Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Les fonctionnaires s’estimant lésés, des agents correctionnels, ont été disciplinés à la suite d’une enquête qui a établi qu’ils n’avaient pas administré la RCR à un détenu qui semblait avoir perdu connaissance dans sa cellule - les fonctionnaires s’estimant lésés ont déclaré qu’une certaine confusion entourait le traitement à administrer- les fonctionnaires s’estimant lésés n’étaient pas sûrs si l’infirmière qui avait découvert en premier le détenu inconscient était responsable de l’intervention - ils n’étaient pas sûrs non plus de la pertinence d’un ordre de non réanimation qui s’appliquait antérieurement au détenu - l’arbitre de grief a statué qu’en dépit de la confusion, la Directive du Commissaire exigeant que les personnes qui sont les premières à arriver sur les lieux administrent la RCR immédiatement était claire et qu’elle n’avait pas été suivie - les fonctionnaires s’estimant lésés n’avaient jamais fait l’objet d’une mesure disciplinaire et avaient des remords - le sous-directeur adjoint de l’établissement leur avait imposé ce qui, selon lui, était une sanction peu sévère - l’arbitre de grief a conclu que l’employeur avait seulement prouvé l’un des deux motifs mentionnés dans la lettre disciplinaire et, par conséquent, a réduit la sanction pécuniaire d’une journée de paye. Griefs accueillis en partie.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2010-11-22
  • Dossier:  566-02-3100 et 3101
  • Référence:  2010 CRTFP 123

Devant la Commission des relations
de travail dans la fonction publique


ENTRE

JOHN MAAS ET ED TURNER

fonctionnaires s'estimant lésés

et

ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL
(Service correctionnel du Canada)

défendeur

Répertorié
Maas et Turner c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada)

Affaire concernant des griefs individuels renvoyés à l'arbitrage

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Steven B. Katkin, arbitre de grief

Pour les fonctionnaires s'estimant lésés:
Sylvain Beauchamp, avocat

Pour le défendeur:
Karl Chemsi, avocat

Affaire entendue à Kingston (Ontario),
du 6 au 9 juillet 2010.
(Traduction de la CRTFP)

I. Griefs renvoyés à l'arbitrage

1 Le 29 mai 2009, John Maas et Ed Turner, les fonctionnaires s’estimant lésés (les « fonctionnaires »), qui occupaient tous deux à l’époque pertinente le poste d’agent correctionnel, classifié dans le groupe et au niveau CX-01, au Centre régional de traitement — région de l’Ontario (CRT), à Kingston (Ontario), ont déposé des griefs relativement à l’imposition d’une mesure disciplinaire, en l’occurrence une sanction pécuniaire équivalant à deux jours de rémunération. À titre de mesure correctrice, chaque fonctionnaire a demandé une déclaration indiquant que la mesure disciplinaire était nulle ab initio, le retrait de cette mesure, le remboursement des sommes exigibles et des autres droits découlant de la convention collective pertinente, ainsi que des dommages moraux et exemplaires applicables rétroactivement, avec les intérêts.

2 Les lettres disciplinaires, datées du 11 mai 2009 et signées par Brian Trainor, directeur adjoint par intérim, CRT, adressées à chaque fonctionnaire sont identiques et sont libellées en partie comme suit :

[Traduction]

Une enquête disciplinaire a été effectuée et une copie du rapport d’enquête vous a été communiquée. Compte tenu de l’information recueillie dans le cadre de l’enquête, une audience disciplinaire a eu lieu le 22 avril 2009.

En me basant sur l’information contenue dans le rapport d’enquête et obtenue dans le cadre de l’audience disciplinaire, j’ai conclu que vous avez contrevenu au Code de discipline du Service correctionnel du Canada en commettant les infractions suivantes visées au Code de discipline :

5f) refuse ou néglige d'exercer ses fonctions d'agent de la paix;

5g) néglige de respecter ou d'appliquer une Directive du commissaire, un ordre permanent ou une autre consigne, ou les dispositions d'un texte législatif ayant trait à ses fonctions ;

Selon les renseignements recueillis dans le cadre de l’enquête et de l’audience disciplinaire, vous êtes entré dans la cellule, le 15 décembre 2008, mais vous n’avez pas commencé sans délai à administrer la RCR ou à prodiguer les premiers soins, contrairement aux Directives du commissaire. Ces infractions constituent une inconduite grave aux termes du Code de discipline.

Vous avez admis que vous aviez agi de manière répréhensible et que vous ne récidiveriez pas.

Votre conduite dans la situation susmentionnée ne cadre pas avec les attentes qui existent à l’égard d’un fonctionnaire et d’un agent correctionnel employé par le Service correctionnel du Canada. La conduite des fonctionnaires doit pouvoir résister en tout temps à l’examen public le plus minutieux. Le comportement d’une personne, qu’elle soit de service ou non, doit faire honneur au Service correctionnel du Canada et à la fonction publique en général. Tous les employés doivent se comporter de façon à rehausser l’image de la profession, tant par leurs paroles que par leurs actes.

Cela dit, j’ai tenu compte de votre déclaration, qui indiquait que vous avez tiré des leçons de vos erreurs. Je note que vous n’avez pas de dossier disciplinaire antérieur.

Afin de souligner la gravité de votre inconduite et de vous motiver à corriger votre comportement, je vous impose une sanction pécuniaire de trois cent vingt dollars (320 $).

[…]

[Le passage en évidence l’est dans l’original]

3 Les griefs ont été renvoyés à l’arbitrage le 4 septembre 2009. Dans les renvois à l’arbitrage, les fonctionnaires ont indiqué que leurs griefs étaient visés à l’alinéa 209(1)b) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22 (la « Loi »). Cette disposition est libellée comme suit :

209.(1) Après l’avoir porté jusqu’au dernier palier de la procédure applicable sans avoir obtenu satisfaction, le fonctionnaire peut renvoyer à l’arbitrage tout grief individuel portant sur :

[…]

b) soit une mesure disciplinaire entraînant le licenciement, la rétrogradation, la suspension ou une sanction pécuniaire;

4 Peu de temps après cela, l’agent négociateur, le Syndicat des agents correctionnels du Canada — CSN, qui estimait que les griefs ne s’appliquaient pas aux mesures disciplinaires imposées aux fonctionnaires, a présenté une demande de prorogation du délai afin de déposer des griefs supplémentaires. L’employeur a refusé. Les fonctionnaires ont alors déposé de nouveaux griefs et demandé la prorogation du délai prescrit pour leur présentation.

5 Dans Seale et al. c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2010 CRTFP 21, la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la « Commission ») a ordonné que les griefs initiaux soient modifiés pour y inclure « la mesure disciplinaire imposée » à chaque fonctionnaire s’estimant lésé. Au paragraphe 16, l’arbitre de grief a observé ceci :

[…] Je dois noter que l’ordonnance modifiant les griefs n’est rendue que pour plus de certitude. Sans cette modification, l’arbitre de grief serait tout de même saisi correctement de la question des mesures disciplinaires dans le cadre d’une audience sur les griefs initiaux.

Il s’ensuit que je suis saisi correctement des mesures disciplinaires décrites dans les griefs.

II. Questions préliminaires

6 Le 30 juin 2010, l’avocat des fonctionnaires a présenté à la Commission une demande de communication de certains documents ayant trait aux personnes mêlées à l’incident en question. Comme certaines questions relatives à la demande de communication n’avaient pas encore été réglées le premier jour de l’audience, j’ai tenu une conférence préparatoire avec les avocats.

7 Parmi les documents demandés par l’avocat des fonctionnaires figuraient le rapport d’enquête non expurgé portant sur les deux infirmières qui avaient été mêlées à l’incident, ainsi que les lettres disciplinaires qu’elles avaient reçues. La raison de la demande de communication était que les diverses directives s’appliquant au CRT définissaient les interactions entre le personnel des services de santé et les autres membres du personnel.

8 L’avocat de l’employeur s’est opposé à la demande, au motif que les mesures disciplinaires qui pourraient avoir été infligées aux infirmières n’avaient rien à voir avec les mesures disciplinaires imposées aux fonctionnaires. Il a poursuivi en disant qu’il n’existait qu’un seul rapport d’enquête et que celui-ci s’appliquait aux fonctionnaires et aux deux infirmières.

9 En vertu de l’alinéa 8(2)c) de la Loi sur la protection des renseignements personnels, L.R.C. (1985), ch. P-21, j’ai ordonné la production du rapport d’enquête non expurgé, qui renferme les détails de l’intervention des deux infirmières en question, sous réserve de l’admissibilité du document quant à sa pertinence. Cette disposition est libellée comme suit :

8.(2) Sous réserve d’autres lois fédérales, la communication des renseignements personnels qui relèvent d’une institution fédérale est autorisée dans les cas suivants :

c) communication exigée par subpoena, mandat ou ordonnance d’un tribunal, d’une personne ou d’un organisme ayant le pouvoir de contraindre à la production de renseignements ou exigée par des règles de procédure se rapportant à la production de renseignements;

10 En ce qui concerne la demande de communication des lettres disciplinaires remises aux infirmières, j’ai ordonné à l’employeur de les communiquer à l’avocat des fonctionnaires pour qu’il en prenne connaissance personnellement, sans en communiquer le contenu, de quelque manière que ce soit, à ses clients ou à d’autres personnes. Après en avoir pris connaissance, l’avocat des fonctionnaires devait me faire savoir s’il voulait donner suite à sa demande de communication, auquel cas j’examinerais les lettres en présence des avocats et me prononcerais sur leur admissibilité. Au terme de son examen, l’avocat des fonctionnaires a retiré sa demande de communication des lettres disciplinaires remises aux infirmières.

III. Résumé de la preuve

11 L’avocat de l’employeur a appelé deux témoins, Noel Napier-Glover, la superviseure des infirmiers, et M. Trainor, le directeur adjoint par intérim au moment où les mesures disciplinaires ont été imposées. L’avocat des fonctionnaires a appelé Katherine Hinch à témoigner aux termes d'un subpoena duces tecum (« assignation à produire des pièces ») décerné à la demande de l’avocat, et les deux fonctionnaires.

A. Pour l’employeur

12 Noel Napier-Glover est superviseure des infirmiers au CRT depuis trois ans; durant sa première année, elle occupait le poste à titre intérimaire. Mme Napier-Glover, qui détient un diplôme en sciences infirmières et en psychologie, a terminé ses études d’infirmière en 1987 et s’est jointe au Service correctionnel du Canada (SCC) en 1994.

13 Mme Napier-Glover a décrit le CRT comme étant un établissement psychiatrique agréé en vertu de la Loi sur la santé mentale de l’Ontario, L.R.O. 1990, ch. M.7, qui peut accueillir environ 143 personnes. Même s’il est situé à l’intérieur des murs du pénitencier de Kingston (le « pénitencier »), le CRT est considéré comme un établissement distinct, mais il partage certains services avec le pénitencier. Le CRT traite les délinquants incarcérés dans les établissements fédéraux de l’Ontario qui ont des problèmes psychiatriques. Mme Napier-Glover a expliqué que, à l’exception des admissions involontaires en vertu de la Loi sur la santé mentale, les délinquants sont admis au CRT de leur plein gré seulement. Elle a précisé que le CRT est un établissement à niveaux de sécurité multiples même si le pénitencier est un établissement à sécurité maximale.

14 Mme Napier-Glover a déclaré que le personnel du CRT forme une équipe multidisciplinaire. En plus des agents correctionnels, l’équipe comprend une quarantaine d’infirmiers autorisés (IA) et d’infirmiers auxiliaires autorisés (inf. aux. aut.), des psychologues, des psychiatres, des travailleurs sociaux, des ergothérapeutes, des agents de libération conditionnelle, des préposés aux services de soutien de la personne, du personnel de l’aumônerie et d’autres. Les interactions sont fréquentes entre les infirmiers et les agents correctionnels.

15 Mme Napier-Glover a expliqué que les infirmiers sont censés effectuer des rondes durant la journée et la soirée suivant un horaire irrégulier. Pour entrer dans une cellule, l’infirmier doit faire appel à un agent correctionnel.

16 Mme Napier-Glover a commencé à s’occuper du dossier en question lorsque le directeur exécutif du CRT à ce moment-là, Gerry Henderson, lui a demandé de mener une enquête administrative pour faire la lumière sur l’incident. Un détenu avait été découvert gisant inconscient sur le sol de sa cellule et on s’interrogeait sur la manière dont l’intervention s’était déroulée, plus particulièrement sur la rapidité de l’intervention et sur l’application des Directives du commissaire (DC) du SCC. Mme Napier-Glover a mené l’enquête avec Les Jung, qui était gestionnaire correctionnel à ce moment-là.

17 Avant de commencer l’enquête, Mme Napier-Glover a pris connaissance des rapports (« Rapport d’observation ou déclaration d’un agent ») (pièce E-1, onglet 6) rédigés par les quatre employés mêlés à l’incident, en l’occurrence les fonctionnaires et les deux infirmières, une IA et une inf. aux. aut. Elle a également obtenu une copie de l’enregistrement vidéo provenant de la caméra installée dans la cellule du détenu.

18 Mme Napier-Glover a expliqué qu’il y avait une caméra dans chaque cellule située le long du couloir où se trouve la cellule du détenu. Les caméras sont utilisées pour exercer une surveillance, au besoin, notamment lorsqu’un détenu est en crise ou pourrait s’infliger des blessures ou attire autrement l’attention sur lui. Les caméras enregistrent de manière continue et les images sont conservées pendant cinq à sept jours. Mme Napier-Glover a expliqué que le centre de contrôle de sûreté contenait deux moniteurs comportant neufs cadres d’image chacun et que chaque cadre d’image montre l’intérieur d’une cellule. Lorsque l’incident est survenu, les caméras ne faisaient pas l’objet d’une surveillance 24 heures sur 24.

19 Durant le témoignage de Mme Napier-Glover, j’ai visionné la vidéo de l’incident enregistré par la caméra située dans la cellule du détenu (pièce E-2). L’enregistrement nous montre le détenu gisant sur le sol de sa cellule, sa découverte par l’inf. aux. aut. durant l’une de ses rondes et la réponse des fonctionnaires et des infirmières jusqu’à l’arrivée des services paramédicaux. La première partie de la vidéo montre les mouvements du détenu peu de temps avant et pendant qu’il s’effondre sur le sol de sa cellule. Cette partie de la vidéo n’a rien à voir avec l’affaire dont je suis saisi, car les employés mêlés à l’incident ne savaient pas ou ne pouvaient pas savoir pour quelle raison ou depuis combien de temps le détenu gisait sur le sol de sa cellule.

20 Mme Napier-Glover et M. Jung ont visionné la vidéo un certain nombre de fois pour établir la chronologie des événements et les bases de leur enquête. Mme Napier-Glover a déclaré qu’ils avaient soumis leur rapport non daté (pièce E-1, onglet 9) en mars 2009. Le rapport contenait la description de la méthodologie employée, le profil du détenu, les profils des fonctionnaires et des infirmières interrogés, l’analyse de leurs conclusions, les documents cités, dont les Ordres permanents, les Directives du commissaire, et les dossiers des fonctionnaires. Le rapport indiquait que les fonctionnaires étaient entrés dans la cellule du détenu, qu’ils avaient contrôlé l’accès au lieu et déterminé que le détenu était inconscient, mais qu’ils n’avaient pas commencé à administrer la réanimation cardio-respiratoire (RCR). Mme Napier-Glover a déclaré que les entrevues avec les employés en cause avaient été menées individuellement et qu’on les avait informés qu’ils avaient droit à une représentation syndicale. Chaque employé a visionné l’enregistrement vidéo provenant de la caméra située dans la cellule durant son entrevue.

21 Mme Napier-Glover a indiqué que M. Turner avait mentionné, durant son entrevue, que le personnel avait eu une courte discussion à propos de l’existence d’une ordonnance valide « de ne pas réanimer » le détenu. M. Turner n’avait pas fait allusion à cette discussion dans son rapport, non plus que M. Maas et les deux infirmières. Mme Napier-Glover a déclaré qu’il y avait déjà eu une ordonnance « de ne pas réanimer » dans le dossier médical du détenu, mais que dans la nuit du 15 décembre 2008, les employés ne savaient pas si cette ordonnance était toujours valide. Pendant que les fonctionnaires se dirigeaient vers la cellule, les infirmières examinaient les dossiers du détenu. M. Turner avait soulevé la question de savoir si le fait de commencer à administrer la RCR alors qu’une ordonnance « de ne pas réanimer » était en vigueur pouvait avoir des conséquences juridiques.

22 M. Turner a déclaré qu’il connaissait bien le détenu et qu’il savait que ce dernier cessait parfois de respirer dans son sommeil. Il ne voulait pas prendre le risque de le réveiller et de se faire agresser, car le détenu pouvait être très dangereux. Il n’a pas commencé à administrer la RCR parce qu’il attendait que les infirmières l’informent du statut de l’ordonnance « de ne pas réanimer » le détenu. Mme Napier-Glover a expliqué que les agents correctionnels doivent porter à la ceinture un appareil de RCR, appelé masque Talott, mais pas les infirmiers et les infirmières. M. Turner a expliqué qu’il n’avait pas offert son masque à l’inf. aux. aut. parce qu’il croyait que le matériel médical d’urgence était sur le point d’arriver. Durant l’entrevue, M. Turner a déclaré que, par suite de l’incident, il commencerait dorénavant à administrer immédiatement la RCR, car il savait maintenant qu’on pouvait entamer des manœuvres de RCR sans que cela entraîne des conséquences juridiques dans les cas où une ordonnance « de ne pas réanimer » s’applique.

23 Mme Napier-Glover a déclaré que M. Maas lui avait dit, durant son entrevue, qu’il était certain, depuis son arrivée au CRT en 2004, que le détenu était un cas de non-réanimation, ce qui voulait dire qu’il n’était pas nécessaire de commencer à administrer la RCR. Il avait ajouté que, selon les Directives du commissaire, dès qu’un membre des services de santé est présent sur les lieux, cette personne prend la direction de l’intervention. Comme des membres des services de santé sont toujours présents au CRT, M. Maas croyait qu’il n’était pas obligé de commencer à administrer la RCR; de plus, il ne savait pas ce que le fait de commencer à administrer la RCR pouvait entraîner comme conséquences lorsqu’une ordonnance « de ne pas réanimer » s’applique à la personne concernée. M. Maas n’a pas vérifié les signes vitaux parce que le détenu pouvait être endormi et qu’il était potentiellement dangereux. Il croyait que l’inf. aux. aut. était juste derrière lui lorsqu’il se dirigeait vers la cellule. M. Maas a mentionné que l’inf. aux. aut. avait déclaré : [traduction] « on va devoir commencer à administrer la RCR », ce qui signifiait, selon lui, que les infirmières allaient commencer à administrer la RCR, s’il y avait lieu. M. Maas ne considérait pas qu’il était un premier intervenant, puisque l’inf. aux. aut. était arrivée à la cellule en premier; il avait cependant admis qu’elle ne pouvait pas entrer dans la cellule tant que la porte n’était pas déverrouillée par les agents correctionnels. M. Maas n’a pas offert son masque Talott à l’inf. aux. aut. parce qu’il croyait que le matériel médical d’urgence, qui contenait du matériel plus perfectionné que le masque, était sur le point d’arriver.

24 Les enquêteurs ont conclu que les fonctionnaires avaient contrevenu à la politique régissant les réponses aux urgences médicales, qui indique qu’il faut commencer à administrer la RCR même si aucun signe de vie n’est apparent. Le témoin a renvoyé aux politiques et aux dispositions particulières suivantes : les clauses 26a) et b) de la Directive 800 du commissaire, Services de santé (DC-800); les clauses 28a) et b) de la DC-843, Prévention, gestion et intervention en matière de suicide et d’automutilation (DC-843); les alinéas a) et b) de la clause 18 intitulée « Urgences médicales » de la DC-567, Gestion des incidents de sécurité (DC-567). Comme les deux dispositions contiennent le même texte, je reproduirai ci-après le passage pertinent de la DC-800 :

26. Lors d'une urgence médicale, le but principal des intervenants consiste à protéger les vies, et chacun des membres du personnel a un rôle important à jouer :

a. les employés n'œuvrant pas dans le domaine de la santé qui arrivent sur les lieux d'une urgence médicale possible doivent immédiatement demander qu'on leur prête assistance, contrôler l'accès aux lieux et commencer à administrer la RCR ou à prodiguer les premiers soins;

b. les intervenants n'œuvrant pas dans le domaine de la santé doivent tenter d'administrer la RCR ou de prodiguer les premiers soins lorsque l'état physique du blessé le permet, et ce, même si aucun signe de vie n'est apparent (la décision de cesser la RCR ou les premiers soins ne peut être prise que par le personnel autorisé des soins de santé ou les ambulanciers conformément aux lois provinciales);

Mme Napier-Glover a déclaré que les fonctionnaires ne font pas partie du personnel des services de santé. Elle considère qu’ils sont des premiers intervenants, car ce sont les premières personnes qui peuvent entrer physiquement dans une cellule, puisqu’ils en ont la clé. Même si l’inf. aux. aut. est arrivée à la cellule du détenu en premier, elle n’était pas le premier intervenant, puisqu’elle ne pouvait pas entrer dans la cellule.

25 Mme Napier-Glover a indiqué que les fonctionnaires s’en étaient tenus à dire que le détenu était dangereux et qu’ils craignaient d’être agressés pour expliquer le fait qu’ils n’avaient pas vérifié ses signes vitaux. C’est pourtant le travail de l’agent correctionnel de déterminer si le détenu est en train de dormir ou s’il est éveillé ou décédé ou s’il fait le mort. En ce qui concerne la déclaration de M. Maas selon laquelle ils attendaient d’être fixés au sujet de l’ordonnance « de ne pas réanimer » le détenu avant de commencer à administrer la RCR, Mme Napier-Glover a renvoyé aux dispositions suivantes des DC susmentionnées : la clause 26c) de la DC-800; la clause 28c) de la DC-843; la clause 18c) de la DC-567. Ces dispositions sont identiques et le passage suivant est tiré de la clause 26c) de la DC–800 :

26 c. les employés n’œuvrant pas dans le domaine de la santé n’ont pas besoin de commencer à administrer la RCR dans les situations suivantes :     

[…]

  • les employés n’œuvrant pas dans le domaine de la santé sont au courant de l’existence d’une ordonnance valide DE NE PAS RÉANIMER (les intervenants non spécialistes de la santé doivent vérifier si une telle ordonnance a été émise suivant les Lignes directrices sur les soins palliatifs du SCC)

    [Le passage en évidence l’est dans l’original]

26 Les dispositions pertinentes des Lignes directrices sur les soins palliatifs du SCC auxquelles fait allusion Mme Napier-Glover sont contenues dans la section intitulée [traduction] « Procédure de non-réanimation » et sont libellées comme suit :

[Traduction]

16)     Les infirmiers et les infirmières consignent les ordonnances « de ne pas réanimer » dans le dossier médical et le cardex du patient et sur le tableau de dénombrement dans le bureau de l’unité afin de s’assurer que tout le personnel nécessaire est au courant des volontés du patient et de la décision de l’équipe des services de santé à cet égard.

[…]

22)     L’infirmier ou l’infirmière consigne l’ordonnance « de ne pas réanimer » dans le dossier médical et le cardex du patient et sur le tableau de dénombrement dans le bureau de l’unité. Une copie de l’ordonnance devrait également être affichée dans la cellule du délinquant.

[…]

28)     Les ordonnances « de ne pas réanimer » doivent être réexaminées systématiquement chaque mois en vue soit de les annuler, soit de les reconduire.

Mme Napier-Glover a déclaré que l’ordonnance « de ne pas réanimer » le détenu n’était pas affichée sur le tableau de dénombrement de l’unité ni dans la cellule du détenu. Elle a précisé que, peu importe si une ordonnance valide est en vigueur, on doit vérifier les signes vitaux afin de déterminer le type de soins requis. D’après son analyse de l’enquête, les fonctionnaires auraient dû commencer à administrer la RCR.

27 Lorsque l’avocat de l’employeur lui a demandé si l’enquête avait établi que les infirmières présentes lors de l’incident avaient contrevenu à la politique, Mme Napier-Glover a répondu par l’affirmative. Le rapport d’enquête indique que les deux infirmières ont contrevenu à des dispositions des DC susmentionnées. Mme Napier-Glover a déclaré que les infirmières avaient négligé de donner des directives aux fonctionnaires, car elles ne leur avaient pas demandé leurs masques Talott et ne leur avaient pas dit de commencer à administrer la RCR. Il a donc été déterminé que les infirmières avaient contrevenu à la disposition suivante de la DC-060 — Code de discipline : « 5g) néglige de respecter ou d'appliquer une Directive du commissaire, un ordre permanent ou une autre consigne, ou les dispositions d’un texte législatif ayant trait à ses fonctions ».

28 Mme Napier-Glover a soutenu que le fait que les infirmières avaient contrevenu à la politique ne changeait rien au fait que les fonctionnaires étaient les premiers intervenants pour répondre à l’urgence médicale. Pendant que les fonctionnaires s’affairaient à contrôler l’accès à la cellule, les infirmières réunissaient le matériel médical. Ne sachant pas si les infirmières allaient arriver rapidement, les fonctionnaires auraient dû commencer immédiatement à administrer la RCR.

29 En contre-interrogatoire, Mme Napier-Glover a déclaré que son rôle, aux fins de l’enquête, avait été de recueillir les faits, de les analyser et de déterminer à quel moment des erreurs avaient été commises, le cas échéant. Elle n’avait pas participé au processus d’imposition des mesures disciplinaires.

30 Mme Napier-Glover a déclaré que le décès d’un détenu sous garde, comme dans ce cas-ci, entraîne l’ouverture d’une enquête du coroner et la constitution d’un comité d’enquête. Elle a indiqué qu’elle ne savait pas si un comité d’enquête avait été mis sur pied dans ce cas-ci.

31 Lorsqu’on lui a demandé si elle avait eu accès aux enregistrements provenant de la caméra installée dans le couloir à l’extérieur de la cellule du détenu, Mme Napier-Glover a déclaré qu’elle ne savait pas s’il y avait des enregistrements qui avaient été faits et qu’elle n’avait pas demandé les enregistrements provenant de cette caméra.

32 Même si elle ne donne pas de formation en RCR, Mme Napier-Glover a admis qu’on consacrait très peu de temps aux ordonnances de « ne pas réanimer » durant la formation en RCR. Lorsqu’on lui a demandé si les infirmiers et les infirmières recevaient de la formation sur les ordonnances « de ne pas réanimer », elle a répondu qu’il existe une loi provinciale et des politiques du SCC à ce sujet et que les membres du personnel doivent appliquer la politique de l’établissement dans lequel ils travaillent. Mme Napier-Glover a déclaré qu’elle ne savait pas à quel moment une ordonnance valide « de ne pas réanimer » s’était appliquée au détenu. Le jour de son décès et pendant quelques années auparavant, aucune d’ordonnance « de ne pas réanimer » ne figurait dans ses dossiers ni n’était affichée dans sa cellule. Lorsqu’il y a un autocollant à côté du nom d’un détenu sur le tableau de dénombrement de l’unité, cela indique qu’une ordonnance valide « de ne pas réanimer » s’applique. Même si l’accès aux dossiers médicaux des détenus est réservé au personnel des services de santé, les gestionnaires et le personnel correctionnels peuvent vérifier le tableau de dénombrement. Il a été démontré que, la nuit de l’incident, il n’y avait pas d’autocollant à côté du nom du détenu sur le tableau de dénombrement de l’unité.

33 Lorsqu’on lui a demandé de quelle manière le personnel est avisé qu’une ordonnance « de ne pas réanimer » n’est plus en vigueur, Mme Napier-Glover a répondu que l’autocollant est retiré du tableau de dénombrement. Elle a admis que le personnel ne recevait pas de note de service, parce que ce n’est pas une exigence des Lignes directrices sur les soins palliatifs. Mme Napier-Glover a déclaré qu’elle n’avait pas pris part à la décision d’annuler l’ordonnance « de ne pas réanimer » qui s’appliquait au détenu et que l’examen de la validité de cette ordonnance ne faisait pas partie du mandat de l’enquête.

34 Mme Napier-Glover a déclaré que les fonctionnaires et les infirmières avaient fait allusion, durant leurs entrevues, à la discussion qu’ils avaient eue à propos de l’ordonnance « de ne pas réanimer » applicable au détenu, même si les rapports que chacun d’eux avait préparés la nuit de l’incident n’en faisaient pas mention. Mme Napier-Glover a ajouté qu’elle n’avait pas relevé d’incohérences dans les déclarations des quatre employés à propos de l’ordonnance « de ne pas réanimer ».

35 L’avocat des fonctionnaires a attiré l’attention de Mme Napier-Glover sur le dernier paragraphe des « constatations » du rapport d’enquête, qui est libellé comme suit :

[Traduction]

9. Un grand nombre de membres du personnel du CRT croient à tort que, parce qu’il y a du personnel infirmier de service en tout temps au CRT, il faut attendre d’avoir reçu une directive du personnel des services de santé pour commencer à administrer la RCR ou à prodiguer les premiers soins. Le comité a abordé la question avec la responsable actuelle de la formation en RCR et en premiers soins à l’établissement; elle a confirmé que cette idée fausse était présente. Elle a indiqué qu’elle attirait l’attention des membres du personnel sur les DC applicables durant la formation afin qu’ils comprennent bien leurs rôles et responsabilités pour protéger les vies lorsque survient une urgence médicale.

36 Mme Napier-Glover a déclaré qu’on avait tenu compte de cette constatation pour tirer les conclusions de l’enquête, mais également de la DC-800. Même si le personnel entretenait cette fausse idée, c’est dans la DC-800 qu’est décrite la procédure à suivre pour répondre à des urgences médicales. Elle a renvoyé aux trois points suivants de la chronologie des événements relatifs à l’incident : les fonctionnaires sont entrés dans la cellule en premier, ils ont constaté que le détenu était inconscient et ils n’ont pas commencé à administrer la RCR.

37 Lorsqu’on a attiré son attention, en contre-interrogatoire, sur la conclusion indiquant que les infirmières n’avaient pas donné de directives aux fonctionnaires, Mme Napier-Glover a déclaré que les DC fournissent des directives aux agents correctionnels et qu’ils ont tous reçu de la formation en RCR. Elle a expliqué que le premier intervenant qui entre dans la cellule doit vérifier les signes vitaux.

38 M. Trainor est directeur adjoint — Opérations à l’établissement Joyceville depuis mai 2009. Il s’est joint au SCC en août 1997; avant cela, il a été employé pendant deux ans dans des centres correctionnels provinciaux. À partir de 1997, il a travaillé au pénitencier de Kingston, où il a occupé les postes d’agent correctionnel II, d’agent intérimaire des libérations conditionnelles et de superviseur correctionnel. Il a travaillé au CRT de décembre 2007 à mai 2009, à titre de superviseur correctionnel, de gestionnaire d’unité, de gestionnaire des opérations et de directeur adjoint par intérim.

39 Lorsqu’on lui a demandé de donner son point de vue sur les interactions entre les agents correctionnels et les infirmiers durant une journée type, M. Trainor a dit qu’en arrivant au travail, les agents correctionnels se rapportent à un gestionnaire correctionnel qui leur attribue un poste. Les agents correctionnels discutent avec le personnel des services de santé de toute question de santé concernant les détenus et établissent ensuite le programme de leur journée. Même s’ils relèvent d’une autorité hiérarchique différente sur papier, les agents correctionnels et le personnel des soins de santé travaillent ensemble. Les agents correctionnels s’acquittent de leurs fonctions de sécurité conformément aux DC et mènent des patrouilles de sécurité toutes les heures au moins, plus souvent dans certains cas, lorsque le personnel des services de santé leur en fait la demande. Les patrouilles de sécurité visent à s’assurer que les détenus dans les cellules sont vivants et à engager la conversation avec eux sur divers sujets.

40 En ce qui concerne la procédure à suivre lorsqu’un problème survient dans une cellule, M. Trainor a déclaré que deux agents correctionnels doivent être présents pour entrer dans une cellule. Sur la question des urgences médicales, il a renvoyé à la clause 18h) de la DC-567, qui dit ceci :

18 h. dans le cas d'un établissement à sécurité maximale, moyenne ou à niveaux multiples, on s’attend à ce qu’au moins deux (2) membres du personnel se rendent à la cellule et qu’un autre membre du personnel exerce une surveillance à partir du poste de contrôle, d’une extrémité de la rangée ou d’un autre endroit prédéterminé afin d’assurer une intervention sécuritaire lorsque des membres du personnel entrent dans une cellule lors d’une situation d’urgence médicale;

M. Trainor a déclaré qu’au CRT, les infirmiers sont considérés comme des membres du personnel et qu’à ce titre, ils peuvent exercer une surveillance pour les besoins de cette procédure. Les agents correctionnels ont la responsabilité d’appliquer le protocole décrit dans les diverses DC, comme il a été mentionné au début de la présente décision.

41 M. Trainor a été chargé par le directeur exécutif du CRT d’examiner le rapport d’enquête, l’enregistrement vidéo provenant de la caméra située dans la cellule et tout document pertinent et de tenir des audiences disciplinaires avec les fonctionnaires. Il a conclu que le rapport était objectif et il en a accepté les conclusions, sous réserve de ses discussions avec les fonctionnaires. Selon M. Trainor, les fonctionnaires n’avaient pas appliqué les procédures décrites dans les DC pour répondre à l’urgence médicale et l’enregistrement vidéo provenant de la caméra située dans la cellule corroborait les conclusions du rapport d’enquête sur ce point. Les fonctionnaires étaient entrés dans la cellule en premier. Ils en étaient ressortis avant d’avoir vérifié les signes vitaux du détenu et ils avaient négligé de commencer à administrer la RCR. Se reportant aux synopsis de la formation reçue par les fonctionnaires (pièce E-1, onglet 4), M. Trainor a indiqué que leur formation en RCR et en premiers soins était à jour.

42 La description de travail des fonctionnaires, dont le poste est classifié dans le groupe et au niveau CX-01 (pièce E-1, onglet 5), plus particulièrement la section relative aux activités principales, contient le paragraphe suivant sous la rubrique « connaissance du contexte » :

[Traduction]

Administrer la réanimation cardio-respiratoire en cas d'urgences médicales et apporter, au besoin, une aide et un soutien immédiats aux personnes blessées, lorsque le secteur est sécuritaire.

[…]

La description de travail indique également que les titulaires doivent connaître les directives, les politiques et les protocoles du SCC. M. Trainor a déclaré que les fonctionnaires avaient signé des accusés de réception du Code de discipline du SCC (pièce E-1, onglet 5) et que, durant sa rencontre avec les fonctionnaires, leur connaissance des procédures n’avait pas suscité de désaccord.

43 Le 22 avril 2009, M. Trainor a rencontré chaque fonctionnaire séparément. Les fonctionnaires étaient accompagnés par un représentant syndical; un gestionnaire correctionnel était également présent. M. Trainer avait envoyé des lettres à chaque fonctionnaire, avec une copie du rapport d’enquête, pour les aviser qu’ils étaient convoqués à une audience disciplinaire, le 22 avril 2009 (pièce E-1, onglet 8). Il les invitait, dans les lettres, à [traduction] « […] soumettre des commentaires, de préférence par écrit […] » durant l’audience disciplinaire. Les deux fonctionnaires ont admis avoir reçu les lettres non datées le 20 avril 2009. M. Trainor a déclaré qu’il ne se rappelait pas si les fonctionnaires avaient reçu une copie non expurgée ou une copie expurgée du rapport d’enquête, mais il penchait plutôt pour la dernière hypothèse. Il savait que les fonctionnaires avaient visionné l’enregistrement vidéo provenant de la caméra située dans la cellule durant les entrevues avec les enquêteurs.

44 Après avoir informé les fonctionnaires du but de la rencontre, M. Trainor leur a demandé ce qu’ils pensaient du rapport et de la manière dont ils avaient agi durant l’incident. Il s’est également assuré qu’ils connaissaient les politiques et directives du SCC; il leur a demandé s’ils croyaient qu’ils avaient commis des erreurs et s’ils agiraient de la même manière dans une autre situation semblable. M. Trainor a précisé qu’il avait pris des notes durant ses rencontres avec les fonctionnaires (pièce E-1, onglet 10).

45 M. Trainor a déclaré que les deux fonctionnaires avaient convenu qu’ils ne contestaient pas les faits décrits dans le rapport d’enquête et qu’ils étaient au courant des directives. Ils avaient tous deux affirmé qu’ils commenceraient à administrer la RCR si une situation similaire survenait. Ils avaient l’un et l’autre déclaré qu’ils avaient hésité à intervenir durant l’incident et qu’ils n’avaient pas commencé à administrer immédiatement la RCR pour la bonne raison, notamment, qu’ils ne savaient pas si une ordonnance « de ne pas réanimer » s’appliquait au détenu. Les fonctionnaires ont expliqué qu’ils n’étaient pas les premiers intervenants, puisque l’inf. aux. aut. était arrivée à la cellule en premier, mais M. Trainor a contesté cela, car l’enregistrement vidéo montrait clairement qu’ils étaient entrés dans la cellule en premier. Durant l’audience disciplinaire, M. Maas a déclaré que c’est en visionnant la vidéo qu’il avait réalisé qu’il avait été le premier intervenant.

46 M. Trainor a été invité à se reporter à la section du rapport d’enquête où il est écrit que M. Maas a dit aux enquêteurs qu’il croyait que l’inf. aux. aut. était juste derrière lui lorsqu’il se dirigeait vers la cellule et qu’elle avait déclaré : [traduction] « on va devoir commencer à administrer la RCR ». M. Maas avait conclu que cela voulait dire que les infirmières allaient commencer à administrer la RCR, s’il y avait lieu. M. Trainor a répondu que, selon son analyse, l’interprétation des fonctionnaires était erronée et que les propos de l’inf. aux. aut. étaient un signal que les fonctionnaires devaient commencer à administrer la RCR. M. Trainor a déclaré que les fonctionnaires auraient dû entrer dans la cellule, en contrôler l’accès et commencer à administrer la RCR. Il a ajouté que ce n’était pas la responsabilité de l’inf. aux. aut. de commencer à administrer la RCR et qu’elle n’était pas entrée dans la cellule en premier.

47 Lorsqu’on l’a interrogé à propos de l’explication des fonctionnaires selon laquelle le détenu était dangereux, M. Trainor a convenu que, même si le risque d’être agressé par le détenu était élevé, cela faisait partie du travail des agents correctionnels. M. Trainor a renvoyé à l’enregistrement vidéo provenant de la caméra située dans la cellule et indiqué que les fonctionnaires n’avaient pas tenté de vérifier les signes vitaux du détenu durant l’intervalle d’une à deux minutes où ils avaient été seuls avec lui.

48 M. Trainor a déclaré que l’ordonnance « de ne pas réanimer » ne présentait pas d’intérêt pour déterminer la mesure disciplinaire appropriée, sauf si l’ordonnance avait été affichée en évidence ou si les infirmières avaient demandé aux fonctionnaires de ne pas administrer la RCR. Il a déclaré que si une ordonnance « de ne pas réanimer » avait été en vigueur, le personnel en aurait été informé conformément à l’alinéa 26c) de la DC-800. M. Trainor a précisé que les agents correctionnels devraient faire le point chaque jour sur les ordonnances « de ne pas réanimer » durant leur réunion avec les infirmiers. En cas de doute, un superviseur pourrait leur fournir des éclaircissements. M. Trainor a déclaré que le rapport d’enquête ne contient aucune indication qu’une ordonnance valide « de ne pas réanimer » s’appliquait au détenu et que, cela étant, les fonctionnaires auraient dû commencer à administrer la RCR, puisque toutes les directives et les politiques applicables indiquent qu’il faut protéger les vies.

49 À propos de la mesure disciplinaire imposée aux fonctionnaires, M. Trainor a déclaré que l’examen du rapport d’enquête et de l’enregistrement vidéo l’avaient convaincu que les fonctionnaires avaient commis une faute de conduite grave et que cela justifiait une mesure disciplinaire allant d’une sanction pécuniaire à une suspension ou, éventuellement, au licenciement. Il a conclu que les fonctionnaires avaient contrevenu au Code de discipline, comme il est indiqué dans les lettres disciplinaires. M. Trainor a déclaré que des circonstances atténuantes importantes avaient été mises au jour durant les audiences disciplinaires avec les fonctionnaires et qu’il en avait tenu compte pour déterminer la mesure disciplinaire; ces circonstances étaient les suivantes : les fonctionnaires n’avaient pas de dossier disciplinaire, ils avaient appris une précieuse leçon et ils n’agiraient pas de la même manière si une situation semblable survenait. M. Trainor a déclaré que ces points très positifs l’avaient convaincu d’imposer une sanction pécuniaire qu’il jugeait clémente.

50 M. Trainor a examiné le rapport, l’enregistrement vidéo, les lignes directrices pour la tenue d’audiences disciplinaires, la convention collective applicable et l’entente globale entre le SCC et l’agent négociateur (pièce G-1, onglet 3) (l’« entente globale »), ainsi que les DC pertinentes. Lorsqu’on lui a demandé s’il y avait des caméras ailleurs que dans les cellules, M. Trainor a déclaré qu’il savait qu’il y avait des caméras qui permettent de voir ce qui se passe dans les rangées à l’extérieur des cellules. Elles sont utiles pour visionner les incidents qui se produisent dans la rangée. M. Trainor a indiqué qu’il n’avait pas examiné les enregistrements provenant des caméras situées dans la rangée pour cet incident et qu’il ne savait pas si quelqu’un d’autre l’avait fait.

51 En visionnant l’enregistrement vidéo provenant de la caméra située dans la cellule, M. Trainor avait surtout été frappé par le fait que les fonctionnaires avaient quitté la cellule sans administrer la RCR. Lorsqu’il avait demandé des explications aux fonctionnaires, durant les audiences disciplinaires, ils avaient répondu qu’ils étaient confus. Il les avait invités à présenter leur version des faits, mais ils avaient déclaré que tous les faits étaient contenus dans le rapport d’enquête.

52 Lorsqu’on lui a demandé, en contre-interrogatoire, d’expliquer la question de l’ordonnance « de ne pas réanimer » de son point de vue, M. Trainor a répondu que la question de l’ordonnance ne lui paraissait pas pertinente, étant donné que les fonctionnaires reçoivent de la formation et que les DC sont explicites. S’il a pris en considération le fait que les fonctionnaires ne savaient pas à quoi s’en tenir concernant l’ordonnance « de ne pas réanimer » pour arriver à sa décision, cela ne change rien au fait qu’en l’absence d’une directive explicite « de ne pas réanimer », il faut protéger les vies. En ce qui concerne la possibilité de subir des conséquences disciplinaires en administrant la RCR quand une ordonnance « de ne pas réanimer » s’applique, M. Trainor a déclaré que, dans ce cas particulier, il n’y aurait pas eu de conséquences, puisque le personnel a indiqué qu’il ne savait pas si une ordonnance était en vigueur.

53 Lorsqu’on lui a demandé comment il avait décidé de la mesure disciplinaire à appliquer, M. Trainor a déclaré qu’il avait commencé par se demander si l’incident constituait une inconduite grave et qu’il avait discuté de la question avec un conseiller en relations de travail. Il en avait également discuté avec M. Henderson, le directeur exécutif, qui considérait la situation comme un cas d’inconduite grave. Comme les fonctionnaires n’avaient pas de dossier disciplinaire et qu’ils avaient déclaré, durant les réunions disciplinaires, qu’ils avaient tiré des leçons de l’incident et qu’ils allaient agir différemment à l’avenir, M. Trainor a préféré imposer une mesure disciplinaire plus clémente. La sanction devait avoir un effet correctif; il estimait que c’était justifié dans les circonstances. M. Trainor a déclaré qu’il avait tenu compte des dispositions suivantes de l’entente globale pour décider d’imposer une sanction pécuniaire équivalant à deux jours de rémunération :

III-A – MESURES DISCIPLINAIRES

              (RÉFÉRENCE : ARTICLE 17)

   Aux fins de l’application de cet article, le SCC respectera les critères suivants :

1. Une fois que le SCC a évalué toutes les sanctions possibles pour une infraction disciplinaire et qu’il a décidé d’imposer une sanction pécuniaire comme mesure disciplinaire, les points suivants s’appliquent :

a) pour une première infraction, un montant de cent soixante dollars (160 $) pour un agent-e correctionnel 1 […]

2. En cas d’inconduite grave en tout temps, le SCC décide que la sanction la plus appropriée pour une infraction disciplinaire est une sanction pécuniaire, il peut imposer une amende maximale de six cent quarante dollars (640 $) pour un agent correctionnel I […], ce qui représente quatre (4) journées de travail. Dans ce cas précis, l’échelle graduée des sanctions pécuniaires ne s’applique pas.

Comme il est indiqué dans le préambule du document, l’entente globale vise à clarifier certaines dispositions de la convention collective régissant les agents correctionnels (pièce G-1, onglet 1).

B. Pour les fonctionnaires s’estimant lésés

54 Mme Hinch était la directrice adjointe du CRT depuis mai 2009; au moment de l’audience, elle occupait le poste de directrice exécutive par intérim. Elle a été sommée de comparaître munie d’une copie de la vidéo de l’incident provenant de la caméra située dans la rangée. Mme Hinch a déclaré que l’enregistrement n’existait pas et qu’elle avait pris des mesures pour s’en assurer, tant à l’interne qu’auprès de l’entreprise responsable de l’entretien des dispositifs d’enregistrement du CRT.

55 Mme Hinch a déclaré que, pour l’application des politiques et directives du SCC, les enregistrements vidéos sont visionnés et une décision est prise par le directeur exécutif quant à leur utilité. Cette décision doit être prise dans les cinq jours suivant l’événement en cause, après quoi la vidéo est perdue, car il n’en existe pas de copie de sauvegarde. Parmi les événements qui nécessitent le visionnement des enregistrements provenant des caméras situées dans les rangées dans le laps de temps de cinq jours, figurent les urgences médicales, les incidents qui surviennent dans la rangée, les altercations entre détenus, les automutilations et tout autre incident qui doit être signalé. Les caméras situées dans les rangées enregistrent de façon continue. Il y a une caméra à chaque extrémité de la rangée où se trouve la cellule du détenu en question, ce qui permet d’avoir une vue complète de la rangée.

56 Mme Hinch a déclaré que si un détenu décède dans une cellule où il y a une caméra en marche, on conservera l’enregistrement provenant de cette caméra, car il montre clairement de quelle manière l’intervention s’est déroulée, ce que la caméra située dans la rangée ne permettrait pas de voir. Elle a admis que la caméra située dans la cellule ne montre pas ce qui se passe dans la rangée.

57 John Maas a commencé à travailler au SCC, comme CX-01, en 2004 et il occupe ce poste sans interruption depuis, au CRT.

58 La nuit de l’incident, le 15 décembre 2008, M. Maas était affecté au poste de nuit, entre 22 h 30 et 6 h 30 environ. L’équipe de travail durant ce poste -là était composée de trois agents correctionnels; deux d’entre eux, en l’occurrence les fonctionnaires, travaillaient au bureau de contrôle de sûreté, à l’étage où était située la cellule du détenu. Deux infirmières, une I.A. et une inf. aux. aut., étaient aussi de service à cet étage-là.

59 La chronologie des événements qui est résumée dans le rapport d’enquête est la suivante :

[Traduction]

À 1 h 50, le 15 décembre 2008, l’inf. aux. aut. a constaté que [le détenu] gisait inconscient sur le sol de la cellule […] durant l’une de ses rondes. Elle a prévenu l’ACI Maas, qui était en train de mener sa patrouille horaire dans la rangée, que [le détenu] était inconscient. À 1 h 51, M. Maas et [l’inf. aux. aut.] sont revenus devant la cellule [du détenu] et ont tenté d’établir un contact verbal avec lui. Comme [le détenu] ne réagissait pas, ils ont quitté la rangée pour obtenir de l’aide, prendre les clés de la cellule et réunir le matériel médical. Une brève discussion s’est engagée sur la question de savoir si une ordonnance « de ne pas réanimer » s’appliquait toujours [au détenu]. À 1 h 53, M. Maas et M. Turner sont entrés dans la cellule afin de contrôler l’accès au lieu et de tenter de susciter une réponse chez [le détenu]. Ils n’ont pas réussi à obtenir une réponse [du détenu] et, après cela, ils n’ont pas vérifié ses signes vitaux. M. Maas et M. Turner ont quitté la cellule à 1 h 54 min 22 s et y sont retournés à 1 h 54 min 57 s avec [l’inf. aux. aut.]. À 1 h 55, [l’inf. aux. aut.] a tenté de réveiller physiquement [le détenu], mais elle a été incapable de le retourner sur le dos. M. Turner a alors aidé [l’inf. aux. aut.] à retourner [le détenu] sur le dos et l’inf. aux. aut. a placé une couverture roulée sous la nuque [du détenu]. [L’inf. aux. aut.] a ensuite vérifié la respiration et le pouls [du détenu]. À 1 h 56 min 33 s, [l’inf. aux. aut.], M. Maas et M. Turner ont quitté la cellule pour tenter de trouver [l’I.A.] qui rassemblait le matériel médical. À 1 h 57 min 16 s, [l’inf. aux. aut.], M. Maas, M. Turner et [l’I.A.] sont retournés dans la cellule avec le matériel médical. [L’inf. aux. aut.] s’est immédiatement dirigée vers [le] délinquant et a commencé à administrer des compressions de la poitrine pendant que [l’I.A.] mettait l’équipement médical en marche. À 1 h 59, [l’I.A.] a aidé [l’inf. aux. aut.] à administrer la RCR (réanimation cardio-respiratoire). Elles ont continué les manœuvres de RCR jusqu’à ce que les services paramédicaux arrivent à 2 h 10 min 16 s et prennent en charge [le détenu].

Même si le témoignage des fonctionnaires fournit plus de détails sur plusieurs aspects des événements que ne le fait la chronologie, ils ont convenu que la chronologie représentait un résumé objectif des événements. Aucune contradiction n’a été relevée dans les témoignages de M. Maas et de M. Turner en ce qui concerne le déroulement des événements. Ils ont l’un et l’autre témoigné avec franchise et sincérité à propos de leurs rôles respectifs dans l’incident.    

60  M. Maas a expliqué qu’il s’était rendu au bureau des infirmiers de l’unité avec l’inf. aux. aut. pour informer l’I.A. de ce qu’ils avaient constaté. En entendant le nom du détenu, l’I.A. avait dit : [traduction] « C’est un cas de non-réanimation » et l’inf. aux. aut. avait ajouté : [traduction] « Je pense bien que oui ». M. Maas a déclaré qu’il savait qu’une ordonnance « de ne pas réanimer » s’appliquait généralement au détenu, mais qu’il ne savait pas si elle était toujours en vigueur. L’I.A. a indiqué qu’elle vérifiait dans les dossiers du détenu et l’inf. aux. aut. a déclaré qu’elle prenait la trousse médicale et qu’elle allait administrer la RCR. M. Maas a dit à l’I.A. qu’il ramassait les clés pour ouvrir la cellule; il lui a demandé d’aviser M. Turner, qui se trouvait dans le bureau de contrôle de la sûreté. Il a dit à l’I.A. qu’il allait ouvrir la cellule avec M. Turner et tout préparer pour l’arrivée des infirmières. M. Maas estime que l’échange a duré deux minutes tout au plus.

61 En ce qui concerne les ordonnances « de ne pas réanimer », M. Maas s’était fait dire qu’elles étaient supposées être affichées dans la cellule et sur le tableau de dénombrement de l’unité. Il a déclaré qu’il n’y avait pas d’ordonnance « de ne pas réanimer » dans la cellule ou sur le tableau de dénombrement à ce moment-là et qu’il n’y en a pas eu depuis. Il a ajouté que, à l’exception du tableau de dénombrement de l’unité, il n’y avait pas de procédure en place pour informer les agents correctionnels de l’existence d’une ordonnance « de ne pas réanimer » et qu’ils n’avaient pas été informés qu’une ordonnance « de ne pas réanimer » avait été retirée.

62 M. Maas a déclaré que l’enregistrement vidéo provenant de la caméra située dans la cellule montrait qu’il sortait de la cellule avec M. Turner, parce qu’ils cherchaient l’inf. aux. aut., et que l’enregistrement provenant de la caméra située dans la rangée aurait permis de le prouver. Ils n’ont pas commencé à administrer immédiatement la RCR car ils croyaient que l’inf. aux. aut. allait arriver incessamment. Elle avait dit qu’elle allait administrer la RCR; elle avait une meilleure formation et la trousse médicale contenait de l’équipement plus perfectionné que le masque Talott qu’ils portaient à la ceinture. Étant donné que l’inf. aux. aut. était arrivée à la cellule en premier durant l’une de ses rondes, M. Maas en avait déduit qu’elle était la première intervenante pour répondre à l’urgence. À l’arrivée de l’inf. aux. aut., les deux fonctionnaires et l’infirmière sont entrés dans la cellule. Comme ils n’avaient toujours pas reçu de confirmation de l’I.A. concernant l’ordonnance « de ne pas réanimer » le détenu, les deux fonctionnaires ont placé le détenu de manière à ce que l’inf. aux. aut. puisse vérifier ses signes vitaux.

63 Après avoir vérifié les signes vitaux du détenu, l’inf. aux. aut. s’est relevée et a déclaré qu’elle allait chercher la trousse médicale, puis elle est partie en courant le long de la rangée. M. Maas a déclaré que M. Turner et lui avaient eu une réaction de surprise, car ils venaient de réaliser que l’inf. aux. aut. n’avait pas la trousse médicale avec elle, contrairement à ce qu’elle avait dit plus tôt. Les deux fonctionnaires sont restés dans la cellule, mais ils n’ont pas administré la RCR au détenu parce qu’ils attendaient de recevoir des directives des infirmières. Ils n’avaient pas encore été informés du statut de l’ordonnance « de ne pas réanimer » le détenu et ils ne savaient pas quelles mesures ils avaient l’autorisation de prendre.

64 M. Maas a déclaré qu’aucune formation n’était donnée sur les ordonnances « de ne pas réanimer » avant l’incident, mais que, depuis ce temps-là, on consacre quelques minutes à cette question durant la formation en RCR. M. Maas a précisé qu’il n’avait pas reçu de formation sur les ordonnances « de ne pas réanimer » de la part de superviseurs ou de collègues et qu’il n’avait aucune idée de quoi il s’agissait avant de voir une ordonnance affichée sur le tableau de dénombrement d’une unité au deuxième étage du CRT durant sa première année d’emploi et de demander à un membre du personnel ce que c’était. On lui avait dit que, si un détenu avait une ordonnance « de ne pas réanimer », il ne devait pas tenter de le réanimer en cas d’urgence médicale.

65 Lorsque les deux infirmières sont revenues avec la trousse médicale et ont commencé à administrer la RCR au détenu, les deux fonctionnaires ont offert à l’inf. aux. aut. d’effectuer les compressions de la poitrine à sa place, mais elle a refusé. Elle a déclaré que l’I.A. n’avait pas besoin d’aide, car elle utilisait un appareil pour faciliter la respiration du détenu. M. Maas a indiqué que les infirmières avaient continué d’administrer la RCR jusqu’à ce que les services paramédicaux arrivent et prennent la relève. M. Maas croyait que, dès qu’il était avisé par un employé des services de santé qu’il y avait une urgence médicale, cela signifiait que cet employé prenait la direction de l’intervention. Après l’incident, M. Maas a reçu instruction de rédiger un rapport, ce qu’il a fait aux alentours de 3 h 30 (pièce E-1, onglet 6).

66 Lorsqu’on lui a demandé d’expliquer le processus disciplinaire auquel il a été soumis, M. Maas a déclaré que c’était la première fois qu’il se faisait imposer une sanction disciplinaire. En janvier 2009, avant la tenue de l’enquête, il a été convoqué à une réunion avec un comité d’enquête composé de deux personnes. qu’il ne connaissait pas, mais qui, à ce qu’il avait cru comprendre, provenaient de l’extérieur du CRT : un homme qui avait des antécédents dans le domaine des services correctionnels et une femme qui avait des antécédents en soins infirmiers. M. Maas a déclaré qu’il avait rencontré le comité d’enquête à deux reprises. Lors de la première rencontre, on l’a interrogé sur l’incident et on l’a félicité pour la manière dont il avait agi durant l’urgence. M. Maas a trouvé étrange que l’enquêteur lui demande s’il y avait une caméra dans la cellule du détenu, car il aurait déjà dû le savoir, selon lui. M. Maas a déclaré que la deuxième rencontre avait eu lieu environ deux heures après la première, après que les enquêteurs eurent visionné la vidéo. Il a ajouté qu’ils l’avaient interrogé au sujet du délai d’une minute 22 secondes et qu’il avait donné l’explication décrite au début de la présente décision.

67 Environ deux mois plus tard, M. Maas a été informé que Mme Napier-Glover et M. Jung avaient été chargés de mener une enquête. Il a été convoqué à une entrevue avec les deux enquêteurs, qui lui ont fait visionner pour la première fois l’enregistrement vidéo provenant de la caméra située dans la cellule. M. Maas a déclaré que la vidéo montrait une version des événements légèrement différente de celle dont il croyait se remémorer et que les enquêteurs lui avaient demandé d’expliquer le délai d’une minute 22 secondes. Ils l’ont informé qu’ils allaient soumettre leurs constatations au directeur exécutif et qu’on allait communiquer avec lui.

68 M. Maas a reçu une copie expurgée du rapport d’enquête (pièce G-2) en avril 2009. Il a été convoqué à une brève réunion avec M. Trainor, à laquelle il a assisté avec un représentant syndical. Durant la réunion, M. Trainor l’a informé qu’après avoir visionné la vidéo, il estimait que l’affaire était suffisamment grave pour justifier une mesure disciplinaire et qu’il allait communiquer avec M. Maas une fois qu’il aurait pris sa décision. M. Maas a déclaré qu’il n’avait pas eu l’occasion de fournir une explication.

69 M. Maas a eu une seconde réunion avec M. Trainor et un représentant syndical, durant laquelle la lettre disciplinaire lui a été remise. M. Maas a déclaré que M. Trainor ne lui avait pas demandé de fournir sa version des faits; il avait dit à M. Trainor qu’il était déconcertant d’être pénalisé pour avoir agi de manière proactive.

70 En réponse à la question de son avocat quant aux effets de la mesure disciplinaire, M. Maas a indiqué que tout le processus avait été éprouvant, car il s’est écoulé cinq mois environ entre la date de l’incident et le moment où la mesure disciplinaire lui a été imposée et 45 jours entre la date de la première réunion avec M. Trainor et le moment où la mesure disciplinaire lui a été imposée. M. Maas a déclaré qu’il était fier du travail qu’il accomplissait, peu importe la banalité ou le peu de prestige des tâches, et qu’il avait le sentiment que l’employeur mettait en doute son sens de l’éthique et son intégrité professionnelle. Il a ajouté que l’inf. aux. aut., qui avait participé à des interventions d’urgence dans des hôpitaux, les avaient félicités, M. Turner et lui, pour la manière dont ils avaient agi lors de l’incident.

71 En contre-interrogatoire, M. Maas a admis qu’il connaissait bien le contenu de sa description de travail et notamment la section portant sur la connaissance du contexte mentionnée au paragraphe 42 de la présente décision. Il a également admis qu’il était au fait des DC qui s’appliquent à son poste et de la déclaration suivante contenue dans le rapport d’enquête : [traduction] « M. Maas a confirmé qu’il connaît bien les DC et les ordres de poste relatives aux urgences médicales et qu’il sait qu’il faut commencer sans délai à administrer la RCR. »

72 À propos de la description de son entrevue avec les enquêteurs contenue dans le rapport, M. Maas a admis que c’était un compte rendu généralement fidèle. Il a attiré l’attention sur le fait que le rapport indiquait qu’il avait initialement rejoint l’inf. aux. aut. au milieu de la rangée où était située la cellule du détenu, alors que c’est plutôt dans le corridor reliant le bureau de contrôle de sécurité et l’unité.

73 En ce qui concerne la question de savoir s’il était le premier intervenant pour répondre à l’urgence, M. Maas a déclaré que c’était matière à débat parce que s’il était entré dans la cellule en premier, il n’était pas arrivé sur les lieux en premier. Il ajouté qu’il n’avait pas vérifié les signes vitaux du détenu, non plus que M. Turner, pour deux raisons, la première étant que durant la discussion entre les quatre employés, l’I.A. avait soulevé la question de l’existence d’une ordonnance « de ne pas réanimer » s’appliquant au détenu et la seconde étant que l’inf. aux. aut. avait dit qu’elle allait administrer la RCR, s’il y avait lieu. Pendant que l’inf. aux. aut. est partie chercher la trousse médicale, les deux fonctionnaires étaient incertains des mesures qu’ils étaient autorisés à prendre. M. Maas a observé qu’il y avait eu un délai pour récupérer la trousse médicale. M. Maas a rejeté la proposition de l’avocat de l’employeur selon laquelle un agent correctionnel compétent devrait savoir si une ordonnance « de ne pas réanimer » s’applique à un détenu. C’est plutôt la responsabilité de l’employeur d’informer le personnel de l’existence d’une telle ordonnance. Lorsqu’on a attiré son attention sur les Lignes directrices sur les soins palliatifs du SCC, M. Maas a déclaré qu’il n’y avait pas accès et n’en connaissait pas l’existence et que le détenu ne recevait pas de soins palliatifs. Il a ajouté que les lignes directrices relatives aux urgences médicales s’appliquaient à tous les établissements du SCC et que dans les établissements où il y a des infirmiers de service en tout temps, comme au CRT, ces derniers sont en charge de ces urgences.

74 M. Maas a indiqué qu’il avait répondu aux questions de M. Trainor durant la réunion du 22 avril 2009 avec ce dernier, et qu’il ne savait pas qu’il pouvait donner son point de vue sur le rapport d’enquête, alors qu’il avait été invité à soumettre des commentaires dans une lettre non datée de M. Trainor reçue le 20 avril 2009. M. Maas a déclaré que M. Trainor lui avait demandé sans relâche [traduction] « Avez-vous, oui ou non, administré la RCR? » Chaque fois qu’il tentait une explication, M. Trainor répétait la question.

75 Lorsque l’avocat de l’employeur a demandé à M. Maas d’expliquer de quelle manière il avait agi de façon proactive durant l’incident, il a répondu qu’il avait réagi trop vite. Il aurait dû attendre pour voir si l’inf. aux. aut. avait la trousse médicale au lieu de se précipiter dans la rangée pour aller ouvrir la cellule. La situation était confuse et les infirmières étaient énervées. M. Mass a expliqué qu’il s’était rendu à la cellule sans attendre qu’il y ait le nombre requis de membres du personnel pour entrer dans la cellule, comme l’exige la DC-567 (citée au paragraphe 40 de la présente décision). Les deux fonctionnaires sont entrés dans la cellule sans attendre l’arrivée d’un troisième membre du personnel. Lorsqu’on lui a demandé de décrire ce qu’il avait fait une fois dans la cellule, il a répondu que, après avoir ouvert la porte, il avait contrôlé l’accès à la cellule et à la rangée et tenté de susciter verbalement une réponse chez le détenu.

76 M. Maas a déclaré qu’il croyait se rappeler que l’inf. aux. aut. avait vérifié les signes vitaux et qu’elle avait ensuite quitté la cellule pour aller chercher la trousse médicale. Il a ajouté qu’il avait laissé l’inf. aux. aut. prendre toutes les décisions d’ordre médical.

77 Lorsqu’on lui a demandé si le rapport qu’il avait rédigé à la suite de l’incident était relativement complet, M. Maas a répondu qu’il contenait les principaux détails. Il a expliqué qu’il n’avait pas mentionné la discussion à propos de l’ordonnance « de ne pas réanimer » dans son rapport parce qu’il ne pensait pas que cela était important.

78 En contre-interrogatoire, M. Maas a indiqué que même s’il y avait beaucoup de DC au SCC, un certain nombre seulement avait un rapport avec son travail. Il a déclaré qu’il n’avait jamais reçu de copie des Lignes directrices sur les soins palliatifs.

79 Lorsqu’on l’a interrogé au sujet des réunions avec M. Trainor, M. Maas a déclaré qu’il croyait se rappeler en avoir eu trois : une première avec M. Turner et un représentant syndical; une deuxième avec un représentant syndical, lorsqu’on l’avait informé de la décision de lui imposer une mesure disciplinaire; une troisième, lorsqu’il avait reçu la lettre disciplinaire.

80 M. Turner est employé par le SCC depuis environ 20 ans et demi; il travaille au CRT depuis 6 ans. Avant d’arriver au CRT, il a travaillé à l’établissement Millhaven pendant 12 ans et à l’établissement Pittsburgh pendant 4 ans.

81 M. Turner a déclaré qu’à 1 h 55 environ, l’inf. aux. aut. est entrée dans le bureau de contrôle de sûreté et l’a avisé que le détenu gisait inconscient sur le sol de sa cellule et qu’ils devaient se rendre à la cellule. M. Turner et M. Maas se sont rejoints à l’entrée de la rangée et ils ont couru jusqu’à la cellule. Le reste du témoignage de M. Turner sur les détails de l’incident corrobore celui de M. Maas sur tous les points pertinents.

82 M. Turner croyait qu’il y avait une ordonnance valide « de ne pas réanimer » qui s’appliquait au détenu. Il a soulevé la question de savoir si M. Maas et lui allaient avoir des problèmes et faire face à des conséquences juridiques s’ils commençaient à administrer la RCR quand une ordonnance « de ne pas réanimer » est en vigueur. M. Turner n’a jamais reçu de formation ou d’explications sur les ordonnances « de ne pas réanimer » de toute sa carrière. Il a entendu parler pour la première fois des ordonnances « de ne pas réanimer » durant la période d’orientation de deux semaines qui a suivi son arrivée au CRT. Durant sa toute première patrouille dans la rangée avec deux autres agents correctionnels, l’un des agents avait dit, en arrivant devant la cellule du détenu, que c’était un cas de non-réanimation. M. Turner avait demandé ce que cela voulait dire et on lui avait expliqué qu’il ne fallait pas administrer la RCR à ce détenu-là.

83 Lorsqu’on l’a interrogé à propos du processus disciplinaire, M. Turner a déclaré qu’un soir, en arrivant au travail pour commencer le poste de minuit, il a été abordé, aux alentours de 21 h, par deux inconnus, une superviseure du personnel infirmier et un homme. C’était les membres d’un comité qui faisait enquête sur l’incident, et ils voulaient l’interroger. Ils ont dit à M. Turner qu’ils avaient examiné l’affaire, qui « [traduction] présageait bien », et que l’entrevue ne durerait pas longtemps. M. Turner les a informés qu’il ne se sentait pas à l’aise pour répondre à leurs questions à ce moment-là et ils ont accepté de remettre l’entrevue à un autre jour. L’entrevue a eu lieu environ une semaine et demie plus tard et M. Turner a reçu un rapport du comité d’enquête par la suite.

84 L’étape suivante du processus disciplinaire a été l’entrevue avec Mme Napier-Glover et M. Jung. Ils l’ont interrogé sur les événements survenus la nuit du 15 décembre 2008 et lui ont fait visionner l’enregistrement vidéo provenant de la caméra située dans la cellule. Il a expressément dit à Mme Napier-Glover qu’il ne savait pas trop s’il devait administrer la RCR au détenu, puisqu’il y avait une ordonnance « de ne pas réanimer » en vigueur, croyait-il, et qu’il était inquiet des ramifications juridiques. Mme Napier-Glover a répondu que c’était une excellente question, à laquelle M. Turner ne pouvait pas répondre ou ne pouvait pas connaître la réponse puisqu’il n’avait pas de formation médicale. M. Turner a dit aux enquêteurs que, puisqu’il y avait deux infirmières qui travaillaient dans l’unité, il croyait qu’elles étaient en charge des urgences médicales. Il a déclaré qu’avant la présente audience, il avait pris connaissance d’une copie expurgée du rapport d’enquête se rapportant exclusivement à son intervention durant l’incident.

85 La première réunion de M. Turner avec M. Trainor s’est tenue en présence de M. Maas et d’un représentant syndical. La réunion a été très brève; M. Trainor leur a dit qu’ils allaient recevoir une sanction disciplinaire, qu’il n’avait pas encore décidé laquelle et qu’on allait communiquer avec eux prochainement.

86 M. Turner a été convoqué à une autre réunion avec M. Trainor environ deux semaines plus tard. Même s’il savait qu’il pouvait être accompagné par un représentant syndical, il y a assisté seul. M. Trainor lui a remis la lettre disciplinaire; il en a pris connaissance et a déclaré qu’il était surpris. Lorsqu’il a demandé à M. Trainor comment il était arrivé à sa conclusion, ce dernier lui a demandé : [traduction] « Avez-vous, oui ou non, administré la RCR le plus rapidement possible? » Chaque fois que M. Turner donnait une explication, M. Trainor répétait la question. M. Trainor n’a pas proposé à M. Turner d’examiner le rapport d’enquête; il lui a dit qu’il était un bon agent correctionnel et qu’il pourrait travailler en tout temps dans son établissement.

87 M. Turner a déclaré que le processus était éprouvant, car il tentait d’accomplir le meilleur travail possible comme agent correctionnel. Il était troublé par le fait que le comité d’enquête lui avait dit qu’il avait agi correctement, alors que le rapport d’enquête indiquait exactement le contraire.

88 En contre-interrogatoire, M. Turner a admis qu’il connaissait les politiques énumérées dans la section de sa description de travail ayant trait à la connaissance du contexte, y compris l’obligation de répondre aux urgences médicales, ainsi que la clause 26a) de la DC-800.

89 Lorsqu’on l’a interrogé à propos de sa déclaration selon laquelle il croyait que les infirmières étaient en charge de la situation lors de l’incident, M. Turner a répondu que, lorsque l’inf. aux. aut. s’est présentée au bureau de contrôle de sûreté pour l’informer de la situation et lui demander de se rendre à la cellule du détenu, il était clair dans son esprit qu’elle était en charge de la situation. Il a déclaré qu’il n’avait pas prodigué de soins au détenu parce qu’il attendait de recevoir des directives de l’infirmière, croyant qu’une ordonnance valide « de ne pas réanimer » était en vigueur. Lorsqu’on a attiré son attention sur la clause 28 des Lignes directrices sur les soins palliatifs, qui dit que les ordonnances « de ne pas réanimer » doivent être réexaminées chaque mois, M. Turner a déclaré qu’il n’était pas au courant de cette exigence. Il a répondu la même chose à une question concernant la clause 22 du même document, qui dit entre autres choses qu’une copie de l’ordonnance « de ne pas réanimer » devrait être affichée dans la cellule du détenu. M. Turner a déclaré que, à partir de la date à laquelle il avait commencé à travailler au CRT, jamais une ordonnance « de ne pas réanimer » n’avait été affichée dans la cellule du détenu. Lorsqu’on l’a interrogé à propos de sa responsabilité de comprendre les lignes directrices relatives aux ordonnances « de ne pas réanimer », M. Turner a répondu que c’était un point important et que la formation donnée par la direction ne devrait pas se limiter à se faire dire par deux agents correctionnels que le détenu est [traduction] « un cas de non-réanimation » et qu’il ne faut pas lui administrer la RCR. M. Turner a admis que s’il voyait un détenu gisant sur le sol, il commencerait à administrer la RCR, même en cas de doute au sujet de l’existence d’une ordonnance « de ne pas réanimer ».

90 En contre-interrogatoire, M. Turner a déclaré qu’il n’y avait pas de procédure en place au CRT pour aviser les agents correctionnels de l’existence d’ordonnances « de ne pas réanimer ». Il a ajouté qu’il n’avait pas été informé par la direction qu’une ordonnance « de ne pas réanimer » s’appliquait au détenu et que ni lui ni aucun autre membre du personnel correctionnel n’avait été avisé que l’ordonnance avait été retirée.

IV. Résumé de l’argumentation

A. Pour l’employeur

91 L’avocat de l’employeur a renvoyé aux lettres disciplinaires qui sont reproduites au paragraphe 2 de la présente décision et indiqué que, en ce qui concerne la clause 5g) du Code de discipline, les DC auxquelles les fonctionnaires ont censément contrevenu sont la DC-800, la DC-843 et la DC-567. Étant donné que la procédure à suivre pour répondre aux urgences médicales est décrite exactement de la même manière dans chacune de ces directives, il a renvoyé à la clause 26 de la DC-800 pour l’ensemble des DC.

92  L’avocat de l’employeur a déclaré que, pour en arriver à sa décision concernant la sanction disciplinaire, M. Trainor a tenu compte de l’enregistrement vidéo provenant de la caméra située dans la cellule, du rapport d’enquête, des directives applicables, de ses entrevues avec les fonctionnaires, des dossiers des fonctionnaires et du Code de discipline (pièce G-1, onglet 5). Après avoir examiné ces faits, M. Trainor a décidé d’imposer une peine clémente.

93 L’avocat de l’employeur a avancé l’argument que la gravité de l’incident, en l’occurrence le décès d’un détenu dans sa cellule, doit également être examinée du point de vue du détenu, de sa famille et de l’employeur. Il a insisté pour dire que l’employeur ne laisse aucunement sous-entendre que le décès du détenu est attribuable à la négligence des fonctionnaires et qu’il ne remet pas en cause leur intégrité.

94 L’avocat de l’employeur a noté que le détenu pouvait être décédé pendant la période où il gisait sur le sol de la cellule avant qu’on le découvre. Quand les employés en question ont été avisés que le détenu semblait avoir un problème, ils ne savaient pas depuis combien de temps il gisait sur le sol ni s’il était mort. L’avocat de l’employeur a déclaré que cela constituait le tableau des événements à examiner. Il a ajouté qu’on avait tenu compte des explications fournies par les fonctionnaires et de la confusion qui régnait au moment de l’incident pour imposer la sanction disciplinaire.

95 À propos de la clause 26 de la DC-800, qui décrit la marche à suivre pour répondre aux urgences médicales, l’avocat de l’employeur a déclaré que cette disposition vise essentiellement à protéger les vies. Il a fait remarquer que la vidéo montre que les fonctionnaires sont entrés dans la cellule en premier, ce qui a été corroboré par leur témoignage. Il a ajouté qu’ils étaient entrés dans la cellule à 1 h 53 la nuit en question et que leur seule tentative pour susciter une réponse chez le détenu avait consisté à braquer une lampe sur lui et à crier. Ils ont quitté la cellule à 1 h 54 min 22 s et y sont revenus 35 secondes plus tard avec l’inf. aux. aut. Durant l’intervalle d’une minute 22 secondes où ils ont été seuls avec le détenu, les fonctionnaires n’ont pas tenté de déterminer ce qui lui était arrivé en commençant à tout le moins à lui prodiguer les premiers soins en vérifiant ses signes vitaux. L’avocat de l’employeur a renvoyé à la clause 26b), qui dit que « les intervenants n’œuvrant pas dans le domaine de la santé doivent tenter d’administrer la RCR ou de prodiguer les premiers soins lorsque l’état physique du blessé le permet, et ce, même si aucun signe de vie n’est apparent […] » Il soutient que l’omission des fonctionnaires de prendre cette mesure constituait une violation de la clause 26a), qui dit que le personnel n’œuvrant pas dans le domaine de la santé doit commencer sans délai à administrer la RCR et à prodiguer les premiers soins.

96  L’avocat de l’employeur a déclaré qu’après que l’inf. aux. eut vérifié les signes vitaux du détenu et quitté la cellule pour aller chercher le matériel médical, les fonctionnaires avaient eu une autre occasion de protéger la vie du détenu en lui administrant la RCR, mais qu’ils n’avaient pas saisi cette occasion. Il a admis que, lorsque les fonctionnaires ont quitté la cellule après le départ de l’inf. aux. aut., ils se sont postés tout près de la sortie de la cellule pour attendre le retour de l’inf. aux. aut.

97 L’avocat de l’employeur a déclaré que la conviction des fonctionnaires voulant que, dès qu’un infirmier intervient dans une situation d’urgence médicale, plus rien ne les oblige à agir, sauf s’ils reçoivent des directives de l’infirmier, découle d’une interprétation erronée des DC et de leurs fonctions comme agent correctionnel. Les fonctionnaires auraient dû comprendre les DC relatives aux ordonnances « de ne pas réanimer », car elles indiquent dans quelles circonstances il faut ou il ne faut pas administrer la RCR ou prodiguer les premiers soins. Au soutien de son argument, l’avocat de l’employeur a cité la clause 26c) de la DC-800 (reproduite au paragraphe 25 de la présente décision), qui renvoie aux Lignes directrices sur les soins palliatifs, et a déclaré que les fonctionnaires auraient dû être au courant de ces lignes directrices.

98 L’avocat de l’employeur a avancé que, même si les fonctionnaires ne savaient pas exactement si une ordonnance « de ne pas réanimer » s’appliquait au détenu, le fait qu’aucune ordonnance n’était affichée dans la cellule du détenu ou indiquée sur le tableau de dénombrement de l’unité créait une présomption qu’il n’y avait pas d’ordonnance qui s’appliquait au détenu. L’avocat de l’employeur a observé que les fonctionnaires ont expliqué qu’ils attendaient que les infirmières leur confirment si l’ordonnance « de ne pas réanimer » le détenu était toujours en vigueur et que c’est la raison pour laquelle ils n’ont pas commencé à administrer la RCR ou à prodiguer les premiers soins. L’avocat de l’employeur a avancé que cela pouvait seulement être considéré comme un facteur atténuant et non comme une justification de l’inconduite. Il a poursuivi en disant que l’employeur avait tenu compte de l’explication fournie par les fonctionnaires pour imposer la sanction disciplinaire.

99 L’avocat de l’employeur a indiqué que les employés n’œuvrant pas dans le domaine de la santé au CRT entretenaient l’« idée fausse » que, vu qu’il y a toujours des infirmiers de service au CRT, seul le personnel des services de santé peut commencer à administrer la RCR ou à prodiguer les premiers soins. Il a déclaré que la prétention des fonctionnaires selon laquelle ils n’étaient pas les premiers intervenants, puisque l’inf. aux. aut. était arrivée à la cellule du détenu en premier, est basée sur la clause 26h) de la DC-800, qui dit que : « une fois sur les lieux, les membres des services de santé ou du service d’ambulance sont chargés de déterminer quels soins médicaux devraient être prodigués dans chaque cas ». L’avocat de l’employeur a expliqué que l’inf. aux. aut. n’était pas « sur les lieux » lorsqu’elle était à l’extérieur de la cellule fermée à clé et inaccessible, car elle n’était pas en mesure d’intervenir. Il a ajouté que la clause 26h) ne peut pas être considérée comme une disposition ayant pour effet d’invalider l’intention principale de la clause 26, c’est-à-dire protéger les vies.

B. Pour les fonctionnaires s’estimant lésés

100 L’avocat des fonctionnaires a déclaré que le litige portait sur les trois questions suivantes : l’employeur a-t-il avancé des moyens suffisants et valides pour imposer la mesure disciplinaire imposée aux fonctionnaires? Dans l’affirmative, les mesures disciplinaires imposées étaient-elles appropriées? Indépendamment des deux premières questions, l’employeur a-t-il contrevenu aux règles de justice naturelle, ce qui, dans l’affirmative, justifierait l’annulation des mesures disciplinaires?

101 L’avocat des fonctionnaires a observé que l’employeur avait précisé, en imposant les mesures disciplinaires, qu’il ne portait pas un jugement sur la conduite des fonctionnaires. Les mesures visaient plutôt à corriger des problèmes structuraux qui relèvent de la compétence exclusive de l’employeur, comme la conclusion du rapport d’enquête à propos de l’idée fausse que les infirmiers du CRT sont toujours en charge des situations médicales et la confusion entourant les ordonnances « de ne pas réanimer ».

102 L’avocat des fonctionnaires a également fait valoir que les fonctionnaires n’avaient pas bénéficié de l’équité procédurale durant les audiences disciplinaires, ce qui a pour effet d’invalider les mesures disciplinaires imposées.

103 L’avocat des fonctionnaires a déclaré que la décision de M. Trainor voulant que les actions des fonctionnaires constituent un cas d’inconduite grave découlait du fait que le détenu était décédé. M. Trainor a admis qu’il avait tenu compte du décès du détenu pour décider de la mesure disciplinaire et que cela l’avait empêché d’apprécier l’ensemble des faits.

104 L’avocat des fonctionnaires a défendu la position que l’employeur avait adopté une approche « cloisonnée » pour apprécier les faits et la conduite des quatre employés en faisant abstraction des interactions entre les fonctionnaires durant l’incident et du fait que l’incident était un continuum d’événements.

105 L’avocat des fonctionnaires a soutenu que rien n’obligeait les fonctionnaires à administrer la RCR ou à prodiguer les premiers soins dans ce cas-là. En plus d’avancer un argument basé sur sa perception des faits, l’avocat des fonctionnaires a fait valoir que les clauses 26a) à c) de la DC-800 doivent être interprétées de concert avec les clauses 26h) et i) en tenant compte du but et de l’objet de cette DC, qui est de protéger des vies. À l’appui de cet argument, il a mis de l’avant ce qu’il a appelé le principe de la « spécialité », selon lequel les mesures les plus efficaces pour protéger les vies doivent être prises par les personnes les plus qualifiées, c’est-à-dire celles qui possèdent une formation, des compétences et des connaissances médicales supérieures. Ce principe est inscrit dans la DC-800 et dans la DC-843, en ce que les clauses 26a) à c)de la DC-800 et les dispositions correspondantes de la DC-843 visent à encadrer les situations où les seules personnes qui sont capables de répondre à une urgence médicale [traduction] « ne sont pas des spécialistes de la santé », a-t-il dit. L’avocat des fonctionnaires a soutenu que les employés du CRT n’œuvrant pas dans le domaine de la santé avaient très peu de latitude pour répondre à une urgence médicale dans ces cas-là, car leur formation, leurs connaissances et leurs compétences médicales sont limitées. Les fonctionnaires croyaient qu’une ordonnance « de ne pas réanimer » s’appliquait au détenu, parce que c’est l’information qu’on leur avait communiquée dans le passé et qu’aucun responsable ne les avait avisés du contraire. Par conséquent, suivant la clause 26c), les fonctionnaires n’avaient pas besoin de commencer à administrer la RCR. L’avocat des fonctionnaires a ajouté que les fonctionnaires n’avaient pas besoin de vérifier les signes vitaux du détenu, puisque cela fait partie de la procédure de RCR.

106 Pour en venir à la question du moment où les infirmières sont arrivées sur les lieux et ont pris la situation en mains, conformément aux clauses 26h) et i) de la DC-800, l’avocat des fonctionnaires a soutenu que cela coïncidait, au plus tôt, avec le moment où l’inf. aux. aut. a initialement visité la cellule du détenu durant l’une de ses rondes, et, au plus tard, avec le moment où l’inf. aux. aut. et M. Maas ont braqué une lampe de poche sur le détenu et tenté verbalement de susciter une réponse chez lui. L’avocat des fonctionnaires a soutenu que les infirmières avaient pris la situation en mains dès le début, comme en témoignent les faits suivants : l’inf. aux. aut. a avisé M. Maas qu’il y avait une urgence médicale possible; alors qu’elle était devant la cellule avec M. Maas, l’inf. aux. aut. a déclaré : [traduction] « On a probablement une urgence médicale »; les infirmières ont soulevé la question de l’ordonnance « de ne pas réanimer »; l’I.A. a déclaré qu’elle allait probablement devoir administrer la RCR; il revenait aux infirmières de vérifier le dossier médical du détenu et de ramasser la trousse médicale. L’avocat des fonctionnaires a déclaré que les fonctionnaires n’avaient pas été consultés sur la réponse à l’urgence  médicale, que les infirmières ne leur avaient pas donné de directives et qu’ils avaient appris, après le fait seulement, que les infirmières avaient choisi d’administrer la RCR parce que c’était la réponse appropriée à l’urgence médicale. L’avocat des fonctionnaires a émis l’opinion que les infirmières avaient agi comme si les fonctionnaires n’avaient pas de rôle à jouer dans l’intervention médicale et que l’acception de responsabilité par les infirmières aux termes des clauses 26h) et i) l’emportait sur l’obligation des fonctionnaires de commencer à administrer la RCR aux termes des clauses 26a) à c) inclusivement de la DC-800.

107 L’avocat des fonctionnaires a soutenu que les fonctionnaires n’étaient pas obligés d’être au courant des Lignes directrices sur les soins palliatifs, puisque ces directives s’adressent au personnel des services de santé. De plus, l’employeur n’a pas informé clairement les fonctionnaires de l’existence du document dans le cadre d’activités de formation ou par tout autre moyen. Il a ajouté que l’une des raisons pour lesquelles l’I.A. a tardé à arriver avec la trousse médicale est que la trousse avait été égarée. L’avocat des fonctionnaires a avancé que les fonctionnaires ne devraient pas avoir à porter la responsabilité des lacunes de l’employeur.

108 En ce qui concerne l’ordonnance « de ne pas réanimer », l’avocat des fonctionnaires a plaidé que les fonctionnaires n’avaient pas été informés par l’employeur que l’ordonnance « de ne pas réanimer » applicable au détenu avait été retirée et qu’ils n’avaient pas reçu de formation sur les ordonnances « de ne pas réanimer ». L’avocat des fonctionnaires a avancé que le fait qu’il est brièvement question des ordonnances « de ne pas réanimer » durant la formation en RCR, depuis l’incident, constitue un aveu de la part de l’employeur que le manque de formation sur ce point est une lacune qui ne peut pas être imputée aux fonctionnaires. L’avocat des fonctionnaires a déclaré que, si la clause 22 de la section des Lignes directrices sur les soins palliatifs portant sur la « procédure de non-réanimation » dit que les ordonnances « de ne pas réanimer » « doivent » être indiquées sur le tableau de dénombrement de l’unité, cette disposition dit également qu’une copie de l’ordonnance « devrait » être affichée dans la cellule du détenu. L’avocat des fonctionnaires a avancé qu’il ressortait de la preuve que les fonctionnaires n’avaient jamais vu une ordonnance « de ne pas réanimer » affichée dans la cellule du détenu ou sur le tableau de dénombrement et qu’il était donc peu probable qu’ils eussent été au courant que l’ordonnance « de ne pas réanimer » qui s’appliquait au détenu avait été annulée.

109 L’avocat des fonctionnaires a soutenu que la déclaration de M. Trainor selon laquelle il faut commencer à administrer la RCR dans toutes les circonstances, même en cas de doute à propos de la validité d’une ordonnance « de ne pas réanimer », n’est pas étayée par la clause 26 de la DC-800 et nécessiterait la suppression ou la modification de la clause 26c). L’avocat des fonctionnaires a accepté l’argument de l’employeur selon lequel M. Trainor avait accordé valeur de facteur atténuant à la question de la RCR, mais il a affirmé que M. Trainor n’avait pas bien compris que c’était la raison pour laquelle les fonctionnaires n’avaient pas commencé à administrer la RCR.

110 L’avocat des fonctionnaires a déclaré qu’au vu du fait que les fonctionnaires ont respecté les DC applicables et de l’ensemble de la preuve, les actions des fonctionnaires ne peuvent pas être considérées comme un cas d’inconduite grave, et les griefs devraient dès lors être accueillis. L’avocat des fonctionnaires a fait valoir, à titre subsidiaire, que, si une mesure disciplinaire est jugée nécessaire, les fonctionnaires devraient recevoir une réprimande verbale. Il demande que des dommages de 1 000 $ soient accordés à chaque fonctionnaire pour le préjudice et les désagréments qu’ils ont subis.

C. Réfutation de l’employeur

111 En réfutation, l’avocat de l’employeur a attiré l’attention sur le jugement de la Cour d’appel fédérale dans Tipple c. Canada (Conseil du Trésor), [1985] A.C.F. no 818 (QL) (C.A.), dans lequel la Cour a statué que les vices de procédure qui surviennent durant ou après le processus d’enquête sont corrigés par la tenue de l’audience devant la Commission.

112 L’avocat de l’employeur a réfuté l’argument selon lequel l’employeur avait appliqué une approche « cloisonnée » pour mener l’enquête. Il a déclaré que l’enquête avait comporté des entrevues avec les quatre employés qui étaient intervenus la nuit de l’incident et que le rapport d’enquête unique s’appliquait aux quatre employés.

113 L’avocat de l’employeur a déclaré que le principe de la « spécialité » mis de l’avant par les fonctionnaires n’était pas étayé par les interactions quotidiennes entre les infirmiers et les agents correctionnels du CRT. Il a ajouté que les dispositions applicables des DC doivent être interprétées globalement.

114 En ce qui concerne l’argument des fonctionnaires selon lequel l’acceptation de responsabilité des infirmières et le fait qu’ils n’avaient pas reçu de directives faisaient en sorte que leur conduite ne pouvait pas être qualifiée de répréhensible, l’avocat de l’employeur a soutenu que les fonctionnaires n’avaient pas reçu l’indication de ne rien faire. Même si les infirmières avaient pris la situation en mains, les fonctionnaires avaient l’obligation d’agir.

115 S’il admet que les fonctionnaires ne peuvent pas être tenus responsables du délai requis pour trouver la trousse médicale, l’avocat de l’employeur a déclaré que les fonctionnaires avaient négligé d’intervenir durant ce délai.

116 Quant aux dommages demandés par les fonctionnaires, l’avocat de l’employeur a plaidé qu’aucune explication n’avait été fournie pour justifier le montant demandé et qu’une preuve distincte aurait dû être produite pour établir les dommages généraux.

V. Motifs

A. Décision sur l’admissibilité du rapport d’enquête

117 Comme je l’ai indiqué au paragraphe 9 de la présente décision, j’ai ordonné à l’employeur de produire le rapport d’enquête non expurgé sur l’incident du 15 décembre 2008, sous réserve de l’admissibilité du document quant à sa pertinence. Le rapport non expurgé contient notamment le compte rendu détaillé des entrevues avec les quatre employés qui sont intervenus durant l’incident, de même que des détails sur le degré d’intervention de chacun. Bien que les griefs dont je suis saisi aient été présentés par les fonctionnaires, j’estime que pour avoir une vue d’ensemble des événements, il faut tenir compte des mesures qui ont été prises par les infirmières, ainsi que des interactions qu’elles ont eues avec les fonctionnaires pour répondre à l’urgence médicale. Le rapport non expurgé me permet d’avoir cette vue d’ensemble. De plus, les DC produites en preuve expliquent le rôle respectif des membres des services de santé et du personnel n’œuvrant pas dans le domaine de la santé pour répondre aux urgences médicales. Je dispose également du témoignage de Mme Napier-Glover sur l’intervention des infirmières durant l’incident et du témoignage des fonctionnaires sur leurs interactions avec les infirmières. Pour ces motifs, j’estime que le rapport d’enquête non expurgé est pertinent, et je l’admets en preuve.

B. Décision sur le manque présumé d’équité procédurale

118 L’avocat des fonctionnaires a avancé l’argument que les règles de l’équité procédurale n’avaient pas été respectées durant les audiences disciplinaires des fonctionnaires avec M. Trainor. La preuve sur ce point provient principalement du témoignage des fonctionnaires, qui ont déclaré que M. Trainor ne leur avait pas permis d’expliquer, durant leurs entrevues, pour quelle raison ils n’avaient pas commencé à administrer la RCR. Je ne considère pas cela comme un manque d’équité procédurale. Les fonctionnaires ont fourni une explication complète aux enquêteurs; cette explication a été reproduite dans le rapport d’enquête et les fonctionnaires ont reconnu que c’était une description exacte des faits. Durant l’audience, les fonctionnaires ont eu l’occasion de contre-interroger M. Trainor, qui a pris la décision de leur imposer une sanction disciplinaire. Ils ont également eu l’occasion de contre-interroger Mme Napier-Glover, l’une des personnes qui a fait enquête sur l’incident. Comme la Cour fédérale a statué dans Tipple, les vices de procédure qui surviennent durant et après le processus d’enquête sont corrigés par la tenue de l’audience devant l’arbitre de grief. De plus, comme il est indiqué au paragraphe 93 de Mohan c. Agence des douanes et du revenu du Canada, 2005 CRTFP 172, reproduit ci-dessous :

[…] il est établi depuis longtemps dans la jurisprudence de la Commission que l’audience d’arbitrage des griefs est une audition de novo conçue pour déterminer si l’employeur avait raison d’imposer des sanctions disciplinaires, et qu’elle n’a pas pour but de déterminer si la procédure appropriée a été respectée (voir Tipple (supra)) […]

Par conséquent, l’argument des fonctionnaires sur ce point ne tient pas.

C. Analyse

119 Les questions à trancher sont les suivantes : les fonctionnaires ont-ils contrevenu aux DC établissant la procédure à suivre pour répondre aux urgences médicales et, le cas échéant, la mesure disciplinaire imposée était-elle appropriée dans ce cas-là? Afin de déterminer si les actions des fonctionnaires constituaient un cas d’inconduite, j’examinerai les explications qu’ils ont fournies pour justifier leurs actes.

1. Le premier intervenant

120 Les parties ont défendu des positions contradictoires sur la question des employés qui ont répondu à l’urgence médicale en premier. Les fonctionnaires croyaient que l’inf. aux. aut. était intervenue en premier, puisqu’elle avait initialement remarqué le détenu qui gisait inconscient dans sa cellule. L’employeur a soutenu que les fonctionnaires étaient les premiers intervenants, puisqu’ils avaient eu accès à la cellule en premier.

121 Il est important de déterminer quel employé est intervenu en premier dans ce cas-ci. Les clauses 26a)et b)de la DC-800 indiquent que les tâches suivantes doivent être accomplies par les employés n’œuvrant pas dans le domaine de la santé qui arrivent sur les lieux d’une urgence médicale :

  1. les employés n'œuvrant pas dans le domaine de la santé qui arrivent sur les lieux d'une urgence médicale possible doivent immédiatement demander qu'on leur prête assistance, contrôler l'accès aux lieux et commencer à administrer la RCR ou à prodiguer les premiers soins;

  2. les intervenants n'œuvrant pas dans le domaine de la santé doivent tenter d'administrer la RCR ou de prodiguer les premiers soins lorsque l'état physique du blessé le permet, et ce, même si aucun signe de vie n'est apparent (la décision de cesser la RCR ou les premiers soins ne peut être prise que par le personnel autorisé des soins de santé ou les ambulanciers conformément aux lois provinciales);

Dans le cas du personnel des services de santé, la clause 26h) de la DC-800 dit que « une fois sur les lieux, les membres des services de santé ou du service d’ambulance sont chargés de déterminer quels soins médicaux devraient être prodigués dans chaque cas ».

122 L’avocat des fonctionnaires a défendu la position que l’inf. aux. aut. avait initialement remarqué le détenu, qu’elle était arrivée « sur les lieux » en premier et qu’elle avait donc la responsabilité de déterminer les soins médicaux à prodiguer. Il a également fait valoir que le moment le plus tardif où les services de santé sont arrivés sur les lieux et ont pris la situation en mains coïncide avec le moment où l’inf. aux. aut. et M. Maas sont revenus devant la cellule toujours fermée à clé et ont tenté de susciter une réponse chez le détenu. À l’appui de cette prétention, l’avocat des fonctionnaires a renvoyé au témoignage non contredit de M. Maas, selon lequel l’inf. aux. aut. avait déclaré [traduction] « Il y a quelque chose qui ne va pas […], on a probablement une urgence médicale. »

123 Au vu de la preuve, je ne peux pas accepter cet argument. S’il est vrai que l’inf. aux. aut. est la première personne qui a constaté que le détenu gisait sur le sol de sa cellule durant l’une de ses rondes, elle ne pouvait rien faire d’autre que d’observer, puisqu’elle n’avait pas accès à la cellule. Elle ne pouvait pas, à ce moment-là, déterminer quel était l’état du détenu. Lorsqu’elle est revenue devant la porte de la cellule avec M. Maas et que leurs cris et la lumière de lampe ont échoué à susciter une réponse chez le détenu, elle n’était toujours pas en mesure d’évaluer son état physique.

124 L’expression « sur les lieux » peut être définie de plusieurs manières, selon le contexte. Je crois que dans le contexte de la clause 26 de la DC-800, être sur les lieux ne peut pas signifier être présent sur les lieux d’une urgence médicale lorsqu’il est physiquement impossible de prodiguer des soins à un détenu parce que la cellule est inaccessible. Cela ne peut pas être l’objet de cette disposition. Comme le paragraphe introductif de la clause 26 l’indique, « […] le but principal […] consiste à protéger les vies […] ». Pour protéger les vies, il faut être physiquement capable de le faire. Dans ce cas-ci, c’est seulement une fois la porte de la cellule déverrouillée qu’il devenait possible d’évaluer l’état du détenu et de commencer à lui prodiguer des soins appropriés. L’enregistrement vidéo provenant de la caméra située dans la cellule montre clairement que les fonctionnaires sont entrés dans la cellule du détenu en premier. Aussi, je conclus qu’ils sont arrivés sur les lieux de l’urgence médicale en premier aux fins de la clause 26 de la DC-800.

125  Même si j’avais accepté l’argument de l’avocat des fonctionnaires selon lequel l’inf. aux. aut. avait assumé la responsabilité de déterminer les soins médicaux requis, je ne crois pas que cela aurait déchargé les fonctionnaires de leurs responsabilités aux termes de la clause 26a) de la DC-800. Les dispositions de la clause 26 doivent être examinées de façon globale. Lorsque le personnel des services de santé prend une situation en mains aux termes de la clause 26h), il le fait dans le but de déterminer quels soins médicaux doivent être prodigués dans ce cas-là. Or, déterminer quels soins médicaux doivent être prodigués ne veut pas nécessairement dire prodiguer les soins en question. Donc, lorsque l’inf. aux. aut. a déclaré : [traduction] « on a probablement une urgence médicale » ou lorsque l’I.A. a dit : [traduction] « on va probablement devoir commencer à administrer la RCR », je ne crois pas que cela libérait les fonctionnaires de leur obligation de commencer à administrer la RCR et à prodiguer les premiers soins après être arrivés sur les lieux en premier.

126 Cela m’amène au principe de la « spécialité » mis de l’avant par l’avocat des fonctionnaires et selon lequel les mesures les plus efficaces pour protéger les vies doivent être prises par les personnes les plus qualifiées. Il a soutenu que les employés n’œuvrant pas dans le domaine de la santé ont une formation médicale limitée et qu’ils ont donc très peu de latitude pour répondre aux urgences médicales. Il a affirmé que les clauses 26a), b) et c) de la DC-800 s’appliquaient aux cas où les seuls employés qui sont disponibles pour répondre à une urgence médicale [traduction] « ne sont pas des spécialistes de la santé ».

127 J’estime que la structure de la clause 26 de la DC-800 ne permet pas de retenir ce principe de la « spécialité ». Les dispositions de la clause 26 ne font pas en sorte de créer une hiérarchie de réponses à une urgence médicale en fonction des qualifications, de telle manière que le détenu doit nécessairement recevoir des soins d’urgence du membre du personnel le plus qualifié. Le principe de la « spécialité » sous-entend que, lorsque survient une urgence au CRT, les agents correctionnels tiendraient pour acquis qu’ils n’ont pas besoin d’intervenir, parce que les infirmiers, qui ont une plus grande formation médicale, sont de service en tout temps. Si l’on pousse ce raisonnement jusqu’à sa conclusion logique, cela voudrait dire que si un médecin est présent au CRT, les infirmiers s’en remettraient alors à l’expertise médicale de ce dernier. J’estime que cela ne correspond pas à l’objet de la clause 26. L’objectif primordial de cette disposition, qui se rapporte aux urgences médicales, est de protéger les vies. Les clauses 26a) et b) de la DC-800 disent que les employés n’œuvrant pas dans le domaine de la santé qui répondent à une urgence médicale doivent commencer sans délai à administrer la RCR ou à prodiguer les premiers soins. Comme les fonctionnaires étaient pleinement formés et qualifiés pour administrer la RCR et prodiguer les premiers soins, ils n’avaient aucune raison d’attendre l’arrivée d’un membre du personnel possédant une plus grande expertise médicale pour vérifier les signes vitaux du détenu et commencer à administrer la RCR. L’argument de la « spécialité » ne peut pas être accueilli, selon moi.

2. L’ordonnance « de ne pas réanimer »

128  La preuve des fonctionnaires concernant l’ordonnance « de ne pas réanimer » peut se résumer comme suit. Après leur arrivée au CRT, on les a informés qu’une ordonnance « de ne pas réanimer » s’appliquait au détenu, mais ils n’ont jamais vu une ordonnance affichée dans la cellule du détenu ni un autocollant sur le tableau de dénombrement de l’unité indiquant qu’une ordonnance « de ne pas réanimer » s’appliquait au détenu. Aucun responsable ne les a avisés que l’ordonnance applicable au détenu avait été annulée. Ils n’ont jamais reçu de formation sur les ordonnances « de ne pas réanimer ». La nuit de l’incident, l’I.A. a soulevé la question de l’ordonnance « de ne pas réanimer » applicable au détenu. Les infirmières et les fonctionnaires croyaient qu’une ordonnance valide s’appliquait au détenu. La confusion entourant l’ordonnance « de ne pas réanimer » est l’une des raisons pour lesquelles les fonctionnaires n’ont pas commencé d’emblée à administrer la RCR et à prodiguer les premiers soins, compte tenu de la clause 26c) de la DC-800. Cette disposition, qui est citée au début de la présente décision, est reproduite ici par souci de commodité :

26 c. les employés n’œuvrant pas dans le domaine de la santé n’ont pas besoin de commencer à administrer la RCR dans les situations suivantes :       

[…]

  • les employés n’œuvrant pas dans le domaine de la santé sont au courant de l’existence d’une ordonnance valide DE NE PAS RÉANIMER (les intervenants non spécialistes de la santé doivent vérifier si une telle ordonnance a été émise suivant les Lignes directrices sur les soins palliatifs du SCC)

[Le passage en évidence l’est dans l’original]

129 L’avocat de l’employeur table s’est appuyé sur le texte entre parenthèses de la clause 26c) de la DC-800 pour défendre la position que les fonctionnaires auraient dû savoir dans quelles circonstances on ne doit pas commencer à administrer la RCR et à prodiguer les premiers soins et qu’ils auraient dû être au courant des Lignes directrices sur les soins palliatifs du SCC. Selon l’avocat de l’employeur, le passage suivant du texte anglais du paragraphe 26(c) : « responding non-Health Services staff shall verify if a DNR order exists as per the SCC Palliative Care Guidelines [je souligne] » [les intervenants non spécialistes de la santé doivent vérifier si une telle ordonnance a été émise suivant les Lignes directrices sur les soins palliatifs du SCC], crée l’obligation pour les fonctionnaires d’être au courant des Lignes directrices sur les soins palliatifs.

130 Je ne suis pas d’accord, pour plusieurs raisons. La première est que les fonctionnaires ont déclaré durant leur témoignage, qui n’a pas été contesté, qu’ils n’étaient pas au courant de l’existence des Lignes directrices sur les soins palliatifs et qu’ils n’avaient jamais eu accès à ce document. Ma deuxième raison est que j’estime que le libellé de la clause 26c)de la DC-800 n’étaye pas l’argument de l’avocat de l’employeur. L’utilisation des mots anglais « as per » dans la disposition pertinente de cet article ne signifie pas que les employés n’œuvrant pas dans le domaine de la santé doivent consulter les Lignes directrices sur les soins palliatifs ou en connaître le contenu pour vérifier si une ordonnance « de ne pas réanimer » existe. J’estime que les mots « as per » dans ce contexte-là se rapportent aux ordonnances « de ne pas réanimer » émises en conformité avec les Lignes directrices sur les soins palliatifs. Cette interprétation s’accorde avec les mots « a été émise » dans le texte français de la partie pertinente de la clause 26c), qui dit ceci : les intervenants non spécialistes de la santé doivent vérifier si une telle ordonnance a été émise suivant les Lignes directrices sur les soins palliatifs du SCC.

131 Je note en passant que c’est la seule disposition de la clause 26 de la DC-800 et des dispositions correspondantes de la DC-843 et de la DC-567 dans laquelle les mots anglais « non-Health Services staff » sont rendus en français par « non spécialistes de la santé ». Dans toutes les autres dispositions de l’article 26, on utilise les mots « […] n’œuvrant pas dans le domaine de la santé ». Je considère cela comme une simple anomalie, qui ne modifie d’aucune manière la catégorie ou le statut du personnel n’œuvrant pas dans le domaine de la santé.

132 La procédure de non-réanimation décrite aux pages 30 à 33 des Lignes directrices sur les soins palliatifs indique clairement que cette procédure doit être appliquée par les médecins et les infirmiers du SCC. La clause 16 de la procédure explique comment le personnel n’œuvrant pas dans le domaine de la santé doit être informé de l’existence des ordonnances « de ne pas réanimer », de la façon suivante :

[Traduction]

16)     Les infirmiers consignent les ordonnances « de ne pas réanimer » dans le dossier médical et le cardex du patient et sur le tableau de dénombrement dans le bureau de l’unité afin de s’assurer que tout le personnel nécessaire est au courant des volontés du patient et de la décision de l’équipe des services de santé à cet égard.

Donc, la clause 26c) de la DC-800 ne dit pas que le personnel n’œuvrant pas dans le domaine de la santé doit connaître les Lignes directives sur les soins palliatifs pour être au courant de l’existence d’une ordonnance « de ne pas réanimer ». La preuve ayant démontré que seul le personnel des services de santé peut consulter le dossier médical du détenu, il s’ensuit que, suivant la clause 16 de la procédure de non-réanimation, le personnel n’œuvrant pas dans le domaine de la santé est informé de l’existence d’une ordonnance « de ne pas réanimer » un détenu par l’affichage de cette ordonnance sur le tableau de dénombrement dans le bureau de l’unité. Les témoignages de Mme Napier-Glover et des fonctionnaires ont établi que cela consistait à apposer un autocollant à côté du nom du détenu sur le tableau de dénombrement.

133  La procédure de non-réanimation prévoit un moyen supplémentaire pour informer le personnel n’œuvrant pas dans le domaine de la santé de l’existence d’une ordonnance « de ne pas réanimer ». Sous la rubrique [traduction] « Mise en œuvre », la clause 22 dit ceci :

[Traduction]

22) L’infirmier consigne l’ordonnance « de ne pas réanimer » dans le dossier médical et le cardex du patient et sur le tableau de dénombrement dans le bureau de l’unité. Une copie de l’ordonnance devrait également être affichée dans la cellule du détenu.

[Je souligne]

Le mot « doit » dans les clauses 16 et 22 de la procédure de non-réanimation indique que l’infirmier est obligé de consigner l’ordonnance « de ne pas réanimer » dans le cardex et le dossier médical. Par contre, à l’article 22, le mot « devrait », relativement à l’affichage de l’ordonnance « de ne pas réanimer » dans la cellule du détenu, est utilisé à titre indicatif en ce qu’il indique que le personnel des services de santé n’est pas tenu d’afficher l’ordonnance « de ne pas réanimer » dans la cellule du détenu aux termes des Lignes directrices sur les soins palliatifs.

134 Dans son argumentation, l’avocat de l’employeur a fait valoir que le fait que rien n’indiquait, sur le tableau de dénombrement de l’unité ou dans la cellule du détenu, qu’une ordonnance « de ne pas réanimer » s’appliquait au détenu créait une présomption qu’il n’en existait pas. Je ne suis pas d’accord. Selon mon interprétation des directives applicables, la note consignée dans le dossier médical ou le cardex du patient est la première source pour savoir si une ordonnance « de ne pas réanimer » existe, l’affichage sur le tableau de dénombrement de l’unité constituant la source secondaire pour l’information du personnel n’œuvrant pas dans le domaine de la santé. Si l’autocollant apposé sur le tableau de dénombrement de l’unité pour indiquer qu’une ordonnance « de ne pas réanimer » à un détenu est déplacé ou enlevé par accident, cela signifie, selon l’argument de l’avocat de l’employeur, qu’on ne tiendrait pas compte de l’ordonnance. Je ne peux pas accepter ce raisonnement. Comme les infirmières l’ont fait dans le cas présent, le personnel infirmier vérifierait dans le dossier médical du patient pour voir si une ordonnance valide « de ne pas réanimer » est en vigueur. Je rejette donc cet argument.

3. Le risque d’être agressé par le détenu

135 Les fonctionnaires ont déclaré que l’une des raisons pour lesquelles ils n’avaient pas commencé d’emblée à administrer la RCR est que le détenu aurait pu être dangereux. Ils craignaient de se faire agresser si le détenu se réveillait, car ils n’avaient aucun moyen de savoir s’il faisait semblant de dormir. Le fait qu’il y avait un risque élevé que le détenu commette des actes d’agression et de violence n’est pas contesté. Le rapport d’enquête le dit et M. Trainor l’a confirmé dans son témoignage. Or, prévenir les agressions des détenus fait partie des tâches des agents correctionnels. Dans la description de travail des fonctionnaires (pièce E-1, onglet 5), le premier paragraphe sous la rubrique « Connaissance du domaine de travail », dans la section relative aux « Habiletés », dit ceci :

[Traduction]

Il est nécessaire de répertorier les risques et de prévenir ou de neutraliser activement les actes d’agression des détenus […] À cet égard, le titulaire doit employer les techniques d’intervention les plus sûres et les plus raisonnables afin de résoudre la situation conformément à la politique et au droit applicables […]

Durant l’incident, les fonctionnaires étaient dans la cellule avec le détenu. S’ils avaient des raisons légitimes de craindre de se faire agresser, il était néanmoins de leur devoir de prendre les mesures nécessaires pour faire face à cette éventualité au cas où elle se produirait. Par conséquent, j’estime que la crainte des fonctionnaires de se faire agresser par le détenu ne constitue pas, dans ce cas-ci, une raison valable pour ne pas avoir commencé à administrer la RCR ou à prodiguer les premiers soins.

4. La mesure disciplinaire était-elle appropriée?

136 Au vu de la preuve, j’ai conclu que les fonctionnaires étaient les premiers intervenants pour répondre à l’urgence médicale, puisqu’ils sont arrivés sur les lieux en premier au sens de la clause 26 de la DC-800. À ce titre, ils avaient l’obligation, aux termes des clauses 26a)et b) de la DC-800, de commencer sans délai à administrer la RCR et à prodiguer les premiers soins, même si aucun signe de vie n’était apparent.

137 Le moment crucial de l’incident est survenu lorsque les fonctionnaires sont entrés pour la première fois dans la cellule à 1 h 53, le 15 décembre 2008, et qu’ils en sont ressortis à 1 h 54 min 22 s. Durant l’intervalle d’une minute 22 secondes, il a été démontré que les fonctionnaires avaient contrôlé l’accès au lieu, qu’ils avaient appelé le détenu à grands cris et qu’ils avaient braqué une lampe sur lui. Ils n’ont pas tenté d’évaluer son état en vérifiant ses signes vitaux ni n’ont commencé à administrer la RCR ou à prodiguer les premiers soins. Je conclus que ces omissions constituent une violation manifeste de la clause 26 de la DC-800 et de la clause 5g)du Code de discipline du SCC.

138 Les fonctionnaires ont soutenu que la confusion et les doutes entourant l’existence d’une ordonnance valide « de ne pas réanimer » le détenu et les répercussions possibles étaient les principales raisons pour lesquelles ils n’avaient pas commencé immédiatement à administrer la RCR ou à prodiguer les premiers soins. Même si la preuve a révélé qu’il y avait des doutes à propos de l’ordonnance « de ne pas réanimer », j’estime que cela n’est pas suffisant pour déroger aux exigences fondamentales de la clause 26 de la DC-800.

139 Comme il est indiqué dans le paragraphe introductif de la clause 26 de la DC-800, « Lors d’une urgence médicale, le but principal […] consiste à protéger les vies […] » C’est l’intention et l’objectif fondamental de cette disposition. J’estime que la partie de la clause 26c) qui traite des ordonnances « de ne pas réanimer » s’applique par dérogation au but principal énoncé, qui est de protéger les vies, lorsque l’existence d’une ordonnance valide « de ne pas réanimer » est établie. Jusqu’à ce que cette vérification soit effectuée, les employés n’œuvrant pas dans le domaine de la santé qui répondent à une urgence médicale doivent immédiatement faire tous les efforts nécessaires pour protéger la vie. Dans le cas qui nous occupe, lorsque les fonctionnaires sont partis en direction de la cellule du détenu, l’I.A. était en train de vérifier le dossier médical de ce dernier pour déterminer si une ordonnance valide « de ne pas réanimer » était en vigueur. Jusqu’à ce moment-là, les fonctionnaires n’avaient pas reçu la confirmation qu’une ordonnance de ce genre s’appliquait au détenu. Il était donc de leur devoir de commencer à administrer la RCR et à prodiguer les premiers soins, conformément aux clauses 26a) et b) de la DC-800. Dans les urgences médicales comme celle-ci, il est essentiel de commencer immédiatement à prendre les mesures requises. Il a été démontré que les fonctionnaires n’étaient pas intervenus immédiatement. Par conséquent, je conclus que l’employeur a établi qu’il était fondé à leur imposer une mesure disciplinaire.

5. La mesure disciplinaire était-elle appropriée?

140 Dans son argumentation, l’avocat de l’employeur a déclaré que, par rapport à la clause 5g)du Code de discipline, les fonctionnaires avaient contrevenu à la DC-800, à la DC-843 et à la DC-567.

141 La mesure disciplinaire imposée aux fonctionnaires a consisté en une sanction pécuniaire équivalant à deux jours de rémunération. M. Trainor a déclaré qu’il avait opté pour une mesure disciplinaire clémente parce qu’il avait tenu compte de plusieurs facteurs atténuants, tels que le dossier disciplinaire sans tache des fonctionnaires durant leur années d’emploi et le fait qu’ils avaient reconnu qu’ils n’avaient pas administré la RCR ni prodigué les premiers soins, qu’ils avaient tiré des leçons de l’incident et qu’ils avaient admis qu’ils commenceraient à administrer la RCR et à prodiguer les premiers soins dans une autre situation semblable, et pris considération la conclusion du rapport d’enquête à propos de la confusion entourant l’ordonnance « de ne pas réanimer ».

142 Afin d’imposer les mesures disciplinaires aux fonctionnaires, l’employeur s’est appuyé sur deux chefs de violation du Code de discipline, soit les clauses 5f) et g). L’employeur n’a produit aucune preuve pour établir la violation de la clause 5f), qui concerne l’employé qui « refuse ou néglige d'exercer ses fonctions d'agent de la paix ». Aucun témoignage ni aucune preuve documentaire n’ont été soumis pour établir les obligations ou les responsabilités d’un agent de la paix ou la manière dont les fonctionnaires ont négligé de s’y conformer, et aucun argument n’a été avancé par l’employeur sur ces points. Faute de preuve que les fonctionnaires ont contrevenu à la clause 5f) du Code de discipline, il convient de réduire la sanction disciplinaire qui leur a été imposée. Au vu de la preuve et des circonstances, j’estime que la réduction devrait équivaloir à un jour de rémunération. En conséquence, les griefs seront partiellement accueillis dans cette mesure.

143 Dans son argumentation, l’avocat des fonctionnaires a avancé que les fonctionnaires avaient droit à des dommages de 1 000 $ chacun pour [traduction] « le préjudice et les désagréments » qu’ils avaient subis. La seule preuve dont je dispose est le témoignage des fonctionnaires selon lequel le processus a été éprouvant et inutilement long. Sans mettre leur parole en doute, je dois dire que c’est l’une des malencontreuses conséquences du fait d’être mêlé à un incident comme celui-ci. J’ajouterai que l’avocat des fonctionnaires ne m’a pas présenté d’arguments solides pour justifier cette indemnisation. Par conséquent, la demande est rejetée.

144 Comme je l’ai déjà indiqué, un disque compact de l’enregistrement vidéo provenant de la caméra située dans la cellule du détenu la nuit de l’incident a été admis en preuve. Comme je l’ai mentionné au début de la présente décision, la première partie de l’enregistrement montre les mouvements du détenu peu de temps avant et pendant sa chute dans la cellule.

145 S’il est acquis que le droit à la protection de la vie privée est un droit personnel important, je ne peux faire abstraction de la doctrine et de la jurisprudence qui ont par ailleurs établi que le droit à la protection de la vie privée ne suffit pas en soi à écarter le droit du public à l’information en vertu de la Charte canadienne des droits et libertés (partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, édictée comme l'annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.)). Cela dit, dans le contexte de la présente affaire, j’estime que par égard pour la dignité du détenu, le droit du public à l’information ne devrait pas s’appliquer au visionnement de l’enregistrement vidéo. C’est pourquoi j’ai ordonné que la pièce E-2, le disque compact de l’enregistrement vidéo provenant de la caméra placée dans la cellule, et la pièce E-1, onglet 9, le rapport d’enquête non expurgé, soient conservés sous pli scellé.

146 Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

VI. Ordonnance

147 Les griefs sont accueillis en partie. Chaque fonctionnaire doit recevoir une indemnité équivalant à une journée de rémunération, plus les avantages connexes.

148 J’ordonne que le disque compact de l’enregistrement vidéo de l’incident provenant de la caméra située dans la cellule du détenu (pièce E-2) et le rapport d’enquête non expurgé (pièce E-1, onglet 9) soient conservés sous pli scellé.

Le 22 novembre 2010.

Traduction de la CRTFP

Steven B. Katkin,
arbitre de grief

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