Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le plaignant a affirmé n’avoir pas été évalué de façon impartiale dans un examen pratique en raison d’un conflit préalable avec un des membres du comité d’évaluation. Il a soutenu d’autre part que ledit examen a été administré de manière non professionnelle et qu’il ne constituait pas une juste évaluation de ses capacités. L’intimé a fait valoir que tous les candidats, y compris le plaignant, avaient été évalués de la même manière; qu’un témoin impartial avait supervisé l’examen pratique pour s’assurer que le processus était juste et transparent. Il a ajouté que le plaignant ne pouvait pas être nommé parce qu’il ne possédait pas la qualification essentielle relative aux capacités. Décision : Le Tribunal a tenu pour avéré que le plaignant et l’évaluateur se sont trouvés en situation de conflit avant le processus de nomination. Un observateur renseigné examinant les éléments de preuve de façon pratique et réaliste pourrait en conclure que, selon toute vraisemblance, l’évaluateur n’était pas en mesure d’administrer l’examen pratique de façon impartiale à l’égard du plaignant, que ce soit délibérément ou non. En outre, le Tribunal a jugé que d’autres personnes qualifiées auraient pu administrer l’examen; que l’examen pratique présentait des lacunes importantes, et que les erreurs et omissions commises par l’intimé dans l’administration de l’examen pratique étaient suffisamment graves pour constituer de la mauvaise foi. Plainte accueillie. Le Tribunal a ordonné à l’administrateur général de révoquer la nomination.

Contenu de la décision

Coat of Arms - Armoiries
Dossier:
2008-0390
Rendue à:
Ottawa, le 15 octobre 2009

MILES DENNY
Plaignant
ET
LE SOUS-MINISTRE DE LA DÉFENSE NATIONALE
Intimé
ET
AUTRES PARTIES

Affaire:
Plainte d'abus de pouvoir en vertu des l'alinéa 77(1)a) de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique
Décision:
La plainte est fondée
Décision rendue par:
Kenneth J. Gibson, membre
Langue de la décision:
Anglais
Répertoriée:
Denny c. le sous-ministre de la Défense nationale et al.
Référence neutre:
2009 TDFP 0029

Motifs de la décision

Introduction

1Le plaignant, Miles Denny, affirme n’avoir pas été évalué de façon impartiale au cours d’un examen pratique en raison d’un conflit préalable avec un des membres du comité d’évaluation. Il soutient d’autre part que l’examen pratique a été administré de manière non professionnelle et qu’il ne constituait pas une juste évaluation de ses capacités. Selon lui, cet abus de pouvoir présumé aurait entraîné la conclusion qu’il n’était pas qualifié pour le poste de superviseur technique en munitions (civil).

2L’intimé, le sous-ministre de la Défense nationale, soutient que tous les candidats, y compris le plaignant, ont été évalués de la même manière. Il ajoute qu’un témoin impartial a supervisé l’examen pratique pour s’assurer que le processus était juste et transparent. Selon l’intimé, le plaignant ne pouvait pas être nommé parce qu’il ne possédait pas la qualification essentielle relative aux capacités.

Contexte

3En novembre 2007, l’intimé a lancé un processus de nomination interne annoncé pour doter deux postes de superviseur technique en munitions (civil) (GT‑03) au Dépôt de munitions des Forces canadiennes de Bedford, en Nouvelle‑Écosse.

4Le processus de nomination comprenait les étapes suivantes : une présélection des candidats, un examen écrit des connaissances et enfin, un examen pratique des capacités. Les candidats qui répondaient aux critères de présélection et qui avaient subi avec succès l’examen écrit et l’examen pratique étaient convoqués en entrevue.

5Le plaignant satisfaisait aux critères de présélection. Il a d’abord échoué à l’examen écrit, mais il a obtenu la note de passage après une révision de sa copie. Toutefois, il n’a pas obtenu la note de passage à l’examen pratique, qui visait à évaluer les capacités essentielles; sa candidature n’a donc pas été retenue pour la suite du processus.

6Le 22 avril 2008, le plaignant a reçu un courriel annonçant que les candidatures de James Brown et de David MacKeigan avaient été retenues en vue d’une nomination aux postes GT‑03.

7Après avoir reçu ces avis de nomination, le plaignant a présenté une plainte au Tribunal de la dotation de la fonction publique (le Tribunal) le 15 mai 2008, en vertu de l’alinéa 77(1)a) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, art. 12 et 13 (la LEFP).

Questions en litige

  1. L’intimé a-t-il abusé de son pouvoir en chargeant M. Varner d’administrer l’examen pratique?
  2. L’intimé a-t-il abusé de son pouvoir dans l’administration de l’examen pratique?

Résumé des éléments de preuve pertinents

A) Éléments de preuve concernant la justification du processus de nomination et l’établissement du comité d’évaluation

8Le major John McCallum, commandant du Dépôt de munitions des Forces canadiennes à Bedford, a témoigné pour l’intimé. Ses fonctions de commandant, qu’il exerce depuis le 19 juin 2007, consistent à s’assurer que tous les règlements sont respectés, que les procédures sont suivies et que tout le personnel et les ressources nécessaires sont en place de manière à satisfaire aux exigences opérationnelles. Selon lui, son travail est de nature administrative plutôt que technique.

9Le major McCallum a déclaré qu’il était le gestionnaire responsable du processus de nomination, mais qu’il n’avait pas le pouvoir délégué de signer des lettres d’offre. Bien qu’il n’ait pas suivi de formation particulière sur la LEFP, le major McCallum a indiqué qu’il prenait pratiquement toutes les décisions liées aux ressources humaines en étroite collaboration avec son agent des ressources humaines, ce qu’il considère comme une formation personnalisée. Il a reconnu qu’il ne connaissait pas très bien la matrice des pouvoirs délégués en matière de dotation du personnel civil du ministère de la Défense nationale. Depuis son arrivée au Dépôt de munitions de Bedford, le major McCallum participe de façon continue aux activités de dotation.

10Le major McCallum a décrit la structure du personnel du Dépôt de munitions de Bedford : elle se compose de vingt techniciens en munitions civils (GT‑02), quatre superviseurs (GT‑03), deux superviseurs de secteur (GT‑04), un poste GT-05, qui est de nature plutôt technique et qui relève du major, un officier contrôleur du matériel (GT‑06) responsable de l’entreposage et de la gestion de l’inventaire, ainsi que de six apprentis ou stagiaires (GT‑01). 

11Un des superviseurs travaille à la jetée où les navires accostent pour le chargement ou la livraison des munitions. Jusqu’à 150 personnes peuvent participer à ces opérations; à l’occasion, du personnel occupant d’autres fonctions est mis à contribution.

12À la fin de 2007, deux des quatre postes de supervision GT‑03 étaient vacants. Ils avaient souvent été occupés de façon intérimaire au cours des deux ou trois dernières années. Le major McCallum était d’avis que les intérims duraient depuis trop longtemps et qu’il fallait y mettre fin.

13Il a jugé qu’il était important d’utiliser un processus annoncé pour que les membres du personnel aient l’occasion de poser leur candidature. Selon lui, ces derniers venaient de traverser « quinze années de déception » [traduction], conséquence de trois mesures de réduction du personnel et d’une très longue période sans aucune possibilité de promotion.

14Le major McCallum a indiqué que le poste GT‑03 est générique et que l’énoncé des critères de mérite avait été élaboré à partir de la description de travail. Bien qu’il soit possible d’y ajouter des qualifications constituant un atout ou des termes comme « jetée », l’énoncé des critères de mérite est, pour l’essentiel, un document type. Le major a affirmé que ce sont le capitaine Francis Wight et M. Minnikin (GT‑04) qui l’avaient rédigé en suivant les conseils de l’équipe des ressources humaines, et qu’il  l’avait ensuite approuvé. Le processus d’évaluation comprenait un examen des connaissances, un examen pratique et des entrevues.

15Le major McCallum a expliqué que la personne occupant le poste de GT‑06, qui aurait normalement administré l’examen pratique, était partie en août 2007. Gary Edwards (GT‑05) participait activement à l’évaluation de 230 candidatures pour des postes GT‑01, tandis que M. Minnikin, le titulaire d’un des postes GT‑04, était déjà suffisamment occupé par les fonctions du poste GT‑05 qu’il assumait par intérim, en plus de certaines fonctions du poste GT‑06. L’autre personne occupant un poste GT‑04, pour sa part, avait fait connaître son intention de prendre sa retraite à l’été 2008; on hésitait donc à lui confier d’autres tâches, même si elle avait évalué la majeure partie de l’examen de connaissances.

16Paul Varner et Paul Perrin étaient titulaires des deux postes GT‑03. Le major a indiqué qu’il avait pensé à M. Perrin pour administrer l’examen, mais qu’il avait plutôt envisagé d’affecter celui‑ci au processus de nomination visant un poste GT‑02. M. Varner a donc été choisi pour administrer l’examen pratique, en raison de la réputation qu’il s’était forgée en tant que travailleur efficace et acharné, qui respecte toujours les échéances. En outre, le personnel GT‑03 dont il fait partie effectue également les tâches faisant l’objet de l’évaluation.

17Le major McCallum a reconnu que l’administration de l’examen ne représentait qu’un jour de travail. Toutefois, il a souligné qu’il fallait consacrer beaucoup de temps pour élaborer les outils d’évaluation, obtenir un consensus à leur sujet, les noter et obtenir les approbations nécessaires.

18Pour administrer l’examen pratique, le major McCallum avait envisagé de demander l’appui d’un autre dépôt de munitions en Colombie‑Britannique, qui comporte également une jetée; mais il ne s’était pas rendu compte que l’animosité au sein de l’unité était forte au point de nuire au processus. De plus, il ne lui semblait pas logique de faire appel à des personnes se trouvant à des milliers de kilomètres alors qu’il disposait déjà de gens qualifiés.

B) Éléments de preuve concernant la partialité

19Afin que l’examen soit administré en toute impartialité, le major McCallum en a attribué la responsabilité au capitaine Wight, qui ne connaissait aucun des participants et n’était au fait d’aucun conflit entre eux. Le major McCallum ne souhaitait pas que M. Varner ou le capitaine Wight évalue tout seul les candidats : il voulait être certain que quelqu’un « de totalement désintéressé » [traduction] soit présent en cas de problème. Il a déclaré que le capitaine Wight avait été commandant du Groupe de soutien en matériel du Canada, qui comprenait quatre dépôts de munitions. Il a ajouté que cette personne avait une expertise technique dans le domaine et qu’elle était disponible au moment de l’examen. Le major a jugé que le capitaine ne pourrait administrer l’examen à lui seul, car les officiers ne sont que rarement appelés à faire du travail de première ligne dans le domaine des munitions. Selon lui, le capitaine Wight ne possédait pas une connaissance approfondie des tâches quotidiennes liées aux activités du dépôt, et il valait mieux que l’expert en la matière soit un superviseur possédant une expérience pratique.

20Le major McCallum a déclaré qu’il n’avait pas souvenir d’un conflit particulier entre le plaignant et M. Varner. Il a toutefois précisé qu’il savait que le plaignant « avait eu maille à partir avec pratiquement tous les superviseurs de l’organisation, et en de nombreuses occasions » [traduction]. Selon le major, bien qu’il y ait toujours des conflits dans une organisation, il ne se rappelait « rien de particulièrement marquant » [traduction].

21Le plaignant a affirmé qu’il travaillait pour le ministère de la Défense nationale (MDN) comme ouvrier aux munitions depuis 1991. Il a occupé des postes de supervision pendant neuf de ses 18 années au ministère. Il a atteint le plus haut niveau de compétence (niveau 5), possède une certification en traitement des matières dangereuses et a suivi de nombreux cours portant sur la sécurité. Il a également fait partie du comité local de santé et de sécurité du MDN, qu’il a coprésidé.

22Le plaignant a déclaré qu’il avait « frémi » [traduction] quand il avait appris que M. Varner administrerait l’examen pratique sous la supervision du capitaine Wight. Il a affirmé qu’il avait présenté un grief et une plainte de harcèlement contre M. Varner en raison d’une mesure disciplinaire que ce dernier lui avait imposée en 2006. En outre, en 2007, le plaignant avait contribué à faire démettre M. Varner de ses fonctions de coprésident du comité de santé et de sécurité, car les autres membres du syndicat qui faisaient partie du comité estimaient qu’il prenait toujours le parti de la direction. À la suite de ces événements, le plaignant est devenu coprésident du comité.

23En contre‑interrogatoire, le major McCallum a affirmé qu’il était entré en fonctions au Dépôt de munitions de Bedford après le dépôt de la plainte pour harcèlement et du grief, et que personne ne lui avait signalé que le plaignant et M. Varner avaient eu un différend; il est certain que les Ressources humaines ont omis de le faire. Il a discuté de la situation avec M. Varner après l’examen, mais il ne se souvient pas d’avoir évoqué ce sujet avant.

24Compte tenu de ses rapports antérieurs avec M. Varner, le plaignant avait envisagé de demander que celui‑ci n’administre pas l’examen. Toutefois, il n’en avait rien fait, car il croyait que M. Varner saurait se montrer professionnel, juste et équitable dans son évaluation. Il a tout de même indiqué avoir pensé qu’il lui faudrait « obtenir 100 % pour réussir » [traduction].

25De plus, le plaignant a été surpris d’apprendre que M. Varner avait été choisi pour administrer l’examen, car le superviseur de celui‑ci relevait de Jim Brown. Donc, M. Brown, qui était également candidat dans le processus de nomination, se trouvait être l’agent de révision de l’évaluation du rendement de M. Varner.

26Le major McCallum a affirmé que pour la période visée, le supérieur hiérarchique de M. Varner n’était pas M. Brown; c’était plutôt M. Minnikin qui, lui, était sous les ordres du major McCallum. Ainsi, M. Varner n’était pas en conflit d’intérêts à l’égard de M. Brown.

27En contre‑interrogatoire, le plaignant a reconnu qu’il n’avait fait part de ses préoccupations concernant M. Varner qu’à des collègues. Il a affirmé qu’il ne pensait pas qu’on le prendrait au sérieux s’il en parlait à une autorité supérieure.

28Le plaignant a également reconnu n’avoir mentionné ses préoccupations au sujet de la partialité ni pendant l’examen, ni immédiatement après, car il pensait qu’il avait fait bonne figure. S’il a abordé le sujet avec le major McCallum au cours d’une discussion informelle, quelque temps après, c’est qu’il avait vu ses résultats.

29Le plaignant a admis qu’il ne voyait pas pourquoi le capitaine Wight aurait fait preuve de partialité à son égard, mais il a ajouté que si ce dernier était d’accord avec l’évaluation de M. Varner, « soit il n’était pas impartial, soit il ne connaissait pas toute l’histoire » [traduction].

30En contre‑interrogatoire, le plaignant a déclaré qu’il avait retiré sa plainte pour harcèlement contre M. Varner sur la recommandation de son syndicat, car la plainte avait le même objet que le grief. Il a ensuite retiré le grief parce que les lettres qui l’avaient motivé avaient été retirées de son dossier. Le plaignant a indiqué qu’après l’incident où il avait fait en sorte que M. Varner quitte le comité de santé et de sécurité, celui‑ci ne lui avait plus adressé la parole. Le plaignant a souligné que ses relations conflictuelles avec M. Varner n’étaient un secret pour personne, mais qu’il ne savait pas si le major McCallum et le capitaine Wight étaient au courant.

31Le plaignant a affirmé que deux autres personnes, MM. Perrin et Edwards, étaient qualifiées pour administrer l’examen à la place de M. Varner.

32M. Varner a déclaré qu’il comptait 21 ans de service et qu’il était superviseur technique en munitions (civil) (GT-03) depuis 1992; il a aussi occupé un poste GT‑04 par intérim. Il a indiqué qu’il comptait de nombreuses années d’expérience dans le domaine des torpilles et qu’il était « l’expert local » [traduction] en la matière.

33M. Varner a fourni sa propre explication des circonstances entourant le grief et la plainte de harcèlement concernant le plaignant. Il a déclaré qu’à ce moment‑là, il était superviseur d’entrepôt par intérim. Le problème qui a donné lieu à la mesure disciplinaire a été découvert par une équipe d’inspection venue d’Ottawa. Après plusieurs enquêtes, une lettre disciplinaire a été envoyée. M. Varner a affirmé qu’il n’avait pas participé au processus disciplinaire. Quant à la plainte pour harcèlement, il a précisé qu’il était l’une des quatre personnes ayant reçu une lettre les accusant de harcèlement. La plainte a été retirée car elle ne correspondait pas aux lignes directrices sur les plaintes en matière de harcèlement.

34Pendant le contre‑interrogatoire, M. Varner a déclaré qu’il ne se souvenait pas de la réaction qu’il avait eue quand le plaignant a présenté le grief. Pour ce qui est de la plainte pour harcèlement, il a reconnu qu’il avait été « quelque peu décontenancé, comme n’importe qui d’autre l’aurait été » [traduction].Il a souligné qu’il n’évitait pas de parler au plaignant, et qu’ils « discutaient de temps à autre » [traduction], mais qu’il « ne l’aurait pas invité à prendre une bière » [traduction]. Il ne croit pas que ses sentiments aient pu nuire à sa capacité d’administrer l’examen pratique : il a affirmé qu’il avait évalué le plaignant avec impartialité et avec tout le professionnalisme attendu de sa part.

35M. Varner a déclaré qu’il ne se souvenait pas d’avoir abordé la question d’un possible parti pris avec le major McCallum. Il en avait parlé avec le capitaine Wight, mais lui avait assuré qu’il administrerait l’examen avec impartialité, et celui‑ci n’avait pas émis de réserves. En outre, le capitaine Wight était présent pour veiller à ce que l’évaluation se fasse dans les règles de l’art. M. Varner a ajouté que l’examen qu’il avait élaboré « ne laissait aucune place à la subjectivité. C’était blanc ou noir » [traduction].

36Le capitaine Wight a affirmé qu’il travaillait pour les Forces canadiennes depuis 35 ans. Au moment du processus de nomination, il était affecté au Quartier général de la Défense nationale, mais a été muté au Dépôt de munitions de Bedford en appui à la gestion et aux processus de dotation en mai 2008. Il a suivi des cours sur la LEFP et possède de l’expérience en dotation. Il a indiqué qu’il avait rédigé l’énoncé des critères de mérite pour le processus de nomination ainsi qu’une banque de questions pour l’examen de connaissances, et qu’il avait fait partie du comité d’évaluation de l’examen pratique.

37Le capitaine Wight a expliqué que M. Varner a été choisi pour faire partie du comité d’évaluation parce qu’il occupe un poste GT‑03 : il s’agissait justement d’un processus visant à doter un poste GT‑03, et M. Varner est un expert en la matière. De plus, celui‑ci travaillait à ce moment‑là sur une nouvelle version des instructions permanentes d'opération, l’IPO 2‑19. Le capitaine Wight a par ailleurs souligné que s’il avait administré l’examen, M. Perrin aurait clairement été en conflit d’intérêts en raison de ses rapports hiérarchiques avec un autre candidat, en l’occurrence M. Brown.

38Le capitaine Wight a indiqué que M. Varner « avait peut‑être » mentionné son différend avec le plaignant, mais qu’il n’avait jamais affirmé qu’il se sentait mal à l’aise à l’idée d’administrer l’examen. Selon le capitaine Wight, ni le plaignant ni le major McCallum n’avaient parlé d’un quelconque conflit entre le plaignant et M. Varner.

39Le capitaine Wight a indiqué que rien ne prouvait que M. Varner ait fait preuve de partialité à l’égard du plaignant. Il a aussi affirmé que, au moment du processus de nomination, il ne connaissait « personne au Dépôt, pas même le commandant » [traduction]. C’est justement en partie parce qu’il était neutre qu’il avait été invité à participer à l’examen pratique.

C) Éléments de preuve concernant l’élaboration et l’administration de l’examen pratique

40Le major McCallum a déclaré que la capacité suivante, tirée de l’énoncé des critères de mérite, était évaluée par l’examen pratique :

Capacité d’effectuer des tâches telles que le désassemblage, l’assemblage, la réparation, la modification et le réapprovisionnement des systèmes d’entreposage et d’emballage des munitions et de leurs composants.  CA1 – Note de passage à l’examen pratique : 65 %, IPO et réponses attendues. [traduction][gras dans le texte original]

41Selon le major McCallum, l’examen pratique visait à déterminer si les candidats étaient à même d’aller au-delà des fonctions d’un ouvrier aux munitions et d’effectuer le travail d’un superviseur GT‑03. Même si les ouvriers ont un rôle à jouer dans le processus, ce sont les superviseurs qui doivent examiner les outils, les certificats, les licences, etc. Par exemple, un nombre précis de personnes peuvent être présentes dans un bâtiment quand le personnel y manipule des munitions. Si ce nombre est dépassé, les travaux doivent être arrêtés jusqu’à ce que la limite soit respectée. Cette fonction relève des postes GT‑03, et non des postes GT‑02.

42Le major a affirmé qu’il ne se rappelait pas qui avait élaboré l’outil d’évaluation pour l’examen pratique, mais qu’il savait que le capitaine Wight et des responsables des ressources humaines avaient joué un rôle dans le processus. Quand on lui a demandé si l’IPO 2‑19 était utilisée dans le cadre d’inspections, le major McCallum a répondu que c’était ce que son titre indiquait, mais qu’il n’était pas la personne la mieux placée pour répondre à cette question. Il a aussi indiqué qu’il était certain qu’une autre version de l’IPO contenait les fonctions indiquées à la CA1 de l’énoncé des critères de mérite (désassemblage, assemblage, etc.), mais qu’il n’en connaissait pas le numéro.

43Quant à l’allégation du plaignant selon laquelle l’IPO 2‑19 porte sur l’inspection et ne concerne en rien les tâches énumérées dans l’énoncé des critères de mérite, le major McCallum a souligné que l’inspection était la première étape à franchir pour démontrer les capacités susmentionnées. Il a affirmé qu’il ne pouvait imaginer qu’on puisse désassembler des munitions sans les inspecter d’abord.

44Le capitaine Wight a affirmé qu’il avait consulté les titulaires des postes GT‑04 et GT‑05 pour élaborer l’examen pratique. Il avait décidé d’utiliser l’IPO 2‑19 parce qu’il est nécessaire de mener une inspection avant d’effectuer toute autre manipulation sur des munitions. Le capitaine Wight a expliqué que l’IPO s’applique à toute tâche liée aux munitions; il s’agit d’un outil pour les superviseurs et les ouvriers. Elle porte notamment sur certaines tâches liées à la réparation, qui fait partie des cinq capacités énoncées dans la CA1 de l’énoncé des critères de mérite.

45Le capitaine Wight a déclaré que le guide de notation avait été préparé par M. Varner et lui‑même. Il a ajouté qu’il avait conçu le scénario au regard des qualités qu’il recherchait chez un superviseur, dont voici les deux principales :

  • Capacité de fournir un environnement de travail sûr.
  • Capacité d’utiliser l’IPO – être en mesure de la comprendre, de la suivre et d’y relever des erreurs. [traduction]

46Le plaignant a décrit le déroulement de l’examen pratique. Il a déposé comme preuve un courriel en date du 4 mars 2008 envoyé par Audrey Fraser, agente des ressources humaines, qui disait que l’examen évaluerait la « capacité d’effectuer des tâches telles que le désassemblage, l’assemblage, la réparation, la modification et le réapprovisionnement des systèmes d’entreposage et d’emballage des munitions et de leurs composants (pratique, en suivant l’IPO) » [traduction]. Le 6 mars 2008 à 14 h 07, le capitaine Wight lui a envoyé un courriel lui annonçant que l’examen aurait lieu le matin suivant, de 9 h 30 à 10 h 45 au bâtiment 203. Le courriel mentionnait également que l’examen pratique porterait sur l’IPO 2‑19 et sur les références connexes. L’IPO y figurait en pièce jointe. Le plaignant a expliqué que l’IPO n’était pas le genre de document que l’on étudie à la maison : il s’agit d’une marche à suivre étape par étape, et chacune de ces étapes comporte plusieurs « références » qui sont essentiellement des sous‑étapes.

47Le jour de l’examen, M. Varner et le capitaine Wight ont escorté le plaignant jusqu’au bâtiment, où ils l’ont amené dans une aire ouverte en forme de « L ». On lui a décrit un scénario selon lequel il occuperait par intérim les fonctions du poste de superviseur GT‑03 de la section des torpilles parce que le titulaire du poste était en congé de maladie. Le plaignant a précisé que les autres candidats avaient eu droit à un scénario différent, selon lequel le superviseur était rentré chez lui sous le coup de la colère.

48M. Varner et le capitaine Wight lui ont dit que l’examen avait été préparé à court préavis et que certains des outils dont il aurait besoin étaient dans la pièce, mais qu’il devrait « faire semblant » [traduction] d’en avoir d’autres. Des outils servant à d’autres tâches effectuées dans le même bâtiment avaient été laissés sur les lieux; on lui a dit de faire comme s’ils ne s’y trouvaient pas. Selon le plaignant, seuls un établi et les outils nécessaires aux tâches concernées auraient dû être fournis.

49Le plaignant a déclaré que M. Varner lui avait indiqué de faire semblant d’être la première personne à entrer dans l’aire de travail pour y jeter un coup d’œil avant de laisser entrer le personnel. Puis, le plaignant lui a demandé un exemplaire de l’IPO 2‑19 et a fait semblant de la passer en revue afin de s’assurer que tout était en ordre. Il a ensuite fait mine de laisser entrer le personnel. Finalement, M. Varner lui a demandé de consulter certaines parties de l’IPO et d’effectuer des tâches précises.

50Le plaignant a affirmé qu’il n’avait pas demandé de précisions au sujet du moment où il convenait ou non de faire semblant. « Je croyais que quand je n’étais pas censé faire semblant, ils me le diraient. Ils l’ont fait, une fois » [traduction].

51Le plaignant a expliqué que l’IPO donnait des directives étape par étape sur des tâches particulières. Il a ajouté que l’IPO ne s’appliquait pas à toutes les tâches : certaines d’entre elles sont visées par d’autres documents, appelés « références ».

52Le plaignant a ensuite décrit la façon dont il s’y est pris pour effectuer diverses tâches pour lesquelles aucun point ne lui a été accordé sur la feuille de notation. Il a indiqué qu’il n’avait obtenu aucun point, même s’il avait lu toutes les étapes de l’IPO et cité textuellement le manuel de référence, et qu’il avait exécuté ou fait semblant d’exécuter les tâches requises.

53À la question 4 b, par exemple, il lui était demandé de marquer un endroit qui avait besoin de réparations. Il a affirmé qu’il avait fait semblant que son doigt était un crayon et qu’il avait encerclé l’endroit en question, mais qu’aucun point ne lui avait été accordé.

54Il a déclaré qu’il avait obtenu des points pour 4 d, « Mesurer l’espace au moyen de la jauge de profondeur » [traduction], mais aucun pour 4 f, « Démontrer la connaissance de l’utilisation appropriée de la jauge de profondeur » [traduction]. Le plaignant a fait remarquer qu’il était impossible d’effectuer la tâche 4 d sans posséder les connaissances visées par 4 f.

55En outre, il a indiqué que la question 5 f consistait à ouvrir un paquet de filtres et à insérer une buse dans un filtre. Quand il a ouvert le paquet, il a constaté qu’il était vide; il a alors pris un filtre dans la poubelle et a « fait semblant » [traduction] qu’il était utilisable.

56Une des tâches qu’il devait effectuer nécessitait un tournevis en particulier, qui n’était pas celui qu’il avait à sa disposition; il a donc fait semblant qu’il s’agissait du bon tournevis. M. Varner lui a alors signalé qu’il utilisait le mauvais tournevis et a pris celui qu’il fallait dans un tiroir. Pendant le contre‑interrogatoire, le plaignant a convenu qu’il aurait pu demander le bon tournevis, mais qu’au début de l’examen, on lui avait dit de faire semblant, et que c’était donc ce qu’il avait fait.

57Le plaignant a ajouté qu’il n’avait obtenu aucun point pour l’utilisation appropriée des panneaux indicateurs. Par exemple, à l’item 6 c, un panneau sur lequel figurait un symbole requis pour l’examen était appuyé contre un mur, et le plaignant a cru qu’il avait été laissé là par hasard; il ne savait pas qu’il faisait partie de l’examen. Par ailleurs, relativement à l’item 6 e, le plaignant a indiqué qu’il y avait habituellement un tableau blanc à l’entrée de l’aire de travail, mais que pour l’examen, le tableau était représenté par un morceau de carton appuyé contre un classeur. Le plaignant ne l’a pas vu car il ne se trouvait pas à l’endroit où il devait être.

58Le plaignant n’a obtenu aucun point pour ces questions ainsi que quelques autres. Il a fait remarquer qu’il était possible d’obtenir une note partielle, car il en avait obtenu une pour deux de ses réponses.

59Le 12 mars 2008, le plaignant a appris qu’il n’avait pas réussi à l’examen pratique parce qu’il « ne possédait pas une ou plusieurs des qualifications essentielles, notamment la capacité d’effectuer des tâches telles que le désassemblage, l’assemblage, la réparation, la modification et le réapprovisionnement des systèmes d’entreposage et d’emballage des munitions et de leurs composants (pratique, en suivant l’IPO) » [traduction]. Selon le plaignant, l’IPO 2‑19 se rapporte à l’inspection des torpilles, pas à leur assemblage, leur désassemblage, leur modification ou leur réapprovisionnement.

60Le capitaine Wight a donné sa propre version du déroulement de l’examen pratique. Il a déclaré que M. Varner avait rencontré les candidats et leur avait expliqué le scénario de l’examen. Les candidats devaient aviser le capitaine Wight quand ils seraient satisfaits de l’état des lieux et qu’ils jugeraient que les ouvriers pouvaient entrer. Ils avaient également été informés que M. Varner leur poserait une série de questions et leur demanderait d’effectuer certaines tâches.

61Quatre éléments liés à la sécurité ont été évalués : 1) Inspecter l’aire de travail; 2) S’assurer que le tableau indiquant la limite de personnel est rempli; 3) S’assurer que le symbole d’incendie est approprié; 4) Sécurité générale : vérifier que les extincteurs sont conformes et ont la bonne certification. Le capitaine Wight a déclaré que le plaignant avait échoué à trois de ces quatre éléments.

62Le capitaine Wight a affirmé que M. Varner avait « posé les questions, observé les candidats et inscrit les points dans le guide de cotation » [traduction]. Le capitaine Wight était le « deuxième observateur » [traduction] et devait s’assurer qu’il avait bien relevé les mêmes choses que M. Varner. Il a indiqué que les notes des candidats avaient été changées à deux occasions. Au cours de l’évaluation de M. Brown, le capitaine Wight n’avait pas relevé un élément que M. Varner avait remarqué. Au cours de celle du plaignant, le capitaine Wight a observé quelque chose que M. Varner n’avait pas vu, et il a donc révisé la note du plaignant à la hausse. La décision finale concernant les notes revenait au capitaine Wight.

63Le capitaine Wight a reconnu que les candidats devaient parfois faire semblant pendant l’examen. Il a expliqué qu’ils pouvaient, par exemple, faire semblant d’attacher un câble de mise à la terre, ou de demander de l’aide à quelqu’un.

64Le capitaine Wight a affirmé que le plaignant avait échoué aux parties de l’examen portant sur la sécurité, et qu’il n’avait pas utilisé l’IPO correctement. Il a ajouté que l’IPO était un document simple et qu’il était difficile de se tromper en la lisant; toutefois, le plaignant ne l’a pas suivie mot pour mot.

65Le capitaine Wight a passé en revue un certain nombre de questions pour lesquelles le plaignant n’a obtenu aucun point, et il a affirmé que le plaignant n’avait pas fait ce qui était attendu. Il a souligné que si l’IPO n’est pas suivie mot pour mot, des étapes peuvent être omises. Selon lui, la note de 145 sur 235, ou 61,7 %, représentait avec justesse le rendement du plaignant à l’examen.

66Le capitaine Wight a affirmé qu’en revanche, M. MacKeigan avait fait très bonne figure à l’examen, avec une note de 96,8 %. Il a perdu des points à une seule question parce qu’il n’avait pas fait exactement ce qui était demandé. M. Brown a obtenu une note de 86,3 % : il a respecté toutes les exigences en matière de sécurité et il a suivi l’IPO mot pour mot.

67Au dire du capitaine Wight, il n’y a aucune raison pour qu’un candidat échoue à l’examen s’il suit l’IPO mot pour mot. L’IPO est un document clé pour tout processus : si elle n’est pas suivie mot pour mot, une étape importante pourrait être omise et les conséquences pourraient être  « catastrophiques ».

68Pendant le contre‑interrogatoire, le capitaine Wight a indiqué qu’après l’examen, il n’était pas convaincu que le plaignant serait fiable comme superviseur lorsqu’il s’agit d’assurer la sécurité.

69Il a aussi déclaré qu’il y avait des erreurs dans l’IPO 2‑19, mais qu’il ne se rappelait pas lesquelles. Toutefois, ces erreurs n’ont pas été incorporées à l’examen. À la demande du représentant du plaignant, le capitaine Wight a aussi passé l’IPO en revue pour tenter de déterminer à quel endroit se trouvaient les divers éléments de l’examen.

70Le capitaine Wight a reconnu que ni lui ni M. Varner n’avaient un exemplaire de l’IPO en main durant l’examen. Il a indiqué que M. Varner n’en avait pas besoin. Il a toutefois admis qu’il ne la connaissait pas lui‑même par cœur, mais qu’il avait en main la feuille de notation, qui avait été élaborée en fonction de l’IPO.

71Le plaignant a demandé de plus amples renseignements au capitaine Wight au sujet d’apparentes contradictions entre la feuille de notation de l’examen pratique et l’IPO 2‑19. Par exemple, il a demandé s’il y avait une erreur à la question 4 c : la feuille de notation parle d’une « mini-rectifieuse », tandis que dans l’IPO, il est question d’une « rectifieuse pneumatique ». Le capitaine Wight lui a répondu : « Une mini‑rectifieuse, c’est quand même une rectifieuse » [traduction].

72Le capitaine Wight a reconnu qu’il n’avait pas remis le scénario aux candidats, car les réponses y étaient inscrites. Il a décrit le scénario de vive voix en utilisant des mots qui n’étaient pas identiques à l’original, mais qui transmettaient le même message.

73M. Varner a affirmé qu’il avait élaboré l’examen pratique pour évaluer la capacité CA1 de l’énoncé des critères de mérite à la demande de la direction. Il a expliqué que le superviseur (GT‑03) est responsable de la sécurité opérationnelle de l’aire de travail, de l’infrastructure et des techniciens (GT‑02). Il s’agit de la principale distinction entre les fonctions d’un poste GT‑03 et celles d’un poste GT‑02.

74Il a déclaré que l’examen avait eu lieu dans un bâtiment indépendant. Tous les documents et les outils nécessaires étaient à la disposition des candidats; certains outils n’étaient pas visibles. Si, en lisant l’IPO, le candidat se rendait compte qu’il manquait un outil, il devait le demander, faute de quoi il perdait des points.

75Selon M. Varner, l’IPO 2‑19 porte sur la réparation, qui est l’une des capacités énoncées dans la CA1. Une partie du processus d’inspection consiste à suivre l’IPO étape par étape. L’IPO concerne l’inspection et différents aspects de la réparation.

76M. Varner a décrit le processus d’évaluation. D’abord, le capitaine Wight a expliqué le scénario aux candidats; puis, leurs capacités et diverses fonctions ont été évaluées à l’aide d’une feuille de notation. Si une personne éprouvait de la difficulté, des éclaircissements lui étaient fournis. M. Varner a indiqué que le plaignant en avait demandé à une occasion, et que le capitaine Wight lui avait répondu. Il ne se rappelait toutefois pas à quel sujet. Selon M. Varner, « le capitaine Wight s’est chargé de la notation, et nous en avons discuté ensuite » [traduction].

77Il a présenté un compte rendu semblable au capitaine Wight au sujet des évaluations de MM. Brown et MacKeigan.

78Quant au plaignant, M. Varner a affirmé que celui-ci n’utilisait pas toujours les documents de référence mis à sa disposition : il n’a pas lu l’IPO entièrement. M. Varner a expliqué que selon les règlements en vigueur, aucune tâche ne peut être effectuée sans consulter l’IPO : on y trouve des directives et des mises en garde sur les mesures qu’un superviseur doit prendre pour que les tâches soient réalisées en toute sécurité.

79M. Varner a expliqué qu’il n’y avait aucune différence entre une mini‑rectifieuse et une rectifieuse pneumatique.

80Pendant le contre‑interrogatoire, on a demandé à M. Varner quel était son rôle « exact » en ce qui a trait à l’examen. Il a répondu qu’il avait « élaboré l’examen aux fins d’évaluation et élaboré le scénario selon les tâches à effectuer » [traduction]. Il a indiqué qu’il n’avait connaissance d’aucune erreur dans l’IPO 2‑19. Il a précisé qu’il n’y avait pas de différence entre une rectifieuse pneumatique et une mini-rectifieuse, mais il a reconnu qu’une rectifieuse pneumatique fonctionnait à l’air et qu’une mini‑rectifieuse fonctionnait à l’électricité. Il a également admis que l’étape 4 de l’examen pratique portait sur la réparation et que le reste de l’examen portait sur l’inspection.

81M. Varner n’a pas pris de notes au cours de l’examen; il a affirmé qu’il n’avait en main « que la feuille de notation » [traduction]. Il a aussi mentionné qu’à ce moment‑là, il connaissait l’IPO 2‑19 par cœur.

82M. Varner a admis que l’IPO précisait que toutes les tâches liées aux torpilles devaient être effectuées dans le bâtiment 239. Il a cependant indiqué que le bâtiment 203, où s’est déroulé l’examen, était aménagé de la même façon que le 239 quant aux outils et aux matériaux.

83Au cours du réinterrogatoire, M. Varner a expliqué que l’emplacement des tableaux blancs, soit à l’intérieur, soit à l’extérieur de la pièce, dépendait de la structure et de l’aménagement du bâtiment. Cependant, il incombe au superviseur de veiller à ce que ceux‑ci soient mis à jour.

84Le plaignant a déclaré que ses résultats l’avaient mis en colère, car il avait obtenu 61,7 % et que la note de passage était de 65 %; une question de plus valant 5 %, et il aurait réussi. Le plaignant a affirmé que l’examen était « une vraie farce » [traduction] et qu’il « n’était pas professionnel » [traduction], puisque pendant celui‑ci, il a dû faire semblant ou deviner la prochaine étape.

D) Éléments de preuve concernant la discussion informelle

85Le plaignant a demandé à discuter de ses résultats de façon informelle. Le major McCallum a accepté en croyant que ce serait plutôt bref. Toutefois, le major a déclaré que cette discussion « s’était transformée en un long et pénible débat visant à déterminer quand [le plaignant] avait fait semblant et quand il n’avait pas fait semblant. La discussion était devenue assez houleuse; je suis donc parti après une heure » [traduction].

86Au cours de cette discussion informelle, le major McCallum a expliqué au plaignant qu’il avait échoué à l’examen de connaissances, mais que les responsables des ressources humaines avaient encouragé le capitaine Wight à revoir la correction de son examen pour s’assurer qu’il n’avait pas été « trop dur » [traduction] envers lui. Le plaignant a donc obtenu la note de passage et il a pu passer à l’étape de l’examen pratique.

87Le plaignant a affirmé qu’il ne savait pas lesquelles de ses réponses n’étaient pas correctes parce qu’il n’a pas obtenu de réponse à ses questions lors de la discussion informelle. Il a soutenu qu’il avait questionné le major à propos de l’examen, mais que celui‑ci ne lui avait donné que des réponses évasives. Il a ajouté que, pendant l’examen, il avait lu les réponses directement dans l’IPO et qu’il avait montré à M. Varner et au capitaine Wight comment effectuer les tâches demandées.

88Il a déclaré avoir demandé au major McCallum : « Monsieur, est‑ce que ma candidature aurait été retenue si j’avais réussi à l’examen? » [traduction], ce à quoi le major a répondu : « Non, parce que vos collègues ne veulent pas travailler avec vous » [traduction]. Le plaignant a soutenu qu’il avait ensuite demandé à ses collègues s’ils avaient quelque chose à lui reprocher, et ils lui ont répondu par la négative.

89Le major a déclaré qu’il ne voulait pas répondre à cette question, mais que le plaignant avait « insisté de manière très pressante » [traduction]. Le major McCallum a affirmé avoir dit au plaignant que malgré ses grandes capacités techniques, « il y aurait sûrement des problèmes au chapitre des qualités personnelles » [traduction]. Il a indiqué au plaignant que ses collègues le considéraient comme un « tire‑au‑flanc » [traduction] et que certains d’entre eux ne voulaient pas travailler avec lui. Par conséquent, il n’était pas considéré comme un candidat « de choix » [traduction]. Selon le major, le plaignant l’a remercié pour ces renseignements et lui a affirmé que c’était la première fois qu’on lui disait la vérité; le plaignant a ajouté que, pourtant, il avait reçu de nombreuses évaluations de son rendement lui indiquant qu’il était un employé efficace.

90Le major McCallum a affirmé que les évaluations du rendement au Dépôt de Bedford ne représentaient pas toujours la réalité. Il a expliqué que les caporaux-chefs assumaient aussi les fonctions associées aux postes GT‑03 et qu’ils s’absentaient fréquemment pour remplir d’autres affectations. Cette situation entraîne de nombreuses nominations intérimaires de civils aux postes GT‑03, et ces derniers hésitent à rendre des évaluations de rendement négatives.

91Le major McCallum a refusé de divulguer le nom des personnes qui avaient manifesté de la réticence à l’idée de travailler avec le plaignant au motif que les personnes en question devraient continuer à travailler avec lui après l’audience.

92Le plaignant a déclaré qu’après la présentation de sa plainte, le major McCallum l’a invité à prendre un café; c’est alors que le major lui a suggéré de trouver un nouvel emploi, compte tenu de la plainte.

93Le major McCallum a répondu à cette affirmation. Il a déclaré qu’à son arrivée à Bedford, il avait appris que le plaignant était insatisfait de son milieu de travail à plusieurs égards. Le major McCallum a d’ailleurs reçu de nombreux courriels de sa part à ce sujet. Il croyait que le plaignant viendrait en discuter, mais il s’est rendu compte que celui‑ci préférait les discussions seul à seul. Il l’a donc invité à le rencontrer dans un restaurant Tim Horton’s; il avait proposé cet endroit neutre pour éviter de « lancer la machine à rumeurs » [traduction]. Il ne se rappelait pas si la rencontre avait eu lieu avant ou après le dépôt de la plainte.

94Au dire du major, cette rencontre visait à « discuter de ce que ses collègues avaient à lui reprocher » [traduction]. Le major McCallum a indiqué qu’ils avaient abordé le sujet du personnel relativement restreint et des occasions d’avancement limitées. Il a signifié au plaignant qu’il ferait de son mieux pour l’aider s’il souhaitait du changement. Le major McCallum a affirmé qu’il appuyait pleinement le perfectionnement professionnel et la formation. Il a donné des exemples d’occasions où il avait aidé d’autres employés à changer de poste. Il a déclaré que le plaignant lui avait affirmé qu’il se retirerait du syndicat et du comité de santé et de sécurité et qu’il s’efforcerait de devenir le meilleur technicien de l’organisation. Selon le major, le plaignant a demandé à avoir une discussion de suivi dans un an.

95Le major McCallum considère que l’entretien s’est terminé sur une bonne note. Il n’a jamais laissé entendre au plaignant qu’il essaierait de lui faire perdre son emploi. Il a ajouté que « ce n’était tout simplement pas possible dans la fonction publique » [traduction].

Argumentation des parties

A) Argumentation du plaignant

96Le plaignant avance qu’il y a eu abus de pouvoir à deux égards, c’est‑à‑dire l’évaluation des capacités du plaignant et la partialité dont a fait preuve la personne ayant administré l’examen pratique, M. Varner.

97Le plaignant soutient que, pour déterminer si l’intimé a abusé de son pouvoir, le Tribunal doit se demander si :

  • le processus était équitable et transparent;
  • l’examen pratique a évalué avec justesse les capacités du plaignant;
  • il y a eu partialité;
  • le plaignant a été informé en temps opportun des méthodes d’évaluation utilisées;
  • les personnes chargées de l’évaluation possédaient les compétences nécessaires pour assurer une évaluation juste et complète;
  • les personnes responsables de l’évaluation sont en conflit d’intérêts.

98Selon le plaignant, l’examen pratique n’avait aucun lien avec les qualifications à évaluer. Le courriel que l’agente des ressources humaines a envoyé au plaignant le 4 mars 2008 indiquait que l’examen évaluerait la capacité d’effectuer des tâches telles que le désassemblage, l’assemblage, la réparation, la modification et le réapprovisionnement des systèmes d’entreposage et d’emballage des munitions et de leurs composants. Cependant, le courriel du capitaine Wight adressé au plaignant en date du 6 mars 2008 précisait que l’examen porterait sur l’IPO 2‑19; le seul élément commun entre l’IPO 2‑19 et les tâches mentionnées est la « réparation », qui figure à la section 4 de l’IPO. En outre, le major McCallum, le capitaine Wight et M. Varner ont tous trois indiqué que l’examen pratique visait à évaluer la capacité d’inspecter, et non celle d’assembler et de désassembler des munitions.

99Le plaignant ne souscrit pas à l’affirmation du capitaine Wight selon laquelle l’examen visait à évaluer les capacités liées à la supervision et à la sécurité. Ce ne sont pas celles qui devaient être évaluées : la sécurité n’est aucunement mentionnée dans la capacité CA1.

100Le plaignant demande au Tribunal de révoquer les nominations effectuées dans le cadre de ce processus et d’ordonner les mesures correctives qui s’imposent.

B) Argumentation de l’intimé

101L’intimé soutient que, selon l’article 36 de la LEFP, les administrateurs généraux disposent d’un grand pouvoir discrétionnaire en ce qui concerne les méthodes d’évaluation utilisées pour décider si une personne possède les qualifications requises. L’intimé invoque la décision Jolin c. l’administrateur général de Service Canada et al., [2007] TDFP 0011, au paragraphe 77, à l’appui de sa position.

102Selon l’intimé, le capitaine Wight et M. Varner ont élaboré l’examen pratique aux fins de l’évaluation de la première capacité mentionnée dans l’énoncé des critères de mérite; il est important de remarquer le terme « telles que » avant l’énumération des tâches. En outre, le capitaine Wight et M. Varner ont tous deux affirmé que la sécurité constituait la préoccupation principale de tout superviseur. M. Varner a expliqué la différence entre les responsabilités liées à la sécurité pour les postes GT‑02 et GT‑03.

103L’examen pratique a été administré de manière à ce que les résultats soient non équivoques : les candidats étaient capables d’effectuer les tâches requises ou ils ne l’étaient pas. Il n’y avait rien de subjectif dans cet examen. Bien que le plaignant tienne M. Varner responsable de son échec, les éléments de preuve indiquent que les résultats du plaignant découlent de son incapacité à comprendre ce qui était attendu de lui.

104Selon l’intimé, les éléments de preuve démontrent sans aucun doute que le plaignant s’était fait une fausse idée de l’examen. Il a supposé que tout ce dont il avait besoin était là et a fait semblant que tout était en ordre. De plus, quand on lui a expressément demandé d’expliquer des capacités précises et de démontrer qu’il les possédait, il a seulement lu l’IPO à haute voix; bien qu’il ait « expliqué » ces capacités, il n’a pas « démontré » qu’il les possédait. Le plaignant avance que M. Varner aurait dû lui donner des précisions, ce qui ne fait qu’indiquer qu’il n’avait pas compris que c’était sa capacité d’effectuer certaines tâches techniques qui était évaluée.

105L’intimé soutient que le plaignant n’a pas prouvé que le comité d’évaluation a abusé de son pouvoir en utilisant l’examen pratique pour évaluer ses capacités.

106L’intimé conteste les allégations du plaignant quant à la partialité. Le plaignant aurait pu soulever la question de son différend préalable avec M. Varner, mais il ne l’a fait qu’après avoir appris qu’il avait échoué. Le capitaine Wight a été invité à faire partie du processus afin d’en assurer l’impartialité. L’intimé précise que le capitaine Wight et M. Varner ont comparé leurs observations et ont ajusté les notes en conséquence.

107M. Varner a reconnu être entré en conflit avec le plaignant par le passé, mais il a affirmé qu’il avait été en mesure de faire la part des choses entre son travail et ses sentiments.

108Pour appuyer son point de vue, l’intimé se réfère aux paragraphes 53 et 54 de la décision Sampert et al. c. Sous‑ministre de la Défense nationale et al., [2008] TDFP 0009. Il soutient que c’est à juste titre que le capitaine Wight et M. Varner ont été choisis pour faire partie du comité d’évaluation, car ils connaissent bien le travail d’un superviseur GT‑03 et que ni l’un ni l’autre n’avaient de parti pris quant à la personne à nommer. Par ailleurs, c’est le major McCallum qui a fait la nomination.

109En conclusion, l’intimé soutient que rien ne prouve qu’il a abusé de son pouvoir.

C) Argumentation de la Commission de la fonction publique

110La Commission de la fonction publique (CFP) soutient que l’apparence de partialité est préoccupante en l’espèce. Les éléments de preuve démontrent que le plaignant et M. Varner ont eu maille à partir dans le passé. M. Varner a mis le capitaine Wight au courant de cet état de fait. Le major McCallum a envisagé de faire appel à une personne de la Colombie‑Britannique qui n’aurait eu aucun lien avec l’une ou l’autre des parties. Les éléments de preuve démontrent que, malgré leur horaire chargé, d’autres personnes possédant les connaissances techniques nécessaires étaient disponibles.

111La CFP soutient que la façon dont le comité d’évaluation a été établi n’est pas conforme à ses lignes directrices, et que davantage de mesures auraient dû être prises pour atténuer la crainte de partialité. Il aurait fallu choisir quelqu’un d’autre que M. Varner pour administrer l’examen pratique.

112Cependant, la CFP fait valoir que rien ne prouve qu’il y a réellement eu mauvaise foi dans l’administration de l’examen pratique et croit qu’il était approprié de choisir le capitaine Wight pour participer à l’examen. Néanmoins, le plaignant a échoué par moins de quatre points, et l’apparence de partialité aurait pu être évitée si une autre personne que M. Varner avait administré l’examen.

113La CFP explique qu’elle a élaboré des lignes directrices en matière de dotation et que les administrateurs généraux doivent les suivre. La CFP fait référence aux valeurs de nomination ainsi qu’à des sections de ses Lignes directrices en matière d’évaluation, de son Guide de mise en œuvre des Lignes directrices en matière d’évaluation et de son document Série d’orientation – Évaluation, sélection et nomination.

114La CFP fait remarquer que le capitaine Wight n’a pas donné des instructions identiques à tous les candidats à l’examen pratique. Elle soutient qu’il est préférable de lire les instructions car, même si le message transmis est essentiellement le même, le fait d’agir autrement peut mener à des allégations comme celles qui ont été formulées en l’espèce.

115La CFP ne prend pas de position sur la question de savoir s’il y a eu abus de pouvoir en l’espèce. Selon elle, l’observation des lignes directrices de la CFP n’est qu’un facteur servant à déterminer s’il y a eu abus de pouvoir.

Législation pertinente

116L’abus de pouvoir n’est pas défini dans la LEFP. Cependant, selon le paragraphe 2(4), « [i]l est entendu que, pour l’application de la présente loi, on entend notamment par “abus de pouvoir ” la mauvaise foi et le favoritisme personnel ».

117La plainte a été présentée en vertu de l’alinéa 77(1)a) de la LEFP :

77. (1) Lorsque la Commission a fait une proposition de nomination ou une nomination dans le cadre d’un processus de nomination interne, la personne qui est dans la zone de recours visée au paragraphe (2) peut, selon les modalités et dans le délai fixés par règlement du Tribunal, présenter à celui-ci une plainte selon laquelle elle n’a pas été nommée ou fait l’objet d’une proposition de nomination pour l’une ou l’autre des raisons suivantes :

  1. abus de pouvoir de la part de la Commission ou de l’administrateur général dans l’exercice de leurs attributions respectives au titre du paragraphe 30(2).

118L’article 16 et le paragraphe 29(3) de la LEFP précisent que les administrateurs généraux sont tenus de se conformer aux lignes directrices de la CFP :

16. L’administrateur général est tenu, lorsqu’il exerce les attributions de la Commission visées à l’article 15, de se conformer aux lignes directrices visées au paragraphe 29(3).

29. (3) La Commission peut établir des lignes directrices sur la façon de faire et de révoquer les nominations et de prendre des mesures correctives.

119Le paragraphe 30(2) de la LEFP est libellé comme suit :

30. (2) Une nomination est fondée sur le mérite lorsque les conditions suivantes sont réunies :

  1. selon la Commission, la personne à nommer possède les qualifications essentielles — notamment la compétence dans les langues officielles — établies par l’administrateur général pour le travail à accomplir;
  2. la Commission prend en compte :
    1. toute qualification supplémentaire que l’administrateur général considère comme un atout pour le travail à accomplir ou pour l’administration, pour le présent ou l’avenir,
    2. toute exigence opérationnelle actuelle ou future de l’administration précisée par l’administrateur général,
    3. tout besoin actuel ou futur de l’administration précisé par l’administrateur général.

120L’article 36 de la LEFP est rédigé comme suit :

36. La Commission peut avoir recours à toute méthode d’évaluation — notamment prise en compte des réalisations et du rendement antérieur, examens ou entrevues — qu’elle estime indiquée pour décider si une personne possède les qualifications visées à l’alinéa 30(2)a) et au sous-alinéa 30(2)b)(i).

Analyse

Question 1 : L’intimé a-t-il abusé de son pouvoir en chargeant M. Varner d’administrer l’examen pratique?

121Le paragraphe 2(4) de la LEFP précise que « […] pour l’application de la présente loi, on entend notamment par “abus de pouvoir” la mauvaise foi et le favoritisme personnel ».

122La mauvaise foi suppose habituellement l’existence d’une intention illégitime, d’un parti pris ou d’un manque d’impartialité dans l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire. Ainsi, l’allégation selon laquelle l’intimé a fait preuve de partialité revient à une allégation de mauvaise foi dans l’administration et l’évaluation de l’examen pratique. Voir la décision Beyak c. Sous-Ministre de Ressources naturelles Canada et al., [2009] TDFP 0007. Voir également René Dussault et Louis Borgeat, Administrative Law : A Treatise, 2e éd., Toronto, Carswell, 1990 vol. 1, p. 425 et Traité de droit administratif, 2e éd., Québec, PUL, 1990, tome 3, p. 485.

123L’allégation d’abus de pouvoir doit être analysée séparément, car la jurisprudence a déjà établi un critère précis concernant les allégations de partialité. Les tribunaux ont reconnu qu’il est difficile d’établir une preuve directe de partialité, et que la justice exige qu’il n’y ait aucune crainte raisonnable de partialité.

124Le critère de la crainte raisonnable de partialité est bien établi. Il ne suffit pas de soupçonner ou de supposer qu’il y ait eu partialité : celle‑ci doit être réelle, probable ou raisonnablement évidente. Voir Robert W. Macauley et James L.H. Sprague, Practice and Procedure before Administrative Tribunals, vol. 4, Toronto, Thomson Carswell, 2004, p. 39.4.

125Dans la décision Committee for Justice and Liberty c. L’Office national de l’énergie, [1978] 1 R.C.S. 369 à la page 394, le critère de la crainte raisonnable de partialité est défini comme suit :

[L]a crainte de partialité doit être raisonnable et le fait d’une personne sensée et raisonnable qui se poserait elle-même la question et prendrait les renseignements nécessaires à ce sujet. Selon les termes de la Cour d’appel, ce critère consiste à se demander « à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique. Croirait-elle que, selon toute vraisemblance, M. Crowe, consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste? » 

126Dans une décision plus récente, Newfoundland Telephone Co. c. Terre-Neuve (Board of Commissioners of Public Utilities), [1992] 1 R.C.S. 623; [1992] A.C.S no 21 (QL), au paragraphe 22 (QL), la Cour suprême définit ce même critère en ces termes : « Ce critère consiste à se demander si un observateur relativement bien renseigné pourrait raisonnablement percevoir de la partialité chez un décideur. » Le critère objectif énoncé par la Cour suprême dans les décisions Committee for Justice and Liberty c. L’Office national de l’énergie et Newfoundland Telephone Co. c. Terre-Neuve s’applique également en l’espèce : les membres du comité d’évaluation ont le devoir d’agir de manière juste, ce qui implique de pratiquer une évaluation impartiale. Si un observateur relativement bien renseigné peut raisonnablement percevoir de la partialité de la part d’un ou de plusieurs membres du comité d’évaluation, le devoir d’agir de manière juste n’a pas été observé. Il est également important de souligner qu’une des valeurs clés énoncées dans le préambule de la LEFP est l’équité.

127Le Tribunal tient pour avéré que le plaignant et M. Varner se sont trouvés en situation de conflit avant le processus de nomination. Le témoignage du plaignant selon lequel il a contribué à faire démettre M. Varner de ses fonctions au sein du comité local de santé et de sécurité et l’a remplacé en tant que coprésident n’est pas contesté. Le plaignant a présenté un grief et une plainte pour harcèlement contre M. Varner quand il était superviseur d’entrepôt par intérim. Ces incidents se sont produits en 2006 et en 2007. Selon le plaignant, M. Varner et lui ne s’adressent plus la parole depuis longtemps. Quant à M. Varner, il affirme que même si lui et le plaignant « discutaient de temps à autre », il « ne l’aurait pas invité à prendre une bière » [traduction]. 

128Le capitaine Wight n’avait aucune raison ne pas être impartial envers le plaignant. Toutefois, c’est M. Varner, et non le capitaine Wight, qui était l’expert technique dans le domaine évalué.

129Cette situation diffère considérablement de celle, par exemple, qui était décrite dans la décision Praught et Pellicore c. Président de l'Agence des services frontaliers du Canada et al., [2009] TDFP 0001, où il était question d’une allégation de partialité contre le président du comité d’évaluation. Dans la décision Praught et Pellicore, le Tribunal a conclu que le président n’avait aucun souvenir des incidents sur lesquels se fondaient les allégations de partialité. Par contre, M. Varner a décrit les circonstances entourant la présentation du grief et de la plainte pour harcèlement et il reconnaît avoir été « quelque peu décontenancé, comme n’importe qui d’autre l’aurait été » [traduction].

130Dans son témoignage, M. Varner a affirmé qu’il avait réfléchi aux implications de ses rapports antérieurs avec le plaignant avant l’administration de l’examen pratique. M. Varner a indiqué qu’il avait parlé de ce différend au capitaine Wight, mais qu’il l’avait assuré qu’il pourrait exercer ses fonctions de façon professionnelle. Il a affirmé que le capitaine Wight n’avait pas émis de réserves à ce sujet.

131Le capitaine Wight a présenté un témoignage un peu différent. Il a affirmé que M. Varner « avait peut‑être » [traduction] mentionné son différend avec le plaignant, mais qu’il n’avait jamais dit qu’il ne se sentait pas à l’aise à l’idée d’administrer l’examen. Le capitaine Wight n’a pas évoqué le sujet avec le major McCallum.

132Le témoignage de M. Varner selon lequel l’examen « ne laissait aucune place à la subjectivité » [traduction] est contredit par le témoignage du capitaine Wight selon lequel il avait observé, au cours de l’examen du plaignant, un élément que M. Varner n’avait pas relevé et que la note du plaignant avait été augmentée en conséquence. Il a indiqué que des changements avaient également été apportés aux résultats de M. Brown. En outre, compte tenu des constatations du Tribunal concernant le manque d’éclaircissements donnés aux candidats sur les moments où ils devaient ou ne devaient pas faire semblant, le Tribunal juge que la situation permettait à un membre du comité d’évaluation d’influencer les résultats de l’examen, délibérément ou non.

133Le Tribunal estime qu’un observateur renseigné examinant les éléments de preuve de façon pratique et réaliste pourrait en conclure que, selon toute vraisemblance, M. Varner n’était pas en mesure d’administrer l’examen pratique de façon impartiale à l’égard du plaignant, que ce soit délibérément ou non. En conséquence, le Tribunal arrive à la conclusion qu’il y a apparence de partialité dans ce processus de nomination en raison de la participation de M. Varner, et que le devoir de mener un processus de nomination juste n’a pas été rempli.

134Les Lignes directrices en matière d’évaluation de la CFP précisent que les évaluations doivent être élaborées et administrées de façon impartiale. Ces lignes directrices ont été établies en vertu du paragraphe 29(3) de la LEFP. Comme le Tribunal l’a affirmé dans la décision Robert et Sabourin c. le Sous-ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration et al., [2008] TDFP 0024, au paragraphe 65, la LEFP indique clairement que les administrateurs généraux et leurs délégués doivent se soumettre aux lignes directrices de la CFP établies en vertu du paragraphe 29(3).

135Une des principales exigences des Lignes directrices en matière d’évaluation est que les administrateurs généraux doivent s’assurer que les personnes responsables de l’évaluation « sont en mesure de remplir les rôles, les responsabilités et les fonctions qui leur sont propres de façon juste ». Selon le Guide de mise en œuvre des Lignes directrices en matière d’évaluation de la CFP (le Guide), on entend par « exempt de parti pris » le fait de « prendre des mesures afin de réduire des préjugés et des attitudes partiales ». En outre, le Guide prévoit ce qui suit :

[I]l est important non seulement que le processus en question soit juste, mais aussi qu'il soit perçu comme tel. Par exemple, les membres du comité d'évaluation devraient faire l'effort raisonnable de minimiser toute apparence de partialité dans le processus d'évaluation et les membres du comité d'évaluation devraient s'assurer que le favoritisme personnel n'influence pas le résultat du processus de nomination. [gras dans le texte original]

136Afin de fournir des explications supplémentaires, la CFP a produit le document Série d’orientation – Évaluation, sélection et nomination (la Série d’orientation). En voici les points essentiels :

Les gestionnaires peuvent faire en sorte que les décisions en matière de nomination sont impartiales[…] en :

  • s'assurant que les membres des comités d'évaluation ont été sensibilisés à l'exigence d'une évaluation impartiale;
  • s'assurant que les relations entre les candidats et candidates et les membres du comité d'évaluation n'influencent pas le processus d'évaluation ou ne semblent pas l'influencer;
  • s'assurant, dans la mesure du possible, que les membres du comité d'évaluation n'ont pas un intérêt personnel quant au résultat du processus d'évaluation; si le gestionnaire ne peut s'en assurer, il doit alors former un comité composé de plusieurs membres plutôt qu'une seule personne de sorte que les résultats de l'évaluation soient impartiaux.

137Le major McCallum était la personne responsable de l’établissement du comité d’évaluation. Il est arrivé au Dépôt de munitions de Bedford après les incidents ayant opposé le plaignant et M. Varner, mais ni M. Varner ni le Capitaine Wight ne l’avaient mis au courant de ces incidents avant l’examen pratique. En étant privé de ces renseignements, le major McCallum n’a pas pu s’acquitter de sa responsabilité, en vertu des Lignes directrices en matière d’évaluation, qui consistait à veiller à ce que les membres du comité d’évaluation soient en mesure de remplir les rôles, les responsabilités et les fonctions qui leur sont propres de façon juste. Toutefois, le major McCallum a demandé au capitaine Wight de faire partie du comité d’évaluation pour s’assurer qu’une « personne désintéressée » [traduction] était présente. Par conséquent, le Tribunal juge que le major était conscient de l’importance de prendre des mesures pour veiller à ce que le processus soit équitable; cependant, il ne disposait pas de tous les renseignements pertinents. Comme l’a affirmé le major McCallum dans son témoignage, il avait envisagé de faire appel à d’autres personnes, dont certaines travaillant à un autre dépôt de munitions, pour administrer l’examen, mais il ne s’était pas rendu compte que l’animosité au sein de son unité était forte au point de nuire au processus.

138Le plaignant n’a pas exprimé ses préoccupations au sujet de la partialité avant l’examen pratique. En effet, il affirme avoir cru que M. Varner saurait administrer l’examen de façon « professionnelle, juste et équitable » [traduction]. Toutefois, il a aussi déclaré qu’il avait « frémi » [traduction] quand il avait appris que M. Varner ferait partie du comité d’évaluation de l’examen et qu’il avait pensé qu’il devrait « obtenir 100 % pour réussir » [traduction].

139L’intimé soutient qu’il incombait au plaignant d’exprimer ses préoccupations quant à la partialité avant l’examen. Toutefois, le Tribunal constate que les Lignes directrices en matière d’évaluation, le Guide et le document Série d’orientation précisent clairement que la responsabilité d’assurer une évaluation exempte de parti pris incombe à l’administrateur général, au gestionnaire délégataire et aux membres du comité d’évaluation.

140Le Tribunal estime que d’autres personnes qualifiées auraient pu administrer l’examen. Le Tribunal reconnaît que le major McCallum n’aurait pas pu choisir M. Perrin, car celui‑ci aurait été en conflit d’intérêts à l’égard de M. Brown. Cependant, le major McCallum a admis qu’une autre personne occupant un poste GT‑04 était disponible, et qu’elle avait déjà évalué une grande partie de l’examen de connaissances. De plus, le major aurait pu faire appel à des personnes travaillant à un autre dépôt de munitions.

141Pour tous ces motifs, le Tribunal conclut que l’intimé a abusé de son pouvoir en choisissant M. Varner pour administrer l’examen pratique en dépit d’une crainte raisonnable qu’il pourrait faire preuve de partialité à l’encontre du plaignant.

Question 2 : L’intimé a-t-il abusé de son pouvoir dans l’administration de l’examen pratique?

142Dans ses décisions, le Tribunal a établi que la mauvaise foi peut être établie quand, par exemple, il existe des preuves directes ou circonstancielles d’intention illégitime, de parti pris ou de manque d’impartialité, ou encore quand l’examen d’une procédure qui semble irrationnelle mène à la conclusion selon laquelle celle‑ci est incompatible avec l’exercice du pouvoir de dotation du gestionnaire délégataire. La mauvaise foi s’entend également au sens large et n’implique pas toujours qu’il y ait une intention illégitime quand il est question de négligence ou d’imprudence sérieuse (voir, par exemple, les décisions Cameron et Maheux c. l’Administrateur général de Service Canada et al., [2008] TDFP 0016, Chiasson c. Sous-ministre de Patrimoine canadien et al., [2008] TDFP 0027, Burke c. Sous-ministre de la Défense nationale et al., [2009] TDFP 0003, et Robert et Sabourin).

143Le Tribunal va maintenant analyser les erreurs et les omissions commises dans le processus de nomination.

Erreurs et omissions commises dans le processus de nomination

A) Le fait de « faire semblant »

144En vertu de l’article 36 de la LEFP, l’administrateur général dispose d’un grand pouvoir discrétionnaire dans le choix et l’utilisation de méthodes d’évaluation; toutefois, ces méthodes doivent permettre d’évaluer les qualifications de façon efficace et être utilisées de manière juste et raisonnable, faute de quoi il pourrait y avoir une constatation d’abus de pouvoir de la part de l’administrateur général.

145Dans la décision Chiasson, le Tribunal s’est exprimé ainsi :

[44] En vertu de l’article 36 de la LEFP, l’administrateur général dispose d’une grande discrétion dans le choix de la méthode qu’il juge indiquée pour évaluer les qualifications d’un candidat. Cependant, le choix et l’utilisation de la méthode d’évaluation est (sic)  sujet (sic) au recours prévu à l’article 77 de la LEFP. En effet, il pourrait y avoir abus de pouvoir dans le choix ou dans l’utilisation d’une méthode d’évaluation […]

[50] […] Il est alors important de déterminer si l’outil en question, tel que l’examen, évaluait réellement ce qui devait être évalué, c’est-à-dire les connaissances et les capacités. Ceci dit, si l’outil est vicié, le résultat ne peut être considéré raisonnable ou équitable.

[caractères gras ajoutés]

146L’IPO 2‑19 mentionne que l’inspection des torpilles doit être effectuée dans le bâtiment 239; toutefois, l’examen pratique a eu lieu dans le bâtiment 203. Dans son témoignage, le plaignant affirme que, quand il est entré dans la pièce où devait se dérouler l’examen, on lui a expliqué que la pièce avait été aménagée à court préavis et que certains des outils dont il aurait besoin étaient à sa disposition, mais qu’il devrait « faire semblant » [traduction] d’en avoir d’autres qui n’y étaient pas. On lui a également précisé qu’il devait faire abstraction d’autres outils qui se trouvaient sur les lieux mais qui ne faisaient pas partie de l’examen. Selon le plaignant, pendant l’examen, si l’outil dont il avait besoin n’était pas à sa disposition, il faisait semblant qu’il l’était. Il a cru que s’il ne devait pas agir ainsi, M. Varner ou le capitaine Wight le lui signalerait. Quand le plaignant a obtenu ses résultats, il a constaté, à son grand mécontentement, qu’aucun point ne lui avait été accordé pour certaines tâches pour lesquelles il avait fait semblant. À son avis, cela n’était pas juste, car il avait compris qu’il devait faire semblant dans les circonstances.

147L’intimé soutient que le fait que le plaignant ait cru que M. Varner aurait dû lui donner des indications dénote une mauvaise compréhension de l’examen pratique. Pourtant, M. Varner affirme que des éclaircissements étaient fournis à ceux qui éprouvaient de la difficulté. Rien ne démontre que le plaignant ait reçu des éclaircissements à cet égard. Le Tribunal estime que l’intimé a contribué à la méprise du plaignant en omettant de lui donner des directives claires sur les circonstances où il devait ou ne devait pas faire semblant.

148Dans son témoignage, le capitaine Wight a reconnu que les candidats ont parfois dû faire semblant pendant l’examen. Très peu d’éléments de preuve ont été présentés quant aux circonstances où les candidats devaient ou ne devaient pas faire semblant. Le capitaine Wight a précisé que les candidats auraient pu, par exemple, faire semblant d’attacher un câble de mise à la terre ou de demander de l’aide à quelqu’un. M. Varner n’a présenté aucun élément de preuve sur cet aspect clé de l’affaire. De même, aucun des témoins de l’intimé n’a fourni d’élément de preuve permettant de savoir si les autres candidats avaient reçu les mêmes directives sur le fait de faire ou de ne pas faire semblant, ou quelque directive que ce soit à ce sujet.

149Dans la décision Tibbs c. Sous-ministre de la Défense nationale et al. [2006] TDFP 0008, le Tribunal a expliqué les conséquences de ne pas fournir d’éléments de preuve pour réfuter ceux qui ont été présentés à l’appui d’une plainte :

[54] Bien qu’il soit possible pour l’intimé, pour sa part, de nier tout simplement l’allégation, une fois que le plaignant a présenté certains éléments de preuve pour appuyer son allégation qu’un abus de pouvoir a eu lieu, il voudra vraisemblablement invoquer un moyen de défense positif à l’égard de l’allégation. De plus, il est possible pour le Tribunal de tirer des conclusions raisonnables de faits non contestés. Par conséquent, si l’intimé ne présente pas d’éléments de preuve pour expliquer les motifs d’une ligne de conduite particulière, il risque de devoir faire face à une décision défavorable par le Tribunal, soit que la plainte est fondée […] 

150Le Tribunal juge que l’examen pratique comprenait effectivement certaines questions où les candidats devaient faire semblant. Il estime par ailleurs que, à tout le moins dans le cas du plaignant, l’intimé n’a pas fourni suffisamment d’explications sur le moment où il devait ou ne devait pas faire semblant. Cette omission constitue une lacune importante dans l’administration de l’examen pratique.

151Le Tribunal considère que le fait de ne pas avoir fourni suffisamment de précisions sur les circonstances où le plaignant devait ou ne devait pas faire semblant constitue une grave négligence qui équivaut à de la mauvaise foi. L’examen pratique est devenu en quelque sorte une évaluation de la capacité du plaignant de deviner ce qu’il devait faire, plutôt qu’une évaluation de sa capacité d’effectuer les tâches requises. Par exemple, le plaignant a expliqué qu’en réponse à la question 4 b, il avait utilisé son doigt comme s’il s’agissait d’un crayon pour encercler un endroit nécessitant des réparations, mais qu’il n’avait obtenu aucun point.

152Le Tribunal n’est pas convaincu que l’examen pratique constituait une évaluation juste ou raisonnable des capacités du plaignant, car la méthode d’évaluation comportait de graves lacunes. Par conséquent, l’intimé n’était pas en mesure d’évaluer réellement les capacités du plaignant. Le Tribunal conclut que l’intimé s’est fondé sur du matériel inadéquat pour évaluer le plaignant.

B) L’utilisation de l’IPO 2-19

153Dans ses allégations écrites comme dans son témoignage, le plaignant a affirmé avoir lu directement les étapes de l’IPO et cité textuellement les manuels de référence au cours de l’examen pratique, puis avoir ensuite effectué ou fait semblant d’effectuer les tâches requises.

154Le capitaine Wight et M. Varner ont tous deux insisté sur l’importance de suivre l’IPO « mot pour mot » [traduction]. Selon le capitaine Wight, si l’IPO n’est pas suivie mot pour mot, des étapes pourraient être omises et les conséquences pourraient être « catastrophiques ». Il a affirmé que l’IPO est un document simple et qu’il est difficile de se tromper en s’y référant. Il a aussi indiqué qu’il n’y a aucune raison pour qu’un candidat qui suit l’IPO mot pour mot échoue à l’examen. Il a toutefois précisé que le plaignant n’avait pas suivi l’IPO mot pour mot; M. Varner, quant à lui, a déclaré que le plaignant avait lu l’IPO en omettant certains passages.

155Selon les éléments de preuve présentés, il n’y avait qu’une copie de l’IPO 2‑19 à l’examen pratique, et elle était entre les mains du plaignant. M. Varner a affirmé qu’il connaissait l’IPO par cœur au moment de l’examen. Le Tribunal fait remarquer que l’IPO est un document de 24 pages de texte, de listes et de tableaux. Le capitaine Wight a indiqué qu’il ne connaissait pas l’IPO par cœur, mais qu’il avait en main la feuille de notation, basée sur l’IPO – fait qui n’a pas été réfuté. Cependant, il a été démontré qu’il y avait des différences entre les termes utilisés dans la feuille de notation et dans l’IPO. Par exemple, les différents témoignages montrent que la feuille de notation mentionne une « mini-rectifieuse » alors que l’IPO fait référence à une « rectifieuse pneumatique ». Le capitaine Wight a affirmé que la distinction était sans importance, car « une rectifieuse est une rectifieuse » [traduction]. M. Varner a d’abord indiqué qu’il n’y avait pas de différence entre une mini-rectifieuse et une rectifieuse pneumatique, pour affirmer ensuite qu’une rectifieuse pneumatique fonctionnait à l’air et qu’une mini‑rectifieuse fonctionnait à l’électricité.

156Bien que la différence entre les divers types de rectifieuses puisse paraître insignifiante, ce sont les témoins de l’intimé qui ont insisté sur l’importance de suivre l’IPO « textuellement ». Selon la définition du Concise Oxford Dictionary, le mot anglais équivalent, « verbatim », correspond à « mot pour mot ». Le fait de lire un texte mot pour mot signifie de le lire tel qu’il est énoncé dans le document. Le plaignant a affirmé avoir lu textuellement l’IPO quand on le lui a demandé. Le capitaine Wight a confirmé qu’il n’y avait aucune raison pour qu’un candidat qui suit l’IPO mot pour mot échoue à l’examen. Le Tribunal a du mal à prêter foi à l’affirmation de l’intimé selon laquelle le plaignant n’a pas suivi l’IPO mot pour mot, alors que celui‑ci était le seul à disposer d’une copie de l’IPO pendant l’examen.

157Le Tribunal a également relevé d’autres incohérences apparentes dans le témoignage de M. Varner et celui du capitaine Wight. M. Varner affirme qu’il a conçu l’examen aux fins d’évaluation et créé le scénario en fonction des tâches à effectuer. Pour sa part, le capitaine Wight soutient qu’il a préparé le guide de correction de l’examen en collaboration avec M. Varner et qu’il a préparé le scénario. M. Varner a déclaré que le capitaine Wight s’était chargé de la notation et qu’il en avait discuté avec lui. Le capitaine Wight a déclaré que M. Varner avait « posé les questions, observé les candidats et inscrit les points dans le guide de cotation » [traduction]. Il a également expliqué qu’il avait indiqué dans le scénario qu’il cherchait à vérifier si les candidats pouvaient relever des erreurs dans l’IPO mais, durant le contre‑interrogatoire, il a affirmé qu’il y avait des erreurs dans l’IPO, mais que celles‑ci n’avaient pas été incorporées à l’examen. En outre, M. Varner, l’expert de l’IPO 2‑19, soutient qu’à sa connaissance, celle‑ci ne comportait pas d’erreurs. Il est donc difficile de comprendre pourquoi le capitaine Wight s’attendait à ce que les candidats les relèvent. De plus, aucun des membres du comité n’a pris de notes pendant l’examen.

158Compte tenu des antécédents et du témoignage du plaignant, le Tribunal est convaincu que celui‑ci comprenait l’utilité de l’IPO, qu’il était capable de lire ce document mot pour mot et qu’il était motivé à le faire, étant donné qu’il croyait devoir « obtenir 100 % pour réussir »[traduction]. De même, le Tribunal estime que le comité d’évaluation n’était pas en mesure de déterminer si le plaignant répondait à l’exigence cruciale de suivre l’IPO mot pour mot puisque celui‑ci était le seul à l’avoir en main pendant l’examen. Compte tenu des conclusions du Tribunal quant à la partialité et des incohérences relevées entre les témoignages des deux membres du comité d’évaluation, le Tribunal juge que, selon la prépondérance des probabilités, le comité d’évaluation n’était pas à même d’évaluer efficacement l’utilisation de l’IPO par le plaignant.

C) Le scénario donné aux candidats au début de l’examen

159Dans son témoignage, le capitaine Wight a admis qu’il était possible que les mots utilisés pour expliquer le scénario au plaignant n’aient pas été les mêmes que pour les autres candidats. L’uniformité est un élément important d’un processus d’évaluation équitable, et le fait de donner un scénario différent au plaignant était une erreur. Néanmoins, au vu des éléments de preuve, le Tribunal juge que cette erreur en soi n’était pas suffisamment grave pour influencer les résultats de l’examen.

D) Autres allégations

160Le Tribunal a examiné d’autres allégations formulées par le plaignant, mais conclut que celles‑ci n’étaient pas fondées ou ne portaient pas sur des erreurs suffisamment graves pour conclure à un abus de pouvoir. D’abord, le Tribunal estime que M. Varner n’avait pas de lien hiérarchique avec le candidat James Brown durant la période visée et n’était donc pas en conflit d’intérêts en ce qui le concerne. Ensuite, les commentaires personnels que le major McCallum a formulés au cours de la discussion informelle sur le fait que le plaignant ne possédait pas les qualités personnelles requises pour le poste GT‑03 l’ont été après l’examen et ne sont par conséquent pas pertinents en l’espèce. Selon le guide de cotation, toutes les qualités personnelles devaient être évaluées par des questions d’entrevue. Étant donné que le plaignant n’a pas réussi à l’examen pratique, il n’a pas été convoqué à l’entrevue.

161Bien que le Tribunal ne soit pas satisfait de la façon dont l’examen a été administré, il ne constate pas de lacunes importantes dans son contenu. L’examen a été conçu pour évaluer la « [c]apacité d’effectuer des tâches telles que le désassemblage, l’assemblage, la réparation […] » [traduction] [caractères gras ajoutés]. La « réparation » était l’une des tâches évaluées. Par ailleurs, il est évident que la sécurité est une considération essentielle dans la réalisation des tâches évaluées, compte tenu de leur nature. Au regard des éléments de preuve, le Tribunal est convaincu que « l’inspection » est une première étape essentielle de la réalisation des tâches susmentionnées; par ailleurs, le plaignant savait que l’évaluation porterait sur l’IPO 2‑19, qui s’applique à l’inspection. Rien ne démontre de façon convaincante que le fait de subir l’examen avec succès n’aurait pas prouvé de manière suffisante au comité d’évaluation que le candidat possédait les qualifications essentielles évaluées. (Voir la décision Jacobsen c. Sous-ministre d'Environnement Canada et al., [2009] TDFP 0008, paragraphe 42).

162Le plaignant a également affirmé qu’il n’a pas eu de préavis suffisamment long pour se préparer à l’examen. Cependant, aucun élément de preuve ne démontre que les autres candidats ont eu plus de temps que le plaignant pour se préparer. De plus, le plaignant a déclaré que l’IPO « n’était pas un document que l’on étudie à la maison » [traduction].

163En conclusion, le Tribunal juge que l’examen pratique présentait des lacunes importantes. Les directives n’étaient pas claires, et ne donnaient pas au plaignant une occasion juste et raisonnable de démontrer les capacités évaluées. Il incombait au comité d’évaluation de donner des instructions claires quant au moment où le candidat devait ou ne devait pas faire semblant. En outre, aucun des deux membres du comité d’évaluation n’avait l’IPO en main pendant l’examen; aucun d’eux n’était donc en mesure de déterminer si celle‑ci était suivie mot pour mot.

164Le plaignant a convaincu le Tribunal que, selon la prépondérance des probabilités, les erreurs et les omissions commises par l’intimé dans l’administration de l’examen pratique étaient suffisamment graves pour constituer de la mauvaise foi. Ainsi, le Tribunal conclut que l’intimé a abusé de son pouvoir dans l’administration de l’examen pratique.

Décision

165Pour tous ces motifs, la plainte est fondée.

Mesures correctives

166Les pouvoirs de réparation du Tribunal sont décrits au paragraphe 81(1) de la LEFP :

81. (1) S’il juge la plainte fondée, le Tribunal peut ordonner à la Commission ou à l’administrateur général de révoquer la nomination ou de ne pas faire la nomination, selon le cas, et de prendre les mesures correctives qu’il estime indiquées.

167Le plaignant demande au Tribunal de révoquer les nominations découlant de ce processus de nomination.

168La révocation des nominations est la seule mesure permettant au plaignant d’obtenir réparation. Il ne servirait à rien d’ordonner une nouvelle évaluation du plaignant par un comité d’évaluation différent au moyen d’un processus d’évaluation plus objectif, puisque les deux candidats reçus occupent déjà les deux postes disponibles. Selon les témoins de l’intimé, les candidats reçus ont été évalués de la même façon que le plaignant; cependant, le Tribunal estime que l’examen pratique comportait des lacunes si importantes que ses résultats ne constituent aucunement une évaluation valable des capacités des candidats.

169Le Tribunal ordonne donc à l’administrateur général de révoquer les nominations découlant de ce processus de nomination.

170En outre, vu les conclusions du Tribunal pour ce qui concerne le parti pris, il est recommandé au major McCallum, au capitaine Wight et à M. Varner de suivre une formation sur la dotation impartiale.

Kenneth J. Gibson

Membre

Parties au dossier

Dossier du Tribunal:
2008-0390
Intitulé de la cause:
Miles Denny et le sous-ministre de la Défense nationale et al.
Audience:
28 et 29 avril 2009
Halifax (N-É)
Date des motifs:
15 octobre 2009

Comparutions:

Pour les plaignante:
Louis Bisson
Pour l'intimé:
Lesa Brown
Pour la Commission
de la fonction publique:
John Unrau
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