Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La plaignante a allégué que la décision du défendeur de ne plus la représenter contrevenait à l’article187 de la LRTFP - la Commission a exercé son pouvoir aux termes de l’article41 de la LRTFP pour déterminer si la plaignante avait démontré une preuve prima facie - la plaignante avait déposé plusieurs griefs, dont un grief contestant son licenciement pour un motif suffisant avant la fin de sa période déterminée d’emploi - même si elle était représentée, elle a soumis des observations à l’employeur, pour son compte, sans consulter le défendeur; elle a également fait fi des conseils de sa représentante, en plus de refuser d’autoriser le défendeur à régler son dossier, d’enregistrer les conversations avec ses représentants et d’indiquer par écrit qu’elle ne faisait pas confiance au défendeur - après avoir accepté de suivre les conseils et les directives du défendeur, elle a écrit directement à l’employeur sans en aviser le défendeur - la plaignante a allégué également que sa représentante avait menacé de la mettre sur la liste noire si elle n’acceptait pas de régler son grief de licenciement - elle a accusé le défendeur de ne pas avoir fait enquête adéquatement sur ses griefs - le défendeur a classé son dossier et refusé de lui en remettre une copie - les plaintes ont été déposées dans le délai prescrit - cependant, le refus du défendeur de fournir à la plaignante une copie de son dossier et l’allégation selon laquelle il n’avait pas déposé ses griefs dans le délai prévu ne faisaient pas partie des plaintes - ces allégations étaient donc hors délai - le défendeur a fait des efforts suffisants pour obtenir de l’information de la plaignante et lui a donné l’occasion, à plusieurs reprises, d’approuver un plan d’action qui était réfléchi et basé sur une évaluation objective du dossier - le défendeur n’a pas agi de mauvaise foi ou de manière arbitraire ou discriminatoire en insistant pour que la plaignante ne communique pas directement avec l’employeur; il n’a pas non plus menacé ou tenté d’intimider la plaignante en refusant de la représenter ou en lui donnant honnêtement son avis sur les conséquences possibles d’un refus de conclure un règlement - le défendeur n’a pas fait enquête sur les griefs de manière arbitraire ou discriminatoire ou de mauvaise foi. Plaintes rejetées.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2010-12-07
  • Dossier:  561-24-454 et 455
  • Référence:  2010 CRTFP 127

Devant la Commission des relations
de travail dans la fonction publique


ENTRE

BONNIE-GALE BAUN

plaignante

et

ÉLÉMENT NATIONAL DE L’ALLIANCE DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA

défendeur

Répertorié
Baun c. Élément national de l’Alliance de la Fonction publique du Canada

Affaire concernant des plaintes visées à l'article 190 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Ian R. Mackenzie, vice-président

Pour la plaignante:
Elle-même

Pour le défendeur:
Chantal Homier-Nehme, Alliance de la Fonction publique du Canada

Décision rendue sur la base d’arguments écrits
déposés le 2 juillet, le 22 septembre et le 20 octobre 2010.
(Traduction de la CRTFP)

I. Plaintes devant la Commission

1  Bonnie-Gale Baun (la « plaignante ») a déposé deux plaintes de pratique déloyale de travail contre la section locale 20140, Élément national de l’Alliance de la Fonction publique du Canada (le « défendeur » ou l’« AFPC »), le 23 et le 26 avril 2010 respectivement. Les plaintes se rapportent à la décision du défendeur de ne plus la représenter et comportent des différences minimes quant aux mesures correctrices demandées. La plainte déposée le 26 avril 2010 doit être considérée comme une modification de la plainte initiale.

2 La disposition applicable de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (LRTFP) porte ce qui suit :

187. Il est interdit à l’organisation syndicale, ainsi qu’à ses dirigeants et représentants, d’agir de manière arbitraire ou discriminatoire ou de mauvaise foi en matière de représentation de tout fonctionnaire qui fait partie de l’unité dont elle est l’agent négociateur.

3 Le défendeur a demandé à la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la « Commission ») de rejeter les plaintes parce que la plaignante n’a pas établi par voie de preuve prima facie une violation de l’article 187 de la LRTFP. Le défendeur a également soutenu que les plaintes étaient hors délai. 

4 En vertu de l’article 41 de la LRTFP, la Commission est autorisée à trancher toute affaire sans tenir d’audience. Une audience n’est pas nécessaire pour déterminer si un plaignant a établi, au moyen d’une preuve prima facie, une violation de la LRTFP. L’obligation de produire une preuve prima facie est décrite de la façon suivante dans Halfacree c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2009 CRTFP 28 (au paragraphe 16) : « [m]ême si le plaignant prouvait la véridicité des faits allégués dans les plaintes, on ne pourrait soutenir que la défenderesse a agi de mauvaise foi ou de manière arbitraire ou discriminatoire ». Dans le but de décider si la plaignante a démontré une apparence de droit suffisante, la Commission suppose que les faits allégués par la plaignante sont avérés. L’affaire peut donc être tranchée sans audience, puisqu’il n’est pas nécessaire, à ce stade de l’analyse, de prouver la véridicité des allégations. Si un plaignant démontre une apparence de droit suffisante, la plainte sera mise au rôle puis entendue pour qu’il puisse prouver la véridicité des faits allégués. Si le plaignant ne peut démontrer une apparence de droit suffisante, la plainte sera rejetée.  

II. Contexte

5 La plaignante était fonctionnaire nommée pour une période déterminée aux Opérations des enquêtes statistiques (OES) (l’« employeur »). Elle a fait l’objet d’un lienciement motivé le 26 août 2009, soit environ de six à huit semaines avant la fin de sa période d’emploi déterminée.

6 Avant de licencier la plaignante, l’employeur lui avait demandé de consentir à une évaluation de son aptitude au travail. La plaignante avait déposé un grief de harcèlement contre les employés nommément désignés de l’employeur. Elle avait également déposé deux autres griefs connexes. À l’époque, elle était représentée par Gail Myles, agente des relations de travail de l’Élément national de l’AFPC. La plaignante a également présenté des arguments à l’employeur en son nom personnel sans consulter sa représentante syndicale (voir la lettre du 23 août 2009 qu’elle a envoyée à l’employeur). Le 25 août 2009, un délégué syndical et le président de la section locale ont écrit à la plaignante pour lui conseiller de signer le formulaire de consentement à l’évaluation de l’aptitude au travail, comme le lui avait demandé l’employeur, lui expliquant que [traduction] « […] si vous êtes licenciée pour avoir refusé d’obéir à l’ordre, il serait très difficile de vous réintégrer dans vos fonctions ». La lettre concluait que la recommandation était faite [traduction] « […] sans préjudice de notre appui de votre position ». La plaignante n’a pas signé le formulaire de consentement comme le lui avait demandé l’employeur et elle a été frappée d’un licenciement motivé le 26 août 2009.

7 La plaignante a déposé un grief pour contester son licenciement. Le 25 septembre 2009, le délégué syndical et le président de la section locale ont écrit à la plaignante afin d’obtenir des précisions sur certains points relatifs à son dossier ainsi que des renseignements complémentaires sur ses allégations contre l’employeur. La lettre précisait également ceci :

[Traduction]

[…]

Comme vous le savez, le rôle du syndicat est de vous représenter, ce que nous avons fait depuis le début des allégations injurieuses concernant l’employeur. Il importe cependant de souligner que nous pouvons seulement vous donner des conseils et vous représenter suivant les renseignements que vous nous fournissez et dans la mesure où vous suivrez nos conseils et collaborez avec nous. Il se trouve qu’à quelques reprises, vous n’avez pas suivi nos conseils et avez agi à notre insu ou contrairement à nos conseils.

[…]

8 Après avoir rencontré la plaignante et reçu la correspondance de cette dernière, Mme Myles a envoyé la lettre suivante, au nom du défendeur, en réponse aux questions de la plaignante à propos de sa représentation (17 octobre 2009) :

[Traduction]

[…]

Le syndicat vous a offert une représentation suivie depuis que vos difficultés ont commencé en mai 2009, et nous continuerons de vous représenter seulement si vous vous engagez expressément par écrit à suivre nos conseils […] En général, lorsqu’un syndicat représente un membre, toutes les communications se font entre le syndicat et l’employeur. Le membre ne continue pas de communiquer avec l’employeur à l’insu du syndicat et sans son accord. Autrement, le syndicat ne peut connaître à fond la suite des événements et est souvent incapable de représenter ses membres avec compétence; c’est pour cette raison qu’on exhorte les employeurs à ne pas communiquer directement avec les plaignants […] Si vous acceptez de suivre, à compter d’aujourd’hui, les conseils du syndicat, nous sommes prêts à vous représenter relativement à vos quatre griefs.

[…]

9 Myles a terminé sa lettre en disant que si la plaignante ne s’engageait pas par écrit, au plus tard le 30 octobre 2009, à suivre les conseils du défendeur et à [traduction] « […] nous permettre de vous représenter de manière adéquate », le défendeur conclurait qu’elle avait décidé de se représenter elle-même et fermerait son dossier. 

10 Le 16 novembre 2009, la plaignante a répondu à la lettre dans les termes suivants :

[Traduction]

Je compte toujours sur le syndicat pour me représenter […] Je continuerai d’enregistrer tous les appels téléphoniques; c’est la condition que je pose dorénavant. J’ai fait remarquer la semaine dernière que si vous agissez de manière intègre, vous ne devriez pas avoir d’objection à ce que je vous enregistre […] J’enregistrerai toutes mes conversations avec vous. Je ne vous fais pas confiance et je ne fais certainement pas confiance à l’employeur.

11 Le 29 octobre 2009, la plaignante a écrit à Mme Myles pour lui communiquer des renseignements sur ses griefs et la position qu’elle défendait. À propos de la position du défendeur, selon laquelle elle devrait négocier sa démission, elle a affirmé : [traduction] « Comprenez-vous pourquoi je ne crois pas en ce processus? C’est inacceptable ».

12 Le 17 novembre 2009, Mme Myles a écrit à la plaignante pour obtenir des renseignements supplémentaires sur son grief et des précisions sur le fondement de celui-ci. Elle a également décrit les difficultés que le défendeur avait éprouvées à maintes reprises lorsqu’il avait tenté de la joindre. Elle a aussi précisé que l’employeur avait demandé qu’on lui communique les dates de l’audition du grief de licenciement. Elle a ajouté qu’il était difficile d’offrir une représentation en l’absence de communication. Elle a conclu en disant que si le défendeur n’avait pas reçu de réponse écrite à la lettre le 2 décembre 2009, les dossiers de grief de la plaignante seraient fermés.    

13 La plaignante a présenté des arguments écrits au défendeur (le 29 octobre et les 16 et 23 novembre 2009), mais elle ne s’est pas engagée par écrit à suivre ses conseils. De plus, durant cette période, elle a enregistré ses conversations téléphoniques avec le défendeur. Même si les représentants du défendeur étaient au fait des enregistrements, ils ne les avaient pas autorisés. Le 30 novembre 2009, Mme Myles a écrit ceci à la plaignante :

[Traduction]

[…]

En plus de nuire au syndicat et à notre capacité de vous représenter par le fait de certaines de vos lettres à la direction, vous avez clairement indiqué dans toutes les lettres que vous nous avez adressées que vous ne faites pas confiance au syndicat et, partant, à notre capacité à vous représenter. Votre manque total de confiance à l’égard du syndicat s’exprime particulièrement par votre insistance à enregistrer toutes les conversations avec les représentants syndicaux et encore plus par votre refus d’admettre que l’employeur vous a licenciée pour insubordination.

Pour toutes ces raisons, vos dossiers de grief sont désormais fermés.   

14 Le 3 décembre 2009, la plaignante a parlé au président de l’Élément national et a accepté de suivre les conseils et les directives du défendeur, ce qu’elle a confirmé par écrit le jour même. Le 10 décembre 2009, elle a écrit directement à l’employeur pour obtenir les motifs écrits de son licenciement, sans en aviser le défendeur.

15 La plaignante, Mme Myles et un représentant du défendeur ont communiqué par téléphone le 8 janvier 2010 pour discuter des choix qui s’offraient à la plaignante relativement à son grief de licenciement. Mme Myles a demandé à la plaignante de confirmer par écrit qu’elle acceptait de retirer ses griefs en contrepartie de sa démission et du retrait des documents disciplinaires de son dossier. Mme Myles a écrit ceci le jour même à la plaignante :

[Traduction]

[…]

J’aimerais également réitérer que le syndicat a accepté de vous représenter afin de parvenir à un règlement, si c’est ce que vous souhaitez. Vous avez aussi convenu de ne pas communiquer avec l’employeur durant cette période.

J’espère recevoir sous peu votre réponse.

[…]

16 Le 20 janvier 2010, Mme Myles a écrit à la plaignante pour l’aviser qu’elle devait répondre au plus tard le 29 janvier 2010 à la lettre du 8 janvier, à défaut de quoi son dossier serait fermé. Mme Myles l’a informée de son droit de se représenter elle-même si son dossier était fermé.

17 Le 24 janvier 2010, la plaignante a répondu qu’elle maintenait sa position au sujet de ses griefs et qu’elle refusait de tenir des dicussions avec le défendeur pour les régler. Le 27 janvier 2010, Mme Myles a écrit à la plaignante pour l’informer que son dossier chez le défendeur serait fermé. Les raisons invoquées étaient que la plaignante refusait d’autoriser le défendeur à tenter de régler les griefs, qu’elle persistait à communiquer directement avec l’employeur (comme le montrait sa correspondance du 10 décembre 2009) et qu’elle faisait peu ou pas confiance au défendeur. Mme Myles a également informé la plaignante de son droit de se représenter elle-même relativement au grief de licenciement.

18 Le 28 janvier 2010, la plaignante a demandé au défendeur de tenir une audition de ses griefs. Le défendeur n’a pas répondu à sa demande. Le 17 septembre 2010, elle a demandé au défendeur de la représenter à l’audition du grief; il a refusé.

19 Le 24 janvier 2010, la plaignante a demandé une copie de son dossier tenu par le défendeur, conformément à la « Politique no 25 de l’Élément national ». Le défendeur a refusé.

20 Le 23 avril 2010, la plaignante a déposé une plainte à la CRTFP, puis une seconde le 27 avril 2010. Comme il a été indiqué, les deux plaintes ont été combinées parce qu’elles concernaient les même événements. Dans sa plainte, la plaignante a allégué que :

  • le défendeur avait refusé de continuer à la représenter relativement à ses griefs contre l’employeur;
  • le défendeur avait menacé de [traduction] « porter son nom sur la liste noire de manière qu’elle ne puisse plus jamais travailler » si elle ne démissionnait pas de son poste;
  • le défendeur n’avait pas enquêté sur ses griefs.

21 Dans sa plainte, la plaignante a affirmé que le défendeur n’avait pas écouté les enregistréments relativement à son différend avec l’employeur et que, [traduction] « partant, il n’avait pas enquêté à fond sur la situation ».

22 Dans sa réfutation des arguments du défendeur, la plaignante a fourni d’autres précisions sur les prétendues menaces du défendeur :

[Traduction]

[…] Le syndicat m’a intimidée en me disant que chaque fois qu’un employeur potentiel téléphonerait aux OES, on lui dirait que j’ai été congédiée; cette tare me suivrait le reste de ma vie professionnelle et personnelle. C’est ce qu’on appelle une liste noire et du chantage.

[…]

23 De plus, dans sa réfutation des arguments du défendeur, la plaignante a allégué que les griefs déposés en son nom par le syndicat (à l’exception du grief contestant son licenciement) étaient hors du délai établi dans la convention collective. Elle a également indiqué que l’employeur avait accepté d’entendre ses griefs en octobre 2010. 

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour la plaignante

24 Dans ses plaintes, la plaignante a allégué que le défendeur avait manqué à son devoir de représentation équitable (énoncé à l’article 187 de la LRTFP) en fermant son dossier, en refusant de la représenter, en menaçant de porter son nom sur la liste noire, en essayant de l’intimider pour qu’elle démissionne et en refusant d’enquêter à fond sur les problèmes ayant mené à son licenciement. Elle a également prétendu que le défendeur ne lui avait pas remis copie de son dossier de grief.

B. Pour le défendeur

25 Le défendeur a nié avoir menacé la plaignante ou tenté de l’intimider. À maintes reprises, la plaignante a été informée qu’à titre de fonctionnaire nommée pour une période déterminée, ses droits relativement à tout grief se rapportant à son licenciement seraient limités. Les plaintes ne contenaient pas de nouveaux renseignements qui auraient justifié que le défendeur modifie sa ligne de conduite relativement au grief.

26 Le défendeur a argué que la plaignante n’avait pas produit de preuve prima facie pour établir une violation de l’article 187 de la LRTFP

27 Le défendeur a aussi fait valoir qu’un agent négociateur jouit d’une assez grande latitude en vue de décider s’il représente ou non un membre de l’unité de négociation dans la procédure de grief et de quelle façon le représenter, dans la mesure où il ne le fait pas de manière arbitraire ou discriminatoire ou de mauvaise foi. Les paramètres du devoir de représentation équitable de l’agent négociateur ont été définis par la Cour suprême du Canada dans Guilde de la marine marchande du Canada c. Gagnon et al., [1984] 1 R.C.S. 509. La Cour a statué qu’un agent négociateur s’est acquitté comme il se doit de son devoir s’il démontre qu’il a examiné les circonstances du grief, qu’il en a apprécié le bien-fondé et qu’il a pris une décision éclairée à savoir s’il donne suite ou non au grief. La décision Kowallsky c. Alliance de la Fonction publique du Canada et al., 2007 CRTFP 30 (confirmée par 2008 CAF 183) a également été citée. Concernant les présentes plaintes, le défendeur a indiqué qu’après un examen attentif du dossier, il a fourni une explication détaillée à la plaignante pour justifier sa décision de ne plus la représenter. Le défendeur a représenté la plaignante en tout temps de manière objective et de bonne foi, avec honnêteté, intégrité et compétence et sans hostilité.

28 Le défendeur a argué que la plaignante avait refusé de suivre ses conseils et ses directives et qu’elle avait décidé de se représenter elle-même devant l’employeur. La plaignante a également indiqué par écrit qu’elle ne faisait pas confiance au défendeur, ce qu’elle a démontré en enregistrant toutes les conversations avec ses représentants. Sa conduite a fait en sorte qu’il était pratiquement impossible pour le défendeur de la représenter. La décision de ne plus la représenter n’a pas été prise à la légère. Le défendeur a maintes fois tenté d’obtenir la collaboration de la plaignante. C’est seulement après qu’elle a refusé de suivre ses conseils que le défendeur a cessé de la représenter. Dans Ouellet c. Luce St-Georges et Alliance de la Fonction publique du Canada, 2009 CRTFP 107 (au paragraphe 32), la Commission a statué qu’un fonctionnaire s’estimant lésé doit prendre les mesures nécessaires pour protéger ses intérêts et qu’il doit collaborer avec son agent négociateur en lui fournissant les renseignements requis et en suivant ses conseils. S’il ne s’acquitte pas de ces obligations, il court le risque que sa plainte soit rejetée.

29 Le défendeur a soutenu que le droit d’un fonctionnaire d’être représenté par son agent négociateur n’est pas absolu et que le fonctionnaire ne peut pas dicter dans quelle mesure ou de quelle manière la représentation est offerte. Dans Ouellet, la Commission a reconnu que le droit à la représentation n’est pas absolu et que, à la lumière des positions diamétralement opposées des parties sur le grief, le défendeur n’avait pas dans ce cas manqué à son devoir de représentation équitable lorsqu’il a cessé sa représentation.

30 Le défendeur a également fait valoir que les plaintes étaient hors délai. Les questions soulevées dans les plaintes remontaient à août 2009, lorsque les griefs ont été déposés, et à l’automne de 2009. À ce moment-là, la plaignante a indiqué qu’elle ne faisait pas confiance au défendeur et qu’elle avait commencé à enregistrer les conversations téléphoniques. La présente plainte a clairement été déposée après le délai de 90 jours fixé au paragraphe 190(2) de la LRTFP. La plaignante était au courant des faits donnant lieu à ses plaintes, mais elle n’a rien fait pour faire valoir ses droits. Les plaintes déposées après le délai prescrit devraient être rejetées sans être tranchées au fond : Panula c. Agence du revenu du Canada et Bannon, 2008 CRTFP 4.

C. Réplique de la plaignante

31 La plaignante a soumis une réplique détaillée ainsi que des documents se rapportant aux plaintes et, de façon générale, à ses différends avec l’employeur. J’ai résumé seulement les parties des arguments qui se rattachent à la plainte contre le défendeur. La plaignante a également fourni des rapports médicaux relativement au différend avec l’employeur. Les rapports médicaux, qui contiennent des renseignements médicaux personnels, n’ont aucun rapport avec la plainte. C’est pourquoi j’ai ordonné la mise sous scellé des documents contenant des renseignements médicaux.

32 La plaignante a prétendu dans ses arguments que le défendeur n’avait pas respecté le délai de présentation de ses griefs (à l’exception du grief contestant son licenciement). Elle a allégué que le défendeur cherchait un prétexte pour fermer les dossiers parce qu’il n’avait pas déposé les griefs dans les délais fixés.

33 La plaignante a affirmé que le défendeur n’avait pas enquêté adéquatement sur ses griefs et n’avait pas écouté les enregistrements de ses conversations avec les représentants de l’employeur et d’autres. À son avis, cela dénotait de la mauvaise foi et une conduite arbitraire et discriminatoire.

34 La plaignante a soutenu avoir toujours coopéré avec le défendeur.  

35 La plaignante a avancé que le défendeur avait accepté de la représenter, à la seule condition qu’elle démissione, ce qui selon elle était de la mauvaise foi. Elle a soutenu que le défendeur l’avait l’intimidée en lui disant que, chaque fois qu’un employeur potentiel téléphonerait à son employeur, on lui dirait qu’elle avait été congédiée, ce qui entacherait son dossier professionnel et personnel pour le reste de sa vie. À son avis, ces gestes ressortiraient [traduction] « à une liste noire et au chantage ».

36 La plaignante a affirmé que le refus du défendeur de lui fournir une copie de son dossier était de la mauvaise foi et une conduite arbitraire et discriminatoire.

37 La plaignante a soutenu que le défendeur avait décidé de fermer son dossier avant même qu’elle ait envoyé une réponse.

38 La plaignante a affirmé qu’elle avait déposé ses plaintes contre le défendeur dans le délai prescrit de 90 jours.     

D. Réplique du défendeur

39 Le défendeur a déclaré avoir déposé tous les griefs dans les délais prévus.

IV. Motifs

40 Le défendeur a soulevé les deux questions suivantes : le dépôt des plaintes hors des délais fixés et le défaut de la plaignante d’établir par une preuve prima facie le manquement au devoir de représentation équitable (article 187 de la LRTFP). 

41 Le 27 janvier 2010, le défendeur a décidé en définitive de ne plus représenter la plaignante. Les plaintes ont été déposées les 23 et 26 avril 2010 respectivement. Même si la plaignante avait fait part, avant le 27 janvier 2010, de ses réserves au sujet de sa représentation, en l’espèce, il faut retenir la date de la décision définitive du défendeur pour établir le délai de présentation d’une plainte en vertu de la LRTFP. Donc, je conclus que la plainte a été présentée dans le délai prescrit.

42 Selon l’une des allégations de la plaignante, le défendeur ne lui a pas remis les dossiers de grief en sa possession. Cette allégation ne faisait pas partie de sa plainte initiale ou modifiée; elle est donc hors délai. 

43 Dans ses arguments, la plaignante a reproché au défendeur de ne pas avoir déposé ses griefs dans le délai établi dans la convention collective, ce qu’elle n’avait pas fait dans sa plainte initiale ou modifiée. Il s’ensuit que cette allégation est hors délai et je ne peux l’examiner. Je note toutefois que la plaignante a affirmé que l’employeur avait examiné ses griefs et qu’il n’existe aucune preuve qu’il a soulevé une objection pour le non-respect du délai de présentation.  

44 Avant de se pencher sur les allégations dans la plainte, il convient de souligner que pour évaluer le bien-fondé d’une plainte de pratique déloyale de travail, il n’est pas nécessaire d’examiner sur le fond les griefs de la plaignante. Pour ce qui est du devoir de représentation équitable, il suffit de déterminer si la décision du défendeur de ne pas représenter la plaignante a été prise de mauvaise foi ou de manière arbitraire ou discriminatoire. 

45 La plaignante estime que le défendeur aurait dû la représenter. Elle se plaint également que le défendeur a essayé de l’intimider ou de la contraindre en vue de parvenir à un règlement. Pour les motifs exposés ci-après, j’ai conclu que la plaignante n’a pas démontré à première vue une violation de la LRTFP. Autrement dit, même si tous les faits allégués étaient avérés, il n’y aurait aucun motif de conclure que le défendeur a agi de mauvaise foi ou de manière arbitraire ou discriminatoire.

46 Le droit à la représentation d’un agent négociateur n’est pas absolu. Comme il est indiqué dans Halfacree :  

[…]

17. La défenderesse, en tant qu’agent négociateur, a le droit de refuser de représenter un membre, et une plainte devant la Commission n’est pas un mécanisme d’appel contre un tel refus. La Commission ne va pas remettre en question la décision de l’agent négociateur. Le rôle de la Commission est de statuer sur le processus décisionnel de l’agent négociateur et non sur le bien-fondé de sa décision.

[…]

47 Il suffit pour l’agent négociateur de démontrer qu’il a examiné les circonstances du grief, qu’il en a apprécié le bien-fondé et qu’il a pris une décision éclairée à savoir s’il donne suite ou non au grief (Guilde de la marine marchande du Canada). De plus, le fonctionnaire s’estimant lésé doit collaborer avec son agent négociateur et suivre ses conseils (Ouellet). Il doit aussi s’assurer que touts les arguments soumis à l’employeur relativement au grief sont acheminés soit par le représentant de l’agent négociateur, soit par le fonctionnaire s’estimant lésé après en avoir avisé l’agent négociateur. L’agent négociateur n’est pas obligé d’agir comme s’il était le conseiller juridique du plaignant : Grant c. British Columbia Labour Relations Board, 2008 BCSC 1576; confirmée par 2010 BCCA 246; autorisation de pourvoi à la CSC refusée (4 novembre 2010).   

48 Le défendeur a fait des efforts suffisants pour obtenir de l’information de la plaignante au sujet de ses griefs et il lui a donné l’occasion de fournir des renseignements complémentaires. Il lui a également offert la possibilité, à plusieurs reprises, de convenir du plan d’action proposé, à la fois éclairé et fondé sur une évaluation objective du dossier. La plaignante a refusé de suivre ces conseils. La conclusion du défendeur que le règlement du grief de licenciement représentait la meilleure solution pour la plaignante n’était pas déraisonnable en l’espèce. Le défendeur a réexaminé son intention de fermer les dossiers de grief après que la plaignante a parlé au président de l’Élément national. Ces gestes du défendeur ne dénotent pas un manque d’ouverture d’esprit de la part de ses représentants ni une conduite arbitraire ou discriminatoire.

49 Le défendeur a enjoint à la plaignante de ne pas correspondre directement avec l’employeur à propos de ses griefs. Elle a refusé de se conformer à cette directive. Ce n’est pas agir de mauvaise foi ou de manière arbitraire ou discriminatoire que d’insister qu’un fonctionnaire s’estimant lésé ne traite pas directement avec l’employeur au sujet de griefs particuliers.  

50 Le défendeur nie que ses représentants aient menacé la plaignante ou qu’il ait tenté de l’intimider de quelle que façon que ce soit. Je dois évaluer la plainte selon le critère de l’apparence de droit, ce qui me porte à conclure que les propos du défendeur sont véridiques. Les présumés propos du défendeur ne constituent pas une violation de l’article 187 de la LRTFP. Dans les causes de discipline, le fonctionnaire s’estimant lésé a le droit de poursuivre un grief de son propre chef, de sorte que la décision de l’agent négociateur de ne pas le représenter ne peut être considérée comme de l’intimidation. La déclaration qu’aurait faite le défendeur n’est pas une menace mais une observation honnête et franche quant aux conséquences possibles de l’impossibilité de parvenir à un règlement. Cette déclaration ne peut pas être considérée comme ayant été faite de manière arbitraire ou discriminatoire ou de mauvaise foi.

51 La plaignante a prétendu que le défendeur n’avait pas pleinement enquêté sur les événements qui ont mené au différend avec l’employeur. Dans la plainte, elle a fait un lien direct avec le refus du défendeur d’écouter les conversations qu’elle avait enregistrées. Un agent négociateur n’est pas tenu d’enquêter sur un grief suivant les instructions reçues du fonctionnaire s’estimant lésé. L’agent négociateur peut procéder à une enquête comme bon lui semble, dans la mesure où l’enquête n’est pas arbitraire ou discriminatoire ou de mauvaise foi. En l’espèce, le défendeur a discuté du grief directement avec la plaignante et il n’a pas enquêté de manière arbitraire ou discriminatoire ou de mauvaise foi.

52 Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

V. Ordonnance

53 Les plaintes (dossiers de la CRTFP 561-24-454 et 561-24-455) sont rejetées.

Le 7 décembre 2010.

Traduction de la CRTFP

Ian R. Mackenzie,
vice-président

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.