donné qu’elle n’avait pas entendu le témoignage duquel émanait l’allégation de discrimination. Le Tribunal est convaincu que la CFP a bénéficié de son plein droit d’être entendue au titre du paragraphe 79(1) de la LEFP. Le 9 mai 2008, la CFP a été dûment informée de l’audience qui se tiendrait les 12 et 13 août 2008. Elle a choisi de ne pas y assister. Elle a également eu la possibilité de fournir des observations écrites concernant la question relative à la discrimination. Le Tribunal a noté que la CFP ne peut pas se prononcer sur le fait qu’il y a eu de la discrimination ou non, car elle n’était pas présente à l’audience; toutefois, il ne s’agit pas d’un motif suffisant pour convoquer une nouvelle audience, car agir ainsi ne serait ni juste ni expéditif pour les parties qui, elles, y ont assisté.

Questions en litige

36Pour statuer sur la plainte, le Tribunal doit trancher les questions suivantes :

  1. L’intimé a‑t‑il abusé de son pouvoir en choisissant des processus de nomination non annoncés?
  2. L’intimé a‑t‑il abusé de son pouvoir en faisant preuve de discrimination à l’endroit de la plaignante en raison de sa situation de famille?
  3. L’intimé a‑t‑il nommé Mme Denault par favoritisme personnel?

Résumé des éléments de preuve pertinents

37L’ASFC comprend neuf directions générales distinctes. La plainte en l’espèce porte sur des événements s’étant produits dans deux d’entre elles, à savoir Stratégie et coordination et Ressources humaines. La Direction générale de la stratégie et de la coordination est dirigée par la vice‑présidente, Mary Zamparo, qui est assistée de Marianne Thouin. La Direction générale comprend une Unité des services de gestion de la direction générale (USGDG), laquelle est dirigée par Mme Shannon. Les nominations intérimaires faisant l’objet de la plainte ont eu lieu au sein de l’USGDG.

38Lisa Carpenteiro, gestionnaire, Service de dotation, Direction générale des ressources humaines, a expliqué que l’ASFC a été mise sur pied en décembre 2003 et qu’elle‑même y travaille depuis sa création. Elle a précisé que chacune des directions générales de l’ASFC possède son USGDG, mais que ces unités n’apparaissent pas dans l’organigramme. Elle a expliqué qu’un processus de restructuration et un examen de la classification, ayant pour but d’uniformiser la structure des USGDG, sont actuellement en cours à l’ASFC. Ainsi, les USGDG doivent pourvoir à leurs postes par voie d’emprunts à d’autres unités et ne peuvent pas doter ceux‑ci pour une durée indéterminée. Mme Carpenteiro ignore à quel moment prendra fin cet examen.

39La plaignante travaille à la Division des communications de Stratégie et coordination. Elle est une employée de la fonction publique depuis 11 ans. Elle a été transférée à l’ASFC lors de sa création en 2003‑2004 et elle y occupe le poste d’adjointe administrative (AS‑01).

40La plaignante travaille avec Mme Denault depuis 2004, et ses fonctions sont semblables aux siennes. Elle a aussi déclaré avoir accompli les tâches de Mme Shannon pendant une semaine, à l’été 2006.

41À l’automne 2006, la plaignante a posé sa candidature au poste de chef d’équipe, Soutien aux programmes, AS‑03, dans le cadre du processus de nomination annoncé n06‑BSF‑INA‑HQ‑HRB‑AS‑2929. Le processus de nomination avait pour but d’établir un bassin dans lequel la direction puiserait afin de pourvoir à des postes pour une durée indéterminée, déterminée ou intérimaire. À la suite de ce processus de nomination, un bassin a été créé afin de doter des postes de chef d’équipe de même que d’autres postes semblables au sein de l’ASFC.

42À l’époque, le curriculum vitæ de la plaignante a été pris en considération. Elle a été invitée à passer l’examen élaboré pour les postes à pourvoir et s’y est présentée; elle a passé un autre examen à la maison. Elle a été informée qu’elle avait réussi aux examens. Elle a de plus été convoquée à une entrevue, qu’elle a également passée avec succès. S’étant qualifiée, la plaignante a pu faire partie du bassin de candidats, de même qu’environ 45 autres employés. Environ 21 employés faisant partie du bassin ont été nommés avant sa clôture, le 15 janvier 2008. La plaignante n’a pas été nommée. Mme Denault ne faisait pas partie du bassin de candidats puisqu’elle n’avait pas présenté sa candidature au poste de chef d’équipe.

43Mme Shannon est entrée à l’USGDG à titre de gestionnaire par intérim en avril 2007. A cette époque, l’USGDG était toujours en processus de restructuration. Elle se souvient de certaines conversations avec la plaignante concernant son intérêt pour d’autres postes. En avril 2007, la plaignante a mentionné à Mme Shannon qu’elle s’était qualifiée et qu’elle faisait partie d’un bassin et a demandé à Mme Shannon si elle était au fait d’emplois disponibles.

44En juin 2007, Mme Shannon a organisé son unité en deux groupes, à savoir Finances, et Ressources humaines/mesures d’adaptation. C’est la nécessité d’avoir un chef d’équipe pour le groupe Ressources humaines/mesures d’adaptation qui a entraîné la première nomination intérimaire de Mme Denault.Mme Shannon a passé en revue le personnel de la direction générale afin de trouver un employé qu’elle pourrait nommer sur une base intérimaire. Aux dires de Mme Shannon, elle avait discuté avec les Ressources humaines, mais personne ne lui avait mentionné l’existence d’un bassin de candidats de groupe et niveau AS‑03.

45Avec l’aide de sa superviseure, Mme Thouin, Mme Shannon a repéré des employés susceptibles d’être intéressés et qui possédaient les qualifications essentielles. Elles ont examiné la candidature de six ou sept employés, y compris celle de Mme Denault et de la plaignante. Mme Shannon a été en position d’autorité fonctionnelle à l’endroit de Mme Denault et de la plaignante au sein de la Division des communications entre 2004 et 2007, jusqu’à son arrivée à l’USGDG. Elle entretenait des rapports quotidiens avec elles. Mme Shannon a déclaré n’avoir aucun problème à travailler avec la plaignante.

46Mme Shannon n’a parlé du poste qu’à Mme Denault et non aux autres employés qui avaient été évalués. Elle n’a pas utilisé d’examen écrit. Tous les employés étaient de groupe et de niveau AS‑01 à l’exception de Mme Denault, qui avait été mutée en 2004 au poste d’adjointe au directeur général associé (AS‑02), à la Division des communications.

47Mme Denault a été évaluée à partir de son expérience à la Division des communications. Ayant été en position d’autorité fonctionnelle à son endroit et ayant interagi avec elle sur une base quotidienne, Mme Shannon avait observé sa capacité à bien s’acquitter de son travail dans un climat d’incertitude et à traiter avec des clients difficiles, ainsi que sa connaissance des ressources humaines et des mesures d’adaptation. En contre‑interrogatoire, Mme Shannon a expliqué que Mme Denault n’avait pas tant été nommée en fonction de son curriculum vitæ, mais plutôt en raison de son expérience.

48De surcroît, Mme Denault avait manifesté un intérêt pour la nomination intérimaire et remplaçait fréquemment Mme Shannon à la Division des communications. Lorsque Mme Shannon prenait des vacances, il fallait la remplacer. Mme Shannon a précisé que la possibilité de la remplacer avait été offerte à tous les employés mais que, compte tenu de l’horaire de 7 h 30 à 17 h 30, quelques personnes seulement avaient manifesté leur intérêt. Elle a affirmé que la plaignante n’était pas intéressée à la remplacer en raison des longues heures et du fait qu’elle devait s’occuper d’un jeune enfant.

49Tant Mme Shannon que Mme Thouin ont convenu que Mme Denault satisfaisait à leurs besoins, et cette dernière a été nommée le 25 juin 2007 au poste de chef d’équipe.

50En juin 2007,Mme Denault a annoncé à la plaignante qu’elle travaillerait pour Mme Shannon en qualité d’AS‑03. La plaignante a posé des questions au sujet de cette nomination à Joanne Cuyler, aux Ressources humaines, et celle‑ci lui a mentionné que le poste de Mme Denault était de groupe et niveau AS‑02.

51Au départ, la nomination intérimaire était d’une durée de quatre mois moins un jour. Mme Shannon et Mme Thouin ont tôt fait de comprendre qu’elles devraient prolonger cette nomination jusqu’en décembre 2007, parce que l’examen de la classification serait plus long que prévu. La prolongation de la nomination intérimaire initiale, une nomination intérimaire de plus de quatre mois, n’a pas été affichée sur Publiservice à ce moment‑là. Par contre, Mme Shannon et Mme Thouin ont préparé un Énoncé des critères de mérite (ECM) et une justification afin d’expliquer le prolongement de la durée de la nomination. La justification a été rédigée en juin 2007. C’est Mme Shannon qui a déterminé les qualifications essentielles énumérées dans l’ECM en se fiant aux qualifications exigées dans le cadre du processus de nomination lié au poste de chef d’équipe aux Finances.

52La justification a été écrite par Mme Shannon sous la forme d’une note de service adressée à Mme Zamparo et intitulée Justification de la nomination intérimaire de Christine Denault. Mme Shannon a signé la note le 28 août 2007, et Mme Zamparo a approuvé celle-ci le 29 août 2007. La justification avait été écrite afin de justifier la nomination intérimaire initiale de Mme Denault, qui débutait le 25 juin 2007, et ce, environ deux mois après la nomination en question.

53Dans la justification en date du 28 août 2007, Mme Shannon a demandé l’autorisation de prolonger la nomination de Mme Denault jusqu’au 21 décembre 2007. Mme Zamparo a approuvé cette prolongation le 29 août 2007. Aucune notification de nomination n’a été affichée sur Publiservice.

54Dans la justification, Mme Shannon a indiqué que Mme Denault « possédait les compétences et l’expérience nécessaires pour exercer toutes les fonctions liées à ce poste » [traduction]. Elle a précisé que Mme Denault avait fait preuve au cours des deux dernières années d’une solide capacité d’exécution des tâches associées à la dotation au sein de la Division des communications. Elle a en outre expliqué que le service travaillerait avec la Direction générale des ressources humaines sur l’examen des Services de gestion de la direction générale en vue de créer une structure organisationnelle pour l’USGDG. Elle a déclaré que le service comptait étudier les descriptions de travail pour les postes de chef d’équipe, pour les soumettre ensuite à la classification.

55Mme Shannon a préparé puis signé une deuxième justification le 5 décembre 2007. Celle‑ci était rédigée sous forme de note de service, et son contenu identique à celui de la justification du 29 août 2007, à cela près qu’elle était adressée à Mme Thouin. Mme Shannon y demande l’approbation de la nomination intérimaire jusqu’au 21 décembre 2008; la note était intitulée Justification pour la prolongation de la nomination intérimaire de Christine Denault (caractères gras ajoutés). Mme Thouin a approuvé la justification et prolongé la nomination intérimaire le 6 décembre 2007.

56Aucun avis n’a été affiché sur Publiservice pour annoncer qu’il y avait eu une nomination intérimaire initiale ayant débuté le 25 juin 2007, et que celle‑ci était prolongée au‑delà de quatre mois, jusqu’au 21 décembre 2007.Les employés n’ont pas été informés, par quelqu’autre moyen que ce soit, de cette nomination intérimaire initiale. Dans sontémoignage,Mme Shannon a été incapable d’expliquer l’absence de notification et a indiqué que cette responsabilité incombait aux Ressources humaines.

57Selon Mme Shannon, il avait été décidé, en décembre 2007, de prolonger la nomination intérimaire d’un an, car l’examen de la classification durerait encore un an. Les tâches n’avaient pas changé depuis juin 2007, mais un plus grand nombre d’employés relevaient dorénavant de Mme Denault. Mme Shannon a déclaré ne pas avoir envisagé d’autres candidats en décembre 2007 parce que Mme Denault s’acquittait bien de la tâche. Cette nomination a été affichée sur Publiservice le 7 janvier 2008.

58La plaignante a déclaré qu’au moment où elle a présenté sa plainte, en janvier 2008, relativement à la nomination intérimaire de décembre 2007, elle ne savait pas que cette nomination intérimaire était la prolongation de la nomination intérimaire de juin 2007.

59Ce n’est qu’avant l’audience que la plaignante a découvert que cette nomination intérimaire était en fait la prolongation d’une nomination initiale effectuée en juin 2007. La plaignante a expliqué avoir été bouleversée, déçue et déprimée lorsqu’elle a découvert que Mme Denault occupait le poste de façon intérimaire depuis juin 2007. Elle a de plus indiqué que Mme Shannon savait qu’elle faisait partie du bassin de candidats et qu’elle était intéressée à travailler avec elle.

60La plaignante a expliqué les raisons qui la portent à croire que Mme Shannon a fait preuve de favoritisme personnel à l’égard de Mme Denault en la nommant. Selon la plaignante, Mme Shannon et Mme Denault ont établi une relation personnelle, car ce sont de bonnes amies. Elles ont travaillé ensemble antérieurement, et dînent et tricotent ensemble. La plaignante a affirmé que, pour sa part, elle ne dînait avec des superviseurs que dans le cadre d’activités de groupe à la Direction générale et qu’elle n’avait jamais reçu de leçons de tricot de ses superviseurs.

61Mme Shannon a déclaré ne pas avoir d’activités sociales à l’extérieur du bureau à moins d’une occasion spéciale (par exemple, lors de dîners de groupe). Elle rencontrait des gens occasionnellement au bureau lorsqu’elle y prenait son déjeuner et, pendant un certain temps, un groupe de six ou sept employés avaient tricoté avec elle le midi. Elle avait assisté au mariage de Mme Denault en compagnie de 10 à 12 employés, mais seulement pour la soirée dansante.

62De l’avis de Mme Shannon, sa relation de travail avec la plaignante n’était pas problématique et, depuis avril 2007, elle avait peu de contact avec celle‑ci. Elle se rappelait certaines conversations avec la plaignante à propos de son intérêt pour d’autres postes. En avril 2007, la plaignante lui avait mentionné s’être qualifiée pour faire partie d’un bassin de candidats et lui avait demandé si elle était au fait d’emplois disponibles. Elle ne se souvient d’aucune réunion avec la plaignante entre décembre 2007 et juin 2008.

Lois, règlements et lignes directrices pertinentes

63Le pouvoir de la CFP d’établir des lignes directrices est énoncé dans le paragraphe 29(3) de la LEFP. Les administrateurs généraux doivent se conformer à ces lignes directrices aux termes de l’article 16. Ces dispositions sont ainsi libellées :

16. L’administrateur général est tenu, lorsqu’il exerce les attributions de la Commission visées à l’article 15, de se conformer aux lignes directrices visées au paragraphe 29(3).

29. (3) La Commission peut établir des lignes directrices sur la façon de faire et de révoquer les nominations et de prendre des mesures correctives.

64L’article 33 de la LEFP précise que les nominations peuvent être effectuées au terme d’un processus annoncé ou non annoncé. La plainte en l’espèce a été présentée au titre de l’alinéa 77(1)b) de la LEFP, qui traite de l’abus de pouvoir dans le choix du processus. D’autres arguments ont été avancés en ce qui concerne les critères en fonction desquels une nomination est fondée sur le mérite conformément au paragraphe 77(1)a), lequel fait référence au paragraphe 30(2) de la LEFP. De même, l’allégation de discrimination est fondée sur l’article 80.Ces dispositions sont ainsi libellées :

30. (2) Une nomination est fondée sur le mérite lorsque les conditions suivantes sont réunies :

  1. selon la Commission, la personne à nommer possède les qualifications essentielles — notamment la compétence dans les langues officielles — établies par l’administrateur général pour le travail à accomplir;
  2. la Commission prend en compte :
    1. toute qualification supplémentaire que l’administrateur général considère comme un atout pour le travail à accomplir ou pour l’administration, pour le présent ou l’avenir,
    2. toute exigence opérationnelle actuelle ou future de l’administration précisée par l’administrateur général,
    3. tout besoin actuel ou futur de l’administration précisé par l’administrateur général.

33. La Commission peut, en vue d’une nomination, avoir recours à un processus de nomination annoncé ou à un processus de nomination non annoncé.

77. (1) Lorsque la Commission a fait une proposition de nomination ou une nomination dans le cadre d’un processus de nomination interne, la personne qui est dans la zone de recours visée au paragraphe (2) peut, selon les modalités et dans le délai fixés par règlement du Tribunal, présenter à celui‑ci une plainte selon laquelle elle n’a pas été nommée ou fait l’objet d’une proposition de nomination pour l’une ou l’autre des raisons suivantes :

  1. abus de pouvoir de la part de la Commission ou de l’administrateur général dans l’exercice de leurs attributions respectives au titre du paragraphe 30(2);
  2. abus de pouvoir de la part de la Commission du fait qu’elle a choisi un processus de nomination interne annoncé ou non annoncé, selon le cas;

[…]

80.Lorsqu’il décide si la plainte est fondée, le Tribunal peut interpréter et appliquer la Loi canadienne sur les droits de la personne, sauf les dispositions de celle‑ci sur le droit à la parité salariale pour l’exécution de fonctions équivalentes.

65Les dispositions ci-après du Règlement sur l’emploi dans la fonction publique, DORS/2005‑334 (le REFP) se rapportent aux nominations intérimaires :

12. Les nominations intérimaires sont soustraites à l’application de l’article 40, des paragraphes 41(1) à (4) et de l’article 48 de la Loi.

13. Lorsque les nominations ci‑après sont faites ou proposées dans le cadre d’un processus de nomination interne, la Commission avise par écrit les personnes qui sont dans la zone de recours, au sens du paragraphe 77(2) de la Loi, du nom de la personne qu’elle propose ainsi de nommer ou qu’elle a ainsi nommée, selon le cas, de leur droit de porter plainte et des raisons pour lesquelles elles peuvent le faire :

  1. la nomination intérimaire de quatre mois ou plus;
  2. la nomination intérimaire portant la durée cumulative de la nomination intérimaire d’une personne à quatre mois ou plus.

14. (1) La nomination intérimaire de moins de quatre mois est soustraite à l’application des articles 30 et 77 de la Loi pourvu qu’elle ne porte pas la durée cumulative de la nomination intérimaire d’une personne à ce poste à quatre mois ou plus.

66Les dispositions ci-après de la LCDP sont liées à la discrimination :

3. (1) Pour l’application de la présente loi, les motifs de distinction illicite sont ceux qui sont fondés sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l’âge, le sexe, l’orientation sexuelle, l’état matrimonial, la situation de famille, l’état de personne graciée ou la déficience.

7. Constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, par des moyens directs ou indirects :

[…]

b) de le défavoriser [un individu] en cours d’emploi.

10. Constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite et s’il est susceptible d’annihiler les chances d’emploi ou d’avancement d’un individu ou d’une catégorie d’individus, le fait, pour l’employeur, l’association patronale ou l’organisation syndicale :

a) de fixer ou d’appliquer des lignes de conduite;

[…]

67Les dispositions ci-après des lignes directrices de la CFP et de celles de l’ASFC sur le choix du processus de nomination sont également pertinentes au regard de la présente plainte et sont ainsi libellées :

Choix du processus de nomination (lignes directrices de la CFP)

Exigences des lignes directrices

En plus d'être responsables du respect de l'énoncé des lignes directrices, les administrateurs généraux et les administratrices générales doivent :

  • respecter toute exigence et procédure mises en œuvre pour administrer les droits de priorité des personnes (p. ex. l'utilisation obligatoire d'un bassin);
  • établir un mécanisme de surveillance et d'examen des processus de nomination suivants :
    • les nominations intérimaires de plus de 12 mois;
    • la nomination d'employées ou d'employés occasionnels pour une période déterminée ou d'une durée indéterminée au moyen de processus non annoncés;
    • les nominations au groupe de la direction par des processus non annoncés;
  • établir et communiquer les critères régissant l'utilisation de processus non annoncés;
  • s'assurer que la justification écrite démontre comment un processus non annoncé respecte les critères établis et les valeurs en matière de nomination;
    • Cette exigence ne s'applique pas aux nominations intérimaires de moins de quatre mois, sauf si la même personne est nommée au même poste à titre intérimaire dans les 30 jours civils.

Agence des services frontaliers du Canada

Politique de ressourcement

Choix du processus de nomination * Politique en vigueur au moment des événements, modifiée depuis.

Exigences de la politique

Les personnes autorisées conformément au cadre de délégation doivent :

  • respecter toutes les exigences et procédures mises en œuvre afin d’administrer les droits de priorité (p. ex. l’utilisation obligatoire d’un bassin);
  • établir un mécanisme de surveillance et d’examen pour les processus de nominations suivants :
    • nominations intérimaires de plus de 12 mois;
    • la nomination d’employés occasionnels à un poste de durée déterminée ou indéterminée au moyen d’un processus non annoncé; et
    • nominations au groupe EX au moyen d’un processus non annoncé;
  • veiller à ce qu’une justification écrite démontre en quoi un processus non annoncé satisfait aux plans d’activités et de ressources humaines ainsi qu’aux valeurs de nomination.

[…]

ANNEXE A

Nominations intérimaires

INTÉRIM DE MOINS DE QUATRE MOIS

[…] Lorsque l’on sait qu’une nomination intérimaire durera plus longtemps que la période exclue de quatre mois moins un jour, les employés qui sont dans la zone de sélection doivent être informés de leur droit de déposer une plainte auprès du TDFP.

NOMINATIONS INTÉRIMAIRES ANNONCÉES/NON ANNONCÉES – DE 4 À 12 mois

Avis est donné dans la zone de sélection applicable de l’utilisation d’un recours par suite d’une nomination non annoncée, d’une discussion informelle ou d’une plainte déposée auprès du TDFP.

[traduction]

Argumentation des parties et analyse

Question I :   L’intimé a‑t‑il abusé de son pouvoir en choisissant des processus de nomination non annoncés?

Argumentation des Parties

68La plaignante soutient qu’en menant ces processus non annoncés, le gestionnaire délégataire a omis de respecter les valeurs de mérite, d’équité et de transparence mentionnées dans le préambule de la LEFP, de même que dans les Lignes directrices en matière de choix du processus de nomination de la CFP et dans la Politique de ressourcement - Choix du processus de nomination de l’ASFC. Selon elle, en choisissant un processus non annoncé, le gestionnaire délégataire a privé tous les candidats du bassin d’une possibilité d’emploi et a donc abusé de son pouvoir.

69La justification a été écrite le 29 août 2007, soit plusieurs mois après la nomination initiale, et ne fait pas état du fait que Mme Denault a acquis son expérience au cours des trois mois où elle a occupé le poste de façon intérimaire. Cette justification est la copie conforme d’un modèle de l’ASFC et omet de démontrer en quoi les valeurs de la LEFP ont été respectées. De même, la justification du 6 décembre 2007 n’indique pas non plus en quoi les valeurs de la LEFP ont été respectées. Aucun besoin urgent ne justifiait l’utilisation d’un processus de nomination non annoncé, et la gestionnaire délégataire aurait pu mener un processus de nomination durant la nomination intérimaire initiale de six mois. Il fallait se servir du bassin de candidats pour les nominations intérimaires. Mme Shannon a admis ne pas avoir parlé du bassin avec Mme Cuyler, des Ressources humaines.

70La plaignante fait remarquer que des erreurs graves se sont produites, et que la gestionnaire délégataire a tout simplement fait fi de la politique de l’ASFC en matière de nomination. La nomination initiale de six mois n’a jamais été affichée, ce qui a écarté le droit de recours. La justification ne mentionne pas le fait que l’expérience indiquée a été acquise dans le cadre de la nomination intérimaire et non antérieurement.

71De surcroît, l’intimé a omis de révéler, une fois la plainte présentée, durant la période de communication de renseignements ou en réponse aux allégations, que la nomination de décembre 2007 était une prolongation de celle de juin 2007.

72L’intimé soutient qu’il n’y a pas eu d’abus de pouvoir dans le choix d’un processus de nomination non annoncé. L’article 33 de la LEFP confère à l’intimé le pouvoir discrétionnaire d’utiliser un processus de nomination annoncé ou non annoncé. En ce qui concerne le préambule de la LEFP, l’intimé s’est reporté au paragraphe 34 de la décision Visca c. Sous‑ministre de la Justice et al., [2007] TDFP 0024, dans lequel il est énoncé que les gestionnaires disposent d’un pouvoir discrétionnaire considérable en ce qui a trait aux questions de dotation, qu’il n’y a pas de règles strictes dans la LEFP concernant la façon d’établir les qualifications, la méthode d’évaluation qui devrait être utilisée ou encore la façon de choisir, aux fins de nomination, le candidat qui possède les qualifications essentielles et les qualifications constituant un atout. Dans le processus de nomination en question, la méthode d’évaluation choisie était différente de celle utilisée pour former le bassin de candidats.

73L’intimé fait valoir que Mme Shannon, lorsqu’elle a décidé de pourvoir au poste, a examiné les candidats possibles dans l’organisation toute entière, y compris la plaignante, et a décidé que Mme Denault serait la bonne personne. La plaignante a donc participé à ce processus de nomination.

74De l’avis de l’intimé, en vertu du paragraphe 29(3) de la LEFP, les lignes directrices de la CFP ne sont pas juridiquement contraignantes. Selon les Lignes directrices en matière de choix du processus de nomination de la CFP, le choix du processus doit être justifié et, en l’espèce, deux justifications ont été rédigées et fournissent des preuves à l’appui du choix de Mme Denault. Mme Shannon ne pouvait pas pourvoir au poste pour une durée indéterminée et devait adopter la voie intérimaire, d’abord avec une nomination intérimaire de quatre mois, puis avec une prolongation de cette dernière de six mois. Lorsque la plaignante a parlé à Mme Cuyler des Ressources humaines en août 2007 et qu’elle a appris de celle‑ci que Mme Denault occupait un poste AS‑02, la première justification n’avait peut‑être pas été rédigée ni envoyée aux Ressources humaines. La plaignante n’a pas cité Mme Cuyler comme témoin.

75L’intimé convient qu’il aurait dû afficher une notification de la nomination de six mois et que c’est une erreur de ne pas l’avoir fait. Or, celle‑ci a été corrigée par l’avis affiché pour la nomination de décembre 2007. Le fait d’omettre d’afficher une notification n’a rien à voir avec le fond de l’affaire ni avec le choix du processus de nomination. Il n’était pas obligatoire d’utiliser le bassin de candidats, qui est un outil administratif non contraignant aux fins de la dotation.

76La notification de nomination relative à la nomination intérimaire de décembre 2007 ne précise pas qu’il s’agit d’une prolongation. C’est une erreur, mais qui n’a entraîné aucun préjudice. La réponse aux allégations n’a abordé que le contenu de la plainte, telle qu’elle a été présentée à ce moment‑là. D’autres renseignements auraient pu être fournis lors d’une réunion de communication de renseignements entre les parties, mais celle‑ci n’a pas eu lieu.

Analyse

77Le préambule de la LEFP révèle un objectif législatif clé, à savoir que les gestionnaires disposent d’un pouvoir discrétionnaire considérable en matière de dotation; ils doivent exercer leur pouvoir discrétionnaire en appliquant des pratiques d’emploi justes, transparentes et respectueuses envers les employés (voir les décisions : Tibbs c. Sous‑ministre de la Défense nationale et al., [2006] TDFP 0008; Rinn c. Sous‑ministre des Transports, de l’Infrastructure et des Collectivités et al., [2007] TDFP 0044; et, Robert et Sabourin c. le Sous‑ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration et al., [2008] TDFP 0024).

78Aux termes de la LEFP, il n’est pas nécessaire de prendre plus d’une personne en considération pour une nomination, et, en vertu du paragraphe 30(4) et de l’article 33 de la LEFP, les gestionnaires disposent du pouvoir discrétionnaire de choisir entre un processus annoncé et non annoncé. Cependant, ce pouvoir discrétionnaire n’est pas absolu et doit être exercé suivant des pratiques d’emploi justes, transparentes et respectueuses envers les employés, conformément aux exigences de la LEFP, du Règlement du TDFP, du REFP et des lignes directrices de la CFP.

79Selon la plaignante, en choisissant un processus non annoncé, l’intimé n’a pas été transparent et n’a pas respecté ses obligations. Il s’agit essentiellement d’une allégation de mauvaise foi.

80Le Tribunal a reconnu dans ses décisions que la mauvaise foi s’établit au moyen d’une preuve circonstancielle ou d’une preuve directe d’intention illégitime, d’un parti pris ou d’un manque d’impartialité, ou encore lorsqu’une procédure irrationnelle mène à conclure à l’incompatibilité avec l’exercice du pouvoir de dotation du gestionnaire délégataire. Le Tribunal a également donné à la mauvaise foi un sens large, qui n’implique aucune intention illégitime lorsqu’il y a insouciance grave ou incurie (voir les décisions : Cameron et Maheux c. l’Administrateur général de Service Canada et al., [2008] TDFP 0016; Chiasson c. Sous‑ministre de Patrimoine canadien et al., [2008] TDFP 0027; Gannon c. Sous‑ministre de la Défense nationale et al., [2009] TDFP 0014 et Robert et Sabourin).

81Peu après le début de la nomination intérimaire, en juin 2007, il a été décidé de prolonger la nomination à plus de quatre mois. Une justification de l’utilisation d’un processus de nomination non annoncé a été préparée et, dans celle‑ci, Mme Shannon a demandé l’approbation de la prolongation de la nomination intérimaire jusqu’au 21 décembre 2007. Elle a signé le document le 28 août 2007, et Mme Zamparo a approuvé la prolongation le 29 août 2007. La justification indiquait que Mme Denault avait manifesté une solide capacité d’exécuter les tâches liées à la dotation au cours des deux dernières années et décrivait son expérience actuelle au poste intérimaire. Les motifs d’utilisation d’un processus de nomination non annoncé dont fait état la justification sont les suivants :

[…]

Actuellement, nous collaborons avec la Direction générale des ressources humaines à l’examen des Services de gestion de la direction générale afin de créer une structure organisationnelle pour l’USGDG. La Direction générale des ressources humaines aidera à l’examen des descriptions de travail des postes de chef d’équipe de cette section, y compris du poste de groupe et niveau AS‑03 que Christine occupe actuellement. Une fois que ce poste aura été décrit, la Classification procédera à sa classification.

Nous prévoyons annoncer ce poste ensuite et le doter de façon permanente. D’ici là, le poste devra être doté de façon intérimaire.

[traduction]

82Aux termes de la justification, Mme Denault avait acquis l’expérience pertinente dans l’exercice des fonctions liées au poste intérimaire. Le Tribunal considère que les éléments de preuve produits ne permettent pas de conclure que la justification était sans fondement, déraisonnable ou fallacieuse.

83Mme Shannon devait doter un poste de chef d’équipe, Ressources humaines/mesures d’adaptation. Elle ne pouvait pas pourvoir à ce poste pour une durée indéterminée en raison des restrictions imposées par les Ressources humaines. Ces restrictions étaient liées à l’examen de la classification des USGDG. C’est en raison de ces restrictions qu’un processus de nomination non annoncé a été choisi. Mme Shannon a préparé une justification conformément aux exigences de la CFP et des politiques de l’ASFC au moment d’entreprendre le processus de nomination non annoncé. Le Tribunal conclut que la plaignante n’a pas démontré que l’utilisation d’un processus non annoncé n’était pas justifiée.

84La justification a été envoyée aux Ressources humaines à la fin d’août 2007 afin que la nomination soit traitée conformément aux diverses exigences. Cependant, les employés n’ont pas été avisés de cette nomination. En fait, lorsque la plaignante s’est enquise de cette nomination auprès des Ressources humaines, on lui a dit que Mme Denault travaillerait à son groupe et à son niveau de titularisation.

85Le REFP exige la notification d’une nomination intérimaire et du droit de recours. Aux termes des articles 12 à 14 du REFP, une nomination intérimaire est soustraite à l’application de cette exigence de notification pourvu qu’elle ne prolonge pas la période cumulative de la nomination intérimaire à un poste de quatre mois ou plus. Il importe donc que les employés soient avisés de toute nomination de plus de quatre mois, car cette notification assure des pratiques d’emploi justes et transparentes et donne aux employés l’assurance qu’ils peuvent exercer leur droit de recours.

86La notification de nomination aurait dû être publiée dès que la décision de prolonger la nomination intérimaire initiale à plus de quatre mois a été prise. Or, l’intimé n’a jamais fourni cette notification et n’a pas corrigé cette omission par la suite. En contre‑interrogatoire, on a demandé à Mme Shannon d’expliquer pourquoi les employés n’avaient pas été notifiés de cette nomination, ce à quoi elle a répondu que c’était là la responsabilité des Ressources humaines et non la sienne.

87La politique de l’ASFC sur le choix du processus de nomination de l’époque n’indiquait pas, comme c’est le cas maintenant, qu’en qualité de gestionnaire subdélégataire, cette responsabilité lui revenait. L’explication de Mme Shannon ne prend pas en considération ses responsabilités en tant que gestionnaire subdélégataire. Aucun élément de preuve n’a été produit pour expliquer la participation des Ressources humaines au regard de cette question. En définitive, c’est l’intimé qui est responsable d’une plainte devant le Tribunal pour cette insouciance grave.

88Le défaut de se conformer aux exigences de notification obligatoires et l’omission répétée de divulguer les nominations révèlent une tendance à l’insouciance grave et à l’incurie, laquelle a eu cours jusqu’à quelques semaines seulement avant l’audience. L’intimé a eu plusieurs occasions de corriger son omission ou de révéler son manquement à se conformer, mais il n’en a saisi aucune.

89Entre août et décembre 2007, quatre mois ont passé sans qu’aucune notification ne soit diffusée. Durant cette période, il a été décidé de prolonger la nomination intérimaire d’un an, et Mme Thouin a donc approuvé la nomination intérimaire de Mme Denault le 6 décembre 2007 pour la période allant du 22 décembre 2007 au 21 décembre 2008. Le défaut de produire une notification de la nomination intérimaire initiale n’a pas été rectifié. Le Tribunal considère que le fait pour l’intimé de ne pas remplir ses obligations en matière de notification constitue une insouciance grave.

90Au sens de la LEFP, la prolongation de la nomination intérimaire de Mme Denault du 22 décembre 2007 au 21 décembre 2008 constituait une nouvelle nomination. En vertu des paragraphes 58(2) et (3) de la LEFP, la prolongation d’une nomination intérimaire constitue une nomination pouvant faire l’objet d’une plainte (voir la décision Chaves c. Commissaire du Service correctionnel du Canada et al., [2007] TDFP 0009; et Wylie c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada et al., [2006] TDFP 0007).

91En dépit du fait que la seconde prolongation de la nomination intérimaire constituait une nouvelle nomination, celle‑ci n’a pas fait l’objet d’une nouvelle justification. En fait, la deuxième justification est identique à la première. Le Tribunal estime que, conformément aux lignes directrices de la CFP et de l’ASFC, il aurait fallu préparer une nouvelle justification pour la période allant du 22 décembre 2007 au 21 décembre 2008 (voir la décision Cannon c. Sous‑ministre des Pêches et des Océans et al., [2008] TDFP 0021). Il aurait été plus transparent de produire une nouvelle justification, ce qui aurait permis à l’intimé d’expliquer le long retard accusé dans la classification du poste.

92La période cumulative de la nomination intérimaire serait de 18 mois et, conformément aux lignes directrices de la CFP et de l’ASFC, un mécanisme de surveillance et d’examen doit être établi pour les nominations intérimaires de plus de 12 mois. Les nominations intérimaires de plus de 12 mois étant vérifiées par la CFP, elles doivent être approuvées et justifiées en bonne et due forme et par écrit. La plaignante et les autres candidats éventuels n’auraient pas pu vérifier si l’intimé s’était conformé aux exigences puisque la nomination initiale de six mois n’a pas fait l’objet d’une notification, et que la nomination intérimaire allant de décembre 2007 à décembre 2008 visait une période de 12 mois moins un jour.

93Le 7 janvier 2008, une notification a été affichée concernant la nomination intérimaire de décembre 2007. Rien dans la notification n’indiquait que Mme Denault occupait ce poste au groupe et niveau AS‑03 de façon intérimaire depuis juin 2007. L’avis indiquait seulement que Mme Denault, qui occupait un poste AS‑02 à l’ASFC, était nommée à un poste de groupe et niveau AS‑03 à l’USGDG pour la période allant du 22 décembre 2007 au 21 décembre 2008. L’intimé aurait pu saisir cette occasion pour faire preuve de transparence et corriger son défaut de notification antérieur, mais il ne l’a pas fait.

94Bien qu’il y ait eu certaines erreurs et omissions dans la préparation de la justification, c’est l’absence de notification de la nomination intérimaire initiale qui est le plus problématique. À tous les moments clés, l’intimé a fait fi des exigences du REFP en matière de notification. Le Tribunal juge que, dans l’ensemble, ces actes et ces omissions démontrent une insouciance grave ou une incurie équivalant à de l’abus de pouvoir.

95Les actes de l’intimé à la suite du dépôt de la plainte confirment qu’il y a lieu pour le Tribunal de conclure à la mauvaise foi. Le paragraphe 16(1)du Règlement du TDFP exige des parties qu’elles divulguent les renseignements relatifs à une plainte. Faute de notification, la plaignante ne pouvait pas savoir que Mme Denault occupait ce poste de façon intérimaire depuis juin 2007; elle avait même été informée par les Ressources humaines que le poste de Mme Denault était de groupe et niveau AS‑02. L’intimé savait que la plaignante contestait cette nomination, et il s’agissait certainement là de renseignements pertinents. L’intimé avait l’obligation de révéler ces renseignements importants et pertinents, et il aurait dû les divulguer.

96L’omission est d’autant plus troublante que la réponse de l’intimé aux allégations ne révèle pas que Mme Denault avait été nommée initialement en juin 2007. Elle indique seulement que le besoin d’un chef d’équipe a été déterminé en avril 2007, et que Mme Denault a été nommée pour une période débutant le 22 décembre 2007. L’intimé a déclaré :

En avril 2007, Mme Lynn Shannon, gestionnaire de l’unité des services de gestion de la direction générale de Stratégie et Coordination,  a déterminé qu’elle avait un besoin pour un chef d’équipe, soutien des programmes pour l’aider avec la gestion des employés et pour alléger sa charge de travail. Comme la classification de tous les postes de services de gestion était sous révision,  Mme Shannon a décidé de doter le poste de façon temporaire jusqu’à ce que la classification du poste soit déterminée.  Elle a nommé Mme Christine Denault dans le poste par intérim par un processus de nomination non-annoncé pour une période débutant le 22 décembre 2007 et allant jusqu’au 21 décembre 2008.

97Il y a un net intervalle entre la détermination, en avril 2007, du besoin d’un chef d’équipe, et la nomination en décembre 2007. De toute évidence, l’intimé a choisi de ne pas informer la plaignante que Mme Denault occupait le poste par intérim depuis juin 2007. Le Tribunal conclut que cette déclaration est trompeuse et qu’elle constitue une autre preuve de mauvaise foi.

98Une conférence préparatoire a eu lieu le 18 juin 2008. Encore une fois, le fait que la nomination intérimaire avait débuté en juin 2007 n’a pas été dévoilé. Lors de la conférence préparatoire, les parties ont été invitées à divulguer réciproquement, dans les deux semaines précédant l’audience, les renseignements qu’ils produiraient en preuve à l’audience. Ce n’est qu’après avoir reçu cette information que la plaignante a découvert que la nomination intérimaire avait débuté en juin 2007.

99Pour tous ces motifs, le Tribunal conclut que l’intimé, en omettant de fournir une notification et de divulguer la nomination intérimaire pour la période de juin à décembre 2007, a agi de mauvaise foi en faisant preuve d’insouciance grave et d’incurie. La notification est une étape essentielle et ultime dans le cas où un administrateur général opte pour un processus de nomination non annoncé. À n’en pas douter, la notification déclenche l’exercice d’un droit de recours. Cette étape fait partie d’une séquence que doit respecter l’administrateur général qui choisit un processus de nomination non annoncé : il doit évaluer des employés puis diffuser une notification indiquant qu’un employé a été nommé. En omettant à plusieurs reprises de produire une notification et de divulguer celle‑ci dans le cadre de ce processus de nomination non annoncé, l’intimé a abusé de son pouvoir.

Analyse

Question II : L’intimé a‑t‑il abusé de son pouvoir en faisant preuve de discrimination à l’endroit de la plaignante en raison de sa situation de famille?

Argumentation de la plaignante

100À l’audience, la plaignante a soutenu qu’elle n’avait pas été sélectionnée en raison de ses obligations familiales, car elle devait quitter le travail avant 17 h 30 afin de prendre soin de son jeune enfant. Selon elle, la condition parentale ne devrait pas être une raison de limiter l’accès, et cela équivaut à un abus de pouvoir. L’argument n’était pas prévisible au moment où la plainte a été déposée, car l’élément de preuve à l’appui de celui‑ci n’a été révélé que durant le témoignage de Mme Shannon.

101Dans des observations écrites subséquentes, la plaignante a expliqué ne pas avoir été prise en compte pour des postes de niveau supérieur à cause de sa situation de famille. Elle a mentionné que c’est la raison pour laquelle elle avait été traitée différemment des autres employés dans son milieu de travail.

102La plaignante affirme avoir établi une preuve prima facie de discrimination. Elle a démontré que sa situation de famille implique des responsabilités parentales. Celle‑ci comprend également des tâches et des obligations comme membre de la société. Selon elle, ces tâches et ces obligations, combinées à un obstacle lié à son employeur, l’ont privée de chances de travail égales et entières.

103Selon la plaignante, Mme Shannon a présumé de son indisponibilité en raison de ses obligations familiales et ne l’a jamais abordée pour discuter de ces obligations et de leur incidence sur ses perspectives de carrière.

104La plaignante fait référence à la décision Brown V. Canada (Department of National Revenue, Customs and Excise), [1993] C.H.R.D. No.7 (QL); (Brown c. Canada (Ministère du Revenu national), [1993] CanLII 683 (T.C.D.P.) et à la décision Hoyt c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, [2006] D.C.D.P. N33 (QL) dans laquelle le Tribunal canadien des droits de la personne (TCDP) a statué que le fait de traiter différemment les employés ayant des obligations familiales constitue un motif prima facie de discrimination. Elle se reporte aussi à Johnstone c. Canada (Procureur général), [2007] A.C.F. No 43 (QL).

105Selon la plaignante, personne n’a discuté de mesures d’adaptation avec elle. D’après la jurisprudence, c’est à l’intimé qu’il incombe de démontrer l’existence de contraintes excessives. Or, ce dernier n’a pas prouvé l’impossibilité de mettre en place des mesures d’adaptation sans imposer de contraintes excessives.

106La plaignante demande les mesures correctives suivantes :

  • une possibilité d’affectation intérimaire au poste de groupe et niveau AS‑03 pour une période d’au moins un an;
  • le remboursement de toutes les pertes encourues sur le plan de la rémunération et des avantages sociaux;
  • un montant pour la douleur et la souffrance endurées;
  • l’intérêt sur tous les montants dus à la plaignante;
  • toute autre mesure corrective jugée appropriée dans les circonstances.

Argumentation de l’intimé

107Dans son argumentation à l’audience, l’intimé a affirmé que la plaignante ne pouvait pas faire d’heures supplémentaires et que cette impossibilité n’avait pas pesé dans la décision de nommer quelqu’un d’autre. L’intimé a de plus fait valoir que la plaignante n’avait pas été pénalisée.

108Dans ses arguments écrits, l’intimé admet que Mme Shannon, durant son témoignage direct ainsi qu’en contre‑interrogatoire, a naïvement affirmé que la plaignante avait refusé de la remplacer en raison de ses obligations familiales. Selon l’intimé, il n’y a pas là de preuve que Mme Shannon traitait la plaignante de façon discriminatoire en raison de ses obligations parentales.

109L’intimé affirme que la plaignante n’a pas établi depreuve prima facie dediscrimination. Il soutient que la plaignante n’a pas été empêchée d’agir comme remplaçante au poste de groupe et niveau AS‑03 ni d’acquérir de l’expérience en raison de ses obligations familiales. La plaignante a remplacé Mme Shannon au moins une fois pendant une semaine au poste de groupe et niveau AS-03 que celle-ci occupait auparavant. L’intimé a tout simplement respecté le choix de la plaignante.

110L’intimé fait valoir qu’il prend en considération toute demande d’adaptation émanant d’employés ayant des obligations familiales. Il soutient que la plaignante n’a pas cherché à obtenir de mesures d’adaptation et que celles‑ci ne lui ont pas été refusées dans le contexte des possibilités de remplacement. Selon l’intimé, le fait que la plaignante était intéressée par le poste en question ne l’empêchait pas de choisir un processus non annoncé. Il n’y avait aucune preuve démontrant que le choix d’un processus non annoncé avait pour but d’écarter la candidature de la plaignante en raison de ses obligations parentales. Ce facteur n’est tout simplement pas entré en ligne de compte dans la décision.

Argumentation de la Commission de la fonction publique

111La CFP soutient que dans la jurisprudence relative aux droits de la personne, il n’est pas indispensable d’être en présence d’une intention illégitime pour conclure à la discrimination. Toutefois, selon la CFP, qu’une conclusion de discrimination équivaille à une conclusion d’abus de pouvoir en vertu de la LEFP est une autre question. Toujours selon la CFP, une conclusion d’abus de pouvoir requiert soit une intention illégitime, soit une insouciance grave ou une incurie telle qu’on puisse présumer la mauvaise foi. Ainsi, même si la discrimination était prouvée en l’espèce, elle ne permet pas de conclure automatiquement à l’abus de pouvoir.

112Selon la CFP, aux termes de la LEFP, l’intention est l’un des préalables à une conclusion d’abus de pouvoir. Si le Tribunal considère que Mme Shannon a fait preuve de discrimination à l’égard de la plaignante, aucune preuve ne permet de conclure qu’elle l’a fait intentionnellement, par insouciance grave ou par incurie. La preuve ne permet pas non plus de démontrer l’incidence que cette discrimination a pu avoir sur le choix du processus relatif à la nomination intérimaire aux groupe et niveau AS‑03.

113La CFP a présenté des observations portant sur le fardeau de la preuve dans la jurisprudence relative aux droits de la personne. Elle a fait remarquer qu’il suffit qu’un seul aspect de l’affaire soit jugé discriminatoire pour entacher l’ensemble du processus et pour démontrer que la décision litigieuse était fondée sur un motif discriminatoire.

114La CFP ne prend pas de position ferme sur la question de savoir s’il y a eu discrimination ou non en l’espèce, car elle n’était pas présente à l’audience. Elle considère cependant que la plaignante a peut‑être présenté une preuve prima facie de discrimination en relevant que Mme Shannon a émis des hypothèses relativement à sa disponibilité, en raison de sa situation de famille.

115Selon la CFP, le Tribunal ne peut pas accorder de mesures de redressement en vertu des alinéas 53(2)b) et c) et du paragraphe 53(4) de la LCDP puisque le paragraphe 81(2) de la LEFP n’en fait pas état. En ce qui concerne l’affectation intérimaire demandée, conformément à l’article 82 de la LEFP, le Tribunal n’a pas compétence pour ordonner cette mesure corrective.

Observations de la Commission canadienne des droits de la personne

116Dans ses observations écrites, la CCDP examine les dispositions applicables de la LCDP ainsi que la jurisprudence pertinente relativement à la situation de famille et aux mesures d’adaptation. Selon la CCDP, la plaignante se serait acquittée du fardeau de la preuve qui lui incombait d’établir une preuve prima facie de discrimination fondée sur sa situation de famille si sa candidature n’avait pas été prise en considération pour une nomination à un poste intérimaire en raison de ses responsabilités parentales.

117Selon la CCDP, il s’avère que la gestionnaire a tout simplement tenu pour acquis que la plaignante était incapable de s’acquitter des fonctions liées au poste intérimaire de groupe et niveau AS‑03 ou qu’elle n’y consentirait pas en raison de ses responsabilités parentales. Si le Tribunal juge que l’intimé a effectivement émis ces hypothèses, il devrait conclure que celui‑ci n’a pas respecté les exigences de la LCDP.

118Selon la CCDP, si le Tribunal estime que la plaignante a été victime de discrimination, il est important que celle‑ci obtienne une évaluation individuelle de ses besoins en matière de mesures d’adaptation. L’intimé ne doit donc pas fonder son évaluation des besoins d’un employé en matière de mesures d’adaptation ou de sa capacité de mettre de telles mesures en œuvre en se fondant à partir d’« hypothèses qui relèvent de l’impression » [traduction].

Réplique de l’intimé

119L’intimé a examiné la jurisprudence pertinente concernant les droits de la personne, notamment le fardeau de la preuve, le critère relatif à une preuve prima facie de discrimination et les mesures d’adaptation.

Réplique de la plaignante

120La plaignante a examiné la preuve produite à l’audience et a réitéré sa position en ce qui concerne la preuve prima facie de discrimination et les mesures d’adaptation.

121La plaignante conteste vivement la position de la CFP selon laquelle une pratique discriminatoire doit être intentionnelle ou requiert l’insouciance grave ou l’incurie pour être considérée comme un abus de pouvoir.

Analyse

122Dans la décision Morris c. Canada (Forces armées canadiennes), 334 N.R. 316; [2005] A.C.F. No 731 (QL), la Cour d’appel fédérale a réaffirmé que, dans les affaires d’emploi, le critère juridique s’appliquant à une preuve prima facie de discrimination en vertu de la LCDP est celui établi dans la décision Ontario (Commission ontariennes des droits de la personne c. Simpsons‑Sears), [1985] 2 R.C.S. 536; [1985] A.C.S. N74 (QL) (O’Malley). Dans cette décision, la Cour suprême du Canada a affirmé ce qui suit (version de QL) :

28 […] Dans les instances devant un tribunal des droits de la personne, le plaignant doit faire une preuve suffisante jusqu'à preuve contraire qu'il y a discrimination. Dans ce contexte, la preuve suffisante jusqu'à preuve contraire est celle qui porte sur les allégations qui ont été faites et qui, si on leur ajoute foi, est complète et suffisante pour justifier un verdict en faveur de la plaignante, en l'absence de réplique de l'employeur intimé. […]

123Dans la jurisprudence, une « situation de famille » est décrite comme « […] des mesures ou des attitudes qui ont pour effet de limiter les conditions d'embauche ou les perspectives d'emploi des employés sur la base d'une caractéristique liée à leur […] famille » (voir la décision B c. Ontario (Commission des droits de la personne), [2000] A.O. N4275 (C.A.) (QL), confirmé [2002] 3 R.C.S. 403; [2002] A.C.S. No 67 (QL), dans laquelle la juge Abella fonde sa définition sur la décision Janzen c. Platy Enterprises Ltd., [1989] 1 R.C.S. 1252; [1989] A.C.S. No 4).

124Dans la décision Brown, le TCDP a fait ressortir les éléments de preuve nécessaires pour établir un cas prima facie de discrimination fondée sur la situation de famille :

 […] la preuve doit indiquer que la situation de famille comprend le fait d'être parent et les tâches et obligations de cette personne comme membre de la société et que la plaignante était un parent qui devait remplir ces tâches et obligations. La preuve doit aussi démontrer que, en raison de ces tâches et obligations ainsi que de la règle de l'emploi impartial, la plaignante n'a pas eu de chances de travail égales et entières.

(Voir aussi la décision Woiden et al c. Dan Lynn, [2002] D.C.D.P. No 18, D.T. 09/02.)

125Le raisonnement appliqué dans la décision Brown a été repris dans la décision Hoyt. L’approche utilisée dans la décision Hoyt a récemment été citée dans la décision Johnstone où la Cour fédérale a souscrit à l’approche du CCDP. La Cour fédérale a rejeté l’approche de la discrimination prima facie dans l’arrêt Health Sciences Association of British Columbia v. Campbell River and North Island Transition Society, 240 D.L.R. (4th) 479; [2004] B.C.J. No 922 (B.C.C.A.) (QL), dont le paragraphe 29 est ainsi libellé : « L’affirmation […] selon laquelle il n'y a discrimination prima facie que lorsque l'employeur change les conditions d'emploi me semble inapplicable et, à mon humble avis, erroné en droit » [traduction]. La décision Johnstone a été confirmée par la Cour d’appel fédérale, celle-ci ayant jugé que l’incapacité de la CCDP à déterminer le critère juridique qu’elle avait appliqué était « un fondement suffisant pour conclure que la décision rendue par la Commission était déraisonnable […] » (voir Johnstone c. Canada (Procureur général), [2008] CLLC para. 230‑031; [2008] A.C.F. No 427(QL), paragraphe 2).

126La CCDP soutient qu’à l’instar de la Cour fédérale dans la décision Johnstone, le Tribunal devrait suivre l’approche adoptée dans la décision Hoyt qui, en traitant tous les motifs de discrimination illicite au même titre, est cohérente avec les principes des droits de la personne. La CCDP fait valoir que l’approche adoptée dans la décision Campbell River impose une hiérarchie des motifs que n’appuie pas la lettre de la loi en vertu de la LCDP.

127Le Tribunal convient que l’approche à adopter est celle contenue dans la décision Hoyt, laquelle a également été admise par la Cour fédérale dans la décision Johnstone. La preuve doit donc démontrer que la plaignante est un parent, qu’elle doit remplir des tâches et des obligations comme membre de la société et que, de surcroît, elle est un parent devant remplir ces tâches et ces obligations. La plaignante doit prouver qu’en conséquence de ces tâches et obligations et de la conduite de l’intimé, elle n’a pas bénéficié de chances de travail égales et entières.

128Il ne fait aucun doute que la plaignante est un parent devant remplir des tâches et des obligations liées au soin d’un jeune enfant. La question est de savoir si ce fait, combiné à la conduite de Mme Shannon, a entravé initialement la prise en compte entière et équitable de la candidature de la plaignante au regard de la nomination intérimaire. Pour statuer sur ce point, le Tribunal doit étudier la conduite de Mme Shannon dans le contexte du processus de nomination.

129Mme Shannon est devenue gestionnaire intérimaire en avril 2007. En juin 2007, elle a structuré son unité en deux groupes, et il lui fallait un chef d’équipe pour l’un d’eux, Ressources humaines et mesures d’adaptation. Elle a passé en revue les employés de la Direction générale afin de trouver la personne qui serait nommée. Ensemble, Mme Thouin et elle‑même ont examiné la candidature d’un certain nombre d’employés, dont Mme Denault et la plaignante.

130Le fait que Mme Denault avait remplacé Mme Shannon a compté parmi les facteurs importants dans l’examen des candidatures possibles pour la nomination intérimaire. Mme Shannon a essentiellement fondé sa décision sur l’expérience de Mme Denault, l’intérêt de cette dernière en regard de la nomination intérimaire et le fait qu’elle avait souvent joué le rôle de remplaçante au sein de la Division des communications. Mme Denault est la seule personne à qui Mme Shannon a parlé de la possibilité d’un poste intérimaire.

131Mme Shannon n’a pas vraiment pris la candidature de la plaignante en considération, car celle‑ci avait refusé d’être sa remplaçante dans le passé en raison de ses obligations familiales. Cette décision reposait sur sa connaissance des limitations antérieures de la plaignante, et elle a tenu pour acquis que celles‑ci n’avaient pas changé. Elle n’a pas demandé à la plaignante si elle avait besoin de mesures d’adaptation. Aucun effort n’a été déployé pour s’adapter à l’incapacité présumée de la plaignante de travailler selon un horaire flexible et de faire des heures supplémentaires en raison de ses obligations familiales. Mme Shannon a tenu pour acquis qu’en raison de ses obligations familiales, la plaignante ne serait pas la bonne personne.

132Mme Shannon s’est fiée à l’expérience qu’elle avait vécue avec la plaignante avant avril 2007, lorsque cette dernière n’était pas intéressée à la remplacer « parce que les heures étaient trop longues et qu’elle avait un jeune enfant » [traduction]. Mme Shannon a expliqué que la plaignante avait refusé de la remplacer en raison de ses obligations familiales. Le fait que ce soit là l’une des raisons pour lesquelles Mme Shannon a choisi de nommer Mme Denault, et non la plaignante, suffit à conclure à un cas prima facie de discrimination aux termes de la LCDP. Puisqu’il s’agit d’un facteur dans la décision de Mme Shannon de ne pas nommer la plaignante, une preuve prima facie de discrimination est établie (voir Holden c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, 112 N.R. 395 (C.A.F.); [1990] A.C.F. No 419).

133 Le Tribunal conclut, compte tenu de la preuve, que la plaignante était intéressée à un poste susceptible d’exiger du temps supplémentaire  c’est-à-dire un horaire plus long qui pourrait avoir des répercussions sur ses obligations familiales. La plaignante a expliqué qu’à l’automne 2006, elle avait présenté sa candidature au poste de chef d’équipe, Soutien au programme, AS‑03 (processus no 06‑BSF‑INA‑HQ‑HRB‑AS‑2929). Elle s’était qualifiée et sa candidature avait été placée dans un bassin. L’ECM pour ce poste comprenait les éléments suivants :

  • Exigences opérationnelles : Horaire de travail flexible.
  • Conditions d’emploi : Doit être en mesure de faire des heures supplémentaires à l’occasion.

Or, les mêmes exigences opérationnelles et conditions d’emploi sont exigées pour le poste de chef d’équipe faisant l’objet de la présente plainte.

134Le fait que la plaignante a présenté sa candidature à un poste qui exigeait un horaire flexible et du temps supplémentaire aurait dû signaler à Mme Shannon que la plaignante était intéressée à un poste exigeant du temps supplémentaire et des heures flexibles et aurait dû l’amener à revoir toute opinion préconçue concernant les obligations familiales de la plaignante.

135La plaignante a expliqué qu’elle avait mentionné à Mme Shannon qu’elle faisait partie d’un bassin de candidats et qu’elle lui avait confié être intéressée à travailler avec elle. Mme Shannon a admis se rappeler certaines conversations avec la plaignante concernant son intérêt à l’égard d’autres postes, et le fait qu’elle s’était qualifiée et qu’elle faisait partie d’un bassin. Toutefois, elle a aussi affirmé ne pas être au courant de l’existence de ce bassin. Mme Shannon a également indiqué que la plaignante lui avait demandé si elle était au fait d’emplois disponibles. Mme Shannon aurait dû poursuivre ces conversations et ne pas s’en tenir au fait que la plaignante avait refusé de la remplacer dans le passé en raison de ses obligations familiales. Si Mme Shannon avait des inquiétudes quant à la capacité de la plaignante de répondre aux exigences du poste en matière de temps supplémentaire, c’est à elle qu’il incombait d’aborder ces préoccupations. Il aurait alors été possible de discuter d’éventuelles mesures d’adaptation.

136Le Tribunal estime que la plaignante a établiune preuve prima facie de discrimination. Elle a démontré que sa situation de famille implique la condition de parent et le soin d’un jeune enfant. Combinées à la conduite de Mme Shannon, les tâches et les obligations parentales de la plaignante ont fait en sorte que celle‑ci n’a pas été en mesure de profiter entièrement et également des possibilités d’emploi offertes par son employeur.

137Une fois qu’une preuve prima facie a été établie, c’est à l’intimé qu’il incombe de fournir une explication raisonnable ou de présenter une défense relative à une exigence professionnelle justifiée (EPJ) (voir O’Malley et Colombie‑Britannique (Public Service Employee Relations Commission c. British Columbia Government and Service Employees’ Union (B.C.G.S.E.U.)) (Grief de Meiorin), [1999] 3 S.C.R. 3; [1999] A.C.S. No 46 (Q.L.)).

138L’intimé n’a pas présenté de défense EPJ, mais a affirmé tenir compte des demandes de mesures d’adaptation de tout employé ayant des obligations familiales. L’intimé a soutenu qu’il est bien établi dans la jurisprudence que toute mesure d’adaptation découle d’une demande préalable et que, en l’espèce, la plaignante n’a pas tenté d’en obtenir.

139Le Tribunal juge que l’explication de l’intimé en ce qui a trait à sa conduite discriminatoire prima facie n’est pas raisonnable compte tenu des faits de l’espèce. La plaignante ne savait pas que sa candidature ne serait pas prise en compte en raison de son refus antérieur de remplacer parce que ses obligations familiales ne lui permettaient pas de faire des heures supplémentaires. Elle n’avait donc aucun moyen de savoir que sa situation de famille était un facteur dans la décision de ne pas la nommer au poste et, dans les circonstances, elle n’avait aucune raison de demander des mesures d’adaptation. Mme Shannon était au courant des obligations familiales de la plaignante par le passé et ne s’est pas informée de sa disponibilité au regard du temps supplémentaire ou de ses besoins en matière de mesures d’adaptation.

140Le Tribunal conclut en outre que l’intimé n’a pas établi de défense EPJ. L’intimé n’a pas évalué sa capacité de s’adapter aux responsabilités familiales de la plaignante. Le Tribunal estime donc que l’intimé n’a pas établi qu’il n’était pas en mesure de répondre aux besoins d’adaptation de la plaignante pour cause de contrainte excessive.

141Dans ses observations, la CFP soutient qu’une conclusion de discrimination n’entraîne pas automatiquement une conclusion d’abus de pouvoir. Elle affirme que selon la jurisprudence relative aux droits de la personne, l’intention n’est pas essentielle à une conclusion de discrimination; néanmoins, une conclusion d’abus de pouvoir supposerait l’existence d’une intention illégitime, ou d’une insouciance ou incurie telle qu’on puisse présumer la mauvaise foi.

142Dans des décisions précédentes, le Tribunal a jugé de façon constante qu’une conclusion d’abus de pouvoir ne nécessitait pas d’intention (voir les décisions Tibbs, paragraphe 72; Rinn, paragraphe 36;Cameron et Maheux, paragraphe 76, et Chiasson, paragraphe 46).

143Selon le Tribunal, l’interprétation de la CFP signifierait que cette dernière, ou son délégué, est investie du pouvoir de nommer un employé ou de le mettre en disponibilité sans tenir compte de questions pertinentes ou sans se soumettre adéquatement à la LEFP, pourvu que l’acte soit involontaire ou dénué d’intention illégitime. Cette interprétation laisserait également entendre que la CFP et les administrateurs généraux pourraient nommer un employé ou le mettre en disponibilité de façon déraisonnable ou discriminatoire, si leur geste était involontaire ou dénué d’intention illégitime. Il est évident que le législateur n’a pas investi la CFP ni, par extension, les administrateurs généraux, du pouvoir d’agir ainsi. En ce qui concerne la discrimination, le Tribunal a déclaré ce qui suit dans la décision Tibbs :

[73] L’abus de pouvoir constitue plus que simplement des erreurs ou omissions. Cependant, le fait que le délégué se fonde sur des éléments insuffisants, ou qu’il ait pris des mesures déraisonnables ou discriminatoires par exemple peut constituer des erreurs graves ou des omissions importantes qui équivalent à un abus de pouvoir, même si involontaire.

[74] Exiger que l’abus de pouvoir soit lié à l’intention entraînerait des situations qui seraient clairement contraires à l’objet de la LEFP. Le législateur n’aurait pas pu envisager qu’il n’y aurait aucun recours en vertu de la LEFP lorsque, par exemple, un gestionnaire, de façon involontaire, procéderait à une nomination qui donnerait lieu à un résultat déraisonnable ou discriminatoire. Lorsqu’un gestionnaire involontairement procède à une nomination qui va clairement à l’encontre de la logique et des renseignements disponibles, cela peut ne pas constituer un acte de mauvaise foi, un acte répréhensible intentionnel ou une conduite irrégulière, mais le gestionnaire peut avoir abusé de son pouvoir discrétionnaire.

(Caractères gras ajoutés)

144Comme l’a expliqué le Tribunal dans la décision Glasgow c. Sous‑ministre de Travaux publics et Services gouvernementaux Canada et al., [2008] TDFP 0007, le législateur a précisé au paragraphe 2(4) de la LEFP que l’abus de pouvoir comprend la mauvaise foi et le favoritisme personnel, cela afin de s’assurer que nul ne conteste le fait que ces formes d’inconduite constituent un abus de pouvoir. De même, le législateur a explicitement prévu que le Tribunal pourrait interpréter et appliquer la LCDP lorsqu’il examine des plaintes d’abus de pouvoir. Ainsi, il est sans équivoque que la discrimination constitue un abus de pouvoir. Ce fait est en outre renforcé par le pouvoir du Tribunal d’ordonner des mesures correctives conformément à l’alinéa 53(2)e) de la LCDP.

145Pour tous ces motifs, le Tribunal conclut que l’intimé a fait preuve de discrimination à l’endroit de la plaignante eu égard à sa situation de famille et qu’il a omis de prendre en compte les besoins de la plaignante. D’autre part, le Tribunal estime qu’en faisant preuve de discrimination à l’endroit de la plaignante, l’intimé a abusé de son pouvoir dans l’application du mérite.

Question III : L’intimé a‑t‑il nommé Mme Denault par favoritisme personnel?

Argumentation des parties

146La plaignante soutient que Mme Denault n’aurait pas été nommée si elle n’avait pas si bien connu Mme Shannon, et que cette relation personnelle lui a donné un avantage injuste. Selon la plaignante, la preuve circonstancielle établit que Mme Denault a été nommée par favoritisme personnel. La gestionnaire délégataire a choisi un processus non annoncé, a ignoré le bassin de candidatures qualifiées existant eu égard aux postes de chef d’équipe et n’a pas bien évalué si Mme Denault possédait les qualifications essentielles pour le poste. L’intimé n’a pas réussi à justifier l’utilisation d’un processus non annoncé ni la raison pour laquelle il ne s’était pas servi du bassin. À un certain moment de son témoignage, Mme Shannon a déclaré avoir su que la plaignante faisait partie du bassin mais, à un autre moment, elle a affirmé ignorer l’existence de ce bassin.

147Selon la plaignante, aucune preuve ne permet de conclure que Mme Denault était qualifiée ou plus qualifiée que les candidats faisant partie du bassin ou les employés travaillant dans la même Division des communications. Toujours selon la plaignante, c’est à la gestionnaire délégataire qu’il revenait d’évaluer Mme Denault. Dans le cas de la nomination intérimaire initiale de Mme Denault, un ECM avait été préparé. La plaignante a déclaré que Mme Denault avait rempli la partie contenant l’évaluation du candidat au regard des qualifications essentielles. Par ailleurs, la plaignante affirme que la gestionnaire délégataire, Mme Shannon, n’a pas fourni d’éléments de preuve démontrant que les qualifications et les capacités de Mme Denault avaient été évaluées en fonction des critères de mérite. Elle se reporte aux paragraphes 80, 81, 84 et 85 de la décision Cameron et Maheux, lesquels mettent en évidence les responsabilités du gestionnaire délégataire et de l’intimé de fournir la preuve que le candidat a été évalué en fonction des critères de mérite.

148La plaignante soutient que les qualifications de Mme Denault doivent être évaluées adéquatement. La nomination ne peut pas être simplement fondée sur le fait que la gestionnaire délégataire et la candidate reçue se connaissaient. Contrairement à Mme Denault, qui ne faisait pas partie du bassin, la plaignante a passé des examens, une entrevue et s’est préparée aux fins de qualification pour des nominations intérimaires aux groupe et niveau AS‑03.

149Mme Shannon a assisté au mariage de Mme Denault, mangeait régulièrement avec elle, travaillait côte à côte avec elle, tricotait avec elle et la choisissait souvent pour exécuter ses tâches lorsqu’elle travaillait à la Division des communications. Selon la plaignante, ces faits, qui constituent une preuve circonstancielle, prouvent l’existence de favoritisme personnel.

150L’intimé fait référence au paragraphe 39 de la décision Glasgow et nie l’existence de favoritisme personnel. Aucun des éléments de preuve produits ne montre que le processus et la nomination intérimaire ont été motivés par autre chose que le mérite. Mme Denault possédait les qualifications essentielles liées aux fonctions du poste. Mme Shannon a travaillé avec Mme Denault dans un contexte professionnel et a remarqué son travail ainsi que celui d’autres employés. Le fait que Mme Denault ne s’était pas portée candidate dans le cadre du processus de création d’un bassin ne veut pas dire qu’elle ne pouvait pas être qualifiée. Elle a été nommée en fonction de ses connaissances, de ses capacités, de son expérience et de ses qualités personnelles ainsi que des besoins opérationnels.

151L’intimé soutient que ce ne sont pas les qualifications de Mme Denault qui posent problème puisque les allégations d’abus de pouvoir se rapportent au choix du processus. De l’avis de l’intimé, Mme Denault a expliqué à Mme Shannon en quoi elle possédait les qualifications essentielles liées aux fonctions du poste, et cette façon de faire ne diffère en rien de la formule selon laquelle le candidat répond à des questions d’entrevue ou d’examen. L’intimé soutient que la LEFP ne précise pas les modalités d’évaluation d’un candidat et fait référence à l’article 36 de la LEFP. La méthode d’évaluation peut varier selon chacun des processus.

152L’intimé déclare que cette affaire est très différente de l’affaire Cameron et Maheux. En l’espèce, le Tribunal a reçu une justification, l’évaluation au regard de l’ECM et le curriculum vitæ de Mme Denault.

153Selon l’intimé, Mme Denault possédait les qualifications essentielles figurant dans l’ECM, conformément à l’alinéa 30(2)a) de la LEFP. De surcroît, le paragraphe 30(4) de la LEFP prévoit que l’intimé n’est pas tenu de prendre en compte plus d’une personne pour faire une nomination fondée sur le mérite. L’intimé a fait référence à l’article 36 de la LEFP, lequel précise que la prise en compte des réalisations et du rendement antérieur sont des méthodes appropriées pour l’évaluation des qualifications.

Analyse

154Selon l’intimé, les qualifications de Mme Denault ne sont pas en cause puisque les allégations d’abus de pouvoir se rapportent au choix du processus. Dans sa plainte, la plaignante a coché la case « Abus de pouvoir dans le choix du processus », mais non la case « Abus de pouvoir dans l’application du mérite ». Elle y a également indiqué vouloir connaître les raisons pour lesquelles la personne mentionnée dans la nomination intérimaire avait été choisie plutôt qu’une personne provenant du bassin établi. Elle n’a pas fourni d’autres détails dans ses allégations. Cependant, au début de l’audience, elle a demandé l’ajout d’une allégation générale d’abus de pouvoir concernant la nomination intérimaire initiale.

155Dans la décision Jogarajah c. Administrateur en chef de la santé publique de l’Agence de santé publique du Canada et al., [2007] TDFP 0013, le Tribunal a conclu qu’un vice de forme pourrait être corrigé en vertu de l’article 9 du Règlement du TDFP. Bien que la plaignante n’ait pas coché la case « Abus de pouvoir dans l’application du mérite » en ce qui a trait au « Type de plainte » dans le formulaire de plainte, ce formulaire n’a pas induit le Tribunal ni l’intimé en erreur pour ce qui est de la nature de la plainte. L’intimé a répondu à la plainte en abordant les allégations de favoritisme personnel et une autre question relative au mérite. De surcroît, l’intimé a présenté une argumentation sur le mérite lors de l’audience. Le Tribunal considère donc que les parties étaient pleinement conscientes du fait que la plainte portait sur la question du mérite.

156Selon la plaignante, la preuve circonstancielle établit que l’intimé a fait cette nomination par favoritisme personnel. Dans la décision Glasgow, le Tribunal a conclu que le favoritisme personnel pouvait être établi par la preuve directe ou, plus souvent, par la preuve circonstancielle :

[44] Une preuve de favoritisme personnel peut être directe, comme des faits démontrant clairement le lien personnel étroit qui existe entre la personne chargée de la sélection et la personne nommée. Cela dit, ce sera souvent une question de preuve circonstancielle, où certains actes, commentaires ou événements observés avant ou pendant le processus de nomination doivent être examinés.

157La plaignante s’appuie fortement sur le fait que le bassin n’a pas été utilisé pour pourvoir au poste de chef d’équipe, ce qui a privé les candidats faisant partie du bassin d’une possibilité d’emploi. Toutefois, la preuve établit le contraire.

158Il importe de faire la distinction entre le processus de nomination interne annoncé lié au poste de chef d’équipe, Soutien aux programmes (06‑BSF‑INA‑HQ‑HRB‑AS‑2929), et le processus non annoncé visant à pourvoir au poste de chef d’équipe, USGDG (07‑BSF‑ACIN‑HQ‑SCB‑AS‑1125‑1). En effet, le processus de nomination annoncé avait pour but de pourvoir à des postes à partir du bassin et, de ce fait, les candidats devaient posséder la plupart des qualifications essentielles associées au processus de nomination non annoncé ainsi que l’expérience et les capacités en matière de recherche. En revanche, le processus de nomination non annoncé associé à la nomination intérimaire au poste de chef d’équipe visait à trouver un candidat possédant à la fois les qualifications essentielles exigées dans le cadre du processus de nomination annoncé (mis à part les qualifications en matière de recherche) et les qualifications suivantes :

  • expérience du traitement des demandes relatives aux mesures de dotation;
  • expérience de la supervision;
  • connaissance de la structure organisationnelle de l’Agence et du rôle et des responsabilités de diverses organisations, en particulier celles associées aux fonctions des ressources humaines;
  • connaissance des produits MS Office;
  • capacité d’interpréter et d’expliquer les lignes directrices, les procédures, les règlements et/ou la législation;
  • capacité de gérer efficacement des demandes multiples et difficiles à concilier;
  • esprit d’initiative;
  • discrétion.

[traduction]

159Mme Shannon a déclaré qu’on lui avait dit que la plaignante faisait partie du bassin, mais elle a aussi affirmé qu’elle ne connaissait pas l’existence du bassin de candidats. Le Tribunal estime que cette contradiction apparente n’a pas d’incidence sur la crédibilité de Mme Shannon puisque le fait demeure que les qualifications énumérées ci‑dessus diffèrent et n’ont pas été évaluées lors de la création du bassin.

160Tant le témoignage de Mme Shannon que l’évaluation de Mme Denault en regard de l’ECM établissent que Mme Denault a été évaluée en fonction de son expérience, de ses connaissances et de ses capacités. Mme Denault avait l’expérience du traitement d’un éventail complet de mesures de dotation ainsi qu’une expérience considérable de la supervision de personnel de premier échelon. Elle possédait également les connaissances et les capacités nécessaires. Le Tribunal conclut que les éléments de preuve produits par l’intimé quant à l’évaluation des qualifications et des capacités de Mme Denault au regard des critères de mérite sont suffisants.

161Mme Shannon et Mme Denault ont établi une relation amicale dans leur milieu de travail – elles ont travaillé côte à côte, ont dîné ensemble, ont tricoté ensemble à l’heure du dîner. Mme Shannon, à titre de superviseur fonctionnel, a été en mesure d’évaluer les capacités de Mme Denault parce que celle‑ci l’avait souvent remplacée au travail et lui avait exprimé son désir d’exercer ces fonctions. Il n’y a aucune preuve permettant de conclure que Mme Shannon et Mme Denault entretenaient une relation sociale en dehors du travail, si ce n’est que Mme Shannon a assisté au mariage de Mme Denault en compagnie de 10 ou 12 autres collègues. Le Tribunal estime que la plaignante n’a pas établi que Mme Denault avait été nommée en raison de sa relation personnelle avec Mme Shannon.

162Le Tribunal est préoccupé par l’élément de preuve produit par Mme Shannon selon lequel elle a effectué l’évaluation en concertation avec Mme Denault. Un candidat ne devrait pas participer à son évaluation. Ce manque de rigueur semble être un incident isolé dans l’évaluation des critères de mérite. Le Tribunal estime cependant qu’il y a insuffisance de preuve pour conclure que Mme Denault ne possédait pas les qualifications essentielles.

163Pour tous ces motifs, le Tribunal conclut que la plaignante n’a pas établi que Mme Denault a été nommée au poste par favoritisme personnel.

Décision

164Pour tous ces motifs, la plainte d’abus de pouvoir est fondée.

Mesures correctives

165Le Tribunal détient de vastes pouvoirs correctifs en vertu du paragraphe 81(1) de la LEFP lorsqu’il conclut qu’une plainte présentée aux termes de l’article 77 est fondée. En outre, les mesures correctives peuvent inclure un montant alloué afin d’indemniser une victime de discrimination qui a souffert un préjudice moral conformément à l’alinéa 53(2)e) de la LCDP. Lorsque le Tribunal détermine qu’un plaignant a été victime de discrimination par suite d’actes délibérés ou inconsidérés conformément au paragraphe 53(3) de la LCDP, il peut ordonner une indemnité monétaire additionnelle. Cependant, le Tribunal ne peut pas ordonner à l’intimé de faire une nomination ou de mener un nouveau processus de nomination en vertu de l’article 82 de la LEFP. Le Tribunal n’a pas compétence pour ordonner à l’intimé d’offrir à la plaignante une possibilité d’affectation intérimaire.

166Le Tribunal conclut que la plaignante a été victime de discrimination fondée sur sa situation de famille et a décidé des mesures correctives à prendre. La plaignante devrait bénéficier d’une évaluation individuelle de ses besoins en matière de mesures d’adaptation afin de ne pas être privée de possibilités d’avancement à l’avenir sous prétexte qu’elle n’est pas disponible en raison de ses responsabilités parentales. Le Tribunal ne juge pas approprié d’attribuer une indemnité monétaire en l’espèce.

167Le Tribunal recommande que l’intimé consulte la CCDP afin de déterminer si ses gestionnaires délégataires ont besoin de formation en matière de discrimination et, plus particulièrement, de discrimination fondée sur la situation de famille.

168En ce qui concerne la conclusion de mauvaise foi, il est essentiel que l’intimé prenne des mesures pour s’assurer qu’à l’avenir, les notifications de nomination intérimaire de quatre mois ou plus sont faites conformément aux exigences. Il ne faut pas négliger l’importance de la transparence dans un système où les gestionnaires jouissent d’un pouvoir discrétionnaire aussi considérable en matière de nomination. Les éléments de preuve produits dans le cadre de cette plainte sont d’autant plus préoccupants qu’aucune mesure n’a été prise pour corriger le défaut de notifier ou de divulguer la nomination, et ce, jusqu’à deux semaines avant l’audience. Vu les préoccupations de la CFP selon lesquelles les nominations intérimaires comportent des risques élevés et compte tenu des responsabilités générales de celle-ci par rapport à la LEFP et au REFP, le Tribunal est d’avis que la CFP devrait se pencher sur les circonstances de la plainte afin de déterminer si d’autres mesures s’imposent.

Ordonnance

169Le Tribunal ordonne à l’intimé d’évaluer la plaignante au regard de ses besoins en matière de mesures d’adaptation compte tenu de ses obligations familiales.

Robert Giroux

Membre

Parties au dossier

Dossier du Tribunal:
2008-0061
Intitulé de la cause:
Chantal Rajotte et le président de l'Agence des services frontaliers du Canada et al.
Audience:
Les 12 et 14 août 2008
Ottawa (Ontario)
Date des motifs:
Le 7 août 2009

Comparutions:

Pour la plaignante:
Bruno Loranger
Pour l'intimé:
Martin Desmeules
Pour la Commission
de la fonction publique:
Kimberley Lewis
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