Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le fonctionnaire s’estimant lésé a été congédié du Service canadien du renseignement de sécurité – il a renvoyé son grief à l’arbitrage, mais une entente est intervenue avant que l’affaire soit entendue – il a signé le compte rendu du règlement et retiré son grief – deux ans plus tard, il a demandé à Commission de rouvrir son cas et d’exercer sa compétence pour déterminer si son consentement au règlement avait été vicié par de fausses déclarations, de fausses représentations, des actes de fraude et de la coercition de la part de l’employeur – il a allégué que, durant la médiation, on lui avait fait croire que l’arbitre de grief ne pourrait pas le réintégrer dans ses fonctions, puisque l’employeur refusait de lui accorder la cote de sécurité Très secret – il a allégué que c’était la principale raison pour laquelle il avait accepté l’entente – l’employeur a contesté la compétence d’un arbitre de grief – l’arbitre de grief a conclu qu’elle avait compétence pour déterminer si les parties avaient conclu une entente valide et exécutoire et si le retrait du grief était exécutoire – le retrait d’un grief n’est pas déterminant lorsqu’une allégation porte sur l’existence même d’une entente exécutoire. Objection rejetée. Compétence assumée.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique,
L.R.C. (1985), ch. P-35

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2010-01-25
  • Dossier:  166-20-34057
  • Référence:  2010 CRTFP 11

Devant un arbitre de grief


ENTRE

DANNY PALMER

fonctionnaire s'estimant lésé

et

SERVICE CANADIEN DU RENSEIGNEMENT DE SÉCURITÉ

employeur

Répertorié
Palmer c. Service canadien du renseignement de sécurité

Affaire concernant un grief renvoyé à l’arbitrage en vertu de l’article 92 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-35

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Marie-Josée Bédard, arbitre de grief

Pour le fonctionnaire:
lui-même et Jean-François Mercure, avocat

Pour l'employeur:
Gordon Kirk, avocat

Décision rendue sur la base d’arguments écrits
déposés les 5 et 30 juin, le 31 juillet, le 18 septembre, le 30 octobre
et le 6 novembre 2009.
(Traduction de la CRTFP)

Grief renvoyé à l’arbitrage

1 Danny Palmer, le fonctionnaire s’estimant lésé, s’est joint au Service canadien du renseignement de sécurité (l’« employeur ») en 1991. Il a été renvoyé en juin 2003. M. Palmer a présenté un grief pour contester son licenciement et le grief a été renvoyé à l’arbitrage. Pendant l’audience, les parties ont eu recours à la médiation avec l’aide de l’arbitre de grief et ont conclu une entente. Conformément aux modalités de l’entente de règlement signée par les parties, M. Palmer a retiré son grief en décembre 2007 et la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la « Commission ») a fermé le dossier.

2 Le 1er avril 2005, la nouvelle Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, édictée par l’article 2 de la Loi sur la modernisation de la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, a été proclamée en vigueur. En vertu de l’article 61 de la Loi sur la modernisation de la fonction publique, ce renvoi à l’arbitrage de grief doit être décidé conformément à l’ancienne Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-35 (l’« ancienne Loi »).

3 Le 5 juin 2009, M. Palmer a déposé auprès de la Commission une lettre dans laquelle il a demandé la réouverture de son dossier au motif qu’il a obtenu en 2008 et en 2009 de l’information qui a établi que l’entente de règlement intervenue en 2007 relativement à son grief a été conclue en conséquence d’une fraude et de mesures coercitives de la part de l’employeur. M. Palmer a demandé que la Commission exerce sa compétence et décide si son consentement au règlement a été donné à la suite de déclarations inexactes, de déclarations erronées, de fraude et/ou de mesures coercitives de l’employeur et déclare, si tel est le cas, le règlement nul et non avenu et qu’elle statue sur son grief.

4 Dans une lettre en date du 30 juin 2009, l’employeur s’est opposé à la compétence de la Commission de rouvrir le dossier de M. Palmer et de statuer sur son grief. 

Résumé de l’argumentation

5 Les éléments factuels suivants sont pertinents pour comprendre les allégations de M. Palmer.

6 Quand M. Palmer a été licencié, l’employeur a désactivé son autorisation sécuritaire « Très secret ». La preuve concernant l’instruction de son grief comportait des renseignements et des documents classifiés (certains portant la classification « Très secret »). Pour être autorisé à entendre ces renseignements et à avoir accès aux documents pertinents, M. Palmer avait besoin d’une autorisation sécuritaire. En 2006, il a obtenu une autorisation sécuritaire « Secret ». Au printemps 2007, l’avocat de M. Palmer a obtenu une autorisation sécuritaire « Très secret » aux fins de l’audience. M. Palmer a également demandé une autorisation sécuritaire « Très secret ».

7 Dans une lettre en date du 31 août 2007 qui était adressée à l’avocat de M. Palmer à l’époque, l’avocat de l’employeur a mentionné que M. Palmer n’obtiendrait pas d’autorisation sécuritaire « Très secret ».  Voici la teneur de la lettre :

[Traduction]

[…]

L’an dernier, M. Palmer a obtenu une autorisation « Secret » pour accéder aux documents qui pourraient être pertinents à cette audience de la CRTFP. M. Palmer a demandé une autorisation « Très secret ». Le Service a pris la décision finale que M. Palmer n’obtiendra pas d’autorisation sécuritaire « Très secret ».

[…]

8 M. Palmer fait valoir que l’employeur l’a trompé relativement à l’impact de sa décision de lui refuser une autorisation sécuritaire « Très secret ». Sur ce point, M. Palmer soutient avoir été informé au cours de la médiation par les représentants de l’employeur et par l’arbitre de grief que le refus de l’employeur de lui accorder une autorisation sécuritaire « Très secret » empêcherait l’arbitre de grief d’ordonner la réintégration du fonctionnaire s’estimant lésé (l’autorisation sécuritaire « Très secret » constitue un prérequis d’emploi chez l’employeur) s’il devait accueillir le grief sur le fond. M. Palmer fait valoir qu’il s’agissait du facteur principal dans sa décision de conclure une entente. M. Palmer soutient qu’il a appris ultérieurement que le refus de l’employeur de lui accorder une autorisation sécuritaire « Très secret » était limité à l’arbitrage et que cette décision n’aurait pas empêché l’arbitre de grief d’ordonner sa réintégration. Il ajoute que ce renseignement établit que le refus de l’employeur de lui accorder une autorisation « Très secret » pendant l’audience était frauduleux et qu’il s’agissait d’un camouflage pour faire obstruction à la divulgation de la preuve qui aurait établi son licenciement injustifié et pour empêcher l’arbitre de grief d’ordonner sa réintégration. M. Palmer prétend que comme l’élément principal qu’il a pris en compte dans la conclusion d’un règlement reposait sur le refus frauduleux de l’employeur de son autorisation sécuritaire « Très secret » et sur les fausses représentations de l’employeur concernant l’impact du refus sur ses possibilités de réintégration, son consentement au règlement ne peut être considéré comme valide et exécutoire.    

9 L’employeur soutient que la Commission n’a pas compétence pour rouvrir le dossier parce que celui-ci a été réglé et que le grief a été retiré. Dans une lettre datée du 30 juin 2009, l’avocat de l’employeur a exposé ainsi sa position :

[Traduction]

[…]

La Commission n’a pas compétence pour trancher la question parce qu’en 2007, M. Palmer a opté pour les avantages d’un règlement, a retiré son grief, et a mis fin à l’arbitrage. Nous nous référons à Maiangowi c. Conseil du Trésor, 2008 CRTFP 6, affaire dans laquelle l’arbitre de grief Mooney a statué au paragraphe 61 que « le retrait d’un grief interdit son arbitrage […] Une fois qu’un grief est retiré, la Commission n’a plus compétence sur tout ce qui le concerne […] » Nous nous référons également à Canada (Procureur général) c. Lebreux, [1994] A.C.F. no 1711, au paragraphe 12, dans laquelle la Cour d’appel fédérale a statué que dès l’abandon d’un grief par un employé, la Commission n’a plus de pouvoir ni de compétence.

[…]

10 Dans une lettre en date du 31 juillet 2009, l’avocat de M. Palmer a répondu ainsi à l’objection de l’employeur à la compétence de la Commission :

[Traduction]

[…]

Avec égards, nous sommes d’avis que les dossiers cités par M. Kirk ne règlent pas la question de la compétence de la CRTFP dans cette affaire.

Cette question qui a été traitée dans Maiangowi c. Conseil du Trésor, 2008 CRTFP 6 découlait d’allégations selon lesquelles une partie ne s’était pas acquittée de ses obligations aux termes de l’entente de règlement ayant mené au retrait du grief. M. Palmer n’allègue pas, dans ce cas-ci, que le SCRS a fait défaut de respecter ses obligations aux termes du règlement.

Il est clair que le grand principe du caractère final des ententes est défendable, mais ce n’est pas la question en litige en l’espèce. M. Palmer allègue plutôt que l’entente de règlement a été conclue à la suite de déclarations inexactes, de déclarations erronées, de renseignements inadéquats ou trompeurs, et de fraude et/ou de mesures coercitives, tel qu’il est exposé dans la correspondance précédente et dans une lettre en date du 30 juillet 2009, qu’il vous fera parvenir […]

L’intégrité des ententes consensuelles conclues grâce à la médiation en tant que mécanisme de règlement des conflits entre les parties doit être maintenue. Le fait de reconnaître le retrait d’un grief et donc de refuser d’entendre de nouveau une affaire dans des circonstances dans lesquelles le processus de médiation serait terni équivaudrait à permettre aux parties, selon nous, de contourner la compétence de la CRTFP.

[…]

Motifs

11  Je dois décider si un arbitre de grief a compétence pour déterminer si les parties ont conclu une entente valide et exécutoire au sujet d’un grief alors que, conformément aux modalités de l’entente de règlement, le grief a été retiré. 

12 Pour les motifs qui suivent, je conclus que j’ai compétence pour décider si le règlement conclu par les parties, et par conséquent le retrait du grief de M. Palmer, lie les parties.

13 Il est bien établi par la jurisprudence qu’en vertu de l’ancienne Loi,qui s’applique à la présente affaire, la Commission et ses arbitres de grief n’avaient pas compétence sur l’application ou la mise en œuvre d’une entente de règlement. Il est également bien établi que le règlement d’un grief rend l’arbitre de grief totalement inhabile à se saisir d’un grief lorsqu’une partie désire annuler son consentement au règlement parce que l’entente était présumément insatisfaisante.   

14 Toutefois, les arbitres de grief ont conservé leur compétence lorsque le différend porte sur l’existence même d’un règlement valide et exécutoire et ont conclu qu’ils ont compétence pour décider si les parties ont conclu une entente exécutoire (Bedok c. Conseil du Trésor (ministère du Développement des ressources humaines), 2004 CRTFP 163 et Skandharajah c. Conseil du Trésor (Emploi et Immigration Canada, 2000 CRTFP 114).

15 L’employeur invoque Canada (Procureur général) c. Lebreux, [1994] A.C.F. no 1711 (QL) (C.A.) et Maiangowi c. Conseil du Trésor (ministère de la Santé), 2008 CRTFP 6 pour étayer sa thèse selon laquelle je n’ai pas compétence. Avec égards, je crois que les décisions Lebreux et Maiangowi ne règlent pas la question soulevée en l’espèce. 

16 Dans Lebreux, la Cour d’appel fédérale a statué qu’un arbitre de grief n’avait pas compétence pour statuer sur une question concernant un grief une fois que le grief en question a été retiré. La Cour s’est exprimée en ces termes :

[…]

[12]    À partir du moment où l’intimé s’est désisté de ses griefs, la Commission et l’arbitre désigné sont devenus functus officio puisqu’ils ont été alors déssaisis du litige. La Commission n’avait ni à s’enquérir du mérite et de l’opportunité d’un tel désistement ni à décider de l’accepter ou de le refuser. L’acte de désistement a mis, immédiatement et sans plus, un terme aux procédures à l’égard desquelles il fut produit. En conséquence, aucune ordonnance ou décision ne pouvait être et n’a été rendue au sens de la Loi qui puisse faire l’objet d’une annulation ou d’une révision sous l’article 27.

[…]

17 La décision Lebreux a été rendue dans un contexte dans lequel la validité de l’entente de règlement et le retrait du grief qui en a découlé, n’ont pas été remis en question. Dans Lebreux, le fonctionnaire s’estimant lésé a demandé à la Commission de rouvrir le grief pour le motif qu’il « […] n'y avait pas d'entente satisfaisante […] » entre les parties. La Cour a conclu que l’abandon du grief rendait la Commission complètement inhabile à se saisir du grief. Selon moi, la question soulevée en l’espèce diffère. Le fonctionnaire s’estimant lésé allègue qu’il ne peut être légalement lié par l’entente de règlement et par le retrait de son grief, qui a résulté du règlement, parce que son consentement a été obtenu au moyen de fausses représentations de la part de l’employeur. Le litige en l’espèce réside dans l’existence même d’un règlement exécutoire et le retrait du grief qui en a découlé, et non dans les conséquences d’un retrait valide du grief.  

18 Dans Maiangowi, affaire dans laquelle l’arbitre de grief a appliqué les principes exposés dans Lebreux, le fonctionnaire s’estimant lésé désirait que l’arbitre de grief rouvre son dossier sous prétexte que l’employeur n’avait pas rempli ses obligations prévues dans l’entente. Contrairement à la situation qui prévaut dans la présente affaire, le litige ne portait pas sur l’existence même d’un règlement valide; il portait plutôt sur des questions d’exécution.

19 Dans Canada (Attorney General) v. Amos, 2009 FC 1181, la bonne foi des parties dans la tenue de négociations qui ont mené au règlement ne constituait pas une question en litige et, de fait, a été explicitement présumée comme présente par le juge. En l’espèce, c’est cette présomption de bonne foi qui est remise en question et qui distingue par conséquent la présente affaire des précédentes qui m’ont été citées. Je trouve rassurant que bien que la Cour fédérale ait appliqué le raisonnement dans Lebreux à la décision rendue dans Amos, elle l’a fait en se fondant sur la présomption selon laquelle la question de la bonne foi ne posait pas problème (voir le paragraphe 49 de Amos), ce qui n’est pas le cas dans la présente affaire.

20 J’estime que dans les cas où l’allégation porte sur l’existence même d’un règlement exécutoire, le retrait du grief n’est pas déterminant. Quand le grief est retiré en conséquence du règlement, le retrait du grief ne peut être distingué du règlement comme tel. Si le règlement est déclaré invalide, le retrait du grief n’aura simplement plus d’effet.

21 En conséquence, je conclus qu’un arbitre de grief a compétence pour décider si le règlement conclu par M. Palmer et l’employeur est valide et exécutoire.

22 Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

Ordonnance

23 L’objection de l’employeur à ma compétence est rejetée.

24 Il est demandé au greffe de la Commission d’inscrire une audience au rôle pour statuer sur les allégations de M. Palmer selon lesquelles le règlement qu’il a conclu n’est pas exécutoire.   

Le 25 janvier 2010.

Traduction de la CRTFP

Marie-Josée Bédard,
arbitre de grief

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