Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Conformément à la pratique établie, les fonctionnaires s’estimant lésés avaient demandé des primes de poste et de fin de semaine pour des heures de travail additionnelles, effectuées à bord de navires de recherche - les fonctionnaires s’estimant lésés étaient des travailleurs scientifiques chargés occasionnellement de recherches en mer - les voyages duraient d’une à plusieurs semaines - durant les expéditions, ils travaillaient essentiellement selon un horaire de jour, mais on leur demandait parfois de faire des heures supplémentaires le soir et la fin de semaine - l’employeur a défendu la position qu’ils n’avaient pas droit à des primes de poste et de fin de semaine - l’un des fonctionnaires s’estimant lésés travaillait selon un horaire de poste, c.-à-d. qu’il accomplissait régulièrement du travail en-dehors de l’horaire de 6h à 18h - l’employeur a admis que ce fonctionnaire s’estimant lésé avait droit aux primes de poste et de fin de semaine, mais pas à des intérêts sur le montant dû - l’arbitre de grief a conclu que les travailleurs scientifiques travaillant selon un horaire de jour, même sur un navire, n’étaient pas admissibles à des primes de poste et de fin de semaine, malgré la preuve du paiement de ces primes conformément à une pratique locale établie - les éléments de la préclusion n’avaient pas été établis, puisque rien n’indiquait que l’administration centrale de l’employeur avait donné son aval à la pratique locale - l’arbitre de grief a conclu que la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (la <<Loi>>) ne lui conférait pas la compétence nécessaire pour accorder des intérêts sur un montant dû qui n’était pas visé explicitement ou implicitement par l’alinéa226(1)i) de la Loi. Griefs rejetés.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2010-10-29
  • Dossier:  566-02-2081 à 2085
  • Référence:  2010 CRTFP 112

Devant un arbitre de grief


ENTRE

ROBERT CHAFE, MORRIS CLARK, MICHAEL NICKERSON, PAUL O’KEEFE ET
DANIEL PORTER

fonctionnaires s'estimant lésés

et

CONSEIL DU TRÉSOR
(ministère des Pêches et des Océans)

employeur

Répertorié
Chafe et al. c. Conseil du Trésor (ministère des Pêches et des Océans)

Affaire concernant des griefs individuels renvoyés à l'arbitrage

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
W. Augustus Richardson, arbitre de grief

Pour les fonctionnaires s'estimant lésés:
John T. Haunholter, Alliance de la Fonction publique du Canada

Pour l'employeur:
Anne-Marie Duquette, avocate

Affaire entendue à St. John’s (Terre-Neuve),
du 8 au 10 septembre 2010.
(Traduction de la CRTFP)

I. Griefs individuels renvoyés à l’arbitrage

1La présente décision concerne cinq griefs individuels mettant en cause l’interprétation ou l’application d’une convention collective. Ils ont été renvoyés à l’arbitrage en application du sous-alinéa 89(1)a)(i) du Règlement de la Commission des relations de travail dans la fonction publique, DORS/2005-79, et de l’alinéa 209(1)a) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22 (LRTFP). Les parties ont consenti à ce que leurs griefs soient entendus ensemble. Les griefs sont les suivants :

  1. Paul O’Keefe, dossier de la CRTFP 566-02-2084, dont le grief a été déposé le 13 août 2007;

  2. Michael Nickerson, dossier de la CRTFP 566-02-2083, dont le grief a été déposé le 14 août 2007;

  3. Daniel Porter, dossier de la CRTFP 566-02-2085, dont le grief a été déposé le 10 septembre 2007;

  4. Robert Chafe, dossier de la CRTFP 566-02-2081, dont le grief a été déposé le 10 septembre 2007;

  5. Morris Clarke, dossier de la CRTFP 566-02-2082, dont le grief a été déposé le 16 octobre 2007.

2Les parties ont convenu que tous les griefs ont été soulevés dans le contexte d’une convention collective et étaient régis par cette convention collective, ayant été conclue entre le Conseil du Trésor (représenté par le ministère des Pêches et des Océans, l’« employeur » ou  le « MPO ») et l’Alliance de la Fonction publique du Canada (l’« agent négociateur ») et s’appliquant au groupe Services techniques, entrée en vigueur le 14 mars 2005 (la « convention collective »). La convention collective a été produite à titre de pièce U-1 à l’audience. Les parties ont également convenu que j’avais la compétence pour instruire les griefs et rendre une décision.

3Les cinq fonctionnaires s’estimant lésés (les « fonctionnaires ») ont réclamé les primes de poste et de fin de semaine prévues à l’article 27 (Primes de poste et de fin de semaine) de la convention collective. Ils ont aussi demandé à être indemnisés intégralement (voir les pièces U-2, U-11, U-19, U-28 et U-35).

4L’employeur avait refusé de leur verser les primes au motif que l’article 27 ne s’appliquait pas aux fonctionnaires, dans les circonstances. Ce qui a mené au dépôt des cinq griefs.

5Quelque temps avant le début de l’audience, le 8 septembre 2010, l’employeur a décidé que M. Nickerson avait bel et bien droit à des primes de poste et de fin de semaine en application de l’article 27. Selon ses calculs, la prime brute se chiffrait à 288 $. L’agent négociateur a convenu que cela était le montant du principal dû. Dans le cadre d’une motion préliminaire avant l’audience, l’employeur a demandé le retrait ou le rejet du grief de M. Nickerson, au motif qu’il avait concédé le grief. L’agent négociateur s’est opposé à la motion parce que le paiement de la prime brute n’indemnisait pas « intégralement » M. Nickerson. Comme celui-ci avait été privé du montant exigible pendant environ trois ans, l’agent négociateur estimait qu’il faudrait lui verser des intérêts pour l’indemniser « intégralement ». L’employeur s’est opposé en faisant valoir que des intérêts n’étaient pas payables dans les circonstances s’appliquant à M. Nickerson, ni d’ailleurs dans les circonstances d’aucun des griefs.

6L’agent négociateur voulait également s’appuyer sur la preuve de M. Nickerson pour les quatre autres griefs. L’employeur s’y est opposé au motif que, même s’il avait été convenu d’entendre les cinq griefs ensemble, ceci ne signifiait pas qu’ils avaient été consolidés. Il s’agissait toujours de cinq griefs distincts. L’employeur a soutenu que les circonstances de M. Nickerson étaient tellement différentes de celles des quatre autres fonctionnaires que la preuve ne pouvait pas s’appliquer à eux. Il a donc soumis que je ne devais pas entendre sa preuve.

7J’ai décidé de rejeter la motion préliminaire de l’employeur pour deux motifs.

8Premièrement, il demeurait un litige réel entourant la question de savoir si M. Nickerson avait droit ou non à des intérêts sur les primes de poste et de fin de semaine qui, comme l’employeur le concédait maintenant, auraient dû lui être versées en 2007. Comme l’employeur n’était pas disposé à admettre que des intérêts étaient payables et comme M. Nickerson avait demandé une indemnisation « intégrale », je devrais entendre au moins une partie de la preuve et de l’argumentation concernant ce qui restait du grief à la suite de la concession faite par l’employeur.

9Deuxièmement, sur la question de la pertinence, il m’était impossible à un stade préliminaire de déterminer si la preuve de M. Nickerson était ou pourrait être pertinente pour les quatre autres griefs. Le seul moyen de régler ce problème serait d’entendre la preuve (sous réserve des préoccupations de l’employeur relativement à la pertinence) et de décider ensuite, une fois que toute la preuve a été produite, si elle était pertinente ou non pour les autres griefs.

10J’ai entendu la preuve des cinq fonctionnaires. L’agent négociateur a ensuite clos sa preuve. J’ai ensuite entendu la preuve des personnes suivantes, témoignant pour le compte de l’employeur :

  1. Karen Harding, adjointe administrative pour le Conseil des sciences;

  2. Kim Rice, qui à la période visée était chef d’équipe régionale, Relations de travail, pour la région de l’Atlantique;

  3. Barry MacCallum, qui à la période visée était gestionnaire de division, Ressources aquatiques (MPO).

11Tous les témoignages ont été clairs. J’ai été impressionné par la franchise des témoins. Il était évident que les questions divisant les parties ne dépendaient pas de questions de fait, sur lesquels les témoins s’entendaient de manière générale. Le véritable litige portait sur des questions de droit, essentiellement les deux questions suivantes :

  1. les fonctionnaires (autres que M. Nickerson, dont les réclamations avaient été acceptées) avaient-ils droit, dans les circonstances, aux primes de poste et de fin de semaine prévues à l’article 27 de la convention collective et, dans la négative,

  2. l’employeur était-il préclus d’une quelconque manière de rejeter les demandes, en raison de l’usage par le passé qui était de payer ces primes?

12Compte tenu de ce qui précède, je ne crois pas qu’il soit nécessaire de reproduire ou de résumer la preuve de chacun des huit témoins, sauf là où elle est nécessaire pour régler des différends. À mon avis, il suffit de dire que j’ai fondé mes conclusions de fait sur les témoignages, ainsi que sur les documents produits comme pièces.

II. Résumé de la preuve

13En 2007, MM. O’Keefe, Porter, Chafe et Clarke étaient des techniciens en sciences aquatiques. M. Nickerson était un hydrographe multidisciplinaire. Ils occupaient des postes classés aux niveaux EG-3 ou EG-5 par la Direction des sciences du MPO, basés au bureau de White Hill et au laboratoire de St. John’s (Terre-Neuve). Leurs horaires de travail normaux étaient :

  1. pour M. Nickerson, de 8 h 30 à 16 h 30 (avec une demi-heure de dîner), du lundi au vendredi,

  2. pour les quatre autres fonctionnaires, de 8 h à 16 h (avec une demi-heure de dîner), du lundi au vendredi.

14Autrement dit, les cinq fonctionnaires travaillaient normalement sept heures et demie par jour (en excluant la demi-heure de dîner). Leur travail normal commençait le matin et se terminait en après-midi, et ce du lundi au vendredi.

15De manière générale, les fonctions normales des cinq fonctionnaires consistaient à recueillir et à analyser des données pertinentes sur le milieu marin, notamment sa flore et sa faune, son climat, ses caractéristiques physiques, ainsi que sur les activités de pêche côtière et de pêche en haute mer. Les données étaient recueillies au cours de visites sur le terrain, parfois le long des plages ou des côtes, mais le plus souvent lors de voyages sur des navires de recherche. Ces voyages en mer pouvaient durer d’une à trois semaines. Certains voyages étaient faits à bord de navires côtiers qui sortaient en mer pendant des journées de 12 heures, en s’amarrant ou en jetant l’ancre chaque soir à des endroits autres que le port d’attache. D’autres voyages se faisaient à bord de navires de haute mer, qui peuvent loger les deux équipages nécessaires pour les voyages 24 heures sur 24, sept jours sur sept. À leur retour au bureau, les fonctionnaires colligeaient et analysaient les données recueillies pendant les voyages en mer.

16Tous les fonctionnaires ont convenu que ces voyages faisaient partie intégrante de leurs fonctions. Ils étaient tenus de faire ces voyages. Ils ne pouvaient pas refuser d’y aller sans une bonne raison, comme une maladie grave.

17Normalement, l’employeur donnait aux employés au moins sept jours de préavis avant le voyage. Les préavis étaient donnés par l’entremise d’un document appelé « programme de voyage ». Ce programme de voyage indiquait le nom du navire, les dates du voyage et les noms des scientifiques y étant affectés. Il expliquait l’objet du voyage (par exemple, relever l’incidence de maladie du crabe amer), les méthodes devant servir à la collecte des données et, ce qui est plus pertinent en ce qui a trait aux présents griefs, l’horaire de travail.

18Les griefs de MM. Chafe, Clark, O’Keefe et Porter concernaient les voyages de recherche auxquels ils ont participé à bord du Shamook au printemps, à l’été et au début de l’automne de 2007, comme suit :

  1. O’Keefe : du 28 mai au 14 juin 2007;

  2. Porter : du 15 au 26 juin 2007 et du 27 juin au 6 juillet 2007;

  3. Clark : du 17 au 25 septembre 2007;

  4. Chafe : du 27 juin au 6 juillet 2007 (pièce E-40, onglet 2 et pièce U-33).

19Les horaires de travail de ces quatre fonctionnaires décrivaient les heures de travail « normales » inscrites à l’horaire que le personnel scientifique (c.-à-d. les fonctionnaires) devait effectuer, ainsi que les jours de travail « normaux ». Dans tous les cas, les jours de travail « normaux » étaient du lundi au vendredi. Les horaires de travail prévoyaient également que, lorsque des heures supplémentaires étaient nécessaires, elles devaient être effectuées à des heures particulières. Par exemple, dans le cas du voyage de M. O’Keefe, du 28 mai au 14 juin 2007, l’horaire de travail était le suivant (pièce E-40, onglet 2) :

[Traduction]

Horaire de travail : pendant les jours de la semaine (lundi à vendredi), les heures de travail prévues à l’horaire seront de 6 h à 14 h (une demi-heure pour le dîner). Si des heures supplémentaires sont nécessaires, elles devront être effectuées de 14 h à 18 h. Si des heures supplémentaires sont nécessaires la fin de semaine, elles devront être effectuées de 6 h à 18 h (une demi-heure pour les repas).

20 Dans le cas de M. Porter, l’horaire de travail (pièce E-40, onglet 2) était le suivant :

[Traduction]

Horaire de travail : les heures de travail prévues à l’horaire seront de 7 h à 15 h (une demi-heure pour le dîner). Si des heures supplémentaires sont nécessaires pendant la semaine de travail normale, elles devront être effectuées de 15 h à 19 h. Si des heures supplémentaires sont nécessaires la fin de semaine, elles devront être effectuées de 7 h à 19 h (une demi-heure pour les repas).

21L’horaire de travail de M. Clarke (pièce E-40, onglet 2) était le suivant :

[Traduction]

Horaire de travail : pendant les jours de la semaine (lundi à vendredi), les heures de travail prévues à l’horaire seront de 7 h à 15 h (une demi-heure pour le dîner). Si des heures supplémentaires sont nécessaires, elles devront être effectuées de 15 h à 19 h. Si des heures supplémentaires sont nécessaires la fin de semaine, elles devront être effectuées de 7 h à 19 h (une demi-heure pour le dîner). Le jour du départ et le jour d’arrivée, le personnel scientifique travaillera ses heures normales prévues à l’horaire et, si des heures supplémentaires sont nécessaires, il pourra effectuer jusqu’à concurrence de quatre heures supplémentaires.

22M. Chafe avait remplacé un autre employé (M. Paddle). L’horaire de travail pour son programme de voyage (pièce U-33) avait le même libellé que celui de M. Porter.

23L’horaire de travail de M. Nickerson était différent de celui des quatre autres fonctionnaires. Son programme de voyage comme tel n’a pas été produit en preuve, mais les parties ont convenu que son horaire de travail pendant qu’il était à bord d’un autre navire (le CCGS Matthew), du 23 mai au 13 juin 2007, était de 7 h à 13 h, puis de 14 h 30 à 22 h, du lundi au vendredi. Autrement dit, et contrairement aux autres, son horaire de travail était divisé par un écart d’une heure et demie, entre 13 h et 14 h 30 les jours de semaine, et sa journée de travail normale se terminait après 18 h.

24À leur retour d’un voyage, les membres du personnel scientifique ont rempli un  formulaire de « Rapport sur les indemnités pour temps supplémentaire/travail par équipe et autorisation » (un « rapport ITS »). Chacun des quatre fonctionnaires (autres que M. Nickerson) ont détaillé comme suit leurs rapports ITS respectifs :

  1. début et fin de leurs journées de travail;

  2. quel jour le travail a été effectué;

  3. les heures supplémentaires travaillées (un jour de travail normal ou la fin de semaine);

  4. la « prime de poste » réclamée pour chaque jour (en précisant encore une fois, s’il s’agit d’un jour de travail normal ou de la fin de semaine).

25Les « heures supplémentaires » sont définies comme suit dans la convention collective, « dans le cas d’un employé-e à temps plein, le travail autorisé qu’il ou elle exécute en plus des heures de travail prévues à son horaire », à l’article 2 (Interprétation et définitions). Le paiement des heures supplémentaires est régi par l’article 29 (Heures supplémentaires), et la rémunération était à tarif et demi et à tarif double, selon les circonstances. (Personne n’a contesté le fait que l’employeur avait versé aux fonctionnaires les heures supplémentaires réclamées et payables, à la suite de la soumission de leurs rapports ITS.)

26La « prime de poste » était une indemnité prévue par l’article 27 (Primes de poste et de fin de semaine) de la convention collective. L’article est reproduit intégralement ci-dessous :

Article 27

Primes de poste et de fin de semaine

Dispositions exclues

Le présent article ne s’applique pas aux employé-e-s qui travaillent de jour et qui sont couverts par les paragraphes 25.04 à 25.06 ou le paragraphe 25.04 de l’appendice « M ».

27.01 Prime de poste

L’employé-e qui travaille par postes, touche une prime de poste de deux dollars (2 $) l’heure pour toutes les heures de travail, y compris les heures supplémentaires, effectuées entre 16 h 00 et 8 h 00. La prime de poste n’est pas payée pour les heures de travail effectuées entre 8 h 00 et 16 h 00.

27.02 Prime de fin de semaine

a) L’employé-e qui travaille par postes, la fin de semaine, reçoit une prime supplémentaire de deux dollars (2 $) l’heure pour toutes les heures de travail, y compris les heures supplémentaires, effectuées le samedi et/ou le dimanche.

b) Dans le cas des employé-e-s travaillant à une mission à l’étranger où le samedi et le dimanche ne sont pas considérés comme une fin de semaine, l’Employeur peut leur substituer deux (2) autres jours consécutifs pour se conformer à l’usage local.

27 En somme, là où l’article 27 s’appliquait, un employé recevrait une prime supplémentaire de 2 $ l’heure.

[Traduction] 

a) pour chaque heure de travail, qu’elle ait déjà été rémunérée au taux horaire normal ou au taux des heures supplémentaires, effectuée entre 16 h et 8 h, du lundi au vendredi,

b) pour chaque heure de travail, quel que soit le taux auquel elle a déjà été rémunérée, effectuée pendant la fin de semaine, peu importe l’heure de la journée où elle a été effectuée.

28La preuve non contestée des fonctionnaires indiquait qu’ils avaient réclamé une prime de poste et de fin de semaine dans leurs rapports ITS au terme de chaque voyage pendant des années, depuis au moins l’année 2000, si ce n’est avant. Pendant plusieurs années, ces primes ont été versées. Mais, lorsqu’ils ont soumis leurs rapports ITS pour les voyages visés par les présents griefs, leurs demandes de prime ont été rejetées.

29Il ressortait clairement de la preuve non contestée des fonctionnaires que le rejet des demandes en question représentait un changement dans l’usage de l’employeur à cet égard. M. MacCallum a même admis que, si les rapports ITS avaient été soumis avant le printemps de 2007, les demandes de primes de poste et de fin de semaine des fonctionnaires auraient été accordées.

30Mmes Harding et Rice ont expliqué comment le changement dans l’usage s’est produit.

31Les fonctions de Mme Harding comprenaient l’examen des rapports ITS lors de leur réception, afin d’assurer que les demandes étaient payables en vertu des dispositions pertinentes de la convention collective. Après avoir examiné les rapports ITS et avoir radié ou ajouté des réclamations selon qu’elles étaient payables ou non en vertu de la convention collective, elle les envoyait au gestionnaire de division pour signature. Après quoi, les rapports ITS étaient transmis au bureau de la rémunération, qui effectuait le même examen (pour être plus sûr) avant de verser les indemnités aux employés.

32Mme Harding a déclaré que, jusqu’au début de 2007, elle et les gestionnaires locaux avaient toujours considéré les membres du personnel scientifique (ce qui comprend les fonctionnaires) menant des travaux de recherche à bord de navires comme des « travailleurs par postes » et avaient donc accordé leurs demandes de primes de poste et de fin de semaine en application de l’article 27. Autour de cette période, la question a été soumise à un arbitre de grief dans le cadre d’une procédure accélérée. L’arbitre de grief avait jugé que le fonctionnaire s’estimant lésé dans ce cas avait droit à une prime de poste en vertu de l’article 27. Cependant, l’administration centrale (c’est-à-dire le bureau central à Ottawa du MPO) estimait que la décision ne s’appliquait pas aux employés dans la situation des fonctionnaires, parce que leurs circonstances de travail étaient différentes de celles du fonctionnaire s’estimant lésé visé par l’arbitrage accéléré. La position de l’administration centrale était plus précisément que l’employé dont les heures normales se situent entre 6 h et 18 h, que celui-ci travaille au bureau ou à bord d’un navire, est considéré comme un « travailleur de jour » et non comme un « travailleur par postes », et qu’il n’a donc pas droit à une prime de poste ou de fin de semaine en vertu de l’article 27.

33En raison de cette position, Mme Harding a commencé à questionner les demandes de prime reçues. Comme elle ne savait pas très bien quelle était la bonne approche, surtout compte tenu de l’usage du bureau par le passé, elle a demandé conseil à Mme Rice. Elles ont discuté de différentes situations et ont fini par demander des clarifications au bureau central. Des échantillons de programmes de voyage (avec les horaires de travail) ont été soumis à Irene Arkorful à Ottawa. D’après ce que Mme Rice a compris, Mme Arkorful s’est adressée à des cadres supérieurs du Conseil du Trésor pour obtenir des clarifications. Le 30 mai 2007, Mme Arkorful a envoyé un courriel à Mme Rice indiquant que les employés dans la situation des fonctionnaires étaient des [traduction] « travailleurs de jour en vertu de leur convention collective, du fait que leurs heures normales de travail se situent entre 6 h et 18 h ». Elle y ajoutait que les fonctionnaires [traduction] « étaient visés par une autorisation préalable leur permettant d’effectuer du temps supplémentaire à des heures particulières pour lesquelles ils étaient dûment rémunérés ». Par conséquent, ils [traduction] « n’étaient pas des travailleurs par postes ayant droit à une prime de poste ou de fin de semaine ». Elle affirmait que les « primes » ne s’appliquaient pas aux travailleurs de jour (pièce E-41).

34Mme Rice a transmis le courriel de Mme Arkorful à Mme Harding, le 30 mai (pièce E-41). D’après la preuve non contestée de Mme Harding, celle-ci a ensuite informé M. Inkpen, le représentant de l’agent négociateur de la position de l’employeur, que lui avait communiquée Mme Rice, environ au même moment. (M. Inkpen était à l’audience mais n’a pas présenté de preuve.) Le 13 juin, Mme Harding a demandé d’autres précisions à Mme Rice au sujet des situations dans lesquelles les primes de poste et de fin de semaine pourraient être payées (pièce E-41). La réponse a été que la position de l’employeur demeurait inchangée. Si les heures normales de travail de l’employé se situaient entre 6 h et 18 h, il n’était pas un travailleur par postes et n’avait donc pas droit à des primes de poste et de fin de semaine aux termes de l’article 27. Comme Mme Arkorful l’a déclaré dans un courriel envoyé à Mmes Rice et Harding, le 5 juillet 2007, les employés dont les heures de travail [traduction] « se situent principalement entre 6 h et 18 h sont des travailleurs de jour. Les primes de poste ne s’appliquent pas aux travailleurs de jour, sauf lorsque ceux-ci remplacent un travailleur par postes » (pièce E-42). Le fait qu’un travailleur de jour puisse faire des heures supplémentaires en sus de sa période de travail normale pendant une journée ne changeait rien. [Traduction] « Les travailleurs de jour qui effectuent des heures prolongées en sus de leurs 37 heures et demie par semaine sont rémunérés selon les articles [de la convention collective] régissant les heures supplémentaires » (pièce E-42).

35Compte tenu de ces instructions, Mme Harding a déterminé que l’article 27 ne s’appliquait pas aux demandes des quatre fonctionnaires et à celle de M. Nickerson. Elle a radié leurs demandes relatives aux primes de poste et de fin de semaine de leurs rapports ITS. Sa décision a été confirmée par le gestionnaire de division, ce qui a mené au rejet des demandes des cinq fonctionnaires. Les rejets ont suivi leur cours normal jusqu’à ce qu’ils fassent l’objet des griefs qui nous occupent.

36M. Nickerson a déclaré qu’il a protesté auprès de son gestionnaire lorsque sa demande a été rejetée. Son gestionnaire lui a alors montré le document intitulé [traduction] « Procédures visant les employés scientifiques pendant les croisières de recherche scientifique – heures de travail et rémunération ». Le document précisait que, pendant les croisières de recherche, les [traduction] « employés qui sont normalement des travailleurs de jour sont réputés être des travailleurs par postes et que, par conséquent, pendant qu’ils sont en mer, ils ont droit à toutes les primes d’heures supplémentaires, de poste et de fin de semaine s’appliquant ». M. Nickerson s’est ensuite adressé à la secrétaire de la division qui lui en a remis une copie. Le document a été produit en preuve (pièce U-9), malgré l’objection de l’avocate de l’employeur. Cette dernière a fait valoir que le document n’était ni daté, ni signé, de sorte qu’il était impossible d’établir clairement qui l’avait rédigé et quand. J’ai statué que ces objections touchaient la valeur probante plutôt que l’admissibilité. M. Nickerson a également obtenu le rapport ITS et le talon de chèque de paie (pièce U-4) d’un collègue de travail du Service hydrographique du Canada qui était à bord du CCGS Matthew en même temps que lui. La demande de prime de poste et de fin de semaine soumise par le collègue avait été acceptée. L’avocate de l’employeur s’est opposée également à la production de ce document, au motif que le collègue n’était pas disponible pour être contre-interrogé. J’ai accepté que la preuve soit admise, encore une fois au motif que son objection touchait la valeur probante.

37Avant de poursuivre, il faut apporter quelques précisions au sujet du grief de M. Nickerson. L’employeur a d’abord traité la demande de prime de poste et de fin de semaine de M. Nickerson comme étant identique à celles des quatre autres fonctionnaires, c’est pourquoi elle a été rejetée. L’employeur a ensuite réalisé que les heures de travail normales prévues à l’horaire de M. Nickerson ne se situaient pas entre 6 h et 18 h. Ses heures se situaient plutôt entre 7 h et 13 h et entre 14 h 30 et 22 h. Autrement dit, ses heures normales se terminaient après 18 h. L’employeur a donc conclu que M. Nickerson n’était pas un « travailleur de jour » et qu’il avait bel et bien droit à la prime de poste et de fin de semaine en application de l’article 27. De là sa décision ultérieure d’accorder la demande.

38Maintenant que le contexte factuel est établi, je me pencherai sur les arguments des parties.

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour les fonctionnaires s’estimant lésés

39Le représentant des fonctionnaires a présenté trois principaux arguments.

40Il a d’abord fait valoir que la question dépendait de l’interprétation de la convention collective. L’interprétation devait tenir compte du contexte historique. En l’espèce, le contexte historique était que l’employeur avait toujours payé les demandes de primes. Le représentant a beaucoup insisté sur la pièce U-9, en soutenant que ce document démontrait clairement que l’employeur avait considéré jusque-là que l’article 27 accordait aux employés dans la situation des fonctionnaires le droit à ces primes. Ceci étant, il devait être dans l’intention des parties que l’article 27 s’applique aux employés se trouvant dans la situation des quatre fonctionnaires. Comme la preuve a démontré (malgré les objections de l’avocate de l’employeur) que d’autres employés de la région de l’Atlantique touchaient les primes de poste et de fin de semaine, il serait injuste de traiter les fonctionnaires différemment.

41Le représentant des fonctionnaires a ensuite fait valoir qu’aucune définition ne se trouvait dans la convention collective pour « travailleur par postes », pas plus que pour « poste ». Il a soumis qu’un employé de qui on attend qu’il fasse des heures supplémentaires et qui est tenu de faire des heures supplémentaires à bord d’un navire devrait être considéré comme travaillant par « postes » au sens de l’article 27. Ils étaient « captifs » à bord de navires lorsqu’ils ne travaillaient pas. Lorsque les navires s’amarraient le soir, les employés n’avaient pas le droit de s’éloigner du navire pendant plus de 30 minutes. Comme ils étaient tenus de travailler et que l’on s’attendait à ce qu’ils travaillent pendant jusqu’à 12 heures par jour, y compris la fin de semaine, dans le cadre d’affectations qui les tenaient éloignés de leur « lieu de travail normal » (c’est-à-dire leurs bureaux ou laboratoires sur la terre), ils devraient être considérés comme travaillant par « postes » au sens de l’article 27. Ce travail n’était pas leur travail « normal » parce qu’il ne correspondait pas à leurs horaires de travail « normaux » au bureau. Ceci étant, le terme « poste » dans l’article 27 devrait être interprété comme voulant dire « le temps que l’on s’attend à ce qu’un employé soit et demeure au travail et qu’il est tenu d’être et de demeurer au travail » à un endroit autre que son lieu de travail habituel sur la terre.

42En conclusion, le représentant des fonctionnaires a invoqué la doctrine de la préclusion. Même si l’article 27 ne pouvait pas être interprété comme s’appliquant aux fonctionnaires, l’employeur s’était conduit par le passé comme si cela était le cas. Il ne serait ni juste, ni équitable de lui permettre de changer sa position à ce stade.

43Le représentant des fonctionnaires a également présenté des arguments sur la question des intérêts réclamés. Cependant, j’ai décidé de traiter de cette question dans ma décision relative au grief de M. Nickerson. C’est pourquoi, j’examinerai les arguments soumis pour le compte des fonctionnaires et de l’employeur plus loin dans la présente décision.

B. Pour l’employeur

44L’avocate de l’employeur a présenté plusieurs arguments.

45Premièrement, l’article 27 ne s’appliquait pas aux fonctionnaires parce qu’il excluait expressément les employés qui n’étaient pas visés par les clauses 25.04 à 25.06 de la convention collective. L’article 25 porte sur la « Durée du travail ». L’alinéa 25.04a) est libellé comme suit :

Sous réserve du paragraphe 25.09, la semaine de travail normale est de trente-sept heures et demie (37 ½), à l’exclusion des périodes de repas, réparties sur cinq (5) jours de sept heures et demie (7 ½) chacun, du lundi au vendredi. La journée de travail est prévue à l’horaire au cours d’une période de neuf (9) heures située entre 6 h 00 et 18 h 00, à moins qu’il n’en ait été convenu autrement au cours de consultations au niveau approprié entre l’Alliance et l’Employeur.

46(La clause 25.09 porte sur les employés qui travaillent « par roulement ou de façon irrégulière » et ne s’applique pas aux faits en l’espèce.)

47L’avocate de l’employeur a argué que les quatre fonctionnaires avaient une « semaine de travail normale » ayant été portée à l’horaire de sorte à s’inscrire dans les périodes fixées par la clause 25.04a). Dans chaque cas, les heures normales prévues à l’horaire se situaient entre 6 h et 18 h et elles comportaient des journées de sept heures et demie effectuées du lundi au vendredi. Ils étaient donc des employés couverts par la clause 25.04 et, de ce fait, ils étaient exclus expressément de l’application de l’article 27. Le fait que leurs heures à bord d’un navire puissent commencer ou se terminer à des moments légèrement différents des heures effectuées au bureau n’a pas eu d’incidence sur cette conclusion, parce que les heures prévues à l’horaire à bord de navires correspondent toujours aux critères de la clause 25.04a) : elles sont effectuées entre 6 h et 18 h, du lundi au vendredi et elles comportent toujours des journées de sept heures et demie. Cette conclusion n’a pas été modifiée par le fait que les employés étaient tenus de faire des heures supplémentaires. L’employeur était en droit d’exiger des heures supplémentaires de ses employés, dans la mesure où il leur versait une rémunération en conséquence, et c’est ce qu’il a fait. Les fonctionnaires étaient donc des employés « couverts par les paragraphes 25.04 à 25.06 » et étaient, de ce fait, exclus expressément de l’application de l’article 27.

48L’avocate de l’employeur a ensuite argué que l’usage par le passé des gestionnaires locaux (c’est-à-dire de Terre-Neuve) ne pouvait pas donner lieu à une préclusion. Les gestionnaires n’étaient pas signataires de la convention collective. Leurs agissements ne pouvaient pas lier le Conseil du Trésor. Elle a prétendu que l’agent négociateur n’avait pas établi, selon la prépondérance des probabilités, que les personnes autorisées à représenter le Conseil du Trésor connaissaient l’usage local, étaient d’accord avec celui-ci, l’approuvaient et y consentaient. Par ailleurs, la préclusion exige qu’une personne se soit fiée de manière préjudiciable à la préclusion, et il n’y a pas eu de telle confiance préjudiciable en l’espèce. Les employés n’avaient pas le droit de refuser d’aller en mer si la prime ne leur était pas offerte, et le fait qu’ils pensaient avoir droit à la prime lors de voyages en mer n’était pas pertinent. En conclusion, même si une préclusion a été créée, elle pourrait être révoquée sur avis, et l’agent négociateur savait depuis la fin mai ou le début juin 2007 que l’employeur refusait de payer la prime. Le seul fonctionnaire qui pourrait prétendre avoir pris la mer avant cette date est M. O’Keefe; tous les autres sont partis après que l’agent négociateur a été informé de la position de l’employeur.

C. Réfutation des fonctionnaires s’estimant lésés

49En réplique, l’avocat des fonctionnaires a fait valoir que l’employeur ne pouvait pas prétendre d’une part que le Conseil du Trésor (par opposition aux gestionnaires locaux) était la partie devant être précluse, et d’autre part soutenir qu’un avis de changement de position pouvait être donné par les gestionnaires locaux. Comme aucun avis du Conseil du Trésor n’a été transmis aux fonctionnaires à la fin mai ou au début juin 2007, on ne peut pas prétendre qu’un avis effectif a été donné.

IV. Motifs

50Je commencerai par une observation banale mais juste, à savoir que mon pouvoir à titre d’arbitre de grief est limité aux modalités prévues expressément dans la convention collective. Je peux seulement interpréter et appliquer la convention collective. Je ne peux pas modifier les modalités qui sont claires et je ne peux pas non plus en établir de nouvelles. Le fait qu’une disposition particulière puisse sembler injuste n’est pas une raison pour que j’en fasse abstraction, si la disposition est clairement formulée : Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, art. 229; Communications, Energy and Paperworkers Union of Canada, Local 30 v. Irving Pulp & Paper Ltd., 2002 NBCA 30, paragraphes 10 et 11.

51 Deuxièmement, je suis obligé de déterminer l’intention réelle des parties lorsqu’elles ont conclu la convention collective. Pour ce faire, je dois prendre les mots utilisés par les parties dans leur sens ordinaire. Je dois aussi tenir compte du reste de la convention collective, parce que c’est la convention dans son ensemble qui forme le contexte dans lequel les mots utilisés doivent être interprétés : Irving Pulp & Paper, paragraphes 10 et 11; Cooper et Wamboldt c. Agence du revenu du Canada, 2009 CRTFP 160, paragraphes 32 et 34.

52Je commence par l’article 27 de la convention collective. Les fonctionnaires et l’agent négociateur ont soutenu que cet article leur donnait droit aux primes de poste et de fin de semaine réclamées. Par souci de commodité, je reproduis ici l’article 27 (pièce U-1) :

Article 27

Primes de poste et de fin de semaine

Dispositions exclues

Le présent article ne s’applique pas aux employé-e-s qui travaillent de jour et qui sont couverts par les paragraphes 25.04 à 25.06 ou le paragraphe 25.04 de l’appendice « M ».

27.01 Prime de poste

L’employé-e qui travaille par postes, touche une prime de poste de deux dollars (2 $) l’heure pour toutes les heures de travail, y compris les heures supplémentaires, effectuées entre 16 h 00 et 8 h 00. La prime de poste n’est pas payée pour les heures de travail effectuées entre 8 h 00 et 16 h 00.

27.02 Prime de fin de semaine

a) L’employé-e qui travaille par postes, la fin de semaine, reçoit une prime supplémentaire de deux dollars (2 $) l’heure pour toutes les heures de travail, y compris les heures supplémentaires, effectuées le samedi et/ou le dimanche.

b) Dans le cas des employé-e-s travaillant à une mission à l’étranger où le samedi et le dimanche ne sont pas considérés comme une fin de semaine, l’Employeur peut leur substituer deux (2) autres jours consécutifs pour se conformer à l’usage local.

53Le libellé de l’article 27 soulève deux questions et renverse le fardeau de la preuve.

54Premièrement, la portée de l’article 27 est clairement limitée. Les primes de poste et de fin de semaine ne sont pas offertes à tous les employés pour n’importe quel travail effectué. Elles sont réservées aux employés qui « travaillent par postes ». Par conséquent, l’agent négociateur doit établir que les fonctionnaires (qui étaient sans équivoque des employés) travaillaient par postes, à la période visée.

55Deuxièmement, il existe une exclusion absolue, ou une limitation, du fait que le libellé de l’article 27 prévoit expressément qu’il ne s’applique pas aux employés « qui travaillent de jour et qui sont couverts par les paragraphes 25.04 à 25.06 ou le paragraphe 25.04 de l’appendice “ M ” ». Comme c’est l’employeur qui maintient que les fonctionnaires étaient des employés couverts par les paragraphes 25.04 à 25.06, il lui incombe d’établir que cette exclusion s’applique.

56Comme l’exclusion vient en premier à l’article 27, je me pencherai d’abord sur celle-ci et je déterminerai si l’employeur a établi que l’exclusion s’applique.

57Dans ses arguments, l’avocate de l’employeur s’est largement fondée sur la clause 25.04a). Par souci de commodité, je la reproduis de nouveau ici :

Sous réserve du paragraphe 25.09, la semaine de travail normale est de trente-sept heures et demie (37 ½), à l’exclusion des périodes de repas, réparties sur cinq (5) jours de sept heures et demie (7 ½) chacun, du lundi au vendredi. La journée de travail est prévue à l’horaire au cours d’une période de neuf (9) heures située entre 6 h 00 et 18 h 00, à moins qu’il n’en ait été convenu autrement au cours de consultations au niveau approprié entre l’Alliance et l’Employeur.

58(Comme mentionné précédemment, la clause 25.09 ne s’applique pas aux faits en l’espèce.)

59De prime abord, les quatre fonctionnaires semblent satisfaire aux critères de la clause 25.04a). Ils travaillent tous régulièrement du lundi au vendredi, pour un total de 37 heures et demie. Ils sont tous des travailleurs de jour dont les heures sont effectuées dans une période de neuf heures, entre 6 h et 18 h. Le fait que certaines de leurs fonctions normales ont été exécutées à bord du navire Shamook n’a aucune incidence sur cette conclusion. Leurs descriptions de travail indiquent clairement que leurs fonctions comprennent du travail [traduction] « effectué dans un bureau, un laboratoire ou sur le terrain et peuvent nécessiter de voyager dans des zones isolées par divers modes de transport ». Les descriptions de travail comportent également [traduction] « l’exigence [expresse] de travailler dans des milieux tels que des navires de recherche/commerciaux et des petits bateaux » (pièce E-40, onglet 1, descriptions de travail pour les postes EG-03 et EG-05). Tous les fonctionnaires ont admis, en contre-interrogatoire, que le travail à bord de navires faisait partie de leurs fonctions normales et définies. Ils ne pouvaient pas refuser de prendre la mer sans une bonne raison, comme une maladie documentée. Et, avant le départ en mer, les fonctionnaires ont reçu des horaires de travail qui, tout comme sur la terre, s’inscrivaient dans les paramètres de la clause 25.04a), c’est-à-dire que leurs heures normales étaient effectuées entre 6 h et 18 h, du lundi au vendredi.

60Par conséquent, je suis d’avis que les quatre fonctionnaires sont exclus de l’application de l’article 27 parce qu’ils sont « couverts » par la clause 25.04a). Compte tenu de cette conclusion, il ne m’est pas, à strictement parler, nécessaire d’examiner le deuxième obstacle auquel les fonctionnaires sont confrontés, celui d’établir qu’à la période visée les employés travaillaient « par postes ». Cependant, en raison des arguments de l’avocat, j’estime qu’il convient de traiter de la question.

61La question en l’espèce est de déterminer le sens donné à « travailleurs par postes » dans l’article 27 de la convention. Aucun des termes « postes », « travail par postes » ou « travaille par postes » n’est défini dans la convention collective. Je dois donc me demander si un sens ou une définition ordinaire et généralement accepté est donné au terme « travail par postes » (c’est-à-dire de travailler par postes). À cet égard, je note que le Canadian Oxford Dictionary (Toronto, 1998) définit le « travail par postes » comme étant du [traduction] « travail effectué dans des périodes souvent variables indépendantes d’une journée de travail normale, habituellement le soir (fatigué après un mois de travail par postes). » Le site Web de Sloan Work and Family Research Network du Boston College fournit les définitions suivantes du « travail par postes » :

[Traduction]

Le  travail par postes renvoie à un horaire de travail dans lequel les employés travaillent à des heures autres que les heures normales de 8 h à 17 h ou à un horaire autre que la semaine de travail normale, du lundi au vendredi, aux États-Unis (Grosswald, 2004, p. 414).

En général, le terme « travail par postes » est assez vague et comprend toute organisation des heures de travail qui diffère de la période de travail diurne traditionnelle; il est parfois synonyme d’heures de travail irrégulières ou atypiques (Costa, 2003, p. 264).

[…] la plupart des études sur le travail par postes classent le travailleur par postes comme étant toute personne qui travaille en-dehors des heures normales de jour (c.-à-d. entre environ 7 h et 18 h, du lundi au vendredi). Selon ces définitions, les travailleurs par postes comprennent toutes les personnes qui travaillent des postes de soir ou de nuit, des postes par roulement, des postes fractionnés ou des horaires irréguliers ou sur appel, que ce soit la semaine ou la fin de semaine (Institut de recherche sur le travail et la santé, n.d.).

Le travail par postes est défini comme du travail en-dehors des  heures de jour, du lundi au vendredi. Ceci comprend le travail la fin de semaine et les tâches commençant beaucoup avant 7 h et se terminant après 19 h ou plus tard (Wallace, n.d.).

La journée de travail normale se déroule dans une fenêtre de 8 h à 17 h. Nous considérons les travailleurs par postes comme des personnes qui travaillent à des heures atypiques. » (Root, 2004).

62Le site Web dictionary.com donne la définition suivante de « poste » :

[Traduction]

Une période de travail prévue à l’horaire d’une personne, notamment une portion de la journée portée à l’horaire comme étant une journée de travail, lorsque l’atelier, le service, le bureau ou l’industrie fonctionne de manière continue, le jour et la nuit : Elle préfère le poste du matin.

63Selon moi, toutes ces définitions décrivent une situation où les activités normales durant un cycle de 24 heures sont divisées en deux ou trois périodes de travail, chaque période représentant une journée de travail complète d’un employé. Un exemple courant de ce type de travail serait celui effectué dans les hôpitaux, notamment par le personnel infirmier qui doit être présent 24 heures sur 24. Comme personne ne peut travailler 24 heures sur 24 de manière continue, ce cycle est divisé en « postes » de 12 heures ou de 8 heures. Naturellement, les lieux de travail ne fonctionnent pas tous selon un cycle de 24 heures sur 24, certains ont des cycles plus courts. Cependant, quel que soit le cycle, il est trop long pour qu’un seul employé puisse le travailler de manière normale et continue; il doit être divisé en « postes ». Chaque poste est comblé par un employé (normalement) différent. Par conséquent, le travail par postes comporte au moins 2, ou peut-être 3, périodes de travail pendant un cycle de 24 heures qui seraient comblés par 2 (ou 3, selon le cas) employés.

64Ceci signifie que l’article 27 et l’expression « travaille par postes » s’appliquent aux situations où il existe au moins 2 postes réguliers dans un cycle de 24 heures. Cette conclusion est étayée par le fait que la clause 27.01 précise que la prime de poste n’est pas payée pour les heures de travail effectuées entre 8 h et 16 h (ce qui correspond à la journée de travail « normale »), mais qu’elle sera payée pour toutes les heures travaillées entre 16 h et 8 h. Autrement dit, la clause 27.01 envisage l’existence d’au moins 2 périodes de travail pendant un cycle de 24 heures.

65De même, le fait que les deux clauses 27.01 et 27.02 prévoient qu’une prime est ajoutée aux heures supplémentaires signifie, à mon avis, que le travail par postes diffère d’une situation dans laquelle un employé effectue des heures supplémentaires au-delà de sa journée de travail normale. Autrement dit, un « travailleur de jour » qui travaille dans un bureau et qui effectue normalement une seule période de travail (la journée de travail normale) ne devient pas un employé qui « travaille par postes » simplement parce qu’il fait des heures supplémentaires.

66Je suis convaincu que, même si l’exclusion ne s’appliquait pas, les quatre fonctionnaires en l’espèce n’auraient pas été en mesure de me persuader, d’après l’ensemble de la preuve, qu’ils étaient des employés travaillant par postes à la période visée.

67Cependant, malgré la conclusion qui semble évidente que les employés dans la situation des fonctionnaires n’avaient pas droit à des primes de poste et de fin de semaine aux termes de l’article 27, l’usage de l’employeur avait été de payer ces primes aux employés lorsqu’ils passaient du temps à bord de navires. Les fonctionnaires ont tous témoigné que, au cours des années ayant précédé mai 2007, ils ont soumis des demandes identiques et que les primes leur ont été payées sans objection de la part de l’employeur. Mme Harding a admis qu’avant mai 2007 les demandes semblables à celles en litige étaient couramment acceptées. M. MacCallum a reconnu que, si les fonctionnaires avaient soumis leurs demandes avant mai 2007, les primes auraient été payées.

68Le représentant de l’agent négociateur a invoqué l’usage par le passé pour faire valoir deux arguments.

69Premièrement, il a soutenu que je pourrais tenir compte de l’usage dans mon interprétation de l’article 27. Si les parties se conduisaient comme si l’article 27 s’appliquait alors, selon lui, ceci est certainement le sens que l’article 27 devrait avoir.

70Deuxièmement, il a fait valoir que, même si l’article 27 signifie vraiment ce qu’il semble signifier à première vue, l’employeur devrait être préclus de modifier sa position. Il ne peut pas, à son avis, agir comme si l’article 27 donnait droit aux employés dans la situation des fonctionnaires à des primes de poste et de fin de semaine, puis changer son fusil d’épaule en disant que l’article ne leur donne pas ce droit.

71En ce qui concerne le premier argument, je suis disposé à accepter que, en règle générale, lorsqu’une clause contractuelle est ambigüe ou qu’elle contient de la terminologie technique dont la signification n’est pas évidente à première vue, je peux examiner l’usage des parties pour m’aider à déterminer sa signification réelle. À supposer, pour les fins de l’argumentation, que l’article 27 est ambigu (et je ne suis pas convaincu que cela soit le cas), il doit à tout le moins être évident que les parties connaissent l’usage en question et que celui-ci a été appliqué de manière uniforme. Il est naturellement plus facile de satisfaire à cette condition lorsqu’il y a un seul lieu de travail, un employeur interventionniste et un effectif relativement petit. Mais, ce n’est pas le cas en l’espèce. Je crois pouvoir déclarer sans me tromper que la convention collective s’applique à des dizaines de milliers d’employés exécutant une multitude de tâches à l’échelle du Canada, dans de nombreux lieux de travail (répartis sur de grandes distances). Il incombait à l’agent négociateur d’établir, selon la prépondérance des probabilités, que l’usage en question était appliqué à grande échelle et connu du Conseil du Trésor. Or, la preuve qu’il a produite n’allait pas au-delà de certains employés du bureau de Terre-Neuve. Le fait que des gestionnaires locaux de Terre-Neuve ont adopté un usage particulier en ce qui a trait à l’article 27 de la convention collective ne peut pas servir à l’interprétation, à tout le moins dans le cas présent, compte tenu que rien ne démontrait que l’usage était appliqué à grande échelle ou que le Conseil du Trésor en avait connaissance avant 2007 : voir, par exemple, Versagold Group Limited Partnership (Valley Centre) v. Retail Wholesale Union, Local 580 (2010), 102 C.L.A.S. 293, paragraphes 55 à 57; Fleming, a division of United Dominion Ltd and CAW, Local 1090 (2000) 63 C.L.A.S. 135, paragraphes 7 et 8.

72Je souligne que le document produit en preuve (pièce U-9, voir le paragraphe 36 ci-haut) n’étaye pas la thèse des fonctionnaires. L’affirmation faite dans le document, que les « travailleurs de jour » lors des croisières de recherche sont « réputés être des travailleurs par postes », est certainement compatible avec l’usage par le passé des gestionnaires locaux de Terre-Neuve. Toutefois, elle n’ajoute rien au témoignage des fonctionnaires, pas plus qu’à la propre admission de l’employeur (dans les témoignages de Mme Harding et de M. MacCallum), voulant que de telles demandes avaient été payées à Terre-Neuve par le passé. Comme le document n’est pas signé, il ne peut pas être assimilé à un engagement liant l’employeur à toujours interpréter et appliquer la convention collective de la manière y étant précisée. Il ne porte pas de date, et la preuve de M. Nickerson permet tout au plus de conclure qu’il s’agissait de l’usage des gestionnaires locaux, à la date de son voyage.

73Par ailleurs, la preuve concernant le collègue de travail, c’est-à-dire le rapport ITS et le talon de chèque de celui-ci (voir paragraphe 36 ci-haut), semble étayer l’explication de l’employeur pour avoir éventuellement approuvé la demande de M. Nickerson, mais non celles des autres fonctionnaires. L’horaire de travail du collègue de travail, contrairement à celui des quatre fonctionnaires, mais à l’instar de celui de M. Nickerson, ne se situait pas entre 6 h et 18 h. Les jours de semaine, le collègue commençait à travailler à 15 h et terminait à 20 h. La fin de semaine, sa journée de travail commençait à 7 h et se terminait à 20 h. Autrement dit, les heures de travail prévues à l’horaire du collègue ne s’inscrivaient pas dans les paramètres définis par la clause 25.04a). Ceci étant, il n’est pas étonnant que l’employeur ait accepté la demande de prime de poste et de fin de semaine du collègue de travail et qu’il ait fait de même pour la demande de M. Nickerson, après avoir compris son horaire de travail.

74Je me penche maintenant sur le deuxième argument, à savoir que l’employeur est préclus de modifier l’usage ayant été suivi jusqu’à mai ou juin 2007 relativement au paiement de la prime aux employés se trouvant dans la situation des quatre fonctionnaires.

75La préclusion exige à tout le moins deux faits :

  1. une partie à un contrat déclare à l’autre partie qu’elle n’insistera pas sur un droit particulier lui étant accordé aux termes du contrat,

  2. l’autre partie change sa position en se fiant à cette déclaration : Brown et Beatty, Canadian Labour Arbitration (édition en ligne, Canadian Labour Law Library), paragr. 2:2200, 2:2211; Re Smoky River Coal Ltd and United Steelworkers of America, Local 7621 (1985) 18 D.L.R. (4e) 742 (Alta CA), p. 746.

76La préclusion peut seulement toucher les parties à un contrat. En l’espèce, les parties au contrat sont le Conseil du Trésor et l’agent négociateur. Le premier problème de cet argument, fait pour le compte des fonctionnaires, est que la preuve ne démontre nullement que le Conseil du Trésor ou l’employeur (et non les gestionnaires locaux) ont dit ou fait quoi que ce soit qui pourrait porter à croire qu’il interpréterait l’article 27 de la manière que proposent les fonctionnaires. Le fait que les gestionnaires locaux ont pu, pour une raison quelconque (par erreur ou autrement), appliquer ou interpréter l’article 27 d’une certaine façon n’est pas assimilable à une déclaration de la part du Conseil du Trésor : par exemple, Versagold, paragraphes 55 à 57; Fleming, paragraphes 7 et 8. Dans le cours normal des choses, un employeur n’est pas lié par un usage, s’il décide subséquemment qu’il était fondé sur une compréhension erronée de ses droits en vertu d’une convention collective : voir, par exemple, Legare c. Canada (Conseil du Trésor) [1987] A.C.F. no 304 (C.A.) (QL)., p. 5 de 6.

77Même si j’acceptais que l’usage des gestionnaires de Terre-Neuve était assimilable à une déclaration du Conseil du Trésor, il n’y a aucune preuve de confiance préjudiciable de la part de l’agent négociateur ou, tout particulièrement, des fonctionnaires. La décision des fonctionnaires d’embarquer sur le Shamook n’a pas été prise en se fiant à l’usage par le passé concernant les primes de poste et de fin de semaine. Ils étaient tenus de le faire, car cela faisait partie de leur emploi. Ils ne pouvaient pas refuser d’y aller si les primes n’étaient pas payées. Or, s’ils étaient tenus d’y aller il n’y a pas eu de confiance préjudiciable, et s’il n’y a pas eu de confiance préjudiciable, il n’y avait pas de préclusion : voir par exemple Jeffries c. Conseil du Trésor (Agence canadienne d’inspection des aliments) 2003 CRTFP 55, paragr. 40; Dubé c. Canada (Procureur général) 2006 CF 796, paragr. 56.

78Par conséquent, je suis d’avis que, compte tenu des faits du présent cas, les fonctionnaires O’Keefe, Chafe, Clark et Porter :

  1. à la période visée, effectuaient une semaine de travail normale, au sens de la clause 25.04a) de la convention collective et

  2. qu’ils étaient donc expressément exclus de l’application de l’article 27 et 

  3. qu’ils n’avaient pas droit aux primes de poste et de fin de semaine offertes aux employés travaillant par postes, en application de l’article 27.

79Pour ce motif, je rendrai une ordonnance rejetant les quatre griefs de MM. Chafe, O’Keefe, Porter et Clark sur le fond.

80Comme mentionné précédemment, l’employeur a concédé le grief de M. Nickerson avant le début de l’audience. Il a reconnu que des heures supplémentaires et des primes de fin de semaine totalisant 288 $ lui étaient payables. L’agent négociateur a convenu de ce montant, mais a prétendu être en droit de poursuivre le grief de M. Nickerson parce que celui-ci n’avait pas été indemnisé intégralement. Il avait été privé de ces 288 $ pendant trois ans. L’agent négociateur a soutenu que je devais accorder des intérêts sur le montant exigible, au motif que la perte de l’utilisation des 288 $ constituait une perte supplémentaire pour M. Nickerson, et qu’il ne serait pas indemnisé intégralement sans le paiement des intérêts. Il a invoqué tout particulièrement la décision Nantel c. Conseil du Trésor [2007] CRTFP no 66, dans laquelle une demande d’intérêts a été accordée.

81Lors de la présentation de ses arguments, l’agent négociateur a également renvoyé à plusieurs décisions du secteur privé, ainsi qu’à différents régimes législatifs, notamment Henuset Pipeline Construction Ltd v. IUOE, Local 955 [1995] A.G.A.A. No. 25 (QL), Union of Canadian Correctional Officers – Syndicat des agents correctionnels – CSN c. Conseil du Trésor, 2007 CRTFP 120, Canada Post Corp v. CUPW [1992] C.L.A.D. No. 55 (QL) et Canada Post Corporation v CUPW [1985] C.L.A.D. No. 75 (QL).

82L’avocate de l’employeur a prétendu que je n’avais pas la compétence ou le pouvoir d’adjuger des intérêts dans les circonstances en l’espèce. Elle a fait valoir que, règle générale, la Couronne n’avait pas à verser d’intérêts en l’absence d’une exigence expresse de la loi. Même s’il existait une disposition législative autorisant l’adjudication d’intérêts dans certaines situations, elle était d’une portée extrêmement limitée. C’est d’ailleurs pour cette raison que la décision invoquée par l’avocat de l’agent négociateur, Nantel, avait été infirmée par la Cour fédérale (Division de première instance) et par la Cour d’appel fédérale : voir Canada (Procureur général) c. Nantel 2008 CAF 351. Ceci étant, les cas d’arbitrage dans le secteur privé invoqués par l’avocat de l’agent négociateur, tels que Henuset, ou les décisions faisant intervenir d’autres lois, telles que les affaires touchant Postes Canada, ne s’appliquaient pas.

83Il arrive que des parties à un litige tiennent pour acquis que des intérêts sont exigibles de plein droit sur une dette ou des dommages. Ce n’est pas le cas. Par le passé, des intérêts sur les dettes ou dommages étaient payables seulement lorsque les parties s’étaient entendues au préalable sur le paiement d’intérêts. En l’absence d’un tel accord, aucun intérêt n’est payable à moins d’indication contraire dans la loi ou en droit. Au cours des siècles, la règle générale a été atténuée par les lois et les règles des tribunaux. Ces lois et règles des tribunaux ont fourni à la plupart des décideurs le pouvoir discrétionnaire d’adjuger des intérêts, même lorsque les parties n’avaient pas conclu d’accord préalable à cet égard.

84Il n’en reste pas moins que le pouvoir d’adjuger des intérêts doit être fondé sur un accord exprès entre les parties ou sur une loi. Cette exige s’applique dans les cas touchant la Couronne, c’est-à-dire l’employeur, comme dans tous les autres cas : voir paragr. 7 Nantel 2008 CAF 351.

85En l’espèce, la convention collective ne prévoit pas le paiement d’intérêts. Comme il n’existe pas d’accord exprès relativement au paiement d’intérêts, le pouvoir de l’arbitre de grief d’adjuger des intérêts, s’il existe un tel pouvoir, doit se trouver dans une loi.

86Les pouvoirs d’un arbitre de grief sont énoncés au paragraphe 226(1) de la LRTFP. L’alinéa 226(1)i)  de la LRTFP dispose que « pour instruire toute affaire dont il est saisi, l’arbitre de grief peut […] dans le cas du grief portant sur le licenciement, la rétrogradation, la suspension ou une sanction pécuniaire, adjuger des intérêts au taux et pour la période qu’il estime justifiés ».

87Le représentant de l’agent négociateur a soutenu que l’utilisation du terme « peut » au lieu de « doit » signifie que j’avais le pouvoir discrétionnaire de faire toute autre chose que j’estimais justifiée. En toute déférence, je ne suis pas d’accord. Il est clairement établi en droit qu’un arbitre de grief n’a pas le droit d’adjuger des intérêts à moins que ce pouvoir ne lui soit expressément conféré par les parties, dans le cadre d’une convention collective, ou à moins que le pouvoir soit prévu par une loi. Ceci étant, je ne peux pas tirer un pouvoir discrétionnaire général d’accorder des intérêts du fait que le terme « peut » est utilisé.

88Le seul énoncé exprès concernant un pouvoir d’adjuger des intérêts se trouve à l’alinéa 226(1)i) de la LRTFP. Comme mentionné précédemment, il donne à l’arbitre de grief le pouvoir d’adjuger des intérêts « dans le cas du grief portant sur le licenciement, la rétrogradation, la suspension ou une sanction pécuniaire ». Or, aucun des cinq griefs, ce qui comprend celui de M. Nickerson, ne concernait un licenciement, une rétrogradation ou une suspension. Le seul élément qui reste est la sanction pécuniaire. Le défaut de l’employeur de payer à M. Nickerson ses primes de poste et de fin de semaine constitue-t-il une sanction pécuniaire?

89Le représentant de l’agent négociateur a soutenu que tel était le cas. Il a déclaré que M. Nickerson a été privé de 288 $ pendant près de trois ans. Il a perdu la chance d’utiliser alors cet argent ou de l’investir. Par conséquent, l’argent valait moins maintenant qu’il y a trois ans. La perte financière était une forme de sanction et constituait donc une sanction pécuniaire au sens de l’alinéa 226(1)i).

90Bien que je convienne que la perte de l’utilisation de l’argent lui étant dû pendant trois ans constitue une « perte financière », je ne suis pas persuadé que cela équivaut à une « sanction pécuniaire ».

91Je dois d’abord interpréter l’expression « sanction pécuniaire » dans le contexte dans lequel elle se trouve. Le contexte ici se rapporte aux mots « licenciement, rétrogradation et suspension ». Tous ces mots sont porteurs d’une punition pour une forme quelconque de culpabilité ou de faute personnelle d’un employé, et il s’ensuit donc que le terme « sanction pécuniaire » doit également signifier plus qu’une simple « perte ». Il doit s’y rattacher un aspect disciplinaire, comme une amende, imposé à un employé par l’employeur pour une faute personnelle ou une inconduite. Cependant, d’après les faits du présent cas, le défaut initial de l’employeur de verser la prime à M. Nickerson ne découlait pas d’une mesure disciplinaire. Il ne s’agissait pas d’une sanction. Il n’était pas motivé par de la mauvaise foi. En l’absence d’une telle preuve, il m’est difficile d’accepter que le défaut de l’employeur de payer la prime, en raison d’une erreur de compréhension de son horaire de travail, constituait une « sanction pécuniaire » au sens de l’alinéa 226(1)i) de la LRTFP.

92Mon deuxième problème en ce qui a trait à l’argument du représentant découle de la portée du terme « perte financière ». À mon avis, tout défaut de la part de l’employeur de payer les indemnités ou la rémunération en application de la convention collective pourrait être considéré comme une « perte financière ». Si je devais interpréter « sanction pécuniaire » comme signifiant « perte financière », je statuerais de fait qu’un arbitre de grief pourrait adjuger des intérêts dans toute affaire concernant un litige relatif à la rémunération. Cependant, avec respect, ce n’est pas ainsi que l’alinéa 226(1)i) est libellé. Il ne fait aucun doute que les mots choisis par le législateur ont une portée restrictive. Compte tenu de cette intention, je ne peux pas interpréter l’expression restrictive « sanction pécuniaire » comme si elle signifiait la même chose que l’expression plus expansive « perte financière ».

93Je suis donc d’avis que :

  1. un arbitre de grief a le pouvoir d’adjuger des intérêts seulement dans le cas d’un « licenciement, d’une rétrogradation, d’une suspension ou d’une sanction pécuniaire », à moins que les parties ne se soient entendues pour étendre ce pouvoir, et en l’espèce il n’existe pas de tel accord;

  2. aucune preuve produite par l’agent négociateur ne porte à croire que le défaut de l’employeur de payer les primes de poste et de fin de semaine à M. Nickerson découlait d’une volonté de punir celui-ci ou de lui imposer une mesure disciplinaire;

  3. il n’a donc pas été démontré que le défaut de l’employeur de payer les primes en question était une « sanction pécuniaire » au sens de l’alinéa 226(1)i).

94Par conséquent, ce qu’il reste du grief de M. Nickerson doit être rejeté.

95Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

V. Ordonnance

96Les griefs de MM. Chafe, Clark, O’Keefe et Porter, portant respectivement les numéros de dossiers de la CRTFP 566-02-2081, 566-02-2082, 566-02-2084 et 566-02-2085 sont rejetés.

97La partie du grief de M. Nickerson, dossier de la CRTFP 566-02-2083, n’ayant pas été concédée par l’employeur (concernant la demande d’intérêts) est rejetée.

Le 29 octobre 2010.

Traduction de la CRTFP

W. Augustus Richardson,
arbitre de grief

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.