Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le plaignant a formulé des allégations d’abus de pouvoir à l’encontre de l’intimé au motif que dans la convocation à l’entrevue celui-ci avait omis d’indiquer deux des qualifications essentielles qui seraient évaluées. Le plaignant a ajouté que les références obtenues n’avaient pas été évaluées de manière appropriée et que les questions servant à apprécier le jugement et la fiabilité comportaient des lacunes et n’avaient pas évalué adéquatement ces qualifications. L’intimé a soutenu qu’il existait un lien clair entre le travail à accomplir, les qualifications évaluées et les questions d’entrevue posées. Selon lui, il n’y avait aucune preuve que l’outil d’évaluation comportait des lacunes. Le plaignant ne répondait pas au critère de fiabilité parce qu’il n’a pas démontré qu’il pouvait adopter les comportements attendus de la part d’un gestionnaire supérieur occupant un poste de nature très délicate. La définition du terme << fiabilité >> avait été établie en fonction du travail à accomplir. La question sur le jugement était basée sur une mise en situation réelle, liée au travail à accomplir. L’intimé a reconnu que le courriel de convocation à l’entrevue envoyé au plaignant ne mentionnait pas le jugement et la fiabilité comme qualifications à évaluer. Il a ajouté que les références avaient été utilisées seulement comme outil de validation; elles n’avaient pas été notées ni pondérées. La Commission de la fonction publique a fait remarquer qu’elle ne souscrivait pas à la définition du terme << fiabilité >> ni à la liste des critères visant à l’évaluer. Décision : Le Tribunal a établi qu’il n’y avait pas de preuve que les critères d’évaluation n’étaient pas liés au jugement et que celui-ci ne pouvait être démontré au moyen de la réponse du candidat dans la mise en situation. La décision de l’intimé d’utiliser les valeurs et l’éthique pour évaluer la fiabilité à un niveau supérieur était conforme avec la définition du terme << fiabilité >> tel que décrit dans les dictionnaires courants et aussi avec les attentes de l’intimé. Bien que le fait de ne pas avoir fourni plus de détails sur les qualifications essentielles ne constitue pas un abus de pouvoir, une telle mesure aurait accru la clarté et la transparence du processus de nomination. Le fait pour l’intimé de ne pas avoir informé le plaignant de toutes les qualifications qui seraient évaluées durant l’entrevue constituait une erreur dans l’administration du processus d’évaluation; mais cette erreur n’était pas suffisante pour conclure à un abus de pouvoir. Par ailleurs, le Tribunal a fait remarquer que les références ne seraient pertinentes que s’il était déterminé qu’elles ne concordaient pas avec les résultats de l’entrevue. Les éléments de preuve montraient que les références n’avaient pas eu d’incidence négative sur l’évaluation du plaignant. L’intimé n’était pas tenu d’attribuer une cote aux références fournies au sujet du plaignant lorsqu’il s’agissait d’évaluer les qualifications << jugement >> et << fiabilité >> en vue de la dotation du poste. Plainte rejetée.

Contenu de la décision

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Dossier:
2009-0019
Rendue à:
Ottawa, le 9 décembre 2009

JOHN COSTELLO
Plaignant
ET
LE SOUS-MINISTRE DE PÊCHES ET OCÉANS CANADA
Intimé
ET
AUTRES PARTIES

Affaire:
Plainte d'abus de pouvoir en vertu des l'alinéas 77(1)a) de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique
Décision:
La plainte est rejetée
Décision rendue par:
Kenneth J. Gibson, membre
Langue de la décision:
Anglais
Répertoriée:
Costello c. le sous-ministre de Pêches et Océans Canada et al.
Référence neutre:
2009 TDFP 0032

Motifs de la décision

Introduction

1Le plaignant, John Costello, soutient que l’intimé a abusé de son pouvoir lorsqu’il a omis de lui indiquer, dans sa convocation à l’entrevue, deux des qualifications essentielles qui seraient évaluées. Le plaignant mentionne également qu’il n’existe aucun lien clair entre ces deux qualifications et l’outil d’évaluation. En outre, il estime que les références obtenues concernant ces deux qualifications n’ont pas été évaluées de manière appropriée.

2L’intimé, le sous‑ministre de Pêches et Océans Canada, fait valoir que les gestionnaires délégataires disposent d’un vaste pouvoir discrétionnaire pour choisir les méthodes d’évaluation, mener les évaluations et déterminer si les candidats possèdent les qualifications essentielles liées au poste à doter. Selon l’intimé, le comité d’évaluation avait bien compris les tâches à accomplir, il avait élaboré et utilisé un guide de cotation dans lequel les critères à évaluer étaient clairement indiqués, et il possédait les compétences nécessaires pour assurer une évaluation complète des qualifications des candidats. L’intimé soutient que les qualifications du plaignant ont été évaluées de façon appropriée, et que sa candidature a été éliminée du processus de nomination parce qu’il ne possédait pas toutes les qualifications essentielles.

Contexte

3En janvier 2008, le ministère des Pêches et des Océans a lancé un processus de nomination interne annoncé pour doter un poste de gestionnaire de secteur, Ports pour petits bateaux, au groupe et au niveau PM‑05. Ce processus visait l’établissement d’un bassin de candidats qui servirait à doter les postes vacants de gestionnaire de secteur qui étaient prévus.

4Le plaignant a participé, à titre de candidat, à ce processus de nomination. Il a fait l’objet d’une évaluation, mais n’a pas été jugé qualifié parce qu’il ne possédait pas deux des qualifications essentielles (le jugement et la fiabilité), qui ont été évaluées au moyen d’une entrevue.

5Le 15 janvier 2009, la notification de nomination ou de proposition de nomination de Sharon Branton a été affichée sur Publiservice.

6Le plaignant a présenté une plainte au Tribunal de la dotation de la fonction publique (le Tribunal) le 15 mai 2009, en vertu de l’alinéa 77(1)a) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, art. 12 et 13 (la LEFP).

Questions en litige

7Le Tribunal doit trancher les questions suivantes :

  1. L’outil d’évaluation a‑t‑il permis d’évaluer la qualification qu’il était censé évaluer? Dans la négative, l’intimé a‑t‑il abusé de son pouvoir en utilisant cet outil?
  2. L’intimé a‑t‑il abusé de son pouvoir lorsqu’il a convoqué le plaignant à une entrevue sans lui mentionner toutes les qualifications qui seraient évaluées pendant l’entrevue?
  3. L’intimé a‑t‑il abusé de son pouvoir par une évaluation inadéquate des références du plaignant?

Résumé des éléments de preuve pertinents

8Le plaignant a témoigné dans sa propre cause. MM. John Loubar et William Golding ont témoigné au nom de l’intimé.

9M. Loubar est le directeur de secteur, Régions de l’Ouest de Terre‑Neuve et du Sud du Labrador. Il travaille dans la fonction publique depuis 21 ans et occupe ce poste depuis quatre ans et neuf mois. Il s’agit d’un poste de groupe et de niveau EX‑01.

10M. Loubar a indiqué que ce processus de nomination a été lancé en raison de la retraite anticipée de trois gestionnaires de secteur. L’objectif consistait à établir un bassin de candidats qui permettrait de les remplacer. Il a présidé le comité de sélection, lequel était également formé de Jane Kelsey et de William Golding. M. Loubar a rédigé l’énoncé des critères de mérite après avoir étudié d’autres énoncés liés à des postes semblables. L’énoncé des critères de mérite a été mis au point en consultation avec les Ressources humaines et M. Golding.

11Selon M. Loubar, le poste de gestionnaire de secteur, Ports pour petits bateaux, est un poste de nature très délicate et complexe, et le titulaire est appelé à travailler sous supervision minimale. Le travail porte sur 107 ports répartis sur 1000 kilomètres de côte. Certains de ces ports sont gérés directement par le ministère des Pêches et des Océans, et 55 autres ports sont gérés par des organisations communautaires appelées administrations portuaires. Le gestionnaire de secteur est responsable des projets de construction et d’entretien dans ces ports, et il traite avec les représentants des organismes gouvernementaux, des administrations portuaires et de l’industrie de la pêche. M. Loubar a mentionné que les députés fédéraux et provinciaux s’intéressent au travail exécuté par le titulaire de ce poste en raison des fonds importants qui sont en jeu et de l’incidence de ce travail sur leur circonscription. Trois personnes relèvent du gestionnaire de secteur.

12M. Loubar a indiqué que la qualification « jugement » figurait dans l’énoncé des critères de mérite parce que le gestionnaire de secteur doit faire preuve de beaucoup d’autonomie lorsqu’il évalue les projets et en établit l’ordre de priorité, tout en composant avec un budget limité. Il doit traiter des plaintes et répondre à des demandes de renseignements provenant des intervenants intéressés, notamment des députés.

13M. Loubar a mentionné que M. Golding a élaboré la question visant à évaluer le jugement. La question consistait en une mise en situation réaliste portant sur un problème que le gestionnaire de secteur pourrait être appelé à régler au travail. Il a indiqué que le comité d’évaluation avait tenu compte de tous les critères de cotation associés à cette qualification. Il s’attendait à une réponse formulée du point de vue d’un gestionnaire, qui témoignait que la personne avait tenu compte de toutes les possibilités. La réponse du plaignant était bien, mais brève et simpliste. Le plaignant a omis d’aborder bon nombre des critères attendus. Pour que sa candidature soit retenue, il devait obtenir la note « très bien ». Le plaignant a obtenu la note « bien ».

14La fiabilité a été choisie comme qualification en raison de la nature très délicate du poste et de son incidence politique et socioéconomique. Selon M. Loubar, « nous comptons sur le gestionnaire de secteur et sur son groupe pour que le travail soit accompli de manière appropriée » [traduction]. Il a indiqué que M. Golding avait proposé une question sur l’adoption d’un comportement conforme aux valeurs et à l’éthique véhiculées par la fonction publique parce que le comité « ne cherchait pas uniquement une personne assidue » [traduction]. Il a mentionné qu’il s’agissait d’un enjeu important depuis la Commission Gomery. Le candidat retenu doit évaluer les besoins de façon objective, éviter de faire des promesses qui outrepassent son pouvoir, reconnaître le rôle des politiciens et faire de preuve de délicatesse dans ses rapports avec d’autres intervenants. Le comité d’évaluation désirait savoir si le candidat pouvait personnellement adopter un comportement conforme aux valeurs et à l’éthique, et veiller à ce que son personnel en fasse autant.

15Selon M. Loubar, le plaignant avait essentiellement indiqué dans sa réponse qu’il adopterait un comportement conforme aux valeurs et à l’éthique véhiculées par la fonction publique en donnant l’exemple. Le comité espérait une réponse plus élaborée. Il a indiqué que les autres candidats avaient décrit les types de comportements qu’ils adopteraient  pour mener à bien cette tâche.

16M. Loubar a mentionné que le comité d’évaluation avait posé les mêmes questions à tous les candidats.

17Selon M. Loubar, il était indiqué dans l’annonce de possibilité d’emploi qu’il « pourrait » [traduction] y avoir une vérification des références parce que le comité d’évaluation voulait conserver sa marge de manœuvre. Il a affirmé que le comité d’évaluation avait décidé de vérifier les références afin de valider les résultats de l’entrevue. Aucune note n’a été attribuée pour les références pendant l’évaluation, mais celles-ci ont servi à s’assurer qu’il n’y aurait pas de mauvaises surprises. À l’exception d’une seule personne, tous les candidats ont obtenu des références positives. Les références n’ont eu aucune incidence sur les candidatures retenues pour le poste.

18M. Golding est le directeur régional (EX‑01), Ports pour petits bateaux (Terre‑Neuve‑et‑Labrador), depuis 14 ans.

19Le témoignage de M. Golding était similaire à celui de M. Loubar. En ce qui concerne la question sur le jugement, il a indiqué qu’il désirait utiliser un exemple réel. Il a expliqué qu’il était possible qu’un membre du public ou un représentant d’une administration portuaire demande des faveurs, et qu’il souhaitait connaître la façon dont le candidat composerait avec une telle demande. Il a indiqué que la réponse du plaignant était très terre‑à‑terre. Il a utilisé une approche fondée sur les règles et il a essentiellement mentionné ce qui suit : « n’abordez pas cette question avec moi » [traduction], tout en laissant entendre que la demande pouvait être présentée à une personne occupant un poste de niveau supérieur. Ce n’est pas la réponse que le comité d’évaluation recherchait. M. Golding a indiqué que certains des autres candidats avaient satisfait à ce critère en démontrant qu’ils comprenaient l’incidence de leur réponse sur l’ensemble de l’organisation, tandis que le plaignant n’a pas abordé cette dimension.

20En ce qui concerne la fiabilité, M. Golding a indiqué qu’il avait rédigé la définition et la question. Il a mentionné qu’il s’agissait d’un poste très en vue et que le candidat retenu devrait démontrer que les clients, le personnel et les supérieurs pouvaient compter sur lui. Il a indiqué que pour ce qui est des postes supérieurs, « l’adoption d’un comportement conforme aux valeurs et à l’éthique constitue un des principaux aspects de la fiabilité » [traduction]. Selon M. Golding, le plaignant a formulé une réponse très générale et n’a pas manifesté les comportements associés aux valeurs et à l’éthique dans la fonction publique.

21Le plaignant occupe un poste de gestionnaire de cas et de conseiller en matière d’aide aux employés (groupe et niveau AS‑04). Il a indiqué avoir reçu, le 10 juillet 2008, un courriel de convocation à une entrevue, dans lequel les qualifications à évaluer étaient énumérées. Le jugement et la fiabilité ne figuraient pas sur cette liste. L’entrevue a eu lieu 11 jours plus tard, et pendant la période précédant l’entrevue, le plaignant n’a reçu aucune nouvelle indication l’informant que ces qualifications seraient prises en compte dans l’entrevue.

22Il croit que la réponse qu’il a fournie à la question sur le jugement concordait avec la définition de la qualification. Il a mentionné que dans la mise en situation, le client lui avait demandé d’agir de manière contraire à l’éthique lorsqu’il s’était adressé à lui pour le financement d’un projet en dehors d’une réunion du Comité consultatif régional des administrations portuaires (le Comité). Dans sa réponse, il a indiqué qu’il reconnaissait les préoccupations du client, mais qu’il ne répondrait pas à sa demande concernant le financement du projet. Il a mentionné qu’il était inapproprié que le client présente sa demande dans un contexte autre que la réunion du Comité. Il croit que sa réponse était appropriée et qu’il a démontré qu’il sait faire preuve de jugement.

23En ce qui concerne la fiabilité, le plaignant a déclaré que la question qui lui avait été posée portait sur les valeurs et l’éthique, et non sur la fiabilité. Néanmoins, il croit que sa réponse, selon laquelle il allait donner l’exemple et aborder et régler le problème avec les membres de son personnel si leur comportement était fautif, constituait une réponse appropriée.

24Le plaignant a affirmé qu’un directeur, un gestionnaire et un client avaient fourni des références à son sujet, et que le client avait indiqué qu’il possédait un jugement au‑dessus de la moyenne et que l’on pouvait très bien compter sur lui.

25En contre‑interrogatoire, le plaignant a mentionné qu’il ne remet pas en question les qualifications de la personne nommée et qu’il ne demande pas la révocation de sa nomination; il ne soutient pas non plus que la nomination était teintée de mauvaise foi ou de favoritisme personnel. Il a également admis qu’il connaissait l’expression « qualifications essentielles » et qu’il savait que le jugement et la fiabilité faisaient partie de l’énoncé des critères de mérite pour le poste. En outre, il a convenu que les notes que le comité d’évaluation avait prises pendant l’entrevue résumaient bien ses réponses.

26Le plaignant a déclaré qu’il avait participé à un projet portant sur les aides à la navigation en collaboration avec les conseils de port en 1998 et en 1999, et qu’il avait participé à des opérations de recherche et de sauvetage de juin 1988 à février 1995 ainsi que d’avril 1997 à mars 1998. Cependant, il a reconnu travailler dans le domaine des ports pour petits bateaux depuis 10 ans seulement. Il a mentionné qu’aucun poste ne relève directement de lui et qu’il n’a aucun pouvoir de signer des documents financiers dans son emploi actuel.

Argumentation des parties

A) Argumentation du plaignant

27Le plaignant soutient que l’intimé a involontairement abusé de son pouvoir en utilisant des outils d’évaluation inadéquats et en omettant d’évaluer ses références de façon appropriée.

28Même si le plaignant convient que le jugement et la fiabilité constituent des qualifications essentielles pour le poste PM‑05, il soutient que les questions qui ont servi à évaluer ces qualifications comportaient des lacunes et n’ont pas permis d’évaluer les qualifications de façon appropriée.

29Il fait valoir que les critères d’évaluation pour le jugement ne sont pas raisonnables et que la majorité d’entre eux n’ont aucun lien avec la mise en situation présentée.

30En ce qui concerne la fiabilité, le plaignant a présenté une définition de ce terme tirée d’un dictionnaire dont le titre n’a pas été précisé : « Agit constamment de façon compétente, au point où ces actions sont prévisibles » [traduction]. Il soutient que la définition fournie par l’intimé ne constitue pas une définition de la fiabilité. L’intimé a donné la définition suivante : « Adopte un comportement conforme aux valeurs et à l’éthique véhiculées par la fonction publique; fait preuve d’intégrité et de respect dans son travail » [traduction].

31Le plaignant affirme que l’intimé n’a pas respecté l’équité, au cours de ce processus de nomination, qui constitue une valeur dans la fonction publique. Il explique que, selon les Lignes directrices en matière d’évaluation de la Commission de la fonction publique (CFP), les processus et les méthodes d’évaluation doivent permettre d’évaluer d’une manière efficace les qualifications essentielles et les autres critères de mérite, et ils doivent être utilisés de manière équitable. En outre, il maintient que les processus et les outils doivent être directement liés aux critères de mérite énoncés et permettre d’évaluer ces critères de façon appropriée, que les candidats doivent avoir la possibilité de démontrer leur mérite par rapport au poste à doter, et que les gestionnaires doivent fournir une justification solide à l’appui de leurs décisions.

32Le plaignant soutient que l’intimé a abusé de son pouvoir en utilisant des méthodes d’évaluation non raisonnables ou qui ne permettent pas d’évaluer les qualifications figurant dans l’énoncé des critères de mérite. À l’appui de cette argumentation, il cite la décision Madracki c. Canada, (1987) 72 N.R. 257, [1986] A.C.F. no 727 (QL) (C.A.F.) de la Cour fédérale et le paragraphe 77 de la décision Jolin c. Administrateur général de Service Canada et al.,[2007] TDFP 0011.

33Il fait également valoir que, selon les Lignes directrices en matière d’évaluation, les personnes faisant l’objet d’une évaluation doivent être informées en temps opportun des méthodes d’évaluation qui seront utilisées. Il explique que ce critère n’a pas été respecté. Dans le courriel de convocation à l’entrevue en date du 10 juillet 2008, il n’était pas mentionné que le jugement et la fiabilité seraient évalués au cours de l’entrevue.

34Le plaignant cite l’article 36 de la LEFP afin de démontrer que les références constituent un moyen valide pour l’évaluation du rendement et des réalisations antérieures. Il mentionne que ses trois références permettent de démontrer que, selon son rendement antérieur, son comportement sur le plan du jugement et de la fiabilité est excellent, mais cette information n’a pas été utilisée et, par conséquent, le critère de mérite n’a pas été évalué de manière appropriée.

35Le plaignant cite également la décision Finney c. Barreau du Québec, [2004] 2 R.C.S. 17; [2004] A.C.S. no 31 (QL), à l’appui de son affirmation selon laquelle le Tribunal pourrait déterminer qu’il y a eu mauvaise foi en l’espèce, compte tenu de la négligence ou de l’insouciance grave dont l’intimé a fait preuve en utilisant des outils d’évaluation inadéquats et en n’accordant pas l’importance qu’il se doit à la vérification des références. En outre, il soutient que quatre des cinq types d’abus de pouvoir définis par David Phillip Jones et Anne S. de Villars, dans l’ouvrage Principles of Administrative Law (Toronto : Thomson Carswell, 2004), s’appliquent en l’espèce.

36Le plaignant a indiqué qu’il ne demandait pas la révocation de la nomination de la personne nommée. Il demande une nouvelle évaluation équitable afin que sa candidature figure dans le bassin pour la dotation d’autres postes de gestionnaire de secteur. Il demande au Tribunal d’ordonner à l’intimé de corriger les lacunes dans le processus d’évaluation et de l’évaluer à nouveau en utilisant des questions appropriées et en accordant l’importance qu’il se doit aux références.

B) Argumentation de l’intimé

37L’intimé soutient que, selon le paragraphe 30(2) et l’article 36 de la LEFP, il incombe au gestionnaire délégataire d’établir les qualifications essentielles liées au poste à doter et de déterminer la façon dont elles seront évaluées. L’intimé a cité la décision Visca c. Sous‑ministre de la Justice et al., [2007] TDFP 0024, plus particulièrement le paragraphe 51, qui porte sur le vaste pouvoir discrétionnaire dont les gestionnaires disposent en vertu de l’article 36.

38Selon l’intimé, il faut accorder beaucoup de poids aux éléments de preuve présentés par les deux gestionnaires supérieurs. Ces derniers ont démontré qu’ils connaissent bien les fonctions et les responsabilités liées au poste à doter. Par ailleurs, le plaignant n’a jamais travaillé pour le Programme des ports pour petits bateaux et il n’a pas travaillé dans un domaine lié au Programme depuis dix ans. Il n’occupe pas un poste de gestionnaire et ne supervise aucun employé, pas plus qu’il n’a de responsabilités en matière de budgets.

39L’intimé croit que les éléments de preuve démontrent qu’il existe un lien clair entre le travail à accomplir, les qualifications qui ont été évaluées et les questions d’entrevue qui ont été posées. L’intimé n’est pas tenu de prouver que les méthodes, les processus et les outils d’évaluation sont directement liés aux critères de mérite. C’est au plaignant qu’il incombe de démontrer qu’ils ne le sont pas. En outre, rien ne prouve que l’outil d’évaluation comporte des lacunes.

40Selon l’intimé, le plaignant n’a pas satisfait au critère en matière de fiabilité parce qu’il n’a pas démontré qu’il pouvait adopter les comportements attendus de la part d’un gestionnaire supérieur occupant un poste de nature très délicate comme celui-ci. Selon les éléments de preuve, la fiabilité ne consiste pas seulement à se présenter au travail. L’adoption d’un comportement conforme aux valeurs et à l’éthique véhiculées par la fonction publique constitue un élément essentiel pour ce poste, et les gestionnaires s’attendaient à ce que les candidats manifestent les comportements souhaités. La définition du terme « fiabilité » doit être établie en fonction du travail à accomplir. Le plaignant ne peut remplacer la définition utilisée par le comité d’évaluation par sa définition tirée d’un dictionnaire.

41La question sur le jugement était fondée sur une mise en situation réelle. M. Golding a expliqué l’origine de la mise en situation ainsi que son lien avec le travail à accomplir. Le plaignant a bien répondu à la question, mais sa réponse n’avait pas l’étendue et la profondeur attendues de la part d’une personne occupant un poste du niveau de gestionnaire de secteur.

42L’intimé a reconnu que, dans le courriel de convocation à l’entrevue envoyé au plaignant, il n’était pas indiqué que le jugement et la fiabilité faisaient partie des qualifications qui seraient évaluées. L’intimé n’a aucune explication quant à l’absence de ces critères. Cependant, selon l’annonce de possibilité d’emploi, les candidats doivent posséder les qualifications essentielles liées au poste à doter pour être nommés, et il est clairement indiqué dans l’énoncé des critères de mérite que le jugement et la fiabilité constituent des qualifications essentielles. Le fait d’être évalué en fonction de ces qualifications n’aurait donc pas dû surprendre le plaignant. De plus, ce dernier a eu presque sept mois, de la présentation de sa demande jusqu’à l’entrevue, pour se préparer à l’évaluation.

43L’intimé soutient que le fait d’avoir omis de mentionner les deux qualifications dans la convocation à l’entrevue envoyée au plaignant était simplement un oubli et ne constitue pas un abus de pouvoir. À l’appui de sa position, il a cité le paragraphe 65 de la décision Tibbs c. Sous‑ministre de la Défense nationale et al., [2006] TDFP 0008, le paragraphe 48 de la décision Visca, et le paragraphe 80 de la décision Oddie c. Sous‑ministre de la Défense nationale et al., [2007] TDFP 0030.

44L’intimé soutient que les références ont seulement été utilisées comme outil de validation. Étant donné qu’elles n’ont pas été notées ni pondérées, l’intimé ne peut accepter l’affirmation du plaignant selon laquelle il a obtenu d’excellentes références. Comme le plaignant n’a pas exercé de rôle de gestionnaire disposant de pouvoirs de signature et ayant des employés directement sous sa responsabilité depuis 2002, ses répondants ne seraient pas en mesure d’évaluer la façon dont il exercerait ces fonctions en tant que gestionnaire de secteur. Le comité d’évaluation a utilisé une mise en situation réelle pour évaluer le jugement et il n’aurait pas pu demander aux répondants, qui travaillent dans des secteurs différents, d’indiquer la façon dont le candidat exercerait ses fonctions, à titre de gestionnaire de secteur, dans cette situation.

45En citant les paragraphes 70 et 71 de la décision Lavigne c. le sous-ministre de la Justice, [2009] C.F. 684 et [2009] A.C.F. no 827 (QL), les paragraphes 47, 54 et 56 de la décision Portree c. Administrateur général de Service Canada et al., [2006] TDFP 0014, le paragraphe 66 de la décision Oddie et les paragraphes 26 à 32 de la décision Jolin, l’intimé a soutenu que ce n’est pas l’opinion du plaignant qui importe. Celui-ci ne peut pas se contenter de contester l’évaluation, mais il doit fournir des éléments de preuve convaincants en ce qui concerne l’abus de pouvoir afin de prouver ses allégations.

C) Argumentation de la Commission de la fonction publique

46La CFP fait remarquer que, selon l’article 16 de la LEFP, les administrateurs généraux sont tenus de se conformer aux Lignes directrices de la Commission de la fonction publique en matière de nomination, aux Lignes directrices en matière d’évaluation et aux Lignes directrices en matière de sélection et de nomination. La CFP a également élaboré une série de guides visant à expliquer la façon dont les lignes directrices devraient être mises en œuvre.

47La CFP a affirmé que la définition du terme « jugement », élaborée par l’intimé, ne lui semblait pas problématique outre mesure. Du point de vue des lignes directrices, ce sont plutôt la définition du terme « fiabilité » et la liste des critères visant à l’évaluer qui posaient problème.

48La CFP a indiqué que M. Loubar avait affirmé vouloir donner un sens plus large et plus détaillé au terme « fiabilité ». M. Golding a mentionné que le comité d’évaluation ne cherchait pas uniquement une personne très assidue. La CFP soutient que ce sens plus large n’était pas reflété dans l’énoncé des critères de mérite. Il y est seulement indiqué que la fiabilité constitue une qualification essentielle.

49Selon la section 1.3 de la Série d’orientation – Évaluation, sélection et nomination, au moment d’établir les qualifications essentielles, « [l]e ou la gestionnaire devrait préciser clairement ce qu’il ou elle recherche. Par exemple, au besoin, il ou elle devrait fournir davantage de détails sur les qualifications essentielles afin que les personnes puissent comprendre les attentes du ou de la gestionnaire ».

50La CFP convient que les valeurs et l’éthique sont importantes, mais elle soutient que cette qualification aurait dû figurer dans l’énoncé des critères de mérite afin de permettre un processus d’évaluation plus équitable et transparent.

51La CFP soutient que le fait d’avoir omis de se conformer à un critère des lignes directrices de la CFP ne constitue pas automatiquement un abus de pouvoir. Elle fait valoir qu’une constatation d’abus de pouvoir doit être fondée sur une intention illégitime, la mauvaise foi, le favoritisme personnel ou une négligence telle que l’on peut conclure qu’il y a eu mauvaise foi.

52La CFP a cité d’autres sources à l’appui de ses observations sur l’abus de pouvoir.

D) Réponse de l’intimé à l’argumentation de la Commission de la fonction publique

53L’intimé fait valoir que son interprétation de la preuve diffère de celle de la CFP. Il estime que la définition du terme « fiabilité » utilisée dans le processus d’évaluation est appropriée pour le poste de gestionnaire de secteur. Il soutient qu’il est impossible d’analyser la définition par rapport aux critères d’évaluation sans tenir compte de la question qui a été posée. Les critères illustrent les éléments attendus par le comité d’évaluation en réponse à la question. Les candidats n’étaient pas appelés à définir les termes « valeurs et éthique », mais à manifester les comportements attendus.

54L’intimé fait valoir que même si la CFP avait souhaité que l’énoncé des critères de mérite renferme une définition plus élaborée du terme « fiabilité », celui-ci constitue déjà un long document. De plus, toute personne qui se joint à la fonction publique doit signer un document dans lequel elle s’engage à respecter les valeurs et l’éthique adoptées. Selon l’intimé, « cela va de soi » [traduction]. Ce serait s’engager sur une pente dangereuse que d’exiger l’inclusion du critère « valeurs et éthique » dans tous les énoncés des critères de mérite. L’intimé a demandé pour la forme ce qui arriverait si, par exemple, une personne oubliait d’inclure ce critère.

55Il a également fait valoir que laSérie d’orientation – Évaluation, sélection et nomination – ne fait pas partie des lignes directrices et que les gestionnaires sont encouragés à suivre les conseils qui y sont formulés, mais ne sont pas tenus de le faire. En outre, le nom et le numéro de téléphone de M. Loubar figuraient sur l’annonce de possibilité d’emploi pour les candidats qui souhaitaient obtenir des renseignements supplémentaires au sujet du processus d’évaluation. Les coordonnées de la personne avec laquelle les candidats devaient communiquer s’ils avaient des questions concernant l’entrevue figuraient également dans le courriel de convocation à l’entrevue. Les candidats ont eu de multiples occasions d’obtenir des renseignements supplémentaires au besoin.

Législation pertinente

56La plainte a été présentée en vertu de l’alinéa 77(1)a) de la LEFP :

77. (1) Lorsque la Commission a fait une proposition de nomination ou une nomination dans le cadre d’un processus de nomination interne, la personne qui est dans la zone de recours visée au paragraphe (2) peut, selon les modalités et dans le délai fixés par règlement du Tribunal, présenter à celui-ci une plainte selon laquelle elle n’a pas été nommée ou fait l’objet d’une proposition de nomination pour l’une ou l’autre des raisons suivantes :

  1. abus de pouvoir de la part de la Commission ou de l’administrateur général dans l’exercice de leurs attributions respectives au titre du paragraphe 30(2);

[…]

57Selon l’article 16 et le paragraphe 29(3) de la LEFP, les administrateurs généraux sont tenus de se conformer aux lignes directrices de la CFP :

16. L’administrateur général est tenu, lorsqu’il exerce les attributions de la Commission visées à l’article 15, de se conformer aux lignes directrices visées au paragraphe 29(3).

29. […]

(3) La Commission peut établir des lignes directrices sur la façon de faire et de révoquer les nominations et de prendre des mesures correctives.

58Le paragraphe 30(2) de la LEFP est libellé comme suit :

30. […]

(2) Une nomination est fondée sur le mérite lorsque les conditions suivantes sont réunies :

  1. selon la Commission, la personne à nommer possède les qualifications essentielles ― notamment la compétence dans les langues officielles ― établies par l’administrateur général pour le travail à accomplir;
  2. la Commission prend en compte :
    1. toute qualification supplémentaire que l’administrateur général considère comme un atout pour le travail à accomplir ou pour l’administration, pour le présent ou l’avenir,
    2. toute exigence opérationnelle actuelle ou future de l’administration précisée par l’administrateur général,
    3. tout besoin actuel ou futur de l’administration précisé par l’administrateur général.

59L’article 36 de la LEFP est rédigé comme suit :

36. La Commission peut avoir recours à toute méthode d’évaluation – notamment prise en compte des réalisations et du rendement antérieur, examens ou entrevues – qu’elle estime indiquée pour décider si une personne possède les qualifications visées à l’alinéa 30(2)a) et au sous-alinéa 30(2)b)(i).

Analyse

Question I : L’outil d’évaluation a-t-il permis d’évaluer la qualification qu’il était censé évaluer? Dans la négative, l’intimé a-t‑il abusé de son pouvoir en utilisant cet outil?

60Selon les paragraphes 30(1) et 30(2) de la LEFP, une personne peut être nommée au poste si elle possède les qualifications essentielles, qui ont été établies par l’administrateur général, pour le travail à accomplir. Le fait de nommer une personne qui n’a pas démontré qu’elle possède les qualifications essentielles liées au poste constituerait une erreur grave et fondamentale. Comme l’a constaté le Tribunal au paragraphe 35 de la décision Rinn c. Sous‑ministre des Transports, de l’Infrastructure et des Collectivités et al., [2007] TDFP 0044 :

[35] Le mérite est maintenant lié au mérite individuel; pour être nommée, la personne doit répondre aux qualifications essentielles se rapportant au travail à effectuer. Il existe une latitude considérable pour choisir la personne qui fera l’objet d’une nomination. Cependant, l’exigence fondamentale pour nommer une personne sur la base du mérite est que la personne doit être qualifiée pour le poste.

61Il ne fait aucun doute que dans l’énoncé des critères de mérite lié au poste de gestionnaire de secteur, Ports pour petits bateaux, le jugement et la fiabilité constituent des qualifications essentielles. Ces qualifications sont énumérées, mais ne sont pas définies dans l’énoncé des critères de mérite.

62Le comité d’évaluation a utilisé la définition, la question et les critères d’évaluation suivants pour évaluer le jugement :

QP2 : Jugement

Définition : Prendre des décisions, se forger une opinion ou procéder à une évaluation de façon pertinente et judicieuse en distinguant et en comparant des données objectives et des facteurs subjectifs, et en établissant un lien entre ces éléments afin de tirer des conclusions générales.

Q2 : Dans le cadre de vos fonctions à titre de gestionnaire de secteur, Ports pour petits bateaux, vous devrez entretenir de bons rapports professionnels avec les élus des administrations portuaires de votre secteur, notamment avec les représentants de votre secteur qui sont membres du Comité consultatif régional des administrations portuaires. À la suite d’une des réunions régulières de ce comité, un des membres de votre secteur, avec lequel vous avez établi de bons rapports professionnels au fil des ans et qui a toujours contribué aux initiatives du ministère des Pêches et des Océans, vient vous parler. Il vous demande en privé de privilégier, en reconnaissance des bons rapports que vous entretenez, l’inclusion d’un important projet d’infrastructure dans son port au plan des dépenses de programme du prochain exercice qui est actuellement en cours de préparation. Comment géreriez‑vous cette situation?

Critères d’évaluation

  • Reconnaît les renseignements pertinents, détermine et évalue les solutions possibles et choisit celle qui convient le mieux.
  • Utilise l’information qu’il a obtenue pour établir d’autres marches à suivre et prend des décisions reflétant des renseignements factuels, reposant sur une hypothèse logique et tenant compte des ressources organisationnelles.
  • Prend des décisions éclairées et des mesures appropriées en ce qui a trait aux situations, aux personnes et aux questions, de façon à ce que les objectifs organisationnels soient atteints.
  • Perçoit clairement les solutions possibles et détermine facilement les avantages et les inconvénients de diverses solutions en fondant ses décisions sur des renseignements objectifs et des arguments logiques.
  • Prend en compte toutes les possibilités, en veillant à n’omettre aucun point important, et se soucie suffisamment des détails.
  • Évalue l’incidence des décisions et des mesures en examinant les solutions possibles.
  • Se préoccupe de l’efficacité et de la nature concrète des mesures prises.
  • Fait preuve de prévoyance pour éviter les problèmes futurs et se soucie du bien de l’organisation.
  • Applique les politiques, les principes et les processus à des situations données.
  • Prend les décisions et les mesures qui s’imposent.
  • Cerne les lacunes dans l’analyse et l’évaluation, et présente des solutions, des recommandations et d’autres possibilités afin de régler les problèmes.
  • Prévoit l’incidence des décisions prises sur les objectifs et sur l’organisation.

[traduction]

63Dans son témoignage, le plaignant a reconnu que le jugement constituait une qualification essentielle pour le poste de gestionnaire de secteur, mais il estime que les critères d’évaluation pour le jugement ne sont pas raisonnables et que la majorité d’entre eux ne sont pas liés à la mise en situation qui lui a été présentée. Le plaignant n’a fourni aucune autre explication, outre son allégation, à l’appui de sa position.

64Le plaignant a également déclaré que même si le comité d’évaluation ne lui a pas accordé la note de passage pour la question, il croit que sa réponse était satisfaisante. Le Tribunal fait remarquer que cette allégation vise à contester l’évaluation plutôt que l’outil d’évaluation.

65M. Golding a affirmé qu’il souhaitait utiliser un exemple réel pour évaluer le jugement. Il a expliqué la raison pour laquelle la mise en situation choisie était appropriée pour le poste de gestionnaire de secteur. Aucun élément de preuve permettant de réfuter la pertinence de l’exemple utilisé n’a été présenté. Les éléments de preuve soumis par M. Loubar appuyaient ceux de M. Golding. Les deux témoins de l’intimé ont affirmé que la réponse du plaignant à la mise en situation ne correspondait pas à ce qu’ils attendaient d’une personne occupant un poste du niveau de gestionnaire.

66 L’article 36 de la LEFP accorde aux administrateurs généraux un vaste pouvoir discrétionnaire en ce qui concerne le choix et l’utilisation des méthodes d’évaluation. Il n’y a rien de mal à utiliser une mise en situation pour évaluer le jugement, pourvu que la mise en situation permette d’évaluer cette qualification. Aucun élément de preuve présenté n’a permis de prouver que les critères d’évaluation ne sont pas liés au jugement et ne peuvent être évalués dans la réponse fournie par un candidat à propos de la mise en situation.

67Au paragraphe 55 de la décision Tibbs, le Tribunal a jugé que « […] les plaignants ont le fardeau de preuve en ce qui a trait aux plaintes d’abus de pouvoir déposées auprès du Tribunal ». Le plaignant ne s’est pas acquitté de ce fardeau, étant donné qu’aucun élément de preuve n’amène le Tribunal à conclure que l’intimé a abusé de son pouvoir lorsqu’il a évalué le jugement, choisi les critères d’évaluation ou utilisé la mise en situation pour évaluer les candidats en fonction de ces critères.

68En dépit de sa position selon laquelle l’outil d’évaluation n’a pas permis d’évaluer efficacement le jugement, le plaignant croit que sa réponse à la question a permis de démontrer qu’il savait faire preuve de jugement. Le comité d’évaluation lui a accordé la cote « bien », mais cette cote n’était pas suffisante pour que sa candidature soit retenue. Selon MM. Loubar et Golding, le comité d’évaluation attendait une réponse plus élaborée pour ce poste supérieur de groupe et de niveau PM‑05.

69Le Tribunal a conclu dans plusieurs décisions que son rôle consiste à examiner le processus utilisé par un administrateur général afin de s’assurer qu’il n’y a pas d’abus de pouvoir. Le Tribunal ne reprendra pas le processus de nomination ni ne déterminera si les réponses ont été correctement évaluées, à moins de preuve d’actes répréhensibles commis pendant le processus d’évaluation. (Voir, par exemple, le paragraphe 66 de la décision Oddie.) En l’espèce, le plaignant conteste les méthodes et les conclusions du comité d’évaluation, mais il n’a pas réussi à démontrer que le comité d’évaluation avait commis, de façon intentionnelle ou non, des actes répréhensibles lorsqu’il a évalué le jugement.

70Le comité d’évaluation a utilisé la définition, la question et les critères d’évaluation suivants pour évaluer la fiabilité :

QP4 : Fiabilité

Définition : Adopte un comportement conforme aux valeurs et à l’éthique véhiculées par la fonction publique; fait preuve d’intégrité et de respect dans son travail.

Q4 : Comment vous y prendriez‑vous pour garantir le respect des valeurs et de l’éthique véhiculées par la fonction publique dans les activités de votre unité de travail?

Critères d’évaluation

  • Adopte un comportement qui reflète un sens des valeurs et de l’éthique, et démontre notamment qu’il respecte le Code.
  • Intègre les valeurs et les principes d’éthique, y compris le Code, dans les pratiques de l’unité.
  • Démontre un engagement envers les citoyens et les clients dans ses activités personnelles et dans celles de l’unité.
  • Favorise la transparence, la confiance et le respect au sein de l’unité et dans les partenariats;
  • Intègre des pratiques équitables dans la planification des ressources humaines.
  • Encourage le bilinguisme et la diversité au sein de l’unité et donne son aval aux initiatives à cet effet, en se fondant sur les politiques relatives aux langues officielles et à l’équité en matière d’emploi.
  • Favorise l’établissement d’une unité saine, sûre et respectueuse, exempte de harcèlement et de discrimination, et en fait la promotion.
  • Fait preuve de transparence et d’équité dans toutes les opérations, y compris la dotation, la passation de marchés et les activités courantes.

[traduction]

71Le plaignant soutient que la définition susmentionnée n’a aucun lien avec le terme fiabilité.Il s’appuie sur la définition suivante du terme anglais reliability (fiabilité), tirée d’un dictionnaire dont le titre n’a pas été précisé : « Agir constamment de façon compétente, au point où ses actions sont prévisibles » [traduction].

72L’intimé a établi que la fiabilité constitue une qualification essentielle, mais il n’a pas défini cette qualification dans l’énoncé des critères de mérite.

73La question que le Tribunal doit trancher consiste à déterminer si l’intimé a évalué la fiabilité ou une autre qualification. Selon l’alinéa 30(2)a) de la LEFP, une personne peut être nommée au poste seulement si elle possède toutes les qualifications essentielles. Pour ce faire, elle doit être évaluée en fonction de toutes les qualifications essentielles.

74Selon les éléments de preuve soumis par les témoins de l’intimé, en évaluant cette qualification, le comité d’évaluation ne s’attendait pas à ce qu’une personne occupant un poste de gestionnaire de secteur leur démontre seulement qu’elle est très assidue. Il s’agit d’un poste de nature très délicate. Le titulaire doit travailler sous supervision minimale et traiter avec des représentants de l’industrie de la pêche, des administrations portuaires et des députés provinciaux et fédéraux. En outre, trois personnes relèvent du gestionnaire de secteur. M. Loubar a indiqué que le ministère comptait sur le gestionnaire de secteur pour qu’il agisse de manière appropriée. Selon M. Golding, l’adoption d’un comportement conforme aux valeurs et à l’éthique véhiculées par la fonction publique constitue un des principaux aspects de la fiabilité pour ce poste.

75Dans le dictionnaire en ligne Merriam-Webster Online Dictionary (http://www.merriam-webster.com/), le terme anglais reliable (fiable) est ainsi défini : « personne à qui on peut se fier, qui mérite la confiance : fiable » [traduction]. Selon le Oxford Dictionary of Current English, second edition, le même terme est défini comme suit : « personne dont le comportement ou les qualités sont toujours appropriés; fiable » [traduction].

76Le dictionnaire en ligne Cambridge Dictionaries Online (http://dictionary.cambridge.org/), définit ainsi ce terme : « Quelque chose ou quelqu’un qui est fiable, en qui ou en quoi on peut avoir confiance ou que l’on peut croire parce qu’il ou elle travaille ou se comporte de la façon prévue » [traduction].

77En l’espèce, le Tribunal estime que la décision de l’intimé d’utiliser les valeurs et l’éthique pour évaluer la fiabilité à un niveau supérieur concorde avec la définition du terme « fiabilité » qui figure généralement dans les dictionnaires courants. Les valeurs et l’éthique, qui ont été définies aux fins du processus d’évaluation visé, ont servi à déterminer s’il s’agit d’une « personne dont le comportement ou les qualités sont toujours appropriés », d’une « personne à qui on peut se fier, qui mérite la confiance » ou d’une « personne sur qui on peut compter » [traduction]. Ces définitions correspondent aux qualités recherchées par le comité d’évaluation.

78L’intimé ne s’attendait pas à ce que le candidat ne démontre qu’un faible niveau de fiabilité. Étant donné qu’il s’agit d’un poste supérieur, l’intimé s’attendait à ce que les candidats démontrent un niveau de fiabilité supérieur en indiquant qu’ils peuvent adopter un comportement conforme aux valeurs et à l’éthique véhiculées par la fonction publique et faire preuve d’intégrité et de respect dans leur travail. Il aurait été utile pour les candidats de connaître le niveau de fiabilité recherché. Même si le fait de ne pas avoir fourni de renseignements supplémentaires sur les qualifications essentielles à évaluer ne constitue pas un abus de pouvoir en l’espèce, une telle mesure aurait accru la clarté et la transparence du processus de nomination.

79Aux paragraphes 50 et 51 de la décision Neil c. Sous‑ministre d’Environnement Canada et al., [2008] TDFP 0004, le Tribunal a formulé les remarques suivantes au sujet des renseignements fournis aux candidats :

[50] Le Tribunal tient à souligner que, bien qu’il ne soit pas obligatoire d’informer les candidats de tous les détails concernant la façon dont une qualification en particulier sera évaluée, il est dans l’intérêt de tous de faire preuve de clarté et de transparence dans la mesure du possible dans le cadre d’un processus de nomination. Il s’agit de s’assurer que tous ceux qui possèdent effectivement une qualification peuvent le démontrer et passer à la prochaine étape du processus. Il aurait donc été préférable que l’intimé fournisse aux candidats plus de détails dans l’énoncé des critères de mérite sur la façon dont « l’expérience appréciable » serait évaluée par le comité. Cette démarche est d’ailleurs recommandée dans la Série d’orientation de la Commission de la fonction publique portant sur l’évaluation, la sélection et la nomination.

[…]

[51] Toutefois, le fait de ne pas informer les candidats de la définition précise d’un critère de mérite ne constitue pas, en soi, un abus de pouvoir. La qualification choisie par les gestionnaires et en fonction de laquelle les candidats seraient évalués figurait dans l’énoncé des critères de mérite. Le Tribunal estime que cette qualification était suffisamment détaillée pour permettre aux candidats de démontrer qu’ils la possédaient.

80 Le Tribunal a formulé des remarques semblables dans la décision Bell c. Administrateur général de Service Canada et al., [2008] TDFP 0033 et la décision Richard c. Sous-ministre de Patrimoine canadien et al., [2009] TDFP 0012. Néanmoins, tout comme dans ces autres décisions, le Tribunal juge que le fait de ne pas avoir fourni aux candidats les définitions des critères de mérite ne constitue pas, en soi, un élément suffisant pour justifier une plainte d’abus de pouvoir.

81À la lumière des éléments de preuve présentés par MM. Loubar et Golding, le Tribunal est convaincu que le comité d’évaluation a utilisé une définition qui concordait avec les définitions courantes du terme « fiable », et que les critères d’évaluation utilisés étaient appropriés pour la définition.

82En conclusion, le Tribunal juge que le plaignant n’a pas réussi à établir que les outils d’évaluation qui ont servi à évaluer le jugement et la fiabilité n’étaient pas liés aux qualifications faisant l’objet de l’évaluation.

Question II : L’intimé a‑t‑il abusé de son pouvoir lorsqu’il a convoqué le plaignant à une entrevue sans lui mentionner toutes les qualifications qui seraient évaluées pendant l’entrevue?

83L’intimé convient qu’il n’a pas indiqué au plaignant, dans le courriel de convocation à l’entrevue, que le jugement et la fiabilité feraient partie de son évaluation. L’intimé n’a fourni aucune explication concernant cette omission, et il indique qu’il s’agit d’un oubli, et non d’un abus de pouvoir.

84Le plaignant reconnaît qu’il savait que le jugement et la fiabilité étaient des qualifications figurant dans l’énoncé des critères de mérite lié au poste à doter, mais il ne s’attendait pas à ce que ces qualités soient évaluées au cours de l’entrevue. Le Tribunal estime que selon toute probabilité, il aurait été utile pour le plaignant, lorsqu’il s’est préparé pour l’entrevue, de savoir qu’il serait évalué en fonction de ces qualifications.

85Dans la décision Tibbs, le Tribunal a conclu ce qui suit :

[66] […] [L’]abus de pouvoir comprendra toujours une conduite irrégulière, mais la mesure dans laquelle la conduite est irrégulière peut déterminer si elle constitue un abus de pouvoir ou non.

[…]

[73] L’abus de pouvoir constitue plus que simplement des erreurs ou omissions. Cependant, le fait que le délégué se fonde sur des éléments insuffisants, ou qu’il ait pris des mesures déraisonnables ou discriminatoires par exemple peut constituer des erreurs graves ou des omissions importantes qui équivalent à un abus de pouvoir, même si involontaire.

86Le fait que l’intimé n’a pas informé le plaignant de toutes les qualifications qui seraient évaluées pendant l’entrevue constitue une erreur dans l’administration du processus d’évaluation. Cependant, cette erreur n’est pas suffisante en l’espèce pour mener à une constatation d’abus de pouvoir. Rien ne prouve que cet acte constitue de la mauvaise foi ou qu’il ne s’agisse pas que d’une simple erreur de transcription. Aucun élément de preuve ne démontre que le plaignant a été traité différemment des autres candidats dans la convocation à l’entrevue qu’ils ont reçue, ou qu’un candidat a reçu plus de renseignements que ceux qui ont été fournis au plaignant. Les règles du jeu n’étaient pas parfaites, mais rien n’indique que ces règles n’étaient pas appropriées pour les candidats.

87Le Tribunal estime que le fait que l’intimé a omis d’indiquer au plaignant que le jugement et la fiabilité faisaient partie des qualifications en fonction desquelles il serait évalué pendant l’entrevue ne constitue pas un abus de pouvoir au sens de la LEFP.

Question III : L’intimé a‑t‑il abusé de son pouvoir par une évaluation inadéquate des références du plaignant?

88Le plaignant soutient qu’il avait d’excellentes références en ce qui concerne la fiabilité et le jugement, et que le fait que l’intimé n’ait pas utilisé ces références lorsqu’il a évalué ces qualifications signifie que l’évaluation comportait des lacunes.

89Toutefois, comme l’indique le témoignage de M. Loubar, il est indiqué sur l’annonce de possibilité d’emploi liée au poste à doter qu’il « pourrait » y avoir une vérification des références. Selon l’article 36 de la LEFP, les administrateurs généraux peuvent utiliser les références à titre de méthode d’évaluation, mais ils ne sont pas tenus de le faire (voir le paragraphe 69 de la décision Charest c. Sous‑ministre de Ressources humaines et Développement social Canada et al., [2008] TDFP 0019).

90Le comité d’évaluation a décidé d’utiliser les références uniquement pour valider les résultats de l’évaluation et pour s’assurer qu’il n’y aurait pas de « mauvaises surprises » [traduction]. Les éléments de preuve présentés démontrent que le jugement a été évalué pendant l’entrevue à l’aide d’une mise en situation réelle fondée sur le poste à doter. La fiabilité a été évaluée au moyen d’une question dans laquelle les candidats étaient appelés à décrire la façon dont ils veilleraient au respect des valeurs et de l’éthique véhiculées par la fonction dans les activités de l’unité de travail. Dans les deux cas, le comité d’évaluation cherchait à évaluer la façon dont les candidats exerceraient leurs fonctions s’ils étaient nommés à ce poste. La façon dont les candidats ont exercé leurs fonctions dans leur poste actuel ou antérieur n’intéressait le comité que si les références fournissaient des renseignements qui ne concordaient pas avec les conclusions tirées au cours de l’entrevue. Selon M. Loubar, les références de tous les candidats, à l’exception d’une seule personne, étaient positives, et n’ont eu aucune incidence sur les résultats du processus de nomination.

91Étant donné qu’aucune cote n’a été attribuée pour les références, l’allégation du plaignant, selon laquelle ses références étaient excellentes, ne peut être confirmée. En outre, compte tenu de l’approche de l’intimé concernant l’utilisation des références, ces dernières ne seraient pertinentes que s’il était déterminé qu’elles ne concordaient pas avec les résultats de l’entrevue et qu’elles avaient eu une incidence négative sur l’évaluation du plaignant. Selon les éléments de preuve présentés, les références n’ont pas eu d’incidence négative sur l’évaluation du plaignant.

92Le Tribunal estime que l’intimé n’était pas tenu d’attribuer une cote pour les références fournies au sujet du plaignant lorsqu’il a évalué le jugement et la fiabilité pour le poste à doter. Par conséquent, l’intimé n’a pas abusé de son pouvoir en n’attribuant pas de cote pour les références et en ne les incluant pas dans l’évaluation du plaignant.

93 En conclusion, le Tribunal juge que l’administration du processus de nomination n’était pas parfaite, mais que les lacunes constatées n’étaient pas répréhensibles au point de l’amener à conclure qu’il y a eu abus de pouvoir.

Décision

94Pour tous ces motifs, la plainte est rejetée.

Kenneth J. Gibson

Membre

Parties au dossier

Dossier du Tribunal:
2009-0019
Intitulé de la cause:
John Costello et le sous-ministre de Pêches et Océans Canada et al.
Audience:
Les 1 et 2 septembre 2009
St. John's (T.-N.-L>
Date des motifs:
Le 9 décembre 2009

Comparutions:

Pour les plaignante:
John Costello
Pour l'intimé:
Karen L. Clifford
Pour la Commission
de la fonction publique:
Marc Séguin
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