Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La fonctionnaire s'estimant lésée a été embauchée pour une période indéterminée à titre d'agente des services frontaliers - sa lettre de nomination indiquait que, comme condition d'emploi, elle devait réussir la formation des recrues pour les points d'entrée - la fonctionnaire s'estimant lésée a suivi la formation deux ans après son embauche dans un emploi à durée indéterminée - elle a reçu une lettre l'informant de la séance de formation - la lettre semblait indiquer que, si elle échouait la formation, elle ne serait pas licenciée - la fonctionnaire s’estimant lésée n'a pas réussi la formation et a été licenciée - elle a contesté son licenciement, alléguant que, compte tenu de la lettre, l'employeur ne pouvait mettre fin à son emploi - l'arbitre de grief a déterminé que l'employeur n'avait pas modifié les conditions d'emploi avec sa lettre - de plus, la fonctionnaire s’estimant lésée ne s'était pas fiée à la lettre à son détriment, car elle aurait tout de même suivi la formation - la fonctionnaire s’estimant lésée n'a pas démontré les éléments de la préclusion - le grief a été rejeté. Grief rejeté.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2010-10-07
  • Dossier:  566-02-2811
  • Référence:  2010 CRTFP 105

Devant un arbitre de grief


ENTRE

BARBARA FODE

fonctionnaire s'estimant lésée

et

ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL
(Agence des services frontaliers du Canada)

défendeur

Répertorié
Fode c. Administrateur général (Agence des services frontaliers du Canada)

Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l’arbitrage

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Paul Love, arbitre de grief

Pour la fonctionnaire s'estimant lésée:
Dan Fisher, Alliance de la Fonction publique du Canada

Pour l'employeur:
Christine Diguer, avocate

Affaire entendue à Kelowna (Colombie-Britannique),
les 23 et 24 mars 2010.
(Traduction de la CRTFP)

I. Grief individuel renvoyé à l’arbitrage

1 Barbara Fode, la fonctionnaire s’estimant lésée (la « fonctionnaire ») occupait un poste d’agente des services frontaliers (« ASF ») à l’Agence des services frontaliers du Canada (l’« Agence » ou l’« employeur ») au port de Roosville (Colombie-Britannique). À compter du  24 septembre 2007, Mme Fode a été renvoyée par son employeur après avoir échoué au Programme de formation des recrues pour les points d’entrée (« FORPE ») au Centre d’apprentissage de l’ASFC à Rigaud (« Rigaud »). Le 16 octobre 2007, Mme Fode a déposé un grief pour contester son licenciement. Elle a demandé de réintégrer ses fonctions, de se faire rembourser sa perte de salaire et d’avantages sociaux, y compris les intérêts, et d’être indemnisée intégralement.

II. Résumé de la preuve

2 J’ai entendu les témoignages de Steven Heintz, évaluateur principal, et de Bill Anderson, directeur, District de l’Okanagan et de Kootenay de l’Agence, pour le compte de l’employeur, de même que de Mme Fode. Outre les témoignages, la fonctionnaire et l’Agence ont présenté une preuve documentaire.

3 Mme Fode a terminé une nomination pour une période déterminée comme inspectrice stagiaire des douanes en 2003 et une seconde période du 17 mai au 4 septembre 2004 (pièce E-2, onglet 11). On lui a ensuite offert une nomination pour une période déterminée au poste d’inspectrice des douanes, qui a débuté le 8 novembre 2004 et a pris fin le 1er juillet 2005 (pièce E-2, onglet 12). M. Anderson a expliqué qu’une offre d’emploi d’une durée déterminée est assimilable à une « intégration », c’est-à-dire qu’un étudiant est engagé sans qu’il ait à présenter de nouvelle demande dans un processus de recrutement.

4 Mme Fode a terminé avec succès les périodes d’emploi déterminées et, le 9 juin 2005, on lui a offert un poste permanent (pièce E-2, onglet 13). L’offre a été faite à condition qu’elle obtienne un rendement satisfaisant pendant sa période de stage de 12 mois. En acceptant l’offre, la fonctionnaire s’est engagée à suivre une formation intensive et a convenu que la non-satisfaction des exigences minimales entraînerait son licenciement. La condition était formulée dans les termes suivants :

[Traduction]

[…]

Tous les candidats nommés pour une période indéterminée doivent entreprendre et réussir un programme de formation intensive des recrues au Centre d’apprentissage à Rigaud, au Québec (actuellement d’une durée approximative de neuf semaines consécutives) et une formation intensive à l’exercice des pouvoirs d’agent de la paix, incluant l’application du Code criminel et le recours à la force, ce qui exige un effort physique à divers degrés. La non-satisfaction des exigences minimales dans l’un ou l’autre des cours de formation entraînera le licenciement pour des motifs autres qu’un manquement à la discipline ou une inconduite.

[…]

[Je souligne]

5 Lorsque Mme Fode a entrepris la formation, celle-ci comprenait une orientation de quatre semaines sur Internet, qui a commencé le 6 août 2007, et un cours de base modifié en classe de sept semaines à Rigaud, qu’elle a suivi le 4 septembre 2007. La lettre, signée au nom de M. Anderson, l’informant de la formation lui a été envoyée le 26 juillet 2007 (pièce E-2, onglet 14). Elle spécifiait en partie ce qui suit :

[Traduction]

[…]

Une fois que vous avez terminé votre orientation, vous procéderez à la formation de base du programme.

Nous tenons à vous rappeler que si vous ne réussissez pas la formation, vous pourriez être mutée à un poste équivalent ou subalterne ou, si aucun autre poste n’est disponible dans votre organisation, vous serez renvoyée.

Vous trouverez ci-annexé une copie des conditions de votre participation au programme. Si vous les acceptez, veuillez signer la lettre et la retourner à l’adresse susmentionnée. L’omission de retourner la lettre sera considérée comme un refus.  

[…]

[Je souligne]

6 Une page où signifier l’acceptation des conditions était annexée à la lettre. Le 30 juillet 2007, Mme Fode a signé la partie de la lettre qui portait ce qui suit : [traduction] « J’accepte de participer au volet évaluation ainsi que les conditions associées. Je m’engage à me présenter au Centre d’apprentissage des Services frontaliers à Rigaud (Québec) comme indiqué ci-dessus. »

7 Un document de deux pages intitulé [traduction] « Résumé des conditions du Programme d’évaluation des agents des services frontaliers pour les fonctionnaires » était joint à la lettre. Le document faisait état du versement d’une indemnité et de la date de début fixée, décrivait le programme d’évaluation, les attestations de sécurité, un rapport d’embauche, les frais de déplacement, la politique antitabac et contenait les coordonnées de la personne-ressource. Le document renfermait aussi la phrase suivante :

[Traduction]

[…]

Si vous ne réussissez la formation, vous pourriez être mutée à un poste équivalent ou subalterne ou, si aucun autre poste n’est disponible dans votre organisation, vous serez renvoyée.

[…]

8 Mme Fode a terminé avec succès le module en ligne du cours.

9 M. Heintz a témoigné au sujet du programme FORPE à Rigaud. Donnons quelques précisions sur ses antécédents. En 2000, il a commencé sa carrière à l’Agence des douanes et du revenu du Canada en tant qu’inspecteur des douanes. En 2003, il a été instructeur à Rigaud, où il offrait des programmes de formation à des inspecteurs nommés pour une période indéterminée et à des recrues. Il a déclaré dans son témoignage qu’en 2006, il s’est joint à la section de l’évaluation du programme FORPE, puis qu’il est devenu évaluateur des recrues qui effectuaient les exercices de simulation. Il a été formé par l’Agence pour évaluer les recrues. Pour remplir une condition d’emploi, M. Heintz a suivi et réussi le programme FORPE.

10 M. Heintz a déclaré dans son témoignage que les recrues sont évaluées relativement aux compétences figurant dans le guide [traduction] « Compétences organisationnelles de l’Agence des douanes et du revenu du Canada » (pièce E-2, onglet 2). Les compétences ont été définies lors d’un processus en 2002, où des spécialistes sont intervenus et des gestionnaires consultés. M. Heintz a affirmé que la FORPE est axée sur les compétences ou les aptitudes ou habiletés requises pour exercer les fonctions d’ASF. Le premier jour du programme de base, les recrues reçoivent le guide et sont informées du processus d’examen. Les onze compétences suivantes sont décrites dans le guide : sens du service à la clientèle, valeurs de l’ASFC, raisonnement analytique, contrôle des situations difficiles, prise de décisions, communication interactive efficace, confiance en soi, techniques d’inspection, compétences en recherche d’information, législation, politiques et procédures, et systèmes administratifs de l’Agence.

11 Après les deux premières semaines de formation à Rigaud, les recrues sont évaluées et une décision est prise – D1 –, à savoir si elles poursuivent ou non le programme. Le lundi de la troisième semaine, les recrues participent à des exercices de simulation et, le mardi, elles subissent un examen écrit. Le mercredi, les évaluateurs se rencontrent pour colliger les résultats en équipe et rédiger leurs notes. Enfin, les recrues reçoivent une rétroaction. 

12 M. Heintz a déclaré dans son témoignage qu’une semaine environ avant les examens, les recrues sont informées du déroulement de la journée consacrée à la simulation. Les recrues reçoivent des instructions écrites au sujet du processus d’examen, [traduction] « Document d’information sur l’examen D1 » (pièce E-2, onglet 8) ainsi qu’un insigne nominatif alphanumérique. Les recrues prennent part à une simulation préparatoire aux exercices qu’elles subiront le jour de l’examen. Pendant deux jours, elles participent à 14 séances pratiques et observent 22 simulations où interviennent leurs pairs. Le jour de l’évaluation, les recrues sont évaluées par des personnes qui n’ont pas dispensé la formation.

13 Les scénarios se déroulent dans un poste frontalier simulé. L’examen compte trois exercices de simulation, où les recrues assument le rôle d’ASF. Pour le jour de la simulation, l’Agence retient les services de comédiens qui jouent le rôle de personnes voulant entrer au Canada. Généralement, les évaluateurs sont du personnel expérimenté, notamment les surintendants en chef de l’Agence ou les membres de l’équipe d’évaluation. La recrue et l’évaluateur n’ont pour toute interaction que leur présentation, et les formateurs n’évaluent pas les recrues qu’ils forment. Chaque recrue a cinq minutes pour lire une feuille d’information sur l’emplacement et les contraintes de la situation. Une fois la simulation terminée, l’évaluateur demande à la recrue de faire part de sa décision et de la justifier, de motiver ses interventions et de préciser l’exemption applicable ou le numéro tarifaire. Après que la recrue a fourni les renseignements à l’évaluateur, elle attend que les autres recrues aient terminé leur séance avant de procéder à deux autres simulations, après quoi leur journée est terminée. Le processus dure entre une heure et une heure quinze minutes.

14 M. Heintz a déclaré dans son témoignage que les stagiaires doivent aviser l’Agence s’ils éprouvent des difficultés avant l’examen, ce qui est énoncé dans les termes suivants dans la [traduction] « Brochure sur les objectifs de l’examen » (pièce E-2, onglet 5, page 2) :

[Traduction]

[…]

Il convient de souligner que si vous éprouvez un malaise physique ou psychologique suffisamment grave pour nuire à votre rendement à l’examen écrit ou aux simulations, vous devez en informer le coordonnateur ou l’administrateur de l’examen avant de le subir. Si vous commencez l’examen ou la simulation malgré votre inconfort physique ou psychologique, vous devez accepter vos résultats.

[…]

15 Les résultats qu’a obtenus Mme Fode dans les évaluations écrites du module D1 figurent à la pièce E-2, onglet 9. M. Heintz a déclaré dans son témoignage que les résultats de l’évaluation sont classés selon deux catégories : satisfaisant ou insatisfaisant. Mme Fode a réussi les deux examens de connaissances écrits, soit un avec documentation et l’autre sans documentation.

16 Les résultats qu’a obtenus Mme Fode dans les exercices de simulation sont compris dans la pièce E-2, onglet 10. M. Heintz a déclaré que l’Agence ne s’attend pas à la perfection, mais les recrues doivent satisfaire aux normes deux fois sur trois pour réussir. Selon les évaluateurs, Mme Fode possédait les compétences suivantes : sens du service à la clientèle, valeurs de l’ASFC, raisonnement analytique et communication interactive efficace. Par contre, ils ont constaté qu’elle n’avait pas satisfait aux compétences suivantes : contrôle des situations difficiles, prise de décisions, confiance en soi, compétences en recherche d’information ainsi que législation, politiques et procédures. Dans l’ensemble, les évaluateurs ont attribué la cote « insatisfaisant » au rendement de Mme Fode.

17 M. Heintz a précisé que, dans les cas limites, les résultats sont soumis à l’examen du gestionnaire de programme, car on accorde le bénéfice du doute aux recrues. Toutefois, le rendement de Mme Fode n’était pas limite. On lui a donc recommandé de quitter le programme, car son employeur estimait que son rendement était insatisfaisant.

18 En contre-interrogatoire, M. Heintz a confirmé qu’il n’était pas au courant des conditions dans lesquelles Mme Fode a assisté à la formation à Rigaud ni de ses conditions d’embauche. Il n’a pas donné de renseignements sur le rendement au travail de recrues quelconques avant qu’elles suivent la formation à Rigaud. M. Heintz était au courant du retard dans la formation des recrues à Rigaud. Il a affirmé avoir lui-même occupé son poste pendant deux ans avant de suivre la formation à Rigaud. Il a déclaré que le programme FORPE évaluait les compétences prévues le jour de l’examen et que Mme Fode n’avait pas montré qu’elle les possédait. En contre-interrogatoire, il a ajouté qu’un délai de trois ans avant de suivre la formation à Rigaud était très long, mais qu’il était au fait d’employés qui avaient travaillé cinq ans avant de s’y rendre en raison de l’arriéré. À son avis, un délai de trois ans est exceptionnel. On s’efforce de former les recrues à Rigaud le plus tôt possible.

19 M. Heintz a déclaré qu’en raison de l’arriéré, la FORPE a été écourtée, soit de neuf à sept semaines, en ce qui concerne les employés ayant terminé la formation en Tactiques de maîtrise et de défense. Il a ajouté qu’il était au courant d’autres recrues qui avaient échoué à la FORPE et qui ont été renvoyées de leur poste à l’Agence. En contre-interrogatoire, il a dit avoir eu vent qu’un employé était demeuré à l’Agence après avoir échoué à la FORPE et qu’il l’avait suivie à nouveau. En réinterrogatoire, il a cependant dit qu’il ne connaissait pas les conditions d’emploi de cet employé.

20 Mme Fode a été informée de son licenciement du poste d’ASF, qui prenait effet à la fermeture des bureaux le 24 septembre 2007, par la lettre de licenciement que lui a envoyée G. Blake Delgaty, directeur général régional, région du Pacifique, le 26 septembre 2007. Il indiquait que sa nomination pour une période indéterminée était subordonnée à la réussite du programme de formation et qu’il avait appris qu’elle n’avait pas satisfait à l’exigence relative au module D1 et, ainsi, elle n’avait pas rempli une condition d’emploi. Son licenciement a donc été prononcé en vertu de l’alinéa 12(1)e) de la Loi sur la gestion des finances publiques, L.R.C. (1985), ch. F11,pour « […] des raisons autres qu’un manquement à la discipline ou une inconduite […] ».

21 M. Anderson a déclaré dans son témoignage que le District de l’Okanagan et de Kootenay est l’un des cinq districts dans la région du Pacifique, où il gère 16 points d’entrée. Il travaille à l’Agence, sous ses diverses formes, depuis 1976 et il devait se retirer une semaine après l’audience. Il est directeur du district depuis 2002. Auparavant, pendant deux ans, il a été chef des ports de la région de Kootenay. Il a occupé pendant 25 ans des postes d’administration à l’administration centrale de l’Agence ainsi qu’un poste d’ASF pendant un an à Fort Erie (Ontario).

22 M. Anderson déclaré dans son témoignage qu’en tant qu’inspectrice stagiaire des douanes, Mme Fode aurait suivi une formation de six jours en recours à la force, puisqu’il s’agit d’une exigence en matière de santé et de sécurité du poste. Tous les étudiants stagiaires doivent suivre cette formation. Par le passé, des étudiants ont été renvoyés pour ne pas avoir réussi cette formation, mais Mme Fode l’a réussie. M. Anderson a pris part à la rédaction de la lettre à l’intention de Mme Fode lui offrant un poste d’une durée indéterminée (pièce E-2, onglet 12). Pourtant, la lettre portait la signature du directeur régional puisqu’un gel de la dotation était en vigueur à cette époque.

23 M. Anderson a affirmé que les conditions de la nomination, dont l’obligation de suivre la FORPE, étaient imposées à tous les employés nommés pour une période indéterminée. Il a ajouté que cette formation a été portée de neuf à sept semaines en ce qui concerne les employés ayant terminé la formation en recours à la force. Il a dit que, dans son district, aucun individu qui avait échoué à la formation n’avait été nommé.

24 M. Anderson a déclaré dans son témoignage que l’Agence avait essayé très tôt d’obtenir une place pour Mme Fode à la FORPE, mais que de nombreuses personnes figuraient sur la liste d’attente; celle-ci a donc dû attendre. Avant d’assister à la séance de formation, l’Agence avait offert à trois reprises à Mme Fode l’occasion de la faire, mais elle avait refusé pour des raisons personnelles. L’Agence a satisfait à ses besoins, compte tenu des raisons invoquées. M. Anderson a déclaré qu’il était très inhabituel que les employés demandent de reporter la formation puisqu’il s’agissait d’une condition d’emploi et qu’ils étaient informés des dates longtemps à l’avance pour qu’ils puissent modifier leur emploi du temps afin de pouvoir y assister.

25 Dans un courriel de décembre 2006 de Amy Walker, conseillère en relations de travail (pièce E-3), il est indiqué que Mme Fode devait assister à la formation à Rigaud le 8 janvier 2007. Elle a demandé un ajournement jusqu’en septembre. Elle devait par la suite y assister le 27 mai 2007, mais elle a refusé, puis de nouveau le 16 juillet 2007, mais son employeur a accepté un report comme elle devait participer à un triathlon à Penticton. M. Anderson a déclaré dans son témoignage que l’Agence était à court de personnel à la suite du décès d’un agent, qu’un gel de la dotation était en vigueur à cette époque et que Mme Fode avait demandé un ajournement pour des raisons personnelles, donc il était logique de différer sa formation.

26 M. Anderson a affirmé qu’il était inhabituel, malgré l’arriéré, qu’un employé suive la formation deux ans après l’entrée en fonctions. L’employeur essayait de résorber, dans les meilleurs délais, l’arriéré dans la FORPE. M. Anderson était au courant d’un autre employé dans son district qui avait connu des délais dans sa participation à la formation. En contre-interrogatoire, M. Anderson a convenu avec le représentant de la fonctionnaire que cette dernière n’avait pas intentionnellement différé sa participation à la FORPE et, qu’avec le recul, il aurait été préférable qu’elle la fasse plus tôt.

27 M. Anderson a déclaré dans son témoignage que la lettre du 26 juillet 2007 (pièce E-2, onglet 14) envoyée à Mme Fode renfermait des instructions administratives, notamment des renseignements sur la séance à Rigaud qui commençait le 4 septembre 2007. La lettre disait notamment ceci :

[Traduction]

[…]

Si vous ne réussissez pas la formation, vous pourriez être mutée à un poste équivalent ou subalterne ou, si aucun autre poste n’est disponible dans votre organisation, vous serez renvoyée.

[…]

28 En interrogatoire principal, on a demandé à M. Anderson pourquoi la lettre contenait ce paragraphe. Il a déclaré qu’il n’était pas certain pourquoi. Il a ajouté que l’administration centrale de l’Agence avait envoyé cette lettre type et qu’une autre personne l’avait signée pendant son congé. Il a ajouté que ce n’était pas son intention de modifier les conditions d’emploi de la fonctionnaire. Il s’agissait d’instructions administratives pour qu’elle se prépare à la formation à Rigaud. En réinterrogatoire, M. Anderson a affirmé, qu’à son avis, la lettre du 26 juillet 2007 n’était pas compatible avec l’offre initiale d’un emploi de durée indéterminée.

29 M. Anderson a été surpris d’apprendre que Mme Fode n’avait pas terminé avec succès la formation et il a téléphoné au directeur général régional [traduction] « pour savoir ce qui se passait », car Mme Fode était une employée compétente et il croyait qu’on avait [traduction] « fait erreur ». On lui a dit que de nombreuses compétences faisaient défaut à Mme Fode et que c’était [traduction] « terminé ».

30 En contre-interrogatoire, M. Anderson a déclaré dans son témoignage que ce sont ses supérieurs qui ont pris la décision de licencier la fonctionnaire parce qu’elle n’avait pas réussi la formation à Rigaud.

31 M. Anderson a ajouté qu’après avoir été licenciée, la fonctionnaire a appris qu’un poste CR-04 serait bientôt vacant. La surintendante Rowena Davis et le chef Kevin Hughson ont encouragé Mme Fode pour qu’elle postule à ce poste parce qu’elle était une employée compétente et qu’elle pourrait, par la suite, présenter une nouvelle demande pour un poste d’ASF. Sa demande a été rejetée par la Commission de la fonction publique. M. Hughson lui a offert un emploi temporaire de 90 jours à titre de représentante des services de voyage, classifié CR-04, au port de Kingsgate. En contre-interrogatoire, M. Anderson a déclaré que Mme Fode n’avait pas postulé le poste CR-04 car il était temporaire, qu’elle croyait avoir trouvé un autre emploi et se cherchait un poste permanent.

32 En contre-interrogatoire, M. Anderson a déclaré qu’avant le licenciement de la fonctionnaire, il n’avait pas essayé de lui trouver une mutation puisque, selon ses conditions d’emploi, elle devait réussir la FORPE et qu’il n’y avait pas de poste équivalent à l’Agence. Il a ajouté qu’il n’avait pas appliqué la politique sur les mutations, car il n’était pas tenu de lui offrir d’autres possibilités.

33 En contre-interrogatoire, M. Anderson a déclaré qu’il croyait que l’Agence n’était pas obligée d’offrir à la fonctionnaire un emploi de remplacement, et il a reconnu que c’était une bonne employée. Cependant, certains postes vacants lui auraient convenu, car elle connaissait bien l’organisation. Si elle avait été nommée à un poste vacant, elle aurait pu demeurer à l’Agence, puis postuler un autre poste d’ASF.

34 M. Anderson a été contre-interrogé relativement à la lettre du 26 juillet 2007. On lui a demandé pourquoi certaines lettres types étaient acceptables, tandis que celle-ci ne l’était pas et pourquoi il y avait erreur. Il a expliqué qu’il était tenu d’utiliser ces lettres, même si parfois il n’était pas d’accord. Il a déclaré qu’en 2005 et 2006, l’Agence a modifié ses pratiques d’embauche pour ce qui est de l’applicabilité des normes de nature physique. À son avis, on avait réfléchi à l’applicabilité des normes aux employés nommés pour une période déterminée, qui différaient de celles pour les recrues. On ne savait pas trop quelles étaient les obligations à l’égard de ces employés, car l’Agence élaborait de nouvelles normes. Il s’en est excusé. Il a reconnu que régnait une certaine confusion en ce qui concerne les employés nommés pour une période déterminée jusqu’à ce qu’une politique soit formulée. M. Anderson a ajouté qu’il n’était pas au courant des politiques qu’élaborait l’administration centrale de l’Agence.

35 M. Anderson a reconnu que le rendement au travail de Mme Fode n’avait jamais été en question. Il a déclaré qu’un employé, à la lecture de la lettre, pourrait en dégager un engagement ou une assurance au sujet de son emploi et que le paragraphe offrait une certaine protection. La lettre a été rédigée par Lowena Carter, adjointe administrative.

36 M. Anderson a déclaré dans son témoignage que la lettre constituait une erreur. À son retour de congé, il a mis en doute sa formulation auprès du directeur des Ressources humaines à Vancouver et d’autres directeurs, et a fait valoir qu’elle était illogique.

37 On a demandé à M. Anderson pourquoi l’employeur n’avait pas envisagé de possibilités de mutation pour Mme Fode. Il a répondu que, selon les conditions d’emploi, tout employé devait réussir la FORPE. Le personnel du District de l’Okanagan et de Kootenay comptait des ASF, des gestionnaires et des commis. Il n’y avait pas de postes similaires à ce niveau. On lui a demandé pourquoi il n’a pas considéré ou appliqué la Politique sur les mutations du Conseil du Trésor ou une politique équivalente. Il a précisé que c’était une exigence du poste de suivre la formation à Rigaud et qu’il n’était pas tenu d’offrir d’autres possibilités à la fonctionnaire. Il ne croyait pas que la lettre du 26 juillet 2007 constituait une raison suffisante de lui offrir un autre poste avant qu’elle soit licenciée.

38 En contre-interrogatoire, on a demandé à M. Anderson s’il était au fait d’un autre cas où un employé n’avait pas été automatiquement licencié après avoir échoué à la formation à Rigaud. Il a répondu qu’aucun ne lui venait à l’esprit. En réponse à la question de savoir si une telle possibilité était maintenant envisagée à la suite de la fusion avec les fonctions d’immigration ou de leur remaniement à l’Agence, il a déclaré que les employés s’acquittant de ces fonctions avaient suivi la formation à Rigaud. Il a reconnu que certains employés venant du côté de l’immigration de l’Agence des douanes et du revenu du Canada avaient un statut permanent et qu’ils n’étaient pas tenus de participer à la FORPE. Il a aussi expliqué que ces employés exerçaient des fonctions d’immigration, mais que l’Agence avait déployé de nombreux efforts pour intégrer les fonctions d’immigration et de douanes.

39 En contre-interrogatoire, M. Anderson a convenu que le retard de la fonctionnaire à suivre la formation faisait exception, mais que plusieurs employés étaient dans la même situation.

40 En contre-interrogatoire, M. Anderson a déclaré que, selon le processus en vigueur, les recrues de l’extérieur suivaient le processus d’embauche, puis la formation à Rigaud. Elles touchent une indemnité de formation hebdomadaire de 125 $, mais ne sont pas considérées comme des employés de l’Agence jusqu’à ce qu’elles aient terminé la FORPE. À son avis, il s’agissait de modalités d’autonomie, plus que par le passé.

41 En contre-interrogatoire, M. Anderson a déclaré qu’il n’avait pas le pouvoir de licencier Mme Fode et que ce n’était pas sa décision. Il revenait au directeur général régional de renvoyer les employés nommés pour une période indéterminée. M. Anderson a eu l’occasion d’examiner une lettre rédigée par un surintendant (pièce G-1). On lui a demandé pourquoi il a fallu aussi longtemps à la fonctionnaire pour suivre la formation à Rigaud et puisqu’une différente politique était en place, pourquoi l’employeur n’avait pas pris d’autre mesure qu’un licenciement. Il a répondu qu’on lui avait donner comme consigne de licencier tout employé qui ne réussissait pas à la FORPE.

42 M. Anderson a reconnu l’incohérence entre la lettre du 26 juillet et l’offre d’emploi permanent à la fonctionnaire en juin, mais à son avis, la lettre du 26 juillet ne pouvait être considérée comme un instrument de dotation prescriptif, mais plutôt comme des instructions administratives mal formulées. Il a reconnu que Mme Fode avait accepté les conditions et signé la lettre, et il a ajouté que cette lettre ne pouvait être considérée comme une offre, mais comme un instrument de dotation officiel.

43 En réinterrogatoire, M. Anderson a confirmé que la déclaration dans la lettre du 26 juillet était incompatible avec l’offre d’emploi et qu’il était attistré lorsqu’il en a pris connaissance à son retour de congé annuel. Il ne croyait pas qu’il s’agissait de la modification de l’offre d’emploi. S’il avait cru qu’il s’agissait d’une modification, il l’aurait examinée et modifiée ou il aurait demandé des éclaircissements, mais il avait reçu la consigne d’utiliser les modèles [traduction] « sans poser de question ».

44 En réinterrogatoire, M. Anderson a affirmé que les agents d’immigration de longue date n’étaient pas tenus de participer à la FORPE à titre de condition d’emploi. Ces agents recevaient une formation bivalente — ils suivaient un cours de douanes de 10 jours et les agents des douanes, un cours d’immigration de 10 jours.

45 L’employeur a terminé sa preuve le premier jour de l’audience. Ensuite, a suivi un ajournement prolongé pour les discussions entre les parties. Le 24 mars 2010 en matinée, l’employeur a demandé la réouverture de l’affaire pour convoquer M. Delgaty, rédacteur de la lettre du 26 juillet, pour qu’il témoigne afin de déterminer si l’ajout du passage en litige constituait une erreur administrative. L’avocate de l’employeur n’avait pas interrogé le témoin ni discuté de la nature de son témoignage et ne pouvait confirmer sa disponibilité à témoigner. Apparemment, au moment de l’audience, il était à l’étranger. Le représentant de la fonctionnaire s’est opposé à l’ajournement. Il a soutenu que l’employeur ne pouvait fractionner sa preuve et qu’un ajournement ne devrait pas être accordé du simple fait qu’un témoin ne pouvait témoigner. Il a de plus fait valoir que la fonctionnaire subirait un préjudice si l’on différait encore l’affaire, dont elle attendait l’issue et qu’elle pouvait difficilement s’absenter de son poste actuel. Il a ajouté que son propre horaire était complet jusqu’en 2011 et que même si la preuve était pertinente, cela ne devrait pas autoriser l’employeur à rouvrir l’affaire. L’avocate de l’employeur a répondu qu’il y avait de nouveaux éléments de preuve et qu’il était important pour ce dernier de présenter tous ses arguments. 

46 J’ai conclu que même si l’employeur semblait demander un ajournement de bonne foi, la fonctionnaire pourrait subir un préjudice substantiel si l’on ne parvenait pas à un règlement rapide, du fait que son licenciement remontait à 2007, qu’elle travaille à un conseil scolaire où sa disponibilité est limitée pendant l’année scolaire, et que son représentant pouvait difficilement se libérer avant le début de 2011. L’avocate de l’employeur n’avait toujours pas interviewé le témoin éventuel, étant à l’étranger, et ne savait pas si sa preuve serait utile. De plus, l’employeur avait déjà présenté une preuve démontrant qu’il n’avait pas l’intention de modifier les conditions énoncées dans la lettre du 9 juin 2005 et que l’ajout de termes différents à la lettre du 26 juillet 2007 constituait une erreur administrative.

47 Mme Fode a témoigné. Elle est actuellement employée par l’arrondissement scolaire no 5 de Cranbrook (Colombie-Britannique) dans un poste saisonnier de travailleuse auprès des enfants en difficulté pendant l’année scolaire. L’été, elle fait du bénévolat et participe à des triathlons. Lorsqu’elle a été licenciée, elle subvenait seule aux besoins de ses trois enfants. Mme Fode a déclaré avoir occupé un poste de stagiaire étudiante en 2003 et 2004.

48 Mme Fode a déclaré dans son témoignage qu’elle avait exercé les fonctions d’ASF depuis le 8 novembre 2004. Elle a reconnu qu’on lui a offert un poste permanent en raison de sa compétence. Elle a affirmé qu’elle croyait suivre la formation à Rigaud entre quatre et six mois après avoir accepté l’offre d’emploi permanent, à l’instar des recrues qui l’avaient précédée. Elle a précisé que toutes les autres recrues semblaient s’être rendu à Rigaud peu après leur embauche.

49 Mme Fode a déclaré qu’elle était au courant de la condition qu’elle devait suivre la formation à Rigaud lorsqu’elle a signé l’offre d’emploi permanent. À son avis, il s’agissait d’une condition importante, car si elle échouait, elle pouvait poursuivre ses études menant à un grade. Elle devait aussi tenir compte du fait qu’elle devait subvenir aux besoins de sa famille, et qu’elle aurait préféré suivre la formation plus tôt afin de régulariser sa situation et de jouir d’une sécurité d’emploi. Elle croyait que sa sécurité d’emploi était assurée du fait que son employeur la considérait comme suffisamment compétente pour remplir ses fonctions, alors qu’il exigeait des autres employés qu’ils suivent la formation.

50 Au cours de sa première année d’emploi, elle a bénéficié d’occasions de formation, dont la formation à l’exercice des pouvoirs d’agent de la paix, un cours de premiers soins, un cours de conduite automobile et de transport de passagers, un cours sur les obscénités et un cours offert par l’Agence canadienne d’inspection des aliments. Elle a suivi tous ces cours avant le 30 mars 2006.

51 Selon Mme Fode, l’Agence avait demandé en premier aux nouveaux employés de suivre la formation parce que son propre rendement était excellent. Elle savait aussi qu’il y avait un arriéré dans le programme à Rigaud. Kevin Hughson, directeur à Kingsway, lui avait dit qu’à l’époque, on avait décidé qu’il serait préférable si les recrues suivaient la formation plutôt qu’elle.

52 Mme Fode a déclaré dans son témoignage qu’elle avait demandé à l’Agence de différer sa formation à Rigaud en raison de la blessure de sa mère, qui est par la suite décédée, ainsi que pour assister à la remise des diplômes à l’école secondaire de sa fille et pour participer au triathlon Ironman à Penticton. Mme Fode était très reconnaissante à son employeur d’avoir différé sa formation.

53 Elle a déclaré dans son témoignage qu’avant de suivre la formation de base à Rigaud, elle a pris part au triathlon Ironman à Penticton le 25 août 2007, épreuve exténuante. Elle a précisé qu’elle avait fait un entraînement intensif avant la course et que son rétablissement se poursuivait même à Rigaud.

54 Mme Fode a déclaré qu’après avoir lu la lettre du 26 juillet 2007, elle croyait à tort que sa participation à la formation à Rigaud était une simple formalité et qu’on lui offrait cette possibilité pour renforcer son sentiment de sécurité, si elle devait échouer. Elle a dit que cette formation était importante pour elle, car elle avait investi trois ans dans son emploi, qu’elle avait suivi d’autres cours et que sa sécurité d’emploi lui importait puisqu’elle voyait à l’éducation de ses enfants.

55 Mme Fode a déclaré avoir pris très au sérieux la lettre du 26 juillet 2007 puisque sa mère avait été grièvement blessée dans un accident automobile. Elle n’a pas remis en question la lettre et a déclaré qu’elle s’y était fiée.

56 Mme Fode a déclaré dans son témoignage qu’à son arrivée à Rigaud, elle croyait en sa compétence et n’avait aucune inquiétude. Elle a ajouté qu’après la fin du triathlon et sa réadaptation à la vie ordinaire, elle a éprouvé des problèmes de nutrition et de poids. En raison de ses études, elle ne pouvait maintenir sa forme physique. Elle était fatiguée. Pourtant, elle n’a pas mentionné son état à son employeur lorsqu’elle était à Rigaud puisqu’elle ne s’inquiétait pas de son rendement. Elle a parlé au cuisinier de ses problèmes alimentaires, y compris son intolérance au sodium. Elle savait qu’elle pouvait faire part de ses préoccupations à son employeur.

57 Mme Fode croit avoir bien fait à la formation et elle a reçu une rétroaction favorable. Elle a reconnu ne pas avoir donné son meilleur rendement le jour de l’évaluation. Elle s’était rendu compte, dès la fin de l’examen, qu’elle avait eu des difficultés, mais elle espérait quand même obtenir un bon résultat. Elle ne conteste pas ne pas avoir réussi le cours et a déclaré avoir eu une mauvaise journée.

58 Lorsqu’elle a appris ses résultats, elle a été déçue. Elle croyait pouvoir poursuivre sa formation et a été surprise lorsqu’elle a été renvoyée à la maison. Elle a téléphoné à son surintendant après avoir reçu la lettre de renvoi, car elle était surprise de son licenciement après avoir reçu cette autre lettre.

59 En contre-interrogatoire, Mme Fode a déclaré qu’elle n’a pas fait part de ses préoccupations à son employeur après l’examen, car elle ne croyait pas que son emploi était menacé.

60 Mme Fode a présenté huit lettres d’appui de collègues, dont ses superviseurs précédents (pièce G-3). Plus particulièrement, un surintendant a écrit ce qui suit (pièce G-1) :

[Traduction]

[…]

Je conteste vigoureusement le renvoi de Barb FODE que j’ai supervisée pendant près de trois ans, où j’ai constaté son dévouement, son acharnement au travail et son empressement à se perfectionner. Elle se comporte de manière professionnelle et prend des décisions éclairées. Elle entretient des relations cordiales avec ses collègues, et est polie mais ferme avec notre clientèle. Elle pose des questions appropriées, se comporte de manière responsable et peut expliquer les raisons qui sous-tendent ses décisions.

J’ai appris que Barb n’a pas réussi l’exercice de simulation D1, mais je ne puis m’expliquer pourquoi puisqu’elle a fait ses preuves en tant qu’ASF ni qu’on ne lui permette pas de reprendre l’examen. Nous manquons de personnel, pourtant nous licencions une excellente ASF qui a connu une mauvaise journée. Je reconnais qu’il faut faire preuve de fermeté dans les décisions de licenciement et que cette sanction pourrait être imposée à un candidat récemment entré en fonctions, mais non aux employés ayant fait un cheminement ascensionnel. En mettant fin à son emploi de cette façon, ses trois années de service dévoué sont considérées comme sans valeur et ne comptent pour rien.

[…]

61 En contre-interrogatoire, Mme Fode a dit qu’elle comprenait qu’en règle générale, un ASF serait licencié s’il ne réussissait pas la FORPE. La fonctionnaire et l’Agence n’ont pas tenu de discussion en vue de modifier la condition de la participation à cette formation. Après avoir reçu la lettre du 26 juillet 2007, elle n’en a pas discuté avec un gestionnaire ou surintendant. Même si elle comprenait généralement que les employés participent à la FORPE dans les quatre à six mois de leur embauche, personne à l’Agence ne lui avait promis ni garanti qu’elle le ferait dans ce délai.

62 En contre-interrogatoire, on a demandé à Mme Fode si elle aurait signé la lettre si elle ne renfermait pas cette condition, et elle a répondu qu’elle y aurait songé en raison de l’état de sa mère qui demeurait chez elle à ce temps-là.

63 En contre-interrogatoire, Mme Fode a dit comprendre qu’on ait pu accorder la priorité à d’autres employés en ce qui concerne la formation à Rigaud. La fonctionnaire a admis qu’on lui avait proposé de suivre la formation à Rigaud avant décembre 2006 et qu’elle était reconnaissante à l’employeur d’avoir acquiescé à ses demandes de différer sa formation. Elle a admis sa responsabilité à l’égard de son échec dans les scénarios de simulation. Elle a ajouté qu’elle aurait dû approfondir certains aspects de la formation avant la période d’évaluation, mais qu’elle ne l’avait pas fait.

64 En contre-interrogatoire, on a demandé à la fonctionnaire si elle était au courant d’autres individus qui avaient échoué à la FORPE et qui avaient néanmoins conservé leur poste. Elle n’était pas au courant de cas individuel, mais des collègues lui avaient dit que cela était arrivé. Elle a affirmé que le système avait changé et que d’anciens agents d’immigration avaient été mutés à des postes d’ASF. D’autres collègues lui ont dit qu’ils devaient réussir la FORPE, sinon ils seraient licenciés, mais que la majorité avaient suivi la formation après leur entrée en fonctions. Elle considérait sa situation comme différente, car on lui avait fait savoir qu’elle était compétente, elle avait la lettre du 26 juillet et on avait différé sa FORPE.

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour l’employeur

65 Il ressort de la preuve non contestée de M. Heintz que la fonctionnaire a reçu une évaluation raisonnable à Rigaud et que celle-ci a été faite dans les règles. Aucune preuve ne montre qu’on ait fait entorse au processus. La fonctionnaire a cependant souligné la subjectivité des évaluations dans les séances pratiques, mais a admis sa responsabilité en ce qui concerne son échec.

66 La seule question à trancher est si la lettre du 26 juillet 2007 a modifié les conditions de l’emploi offert dans la lettre du 9 juin 2005. L’employeur a fait valoir que cela n’était pas le cas. La fonctionnaire devait suivre la formation à Rigaud seulement après avoir obtenu le statut probatoire d’employée permanente. Il y a eu un retard dans sa formation à Rigaud, bien que l’employeur ne lui ait pas garanti ou promis qu’elle suivrait cette formation dans les quatre à six mois de son offre d’emploi permanent. À l’époque, il y avait une pénurie de places de formation puisque l’Agence recrutait. La direction avait aussi décidé que les nouveaux employés avaient la priorité sur les employés existants en ce qui concerne la FORPE, de façon qu’ils puissent exercer toutes leurs fonctions. D’autres employés ont dû attendre avant de suivre la formation. Au cours de la période de deux ans où Mme Fode était permanente (du 9 juin 2005 au 26 juillet 2007) et qu’elle attendait de suivre la formation à Rigaud, le délai de neuf mois peut s’expliquer par ses demandes de reporter sa formation. Celles-ci étaient exceptionnelles, mais non déraisonnables, et il importe de souligner que le retard dans sa formation ne résulte pas seulement des mesures de l’employeur.

67 Mme Fode n’était pas la première employée licenciée pour avoir échoué à la formation et ne sera pas la dernière. La preuve révèle que, selon la règle générale, les ASF devaient réussir la formation pour conserver leur poste. Cette pratique de longue date est toujours en vigueur.

68 Depuis le licenciement de Mme Fode, l’employeur a modifié ses pratiques d’embauche. Après le processus de sélection, les recrues doivent terminer la formation, dont la FORPE à Rigaud, avant d’être nommées ASF. À défaut de quoi, elles ne le sont pas. 

69 En l’espèce, il est clairement indiqué dans la lettre de nomination du 9 juin 2005 que la non-satisfaction des exigences entraînera un licenciement, condition que la fonctionnaire a acceptée. L’employeur qui licencie un fonctionnaire n’ayant pas rempli une condition d’emploi fixée à l’embauche ne viole pas la convention collective : Oshawa General Hospital v. Nurses’ Assoc. Oshawa General Hospital (1975),10 L.A.C. (2e) 201. Ce cas mettait en cause une étudiante-infirmière qui devait réussir un examen, sans quoi elle serait licenciée, et celle-ci a échoué. L’arbitre a conclu qu’il s’agissait d’un motif de licenciement valable.

70 La fonctionnaire a reconnu ne pas avoir eu de discussion au sujet du paragraphe dans la lettre du 26 juillet 2007 et de sa participation à la formation à Rigaud. M. Anderson a déclaré dans son témoignage que l’objet de la lettre était d’informer l’employée de sa participation prévue à la FORPE. Il a précisé que cette lettre était mal formulée, mais que l’employeur n’avait nullement l’intention de modifier sa politique à l’égard des employés n’ayant pas réussi la FORPE qui, par conséquent, ne pouvaient demeurer en  fonction dans leur poste d’ASF. Toutefois, un débat de politique interne entourait la mutation possible des employés nommés pour une période déterminée à un poste de durée indéterminée.

71 L’employeur a précisé ne pas avoir diffusé d’avis que les conditions d’emploi devaient être modifiées. On ne peut raisonnablement interpréter la lettre du 26 juillet 2007 comme une offre d’emploi modifiée. De plus, ce paragraphe n’a pas été discuté avec Mme Fode.

72 L’employeur aurait été tenu de signifier avis de la modification des conditions d’emploi, même si celle-ci aurait été favorable à la fonctionnaire. En effet, l’employeur est soumis aux mêmes critères lorsqu’il y a méprise ou qu’une erreur administrative est commise. Si la lettre d’offre initiale est celle de juillet 2007, mais l’employeur a envoyé par la suite une lettre au libellé similaire à celui de la lettre de juin 2005, l’employeur ne pouvait donc s’appuyer sur la seconde lettre pour licencier Mme Fode. La seconde lettre n’aurait pas représenté un instrument légitime modifiant les conditions d’emploi. Un employeur doit donner avis d’un changement de la politique et ne peut s’appuyer sur une politique subséquente qui modifie les conditions d’emploi pour renvoyer un employé (voir Oshawa General Hospital v. Nurses’ Assoc. Oshawa General Hospital (1975), 8 L.A.C. (2e) 329).

73 La fonctionnaire a affirmé qu’elle s’était fiée à la lettre de juillet. À tout le moins, l’employeur a soutenu qu’elle n’aurait pas assisté à la formation ou accepter de s’y rendre si ce n’était de la lettre du 26 juillet 2007. Il a aussi indiqué que si elle ne s’était pas fiée à cette lettre, elle n’aurait pas été licenciée.

74 Selon l’employeur, on ne peut prétendre en l’espèce à l’existence d’une préclusion. Il n’y avait pas de paroles et d’actes clairs et sans équivoque sur lesquels on aurait pu se fonder ou sur lesquels on s’est de fait fondé au détriment de l’employée. Les conditions d’une préclusion n’ont pas été remplies — il n’y a pas eu de paroles et d’actes clairs et sans équivoque sur lesquels on aurait pu s’appuyer.

75 L’employeur s’est acquitté de la charge de la preuve et était justifié de licencier Mme Fode, compte tenu des conditions de l’offre d’emploi. De plus, il n’était pas tenu de lui offrir d’autres possibilités. Elle était estimée, ses superviseurs étaient navrés de son échec et de son renvoi, et l’employeur a essayé de lui trouver un autre emploi.

76 Subsidiairement, l’employeur a soutenu que le seul redressement possible serait la réintégration de Mme Fode pour ensuite essayer de la muter dans un délai raisonnable, conformément à Zhang c. Conseil du Trésor (Bureau du Conseil privé), 2005 CRTFP 173. Si elle était mutée à un poste, elle pourrait présenter une nouvelle demande à un poste d’ASF.

B. Pour la fonctionnaire s’estimant lésée

77 La preuve a montré que certains employés ont suivi la FORPE et d’autres ne l’ont pas fait. Il n’y a pas de règles immuables en ce qui concerne la réussite de cette formation. La preuve a révélé une fluctuation dans l’achèvement de la FORPE même à l’heure actuelle. Il y a une raison pour laquelle les recrues se rendent à Rigaud avant d’être engagées.

78 On constate un fossé entre l’évaluation relative à la FORPE qu’a reçue la fonctionnaire et son rendement au travail. L’agent négociateur ne peut comprendre pourquoi une employée compétente, estimée et formée, dont le rendement était excellent, n’a pu reprendre l’examen, qu’on ne lui ait pas offert un autre poste, surtout à la lumière des circonstances difficiles dans sa vie privée.

79 L’employeur a modifié les conditions de l’offre à la fonctionnaire, lui a expliqué ces modifications, et cette dernière n’avait aucune raison de les remettre en question. L’employeur n’a toujours pas démontré que le paragraphe dans la lettre du 26 juillet est assimilable à une erreur administrative. Cette lettre est claire et non équivoque. L’employeur était obligé de rechercher un autre emploi pour Mme Fode, conformément à Zhang.

80 Le représentant de la fonctionnaire a soumis que celle-ci a invoqué le principe de préclusion. À son détriment, elle s’était clairement fiée à l’employeur et celui-ci devrait être préclus de la licencier. Le représentant de la fonctionnaire a renvoyé au critère d’application du principe de préclusion dans Northwest Territories (Commissioner) v. Northwest Territories Public Service Assn.(1986), 24 L.A.C. (3e) 132; et Bolton c. Conseil du Trésor (Affaires indiennes et du Nord Canada), 2003 CRTFP 39.

81 C’est un cas de confiance préjudiciable. Lorsque Mme Fode a reçu la lettre du 26 juillet 2007, elle s’est sentie rassurée, malgré sa situation de mère célibataire de trois enfants en instance de divorce et prenant soin de sa mère qui est par la suite décédée, puisqu’elle pouvait compter sur un emploi permanent. Elle ne conteste pas son évaluation dans le cadre de la FORPE, mais a déclaré que son licenciement était injuste en raison de la lettre du 26 juillet. L’employeur a pris des engagements dans cette lettre, ne les a pas remplis et a déclaré ne pas être tenu de le faire.

82 Le représentant de la fonctionnaire a soumis que celle-ci devrait réintégrer son poste d’ASF avec effet de rétroaction, qu’elle soit autorisée à subir à nouveau l’examen et, advenant un autre échec, mutée conformément à la Politique sur les mutations du Conseil du Trésor. Il semble que cette politique ne soit plus en vigueur.

83 D’autres employés qui ont échoué à la FORPE occupent toujours leur poste permanent.

84 La fonctionnaire a subi un changement important puisque son traitement annuel est passé de 70 000 $ à 33 000 $.

85 Le représentant de la fonctionnaire a aussi renvoyé à Hunt et Shaw c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2009 CRTFP 65, et a fait valoir que l’offre d’un recours à cette dernière ne romprait pas l’équilibre établi dans la convention collective pertinente.

86 L’employeur devait démontrer qu’il avait commis une erreur administrative, ce qu’il n’a pas fait. Même si M. Anderson a affirmé que la lettre du 26 juillet était assimilable à une instruction administrative, elle pouvait être interprétée comme un engagement ou une promesse de la part de l’employeur. Le contexte et le moment sont critiques, car des changements étaient en cours. Une incertitude régnait, et M. Anderson a suivi les instructions de ses supérieurs. Mme Fode ne devrait pas subir les conséquences d’un conflit interministériel.

87 Le représentant de la fonctionnaire a relevé une incompatibilité entre l’exigence d’assister et réussir la FORPE. Certains employés ont été nommés sans suivre cette formation et d’autres y ont échoué mais ont gardé leur poste permanent.

88 Jusqu’à ce qu’elle reçoive la lettre en juillet 2007, la fonctionnaire était consciente qu’elle devait suivre la formation à Rigaud et était anxieuse à ce sujet. Elle s’est sentie rassurée après avoir reçu cette lettre, qui lui a cependant inspiré un faux sentiment de sécurité. Mme Fode a suivi la formation à Rigaud de bonne foi, en se sentant en sécurité, et la situation aurait été tout autre si elle avait su que l’employeur invoquerait les conditions de l’offre d’emploi initiale.

89 Pour ce qui est du redressement approprié, Mme Fode devrait réintégrer un poste d’ASF et être autorisée à subir de nouveau l’examen, puisque sa situation était intenable la première fois. Si elle échouait, l’employeur devrait être tenu d’appliquer la Politique sur les mutations du Conseil du Trésor. À tout le moins, elle devrait être réintégrée dans un poste de services de bureau, de groupe et niveau CR-04, pour qu’elle puisse ensuite être mutée ou postuler à un autre poste. La situation aurait été tout autre si la lettre de juillet 2007 ne lui avait pas été envoyée.

90 La fonctionnaire a déclaré qu’il n’y a pas de preuve que l’employeur a licencié des employés dans des situations similaires à la sienne.

91 Un employé devrait pouvoir se fier aux documents que lui fait parvenir son employeur sans devoir demander l’avis d’un avocat ou d’un représentant syndical lorsque ces documents exposent clairement une obligation.

C. Réplique de l’employeur

92 Il n’y a pas de preuve convaincante démontrant que les employés qui ont échoué à la FORPE n’ont pas été licenciés. Selon l’employeur, il n’y a pas de preuve convaincante, autre que les ASF doivent réussir la FORPE, sinon ils sont licenciés, ce qui arrive régulièrement. La seule divergence est le cas avancé par M. Heintz, sans toutefois qu’il ait pu préciser les conditions d’emploi de l’employé en cause. Les seuls autres renseignements dont il est au fait sont par ouï-dire, c’est-à-dire que certaines recrues qui ont échoué à la formation n’ont pas été licenciées.

93 L’évaluation a plus de poids que le rendement au travail, et la fonctionnaire n’a pas obtenu une évaluation favorable. 

94 Même si la formation de la fonctionnaire a été retardée, elle était responsable du tiers du retard, qui était aussi en partie imputable à l’arriéré. L’employeur a fait preuve de bonne foi. L’arriéré ou le retard n’a changé en rien le fait que la fonctionnaire devait terminer la formation à Rigaud ni créé de nouvelles obligations pour l’employeur.

95 Mme Fode a expliqué ses résultats insatisfaisants par des raisons personnelles, qu’elle n’a cependant pas communiquées aux évaluateurs et elle a reconnu que ces derniers les auraient volontiers prises en considération.

96 La lettre du 26 juillet 2007, que M. Anderson n’a pas modifiée, n’a pas changé les conditions d’emploi de Mme Fode. Il se peut qu’il y ait eu des discussions internes au sujet des obligations de l’employeur envers les employés nommés pour une période déterminée, mais il n’a jamais été question de modifier les conditions de Mme Fode. Si M. Anderson croyait que la lettre du 26 juillet visait à modifier les rapports juridiques entre les parties, il aurait fait en sorte de la modifier.

97 La preuve n’a pas révélé qu’on n’accordait pas la priorité à la formation de Mme Fode. Quoi qu'il en soit, il était valable et raisonnable que l’employeur forme les recrues à Rigaud qui n’avaient pas les antécédents de Mme Fode à la fois en tant qu’étudiante ou employée nommée pour une période déterminée. L’employeur a fait tout effort pour que celle-ci suive la formation dans les 18 mois de sa nomination.

98 La preuve déposée par M. Anderson a montré clairement que les ASF qui n’ont pas réussi la FORPE ont été licenciés.

IV. Motifs

99 Je retiens la preuve de l’employeur qu’à l’embauche de Mme Fode, un ASF nommé à un poste d’une durée indéterminée devait réussir la FORPE à titre de condition d’emploi. Encore une fois, la partie pertinente de l’offre d’emploi était la suivante :

[Traduction]

[…]

[…] La non-satisfaction des exigences minimales dans l’un des cours de formation entraînera le licenciement pour des motifs autres qu’un manquement à la discipline ou une inconduite.

[…]

100 Mme Fode n’était pas astreinte à cette condition avant le 20 juin 2005, lorsqu’elle a accepté l’offre d’emploi permanent présentée le 9 juin 2005. Il n’y a aucune preuve que l’employeur envisageait de modifier cette condition. La pratique d’embauche actuelle diffère du fait que les recrues doivent terminer la FORPE avant de recevoir une offre d’emploi de l’Agence.

101 À mon avis, il n’y a pas de preuve convaincante, selon la prépondérance des probabilités, que d’autres employés dans des postes similaires à celui de Mme Fode ont conservé leur poste à l’Agence après avoir échoué à la FORPE. Je ne souscris pas aux hypothèses de M. Heintz ou de la fonctionnaire que d’autres personnes auraient été traitées différemment, car je n’ai pas de renseignements suffisants sur ces personnes, leurs années de service chez l’employeur, les conditions dans lesquelles elles ont assisté à la formation à Rigaud ou leur poste à l’Agence. La preuve dont je dispose, déposée par M. Anderson, démontre que les employés de la région du Pacifique qui ont échoué à la FORPE ont été licenciés. M. Anderson n’a pu dire ce qui se passait dans les autres régions, mais je ne pourrais déduire de ce manque d’information que l’employeur n’a pas licencié les employés qui ont échoué à la FORPE. Je constate que la preuve présentée à ce sujet par M. Heintz et Mme Fode est du ouï-dire, qui est recevable dans une audience d’arbitrage. Je dois peser la force probante de la preuve. M. Anderson a déposé une preuve directe et pertinente, qui à mon avis, est plus convaincante et à laquelle on doit accorder plus de poids que le ouï-dire.

102 Les agents d’immigration de longue date — expression qui, je crois savoir, désigne les agents ayant de l’ancienneté —, qui étaient des fonctionnaires fédéraux avant la création de l’Agence, n’étaient pas tenus, selon leurs conditions d’emploi, d’assister à la FORPE. Cet état de fait n’est pas pertinent pour l’analyse du présent grief.

103 À mon avis, le délai — en l’espèce, 20 mois — ne peut libérer Mme Fode de son obligation de terminer la FORPE. Le programme était complet. Il se peut que l’employeur ait décidé de demander aux employés débutants de suivre la formation plutôt que ceux qui avaient été formés en partie ou qui avaient acquis de l’expérience dans un emploi pour étudiant ou un poste d’une durée déterminée. Le retard dans la formation de la fonctionnaire s’explique en partie par ses demandes légitimes de la reporter, mais ce retard n’a pas restreint son obligation en ce sens.

104 Les parties ne s’entendent pas sur l’effet de la lettre du 26 juillet 2007, dont le passage en litige est le suivant :

[Traduction]

[…]

Une fois que vous avez terminé votre orientation, vous procéderez à la formation de base du programme.

Nous tenons à vous rappeler que si vous ne réussissez pas la formation, vous pourriez être mutée à un poste équivalent ou subalterne ou, si aucun autre poste n’est disponible dans votre organisation, vous serez renvoyée.

[…]

105 À mon avis, la lettre du 26 juillet 2007 ne peut être raisonnablement interprétée comme une modification des conditions d’emploi de la fonctionnaire. Je ne suis pas convaincu que M. Anderson ait été autorisé à faire des offres d’emploi ou à licencier des employés permanents. S’il n’était pas autorisé à faire une offre, à mon avis, il ne pouvait pas modifier une telle offre. La lettre d’embauche dans le poste permanent et la lettre de renvoi ont été signées par M. Delgaty, directeur général régional. 

106 La fonctionnaire a accepté les conditions dans son offre en signant la lettre de juin 2005. De toute évidence, elle devait assister à la formation à Rigaud selon l’offre d’emploi initiale. Elle n’a pas modifié sa situation en acceptant de se rendre à Rigaud. Si elle avait refusé, l’employeur aurait été en plein droit de la licencier.

107 On remarque une différence claire entre le libellé des lettres de juin 2005 et de juillet 2007. Je ne crois cependant pas que l’employeur ait eu l’intention de renoncer à la formation ou à l’évaluation des compétences de la fonctionnaire à Rigaud. De plus, il me semble que la lettre du 26 juillet était une lettre type et qu’elle ne peut être considérée comme une [traduction] « prise en compte par l’employeur » des circonstances spéciales de Mme Fode, mère célibataire, dont la mère était invalide, employée estimée de l’Agence et dont la formation avait été retardée. Il n’y a pas de preuve que la lettre du 26 juillet a été rédigée en tenant compte des circonstances personnelles de la fonctionnaire.

108 À mon avis, l’employeur n’a pas renoncé aux conditions antérieures et ne les a pas modifiées, car la lettre du 26 juillet ne renvoie pas directement à la lettre d’offre. La lettre du 26 juillet 2007 pourrait induire en erreur puisqu’elle ne renvoie pas à une communication antérieure, mais contient une information neuve.

109 Mme Fode a soutenu que l’employeur était préclus de la licencier et que les critères du principe de préclusion étaient remplis. Les éléments de préclusion sont résumés au paragraphe 27 de Northwest Territories (Commissioner)v. Northwest Territories Public Service Association, qui était fondée sur Lake Ontario Cement, Lime and Gypsum Workers’ International Union, Local 387 (1984), 13 L.A.C. (3e) (Picher), page 7 :

[Traduction]

1) Une promesse ou une assurance expresse ou implicite;

2) visant à modifier les rapports juridiques entre les parties

3) à laquelle l’une des parties s’est fiée ou a donné suite et qui lui aurait causé préjudice si l’engagement était révoqué.

110 Dans l’analyse de cet argument, il convient d’examiner la situation de Mme Fode avant et après la lettre de juillet 2007.

111 Immédiatement avant l’envoi de cette lettre, Mme Fode devait suivre et réussir la FORPE, conformément à la lettre d’offre. Pour les raisons exposées ci-dessus, un retard dans la formation n’élimine pas par le fait même cette obligation.

112 Je ne crois pas qu’on puisse soutenir que Mme Fode a subi un préjudice en raison de ces délais. Elle a acquis une vaste expérience, qui aurait dû lui permettre de réussir la formation à Rigaud. Elle n’a pas ressenti de faux sentiment de sécurité à la lecture de la lettre du 26 juillet 2007 et n’a pas réduit ses efforts dans le programme, sachant qu’elle avait un emploi. Elle a suivi la formation et s’est efforcée pour obtenir de bons résultats.

113 Je n’accepte pas sa preuve qu’elle n’aurait pas assisté à la formation à Rigaud n’eut été la déclaration dans la lettre de juillet. Selon la prépondérance des probabilités, je crois savoir qu’elle aurait suivi la formation, quel que soit le nouveau libellé, parce qu’elle voulait conserver son poste d’ASF et, si elle avait refusé de suivre la formation, elle aurait été licenciée. Je crois que Mme Fode a extrêmement confiance en elle-même, elle participe à des épreuves sportives de haut calibre, elle a reçu une rétroaction favorable dans son poste, elle aimait son emploi et reconnaissait que son employeur avait accepté à trois reprises de reporter sa formation obligatoire. Elle voulait y assister pour garantir son poste, particulièrement parce qu’elle devait prodiguer des soins à sa mère blessée et subvenir aux besoins de ses enfants. N’importe qui se serait attendu à ce qu’elle reçoive une évaluation favorable, compte tenu de son expérience de travail. Il est peu probable qu’elle se soit fiée à la déclaration dans la lettre de juillet.

114 Je reconnais le caractère provisoire de sa preuve, compte tenu des circonstances entourant l’affaire, et je considère sa réponse, à savoir qu’elle n’aurait peut-être pas assisté à la formation à Rigaud, comme une affirmation après le fait. Son témoignage ne concorde pas avec la prépondérance des probabilités, comme dans Faryna c. Chorny, [1952] 2 D.L.R. 354 (C.A.C.-B.), à la page 356, comme suit :

[…]

La crédibilité de témoins intéressés, particulièrement dans des affaires où il y a conflit de preuves, ne peut être jugée uniquement d’après la question de savoir si le comportement personnel du témoin particulier peut garantir la véracité de son témoignage. Il faut examiner objectivement son témoignage pour déterminer s’il concorde avec les probabilités qui sous-tendent les conditions courantes réelles. En bref, ce qui permet de vérifier réellement si le témoin dit la vérité en pareil cas, c’est la compatibilité que reconnaîtrait d’emblée une personne pratique et informée qui se trouverait dans ce lieu et dans ces conditions. Ce n’est qu’ainsi qu’un tribunal peut évaluer de manière satisfaisante les dépositions de témoins expérimentés, confiants et vifs d’esprit, de même que celles qui se complaisent dans le demi-mensonge et qui ont le don de combiner des exagérations habiles avec des dissimulations partielles de la vérité. Ou encore, un témoin peut présenter honnêtement une déposition sans savoir qu’il se trompe. Un juge qui dirait : « Je le crois parce que j’estime qu’il dit la vérité " tirerait des conclusions à partir de données insuffisantes. En réalité, il agirait à partir d’une impression personnelle, ce qui serait des plus dangereux.

Le juge de première instance doit aller plus loin et affirmer que les preuves présentées par le témoin qu’il juge digne de foi sont conformes à la prépondérance des probabilités et, s’il veut que l’on ait confiance en lui, il doit indiquer pourquoi il en est arrivé à cette conclusion. Un juge n’a pas le pouvoir de lire dans les pensées des gens. De plus, la Cour d’appel doit être convaincue que le juge de première instance a fondé ses constatations concernant la crédibilité non pas sur un seul élément à l’exclusion des autres, mais sur tous les éléments qui servent de critères dans l’affaire à trancher […]

[…]

115  Même si son représentant a soutenu que sa situation avait changé, notamment qu’elle avait été renvoyée et qu’elle occupait un poste moins rémunéré, sa situation ne découle pas du fait qu’elle se soit fiée à la lettre du 26 juillet. C’est plutôt une conséquence de son échec aux exercices de simulation auxquels elle devait se prêter. Elle devait remplir cette condition pour être nommée à un poste d’une durée indéterminée.

116  Je crois que la lettre de juillet signifiait à la fonctionnaire de suivre le programme de formation et constitue une preuve qu’elle était au courant de cette condition. Bref, on ne peut soutenir que la lettre ait incité Mme Fode à suivre le cours, à le faire aux dates fixées ou à prendre moins au sérieux la FORPE. De toute évidence, l’intention de l’employeur n’était pas de supprimer l’obligation de suivre la FORPE de ses conditions d’emploi.

117  Mme Fode a déclaré dans son témoignage qu’elle était surprise d’apprendre qu’elle ne pouvait poursuivre la formation à Rigaud après son évaluation. Je ne crois pas que ce témoignage soit véridique ou fiable. Même si, jusqu’à l’évaluation, elle s’attendait à recueillir de bons résultats, on ne peut raisonnablement croire qu’elle ne connaissait pas les conséquences, qui étaient clairement énoncées aux pages 3 et 4 de la [traduction] « Brochure sur les objectifs de l’examen Programme de formation des recrues pour les points d’entrée », à savoir que l’employé doit invariablement réussir chaque test de compétence, c’est-à-dire au moins deux des trois tests de compétence, à l’exception des techniques d’inspection, pour lesquelles il doit obtenir la note de passage dans l’une des deux simulations. Les conséquences sont exposées à la page 4 en ces termes : [traduction] « IMPORTANT : Vous ne pourrez poursuivre le programme si vous ne remplissez pas les conditions des exercices de simulation. »

118   Je ne comprends pas pourquoi (ce que la preuve n’explique pas d’ailleurs) l’employeur n’a pas permis à Mme Fode de subir une nouvelle évaluation après son échec à la FORPE puisqu’elle avait travaillé à l’Agence pendant près de trois ans, qu’elle était une bonne employée et qu’il n’avait exprimé aucune inquiétude au sujet de son emploi.

119  Même si j’ai de la difficulté à m’expliquer les raisons de l’employeur, avant que j’intervienne dans sa décision, je dois invoquer un motif juridique applicable. Généralement, la direction a le droit de fixer les conditions d’embauche des employés, sous réserve des restrictions énoncées dans la convention collective. L’employeur considérait la FORPE comme suffisamment importante pour faire de sa réussite une condition de l’emploi de la fonctionnaire.

120  Même si la formation de la fonctionnaire a été différée à plusieurs reprises, ce retard n’a aucune incidence sur les obligations exposées dans la lettre d’embauche. Je ne crois pas que l’employeur ait voulu modifier les conditions d’emploi de Mme Fode ou l’obligation que les ASF, qui n’étaient pas des agents d’immigration de longue date, réussissent à la FORPE. Même si les conditions dans la lettre du 26 juillet différaient des conditions d’emploi initiales, je ne crois pas que Mme Fode se soit fiée à son détriment à celle-ci, puisqu’elle devait suivre la formation. Son échec à la FORPE a entraîné son licenciement, mais je ne crois pas que la lettre du 26 juillet ait influé sur la date de sa participation, l’effort qu’elle y a déployé ou ses communications avec les gestionnaires au sujet de sa situation, soit avant ou après l’examen.

121 Je ne peux intervenir dans une décision conforme à la convention collective ou à la législation pertinente. Les circonstances personnelles de Mme Fode suscitent la compassion, mais celles-ci n’étaient pas suffisamment contraignantes pour la dissuader de se rendre à Rigaud, d’informer les instructeurs de ses difficultés avant l’examen ou d’en faire part aux évaluateurs avant ou après son évaluation.

122 À mon avis, la lettre de juillet ne peut justifier l’argument de la préclusion. L’employeur n’avait pas l’intention de modifier les conditions établies ni que Mme Fode s’appuie sur les déclarations dans la lettre. On ne peut parler de confiance ou de modification de la situation de Mme Fode ou de mesures prises à son détriment, car elle devait suivre la formation; sa participation était obligatoire. Si elle n’y avait pas assisté, elle aurait été licenciée.

123 Selon Mme Fode, je devrais m’appuyer sur Zhang et ordonner sa réintégration, de façon que son employeur recherche d’autres occasions pour elle. Je ne crois pas que Zhang soit applicable en l’espèce. Dans cette affaire, l’attestation de sécurité de l’employée, qui était auparavant affectée à un autre ministère, a été révoquée après qu’elle a accepté un poste au Conseil privé, où elle a fait l’objet d’une enquête de sécurité de niveau supérieur. Aux termes de la politique applicable du Conseil du Trésor, Norme sur la sécurité du personnel, l’employeur était tenu de chercher des postes de remplacement, à moins de circonstances exceptionnelles où l’attestation de sécurité d’un employé avait été révoquée. L’employeur devait se conformer à cette politique lorsqu’il licenciait un employé dont l’attestation de sécurité avait été révoquée. Je ne crois pas que l’intention de l’employeur était d’offrir à tous les ASF qui échouaient à la FORPE la possibilité de reprendre l’examen ou encore une mutation avant leur licenciement. Je ne crois pas qu’il existe de motif convaincant pour justifier un traitement pour Mme Fode et un autre pour les autres employés qui ont assisté et échoué à la FORPE, puis licenciés.

124 Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

V. Ordonnance

125 Le grief est rejeté.

Le 7 octobre 2010.

Traduction de la CRTFP

Paul Love,
arbitre de grief

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