Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le plaignant a fait valoir que le choix de l’intimé d’utiliser un processus de nomination non annoncé s’apparentait à une discrimination raciale à son égard. Selon lui, le choix de ce type de processus constitue de la discrimination systémique où les obstacles à l’emploi entraînent la concentration des membres des minorités visibles dans des postes subalternes. Il a ajouté que cette situation a fait l’objet de plusieurs rapports d’étude des systèmes d’emploi. L’intimé a nié avoir abusé de son pouvoir et fait preuve de discrimination à l’égard du plaignant par le fait de mener ce processus de nomination non annoncé. Il a soutenu avoir opté pour le processus non annoncé par souci d’équité envers les employés, à la suite de la décision de remplacer des postes existants par de nouveaux postes. L’intimé a ajouté que le fait de procéder ainsi éliminait la nécessité de déclarer excédentaires les employés concernés tout en leur garantissant un emploi continu. Décision : Une preuve prima facie de discrimination s’apparente à celle concernant les allégations formulées en l’espèce; et le fait de croire à une telle preuve la rend complète et suffisante pour justifier une constatation de discrimination en l’absence de réplique de l’intimé. La preuve à l’appui d’une allégation de discrimination systémique peut servir de preuve circonstancielle de discrimination directe à l’endroit d’une personne. Le Tribunal a conclu que le plaignant n’avait pas produit de preuve circonstancielle suffisante pour appuyer son allégation de discrimination systémique. Dans le même ordre d’idées, le plaignant n’avait pas établi un lien direct entre la preuve de discrimination systémique et celle se rapportant à sa propre situation. Le plaignant n’avait donc pas établi de preuve prima facie de discrimination. Le Tribunal a estimé d’autre part que l’explication de l’intimé par rapport au choix d’un processus non annoncé était raisonnable et non discriminatoire. Enfin, le Tribunal a fait remarquer que vu l’importance de la législation sur les droits de la personne et son statut quasi constitutionnel au Canada, il ne devrait faire aucun doute que la discrimination est une pratique inacceptable et qui constitue un abus de pouvoir. Plainte rejetée.

Contenu de la décision

Coat of Arms - Armoiries
Dossier:
2007-0127
Rendue à:
Ottawa, le 21 décembre 2009

NORM MURRAY
Plaignant
ET
LE PRÉSIDENT DE LA COMMISSION DE L'IMMIGRATION ET DU STATUT DE RÉFUGIÉ DU CANADA
Intimé
ET
AUTRES PARTIES

Affaire:
Plainte d'abus de pouvoir aux termes de l'alinéa 77(1)b) de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique
Décision:
La plainte est rejetée
Décision rendue par:
Guy Giguère, président
Langue de la décision:
Anglais
Répertoriée:
Murray c. le président de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié et al.
Référence neutre:
2009 TDFP 0033

Motifs de la décision

Introduction

1Norm Murray est agent préposé aux cas, groupe et niveau PM-01, à la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (CISR) à Toronto. M. Murray se plaint  que le choix de l’intimé d’utiliser un processus de nomination non annoncé en vue de doter des postes PM‑05 constitue de la discrimination raciale à son égard. Il allègue que ce processus non-annoncé constitue de la discrimination systémique où les obstacles à l’emploi entraînent la concentration des membres des minorités visibles dans des postes d’agents préposés aux cas au groupe et au niveau PM‑01. Il avance que cette concentration à la CISR a fait l’objet de plusieurs rapports d'étude des systèmes d'emploi.

2L’intimé, le président de la CISR, nie avoir abusé de son pouvoir et fait preuve de discrimination à l’endroit du plaignant par le fait de mener ce processus de nomination non annoncé. Selon l’intimé, un processus non annoncé a été choisi par souci d’équité envers les agents de la protection des réfugiés déjà en poste, à la suite de la décision de remplacer les postes d’agent de protection des réfugiés PM‑04 par de nouveaux postes PM‑05. Le fait de procéder ainsi éliminait la nécessité de déclarer excédentaires les employés concernés tout en leur garantissant un emploi continu.

Contexte

3En octobre 2006, la CISR a annoncé son intention d’intégrer ses opérations de soutien au tribunal, ce qui a entraîné une réorganisation. Les postes d’agent de protection des réfugiés du niveau PM‑04 ont été remplacés par des postes d’agent du tribunal du niveau PM‑05. Les titulaires de ces postes ont été évalués. Les personnes qui se sont qualifiées ont été nommées aux nouveaux postes PM‑05 au moyen du processus de nomination non annoncé 07‑IRB‑INA‑03-13392; celles qui ne se sont pas qualifiées sont demeurées au niveau PM‑04 et ont été nommées aux postes d’agent du tribunal (perfectionnement), pour lesquels des plans de formation ont été mis en place.

4Le plaignant a présenté une plainte auprès du Tribunal de la dotation de la fonction publique (le Tribunal) le 21 mars 2007. Il a présenté une seconde plainte portant sur les mêmes questions et contenant des précisions supplémentaires, le 4 avril 2007. Les deux plaintes ont été déposées en vertu de l’article 77 de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique L.C. 2003, ch. 22, articles 12 et 13 (la LEFP) et portaient sur le processus de nomination 07-IRB-INA-03-13392.

5Au début de l’audience, l’intimé a demandé que les deux plaintes soient jointes. En vertu de l’article 8 du Règlement du Tribunal de la dotation de la fonction publique, DORS/2006-06,les plaintes ont été jointes. 

Questions en litige

6Le Tribunal doit se prononcer sur les questions suivantes :

  1. Le plaignant a-t-il le droit de présenter cette plainte?
  2. Le plaignant a­‑t‑il démontré prima facie que le choix du processus de nomination non annoncé constituait de la discrimination?
  3. Dans l’affirmative, l’intimé a-t‑il fourni une explication raisonnable à l’appui du choix d’un processus de nomination non annoncé? 

Résumé des éléments de preuve pertinents

Création des nouveaux postes d’agent du tribunal et d’agent du tribunal (perfectionnement)

7La CISR est le plus important tribunal au Canada; environ 1 000 personnes travaillent à son administration centrale située à Ottawa, de même que dans ses bureaux régionaux de Toronto, de Montréal et de Vancouver ainsi que d’autres bureaux partout au pays. Elle compte trois sections, chacune ayant son propre mandat. La Section de la protection des réfugiés est la plus importante des trois; elle a pour mandat de statuer sur les demandes d'asile présentées au Canada. La Section de l’immigration mène des enquêtes d’immigration et des contrôles des motifs de détention. La Section d’appel de l’immigration instruit les appels de demandes de parrainage, les appels relatifs à certaines mesures de renvoi concernant l’obligation de résidence ainsi que les appels interjetés par le ministre de la Citoyenneté, de l'Immigration et du Multiculturalisme concernant les décisions de la Section de l’immigration en matière d’admissibilité.

8Serge Tanguay occupe le poste de directeur général adjoint de la Direction générale des opérations à la CISR depuis les quatre dernières années. Il a témoigné au nom de l’intimé. Il a décrit le contexte entourant la décision de réorganiser les fonctions de soutien pour les audiences à la CISR. Quand M. Tanguay a commencé à travailler à la CISR en 2003, il y avait un important arriéré d’environ 50 000 cas de demandeurs d’asile; il a expliqué que la CISR peut traiter environ 25 000 de ces cas par année. Afin de traiter cet arriéré, le Conseil du Trésor a consenti un financement temporaire en vue de la création d’un bureau qui y était entièrement consacré. Des commissaires supplémentaires ont été nommés et de nouveaux agents de la protection des réfugiés et agents du greffe ont été embauchés. La CISR a réussi à traiter tout l’arriéré.

9Au cours de cette période, le plaignant a occupé à titre intérimaire un poste d’agent de protection des réfugiés, groupe et niveau PM‑04, à la Section de la protection des réfugiés, et ce, pendant trois ans à compter de 2002.

10M. Tanguay a expliqué qu’après l’élimination de l’arriéré, un réaménagement des effectifs a eu lieu à la CISR en 2005 et en 2006. Il a souligné que ce réaménagement avait été rendu nécessaire en raison d’une diminution significative du nombre de revendications du statut de réfugié à la suite des attentats du 11 septembre 2001, lesquels ont occasionné une réduction du nombre de voyages par avion de même que la mise en œuvre de nouvelles mesures de sécurité. Le réaménagement de l’effectif visait certains agents de protection des réfugiés et certains employés nommés pour une période déterminée. L’exercice s’est avéré un succès, car il n’a donné lieu à aucune mise à pied.

11Alors que les revendications du statut de réfugié ont diminué, le nombre d’appels en matière d’immigration a augmenté au fil des ans; la Section d’appel de l’immigration s’est donc trouvée aux prises avec un nombre accru d’appels. M. Tanguay a expliqué que dans le but de faire face à cette augmentation, la Section d’appel de l’immigration avait lancé un programme d’innovation visant à simplifier le processus d’appel en réduisant le fardeau associé aux procédures judiciaires.

12Plusieurs façons d’y parvenir ont été cernées. La simplification des dossiers a été mise en œuvre afin de permettre une résolution rapide de certains cas. De plus, un soutien additionnel pour les audiences a été fourni aux commissaires sous la forme d’examens approfondis des dossiers et d’analyses du contexte. Les tâches liées au mode alternatif de règlement des conflits (MARC) telles que la médiation ont été attribuées à des fonctionnaires pour que les commissaires puissent se consacrer entièrement aux audiences.

13La CISR était également confrontée à un problème de prestation lié à l’affectation du personnel dans les différentes sections. Plus particulièrement, il n’était pas possible d’affecter d’agents de protection des réfugiés à d’autres sections, car ce poste n’existait qu’à la Section de la protection des réfugiés. La situation a été étudiée, et un projet d’envergure mettant à contribution un certain nombre d’employés a été mis en œuvre en vue de permettre une meilleure intégration des trois sections de la CISR.

14En 2006-2007, la CISR a entrepris la mise en œuvre d’une nouvelle structure des services de soutien pour les audiences dans toutes les sections, qui comprenait de nouvelles fonctions, de nouvelles descriptions de travail, de nouveaux postes et de nouveaux profils de compétences. La nouvelle structure comptait quatre niveaux de classification et quatre descriptions de travail génériques : PM-06 (directeur adjoint), PM‑05 (agent du tribunal), PM‑04 (agent du tribunal (perfectionnement)) et CR‑05 (adjoint administratif).

15Le plaignant a expliqué que son intérim à titre d’agent de protection des réfugiés a pris fin en 2006 à la suite du réaménagement de l’effectif occasionné par le manque de travail. Toutefois, selon lui, le réaménagement n’était pas justifié, car il y avait un important arriéré de cas dans d’autres sections. 

16Le plaignant a déclaré que, six mois après la fin de son intérim en tant qu’agent de protection des réfugiés, il avait appris que la CISR convertissait les postes d’agent de protection des réfugiés en postes d’agent du tribunal. Le plaignant a consulté M. Helden, conseiller en ressources humaines, pour savoir comment poser sa candidature à ces nouveaux postes; celui‑ci lui a répondu qu’il ne pouvait pas le faire, car il s’agissait d’une promotion. Néanmoins, le plaignant lui a envoyé une note indiquant qu’il désirait poser sa candidature. 

17La création des nouveaux postes d’agent du tribunal impliquait l’abolition des postes d’agents de protection des réfugiés. En vue de permettre à tous les agents de protection des réfugiés d’acquérir les compétences nécessaires pour s’acquitter des fonctions d’agent du tribunal, des plans d’apprentissage individuels ont été élaborés à leur intention et une formation leur a été offerte. Tous les candidats ont été évalués pendant l’hiver 2006‑2007 au regard du profil de compétences du poste d’agent du tribunal.  

18Les candidats possédant le profil de compétences requis ont été promus au poste d’agent du tribunal au moyen d’un processus de nomination non annoncé. Ceux qui ne l’avaient pas sont demeurés au groupe et au niveau PM‑04 et ont été nommés au poste d’agent du tribunal (perfectionnement). Une fois qu’ils avaient acquis les compétences requises et qu’ils avaient été évalués, ils étaient promus au poste d’agent du tribunal (PM‑05). Chacun des postes d’agent de protection des réfugiés a été aboli après que son titulaire a accepté un poste dans la nouvelle structure des services de soutien pour les audiences. Le réaménagement n’a posé aucun problème, car il y avait autant de nouveaux postes que d’employés occupant un poste d’agent de protection des réfugiés.

19Edith Baragar a témoigné au nom du plaignant. Elle est actuellement agente d’immigration, mais elle a déjà travaillé à la CISR. En 2007, elle travaillait comme agente de protection des réfugiés; elle a subi un processus d’évaluation, après quoi elle a été nommée agente du tribunal et affectée à la Section de la protection des réfugiés. Elle a expliqué que ses fonctions d’agente du tribunal étaient identiques à celles qu’elle occupait en tant qu’agente de protection des réfugiés. Elle interrogeait le demandeur et contre‑interrogeait les témoins dans la salle d’audience; elle procédait aussi aux entrevues dans le cadre des processus accélérés visant les ressortissants de pays dont le taux d’acceptation est élevé. Le reste du temps, elle se préparait pour les audiences, faisait des recherches et fournissait des renseignements pertinents se rapportant aux cas.

20Mme Baragar a toutefois indiqué qu’il y avait deux types distincts d’agents de protection des réfugiés. Certains agents étaient responsables de l’examen initial, de l’établissement des questions à examiner et de la divulgation initiale. D’autres se chargeaient des audiences et du processus accéléré. En contre-interrogatoire, elle a également expliqué que le poste d’agent de protection des réfugiés n’existait que dans la Section de la protection des réfugiés, mais qu’en revanche, le nouveau poste d’agent du tribunal se trouvait dans les trois sections de la CISR.

Choix d’un processus de nomination non annoncé

21Carole Cyr est directrice générale des ressources humaines à la CISR depuis août 2006. Elle a témoigné au nom de l’intimé. Mme Cyr a expliqué que la CISR avait consulté la Commission de la fonction publique (CFP) à propos du choix d’un processus non annoncé pour doter les nouveaux postes d’agent du tribunal. Elle a déclaré que ce choix était en conformité avec deux critères de la Politique sur le choix d'un processus de nomination : critères pour les processus non annoncés de la CISR, notamment le critère 6, « une nomination suivant une décision de classification à l’égard du poste d’attache d’un fonctionnaire» et, étant donné la portée considérable de cette décision, le critère 11, qui requiert l’approbation du secrétaire général.

22Mme Cyr a déclaré qu’une justification écrite avait été préparée afin d’expliquer le choix d’un processus non annoncé. Un document de questions et réponses à l’intention des employés expliquait plus en détail les changements à venir concernant la nouvelle structure des services de soutien pour les audiences. Ces changements, ainsi que les rapports sur leur mise en œuvre, ont fait l’objet de discussions lors de rencontres régulières du Comité national de consultation patronale-syndicale de la CISR. En outre, une conférence nationale a été tenue en novembre 2006 afin d’expliquer aux employés la nouvelle structure des services de soutien pour les audiences et des changements qui allaient en découler.

Concentration des membres des minorités visibles aux postes d’agent préposé aux cas

23En 1997, la CISR a entrepris un examen des systèmes d’emploi (ESE), tel que l’exige la Loi sur l’équité en matière d’emploi, L.C. 1995, ch. 44, afin de déterminer quels obstacles à l’emploi touchent les membres des groupes visés par l’équité en emploi. À la suite de cet examen, la Commission canadienne des droits de la personne (CCDP) a mené une vérification au sein de la CISR et a présenté un rapport provisoire en août 1999. La CCDP a constaté que l’ESE était utile, mais que l’enquête sur les obstacles à l’emploi touchant certains groupes désignés (membres des minorités visibles, Autochtones et personnes handicapées) présentait des lacunes. La CISR a donc été tenue de réaliser un ESE de suivi. Le rapport qui en a découlé, déposé le 15 octobre 2000, préparé par Hara Associates inc. et intitulé Commission de l’immigration et du statut de réfugié : Équité en emploi - Examen des systèmes d’emploi rapport de suivi  (Le rapport Hara) 15 octobre 2000 (le rapport Hara), a été produit en preuve à l’audience.

24Mme Cyr est responsable de l’équité en matière d’emploi à la CISR. Elle a expliqué que l’une des trois questions clés soulignées dans le rapport Hara était de savoir s’il existait ou non une concentration d’employés membres de minorités visibles aux niveaux inférieurs du groupe PM.

25Mme Cyr a fait remarquer que selon le rapport, le nombre de promotions visant des candidats appartenant à une minorité visible était plus que représentatif et que la concentration aux niveaux inférieurs était attribuable au fait que les postes de niveau supérieur étaient offerts à des personnes provenant d’autres ministères. Elle a déclaré que le rapport Hara avait établi qu’un besoin opérationnel légitime justifiait la structure PM‑01 et PM‑04 qui était en place à ce moment‑là; elle a ajouté que, bien qu’il s’agisse d’un parcours professionnel difficile, il était possible de gravir les échelons du groupe PM à la CISR. Elle a fait référence aux passages du rapport Hara indiquant que la concentration aux niveaux inférieurs n’était ni acceptable, ni inacceptable, mais neutre.

26Le rapport Hara a également examiné d’autres facteurs susceptibles d’influencer les possibilités de promotion des employés membres de minorités visibles. Il faisait état notamment d’un manque de transparence dans le processus par lequel les employés étaient évalués et promus au sein du groupe PM. Selon le rapport Hara, ce manque de transparence risquait d’entraîner un recours accru aux systèmes informels qui défavorisent les groupes de minorités visibles. Plus particulièrement, l’évaluation du rendement n’était pas appliquée de façon cohérente; il n’y avait pas de plan d’apprentissage pour les employés et les profils de compétences des postes n’avaient pas été élaborés. Le rapport Hara présentait plusieurs recommandations visant à régler les problèmes soulevés.

27Mme Cyr a affirmé qu’à la suite du rapport Hara, en 2001, la CCDP avait constaté que la CISR respectait les exigences de la Loi sur l’équité en matière d’emploi. Elle a déclaré que toutes les recommandations du rapport Hara avaient été dûment prises en compte; elle a présenté en preuve un document intitulé Rapport Hara : recommandations et mesures ultérieures.

28Le plaignant a expliqué qu’il est demeuré au même poste d’attache qu’à son entrée à la CISR en 1989, soit agent préposé aux cas à la Section d’appel de l’immigration au groupe et au niveau PM‑01. Il joue un rôle actif au sein de son syndicat et y a occupé diverses fonctions au fil des ans, comme délégué syndical en chef de la section locale, vice‑président national et coprésident du comité sur l’équité du bureau de Toronto de la CISR.

29Le plaignant a témoigné au sujet des fonctions des agents préposés aux cas et de la concentration des membres de minorités visibles à ces postes. Selon lui, cette concentration n’est pas intentionnelle; toutefois, un seul agent préposé au cas ne fait pas partie d’une minorité visible, et la plupart des employés du même groupe et niveau occupent le même poste depuis 1991. Il a indiqué que les agents préposés aux cas doivent être en mesure de comprendre les précédents, les lois et les principes se rapportant à la justice naturelle. Ils doivent faire l’examen initial des dossiers et déterminer si le cas a déjà été entendu sur le fond. Le plaignant a fait référence à ce principe juridique en utilisant le terme latin res judicata.

30Grace Chujor et Bibi Wali ont témoigné pour le plaignant; elles sont toutes deux agentes préposées aux cas (PM‑01) au bureau de la CISR à Toronto, où elles travaillent depuis 18 et 19 ans respectivement. Elles ont également toutes les deux occupé de façon intérimaire le poste de greffière adjointe, groupe et niveau PM‑03, il y a quelques années.

31Mme Chujor a expliqué que le superviseur encourageait les agents préposés aux cas à occuper, à tour de rôle, le poste de greffier adjoint par intérim. Puis, la CISR a mené un processus en vue de nommer un employé à ce poste pour une durée indéterminée. Mme Chujor a déclaré qu’aucun des employés du niveau PM‑01 ayant occupé ce poste par intérim n’a été choisi au terme de ce processus.

32Mme Chujor a déclaré qu’elle avait émigré d’Afrique et qu’elle avait fait tout ce qu’elle pouvait pour faire avancer sa carrière. Elle a obtenu un baccalauréat en administration; elle est une employée dévouée et s’entend bien avec son superviseur. Toutefois, en dépit de tous ses efforts, elle n’a jamais obtenu de promotion. Elle aime son emploi, mais constate qu’il n’y a aucune possibilité d’avancement. 

33Mme Chujor a témoigné que certaines tâches qui relevaient auparavant des agents préposés aux cas, comme l’examen initial en vue des mesures de renvoi, étaient maintenant effectuées par les agents du tribunal. Elle a l’impression que la CISR fait comme si les agents préposés aux cas n’existaient pas en leur retirant des fonctions et en les attribuant aux agents du tribunal. En contre‑interrogatoire, elle a indiqué que les agents du tribunal s’occupent maintenant du (MARC) et de la médiation, alors qu’en tant qu’agente préposée aux cas, elle faisait l’examen initial en vue du MARC. Elle a expliqué que la différence entre les agents préposés aux cas et les agents du tribunal était que ces derniers avaient pu suivre une formation, ce qu’on lui avait refusé; si elle avait pu suivre une formation, elle aurait pu, elle aussi, faire de la médiation.

34Mme Wali a expliqué qu’elle avait été affectée à un projet pilote à l’époque où le mode amiable de règlement des litiges a été introduit à la CISR. Elle s’y est intéressée de près et a suivi quelques cours à ce sujet. Elle a été très peinée d’apprendre que les fonctions liées au MARC avaient été retirées aux agents préposés aux cas pour être attribuées aux agents du tribunal. En contre‑interrogatoire, elle a indiqué que les commissaires de la CISR avaient autrefois effectué de la médiation, et que le rôle des agents préposés aux cas était limité à l’examen initial en vue du MARC.

35Satnam Channa a travaillé à la CISR à titre de spécialiste des relations de travail; il est maintenant gestionnaire des relations avec les employés dans une entreprise privée. Il a témoigné au nom du plaignant. Il a expliqué qu’à l’époque où il travaillait à la CISR, le plaignant était considéré comme un élément perturbateur dans le milieu de travail. Toutefois, il croit que le rôle qu’il joue auprès du syndicat explique qu’il puisse parfois se montrer entêté. M. Channa avait établi une bonne relation avec le plaignant qui était son homologue à titre de représentant syndical.

36M. Channa a lu le rapport Hara, qui faisait état du problème de concentration des membres de minorités visibles dans les postes de bureau à la CISR. Il a expliqué qu’il voyait un lien entre les constatations du rapport Hara et sa propre expérience à la CISR : il a remarqué que, dans les réunions, il était souvent le seul membre d’une minorité visible. Selon lui, la plupart des membres de groupes de minorités visibles occupaient des postes de bureau, et seuls quelques‑uns étaient gestionnaires. Il estime que, bien que cette situation n’ait pas été créée de manière intentionnelle, le système d’emploi empêche ces employés d’obtenir des promotions.

37En contre‑interrogatoire, M. Channa a été interrogé sur les types de concentration mentionnés dans le rapport Hara et, plus précisément, sur ce qui était indiqué aux pages 2‑4 et 2‑5. Il a reconnu que le rapport Hara établissait trois types de concentration : acceptable, inacceptable et neutre. Il a également reconnu que le rapport Hara ne conclut pas que la concentration en question est inacceptable.

Témoignage d’expert sur la discrimination systémique

38Carol Agocs a été appelée par le plaignant à témoigner à titre d’expert sur la discrimination systémique. L’intimé n’a pas remis en question sa qualité d’expert. Toutefois, il s’est opposé à son témoignage; il a affirmé que le témoin se prononcerait sur des questions que le Tribunal doit trancher et pour lesquelles le Tribunal a l’expertise, telle l’allégation de discrimination systémique.

39Le plaignant a fait valoir qu’il est pratique courante de produire des éléments de preuve statistique et anecdotique, de même que des rapports rédigés par des experts, à l’appui d’une allégation de discrimination systémique devant un tribunal des droits de la personne. La discrimination systémique est une question de droit, et les rapports d’experts à ce sujet peuvent donc être admis à titre de preuve.

40Le Tribunal a jugé que Mme Agocs était admissible à titre de témoin expert sur la discrimination systémique. Le Tribunal a admis la preuve, et réserve sa décision quant à la valeur à lui accorder.

41Mme Agocs a témoigné au sujet de son travail portant sur la discrimination systémique. Elle a expliqué que, pour comprendre le problème de la discrimination systémique, il faut d’abord en saisir la dynamique qui engendre la préférence et la partialité. Les organisations ont mis en place des systèmes d’emploi qui ont pour conséquence non voulue la discrimination contre des groupes spécifiques.

42Le 12 septembre 2008, Mme Agocs a produit un rapport intitulé Analysis of Possible Impact of Systemic Racial Discrimination in the Case of Norm Murray, Immigration and Refugee Board. À la page 1, elle définit la discrimination systémique en ces termes :

On entend par « discrimination systémique » une série de comportements qui font partie des structures administratives et sociales du lieu de travail, et qui créent ou perpétuent une situation défavorable pour certains groupes et favorable pour d’autres, ou pour des individus en fonction de leur appartenance à un groupe.

[traduction]

43Dans son analyse, Mme Agocs fait référence à trois éléments diagnostiques : le taux de représentation, les politiques et les pratiques d’embauche (les systèmes d’emploi) et la culture organisationnelle. Mme Agocs a effectué son analyse en se fondant sur les documents auxquels elle avait accès, comme le rapport Hara, le rapport Employment Equity Compliance Review: Immigration and Refugee Board de la CCDP, 2805-60/J2, 1er juin 2001 (Rapport de conformité de la CCDP), le Plan intégré des ressources humaines de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié du Canada (CISR) : Vision pluriannuelle : de 2008-2009 à 2010-2011, ainsi que divers documents provenant du site Web du Conseil du Trésor.

44Mme Agocs s’est d’abord intéressée dans son analyse à l’exclusion de la candidature du plaignant pour le poste d’agent du tribunal. Elle s’est fondée sur les allégations du plaignant, la réponse de l’intimé ainsi que l’annonce de possibilité d’emploi ouverte à l’ensemble des employés de la fonction publique fédérale, dont la date de clôture était le 19 janvier 2008. Elle a indiqué qu’elle avait relevé un certain nombre d’obstacles à l’emploi qui, une fois réunis, constituaient une forme de discrimination systémique.

45Au cours du contre‑interrogatoire, l’intimé a fourni à Mme Agocs une liste de 36 employés nommés au poste d’agent du tribunal dans la région de Toronto dans le cadre du processus de nomination non annoncé en litige. D’après ce document, 12 de ces employés s’étaient identifiés comme membre de minorité visible. Mme Agocs a répondu qu’elle en serait arrivée à la même conclusion même si elle avait eu accès à ces renseignements. Elle a expliqué qu’il y avait encore un écart entre la pleine représentation des minorités visibles pour les postes PM‑01 et une représentation d’un tiers pour les postes PM‑05.

46Mme Agocs  a également été interrogée à propos d’un document intitulé Visible minority representation from 2006-2008 within the Central region compared to National, qui montrait une augmentation de la représentation, de 21,5 à 25 % au niveau PM‑04 et de 0 % à 25,58 % pour le groupe PM‑05 entre 2006 et 2008. Elle a reconnu que ces renseignements auraient pu être utiles à son analyse; elle a également admis ne pas avoir communiqué avec la CISR pour obtenir de plus amples renseignements. Elle a confirmé que son rapport était fondé sur des renseignements obtenus auprès du plaignant, de son avocat et d’autres sources de sa connaissance.

Processus de nomination annoncés visant la dotation de postes d’agent du tribunal et d’agent du tribunal (perfectionnement)

47En 2008, l’intimé a publié de nouvelles annonces de possibilité d’emploi sur le site de Publiservice en vue de doter les postes d’agent du tribunal et d’agent du tribunal (perfectionnement). Ces annonces ont été présentées en preuve à l’audience. L’offre pour les postes d’agent du tribunal (PM‑05) visait tous les employés de la fonction publique du Canada, et la date de clôture était le 19 janvier 2008 (processus de nomination 2008-IRB-EA-014353). Une note indiquait que le processus de nomination visait également les personnes résidant au Canada et les citoyennes et citoyens canadiens résidant à l'étranger. Selon le libellé de l’annonce, le processus visait à créer un bassin de candidats qualifiés, et le nombre prévu de postes à doter était de 15. L’offre pour le poste d’agent du tribunal (perfectionnement) (PM‑04) visait tous les employés de la CISR de la région du Centre, et la date de clôture était le 28 janvier 2008 (processus de nomination 2008‑IRB-TO-IA-014352). D’après cette annonce, le nombre prévu de postes à doter était de trois. Il s’y trouvait également la précision suivante :

Ce processus de sélection a pour but d'identifier les employés ayant le potentiel d'exécuter les tâches de l'agent du tribunal au niveau pleinement fonctionnel PM-05. Les employés nommés au groupe et niveau PM-04 seront promus au niveau pleinement fonctionnel PM-05 lorsqu'ils rencontreront les qualifications requises du niveau supérieur.

48Pendant le contre‑interrogatoire, le plaignant a affirmé qu’il était dans la zone de sélection pour le poste d’agent du tribunal, mais qu’il n’avait pas posé sa candidature, car il n’était pas au fait de cette possibilité d’emploi à ce moment‑là. Cependant, il a postulé l’emploi d’agent du tribunal (perfectionnement). Il a indiqué que ce processus était censé répondre à certaines préoccupations soulevées dans sa plainte. Au moment de son témoignage, le plaignant n’était pas au courant des suites de ces processus de nomination, mais il croyait comprendre qu’un seul poste d’agent du tribunal (perfectionnement) serait doté.

Plainte antérieure à la Commission canadienne des droits de la personne

49Le plaignant a présenté une plainte de discrimination fondée sur la race et la couleur à la CCDP le 22 avril 2004. Dans sa plainte, il affirme que, au moment où il travaillait comme agent de protection des réfugiés, il avait déclaré à son superviseur avoir entendu proférer des commentaires racistes à l’endroit d’un autre collègue afro‑canadien.

50Selon le plaignant, le superviseur a omis de réprimander les employés ayant fait ces commentaires. Un comité d’enquête mis sur pied afin de traiter la plainte a conclu que le plaignant devait s’excuser auprès de ces employés, car il avait mal compris les paroles prononcées et il avait réagi de manière excessive. Le plaignant soutient que la direction a tenté de manipuler son collègue afin de le retourner contre lui et a encouragé un autre employé à déposer une plainte contre lui. Plus tard, le plaignant a trouvé un message de menaces contenant des propos racistes dans sa boîte aux lettres. Il s’en est plaint, mais l’enquête n’a mené nulle part.

51Au cours de cette période, le plaignant a dû prendre un congé de maladie en raison du stress et du climat de travail devenu malsain. Il estime que la direction encourageait et appuyait le racisme, le harcèlement et la discrimination, puisqu’elle n’a pas donné suite à ses plaintes. Par ailleurs, il croit avoir subi des conséquences négatives au travail en raison de sa plainte.

52Pendant le contre‑interrogatoire, on a demandé au plaignant s’il avait reçu le rapport de l’enquêteur de la CCDP. Il a répondu qu’il ne l’avait pas encore vu, mais qu’il savait que l’avocat de l’Alliance de la Fonction publique du Canada en avait obtenu copie. Il a confirmé que l’enquête de la CCDP portait également sur la concentration des membres de minorités visibles dans des postes subalternes et l’utilisation de processus non annoncés pour doter les postes d’agent du tribunal et d’agent du tribunal (perfectionnement). Il a admis que la CCDP avait conclu que les éléments de preuve n’appuyaient pas ses allégations.

53Le plaignant a également admis en contre‑interrogatoire que la CCDP avait rejeté sa plainte, car elle avait conclu que l’intimé n’avait pas omis de fournir au plaignant un milieu de travail exempt de harcèlement. En outre, la CCDP avait constaté que l’intimé n’appliquait pas de politique, de règle, de pratique ou de norme empêchant le plaignant et d’autres membres des minorités visibles de bénéficier d’avancement permanent en raison de leur race ou de leur couleur.

Lois, politiques et règlements pertinents

54L’article 33 de la LEFP, prévoit qu’il est possible d’avoir recours à un processus de nomination annoncé ou non annoncé en vue d’une nomination. Cette plainte a été présentée en vertu de l’alinéa 77(1)b)de la LEFP, qui porte sur l’abus de pouvoir dans le choix d’un processus. En outre, l’article 80 de la LEFP permet au Tribunal d’interpréter et d’appliquer les dispositions de la Loi canadienne sur les droits de la personne (LCDP) quand il est saisi d’une plainte relative aux droits de la personne.

55Ces dispositions sont libellées comme suit :

30. […]

(2) Une nomination est fondée sur le mérite lorsque les conditions suivantes sont réunies :

  1. selon la Commission, la personne à nommer possède les qualifications essentielles — notamment la compétence dans les langues officielles — établies par l’administrateur général pour le travail à accomplir;
  2. la Commission prend en compte :
    1. toute qualification supplémentaire que l’administrateur général considère comme un atout pour le travail à accomplir ou pour l’administration, pour le présent ou l’avenir,
    2. toute exigence opérationnelle actuelle ou future de l’administration précisée par l’administrateur général,
    3. tout besoin actuel ou futur de l’administration précisé par l’administrateur général.

33. La Commission peut, en vue d’une nomination, avoir recours à un processus de nomination annoncé ou à un processus de nomination non annoncé.

77. (1) Lorsque la Commission a fait une proposition de nomination ou une nomination dans le cadre d’un processus de nomination interne, la personne qui est dans la zone de recours visée au paragraphe (2) peut, selon les modalités et dans le délai fixés par règlement du Tribunal, présenter à celui-ci une plainte selon laquelle elle n’a pas été nommée ou fait l’objet d’une proposition de nomination pour l’une ou l’autre des raisons suivantes :

  1. abus de pouvoir de la part de la Commission ou de l’administrateur général dans l’exercice de leurs attributions respectives au titre du paragraphe 30(2);
  2. abus de pouvoir de la part de la Commission du fait qu’elle a choisi un processus de nomination interne annoncé ou non annoncé, selon le cas;

[…]

80. Lorsqu’il décide si la plainte est fondée, le Tribunal peut interpréter et appliquer la Loi canadienne sur les droits de la personne, sauf les dispositions de celle-ci sur le droit à la parité salariale pour l’exécution de fonctions équivalentes.

56Les dispositions suivantes de la LCDP sont pertinentes en ce qui concerne la question de la discrimination :

3. (1) Pour l’application de la présente loi, les motifs de distinction illicite sont ceux qui sont fondés sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l’âge, le sexe, l’orientation sexuelle, l’état matrimonial, la situation de famille, l’état de personne graciée ou la déficience.

[…]

7. Constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, par des moyens directs ou indirects :

  1. de refuser d’employer ou de continuer d’employer un individu;
  2. de le défavoriser en cours d’emploi.

[…]

10. Constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite et s’il est susceptible d’annihiler les chances d’emploi ou d’avancement d’un individu ou d’une catégorie d’individus, le fait, pour l’employeur, l’association patronale ou l’organisation syndicale :

  1. de fixer ou d’appliquer des lignes de conduite;

[…]

15.(1) Ne constituent pas des actes discriminatoires :

  1. les refus, exclusions, expulsions, suspensions, restrictions, conditions ou préférences de l’employeur qui démontre qu’ils découlent d’exigences professionnelles justifiées;

[…]

57Les dispositions suivantes des Lignes directrices sur le choix du processus de sélection de la CFP sont également pertinentes en l’espèce. Elles sont rédigées comme suit :

Choix du processus de nomination

Exigences des lignes directrices

En plus d'être responsables du respect de l'énoncé des lignes directrices, les administrateurs généraux et les administratrices générales doivent :

[…]

  • établir et communiquer les critères régissant l'utilisation de processus non annoncés;
  • s'assurer que la justification écrite démontre comment un processus non annoncé respecte les critères établis et les valeurs en matière de nomination.

[…]

Argumentation des parties

A) Argumentation du plaignant

58Le plaignant soutient que le choix d’un processus de nomination non annoncé était entaché de discrimination et qu’il constitue donc un abus de pouvoir aux termes de la LEFP. Le plaignant reconnaît que le bassin de candidats pour le poste PM‑04 était légitime; cependant, il considère que l’intimé aurait dû prendre en considération des employés qualifiés, comme le plaignant lui‑même, afin de respecter ses obligations à l’égard de l’équité en emploi. Compte tenu de son expérience à titre d’agent de protection des réfugiés, le plaignant aurait dû être pris en considération pour le poste, et non pas éliminé en raison du choix d’un processus non annoncé.

59Le plaignant affirme que l’article 80 de la LEFP permet au Tribunal d’instruire les plaintes d’abus de pouvoir portant sur des allégations de discrimination systémique. Ainsi, la discrimination qu’elle soit  intentionnelle ou non, peut constituer un abus de pouvoir. Lus ensemble, les articles 77, 80 et 81 de la LEFP indiquent clairement que le Tribunal a compétence pour instruire les questions liées aux droits de la personne et d’appliquer les dispositions de la LCDP. Le plaignant avance que la LEFP ne fait aucune distinction entre la discrimination individuelle et la discrimination systémique.

60Le plaignant soutient que, dans le cas d’une plainte d’abus de pouvoir, les preuves à l’appui d’une allégation de discrimination systémique doivent être liées au processus de nomination. Les conséquences de la discrimination systémique doivent se rapporter à la personne qui se plaint de ne pas avoir été nommée. La plainte pour discrimination systémique est donc nécessairement liée à M. Murray puisque, en tant que noir, afro-canadien, il est membre d’un groupe de minorité visible. Selon le plaignant, cette situation est semblable à celle de la décision Chopra c. Canada (ministère de la Santé nationale et du Bien-être social), [2001] D.C.D.P. no 20.

61Le plaignant estime qu’il a fait la preuve prima facie de l’existence de discrimination. Selon lui, le système d’emploi mis en place par l’intimé constitue un obstacle à sa nomination en raison de son appartenance à un groupe de minorité visible. Il a occupé les fonctions d’agent de protection des réfugiés pendant plusieurs années.

62La preuve présentée par Mme Agocs appuie la conclusion voulant qu’il semble y avoir des obstacles à l’emploi. Mme Agocs estime que la concentration à la CISR est inacceptable. Le plaignant affirme que le témoignage de Mme Agocs fournit au Tribunal un modèle pour trancher une telle question. Mme Agocs a analysé le taux de représentation, le système d’emploi et la culture organisationnelle et elle a conclu que chacun de ces éléments représente un indicateur de la présence d’obstacles à l’emploi. Les témoignages des témoins du plaignant constituent une preuve supplémentaire de la présence d’obstacles à l’emploi dans les trois dimensions de l’analyse.

63Selon le plaignant, l’intimé a pris une décision à la limite de son pouvoir discrétionnaire en choisissant un processus de nomination non annoncé. Compte tenu du fait que le plaignant a fait la preuve prima facie de l’existence de discrimination en se fondant sur la preuve de discrimination systémique, il incombe à l’intimé de démontrer que la discrimination est une exigence professionnelle justifiée (EPJ). L’intimé n’a prouvé d’aucune façon que le choix d’un processus de nomination non annoncé reposait sur une EPJ. En outre, le plaignant soutient que l’intimé n’a fourni aucune preuve démontrant qu’il avait essayé de l’aider au prix de contraintes excessives.

B) Argumentation de l’intimé

64L’intimé soutient que, compte tenu de sa nature, la discrimination systémique ne peut faire l’objet d’une plainte en vertu de l’article 77 de la LEFP. Il est entendu qu’une plainte de discrimination systémique doit se rapporter à un groupe; toutefois, une plainte d’abus de pouvoir doit se rapporter directement au plaignant concerné, comme le Tribunal l’a conclu au paragraphe 24 de la décision Visca c. le sous-ministre de la Justice et al. [2006] TDFP 0016.

65Selon l’intimé, le Tribunal n’a pas compétence pour effectuer un examen des systèmes de ressources humaines en vue de se prononcer sur la question de la discrimination systémique. Cette enquête relève du mandat et de l’expertise de la CCDP.

66En outre, l’intimé fait valoir que si le Tribunal estime qu’il est habilité à se prononcer sur une plainte de discrimination systémique, le plaignant doit être en mesure de démontrer un lien entre le fait d’être membre d’un groupe de minorité visible et celui de ne pas avoir été nommé. Dans le cas d’une plainte de discrimination, il incombe au plaignant de présenter la preuve initiale. Le seul fait d’être membre d’une minorité visible ne constitue pas une preuve; le plaignant doit démontrer clairement qu’il aurait été nommé s’il n’avait pas été membre d’une minorité visible.

67À l’appui de son argumentation, l’intimé fait référence aux décisions suivantes : Commission ontarienne des droits de la personne c. Simpsons‑Sears, [1985] 2 R.C.S. 536, au paragraphe 28, [1985] A.C.S.no 74(QL); Centre universitaire de santé McGill (Hôpital général de Montréal) c. Syndicat des employés de l'Hôpital général de Montréal, [2007] 1 R.C.S. 161, paragraphes 48 à 50, [2007] A.C.S. no 4 (QL); et Ingram v. British Columbia (Workers’ Compensation Board), 2003 B.C.H.R.T. 57, paragraphe 20, [2003] B.C.H.R.T.D. no 55 (QL).

68Selon l’intimé, Mme Agocs s’est fiée uniquement aux renseignements fournis par le plaignant et n’a pas cherché à en obtenir d’autres auprès de l’intimé. Ce dernier soutient qu’aucun poids ne devrait être accordé aux éléments de preuve fournis par le témoin expert, car celle‑ci était tellement en faveur du plaignant qu’elle a par le fait même plaidé sa cause.

69L’intimé reconnaît qu’en vertu de l’article 80 de la LEFP, le Tribunal a compétence pour appliquer les dispositions de la LCDP dans le contexte d’une plainte d’abus de pouvoir présentée en vertu de l’article 77 de la LEFP. L’intimé fait valoir que, même s’il est bien établi qu’il n’est pas nécessaire d’établir l’intention pour conclure à la discrimination, une conclusion d’abus de pouvoir nécessiterait de la part de l’administrateur général le discernement du bien et du mal, sinon l’intention illégitime.

C) Argumentation de la Commission de la fonction publique

70La CFP avance que la preuve concernant la discrimination systémique, bien que circonstancielle, peut être utilisée pour établir que le plaignant a été victime de discrimination dans le cadre d’un processus de nomination et, par conséquent, pour conclure à l’abus de pouvoir. La CFP se fonde sur la décision Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c. Canada (ministère de la Santé nationale et du Bien-être social) (re Chopra), [1998] A.C.F. no 432, 146 F.T.R. 106. Toutefois, la CFP soutient que, quand la preuve de discrimination systémique ne se rapporte pas à un processus de nomination, la question devrait être traitée par la CCDP.

71La CFP estime que la discrimination fondée sur les motifs de distinction illicite énoncés dans la LCDP constitue un abus de pouvoir aux termes de la LEFP seulement quand cette discrimination découle d’une intention illégitime ou quand il peut être présumé qu’il y a eu mauvaise foi.

72La CFP fait valoir que, dans les cas où le Tribunal conclut à la discrimination, mais sans intention illégitime ni mauvaise foi imputée, il devrait laisser à l’administrateur général et à la CFP le soin de régler la question. L’administrateur pourrait alors mener une enquête en vertu du paragraphe 15(3) de la LEFP et faire en sorte que des mesures correctives appropriées soient prises. Si la CFP ne partage pas le point de vue de l’administrateur général et considère que la discrimination en cause est très grave, celle‑ci pourrait exercer son pouvoir de vérification en vertu de l'article 17 de la LEFP pour ensuite recommander à l'administrateur général de prendre la mesure corrective qui s'impose. Enfin, au besoin, la CFP pourrait envisager la révocation du pouvoir délégué  à l'administrateur général en matière de nomination.

Analyse 

Question I :   Le plaignant a-t-il le droit de présenter cette plainte? 

73La LEFP prévoit que le Tribunal peut interpréter et appliquer les dispositions de la LCDP quand il est saisi d’une plainte d’abus de pouvoir sans distinction entre la discrimination directe et la discrimination systémique. Le plaignant est un afro- canadien et membre d’une minorité visible. Il affirme qu’il n’a pas été nommé à un poste en raison de discrimination systémique.

74Comme le Tribunal l’a expliqué aux paragraphes 56 et 57 de la décision Zhao c. Sous-ministre de Citoyenneté et Immigration et al., [2008] TDFP 0030, aux paragraphes 56 et 57, la Loi sur l’équité en matière d’emploi a été adoptée pour garantir que les employeurs assujettis à la législation fédérale offrent des possibilités d’emploi égales aux membres des quatre groupes désignés, à savoir les femmes, les Autochtones, les personnes handicapées et les membres d’une minorité visible. Il existe un préalable obligatoire à l’application de l’article 80 de la LEFP. Le plaignant doit soulever un motif de distinction illicite énoncé au paragraphe 3(1) de la LCDP. Le plaignant a déclaré que cette affaire [traduction] « n’est pas un cas lié à l’équité en emploi, mais plutôt un cas de discrimination à mon égard en raison de ma race […] ». Il a donc soulevé un motif de distinction illicite énoncé dans la LCDP.

75Au paragraphe 24 de la décision Visca, le Tribunal explique en ces termes le fait que le plaignant doit être directement concerné par la plainte qu’il présente :

[24] Dans le paragraphe 77(1) de la LEFP, les mots « présenter au Tribunal une plainte selon laquelle elle n’a pas été nommée ou fait l’objet d’une proposition de nomination » indiquent clairement qu’une plainte doit se rapporter directement au plaignant concerné. Une personne ne peut porter plainte que si « elle n’a pas été nommée ou fait l’objet d’une proposition de nomination » et ne peut pas porter plainte contre le fait que d’autres personnes n’ont pas été nommées. […] [Caractères gras ajoutés]

76Le plaignant ne se plaint pas du fait que d’autres employés n’ont pas été nommés. Sa plainte se rapporte directement à lui, comme l’exige le paragraphe 77(1) de la LEFP. Le plaignant affirme posséder les qualifications nécessaires pour occuper le poste d’agent du tribunal et qu’il aurait dû obtenir l’occasion de poser sa candidature en vue de cette promotion, ce qui n’a pas été possible, car l’intimé a choisi de mener un processus de nomination non annoncé.

77Le Tribunal constate qu’un intérêt personnel manifeste motive la plainte présentée par le plaignant.

Question II :  Le plaignant a­‑t‑il démontré prima facie que le choix du processus de nomination non annoncé constituait de la discrimination?

78C’est au plaignant qu’incombe le fardeau ultime de prouver, selon la prépondérance des probabilités, que l’intimé s’est adonné à une pratique discriminatoire. Le plaignant a le fardeau initial de la preuve et doit démontrer prima facie qu’il y a eu discrimination. Dans ce contexte, une preuve prima facies’apparente à celle concernant les allégations formulées en l’espèce; et le fait de croire à une telle preuve la rend complète et suffisante pour justifier une constatation de discrimination en l’absence de réplique de l’intimé. Voir la décision O’Malley. Si une preuve prima facie est établie, il revient alors à l’intimé de fournir une explication raisonnable (comme le veut le critère établi dans la décision O’Malley), ou de présenter une défense d’EPJ (voir : Colombie-Britannique (Public Service Employee Relations Commission) c. BCGSEU (Grief de Meiorin), [1999] 3 R.C.S. 3, [1999] A.C.S. no 46 (QL).

79Le Tribunal doit déterminer si les allégations du plaignant, dans la mesure où on y prête foi, justifient une conclusion en sa faveur en l’absence d’une réplique de l’intimé. Ainsi, à cette étape de l’analyse, le Tribunal ne peut prendre en considération la réplique de l’intimé avant de déterminer si une preuve prima facie de discrimination a été établie. (Voir : Lincoln c. Bay Ferries Ltd., 2004 CAF 204, [2004] A.C.F. no 941 (QL), paragraphe 22 (A.C.F.)).

80Un des critères permettant d’établir prima facie l’existence de discrimination dans le contexte de plaintes ayant trait à l’embauche et aux promotions est mentionné dans le dossier des sources invoquées par l’intimé; il s’agit du critère de la décision Shakes v. Rex Pak Ltd. (1981) 3 C.H.R.R. D/1001, paragraphe 8918 (Ont. Bd. Inq.), qui est rédigé ainsi :

  1. le plaignant avait les compétences requises pour l'emploi;
  2. le plaignant n'a pas été engagé; et
  3. une personne qui n'était pas mieux qualifiée mais qui ne possédait pas la caractéristique dont il est question dans le principal chef d'accusation de la plainte déposée en matière des droits de la personne a obtenu le poste.

81Le plaignant a produit la preuve qu’il était qualifié pour le poste d’agent du tribunal. Les descriptions de travail du poste d’agent du tribunal et de l’ancien poste d’agent de protection des réfugiés ont été présentées en preuve. En plus de son témoignage, le plaignant a produit son curriculum vitae et ses formulaires d’évaluation du rendement pour la période pendant laquelle il a travaillé comme agent de protection des réfugiés. Le plaignant est titulaire d’un baccalauréat et d’une maîtrise de l’université de Windsor. Ses évaluations de rendement au cours de la période où il occupait le poste d’agent de protection des réfugiés par intérim sont très favorables. À l’audience, l’intimé n’a présenté aucune preuve réfutant le témoignage du plaignant selon lequel il était qualifié pour le poste d’agent du tribunal. 

82En l’espèce, le trait distinctif à l’origine de la plainte pour violation des droits de la personne est la race du plaignant. Toutefois, hormis le fait que les candidats nommés étaient d’anciens agents de protection des réfugiés et qu’ils avaient été jugés qualifiés pour occuper des postes d’agent du tribunal, aucun renseignement n’a été présenté concernant leurs qualifications respectives. La liste des employés nommés au poste d’agent du tribunal (PM‑05) dans la région de Toronto qui a été présentée en preuve indique qu’un tiers des employés nommés (12 sur 36) s’étaient identifiés comme membres d’un groupe de minorité visible. Aucun autre élément de preuve se rapportant aux employés promus au poste d’agent du tribunal n’a été présenté.

83Le critère de la décision Shakes n’est d’aucune utilité en l’espèce, car le plaignant n’était pas candidat dans le processus non annoncé en question. Les tribunaux des droits de la personne et les autres tribunaux ont souligné que, bien que le critère Shakes soit un point de repère utile, celui-ci ne doit pas être appliqué à la lettre à chaque situation liée à l’emploi. Voir, par exemple : Premakumar c. Air Canada, [2002]D.C.D.P. N° 3, paragraphe 77. Ou encore, l’explication du juge Evans aux paragraphes 26 et 28 de la décision Morris c. Canada (Forces armées canadiennes), 334 N.R. 316; [2005] A.C.F. no 731 (CAF) (QL) :

26 À mon avis, l'arrêt Lincoln est déterminant : l'arrêt O'Malley indique le critère juridique de la preuve prima facie de discrimination à appliquer en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Les décisions Shakes et Israeli indiquent simplement la preuve qui, si l'on y ajoute foi et si l'intimé ne donne pas d'explications satisfaisantes, suffira pour que le plaignant ait gain de cause dans certains contextes d'emploi.

[…]

28 Un critère juridique souple, en ce qui concerne l'établissement de la preuve prima facie, permet mieux que d'autres critères plus précis de promouvoir l'objet général sous-tendant la Loi canadienne sur les droits de la personne, à savoir l'élimination, dans la sphère de compétence législative fédérale, de la discrimination en matière d'emploi ainsi que de la discrimination en ce qui concerne la fourniture de biens, de services, d'installations et d'habitations. La discrimination prend des formes nouvelles et subtiles. En outre, comme l'avocate de la Commission l'a signalé, il est maintenant reconnu que la preuve comparative de discrimination revêt des formes beaucoup plus nombreuses que la discrimination particulière identifiée dans la décision Shakes.

Le Tribunal doit déterminer si le plaignant a établi une preuve prima facie de discrimination (le critère de la décision O’Malley).

84Pour établir une preuve prima facie, le plaignant est seulement tenu de montrer que la discrimination était un des facteurs, non pas le seul ou même le principal, ayant motivé le choix d’un processus de nomination non annoncé par l’intimé. (Voir : la décision Morris; et la décision Holden c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (1991), 14 C.H.R.R. D/12, (CAF), paragraphe 7).

Preuve directe et circonstancielle

85Il n’existe aucune preuve directe permettant de conclure à la discrimination en ce qui concerne le choix d’un processus de nomination non annoncé par l’intimé en 2007. Toutefois, une constatation de discrimination peut, comme c’est souvent le cas, reposer sur une preuve circonstancielle. Les tribunaux des droits de la personne et les autres tribunaux ont en effet admis qu’il faut savoir reconnaître « l’odeur subtile de la discrimination ». (Voir : Basi c. La Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, [1988] D.C.D.P. n° 2, (T.C.D.P.)). Le critère à appliquer au moment d’examiner une preuve circonstancielle, qui a été adopté par les tribunaux des droits de la personne de même que les autres tribunaux, a été énoncé ainsi par Beatrice Vizkelety à la page 142 de son ouvrage Proving Discrimination in Canada, (Toronto, Carswell, 1987) :

Le critère à retenir dans les questions faisant intervenir des preuves circonstancielles, qui devraient être en accord avec cette norme [de la prépondérance de la preuve], peut être donc formulé de la manière suivante : on peut conclure à la discrimination quand la preuve présentée à l’appui rend cette conclusion plus probable que n’importe quelle autre conclusion ou hypothèse possible.

[traduction]

86De plus, la preuve à l’appui d’une allégation de discrimination systémique peut servir de preuve circonstancielle de discrimination directe à l’endroit d’une personne. Comme l’a affirmé la Cour fédérale au paragraphe 22 de Chopra (1998) (QL), « Le tribunal a commis une erreur en interdisant aux requérants de produire des éléments de preuve à caractère général d'un problème systémique comme preuve circonstancielle permettant de conclure qu'il y a probablement eu de la discrimination dans ce cas particulier également. »

87Le plaignant a présenté des éléments de preuve circonstancielle à l’appui de sa position. Il affirme avoir été victime de discrimination en raison de sa race et que cette discrimination est attribuable aux pratiques d’embauche de l’intimé, lesquelles créent une concentration des membres des minorités visibles dans les postes de niveau inférieur à la CISR. Ces éléments de preuve circonstancielle consistaient en des rapports concernant l’équité en emploi à la CISR, un témoignage d’expert sur la discrimination systémique et des témoignages de collègues anciens et actuels.

88Un grand nombre d’éléments de preuve ont été présentés à l’audience afin de démontrer qu’il y a eu et qu’il continue d’y avoir concentration des membres de minorités visibles aux postes de niveau inférieur à la CISR, notamment au niveau PM‑01. Même s’ils ont occupé par intérim des postes de niveau supérieur de temps à autre, le plaignant, Mme Chujor et Mme Wali ont occupé le poste d’attache PM‑01 pendant plus de 15 ans à la CISR sans obtenir de promotion. Les observations de M. Channa contribuent à renforcer le témoignage de ces témoins.

89En outre, le rapport Hara a confirmé qu’au moment de sa publication en 2000, il y avait concentration des membres de minorités visibles aux niveaux inférieurs du groupe PM à la CISR. Mme Cyr, qui est entrée à la CISR en 2006, n’a pas nié l’existence de cette concentration.

90Bien que des mesures aient été prises pour pallier cette situation, le Tribunal estime que le plaignant a établi qu’il y avait bel et bien concentration des membres de minorités visibles aux échelons inférieurs du groupe PM à la CISR.

91À l’appui de son argumentation selon laquelle cette concentration découle de la discrimination systémique, le plaignant cite le témoignage d’un expert et le rapport de Mme Agocs. Aux pages 6 et 7 de son rapport, celle-ci en arrive à la conclusion suivante :

À la lumière des preuves dont je disposais, je conclus que l’avancement de la carrière de M. Murray et d'autres membres de minorités visibles au Bureau de Toronto a probablement été limité par un certain nombre d’obstacles à l’emploi qui s’inscrivent dans un schéma de discrimination.

[…]

Des renseignements permettant de confirmer ou de réfuter l’allégation selon laquelle le rejet de la candidature de M. Murray, de même que celle d’autres membres de minorités visibles, pour les postes d’agent du tribunal est attribuable à la discrimination systémique pourraient être obtenus au moyen d’une vérification approfondie. 

[traduction]

92De son propre aveu, Mme Agocs semble reconnaître qu’elle ne disposait pas d’éléments de preuve suffisants à l’appui de l’allégation de discrimination systémique. Bien qu’en définitive, il incombe au Tribunal de trancher la question, il est fort révélateur que ce soit le témoin expert du plaignant qui a émis cette maigre conclusion.

93Le rapport de Mme Agocs comporte un certain nombre de lacunes fondamentales. D’abord, il fait référence à l’annonce de possibilité d’emploi se rapportant au processus de nomination 2008-IRB-EA-014353, qui visait tous les employés de la fonction publique et dont la date de clôture était le 19 janvier 2008. Ce n’est pas le processus de nomination sur lequel porte la plainte; il s’agit plutôt du processus 07-IRB-INA-03-13392. Plus important encore, le Tribunal constate que Mme Agocs ne disposait pas de certains renseignements clés. Comme elle le concède à la page 4 de son rapport, [traduction] «  je ne disposais pas de données plus récentes sur la région de Toronto ».

94Ses conclusions ont été remises en cause pendant le contre‑interrogatoire. Un document intitulé Visible minority representation from 2006-2008 within the Central region compared to National montre une augmentation du taux de représentation des minorités visibles au groupe et au niveau PM‑05, de 0 % au 31 mars 2006 à 25,58 % au 31 mars 2008. Mme Agocs a reconnu que ces renseignements auraient été utiles pour son analyse. Elle n’a pas communiqué avec la CISR afin d’obtenir des renseignements en vue de son analyse; toutefois, rien n’indique que l’intimé aurait refusé de lui en fournir. Mme Agocs a confirmé que son rapport était fondé sur des renseignements obtenus auprès du plaignant, de son avocat et d’autres sources de sa connaissance.

95Dans la décision Chopra (2001), M. Hadjis, alors  membre du Tribunal canadien des droits de la personne, a analysé les témoignages d’experts versés au dossier. Ses déclarations, aux paragraphes 236 et 237 (QL), font écho à la présente :

[236] […] Toutefois, en l'absence d'un examen plus détaillé des politiques en place et des exercices de dotation en personnel, on ne peut être certain que la discrimination systémique soit la cause de la sous-utilisation. Une analyse plus approfondie pourrait, par exemple, démontrer qu'il n'y a pas suffisamment de membres de ce groupe qui se portent candidats en vue de promotions. On pourrait alors se demander pourquoi il en est ainsi, et des recherches plus poussées pourraient démontrer qu'un certain traitement discriminatoire n'est pas étranger à cette situation. Cependant, je crois que le simple fait de se fier au taux d'utilisation sans faire une plus ample analyse n'aide pas vraiment à établir une preuve circonstancielle de discrimination.

[237] Eu égard à tous les motifs précités, j'ai conclu que le témoignage de Mme Weiner au sujet de la preuve statistique de discrimination n'est guère utile en l'espèce et ne constitue certes pas en soi une preuve circonstancielle suffisante à première vue de « discrimination personnelle », conformément aux allégations formulées dans la plainte du Dr Chopra.

96De même, pour les motifs précisés plus haut, le Tribunal juge que la conclusion de Mme Agocs concernant la discrimination raciale systémique est dépourvue du fondement probatoire requis. Ainsi, les éléments de preuve qu’elle a présentés sont d’une utilité limitée en l’espèce et ne constituent certainement pas en eux‑mêmes une preuve circonstancielle prima facie de discrimination individuelle fondée sur la race telle qu’alléguée dans la plainte.

97Le plaignant et l’intimé se fondent tous deux sur le rapport Hara pour appuyer leurs positions respectives. Le rapport Hara définit comme suit les concepts de « concentration inacceptable » et de « concentration neutre » à la page 2-5 :

Concentration inacceptable. Se produit lorsque les employés membres des groupes désignés ont de la difficulté à obtenir des promotions et ne reçoivent pas leur part proportionnelle. Une représentation moyenne peut être acceptable dans le groupe, mais les employés des groupes désignés sont concentrés de façon inacceptable aux niveaux inférieurs.

Concentration neutre. Se produit lorsque les obstacles à l’avancement existent mais ils sont liés à des exigences professionnelles légitimes des emplois à différents niveaux.

98Les auteurs du rapport Hara ont émis l’hypothèse que la concentration qui existe à la CISR était neutre. À la page 2-5, le rapport Hara précise : « Les données statistiques, combinées aux observations précédentes du rapport FIMS, laissent entendre que la concentration ne dénote pas un changement positif non plus. Les chiffres laissent plutôt entrevoir une concentration neutre. »

99Ainsi, à la lumière des éléments de preuve déposés à l’audience, le Tribunal conclut que le plaignant n’a pas présenté de preuve circonstancielle suffisante pour appuyer son allégation de discrimination systémique.

100Même si la preuve circonstancielle était suffisante pour prouver l’existence d’obstacles systémiques discriminatoires à la promotion des membres des minorités visibles aux postes d’agent du tribunal, le plaignant serait tout de même tenu d’établir un lien entre cette preuve et la preuve directe et circonstancielle se rapportant à sa propre situation de façon à établir une preuve prima facie de discrimination individuelle.

101Dans les motifs de la décision Chopra (2001) au paragraphe 211 (QL), le membre Hadjis a fourni l’explication suivante concernant la nouvelle instruction de l’affaire Chopra (citée plus haut) à la suite de la décision de la Cour fédérale :

[…] [M]ême si on établissait l'existence d'obstacles systémiques à l'accès des membres des minorités visibles à la catégorie EX, il faudrait, pour établir une preuve prima facie, que la Commission démontre qu'il existe un lien entre cette preuve et la preuve -- tant directe que circonstancielle -- de discrimination dans le cas particulier du Dr Chopra. Toutefois, plus la disparité est grande entre les données sur les membres des minorités visibles et les données sur les autres employés, moins il est nécessaire de présenter des éléments de preuve supplémentaires pour établir une preuve prima facie. (Caractères gras ajoutés)

102Le plaignant soutient que sa situation est semblable à celle du Dr Chopra. Le Tribunal n’est pas d’accord. Dans la décision Chopra (2001), le membre Hadjis estimait que le fait de ne pas offrir au Dr Chopra la possibilité d’une nomination intérimaire était attribuable, du moins en partie, à la perception voulant qu’il ne soit pas apte à occuper ce poste de gestion en raison de ses [traduction] « antécédents culturels », c’est-à-dire son origine nationale ou ethnique. En revanche, le plaignant a occupé le poste d’agent de protection des réfugiés (PM‑04) à titre intérimaire pendant trois ans.

103Les éléments de preuve doivent d’abord permettre d’établir la présence d’obstacles systémiques, et ensuite, un lien entre la preuve de discrimination systémique et la preuve de discrimination individuelle fondée sur la race à l’endroit du plaignant. Ces deux étapes sont nécessaires, faute de quoi il est impossible d’établir une preuve prima facie. En l’espèce, non seulement les éléments de preuve ne suffisent pas pour conclure qu’il y a discrimination systémique mais, même si c’était le cas, le Tribunal ne dispose pas d’une preuve suffisante permettant d’établir une corrélation entre les obstacles systémiques présumés et la discrimination individuelle à l’endroit du plaignant.

104Pour tous ces motifs, le Tribunal conclut que le plaignant n’a pas établi une preuve prima facie de discrimination.

Question III : L’intimé a-t-il fourni une explication raisonnable à l’appui du choix d’un processus de nomination non annoncé?

105Bien que la conclusion susmentionnée soit suffisante pour statuer sur la plainte, le Tribunal fera part de ses conclusions sur la question de savoir si l’intimé s’est acquitté de l’obligation qui lui incombait de fournir une explication raisonnable de son choix de procédé, pour le cas où une instance révisionnelle conclurait à l’existence d’une discrimination prima facie fondée sur les éléments de preuve présentés.

106Une fois la preuve prima facie établie, il revient alors à l’intimé de fournir une explication raisonnable et non discriminatoire du choix du processus de nomination. (Voir, par exemple, le paragraphe 23 de la décision Lincoln (QL)).

107L’intimé a produit toute une série d’éléments de preuve, notamment des témoignages d’expert et divers documents, concernant la nouvelle structure des services de soutien pour les audiences menant à la création de nouveaux postes d’agents du tribunal. Les éléments de preuve montrent que les employés ont été tenus informés de cette initiative de restructuration. Par exemple, les procès-verbaux de réunion du Comité national de consultation patronale-syndicale (CNCPS) de la CISR pour la période pertinente (2006‑2008) contiennent des comptes rendus de discussions sous la rubrique « Stratégie des services de soutien pour les audiences », ce qui corrobore le témoignage de Mme Cyr.

108Le plaignant soutient que l’intimé n’a pas respecté les valeurs de nomination de la CFP au moment de choisir entre un processus annoncé et un processus non annoncé. Il affirme qu’il aurait dû avoir l’occasion de poser sa candidature. Il ajoute que le choix d’un processus non annoncé l’a empêché de le faire, et que celui‑ci n’était donc pas transparent.

109Dans ses décisions précédentes, le Tribunal a expliqué ce qu’il entendait par la transparence dans le contexte d’un processus de nomination non annoncé. Par exemple, dans la décision Robert et Sabourin c. le Sous-ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration et al. [2008] TDFP 0024, le Tribunal a énoncé ce qui suit :

[59] Dans le préambule de la LEFP, on trouve l’objet de la Loi et on peut lire que la fonction publique se distingue par ses « pratiques d’emploi (...) transparentes ». Le Canadian Oxford Dictionary définit le terme « transparent », lorsqu’il est lié aux opérations et aux activités au sein du milieu des affaires et du gouvernement, comme étant « ouvert à l’examen du public » [Traduction]. Ainsi, dans les processus de nomination non annoncés, les personnes faisant partie de la zone de recours peuvent porter plainte au Tribunal en raison d’un abus de pouvoir. La LEFP exige que les personnes faisant partie de la zone de recours reçoivent une notification concernant les nominations faites ou proposées.

[60] Les lignes directrices de la CFP garantissent également qu’il existe des pratiques d’emploi transparentes. Les lignes directrices sur la notification exigent que les personnes faisant partie de la zone de recours soient informées de leur droit de porter plainte. En ce qui concerne les processus de nomination non annoncés, les lignes directrices de la CFP exigent que les administrateurs généraux établissent et communiquent les critères relatifs à l’utilisation des processus non annoncés et exigent la présentation d’une justification écrite. Ces exigences visent à assurer qu’un rapport de décisions soit préparé.

[61] Le Règlement du Tribunal de la dotation de la fonction publique prévoit la communication de tous les renseignements pertinents à la plainte. C’est de cette façon que la LEFP et les lignes directrices connexes peuvent assurer des pratiques d’emploi transparentes. Et c’est la raison pour laquelle il est si important que les gestionnaires se conforment aux exigences de la législation.

110L’intimé a fourni des éléments de preuve documentaire et présenté des témoignages d’experts qui appuient sa position selon laquelle les employés étaient tout à fait au courant des intentions de la CISR quant à la dotation des postes de la nouvelle structure des services de soutien pour les audiences. Par exemple, les extraits suivants, tirés d’un document de questions et réponses en date du 24 octobre 2006, illustrent la transparence dont la CISR a fait preuve dans son choix d’un processus de nomination non annoncé en vue de la dotation des postes d’agent du tribunal :

  • Les Services de soutien pour les audiences comporteront dorénavant de nouvelles responsabilités exigeant de nouvelles compétences dans les domaines suivants : mode amiable de règlement des litiges, réorganisation des dossiers de la SAI, assurance de la qualité, médiation et autres. L'ajout de nouvelles tâches et la réaffectation des responsabilités ont pour conséquence que les nouvelles descriptions de travail sont très différentes de celles qui existaient à la SPR et nécessitent, par conséquent, la création de nouveaux postes.  [Page 2]
  • Q-14 Comment les postes de la nouvelle structure seront-ils dotés? R. Tous les employés déjà en poste au niveau PM‑04 se verront offrir une formation et un plan d’apprentissage individuels afin qu’ils puissent acquérir les compétences du niveau PM‑05. Ils seront évalués au cours de l’hiver 2006-2007 au regard du profil de compétences du poste d’agent du tribunal (PM-05). Ceux qui possèdent le profil de compétences requis seront promus au niveau PM‑05 au moyen d’un processus de nomination non annoncé (sans concours). [Page 4 – Caractères gras ajoutés]

[traduction]

111Le document Justification for appointment of the PM-04 to the PM-05 using a non‑advertised process 2006-2007 (la justification écrite) a également été mis en preuve. Ce document explique que le choix d’un processus de nomination non annoncé est justifié par la mise en œuvre de la nouvelle structure des services de soutien pour les audiences. Le plaignant avance que cette justification n’est pas conforme à la Politique sur le choix d'un processus de nomination : critères pour les processus non annoncés de la CISR. Mme Cyr a déclaré que la décision en matière de dotation avait été prise en conformité avec deux des critères de cette politique, soit le critère 6 – « une nomination suivant une décision de classification à l’égard du poste d’attache d’un fonctionnaire» – et le critère 11 – « une nomination suivant l’approbation du secrétaire général ».

112Le plaignant soutient que le critère 6 ne s’applique pas étant donné qu’il ne s’agissait pas d’une reclassification, mais de la création d’un nouveau poste. En outre, il avance que le critère 11 n’est qu’un critère fourre-tout qui rend tous les autres dépourvus de sens.

113Le Tribunal n’accepte pas l’interprétation du plaignant au regard du critère 6. Comme il est indiqué à la page 4 du compte rendu de la réunion du CNCPS du 25 janvier 2007, « C'est un processus rigoureux et non une reclassification. » Les nouveaux postes d’agent du tribunal ont été créés et classés au groupe et au niveau PM‑05. Les employés dont le poste d’attache était celui d’agent de protection des réfugiés au niveau PM‑04 ont été nommés au nouveau poste d’agent du tribunal une fois qu’ils ont satisfait aux exigences du profil de compétences qui y est associé, après quoi les postes d’agent de protection des réfugiés ont été abolis. Bien que Mme Baragar ait affirmé que ses fonctions d’agent du tribunal étaient les mêmes qu’elle occupait quand elle était agente de protection des réfugiés, elle a reconnu que les agents de protection des réfugiés se trouvaient uniquement dans la Section de la protection des réfugiés et que les agents du tribunal travaillaient au sein des trois sections. Elle a par ailleurs souligné que les agents de protection des réfugiés exécutaient deux types de travail différents.

114Les lignes directrices de la CFP exigent une justification écrite démontrant que le choix d’un processus non annoncé est conforme aux valeurs de nomination que sont l’accessibilité, la justice et la transparence. La justification écrite de la CISR indique simplement que ces processus de nomination non annoncés respectent les valeurs de nomination sans expliquer de quelle manière. En outre, la façon dont ces processus non annoncés sont en conformité avec les critères de la Politique sur le choix d'un processus de nomination de la CISR aurait pu être plus clairement énoncée, notamment en faisant référence aux critères 6 et 11 en particulier. Néanmoins, le Tribunal estime que les éléments de preuve présentés par l’intimé sont crédibles et conformes aux exigences, et que les omissions commises dans la justification écrite ne sont pas suffisamment graves pour constituer un abus de pouvoir.

115Le Tribunal juge que les postes d’agent du tribunal ont été créés dans le cadre d’une initiative de restructuration à la CISR, soit la mise sur pied de la nouvelle structure des services de soutien pour les audiences. L’intimé a présenté une preuve convaincante et solide concernant cette nouvelle structure et sa justification du choix d’un processus de nomination non annoncé pour doter les postes d’agent du tribunal. Le plaignant a reconnu dans son argumentation que le bassin de candidats PM‑04 était légitime. À la lumière de la preuve produite, le Tribunal conclut que l’explication de l’intimé – à savoir que le choix d’un processus de nomination non annoncé éliminait la nécessité de déclarer excédentaires les employés au poste d’attache PM‑04 et garantissait ainsi leur emploi continu – est raisonnable et non discriminatoire.

116Le Tribunal estime que la justification écrite de la CISR est conforme à sa Politique sur le choix d'un processus de nomination : critères pour les processus non annoncés et aux Lignes directrices sur le choix du processus de nomination de la CFP.

117De toute évidence, le plaignant est convaincu qu’il aurait pu remplir les fonctions d’agent du tribunal avec autant d’efficacité que les candidats visés compte tenu de ses trois années d’expérience à titre d’agent de protection des réfugiés par intérim et que, par conséquent, il aurait dû avoir l’occasion de poser sa candidature dans le cadre d’un processus de nomination annoncé. Toutefois, le Tribunal juge que l’intimé s’est acquitté de son obligation de fournir une explication raisonnable et non discriminatoire à l’appui de son choix entre un processus annoncé et un processus non annoncé en ce qui a trait au processus de nomination 07‑IRB-INA-03-13392.

118Si le plaignant avait établi une preuve prima facie, et étant donné que l’intimé s’est acquitté du fardeau de la preuve, le plaignant aurait alors la charge de démontrer au Tribunal que l’explication fournie par l’intimé n’était qu’un prétexte dissimulant une pratique discriminatoire. Le plaignant n’a pas réussi à prouver que l’explication de l’intimé quant au choix de processus non annoncés était un prétexte. 

119Le fait que l’intimé a mené en 2008 deux processus de nomination l’un après l’autre en vue de la dotation des postes d’agent du tribunal et d’agent du tribunal (perfectionnement) (processus 2008-IRB-EA-014353 et 2008-IRB-TO-IA-014352) vient renforcer la position de l’intimé selon laquelle le choix d’un processus non annoncé découlait d’importants changements organisationnels qui consistaient en la mise sur pied de la nouvelle structure des services de soutien pour les audiences.

120Le plaignant soutient qu’il a établi prima facie l’existence de discrimination en se fondant sur des éléments de preuve de discrimination systémique et que, par conséquent, il incombe à l’intimé de présenter des éléments de preuve à l’appui de sa défense d’EPJ. Il avance que l’intimé n’a fourni aucune preuve étayant une défense d’EPJ pour le choix de processus non annoncés.

121Étant donné que le Tribunal a conclu que le plaignant n’avait pas établi le bien‑fondé de sa plainte pour discrimination, l’intimé n’était donc pas tenu de fournir d’éléments de preuve à l’appui d’une défense d’EPJ. Il est nécessaire d’établir une preuve prima facie de discrimination pour qu’une analyse d’EPJ soit effectuée.

122Enfin, le Tribunal souhaite aborder la question de l’intention dans le contexte d’une plainte pour discrimination. Dans ses décisions, le Tribunal a jugé de façon constante qu’une conclusion d’abus de pouvoir en vertu de la LEFP n’exige pas de prouver qu’il y a eu intention illégitime. (Voir, par exemple, Tibbs c. Sous-ministre de la Défense nationale et al., [2006] TDFP 0008, paragraphe 72; Rinn c. Sous-ministre des Transports, de l’Infrastructure et des Collectivités et al. [2007] TDFP 0044, paragraphe 36; Cameron et Maheux c. l’Administrateur général de Service Canada et al. [2008] TDFP 0016, paragraphe 76; Chiasson c. Sous-ministre de Patrimoine canadien et al. [2008] TDFP 0027, paragraphe 46).

123En conclure autrement reviendrait à dire que le législateur a conféré à la CFP et par le fait même, aux administrateurs généraux, le pouvoir de nommer ou de mettre à pied un employé de façon déraisonnable ou discriminatoire, s’ils le font involontairement ou sans intention illégitime. Il est clair que ni la CFP, ni les administrateurs généraux n’ont le pouvoir d’agir ainsi.

124Il est bien établi dans la jurisprudence en matière de droits de la personne qu’une conclusion à l’existence de discrimination n’exige pas de prouver qu’il y a eu intention illégitime. Donc, dans le cas d’une plainte présentée en vertu de l’article 77 de la LEFP, si le Tribunal estime que le plaignant n’a pas été nommé ou que sa nomination n’a pas été proposée par suite d’une pratique discriminatoire, peu importe l’intention, il peut conclure à l’abus de pouvoir de la part de l’intimé. Dans la décision Tibbs, le Tribunal a donné l’explication suivante à propos de la discrimination :

[73] L’abus de pouvoir constitue plus que simplement des erreurs ou omissions. Cependant, le fait que le délégué se fonde sur des éléments insuffisants, ou qu’il ait pris des mesures déraisonnables ou discriminatoires par exemple peut constituer des erreurs graves ou des omissions importantes qui équivalent à un abus de pouvoir, même si involontaire.

[74] Exiger que l’abus de pouvoir soit lié à l’intention entraînerait des situations qui seraient clairement contraires à l’objet de la LEFP. Le législateur n’aurait pas pu envisager qu’il n’y aurait aucun recours en vertu de la LEFP lorsque, par exemple, un gestionnaire, de façon involontaire, procéderait à une nomination qui donnerait lieu à un résultat déraisonnable ou discriminatoire. Lorsqu’un gestionnaire involontairement procède à une nomination qui va clairement à l’encontre de la logique et des renseignements disponibles, cela peut ne pas constituer un acte de mauvaise foi, un acte répréhensible intentionnel ou une conduite irrégulière, mais le gestionnaire peut avoir abusé de son pouvoir discrétionnaire. (Caractères gras ajoutés)

125Au paragraphe 2(4) de la LEFP, le législateur spécifie expressément que l’abus de pouvoir suppose la mauvaise foi et le favoritisme personnel. Nul ne conteste que la mauvaise foi et le favoritisme personnel sont des comportements inacceptables, constituant un abus de pouvoir. Voir  la décision Glasgow c. Sous-ministre de Travaux publics et Services gouvernementaux Canada et al. [2008] TDFP 0007. De même, à l’article 80 de la LEFP, le législateur précise que le Tribunal peut interpréter et appliquer les dispositions de la LCDP quand il est saisi d’une plainte d’abus de pouvoir. La LCDP est une loi quasi constitutionnelle. Vu l’importance de la législation sur les droits de la personne et son statut quasi constitutionnel au Canada, il ne devrait faire aucun doute que la discrimination est une pratique inacceptable, qui constitue un abus de pouvoir.

Décision

126Pour tous ces motifs, la plainte est rejetée.

Guy Giguère

Président

Parties au dossier

Dossier du Tribunal:
2007-0127
Intitulé de la cause:
Norm Murray et le président de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié du Canada et al.
Audience:
23 au 26 septembre et le 10 novembre 2008
Toronto et Ottawa (Ontario)
Date des motifs:
21 décembre 2009

Comparutions:

Pour les plaignant:
Yavar Hameed
Pour l'intimé:
Lesa Brown
Pour la Commission
de la fonction publique:
John Unrau
 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.