Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La défenderesse représentait la plaignante lors de la présentation d’un grief individuel de discrimination - la défenderesse a refusé de renvoyer à l’arbitrage le grief de la plaignante - la défenderesse a par la suite refusé de demander au président de la Commission des relations de travail dans la fonction publique une prorogation du délai pour renvoyer à l’arbitrage le grief de la plaignante - la plaignante allègue que ce refus contrevient à l’obligation qu’avait la défenderesse de la représenter équitablement - la Commission a conclu que la défenderesse avait des motifs logiques de refuser la demande de la plaignante et que cette décision n’avait pas été prise à la légère - l’article 187 de la Loi n’impose pas à un agent négociateur une obligation de représentation dans tous les cas; il interdit plutôt à un agent négociateur d’agir de manière arbitraire ou discriminatoire ou de mauvaise foi, ce qui n’était pas le cas dans les circonstances. Plainte rejetée.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2010-11-05
  • Dossier:  561-02-181
  • Référence:  2010 CRTFP 118

Devant la Commission des relations
de travail dans la fonction publique


ENTRE

CHANTAL RENAUD

plaignante

et

ASSOCIATION CANADIENNE DES EMPLOYÉS PROFESSIONNELS

défenderesse

Répertorié
Renaud c. Association canadienne des employés professionnels

Affaire concernant une plainte visée à l'article 190 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Renaud Paquet, commissaire

Pour la plaignante:
Elle-même

Pour la défenderesse:
Lise Leduc, avocate

Affaire entendue à Ottawa (Ontario),
les 12 et 13 octobre 2010.

Plainte devant la Commission

1 Le 24 septembre 2007, Chantal Renaud (la « plaignante ») a déposé une plainte de pratique déloyale contre son agent négociateur, l’Association canadienne des employés professionnels (l’ « ACEP » ou la « défenderesse »), en vertu de l’alinéa 190(1)g) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (la « Loi »). La plaignante allègue que la défenderesse a manqué à son devoir de représentation équitable, au sens de l’article 187 de la Loi. Dans sa plainte, la plaignante a exposé comme suit les reproches qu’elle formule à l’endroit de la défenderesse :

[…]

Plainte pour représentation inéquitable [...]

Le 13 août 2007, le défendeur ACEP a refusé de demander une prorogation des délais pour renvoyer mon grief à l’arbitrage.

Par ce refus du 13 août 2007, l’ACEP a aussi refusé de corriger une faute qu’elle avait commise, en juin 2006, en omettant de renvoyer mon grief à l’arbitrage à l’intérieur des délais.

Le 13 août 2007, en refusant de demander une prorogation des délais et en refusant de corriger sa propre faute, l’ACEP a agi de manière arbitraire ou discriminatoire ou de mauvaise foi en matière de ma représentation, contrairement à l’article 187 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.C. 2003 c. 22.

[…]

2 La défenderesse a soulevé une objection quant à la recevabilité de la plainte, alléguant que celle-ci avait été déposée à l’extérieur du délai de 90 jours prévu au paragraphe 190(2) de la Loi. Dans la décision Renaud c. Association canadienne des employés professionnels, 2009 CRTFP 177, la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la « Commission ») a accueilli partiellement l’objection de la défenderesse. Les paragraphes suivants de la décision en résument les conclusions :

[…]

[78] Ceci dit, la plainte ne peut avoir pour objet les événements de 2006 et les circonstances ayant entouré la décision de ne pas renvoyer les griefs à l’arbitrage en juillet 2006 parce que la plainte à leur égard a été déposée à l’extérieur du délai de 90 jours prévu au paragraphe 190(2) de la Loi. Les événements de 2006 pourront, par contre, être invoqués pour donner le contexte dans lequel sont survenus les événements de 2007 visés par la plainte. 

[79] Quant aux événements de 2007, la plaignante dans sa plainte a reproché à la défenderesse de ne pas avoir accepté de re-saisir la Commission pour demander une prorogation des délais pour renvoyer ses griefs à l’arbitrage. La plainte ne traite pas du refus de la défenderesse de représenter la plaignante dans le cadre de sa demande de révision judiciaire à l’encontre de la décision de la CCDP.

[80] La Commission se penchera donc sur la question à savoir si, en refusant de demander une prorogation pour renvoyer les griefs de la plaignante à l’arbitrage, en août 2007, la défenderesse a enfreint son obligation de juste représentation à l’égard de la plaignante.

[…]

3 Compte tenu des conclusions de la Commission dans 2009 CRTFP 177, la question devant moi est donc de déterminer si la défenderesse, en août 2007, a manqué à son devoir de représentation équitable en refusant de demander une prorogation du délai pour renvoyer les griefs de la plaignante à l’arbitrage. Dans les faits, la plaignante et la défenderesse ont confirmé lors de l’audience que le litige qui les oppose porte sur une demande de prorogation du délai pour renvoyer un seul grief, et non pas des griefs, à l’arbitrage.

4 Les parties n’étaient disponibles pour l’audience dans la présente affaire qu’à compter du 12 octobre 2010.

Résumé de la preuve

5 La plaignante a témoigné lors de l’audience. Elle a présenté 20 documents en preuve. La défenderesse a appelé Jean Ouellette comme témoin. M. Ouellette est directeur des relations de travail de l’ACEP. La défenderesse a présenté quatre documents en preuve.

6 En décembre 2004, la plaignante a déposé un grief dans lequel elle alléguait avoir fait l’objet de discrimination de la part de son employeur. Le 16 juin 2006, l’employeur a rejeté le grief au palier final de la procédure de règlement des griefs. En décembre 2004, la plaignante avait également déposé une plainte à la Commission canadienne des droits de la personne (CCDP) dans laquelle elle alléguait aussi être l’objet de discrimination de la part de son employeur.

7 À la suite du rejet du grief par l’employeur au palier final de la procédure de règlement des griefs, Lionel Saurette, un représentant syndical travaillant pour la défenderesse, a suggéré à la plaignante que son grief soit renvoyé à l’arbitrage même s’il croyait que le grief serait rejeté par un arbitre. Selon M. Saurette, le renvoi permettrait d’obtenir une médiation au cours de laquelle il serait peut-être possible de négocier un règlement satisfaisant pour la plaignante. Compte tenu de la date de réponse de l’employeur au palier final de la procédure de règlement des griefs, le renvoi à l’arbitrage devait être fait avant le 25 juillet 2006. Pour que le renvoi soit valide, il fallait que la plaignante l’autorise mais elle ne l’a pas fait.

8 La plaignante admet que la défenderesse a communiqué avec elle pour lui conseiller de renvoyer son grief à l’arbitrage. Elle a alors répondu qu’elle préférait poursuivre sa plainte de discrimination devant la CCDP plutôt que de renvoyer son grief à l’arbitrage. La défenderesse n’a donc pas renvoyé le grief à l’arbitrage. En octobre 2006, le gestionnaire des enquêtes de la CCDP a écrit à la plaignante pour l’informer que le rapport d’enquête qui serait soumis à la CCDP ferait état d’une recommandation que la CCDP ne statue pas sur la plainte de discrimination car les allégations de la plaignante avaient déjà fait l’objet d’une enquête lors de la procédure de règlement des griefs. En février 2007, la CCDP a écrit à la plaignante pour lui faire part de sa décision de ne pas statuer sur sa plainte de discrimination.

9 Puisque le délai pour renvoyer le grief à l’arbitrage était alors expiré depuis plusieurs mois, la plaignante s’est retrouvée en quelque sorte sans recours en ce qui concerne les problèmes de discrimination qu’elle avait vécus. La plaignante s’est alors adressée à la défenderesse pour que cette dernière soumette au président de la Commission une demande de prorogation du délai pour renvoyer son grief à l’arbitrage. La défenderesse a refusé. Le refus de la défenderesse a eu comme conséquence que la plaignante n’a pas pu obtenir qu’un arbitre entende son grief.   

10 La plaignante a déposé divers documents démontrant qu’elle a été victime de discrimination de la part de son employeur. Elle en déduit qu’elle aurait pu gagner son grief à l’arbitrage, d’autant plus qu’elle pouvait compter sur quelques collègues de travail qui auraient pu témoigner en sa faveur. La plaignante admet qu’en 2007, le délai pour renvoyer le grief à l’arbitrage était expiré, mais ce n’était pas à cause d’un manque de diligence de sa part. C’était plutôt parce qu’elle avait été mal avisée par la défenderesse.

11 En contre-interrogatoire, la plaignante a admis que le grief de discrimination qu’elle avait déposé en décembre 2004 faisait référence à des événements qui s’étaient produits bien avant les 25 jours prévus pour déposer un grief et qu’en ce sens, le grief était hors délai. Elle a aussi admis que la défenderesse l’en avait avisée dès le dépôt du grief. M. Ouellette a aussi confirmé ce fait lors de son témoignage. Il a aussi déclaré qu’un arbitre de griefs n’avait pas compétence pour accorder une bonne partie des mesures de redressement demandées dans le grief car elles visent la dotation ou la classification.

12 M. Ouellette a analysé la demande formulée par la plaignante voulant que la défenderesse présente en son nom au président de la Commission une demande de prorogation du délai pour renvoyer son grief à l’arbitrage. M. Ouellette a témoigné qu’il a fait cette analyse en fonction des critères établis par la jurisprudence. Il a conclu de cette analyse qu’il était très peu probable que le président de la Commission accepte la demande de prorogation de délai si elle était présentée. Qui plus est, il était d’avis que, même si la demande de prorogation avait été acceptée par le président de la Commission, les probabilités de succès du grief à l’arbitrage étaient presque nulles. Il a alors décidé de refuser la demande de la plaignante. Sa décision a par la suite été révisée par ses supérieurs qui ont maintenu le refus et qui en ont informé la plaignante.

13 La plaignante a déposé en preuve un courriel envoyé par M. Ouellette à l’Association canadienne des administrateurs financiers (ACAF) le 31 octobre 2005. Dans ce courriel, M. Ouellette a avisé l’ACAF que la plaignante était devenue membre d’une unité de négociation représentée par l’ACAF puisqu’elle occupait depuis peu un poste relevant de l’ACAF et que cette dernière devait assurer sa représentation. M. Ouellette a témoigné qu’à la suite des discussions avec l’ACAF et de l’obtention d’un avis juridique, il s’était par la suite ravisé et avait décidé que l’ACEP continuerait de représenter la plaignante parce qu’elle était membre d’une unité de négociation représentée par l’ACEP au moment du dépôt de son grief.

14 Lors de son témoignage, la plaignante a expliqué avoir été traitée de façon discriminatoire par son employeur. Elle a aussi expliqué que la défenderesse l’a mal représentée lors des auditions de son grief, ne lui a pas fourni des conseils professionnels de qualité, n’a pas pris le temps de bien l’informer de ses droits et lui a parfois fourni des renseignements erronés. La conséquence en a été que la plaignante n’a jamais pu pleinement faire valoir ses droits et obtenir justice eu égard à la discrimination dont elle a été victime.

Résumé de l’argumentation

15 La plaignante allègue qu’il est illogique que la défenderesse ait cru que son grief était défendable lors de son dépôt en 2004, mais qu’il ne l’était plus en 2007 lorsque la temps est venu de demander une prorogation de délai au président de la Commission. De plus, quand la défenderesse a décidé de refuser la demande de la plaignante, elle ne l’a ni rencontrée ni fourni de la jurisprudence ou de motifs détaillés pour justifier son refus. Contrairement à ce qu’affirme M. Ouellette, la plaignante ne croît pas que la défenderesse a fait une analyse détaillée de son dossier. Selon elle, la décision de la défenderesse de refuser de demander une prorogation de délai au président de la Commission était arbitraire et faite de mauvaise foi. La défenderesse a alors manqué au devoir de représentation équitable que lui impose la Loi.

16 La plaignante allègue qu’elle a démontré que son grief aurait pu être accueilli par un arbitre de griefs, qu’elle avait fait preuve de diligence et que le retard relatif au renvoi à l’arbitrage était justifié.

17 La plaignante déplore le fait qu’à la suite du refus de la défenderesse de demander une prorogation de délai au président de la Commission, son employeur et sa gestionnaire, qui ont agi de façon discriminatoire à son endroit, s’en tirent sans jamais avoir eu à répondre de leurs actes.

18  La défenderesse prétend qu’elle s’est acquittée de son devoir de représentation équitable. La décision de ne pas demander de prorogation de délai au président de la Commission a été prise à la suite d’une analyse sérieuse du dossier. La défenderesse n’avait pas d’espoir que le président de la Commission accorderait de prolongation de délai.

19 La défenderesse m’a renvoyé aux décisions suivantes : Chan c. Conseil du Trésor (Bureau du Directeur général des élections), 2008 CRTFP 86; Detorakis c. Institut professionnel de la fonction publique du Canada, 2009 CRTFP 139; Featherston c. Administrateur général (École de la fonction publique du Canada) et Administrateur général (Commission de la fonction publique), 2010 CRTFP 72; Grouchy c. Administrateur général (ministère des Pêches et des Océans), 2009 CRTFP 92; Guilde de la marine marchande du Canada c. Gagnon, [1984] 1 R.C.S. 509; Hébert c. Alliance de la Fonction publique du Canada et al., 2005 CRTFP 62; Martel et al. c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2009 CRTFP 16; Schenkman c. Conseil du Trésor (Travaux publics et Services gouvernementaux Canada), 2004 CRTFP 1; Vaid c. Chambre des communes, 2007 CRTFP 32; Vidlak c. Conseil du Trésor (Agence canadienne de développement international), 2006 CRTFP 96; Vidlak c. Canada (Procureur général), 2007 CF 1182.

Motifs

20 Je dois déterminer en l’espèce si la défenderesse, en août 2007, a manqué à son devoir de représentation équitable en refusant de demander une prorogation du délai pour renvoyer le grief de la plaignante à l’arbitrage. Le devoir de représentation équitable d’un agent négociateur, en l’occurrence la défenderesse, est énoncé à l’article 187 de la Loi qui se lit comme suit :

187. Il est interdit à l’organisation syndicale, ainsi qu’à ses dirigeants et représentants, d’agir de manière arbitraire ou discriminatoire ou de mauvaise foi en matière de représentation de tout fonctionnaire qui fait partie de l’unité dont elle est l’agent négociateur.

21 Les faits relatifs à la question que je dois trancher sont relativement simples. En 2004, la plaignante a déposé un grief contre son employeur alléguant avoir été l’objet de discrimination. Elle était alors membre d’une unité de négociation représentée par l’ACEP. Le grief a été déposé même si l’ACEP savait que le grief était hors délai et que certains des redressements demandés ne pouvaient être accordés advenant un renvoi du grief à l’arbitrage. La stratégie de la défenderesse était d’aller de l’avant avec le grief dans l’espoir d’obtenir des gains en médiation. Le grief a été rejeté par l’employeur à tous les paliers de la procédure de règlement des griefs. En 2006, lorsque le temps est venu de renvoyer le grief à l’arbitrage, la plaignante a informé la défenderesse qu’elle préférait poursuivre la plainte de discrimination qu’elle avait déposée en 2004 devant la CCDP plutôt que de renvoyer son grief à l’arbitrage. La défenderesse n’a donc pas renvoyé le grief à l’arbitrage. Plus tard, la CCDP a informé la plaignante de sa décision de ne pas aller de l’avant avec sa plainte de discrimination. La plaignante s’est alors de nouveau adressée à la défenderesse, cette fois dans le but de demander une prorogation du délai pour renvoyer son grief à l’arbitrage. La défenderesse a refusé.

22 M. Ouellette a témoigné qu’il avait fait une analyse détaillée du dossier de la plaignante afin d’évaluer les probabilités de succès d’une demande de prorogation du délai pour renvoyer le grief de la plaignante à l’arbitrage. À la lumière de la jurisprudence et des critères qui en émanent, il a conclu que ces probabilités étaient très faibles. M. Ouellette a aussi témoigné que même si le président de la Commission avait accordé la prorogation du délai, les chances de succès du grief devant un arbitre de griefs étaient elles aussi très minces. Son témoignage m’amène à conclure que la défenderesse n’a pas agi de façon arbitraire, discriminatoire ou de mauvaise foi quand elle a pris la décision de refuser la requête de la plaignante. La défenderesse avait des raisons logiques de le faire et la décision n’a pas été prise à la légère.

23 L’article 187 de la Loi n’impose pas à un syndicat une obligation de représentation dans tous les cas; il interdit plutôt au syndicat d’agir de manière arbitraire ou discriminatoire ou de mauvaise foi. Le syndicat doit exercer son pouvoir discrétionnaire en respectant ces balises. Dans Gagnon, la Cour suprême du Canada précise à la page 510 ce qui suit :

[…]

[…] Cette discrétion toutefois doit être exercée de bonne foi, de façon objective et honnête, après une étude sérieuse du dossier, tout en tenant compte de l’importance du grief et des conséquences pour le salarié, d’une part, et des intérêts légitimes du syndicat d’autre part. En somme, la décision du syndicat ne doit pas être arbitraire, capricieuse, discriminatoire, ni abusive.

[…]

24 Rien dans ce qui m’a été soumis ne me laisse croire que la défenderesse a agi de mauvaise foi, de façon discriminatoire ou de façon arbitraire en décidant de ne pas donner suite à la requête de la plaignante de demander une prorogation du délai pour renvoyer son grief à l’arbitrage. Certes, la défenderesse aurait pu être plus transparente dans ses communications avec la plaignante en lui expliquant les détails à la base de son refus et en lui fournissant la jurisprudence à l’appui de sa décision. L’article 187 de la Loi et la jurisprudence qui permet d’en saisir la portée n’obligent cependant pas la défenderesse à faire preuve d’une telle transparence.

25 Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

Ordonnance

26 La plainte est rejetée.

Le 5 novembre 2010.

Renaud Paquet,
commissaire

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