Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le demandeur avait présenté un grief pour contester le non-renouvellement de son emploi pour une durée déterminée - l’employeur a objecté que le grief individuel était hors délai - le président a conclu que le grief était hors délai - il a également conclu que le retard n’était pas excessif dans les circonstances, que la prorogation du délai ne causerait pas un préjudice à l’employeur et que le grief n’était pas entièrement dénué de fondement - cependant, le demandeur n’avait pas avancé de raisons convaincantes pour justifier le retard ni n’avait agi avec la diligence requise. Demande rejetée.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2010-11-04
  • Dossier:  568-34-204 XR: 566-34-3218
  • Référence:  2010 CRTFP 117

Devant le président


ENTRE

JEAN-MICHEL SALAIN

demandeur

et

AGENCE DU REVENU DU CANADA

défenderesse

Répertorié
Salain c. Agence du revenu du Canada

Affaire concernant une demande visant la prorogation d'un délai visée à l'alinéa 61b) du Règlement de la Commission des relations de travail dans la fonction publique

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Ian R. Mackenzie, vice-président

Pour le demandeur:
Lui-même

Pour la défenderesse:
Stephan Bertrand, avocat

Affaire entendue à Toronto (Ontario),
les 22 et 23 septembre 2010.
(Traduction de la CRTFP)

I. Demande devant le président

1 Jean-Michel Salain (le « demandeur ») a déposé un grief le 23 octobre 2008 afin de contester la fin de son emploi pour une période déterminée à l’Agence du revenu du Canada (la « défenderesse » ou l’« ARC »). La défenderesse s’est opposée au renvoi à l’arbitrage du grief au motif qu’il était hors délai. M. Salain a soumis que le grief avait été déposé à temps et, subsidiairement, a demandé une prorogation du délai en vue du dépôt d’un grief.

2 En vertu de l’article 45 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (LRTFP), édictée par l’article 2 de la Loi sur la modernisation de la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, le président m’a autorisé, en ma qualité de vice-président, à exercer tous ses pouvoirs ou à m’acquitter de toutes ses fonctions en application de l’alinéa 61b) du Règlement de la Commission des relations de travail dans la fonction publique, pour entendre et trancher toute question de prorogation de délai en l’espèce.

II. Questions de procédure

3 La défenderesse a également soulevé des objections à la compétence d’un arbitre de grief d’entendre les mérites du grief. La tenue d’une audience pour entendre ces objections a été reportée en attendant la détermination du respect du délai et l’examen de la demande de prorogation. À l’audience, la défenderesse a aussi demandé que je statue sur la compétence d’un arbitre de grief d’entendre les mérites du grief (fin de l’emploi pour une période déterminée). Étant donné que le demandeur n’a pas été avisé que cette objection serait examinée à l’audience, j’ai décliné de statuer sur elle. De plus, je n’ai pas été nommé arbitre de grief pour entendre le grief.

4 À l’audience, M. Salain a soulevé des allégations supplémentaires entourant son grief, à savoir que la défenderesse s’était livrée à de la discrimination à son encontre pour cause d’invalidité et qu’elle n’avait pas pris les mesures d’adaptation nécessaires. La défenderesse s’est opposée à l’ajout de nouveaux motifs au grief. J’ai réservé ma décision à propos de cette objection, sur laquelle je me pencherai dans les motifs de la présente décision.

5 Durant la partie de l’audience réservée à la présentation des preuves et une fois que M. Salain avait exposé son argumentation, je lui ai indiqué clairement qu’il s’agissait de l’occasion pour lui de me présenter tous les faits, y compris tous les documents sur lesquels il souhaitait s’appuyer. Lorsqu’il a présenté ses arguments, M. Salain a tenté d’introduire un document qui, d’après lui, était pertinent. J’ai statué qu’il ne pouvait pas présenter ce document puisque la partie de l’audience réservée à la preuve était terminée.

III. Résumé de la preuve

6 M. Salain était employé dans le groupe Gestion des systèmes d’ordinateurs (CS) au niveau CS-01 pour une période déterminée, qui a commencé le 1er février 2005 (pièce E-2). Il était employé par le bureau de services de l’ARC à Mississauga, en Ontario, en tant qu’analyste technique, Technologie de l’information (TI). La fin de sa période d’emploi pour une période déterminée était fixée au 20 janvier 2006. La lettre d’offre qui lui avait été fournie (pièce E-2) renfermait l’affirmation suivante (incluse dans toutes les lettres d’offre de ce genre : [traduction] « La présente lettre ne devrait aucunement être interprétée comme une offre d’emploi permanent, et vous ne devez aucunement prévoir obtenir un emploi continu […] à la suite de cette offre. » Le 30 décembre 2005, son emploi pour une durée déterminée a été prolongé jusqu’au 31 mars 2007 (pièce E-3). Le 9 février 2007, son emploi a été prolongé jusqu’au 31 mars 2008 (pièce E-4).

7 Carol Webster est directrice adjointe, Technologie de l’information, Services régionaux, ARC. Elle était la gestionnaire responsable de la dotation et avait signé les prolongations des périodes d’emploi pour une durée déterminée. Durant le contre-interrogatoire, elle a témoigné qu’elle était préoccupée par le taux d’absentéisme du demandeur en 2007. En réinterrogatoire, elle a déclaré qu’elle voyait son taux d’absentéisme comme un problème de rendement et non pas comme de l’inconduite.

8 En 2008, M. Salain a demandé à son représentant de l’Institut professionnel de la fonction publique du Canada (l’« agent négociateur ») de l’aider à obtenir une mutation latérale temporaire du bureau de services (l’« organisation d’attache ») à un autre endroit (l’« organisation d’accueil »). Il a accepté une mutation latérale à Hamilton, en Ontario (pièce E-5). Initialement, la mutation latérale devait durer jusqu’au 27 juin 2008, mais elle a été prolongée au 26 septembre 2008 (pièce E-6). Dans la lettre qui annonçait la prolongation de la mutation latérale temporaire (pièce E-7), il y avait l’affirmation suivante : [traduction] « À la fin de la période indiquée de votre mutation latérale temporaire, vous retournerez à votre poste actuel […] au sein de l’organisation d’attache. »

9 Mme Webster a signé la lettre concernant la mutation latérale temporaire au nom de l’organisation d’attache (pièce E-7). Elle a déclaré, lors de son témoignage, que la lettre était un modèle et que les gestionnaires n’étaient « pas autorisés » à modifier les modèles en réponse aux circonstances particulières d’un employé. Linda Campbell est directrice adjointe, Technologie de l’information, Zone 2, à l’ARC. Elle a signé la lettre concernant la mutation latérale temporaire au nom de l’organisation d’accueil.

10 Mme Campbell a témoigné qu’elle ne pouvait garder M. Salain à Hamilton au-delà du 26 septembre 2008, car il n’y avait aucun poste vacant à cet endroit. Il y avait un poste vacant à Fort Erie, en Ontario. Elle a témoigné qu’elle avait eu des discussions à propos de la situation de M. Salain avec le représentant de son agent négociateur.

11 Le 5 septembre 2008, Mme Campbell a offert à M. Salain une mutation latérale temporaire à Fort Erie. Cette mutation latérale temporaire devait être accompagnée d’une prolongation de trois mois de son emploi pour une période déterminée (jusqu’au  2 janvier 2009). M. Salain a demandé la fin de semaine pour y réfléchir. Le 8 septembre 2008, M. Salain a refusé la mutation latérale. Il a déclaré que la nécessité de voyager deux heures chaque jour dans les deux sens entre son domicile et le lieu de travail n’était pas pratique. Mme Campbell a témoigné que si la mutation suscitait des préoccupations chez M. Salain, c’était à cause de l’obligation de voyager ainsi pour se rendre au travail.

12 Mme Campbell a envoyé un courriel au représentant de l’agent négociateur de M. Salain le 9 septembre 2008 (pièce E-9) pour l’informer que M. Salain n’était pas en mesure d’accepter le poste à Fort Erie. Elle a déclaré dans son message que, par conséquent, son emploi pour une durée déterminée se terminerait le 26 septembre 2008.

13 M. Salain a témoigné qu’il espérait que la défenderesse reconsidérerait sa décision de ne pas prolonger sa période d’emploi pour une durée déterminée. Il a également eu des discussions avec le représentant de son agent négociateur durant la période allant du 8 septembre jusqu’à la fin de sa période d’emploi, le 26 septembre 2008. Mme Webster a témoigné qu’elle s’est souvenue avoir eu des discussions avec le représentant de l’agent négociateur, mais ne pouvait confirmer les dates de ces conversations.

14 M. Salain a témoigné que la direction lui avait dit qu’il n’y aurait plus de prolongations de son emploi pour une durée déterminée et que la dernière prolongation était « finale ». Il n’était pas clair dans la preuve fournie à quel moment il en a été informé.

15 Mme Webster et Mme Campbell ont déclaré, durant leurs témoignages, que M. Salain n’avait jamais fait des allégations de mauvaise foi avant de déposer son grief. Elles n’avaient conscience d’aucune inconduite de la part de M. Salain. Mme Webster a déclaré qu’elle n’avait pas eu l’intention de le discipliner.

16 Une fois son emploi terminé, M. Salain a communiqué avec un certain nombre d’organismes gouvernementaux au niveau provincial avant de se mettre en rapport avec la Commission des relations de travail dans la fonction publique (CRTFP) pour savoir quelles étaient ses options. Il a indiqué que quelqu’un à la CRTFP lui avait parlé de la possibilité de déposer un grief.

17 M. Salain a déposé un grief le 22 octobre 2008 (que la défenderesse a reçu le 23 octobre 2008). Le grief se lit comme suit :

[Traduction]

Je conteste la fin de mon emploi. L’employeur ne m’a pas permis de retourner à mon organisation d’attache au moment de la conclusion d’une mutation latérale temporaire. Ils ont refusé de prolonger mon contrat d’emploi pour une période déterminée à moins que j’accepte une période d’emploi finale à Fort Erie, un endroit situé loin de mon domicile et de mon organisation d’attache. Il est clair, si l’on se fie aux commentaires faits par le gestionnaire dont je relevais dans l’organisation d’attache, que les mesures prises par l’employeur étaient à caractère disciplinaire. Ou bien mon licenciement était une mesure disciplinaire camouflée et résultait d’une décision prise de mauvaise foi.

À titre de mesure de redressement, M. Salain a demandé qu’il soit rétabli au sein de son organisation d’attache (ou réaffecté à un autre lieu de travail approprié) pour y occuper un emploi de durée déterminée ou indéterminée. De plus, il a demandé à être indemnisé pour la perte de salaire et d’avantages sociaux.

18 La convention collective n’a pas été présentée en tant que pièce. Il n’y a aucun désaccord entre les parties que le délai de dépôt d’un grief est de 25 jours ouvrables à compter de la date à laquelle l’employé prend conscience de l’action donnant lieu au grief.

19 Le 5 novembre 2008, la défenderesse a écrit à M. Salain pour l’informer que le grief n’était pas recevable parce qu’il n’était plus un employé de l’ARC quand il l’avait déposé. Elle l’a informé par ailleurs que le grief avait été présenté au-delà du délai fixé dans la convention collective.

20 La défenderesse a fourni une décision concernant le grief au troisième et au dernier paliers de la procédure de règlement des griefs. Dans la décision au troisième palier (2 juin 2009), la défenderesse a soulevé le respect du délai de présentation du grief (et a répondu aux mérites de celui-ci). Dans la décision au dernier palier (26 août 2009), la défenderesse a de nouveau soulevé le délai de présentation du grief et s’est de nouveau penchée sur les mérites de celui-ci.

21 Le 21 août 2009, M. Salain s’est plaint de la conduite discriminatoire de l’ARC auprès de la Commission canadienne des droits de la personne (CCDP). La CCDP a résumé sa plainte comme suit (pièce G-1) : [traduction] « Le plaignant allègue qu’il a été victime de discrimination à cause de son invalidité, comme en témoigne son licenciement. »

22 La CCDP a déclaré qu’elle n’accepterait pas la plainte du demandeur à ce moment-là, puisqu’il pouvait se prévaloir d’un recours en vertu de la LRTFP. Elle a aussi déclaré que si, après avoir épuisé tous les recours prévus par la LRTFP, il estimait qu’il n’avait pas obtenu satisfaction en réponse à ses allégations de discrimination, il pourrait communiquer avec la CCDP pour déposer une plainte.

23 M. Salain a renvoyé son grief à l’arbitrage le 19 octobre 2009. Il l’a fait en vertu de l’alinéa 209(1)b) de la LRTFP, tout en alléguant que la mesure prise par la défenderesse était « […] une mesure disciplinaire entraînant le licenciement, la rétrogradation, la suspension ou une sanction pécuniaire ».

24 Le 28 février 2010, M. Salain a envoyé un courriel à Mme Campbell (pièce E-10), dans lequel il écrivait ce qui suit :

[Traduction]

[…]

Il est nécessaire pour moi de confirmer la date à laquelle j’ai signé ma décision définitive de refuser le contrat de trois mois à Fort Erie en septembre 2008. Je pense que c’était le 9 septembre, mais j’espère que c’était après cela.

Avec le recul, je sais maintenant que mon syndicat ne m’a pas bien conseillé sur la marche évidente à suivre et, par conséquent, j’examine la situation sous tous ses angles pour ce qui est du moment que j’ai choisi pour déposer un grief. C’est uniquement la Commission des relations de travail dans la fonction publique qui m’a conseillé de le faire après que je l’ai contactée en suivant les conseils d’un ami!

[…]

IV. Résumé de l’argumentation

25 Les parties ont présenté des arguments écrits initiaux au sujet du respect du délai de présentation, et M. Salain a fourni un résumé écrit de ses arguments à l’audience. J’ai inclus un résumé de ces arguments ainsi que des arguments faits de vive voix à l’audience.

A. Pour la défenderesse

26 La défenderesse a déclaré que le grief était clairement hors délai. L’événement qui faisait l’objet du grief était la prolongation de la période d’emploi pour une période déterminée à Fort Erie, le 5 ou le 8 septembre 2008. L’« espoir » qu’avait le demandeur que la défenderesse lui ferait une nouvelle offre après le 8 septembre ne change pas la date à laquelle il était conscient de l’intention de la défenderesse. Il n’y a aucune indication qu’il y a eu d’autres discussions après le 9 septembre 2008.

27 La défenderesse a affirmé que les critères pertinents concernant l’octroi d’une prorogation de délai se présentent comme suit (tels qu’énoncés dans Grouchy c. Administrateur général (ministère des Pêches et des Océans), 2009 CRTFP 92, au paragr. 44) :

[…]

a) le retard est justifié par des raisons claires, logiques et convaincantes;

b) la durée du retard;

c) la diligence raisonnable du demandeur;

d) l’équilibre entre l’injustice causée au demandeur et le préjudice que subit l’employeur si la prorogation est accordée;

e) les chances de succès du grief.

Chaque critère est apprécié en fonction du contexte factuel de chaque cas. Il arrive qu’un ou plusieurs critères ne s’appliquent pas ou qu’il y en ait seulement un ou deux qui pèsent dans la balance. La défenderesse a fait valoir qu’en l’espèce, il y aurait lieu d’accorder le plus de poids au dernier critère — les chances de succès du grief.

28 La défenderesse a également fait valoir que la prorogation d’un délai devrait être l’exception et non pas la règle et devrait se faire uniquement « […] après que l’auteur de la décision a procédé à une évaluation prudente et rigoureuse des circonstances […] » (Grouchy, au paragraphe 46).

29 La défenderesse a déclaré que le grief ne relevait pas de la compétence d’un arbitre de grief parce qu’il n’était pas visé à l’alinéa 209(1)b) de la LRTFP. La décision de la défenderesse de ne pas renouveler un contrat d’emploi pour une durée déterminée n’était pas disciplinaire et n’a pas abouti à un licenciement ni à une sanction pécuniaire. On m’a renvoyé à Savic c. Agence canadienne d’inspection des aliments, 2001 CRTFP 104; Zhou c. Conseil national de recherches du Canada,2008 CRTFP 51; Pieters c. Conseil du Trésor (Cour fédérale du Canada), 2001 CRTFP 100 (confirmée par 2004 CF 342); Wong c. Administrateur général (Service canadien du renseignement de sécurité), 2010 CRTFP 18. Le grief doit être renvoyé en bonne et due forme avant qu’un arbitre de grief puisse en assumer la compétence : Brown c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2009 CRTFP 127. La Loi sur l’Agence du revenu du Canada, L.C. 1999, ch. 17, accorde également à la défenderesse le pouvoir unique en matière de dotation. M. Salain demande, comme l’une des mesures de redressement, son rétablissement dans un poste à l’ARC. Selon la défenderesse, cette question est clairement en dehors des limites de la compétence d’un arbitre de grief, puisqu’il s’agit d’une mesure de dotation.

30 La défenderesse a fait valoir que ce grief ne concerne pas de la discipline. Le témoignage n’a révélé aucune allégation d’inconduite qui aurait justifié une mesure disciplinaire. La défenderesse n’envisageait pas de prendre une quelconque mesure disciplinaire. La préoccupation exprimée au sujet des absences était une question de rendement et non pas une question disciplinaire. Même s’il y avait une quelconque indication concernant de la discipline, il n’y a pas eu de licenciement, de la retrogradation ni de sanction pécuniaire comme l’exige l’alinéa 209(1)b) de la LRTFP. La période d’emploi du demandeur a pris fin; il n’a pas été licencié.

31 De plus, selon la défenderesse, les allégations faites par M. Salain à l’audience n’étaient pas appuyées par le libellé de son grief et si l’on acceptait les changements apportés par le demandeur, cela aurait pour effet de modifier son grief, ce qui est contraire à Burchill c. Procureur général du Canada, [1981] 1 C.F. 109 (C.A.).

B. Pour le demandeur

32 Le demandeur a fait valoir qu’il y avait des motifs clairs et convaincants justifiant le délai. Des négociations ont eu lieu après le 9 septembre 2008 entre la défenderesse et son agent négociateur. À la fin de son emploi pour une durée déterminée, il n’avait [traduction] « plus aucun espoir ». Il était réaliste pour lui de s’attendre à recevoir des nouvelles de la défenderesse après qu’elle avait eu des discussions avec son agent négociateur. Aussi longtemps qu’on pouvait espérer un règlement de la situation, le dépôt d’un grief ne semblait pas approprié.

33 Le demandeur a indiqué que la longueur du délai n’était pas excessive. S’il avait accusé un délai, il l’avait fait de bonne foi. Il s’était fié à l’expertise de son agent négociateur. Il avait fait preuve de diligence pour déterminer ses droits. Il avait toujours eu l’intention de déposer un grief afin de contester son licenciement pour le motif qu’il s’agissait d’une mesure prise de mauvaise foi et de discipline camouflée.

34 Le demandeur a déclaré que l’injustice dont il avait été victime l’emportait sur le préjudice subi par la défenderesse. Les gestes posés par la défenderesse avaient eu pour effet de limiter son revenu, tandis que le préjudice subi par celle-ci était minime.

35 Le demandeur a fait valoir que la défenderesse avait été très prudente en évitant la perception de discipline, mais qu’en dépit de cela, ses actions étaient à caractère disciplinaire. Le demandeur a indiqué qu’il disposerait d’autres preuves si la prorogation du délai était accordée.

36 Le demandeur a indiqué qu’il avait été un employé à l’ARC pendant quatre ans et que l’ARC avait un besoin opérationnel d’employés. Il s’était attendu à ce qu’on renouvèle son emploi pour une période déterminée. Du fait que le renouvellement de sa période d’emploi avait été rendu impossible, la fin de son emploi constituait un licenciement peu naturel.

37 Le demandeur a fait valoir que son grief avait des bonnes chances de succès, ce qu’il serait en mesure de prouver à une date ultérieure, une fois qu’il était mieux préparé à une audience.

38 Le demandeur a indiqué que « les lois du pays » devraient l’emporter sur toutes les limites législatives à la compétence.

39 J’ai été renvoyé à Thompson c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada), 2007 CRTFP 59, et à Palmer c. Service canadien du renseignement de sécurité, 2006 CRTFP 9.

C. Réfutation de la défenderesse

40 La défenderesse a fait valoir que les deux cas sur lesquels s’appuyait le demandeur ne concernaient pas des employés engagés pour une période déterminée. Dans Thompson, le président a déclaré explicitement qu’il ne se pencherait pas sur les chances de succès du grief.

41 La défenderesse a précisé que c’était au demandeur qu’il incombait de montrer qu’il satisfaisait aux critères justifiant une prorogation. Il devait le faire à l’audience même et non pas à une audience qui se tiendrait plus tard.

V. Motifs

42 M. Salain a déposé un grief pour contester le fait que la défenderesse n’avait pas renouvelé son emploi pour une durée déterminée. La preuve révèle qu’il a été informé du fait que son emploi pour une période déterminée ne serait pas renouvelé le ou vers le 5 septembre 2008, quand on lui a offert une prolongation de trois mois de son emploi pour une durée déterminée sous la forme d’une mutation latérale temporaire à Fort Erie. C’est à ce moment-là qu’a commencé le délai fixé pour le dépôt d’un grief. Il a déposé son grief un peu plus de six jours après la fin de la limite de 25 jours. Par conséquent, le grief est hors délai.

43 Les cinq critères ci-dessous ont été reconnus par le président comme appropriés pour établir s’il y a lieu d’exercer son pouvoir discrétionnaire de prorogation de délais :

  • le retard est justifié par des raisons claires, logiques et convaincantes;

  • la durée du retard;

  • la diligence raisonnable du demandeur;

  • l’équilibre entre l’injustice causée à l’employé et le préjudice que subit la défenderesse si la prorogation est accordée;

  • les chances de succès du grief.

La défenderesse a présenté des arguments uniquement au sujet du dernier critère, soit les chances de succès du grief. Cependant, je dois quand même évaluer les autres critères.

44 Les limites de temps sont censées être respectées par les parties et devraient être prorogées uniquement dans des circonstances exceptionnelles. Ces circonstances dépendent toujours des faits entourant chaque cas.

45 M. Salain maintient qu’il avait un motif clair et convaincant justifiant le délai. La défenderesse n’a soumis aucun argument quant à la raison ou aux raisons du délai. La raison avancée par M. Salain est qu’il n’était pas conscient de son droit de présenter un grief avant de communiquer avec la CRTFP. Toutefois, M. Salain a communiqué avec son agent négociateur avant le 5 septembre 2008 et de nouveau par la suite. À ce moment-là, M. Salain explorait ce que son agent négociateur pouvait faire pour lui. Il y avait peu d’éléments de preuve concernant les discussions que M. Salain avait eues avec son agent négociateur. Or, il est clair qu’il avait accès à de la représentation et qu’il aurait dû poser des questions concernant son droit de présenter un grief. Contrairement à la situation dans Palmer, il n’y avait aucune preuve que M. Salain aurait reçu des conseils erronés de la part de son agent négociateur. Un autre motif fourni par M. Salain était qu’il espérait que sa situation serait réglée avant la fin de sa période d’emploi. Il ne s’agit pas d’un motif convaincant pour le délai. La tenue de discussions pour régler des questions ne justifie pas le dépôt hors délai des griefs. Une fois qu’il est déposé, un grief peut toujours être mis en suspens en attendant le résultat des discussions entre les parties. Je trouve que les raisons invoquées par M. Salain pour justifier son omission de soumettre un grief à temps ne sont ni logiques ni convaincantes.

46 Je conviens que la durée du délai n’est pas excessive.

47 La diligence raisonnable dont aurait fait preuve le demandeur n’a pas été démontrée. D’un côté, il a fourni des éléments de preuve montrant qu’il avait assuré le suivi auprès d’un certain nombre d’organismes gouvernementaux, y compris, en fin de compte, la CRTFP. D’un autre côté, il savait pertinemment qu’il était un employé syndiqué et qu’il avait accès à un agent négociateur. En fait, il avait eu recours aux services de représentation de son agent négociateur. S’il avait fait preuve de diligence et avait communiqué ses préoccupations à son agent négociateur, ce dernier aurait pu l’informer de ses droits en vertu de la convention collective. Selon moi, le demandeur n’a pas fait preuve de diligence.

48 La défenderesse ne subirait aucun préjudice si la prorogation était accordée. Par conséquent, je statue que toute injustice que serait causée au demandeur serait supérieure à tout préjudice subi par la défenderesse.

49 Traditionnellement, les chances de succès du grief n’ont pas constitué un facteur significatif au moment de l’évaluation des demandes de prorogation de délai. Généralement, c’est parce qu’il faut un nombre considérable d’éléments de preuve concernant les mérites de la demande pour en assurer le succès. En l’espèce, la question de succès du grief dépend de l’étendue de la compétence d’un arbitre de grief. Il existe un danger qu’en s’appuyant sur les critères concernant les chances de succès du grief, on trouvera simplement une autre façon de rejeter le grief en se fondant sur l’objection à la compétence soulevée par la défenderesse. Tel que mentionné, la présente audience porte strictement sur la prorogation du délai et non pas sur l’objection à la compétence soulevée dans le dossier du grief.

50 La compétence d’un arbitre de grief à l’égard de griefs qui ont trait à la fin d’une période d’emploi est limitée. Dans Zhou, l’arbitre de grief a noté que la jurisprudence de la CRTFP et de la Cour fédérale a établi « […] assez clairement que le non-renouvellement d’une nomination d’emploi pour une période déterminée ne constitue pas un licenciement » (au paragraphe 108). Dans Pieters, l’arbitre de grief a déclaré que les motifs pour lesquels l’employeur n’avait pas reconduit le contrat d’emploi n’étaient pas pertinents pour la détermination de la compétence de l’arbitre de grief (au paragraphe 46). Dans Zhou, l’arbitre de grief, de façon explicite, a statué qu’il n’était nullement nécessaire pour lui de décider s’il pouvait assumer la compétence si une décision de ne pas nommer une personne est prise de mauvaise foi. En effet, dans Zhou, il n’y avait aucune preuve pouvant justifier une décision qu’il y avait eu mauvaise foi. Il est important de noter que, contrairement à la situation ici, dans Zhou, la question de la compétence à l’égard de la décision de ne pas renouveler une nomination pour une durée déterminée était entièrement soumise à l’arbitre de grief.

51 À mon avis, les critères devant servir à établir les chances de succès du grief  sont problématiques. Comment le président peut-il se prononcer sur la probabilité de succès sans disposer de preuves claires et d’observations complètes? Les critères de détermination des chances de succès découlent d’une décision de la Cour d’appel fédérale (Frève c. Canada (Procureur général), 2001 CAF 98). Dans ce cas-là, la Cour a conclu ce qui suit, sans fournir d’autres détails :

[…]

[4] Rien au dossier n’indique que la présidente suppléante ait tenu compte de faits non pertinents. Elle a au contraire examiné les facteurs courants soit les chances sérieuses de succès du grief et les motifs invoqués par le demandeur pour justifier son retard.

[5] Il est clair de par les motifs de sa décision qu’elle n’était convaincue ni des chances sérieuses de succès du grief ni des raisons invoquées par le demandeur pour justifier son retard.

[…]

52 Il ressort clairement de la décision de la présidente suppléante examinée par la Cour (Frève c. Conseil du Trésor (Agriculture et Agroalimentaire Canada), dossiers de la CRTFP 149-02-217 et 166-02-28643 (19991006)), que la question faisant l’objet du grief était reliée à un grief qui avait déjà été tranché à l’arbitrage. La présidente suppléante a conclu que la question faisant l’objet du grief aurait dû avoir été exposée devant l’arbitre de grief qui avait entendu l’autre grief : « [l]es parties, les questions en litige et les objets étaient les mêmes que dans le présent grief […] » (à la page 6). Comme je l’ai écrit dans Schenkman c. Conseil du Trésor (Travaux publics et Services gouvernementaux Canada), 2004 CRTFP 1, en ce qui concerne les critères entourant les chances de succès  (au paragraphe 83) :

[83] […] Accepter cette affirmation à titre de principe général n’est pas sans comporter un certain risque. Il est difficile de déterminer si un grief a des chances « sérieuses » d’être accueilli sans entendre toute la preuve. Il conviendrait davantage de se demander si le grief n’a « aucune chance » d’être accueilli. Si, à première vue, le grief n’est pas du tout fondé, il peut s’agir d’un facteur à prendre en considération […]

53 Dans Frève, la question faisant l’objet du grief avait déjà été tranchée ou aurait pu avoir été tranchée par un arbitre de grief à une audience antérieure. Il s’agit là d’un exemple d’un grief qui n’a « aucune chance » d’être accueilli. En ce qui concerne la demande examinée ici, je ne puis affirmer que le grief est entièrement sans mérite. Par conséquent, je ne donne aucun poids à ce critère.

54 Pour ce qui est de l’appréciation des critères concernant la prorogation de délai, je conclus que le demandeur n’a pas fourni des raisons claires, logiques et convaincantes justifiant le délai et n’a pas fait preuve de diligence raisonnable. Par conséquent, une prorogation du délai n’est pas justifiée.

55 Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

VI. Ordonnance

56 Je déclare que le grief est hors délai.

57 La demande de prorogation de délai est rejetée.

58 J’ordonne la fermeture du dossier de la CRTFP 566-34-3218.

Le 4 novembre 2010.

Traduction de la CRTFP

Ian R. Mackenzie,
vice-président

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